Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - juin 2011

CSSS d'Ahuntsic et Montréal-Nord (CHSLD) et Geneste

2015 QCCLP 5183

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

29 septembre 2015

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

519823-71-1308      530725-71-1312      543090-71-1406

543126-71-1406

 

Dossier CSST :

141107326

 

Commissaire :

Andrée Gosselin, juge administratif

 

Membres :

Claude St-Laurent, associations d’employeurs

 

Lord Morris, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Christian Hemmings, médecin

______________________________________________________________________

 

519823          530725          543126

543090

 

 

CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord (CHSLD)

Marie Célimène Geneste

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Marie Célimène Geneste

CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord (CHSLD)

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 519823-71-1308

 

[1]           Le 20 août 2013, le CSSS d’Ahuntsic (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 août 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 20 juin 2013 et déclare que madame Marie Célimène Geneste (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013, soit une entorse, une tendinite et une capsulite à l’épaule droite.

Dossier 530725-71-1312

[3]           Le 27 décembre 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 2 décembre 2013 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 12 novembre 2013 à la suite de l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle déclare que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle, soit une bursite calcifiée à l’épaule droite et qu’elle continue d’avoir droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Elle déclare aussi que la CSST est justifiée de poursuivre le paiement des soins ou des traitements puisqu’ils sont nécessaires.

Dossier 543090-71-1406

[5]           Le 2 juin 2014, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 27 mai 2014 à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 28 avril 2014 à la suite de l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle déclare que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisque sa lésion n’est pas consolidée et que la CSST est justifiée de poursuivre le paiement des soins ou des traitements puisqu’ils sont nécessaires.

Dossier 543126-71-1406

[7]           Le 3 juin 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste cette même décision de la CSST rendue le 27 mai 2014 à la suite d’une révision administrative.

[8]           Par cette décision, la CSST en révision déclare la contestation de l’employeur sans objet, en ce qui concerne l’admissibilité.

[9]           À l’audience tenue le 9 avril 2015, la travailleuse et l’employeur sont présents et représentés par procureurs. Après réception de l’argumentation écrite de chaque partie, les dossiers sont mis en délibéré le 15 juin 2015.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 519823-71-1308

[10]        L’employeur demande au tribunal de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 7 mai 2013.

Dossier 530725-71-1312

[11]        L’employeur conteste la seconde décision d’admissibilité rendue par la CSST siégeant en révision dans sa décision du 2 décembre 2013 : il demande au tribunal de déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013 et que la  bursite calcifiée de l’épaule droite n’est pas en lien avec l’événement du 7 mai 2013.

Dossier 543090-71-1406

[12]        La travailleuse demande au tribunal de déclarer que le diagnostic de la lésion professionnelle est une bursite calcifiée, une entorse et une tendinopathie calcifiante de l’épaule droite.

Dossier 543126-71-1406

[13]        L’employeur conteste la relation entre le diagnostic de bursite calcifiée de l’épaule droite et l’événement du 7 mai 2013 et réitère sa demande au tribunal de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 7 mai 2013.

L’AVIS DES MEMBRES

Dossiers 519823-71-1308, 530725-71-1312, 543090-71-1406 et 543126-71-1406

[14]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la présomption de l’article 28 de la loi s’applique et que l’employeur n’a pas réussi à la renverser; ainsi, le 7 mai 2013, en supportant seule la patiente lors de soins d’hygiène, la travailleuse a subi une lésion professionnelle. Les diagnostics de la lésion sont ceux initialement reconnus par la CSST, soit une entorse et une tendinite de l’épaule droite, ainsi que celui reconnu par le Bureau d’évaluation médicale dans son premier avis du 2 octobre 2013, soit une bursite calcifiée; d’ailleurs, la preuve prépondérante, selon ce membre, établit la relation entre ce dernier diagnostic et l’événement du 7 mai 2013. Par ailleurs, ce membre retient que cette lésion n’est pas consolidée selon le Bureau d’évaluation médicale dans son avis du 14 avril 2014, et que des soins et traitements sont toujours nécessaires.

[15]        Ce membre précise toutefois que la travailleuse ne pouvait contester le diagnostic émis une seconde fois par le Bureau d’évaluation médicale, ne l’ayant pas contesté lors du premier avis du Bureau d’évaluation médicale; à cet égard, il y a chose jugée selon lui.

[16]        Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis que l’employeur a renversé la présomption de l’article 28 de la loi en démontrant l’absence de relation entre le geste posé et les diagnostics d’entorse et de tendinite posés initialement. De plus, vu son manque de crédibilité, mis en lumière par l’employeur lors de l’audience, la travailleuse n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, avoir subi un accident du travail au sens de l’article 2 de la loi, le 7 mai 2013. Ce membre est donc d’avis que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle. Pour ce motif, il ne croit pas nécessaire de se prononcer sur les autres contestations de l’employeur et de la travailleuse, concernant les aspects médicaux du dossier.

LES FAITS ET LES MOTIFS

Dossiers 519823-71-1308, 530725-71-1312, 543090-71-1406 et 543126-71-1406

[17]        Le tribunal doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013, et quel est ou quels sont les diagnostics qui y sont reliés.

[18]        Seule la travailleuse témoigne à l’audience.

[19]        Dans son argumentation, celle-ci soutient que sa lésion professionnelle du 7 mai 2013 est constituée d’une bursite calcifiée à l’épaule droite, comme déterminé par deux avis du Bureau d’évaluation médicale, à laquelle elle veut voir ajoutés les diagnostics d’entorse et de tendinopathie calcifiante, conformément aux conclusions du docteur Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, dans son rapport d’expertise du 11 septembre 2014.

[20]        D’emblée, l’employeur déclare contester l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse et nier toute relation entre l’événement allégué du 7 mai 2013 et le diagnostic de bursite calcifiée à l’épaule droite déterminé par un membre du Bureau d’évaluation médicale dans deux avis distincts.

[21]        Ainsi, l’employeur précise ne pas contester les conclusions médicales auxquelles en arrivent les membres du Bureau d’évaluation médicale, dans leurs avis du 2 octobre 2013 et du 14 avril 2014, c’est-à-dire le diagnostic, l’insuffisance des soins et traitements et la non-consolidation de la lésion.

