Bédard c. Viens-Juillet | 2023 QCTAL 18883 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield | ||||||
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No dossier : | 677982 27 20230130 G | No demande : | 3788327 | |||
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Date : | 20 juin 2023 | |||||
Devant le juge administratif : | Michel Huot | |||||
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Serge Bédard |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Emmanuelle Viens-Juillet
Mathieu Robert |
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Locataires - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande déposée le 30 janvier 2023 par le locateur. Le locateur demande l’autorisation du Tribunal administratif du logement pour reprendre le logement concerné dans le but d’y vivre avec sa conjointe et sa fille majeure.
[2] La demande est signifiée à la locataire le 10 février 2023 par un huissier de justice. La demande a été signifiée à monsieur Mathieu Robert le même jour. Il est à noter que ce dernier ne vit plus dans le logement concerné depuis le 3 mai 2020, et ce, à la connaissance du locateur. Monsieur Robert n'a pas participé aux audiences dans le présent dossier. Le Tribunal se référera à la locataire seulement pour la suite de la décision.
[3] Les parties sont liées par un bail[1] pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 1 400 $. Il est à noter qu’une décision[2] fut rendue le 13 janvier 2023 ayant pour effet de réduire le loyer payable à 1 000 $ par mois jusqu’à ce que les travaux ordonnés soient exécutés.
[4] L’avis[3] de reprise est rédigé le 19 décembre 2022 par le locateur et signifié le 27 décembre 2022 par un huissier de justice. La locataire n’a pas répondu à l’avis reçu. Elle est donc présumée avoir refusé de quitter le logement.
[5] Pour faciliter la lecture de la décision, le Tribunal référera au logement concerné comme étant la « maison », puisque le logement est une maison unifamiliale.
[6] Les audiences dans le présent dossier ont eu lieu les 27 mars 2023 et 3 mai 2023.
LA PREUVE PRÉSENTÉE
Témoignage du locateur Serge Bédard
[7] Le locateur vit actuellement au [...] à Rigaud avec sa conjointe, Mélanie Martel.
[8] Il a acheté[4] la maison de son père et de sa mère le 29 juin 2010. Il témoigne que la maison fut construite vers 1975.
[9] Il témoigne que la maison comporte six chambres, pour un total de neuf pièces et demie. Deux chambres se trouvent au premier niveau.
[10] Il témoigne que le projet de reprendre la maison avec sa conjointe et sa fille est né au cours du mois d’octobre 2022. Il explique les détails de leur occupation future. Il soumet en preuve des photos[5] de la maison.
[11] Il explique qu’il a déjà demandé la reprise du logement en 2022. À ce moment-là, il voulait y loger sa fille.
[12] Sa demande de reprise ayant été refusée, il témoigne avoir voulu vendre la maison en juin 2022. Il croyait que la maison se vendrait rapidement. Ce ne fut pas le cas.
[13] Il explique qu’il vit actuellement dans une maison[6] de chambres de 12 chambres. Il y vit avec Mélanie Martel depuis deux ans et demi.
[14] Ils témoignent être allés en vacances cet hiver avec sa conjointe et sa fille durant dix jours. La cohabitation s’est bien déroulée. Il souhaite vivre dans la maison avec sa fille et sa conjointe. Vu la grandeur de la maison, tout le monde y trouvera son compte.
[15] Il témoigne posséder d’autres immeubles locatifs à Rigaud.
[16] Il pense rester dans l’immeuble longtemps. Il explique que sa fille travaille dans un centre de la petite enfance située dans le village, soit à 3-4 kilomètres de la maison.
[17] De son côté, il exploite un camping situé à proximité. Sa conjointe y travaille également.
[18] En contre-interrogatoire, il témoigne que son logement actuel ne lui convient plus. Ça manque de clarté. Il témoigne qu’il ira vivre dans la maison dans l’état où elle est sans faire de réparations lors de l’audience du 27 mars 2023.
[19] Il témoigne qu’il possède une maison sur le site du terrain de camping qui possède deux chambres, mais qu’il ne souhaite pas s’y installer, car il se ferait déranger par les résidents du camping.
[20] Il témoigne qu’il est prêt à ce que la date de la reprise soit repoussée au 1er août 2023.
[21] Lors de l’audience du 3 mai 2023, il produit une copie de l’acte d’annulation du contrat de courtage pour la vente de la maison.
