Décision

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Décision

Klitbo c. Aubé

2020 QCRDL 2348

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

435262 31 20190107 G

No demande :

2660204

 

 

Date :

21 janvier 2020

Régisseure :

Suzanne Guévremont, juge administrative

 

Ingrid Klitbo

 

Thomas Moenne-Loccoz

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

Daniel Aubé

 

Locateur - Partie défenderesse

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 7 janvier 2019, les locataires déposent une demande visant à réduire leur loyer de 30 % pour la période incluse entre le 1er juin et le 30 novembre 2018, la condamnation du locateur à leur payer la diminution de loyer demandée (2 025 $) ainsi que des dommages-intérêts matériels (350 $) et des dommages moraux (6 500 $).

[2]      Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020.

[3]      Du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017, le loyer payé est 1 100 $ et 1 125 $ l’année suivante.

[4]      Les locataires occupent le second étage d’un triplex. Le logement comporte 6 ½ pièces.

[5]      Ces précisions faites, voyons quels sont les principaux faits qui suscitent le litige et la preuve de chacun.

La demande

[6]      Le 1er juin 2018, les locataires reçoivent un appel téléphonique du voisin qui habite le logement sis au-dessus du leur. Son chauffe-eau vient d’éclater. Il faut dire que c’est un très vieil appareil.

[7]      Les locataires ont un petit café-restaurant qu’ils gèrent seuls. Ils sont au travail au moment de l’incident. L’un d’eux quitte précipitamment le travail pour aller constater les dégâts.

[8]      Tout le chauffe-eau s’est vidé et l’eau a coulé abondamment, principalement dans la cuisine et dans le corridor chez les locataires.


[9]      L’employé du locateur est sur place. Quant au locateur, les locataires tentent de lui parler, mais il ne répond pas à ses appels. Il ne vient chez eux constater les dégâts qu'autour du 11 juin 2018, soit dix jours plus tard.

[10]   Des traces de moisissure font peu à peu leur apparition au plafond. La peinture fissure, le plâtre se détache et tombe sur le sol.

[11]   Le 20 juin 2018, en plus des dommages causés par l’eau, un employé du locateur détecte la présence d’amiante dans le logement.

[12]   Les semaines passent et il y a beaucoup d’aller-retour des entrepreneurs et assureurs dans le logement. Cependant, les travaux tardent à débuter.

[13]   Par ailleurs, les communications deviennent de plus en plus difficiles entre les parties.

[14]   Les locataires sont découragés parce que rien n’est fait par le locateur pour accélérer le début des travaux.

[15]   Le locateur mandate son fils Vincent pour discuter avec les locataires. Début juillet, Vincent écrit aux locataires qu’il a convaincu son père de la nécessité de les dédommager (L-4). Or les locataires ne recevront aucune compensation financière par la suite.

[16]   À la fin juillet, les locataires expédient une lettre de mise en demeure au locateur. Elle est produite à l’audience sous L-5.

[17]   Par cette lettre, les locataires souhaitent obtenir 350 $ en dommages matériels, soit, pour la perte d’aliments (150 $), un appareil à raclette (100 $) et une cafetière (50 $), plus 1 125 $ en dommages moraux, soit l’équivalent d’un mois de loyer et 675 $ à titre de diminution de loyer pour juin et juillet 2018. La réduction correspond à 30 % du loyer payé par les locataires durant ces deux mois.

[18]   Les locataires relatent les troubles et inconvénients subis, notamment le travail manqué, le stress, les multiples déplacements du restaurant à la maison lorsqu’ils doivent donner accès au logement aux entrepreneurs et aux assureurs.

[19]   La lettre ne donne aucun résultat.

[20]   Début octobre, les locataires logent une plainte à la Ville de Montréal et un inspecteur effectue une inspection du logement.

[21]   Son rapport, déposé sous L-6, fait état de divers problèmes qui affectent le logement, dont la présence de taches et de trous d’explorations au plafond, à la suite d’une infiltration d’eau dans le logement.

[22]   L’inspecteur municipal transmet un avis de non-conformité au locateur et les travaux de remise en état du logement annoncés en juillet débutent finalement à la mi-octobre 2018.