[22]        Quant à l’admissibilité, l’employeur prétend que la travailleuse n’est pas crédible. À l’appui, il dépose une volumineuse preuve documentaire : entre autres, les notes cliniques d’une consultation du 8 mai 2013, le dossier de l’hôpital Notre-Dame, le dossier de l’urgence de l’hôpital Fleury, des documents relatifs à un accident antérieur, en 2007, concernant un doigt, et des documents relatifs à un accident antérieur, en 2004, concernant la colonne lombaire.

[23]        Ensuite, quant au diagnostic à retenir pour la lésion, l’employeur plaide que le diagnostic de bursite calcifiée, établi par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 2 octobre 2013 et répété par le membre du Bureau d’évaluation médicale dans son avis du 14 avril 2014, remplace les diagnostics retenus par la CSST lors de l’admissibilité de la réclamation, soit une entorse, tendinite et capsulite de l’épaule droite. Selon l’employeur, cette bursite calcifiée n’est aucunement d’origine professionnelle; il s’appuie en cela sur les rapports d’expertise du 4 juin 2013 et du 26 novembre 2013 des docteurs Carl Giasson Jr et Marc Goulet respectivement et, surtout, sur le rapport du 12 décembre 2014 du docteur Yvan Comeau.

[24]        Puisque l’employeur conteste l’admissibilité ainsi que la décision faisant suite au Bureau d’évaluation médicale pour la relation, il n’y a pas lieu pour le tribunal de discuter de la théorie du remplacement qui fait l’objet de trois courants jurisprudentiels au sein de la Commission des lésions professionnelles. En effet, cette théorie n’a de pertinence que lorsqu’une partie ne conteste que l’une ou l’autre des décisions reconnaissant l’admissibilité ou faisant suite à l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale.

[25]        Enfin, l’employeur s’oppose à la recevabilité de la requête de la travailleuse dans le dossier 543090. Puisque le diagnostic de bursite calcifiée à l’épaule droite a déjà été déterminé par un premier avis du Bureau d’évaluation médicale le 2 octobre 2013, et que la travailleuse n’a pas contesté la décision de CSST rendue à la suite de cet avis, la travailleuse ne peut contester le diagnostic de sa lésion par l’intermédiaire d’une contestation de la décision de la CSST rendue le 27 mai 2014 à la suite du deuxième avis du Bureau d’évaluation médicale du 14 avril 2014.

[26]        Dans son argumentation écrite, l’employeur admet avoir demandé, par erreur, le 12 décembre 2013, l’avis du Bureau d’évaluation médicale sur la question du diagnostic, alors qu’un membre s’était déjà prononcé à cet égard antérieurement. Il reconnaît que ce deuxième avis est irrégulier quant au diagnostic, mais sans se désister de sa requête 543126 qui porte justement sur la décision rendue par la CSST en conséquence de ce deuxième avis.

[27]        Par conséquent, avant de procéder sur la question principale de l’admissibilité et de la relation, le tribunal entend déterminer d’abord la recevabilité des deux dernières requêtes, soit celle de la travailleuse 543090 et celle de l’employeur 543126, portant toutes deux sur la décision de la CSST siégeant en révision administrative du 27 mai 2014.

Dossiers 543090-71-1406 et 543126-71-1406

[28]        En ce qui concerne la requête de la travailleuse (543090), elle a pour unique but de faire ajouter les diagnostics d’entorse et de tendinopathie calcifiante au diagnostic émis par le docteur Greenfield du Bureau d’évaluation médicale, dans son avis du 14 avril 2014.

[29]        En ce qui concerne la requête de l’employeur (543126), son objet est le même que celui de sa requête 530725 : il conteste la relation reconnue avec le diagnostic émis, toujours une bursite calcifiée, dans ce deuxième avis du Bureau d’évaluation médicale. Cette requête est donc inutile et sans objet; sa représentante aurait dû s’en désister. Mais il y a plus.

[30]        À l’instar de l’opinion de l’employeur, lequel reconnaît son erreur à ce sujet, le tribunal considère que, dans les circonstances du présent cas, ni l’employeur ni la CSST n’avaient le droit de demander, une seconde fois, l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale sur la question du diagnostic puisqu’un avis avait déjà été émis sur cette question par un autre membre du Bureau d’évaluation médicale, le 2 octobre 2013.

[31]        En effet, le Bureau d’évaluation médicale ne pouvait se prononcer quant au diagnostic en lien avec la lésion professionnelle une seconde fois, non plus que la CSST rendre une deuxième décision à cet égard.

[32]        En cela, le tribunal se trouve en accord avec le courant jurisprudentiel de la Commission des lésions professionnelles selon lequel une fois que le Bureau d’évaluation médicale se prononce sur l’un des sujets de l’article 212 de la loi et qu’une décision de la CSST est rendue en conséquence, le Bureau d’évaluation médicale ne peut être saisi à nouveau de la même question[2], sauf en des circonstances exceptionnelles que nous ne trouvons pas dans le présent cas.

[33]        Ainsi, le membre du Bureau d’évaluation médicale ne pouvait se prononcer une seconde fois sur le diagnostic le 14 avril 2014; par conséquent, la décision de la CSST du 28 avril 2014 qui y fait suite, comme celle rendue par la CSST siégeant en révision administrative le 27 mai 2014, sont invalides sur la question du diagnostic et sa relation avec la lésion.

[34]        Par conséquent, la requête de la travailleuse, contestant ces décisions, est irrecevable.

[35]        Par ailleurs, au moment où la CSST réfère le dossier, à la demande de l’employeur, au Bureau d’évaluation médicale sur la question du diagnostic, soit le 14 janvier 2014, la CSST siégeant en révision administrative avait déjà rendu une décision sur le même sujet, le 2 décembre 2013, et la Commission des lésions professionnelles était déjà saisie de la requête de l’employeur à cet égard, depuis le 27 décembre 2013. À notre avis, il n’y avait aucune raison, pour l’employeur, de multiplier ses recours sur la même question.

[36]        Ainsi, la requête de l’employeur 543126 est irrecevable pour l’un ou l’autre de ces motifs : parce qu’il conteste la même question de relation, entre le même diagnostic et l’événement du 7 mai 2013, que dans sa requête 530725, ou parce qu’il conteste la décision rendue le 27 mai 2014 par la CSST siégeant en révision administrative que le tribunal vient de déclarer invalide précédemment.