[22] Il produit également le rapport[7] d’expertise technique de la structure et de la fondation de la maison. Le rapport est daté du 20 avril 2023. Il y a lieu de reprendre les conclusions du rapport :
« VI - CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
À la lumière de nos observations, nous pouvons conclure que le bâtiment nécessite des travaux importants de restructuration du plancher du rez-de-chaussée et de réfection de sa fondation pour assurer sa pérennité. En effet, bien que nous ne jugions pas la situation dangereuse pour l’instant, plusieurs travaux sont à prévoir afin de corriger les défauts de la structure.
Voici donc un résumé des travaux en fonction du niveau d’urgence :
Court terme (0-1 an) :
Moyen terme (1-2 an) :
Renforcer les solives dans la travée du centre (sous le mur porteur du rez-de-chaussée). Doubler les solives sur toute leur portée ;
Ajouter une solive de transfert en 2x10 pour reprendre la solive interrompue au droit de l’ancienne trappe d’accès ;
Ensuite, étant donné l’état des fondations et les risques de subir d’autres inondations, nous recommandons le remplacement complet de la fondation. Notez que lors du remplacement de la fondation, il sera important d’assurer une profondeur adéquate au gel. Nous recommandons une profondeur minimale de 5 pieds sous les semelles par rapport au sol extérieur. La fondation devra aussi répondre aux critères d’immunisation en ce qui concerne le niveau des ouvertures, du plancher du rez-de-chaussée, de sa résistance (armature), imperméabilisation et drainage. Les travaux impliqueront aussi de remplacer toutes les colonnes par des colonnes ajustables sur semelle de béton. Nous recommandons de prévoir un traitement anticorrosion. Vérifier auprès de votre municipalité si vous pourriez être éligible à une subvention.
Notez aussi que ces travaux impliquent l’excavation autour du bâtiment. Par le fait même, les sonotubes des balcons seront démolis. Ainsi, nous recommandons la réfection des balcons au même moment. Les balcons pourront être reconstruits en béton à même la fondation ou en bois appuyé sur des pieux vissés ou sonotubes.
Les travaux de fondation recommandés doivent être exécutés avant qu’une prochaine inondation ne survienne. Bien que les inondations subies dans votre secteur ont une récurrence de 100 ans, les inondations vécues en 2017 et 2019 et les changements climatiques nous ont appris que celles-ci sont impossibles à prédire. Dans cette optique, nous recommandons d’entamer dès maintenant les procédures auprès des entrepreneurs et professionnels pour effectuer les travaux au printemps prochain.
Notez que les travaux recommandés devront faire l’objet de plans et devis signés et scellés par un ingénieur en structure membre de l’ordre des ingénieurs. » (sic)
[23] Le locateur mentionne qu’il a obtenu une subvention[8] pour procéder aux travaux des fondations. Cette subvention découle des inondations de 2019 dans la Ville de Rigaud. Il avait accès à cette subvention depuis les inondations de 2019. Il va hypothéquer pour faire les travaux. Il explique qu’il fera soulever la maison et refaire les fondations. Il témoigne que ça lui coûtera la somme de 170 000 $ avec les taxes pour faire les travaux. Il témoigne avoir également commandé de nouvelles fenêtres.
[24] Il témoigne que ce n’est pas justifiable d’investir 170 000 $ dans des travaux si la locataire y réside. Il fera faire les travaux quand il y vivra.
[25] Il témoigne qu’à la suite de la décision du 13 janvier 2023, il a remplacé le couvert de la fosse septique. Il a baissé le loyer de 400 $ comme prévu à la décision. Il n’a pas encore remplacé les fenêtres vu les travaux à venir aux fondations et à la structure de la maison. Il a fait faire une analyse[9] de l’eau.
Témoignage de madame Mélanie Martel, conjointe du locateur
[26] Madame Martel est la conjointe du locateur et elle vit avec lui depuis deux ans et demi. Elle explique qu’elle a appelé différentes compagnies de déménagement pour obtenir des soumissions. Elle explique que le prix baisse si le déménagement a lieu à une autre date que le 1er juillet 2023.
[27] Elle soumet en preuve des soumissions[10] de compagnies de déménagement qui comportent un tarif horaire variant entre 125 $ et 165 $. Les soumissions ne sont pas pour le 1er juillet 2023, mais plutôt pour le 7 juillet 2023 dans un cas et ne comportent pas de date dans l’autre cas.