[23]   Auparavant, on donne quatre jours aux locataires pour vider complètement le logement et entreposer leurs biens.

[24]   Ils sont relogés ailleurs aux frais des assureurs du 15 octobre jusqu’au 4 décembre 2018. Cependant, pendant tout ce temps, le locateur continue à percevoir le plein montant du loyer des locataires.

[25]   Les locataires produisent plusieurs photos qui illustrent l’état du logement de juin à décembre 2018 (L-7 à L-9). On y voit des trous et des tuyaux qui pendent du plafond, la peinture qui décolle, des débris de plâtre sur le sol et beaucoup de saleté.

[26]   Ainsi se résume la preuve des locataires.

La défense

[27]   Mis à part son témoignage, le locateur ne produit ni preuve matérielle ni témoin.

[28]   Bien qu'il admette l'existence d'un dégât d'eau dans la journée du 1er juin 2018, il nie sa responsabilité face à cet évènement.


[29]   Contrairement à ce que prétendent les locataires, il a agi promptement pour régler la situation.

[30]   Ainsi, le chauffe-eau du locataire du logement du 3e étage a été remplacé le jour de l’incident et quatre jours plus tard, il est sur place avec un estimateur.

[31]   Les travaux sont lents à débuter par la faute de ses assureurs et parce que son contracteur a découvert la présence d’amiante dans le logement. Cela a compliqué la situation.

[32]   L’inspecteur mandaté par sa compagnie d’assurances lui a dit que l’amiante ne comporte aucun risque pour la santé tant qu’elle n’est pas fissurée. Cela fait soixante ans qu’il y a de l’amiante dans les murs, sans que ça ne pose de problème.

[33]   Il est d’avis que ce sont les locataires qui font en sorte que la situation est stressante pour eux.

[34]   Il est disposé à résilier le bail et à payer les frais de déménagement aux locataires, mais rien d’autre.

[35]   Finalement, il se demande si la Régie du logement est le bon forum pour entendre la réclamation des locataires.

ANALYSE ET DÉCISION

Fondement juridique

[36]   Le locateur est tenu d’entretenir le logement en bon état de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail (1854 al.1 C.c.Q.)

[37]   La loi fait également reposer sur les épaules du locateur la « garantie d’aptitude » du bien loué (1854 al. 2 C.c.Q.).

[38]   L'inexécution de ces obligations par le locateur confère le droit au locataire de demander, entre autres, une ordonnance du Tribunal l’obligeant à s’exécuter, la diminution du loyer en proportion de sa perte de jouissance et des dommages-intérêts (article 1863 C.c.Q.).

[39]   Rappelons aussi que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage étant laissée à l'appréciation du Tribunal.

[40]   Les locataires doivent donc démontrer l’inexécution des obligations du locateur selon la règle relative à la prépondérance de preuve. C’est sur eux, à titre de demandeurs, que repose le fardeau de convaincre le Tribunal.

[41]   Qu’en est-il en l’instance?

[42]   La preuve non contestée démontre que le chauffe-eau du logement situé au-dessus de celui occupé par les locataires a éclaté. Le réservoir a coulé et les locataires ont subi une infiltration d’eau majeure.

[43]   Le chauffe-eau avait dépassé sa vie utile, de sorte que l’incident était prévisible.

[44]   Le préjudice des locataires, tant matériel que moral, résulte donc de la négligence du locateur.

[45]   De juin à la mi-octobre 2018, les locataires ont vécu avec des plafonds ouverts dans la cuisine et dans le corridor, avec la peinture qui s’effrite et des plaques de plâtre qui tombent sur le sol.

[46]   Les locataires ont démontré que leur logement, plus particulièrement la cuisine et le couloir, n'était pas en bon état jusqu’au début décembre 2018.

[47]    Ils n'ont toutefois pas démontré que le logement était anormalement humide après l'enlèvement des déshumidificateurs, ni que les lieux aient pu présenter des risques pour leur santé en raison de la présence de moisissure ou d’amiante.

[48]   Les travaux ont débuté plus de quatre mois après la survenance de l’incident. Ce délai est nettement déraisonnable et n’est pas imputable aux locataires.


[49]   Par ailleurs, la remise en état du logement a nécessité l’évacuation des locataires et l’entreposage de leurs biens.