Dossiers 519823-71-1308 et 530725-71-1312

[37]        Rappelons que l’employeur déclare ne vouloir contester aucun élément médical déterminé par l’un ou l’autre membre du Bureau d’évaluation médicale, mais seulement la relation acceptée par la CSST dans ses décisions faisant suite à ces avis.

[38]        Ainsi, l’employeur ne conteste que l’admissibilité de la lésion professionnelle, et la relation entre le diagnostic de bursite calcifiée, émis par la docteure Desloges du Bureau d’évaluation médicale, et l’événement du 7 mai 2013. Le tribunal doit donc analyser la preuve en regard de ces deux aspects.

[39]        Le tribunal doit déterminer d’abord si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013.

[40]        La loi définit la lésion professionnelle ainsi:

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

[41]        En l’espèce, la travailleuse n’invoque ni une maladie survenue par le fait ou à l’occasion du travail, ni une maladie professionnelle, ni une récidive, rechute ou aggravation, et il n’y a pas de preuve en ce sens.

[42]        La travailleuse prétend plutôt avoir été victime d’un accident du travail, au sens de l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[43]        Il y a cependant lieu de se référer à l’article 28 de la loi, qui crée une présomption de lésion professionnelle, visant à faciliter la preuve de la travailleuse :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

[44]        Pour bénéficier de cette présomption, la travailleuse doit fournir une preuve prépondérante quant aux trois éléments énoncés à cet article : soit qu’elle a subi une blessure, qui est arrivée sur les lieux du travail, alors qu’elle est à son travail.

[45]        Aucune autre preuve n’est nécessaire pour que la travailleuse bénéficie de cette présomption et qu’en conséquence, sa lésion professionnelle soit considérée prouvée[3].

[46]        Si la présomption ne s’applique pas ou si l’employeur réussit à la renverser, la travailleuse devra établir, toujours par une preuve prépondérante, les éléments de l’article 2 de la loi quant à la survenance d’un accident du travail.

[47]        L’employeur prétend que la travailleuse n’a pas droit au bénéfice de la présomption de l’article 28 de la loi parce que le diagnostic de la lésion, une bursite calcifiée, n’équivaut pas à un diagnostic de blessure, mais à un diagnostic de maladie vu son apparition insidieuse. C’est donc l’analyse de la preuve quant aux circonstances entourant l’apparition de cette lésion, qui nous permettra d’en décider.

[48]        À l’instar de la travailleuse, le tribunal considère qu’un diagnostic de bursite correspond à un diagnostic mixte au sens où l’entend la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles depuis l’affaire Boies[4]. Il y a lieu, pour le bénéfice de l’employeur, de citer les passages les plus pertinents de cette décision, au sujet des diagnostics mixtes[5] :

[129]    Un questionnement relatif à la notion de « blessure » peut aussi surgir lorsque d’autres diagnostics que ceux initialement retenus apparaissent au cours de l’évolution médicale d’une lésion.

 

[130]    Dans un tel contexte, la CSST, le Bureau d’évaluation médicale et, en dernière instance le tribunal, rechercheront les signes cliniques qui permettront de préciser le diagnostic de la lésion alléguée.

 

[131]    Il faut donc se garder d’écarter l’application de la présomption uniquement sur la foi du libellé du diagnostic retenu, sans autre analyse.

 

[132]    En pareilles situations, le tribunal croit qu’il est nécessaire d’aller au-delà des termes utilisés par le médecin qui a charge pour tenir lieu de diagnostic et faire une analyse de l’ensemble du tableau clinique apparaissant au dossier. Un tel exercice permettra de préciser le véritable diagnostic et d’objectiver une blessure. En somme, il faut chercher à comprendre ce que le médecin qui a charge du travailleur a voulu dire et qui traduirait le véritable diagnostic de la blessure qu’il constate.

 

[133]    S’ajoute à ces difficultés d’interprétation, le fait que certains diagnostics que l’on pourrait qualifier de mixtes, peuvent être considérés soit comme une blessure soit comme une maladie, tels, entre autres, les diagnostics de tendinite, d’épicondylite, de bursite, de hernie discale, de hernie inguinale, etc., selon les circonstances d’apparition décrites.

 

[134]    À l’étape de l’application de la présomption, dans le cas de ces pathologies de nature de mixte, dont il sera question ultérieurement, il y a lieu d’insister sur le fait qu’un travailleur n’a pas à démontrer l’existence d’un événement traumatique aux fins de prouver qu’il a subi une blessure. Il n’a qu’à démontrer, par une preuve prépondérante, que sa blessure « de nature mixte » est apparue à un moment précis58 dans le temps plutôt que sur une période plus ou moins longue, de manière subite et non de façon progressive et insidieuse, comme ce que l’on retrouve habituellement dans le cas d’une maladie.

 

[…]

 

[151]    Il en va autrement de la lésion diagnostiquée qui ne résulte pas, à première vue, d’un agent vulnérant externe identifiable : elle peut apparaître à la suite de la sollicitation d’un membre dans l’exercice d’une tâche - à titre d’exemple, la sollicitation allant au-delà de la capacité d’un tissu du corps humain, tels un ligament, un muscle, un tendon, etc. Ce type de lésion se manifeste, tout comme la blessure résultant de réalités plus classiques, par un changement à une région anatomique donnée, lequel changement provoque un malaise ou une douleur qui entrave ou diminue le fonctionnement des activités habituelles ou la capacité d’un membre.

 

[…]

 

[153]    La notion de blessure doit donc s’interpréter de façon à inclure l’ensemble des situations précédemment décrites, notamment la blessure résultant d’un agent vulnérant externe, celle moins instantanée telles les insolations, les engelures et celle pouvant résulter de circonstances moins facilement identifiables mais dont la preuve prépondérante démontre qu’elle est survenue au travail alors que le travailleur est à son travail.

 

[…]

 

[157]   Dans les cas de ces diagnostics mixtes, l’emphase doit alors être mise sur les circonstances de leur apparition.

 

[158]    Le contexte factuel de l’apparition d’une blessure ne permet pas toujours d’identifier un traumatisme, bien que cela ne soit pas nécessaire pour que la présomption de l’article 28 de la loi reçoive application. C’est ce que rappelle le tribunal dans l’affaire Naud et C.P.E. Clin d’œil67 : [citation omise]

 

[159]     Les soussignés souscrivent en partie à l’analyse proposée par le tribunal dans cette dernière affaire sur les éléments à prendre en compte dans l’appréciation des circonstances d’apparition de la lésion de nature « mixte », soit :

-           la présence d’une douleur subite en opposition à une douleur qui s’installe graduellement;

 

-          une sollicitation de la région anatomique lésée.