[28] Elle vit actuellement au [...] à Rigaud avec le locateur. Elle explique que le logement actuel ne lui convient plus. Elle souhaiterait avoir plus de place.
[29] Elle a discuté avec le locateur en octobre 2022 pour la possibilité de reprendre la maison et y vivre. Elle explique qu’elle n’a pas de cour, pas de fenêtre dans le logement et qu’elle ne peut pas s’asseoir devant le logement actuel. Elle témoigne travailler au camping du locateur tout l’été.
Témoignage de madame Fanny Bédard, fille du locateur
[30] Elle témoigne vivre au camping de son père actuellement. Elle témoigne vivre dans une roulotte et ses effets sont entreposés. Elle témoigne s’être séparée à l’été 2022 de son conjoint. Elle aimerait vivre dans la maison pour plusieurs années. Elle occupera le 2e étage, ce qui lui donnera une certaine intimité. Elle témoigne que la cohabitation durant des vacances dans le sud s’est bien passée avec son père et la blonde de ce dernier.
Témoignage de la locataire Emmanuelle Viens-Juillet
[31] Elle ne croit pas que le locateur ira vivre dans la maison. Elle pense qu’il cherche à lui faire quitter la maison pour mettre fin à son occupation. Elle explique que la fille du locateur a visité la maison en décembre 2021 sous un prétexte. Elle s’interroge sur le fait que le locateur, sa fille et sa blonde vont occuper le logement puisque le locateur veut faire les travaux aux fondations et à la structure.
[32] Elle se considère comme un problème pour le locateur. Elle a obtenu une diminution de loyer et des dommages. Il ne l’a pas payée et elle a cessé de payer son loyer pour compenser les sommes dues.
[33] Elle témoigne avoir constaté que la maison était toujours en vente avec une courtière immobilière, et ce, jusqu’au lendemain de la première audience, soit le 28 mars 2023.
[34] Elle témoigne que le locateur a remplacé le couvert de la fosse septique le 2 mai 2023 et qu’il a fait faire un rapport pour la structure en avril 2023 soit après la 1re date d’audience dans le présent dossier. Elle témoigne que le problème d’eau potable n’est pas réglé, l’eau étant toujours visqueuse et jaune.
[35] Elle ne produit pas de soumission pour justifier les frais de déménagement, mais elle souhaite être compensée si elle doit déménager.
PRÉTENTIONS DU LOCATEUR
[36] Le locateur prétend qu’il a l’intention d’aller vivre dans le logement concerné avec sa conjointe et sa fille. Il prétend qu’il s’agit d’un projet conjoint.
[37] Il prétend qu’il ne s’agit pas d’une tactique pour mettre fin au droit d’occupation de la locataire.
[38] Il offre une somme de 1 750 $ pour les frais de déménagement.
PRÉTENTIONS DE LA LOCATAIRE
[39] La locataire prétend que le locateur tente de reprendre son logement pour mettre fin à son droit de vivre dans le logement. Elle prétend que le locateur tente de contourner l’application de la décision rendue le 13 janvier 2023 en ne se conformant pas aux ordonnances rendues.
[40] Elle s’interroge également si le locateur est propriétaire de maisons équivalentes. La locataire plaide que la fille du locateur ignorait que le locateur devait faire des travaux aux fondations, et à la maison suite à la reprise.
ANALYSE ET DÉCISION
QUESTION : Le Tribunal doit-il autoriser le locateur à reprendre possession du logement concerné pour s’y loger avec sa fille majeure et sa conjointe?
[41] Avant de répondre à la question posée, il y a lieu de rappeler aux parties les règles de preuve prévues aux articles
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi. »
« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. »
[42] Les parties ont l’obligation de convaincre le Tribunal, selon la balance des probabilités, des prétentions qu’elles allèguent.
[43] Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie qui l’allègue perdra.
[44] Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme[11] dans leur Traité de droit civil du Québec :
« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »
[45] Le Tribunal rappelle également aux parties qu’il a pris en compte l’ensemble des témoignages entendus ainsi que des pièces produites même s’il n’y fait pas référence dans la présente décision. Le Tribunal ne retient que les faits qui sont pertinents pour disposer du litige.