[50]   Les réparations se sont échelonnées sur huit semaines, période durant laquelle le locateur a collecté le plein montant du loyer alors que les locataires habitaient ailleurs.

[51]   La preuve présentée mène le Tribunal à conclure que le locateur n'a pas respecté ses obligations contractuelles prévues aux articles 1854 du Code civil du Québec.

La diminution de loyer

[52]   Me Gilles Joly, dans la décision Girard c. Placements Bédard et Gauthier Enr., définit ainsi ce recours :

« Le recours en diminution de loyer est de nature « quantis minoris », c'est-à-dire qu'il cherche à rétablir un équilibre entre la prestation du locateur et celle de la locataire; en vertu du bail, le locateur doit procurer à la locataire la jouissance du logement qui y est décrit; en contrepartie, la locataire doit payer le loyer dont le montant doit équivaloir aux droits que le contrat lui procure. Or, dès que la locataire n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut exercer le recours en diminution de loyer afin que son obligation soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure. »

[53]   En appliquant ce principe à l’instance et selon la preuve prépondérante, le Tribunal estime que les locataires ont droit au montant qu’ils réclament à titre de diminution de loyer pour la période durant laquelle ils n’ont pu jouir pleinement de leur logement, soit 2 025 $.

Les dommages matériels

[54]   La réclamation des locataires, en ce qui a trait à leurs dommages matériels, est rejetée en totalité puisque les dommages allégués n’ont fait l’objet d’aucune preuve ( photo ou facture ).

Les dommages moraux

[55]   Selon la preuve non contredite, l’eau en provenance du 3e étage s’est infiltrée chez les locataires. Le plafond était percé et il a fallu de longs mois pour que les réparations soient complétées par le locateur.

[56]   Il a été démontré, à la satisfaction du tribunal, que les locataires ont subi du stress et de nombreux dérangements suite à cet incident malheureux.

[57]   En défense, le locateur fait valoir qu’il n’est pas responsable de la situation. Il a tort puisque le logement a été abîmé parce que le locateur a été négligent à remplacer le chauffe-eau.

[58]   Dans la cause Kaur Ghotra c. True North, la juge administrative Amélie Dion explique la portée de ces obligations en citant les auteurs Jean-Louis Beaudoin et Pierre Gabriel Jobin :

« (…) dans le cas d’une obligation de résultat, la simple preuve par le créancier de l’absence de résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute. Du point de vue probatoire, l’absence de résultat fait donc présumer la responsabilité du débiteur et place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l’inexécution provient d’une cause qui ne lui est pas imputable. Le débiteur n’a pas la possibilité de tenter de prouver l’absence de faute de sa part. Il doit identifier, par prépondérance de preuve, une force majeure ou encore le fait de la victime, qui a empêché l’exécution de l’obligation. À défaut de décharger ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l’inexécution. »

[59]   Il reste à évaluer la valeur du préjudice moral des locataires. La jurisprudence a établi des balises vastes et larges pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables[1].

[60]   En tenant compte qu'il a été démontré que certains préjudices ont été subis par les locataires, à savoir le stress, l’angoisse, leurs déplacements, leurs démarches et absences au travail, une somme globale de 1 500 $ leur est attribuée sous ce chef.


[61]   Finalement, pour disposer de l’argument final du défendeur, puisque la demande des locataires résulte de la non-exécution par le locateur des obligations contenues au bail, l’affaire relève de la compétence exclusive de la Régie du logement, vu l’article 28 de sa loi constitutive[2].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[62]   DIMINUE le loyer d’un montant global de 2 025 $;

[63]   CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 2 025 $ à titre de diminution de loyer et 1 500 $ en dommages moraux;

[64]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Suzanne Guévremont

 

Présence(s) :

les locataires

le locateur

Date de l’audience :  

10 décembre 2019

 

 

 


 



[1] Obadia c. 3008380 Canada Inc. 31-940510-040P-940517 et 31-970718-057G (R.L.), 11 février 1998, r. G. Joly et C.-H. Hovington.

[2] La Régie connaît en première instance, à l'exclusion de tout tribunal, de toute demande relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec (article 28 L.R.L.).

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