 

[160]    Le tribunal est toutefois d’avis d’écarter le critère visant la recherche d’une posture contraignante de la région anatomique lésée et celui de l’adéquation entre le geste, l’effort ou la sollicitation anatomique et l’apparition de symptômes. En effet, cet exercice conduirait à la recherche de la cause ou de l’étiologie de la blessure diagnostiquée, ce que la présomption de l’article 28 de la loi évite précisément de faire. L’accent doit donc être mis sur les circonstances d’apparition de la lésion de nature « mixte ».

 

[161]     La blessure peut aussi résulter d’une activité au cours de laquelle apparaissent subitement des douleurs à la suite desquelles un diagnostic est retenu, telle une tendinite de la coiffe des rotateurs68. Ces douleurs apparaissent de manière concomitante à l’exercice d’un mouvement précis69 ayant sollicité la région anatomique lésée. Ainsi, un mouvement qui met à contribution un site anatomique précis pourra entraîner une blessure s’il est constaté que ce mouvement a provoqué une douleur subite à la suite de laquelle un diagnostic bien précis est retenu70.

 

Dans un tel contexte, c’est le tableau clinique observé de façon contemporaine à ce mouvement et à la douleur qu’il a provoquée qui permettra d’identifier les signes révélateurs de l’existence d’une blessure et non la recherche d’un agent vulnérant externe ou causal71.

 

[références omises; nos soulignements]

 

 

[49]        Plus particulièrement, le tribunal partage l’opinion de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lafleur et S.T.M. (Réseau des autobus)[6], alors qu’il s’agissait précisément dans ce cas d’un diagnostic de bursite, comme en l’espèce.

[50]        Ce sont donc les circonstances d’apparition de la bursite calcifiée qui détermineront si nous sommes en présence d’une blessure ou d’une maladie.

[51]        Il nous faut maintenant analyser le dossier et la preuve faite à l’audience pour déterminer si la présomption de l’article 28 s’applique, sinon, si un accident du travail est survenu le 7 mai 2013.

Historique

[52]        La travailleuse, âgée de 40 ans, travaille comme préposée aux bénéficiaires depuis environ deux ans et demi au service de l’employeur; elle est sur appel de jour, soir et nuit, pour une moyenne d’environ 30 heures de travail par semaine.

[53]        La travailleuse se décrit comme une personne très travaillante et elle n’est pas contredite sur ce point.

[54]        Selon son témoignage, le 7 mai 2013, en donnant un soin à une bénéficiaire, elle ressent une douleur aiguë à l’épaule droite. Cette douleur survient alors qu’elle est en train de remonter une résidente obèse dans son lit avec l’aide d’une collègue. Plus précisément, un manque de synchronisme avec sa collègue en tirant sur le piqué sous la bénéficiaire fait en sorte que seule la travailleuse force au maximum de sa capacité, ce qui lui cause une douleur à l’épaule. En plus, comme la bénéficiaire était entraînée du seul côté de la travailleuse, plutôt que de rester au centre de son lit, sa tête s’approchait dangereusement du bord et la travailleuse s’est précipitée pour la retenir en faisant un mouvement de torsion de son membre supérieur droit. La travailleuse affirme qu’elle a eu très mal.

[55]        Ces gestes sont mimés à l’audience : la travailleuse montre avec son membre supérieur droit un mouvement de la droite vers la gauche, en légère abduction vers un mouvement d’adduction. Elle a reçu un contrecoup du fait d’avoir forcé seule et elle a aussitôt imprimé un mouvement de torsion au même bras, en extension, pour retenir la tête de la résidente.

[56]        Elle a continué d’effectuer ses tâches malgré la douleur, sans avoir le temps de déclarer à l’employeur cet incident. Elle quitte le travail vers 23 h 30, et arrivée chez elle, après deux heures de transport, elle ne peut plus bouger son bras droit.

[57]        La travailleuse se présente à une clinique le jour même, 8 mai 2013, où une entorse de l’épaule droite est diagnostiquée et des travaux légers sont recommandés. La travailleuse travaille les 10 mai et 11 mai 2013, mais la douleur s’accroît, malgré les tâches plus légères. Le 11 mai 2013, elle ne peut compléter son quart de travail et doit consulter à nouveau.

[58]        Le 12 mai 2013, le diagnostic est une « tendinite/capsulite »; elle est référée au docteur Charbonneau qui demeure, par la suite, le médecin qui a charge.

[59]        À cette même date, une radiographie simple de l’épaule révèle des calcifications en dessous de l’acromion; le radiologiste soupçonne une tendinopathie calcifiante et il suggère un examen par résonance magnétique si les symptômes persistent.

[60]        Le 16 mai 2013, le docteur Charbonneau diagnostique une entorse de l’épaule droite avec une tendinite secondaire. Le 28 mai 2013, il recommande un examen par résonance magnétique pour éliminer une déchirure au niveau de la coiffe des rotateurs.

[61]        Le 4 juin 2013, la travailleuse est examinée par le docteur Carl Giasson Jr, à la demande de l’employeur. Son examen, très sommaire, se limite à vérifier les amplitudes des deux épaules.

[62]        Or, le docteur Giasson affirme que la travailleuse souffrait déjà de son épaule droite, quelques semaines avant le 7 mai 2013, mais à l’audience, aucune preuve n’est soumise permettant de comprendre l’origine de cette information, qui est ensuite reprise par d’autres médecins. La travailleuse nie catégoriquement avoir fait cette déclaration, la déclarant parfaitement fausse, en précisant que le docteur Giasson ne lui a pas demandé comment était survenue la lésion.

[63]        La travailleuse affirme n’avoir jamais eu de douleur à l’épaule avant l’événement du 7 mai 2013 et avoir toujours été en mesure d’accomplir son travail et ses activités de la vie quotidienne auparavant, sans problème à ce niveau. Le tribunal retient son témoignage comme prépondérant à cet égard.

[64]        Dans son rapport du 4 juin 2013, le docteur Giasson opine que la travailleuse souffre d’une « tendinopathie calcifiante, vraisemblablement du sus-épineux », une condition strictement personnelle selon lui, qui nécessite cependant des soins et traitements. Le tribunal accorde peu de valeur probante à sa conclusion puisqu’il ne s’en explique pas; elle est probablement basée sur la mention d’un événement antérieur au 7 mai 2013, nié par la travailleuse.