[46] Le Code civil du Québec prévoit le droit au maintien dans les lieux pour les locataires à l’article 1936, lequel se lit comme suit :
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux ; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »
[47] Le droit pour le locateur de reprendre un logement constitue une exception au droit au maintien dans les lieux. Les règles applicables en matière de reprise de logement sont d’ordre public en vertu de l’article
[48] Les articles 1957, 1958, 1959.1,1960, 1961, 1962 et 1963 du Code civil du Québec prévoient les règles applicables et les conditions pour que le Tribunal puisse autoriser la reprise d’un logement.
[49] Lesdits articles se lisent comme suit :
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
« 1958. Le propriétaire d’une part indivise d’un immeuble ne peut reprendre aucun logement s’y trouvant, à moins qu’il n’y ait qu’un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint. »
« 1959.1. Le locateur ne peut reprendre un logement ou en évincer un locataire lorsque ce dernier ou son conjoint, au moment de la reprise ou de l’éviction, est âgé de 70 ans ou plus, occupe le logement depuis au moins 10 ans et a un revenu égal ou inférieur au revenu maximal lui permettant d’être admissible à un logement à loyer modique selon le Règlement sur l’attribution des logements à loyer modique (chapitre S-8, r. 1).
Il peut toutefois reprendre le logement dans l’une ou l’autre des situations suivantes:
1° il est lui-même âgé de 70 ans ou plus et souhaite reprendre le logement pour s’y loger;
2° le bénéficiaire de la reprise est âgé de 70 ans ou plus;
3° il est un propriétaire occupant âgé de 70 ans ou plus et souhaite loger, dans le même immeuble que lui, un bénéficiaire âgé de moins de 70 ans.
La Société d’habitation du Québec publie sur son site Internet les seuils de revenu maximal permettant à un locataire d’être admissible à un logement à loyer modique. »
« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l’expiration du bail à durée fixe ; si la durée du bail est de six mois ou moins, l’avis est d’un mois.
Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l’avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l’éviction. »
« 1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.
Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.
La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »
« 1962. Dans le mois de la réception de l’avis de reprise, le locataire est tenu d’aviser le locateur de son intention de s’y conformer ou non ; s’il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »
[50] Lors de la reprise d’un logement, deux droits importants se rencontrent et s’opposent. D’une part, le droit du propriétaire d’un bien d’en jouir comme bon lui semble et, d’autre part, le droit d’un locataire au maintien dans les lieux loués.
[51] Le législateur impose des conditions au locateur pour protéger le droit de la locataire qui perd irrévocablement leur droit au maintien dans les lieux. Le locateur a alors le fardeau de démontrer, par prépondérance de preuve, que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur un prétexte.
[52] Plus récemment, dans l’affaire Dinel c. Brousseau[12], la juge administrative Sophie Alain fait référence à la preuve exigée du locateur en matière de reprise de logement :
« [20] Le législateur impose des conditions au locateur pour protéger le droit du locataire qui perd irrévocablement son droit au maintien dans les lieux. Dans ce cadre, le locateur a le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur de faux prétextes et d’en convaincre le Tribunal.
[21] Ainsi, le Tribunal doit vérifier si ces motifs n’ont pas pour but de mettre fin au droit au maintien dans les lieux du locataire par un moyen détourné. En effet, plusieurs décisions des tribunaux démontrent que la reprise de logement constitue un “terrain propice aux manœuvres répréhensibles de certains locateurs”. L’auteur Pierre-Gabriel Jobin qualifie ainsi l’intention d’un locateur qui désire reprendre le logement :
[...] la bonne foi exigée par la loi doit être prouvée non seulement relativement à l’intention (du locateur) d’habiter (les lieux), mais aussi relativement aux intentions qui l’ont poussé et motivé à faire la demande de repossession.
[22] Bref, l’intention d’un locateur doit être scrutée à la lumière des faits exposés, mêmes incidents, pour pouvoir la révéler. Cette appréciation implique nécessairement de vérifier notamment la crédibilité du locateur, les raisons personnelles, les motivations à faire la demande et même l’état des relations locateur-locataire.