[65]        Le 20 juin 2013, après consultation auprès du docteur Zaharia du bureau médical qui admet la relation entre les divers diagnostics émis et l’événement, la CSST accepte la réclamation de la travailleuse pour les diagnostics d’entorse, tendinite et capsulite de l’épaule droite. L’employeur conteste et ce dossier fait l’objet de la première requête devant le tribunal, 519823.

[66]        Un examen par résonance magnétique, effectué le 8 juillet 2013, révèle ceci, sous la plume du radiologiste Rehany :

Bursite calcifiante sous-acromio-deltoïdienne et sous-coracoïdienne. Présence de foyers de calcification dans la bourse sous-deltoïdienne. Cette patiente pourrait bénéficier d’un lavage et aspiration de la bourse.

Présence d’une tendinopathie de degré léger du supra-épineux et, modérée à la portion distale des tendons infra-épineux et sous-scapulaire.

Déchirure labrale du type SLAP suspectée. À corréler avec l’examen clinique et, selon la pertinence clinique, une arthro-IRM au besoin.

 

 

[67]        Le 9 juillet 2013, le docteur Charbonneau autorise un retour progressif à des travaux légers.

[68]        Le 18 juillet 2013, le docteur Charbonneau écrit sur son rapport médical : « entorse épaule droite, tendinite secondaire, exclure une déchirure du labrum ». Il maintient les travaux légers et recommande une arthrorésonance de l’épaule droite.

[69]        Une deuxième radiographie est passée, le 23 août 2013; on y indique qu’il y a un petit dépôt de calcium près de l’acromion et qu’il y a des phénomènes de tendinopathie calcifiante dans les tissus mous près de la grosse tubérosité humérale.

[70]        L’arthrorésonance a lieu le 27 août 2013. Elle a pour but d’éliminer une déchirure du labrum, mais celle-ci est confirmée par le même radiologiste Rehany :

Confirmation d’une lésion SLAP à la portion supérieure du labrum, tel que décrit ci-haut. Pas de kyste paralabral.

Bursite calcifiante sous-acromio-deltoïdienne accompagnée d’une accumulation liquidienne.

Tendinopathie du supra et de l’infra-épineux accompagnée de légères modifications dégénératives de la surface bursale des tendons.

 

 

[71]        Le 4 septembre 2013, à la suite d’une contestation de l’employeur relativement au diagnostic de la lésion ainsi qu’à la nécessité et la suffisance des soins, la travailleuse est évaluée par la docteure Danielle Desloges, chirurgienne orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale.

[72]        La docteure Desloges note que les diagnostics d’abord retenus par la CSST sont une entorse, tendinite et capsulite de l’épaule droite, et que le litige se situe maintenant entre les diagnostics de déchirure de la coiffe et entorse émis par le docteur Charbonneau le 28 mai 2013 et celui du docteur Giasson qui diagnostique plutôt une tendinopathie calcifiante, une condition qu’il considère personnelle. Elle bénéficie des rapports de résonance magnétique. À l’examen de la travailleuse, elle trouve de l’ankylose et des signes d’accrochage à l’épaule droite; elle décrit les tests de Neer, Hawkins, Jobe, Yocum et O’Brien comme douloureux en sous-acromial.

[73]        Dans son avis signé le 2 octobre 2013, la docteure Desloges ne retient pas le diagnostic d’entorse ni la déchirure du labrum qu’elle dit dégénérative; son examen démontre plutôt une bursite calcifiée de l’épaule droite avec accrochage, compte tenu du geste effectué lors de l’événement. Pour les soins, elle recommande des infiltrations dirigées sous échographie avec un lavage calcique si possible, et le maintien des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.

[74]        Or, le docteur Charbonneau continue de maintenir le diagnostic d’entorse et de déchirure du labrum. Cependant, ce diagnostic de déchirure du labrum n’est pas retenu par la CSST, d’abord dans une décision du 4 décembre 2013, ensuite dans une décision du 31 janvier 2014 rendue par la CSST siégeant en révision; cette dernière décision est finale, la travailleuse s’étant désistée de sa requête à cet égard.

[75]        Le 31 octobre 2013, le docteur Charbonneau cesse l’assignation temporaire, en raison des douleurs de la travailleuse; il maintient les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, auxquels il ajoute un lavage calcique et demande que soit débuté un programme d’évaluation des capacités fonctionnelles (PDCF).

[76]        Ainsi, le 20 novembre 2013, la travailleuse subit une deuxième infiltration à l’épaule droite, sous échographie cette fois et le radiologiste Boudrias indique que le lavage est « efficace ++++ ». Il propose de la revoir dans deux à trois mois si l’évolution est défavorable. L’échographie du 20 novembre 2013 révèle une burso-tendinite avec un accrochage dynamique à 80˚ d’abduction au site de l’infiltration (sus-épineux distal).

[77]        Le 25 novembre 2013, la travailleuse est vue par le docteur Farshid Bamdadian, chirurgien orthopédiste, qui constate une amélioration importante « post-infiltration »; il retourne la travailleuse auprès du docteur Charbonneau en suggérant le maintien de la physiothérapie jusqu’à l’atteinte d’un plateau.

[78]        Le 26 novembre 2013, la travailleuse est examinée, toujours à la demande de l’employeur, par le docteur Marc Goulet, chirurgien orthopédiste, sur les cinq points de l’article 212 de la loi. Dans son historique, le docteur Goulet ne rapporte aucun fait accidentel, seulement que les douleurs sont apparues progressivement, antérieurement au 7 mai 2013; de toute évidence, il semble reprendre la mention du docteur Giasson à cet égard.

[79]        Étant donné que le tribunal retient plutôt la version de la travailleuse, selon laquelle elle n’a jamais subi auparavant de douleurs à cette épaule, la conclusion du docteur Goulet que les diagnostics de bursite et tendinites calcifiées constituent des conditions strictement personnelles n’est pas retenue.

[80]        Dans son rapport, le docteur Goulet rapporte aussi que la travailleuse continue de souffrir de ces conditions personnelles, malgré l’amélioration notée. Il recommande en conséquence la poursuite des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, ainsi qu’une seconde infiltration s’il n’y a pas suffisamment d’amélioration. Il recommande aussi des limitations fonctionnelles à titre préventif et temporaires, ainsi qu’une assignation à des travaux légers.

[81]        L’agente de la CSST note au dossier, le 20 décembre 2013, que la travailleuse a atteint un plateau thérapeutique depuis le début de décembre, selon la physiothérapeute.

[82]        Le 6 janvier 2014, la travailleuse reçoit une injection de cortisone par le docteur Marc Grondin, orthopédiste, recommandé par le docteur Charbonneau.

[83]        Le 9 janvier 2014, le docteur Charbonneau signe un rapport complémentaire en regard de l’opinion du docteur Goulet : il maintient le diagnostic d’entorse avec déchirure du labrum, note les soins qui ont amélioré la travailleuse, permet une assignation à des travaux légers trois jours par semaine, suggère un programme de développement CERE (Centre d’Évaluation et de Réadaptation de L'Est) et il transfère la travailleuse au docteur Grondin pour le suivi et une possible chirurgie. La CSST n’autorisera pas le programme CERE, car il est en lien avec la déchirure du labrum, diagnostic non retenu.

[84]        Le 14 janvier 2014, à la demande de l’employeur, la CSST transfère le dossier au Bureau d’évaluation médicale sur les trois points suivants : le diagnostic, la date de consolidation et la nécessité et suffisance des soins et traitements. Comme nous l'avons déjà mentionné, cette demande est irrégulière quant à la question du diagnostic en lien avec la lésion.

[85]        Le 19 mars 2014, la travailleuse est examinée par le docteur Garry Greenfield, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, en rapport avec les trois premiers éléments de l’article 212 de la loi. Ce médecin note que la travailleuse ne travaille plus depuis le 31 octobre 2013, qu’elle n’a plus d’ankylose, mais seulement quelques signes équivoques d’accrochage selon les tests de Jobe, Hawkins, Neer et SLAP, et des douleurs en fin d’élévation antérieure et d’abduction.

[86]        Dans son avis du 14 avril 2014, le docteur Greenfield note que la docteure Desloges du Bureau d’évaluation médicale s’est déjà prononcée sur le diagnostic, soit une bursite calcifiée, diagnostic qu’il maintient. Quant aux soins, il se range à l’opinion du docteur Charbonneau et il opine que, malgré une certaine amélioration, la lésion n’est pas encore consolidée. Bref, le docteur Greenfield ne retient aucune des conclusions de l’expert de l’employeur, le docteur Goulet.

[87]        Le 28 avril 2014, la CSST rend une décision confirmant ces conclusions, en précisant que « le seul diagnostic retenu et qui a été accepté au dossier est la bursite calcifiée de l’épaule droite ». L’employeur et la travailleuse contestent cette décision et nous avons décidé, précédemment, que ces contestations sont irrecevables pour les motifs y mentionnés. Cependant, pour d’autres motifs que nous verrons plus loin, le tribunal s’inscrit en faux contre cette affirmation de la CSST.

[88]        Entretemps, la travailleuse a vu le docteur Philippe Grondin, chirurgien orthopédiste, le 24 avril 2014; ce dernier a autorisé une assignation temporaire et recommandé une chirurgie à l’épaule. La travailleuse a ainsi travaillé à nouveau en travaux légers, du 28 avril 2014 jusqu’au 8 juillet 2014, alors que le docteur Charbonneau cesse l’assignation à cause d’une récidive des douleurs.

[89]        Le 4 septembre 2014, la travailleuse est examinée par le docteur Éric Renaud aux fins de ses contestations quant aux diagnostics à reconnaître. Ce dernier note des mouvements restreints de l’épaule droite en élévation antérieure et abduction, sans atrophie, et certains signes d’irritation de la coiffe aux tests de Jobe, Speed et Yocum. Il conclut en une symptomatologie douloureuse de localisation atypique, dont il croit les calcifications responsables. Il opine que le geste décrit par la travailleuse ne semble pas avoir mis la coiffe en tension, mais que le mouvement effectué peut avoir créé une entorse avec une tendinopathie calcifiée et bursite secondaire ou les a rendues symptomatiques. Cependant, il nie toute relation avec la déchirure du labrum, qui constitue simplement, à son avis, un signe de dégénérescence découvert à l’imagerie. Sachant qu’une intervention chirurgicale est prévue dans quelques jours, il n’émet pas d’opinion quant à la consolidation et l’existence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles et il exprime une certaine curiosité face à ce que le protocole opératoire va permettre de découvrir.

[90]        Le 17 septembre 2014, la travailleuse est effectivement opérée, par voie arthroscopique, par le docteur Grondin. Ce dernier procède alors à une acromioplastie, convertissant l’acromion de type 2 en un acromion de type 1. Lors de cette intervention, le docteur Grondin observe la déchirure du labrum qu’il qualifie de dégénérative, ainsi qu’une coiffe des rotateurs intacte malgré des signes inflammatoires prononcés.

[91]        Par la suite, la travailleuse reprend des traitements de physiothérapie, qu’elle continue toujours en date de l’audience.

[92]        Finalement, le 12 décembre 2014, la travailleuse est évaluée par le docteur Yvan Comeau, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Son examen révèle des mouvements de l’épaule droite normaux, mais seulement en passif, ce qui le surprend compte tenu de l’absence d’atrophie à cette épaule; il soupçonne des gains secondaires. Pourtant la docteure Desloges avait obtenu, elle aussi, des mouvements normaux en passif seulement, sans en faire grand état et encore moins en tirer une telle conclusion.

[93]        Dans son rapport signé le 19 décembre 2014, le docteur Comeau conclut ceci :

En conclusion, à la suite de mon évaluation aujourd’hui, en l’absence de tout signe franc, clair et évident d’accrochage résiduel à la suite de cette intervention chirurgicale du docteur Grondin, je considère madame Geneste consolidée sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles en relation avec une condition personnelle de tendinite calcifiée de l’épaule droite.

 

 

[94]        Dans ce même rapport, ce médecin rapporte, lui aussi, que la travailleuse aurait déjà vécu, auparavant, un incident similaire à celui du 7 mai 2013, une déclaration que la travailleuse nie toujours sans pouvoir en expliquer l’origine. Un peu plus loin dans son rapport, le docteur Comeau rapporte que la travailleuse nie toute douleur à l’épaule droite avant le 7 mai 2013, sans relever cette apparente contradiction.

[95]        Selon le docteur Comeau, la gestuelle décrite par la travailleuse ne peut expliquer le diagnostic de bursite calcifiée. Cependant, il croit que les symptômes de la travailleuse sont imputables à une tendinite calcifiée, condition qu’il considère strictement personnelle. Il écrit aussi qu’il accepte le diagnostic de bursite calcifiée émis par le Bureau d’évaluation médicale.

[96]        Par ailleurs, le docteur Comeau ne semble pas d’accord avec la chirurgie. À son avis, la travailleuse n’aurait pas dû être opérée, l’acromioplastie n’étant pas le traitement de choix pour un syndrome d’accrochage, dans un contexte où aucune vérification ne semble avoir été faite par aucun médecin que les calcifications existaient toujours après le dernier lavage calcique subi en novembre 2013. Il s’en exprime ainsi :

Ce qui me fait penser que cette tendinite calcifiante comme telle n’a pas été résolue, c’est que le docteur Grondin parle d’une coiffe des rotateurs très inflammée en intra-articulaire lors de son arthroscopie. C’est un signe de tendinite calcifiante puisque celle-ci est très irritante et provoque une réaction inflammatoire qui peut être intense.

 

À savoir si la chirurgie a été efficace ou pas, c’est bien difficile à déterminer compte tenu du comportement de cette dame. Malgré certains signes d’amplification, je ne serais pas surpris qu’elle soit encore symptomatique. Mais je ne crois pas que ce soit au point d’entraîner une gêne fonctionnelle vraiment significative.

 

 

[97]        Cependant, le tribunal note que le 24 avril 2014, la travailleuse indiquait à l’agente de la CSST qu’elle n’arrivait pas à adopter une position confortable la nuit et que tous les mouvements au-dessus de l’épaule et ceux avec charge, étaient douloureux. En décembre 2014, trois mois après son opération et toujours en convalescence, elle rapporte au docteur Comeau qu’elle a encore de la difficulté à faire ses tâches et à se coiffer. Or, elle semble s’être améliorée depuis, car, à l’audience, elle déclare que tous les traitements, soit la physiothérapie, l’ergothérapie et les infiltrations, l’ont certes aidée, mais que l’opération subie en septembre 2014 a eu comme conséquence de la faire mieux dormir, en plus de lui permettre d’élever son bras; ainsi, elle peut maintenant se coiffer et faire ses tâches domestiques plus facilement, malgré quelques douleurs. Le tribunal en retient que l’acromioplastie lui a été bénéfique, comme la travailleuse l’affirme, et ce, malgré l’opinion mitigée du docteur Comeau.

[98]        Par contre, ce médecin ajoute qu’il « est fort probable que les symptômes allégués par la travailleuse, du moins au début, étaient imputables à cette tendinite calcifiée. Mais actuellement, je doute fort de la persistance de douleurs significatives à cette épaule ». Pourtant, il écrit aussi « qu’il ne serait pas surpris qu’elle soit encore [la tendinite calcifiante] symptomatique ». Ces propos, sans autre explication, nous paraissent quelque peu contradictoires et, surtout, peu éclairants, tout comme ceux qu’il tient sur le diagnostic.

[99]        Bref, le tribunal comprend de l’opinion du docteur Comeau qu’il ne croit pas que la travailleuse ait pu causer ou aggraver, par son geste du 7 mai 2013, une condition personnelle préexistante de tendinite calcifiée, condition dont elle souffrait auparavant selon lui et dont elle continuera de souffrir, malgré l’opération.

[100]     Or, le docteur Comeau omet d’expliquer comment la travailleuse a pu rendre cette condition symptomatique, alors qu’elle a travaillé sans difficulté avant l’événement du 7 mai 2013. Il affirme simplement que la travailleuse « ne peut pas avoir accroché sa bursite calcifiée contre l’arc coraco-acromial » lors de l’effort effectué le 7 mai 2013, niant toute aggravation d’une pathologie préexistante.

[101]     Or, le tribunal, assisté d’un assesseur médical, a bien visualisé le geste mimé par la travailleuse; ce geste correspond à celui décrit par le docteur Renaud dans son expertise, alors que ce dernier explique comment une bursite peut s’être installée à la suite d’un tel geste. De plus, à l’instar du tribunal, le docteur Renaud ne retient pas que la travailleuse ait pu être symptomatique avant cet incident, comme le fait le docteur Comeau.

[102]     Par conséquent, le tribunal ne retient pas les explications du docteur Comeau, difficiles à comprendre, ni ses conclusions vu les prémisses erronées sur lesquelles elles sont basées.

[103]     Il y a lieu maintenant de déterminer si la travailleuse a subi ou non une lésion professionnelle le 7 mai 2013.

Analyse

[104]     À l’audience et dans son argumentation, la représentante de l’employeur fait grand état que la travailleuse n’est pas crédible.

[105]     À titre d’exemple, elle établit que la travailleuse a omis, lors de son embauche, de mentionner deux accidents du travail antérieurs, soit en 2004 pour une entorse lombaire (six mois d’arrêt), et en 2007 pour un troisième doigt gâchette « trigger finger » (deux mois d’arrêt). Elle lui reproche également de ne pas en avoir parlé aux médecins qui l’ont examinée.

[106]     La travailleuse explique qu’elle ne s’en souvenait pas. Le tribunal la croit, étant donné la banalité de ces lésions qui ne sont d’ailleurs pas récentes. De plus, elles n’ont aucun lien ou connexité avec le présent site de lésion.

[107]     L’employeur souligne également que la travailleuse n’a pas révélé, dans sa fiche d’embauche, le nom des deux employeurs où sont survenues ces anciennes lésions.

[108]     La travailleuse s’en est expliquée de façon crédible : c’est sur le conseil d’une personne l’aidant à écrire son curriculum vitae, qu’elle a omis volontairement de mentionner tous ses emplois de très courte durée. À l’instar de la représentante de la travailleuse, le tribunal considère que ce reproche appartient au domaine des relations de travail et n’a aucune pertinence avec le présent débat.

[109]     Enfin, l’employeur est convaincu que la bursite calcifiée s’est installée insidieusement, avant l’événement du 7 mai 2013, comme le rapportent les docteurs Giasson, Goulet et Comeau. Tel que dit précédemment, le tribunal est plutôt d’avis que la travailleuse est crédible à ce sujet et qu’elle n’a jamais eu de problème avec son épaule droite auparavant. Par ailleurs, l’employeur n’a pas soumis de preuve indiquant que la travailleuse était absente pour ce motif ou qu’elle se plaignait de douleurs à ce site, avant le 7 mai 2013.

[110]     De plus, contrairement à l’employeur, le tribunal considère que la travailleuse n’a pas fourni des versions contradictoires de l’événement du 7 mai 2013 mais, à la rigueur, des versions incomplètes.

[111]     Pour bénéficier de la présomption de l’article 28 de la loi, la travailleuse n’a pas à démontrer un véritable fait accidentel, comme l’employeur s’évertue à le demander; elle n’a qu’à démontrer qu’une douleur est apparue soudainement lors de l’accomplissement d’un geste précis, en s’affairant à ses tâches, au travail, laquelle douleur a entraîné un diagnostic précis.

[112]     La travailleuse argue que l’employeur ne peut restreindre le débat à la seule relation avec le diagnostic de bursite calcifiée; à son avis, en se penchant sur l’existence d’une lésion professionnelle, le tribunal possède tous les pouvoirs pour déterminer le diagnostic de la lésion. Cela est exact lorsque le diagnostic est contesté, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La preuve n’a démontré aucune circonstance spéciale emmenant le tribunal à ne pas retenir ce diagnostic émis par un membre du Bureau d’évaluation médicale, sur lequel tous les spécialistes consultés s’entendent d’ailleurs.

[113]     Le tribunal est donc d’avis que la travailleuse a fourni, par son témoignage simple et dénué d’exagérations, une description des circonstances entourant l’apparition d’une blessure au travail, soit une bursite calcifiée.

[114]     Compte tenu des opinions médicales des docteurs Desloges, Gariépy et Greenfield, qui tiennent compte tous trois autant de l’événement accidentel décrit alors par la travailleuse, description reprise à l’audience, que de la symptomatologie observée chez elle, le tribunal est d’avis qu’il s’agit là d’une preuve prépondérante que le diagnostic de bursite calcifiée est en lien avec l’événement accidentel du 7 mai 2013.

[115]     Ainsi, le tribunal considère que la bursite calcifiée est apparue à la suite de l’effort non coordonné avec une collègue le 7 mai 2013. Il s’agit donc d’une blessure et non d’une maladie, ce qui permet l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, les trois conditions de cette présomption étant retrouvées en l’espèce.

[116]     L’employeur n’a pas fourni de preuve permettant le renversement de cette présomption; il argue seulement que la travailleuse n’est pas crédible, ce que le tribunal ne retient pas, et qu’elle souffre d’une condition personnelle.

[117]     Quant à ce dernier argument, si tant est que cela soit vrai, il n’y a pas lieu de refuser à la travailleuse sa réclamation pour ce motif. La présence d’une condition personnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle, lorsqu’un accident du travail survient, ce que la travailleuse a aussi démontré de façon prépondérante, à notre avis.

[118]     Comme le docteur Renaud l’explique, les calcifications existaient certainement avant le 7 mai 2013, mais cette condition a été rendue symptomatique par l’effort mal coordonné fourni au travail le 7 mai 2013, puisque la travailleuse est devenue incapable de fonctionner dans les quelques jours qui ont suivi, malgré une tentative de retour au travail.

[119]     Tel qu’établi par une preuve prépondérante, la travailleuse n’a jamais été symptomatique auparavant de cette condition.

[120]     Ainsi, que la bursite calcifiée ait été causée directement par l’effort du 7 mai 2013 ou qu’il s’agisse d’une aggravation d’une condition personnelle n’a pas d’importance en l’espèce, puisque dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une lésion professionnelle.

[121]     En conclusion, la preuve prépondérante établit que, le 7 mai 2013, est survenu un événement accidentel précis, constitué d’une part de l’effort non coordonné avec une collègue et d’autre part d’un mouvement de torsion du membre supérieur droit effectué pour retenir la tête de la résidente qui allait pendre hors du lit.

[122]     Par conséquent, que ce soit en vertu de l’article 28 ou de l’article 2 de la loi, ou à titre d’aggravation d’une condition personnelle lors d’une sollicitation bien précise et accidentelle de l’épaule droite, le tribunal conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013, soit une bursite calcifiée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 519823-71-1308

 

REJETTE la requête de l’employeur, CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord (CHSLD);

CONFIRME la décision rendue le 7 août 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail siégeant en révision administrative;

DÉCLARE que madame Marie Célimène Geneste, la travailleuse, a subi une lésion professionnelle le 7 mai 2013.

Dossier 530725-71-1312

REJETTE la requête de l’employeur;

CONFIRME pour d’autres motifs la décision rendue le 2 décembre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail siégeant en révision administrative;

DÉCLARE que le diagnostic de bursite calcifiée est en lien avec la lésion professionnelle du 7 mai 2013;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est justifiée de poursuivre le paiement des soins et traitements puisqu’ils sont nécessaires.

Dossier 543090-71-1406 et dossier 543126-71-1406

DÉCLARE irrecevable la requête de la travailleuse;

DÉCLARE sans objet la requête de l’employeur;

MODIFIE la décision rendue le 27 mai 2014 par la CSST siégeant en révision administrative;

DÉCLARE que l’avis rendu le 14 avril 2014 par un membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier quant au diagnostic.

DÉCLARE que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisque la lésion n’est pas consolidée;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est justifiée de poursuivre le paiement des soins et traitements puisqu’ils sont nécessaires.

 

 

 

 

__________________________________

 

Andrée Gosselin

 

 

 

Me Lise-Anne Desjardins

MONETTE, BARAKETT & ASS.

Représentante de CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord (CHSLD)

 

 

Me Gabrielle Dufour-Turcotte

C.S.N.

Représentante de Mme Marie Célimène Geneste

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Métoplus inc et Racine, C.L.P. 350714-31-0806, 22 juin 2009, A. Quigley; Ville de Québec et Desrochers, C.L.P. 328012-31-0709, 17 mars 2010, C.L.P. Lessard; Entreprise Cara du Québec ltée et Charlebois, 2012 QCCLP 6195; Rui Pedro Costa et AJM Promo sportives internationale, 2014 QCCLP 4130.

 

[3]           Boies et CSSS Québec-Nord et Commission de la santé de la sécurité du travail, 2011 QCCLP 2775, ci-après Boies.

[4]           Précitée, note 3.

[5]           Id.

[6]           2013 QCCLP 3555.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.