[23] En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l’esprit du Tribunal sur la réalisation et la faisabilité du projet, que ce dernier soit suffisamment certain et circonscrit, qu’il soit permanent, excluant le court terme, et qu’il ne repose pas uniquement sur une base transitoire ou hypothétique. En cas de doute, la demande de reprise du logement sera rejetée. » (Références omises)
[53] Le Tribunal a apprécié la preuve documentaire produite de même que les témoignages des parties et des témoins entendus. Le Tribunal a également relu les décisions[13] rendues entre les parties avant la présente audience et auxquelles les parties ont référé durant l’audience.
[54] À cet effet, il y a lieu de résumer les recours ayant eu lieu entre les parties avant l’introduction de la présente demande.
[55] Le locateur dépose une demande contre la locataire le 20 décembre 2020 dans le dossier no 547845. Il demande la résiliation du bail et le recouvrement du loyer dû.
[56] De son côté, la locataire dépose une demande contre le locateur le 29 décembre 2020 dans le dossier no 550639. Elle demande qu’il soit ordonné au locateur d’exécuter certains travaux pour rendre le logement propre à l’habitation. Elle demande également de diminuer le loyer payable et de condamner le locateur à lui payer des dommages matériels, moraux et punitifs.
[57] L’audience des dossiers no 547845 et 550639 a lieu les 9 mars, 19 avril et 29 novembre 2021 ainsi que les 24 janvier, 22 février et 18 octobre 2022. Une visite de la maison a également lieu par le Tribunal le 31 mai 2022.
[58] Une décision fut rendue le 13 janvier 2023 disposant des demandes des parties.
[59] Il y a lieu de reprendre les conclusions de la décision :
« POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Sur la demande 3129352 :
[112] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[113] CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 2 355,23 $, le tout avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[114] REJETTE les autres demandes du locateur;
Sur la demande 3144822 :
[115] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[116] ORDONNE au locateur de faire analyser l’eau du puits artésien dès réception de la présente décision et d’en communiquer le rapport d’analyse à la locataire dès sa réception;
[117] Advenant que le rapport d’analyse d’eau constate que l’eau est non potable et non conforme aux normes gouvernementales, ORDONNE au locateur de faire effectuer tous les travaux requis au puits et à l’équipement de traitement de l’eau jusqu’à ce que l’eau soit considérée potable et conforme aux normes gouvernementales;
[118] ORDONNE au locateur de faire faire une expertise par un ingénieur en bâtiment de la structure de l’immeuble dès réception de la présente décision. Ledit rapport devant être communiqué à la locataire dès sa réception par le locateur;
[119] ORDONNE au locateur de faire isoler les fondations de l’immeuble et le plancher du 1er étage par un entrepreneur en construction détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec dans les 30 jours de la date de signature de la présente décision;
[120] ORDONNE au locateur de faire remplacer le couvert de la fosse septique dans les 30 jours de la date de signature de la présente décision par un entrepreneur qualifié selon les règles de l’art;
[121] ORDONNE au locateur de faire remplacer les fenêtres de l’immeuble selon les règles de l’art par un entrepreneur en construction détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec;
[122] ORDONNE au locateur de procéder au remplacement des balcons de la maison par un entrepreneur en construction détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec selon les règles de l’art;
[123] ORDONNE au locateur de faire boucher les trous permettant à la vermine d’accéder au logement;
[124] DIMINUE le loyer payable par la locataire au locateur d’un montant de 400 $ par mois, rétroactivement au 1er janvier 2020 et jusqu’à ce que les travaux prévus aux ordonnances de la présente décision soient faits ;
[125] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la diminution accordée;
[127] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 860,88 $ à titre de dommages matériels, le tout avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[128] REJETTE les autres conclusions de la demande de la locataire. »
[60] De plus, le Tribunal retient que le locateur a introduit en 2022 une demande pour obtenir l’autorisation du Tribunal administratif du logement de reprendre le logement concerné le 3 février 2022 (dossier no 610867). Il souhaitait reprendre le logement au bénéfice de sa fille Fanny Bédard.
[61] Cette demande fut rejetée le 25 avril 2022 par une décision de la juge administrative Danielle Deland. Il y a lieu de reprendre la partie suivante de la décision[14] :
« [6] La preuve a démontré que les relations entre les parties sont tendues.
[7] Le locateur avait introduit une demande de résiliation du bail de la locataire pour non‑paiement de loyer (dossier 547845 27 20 201 204) et ce dossier a été réuni à celui créé par la demande de la locataire, demande en diminution de loyer, en ordonnances au locateur d’exécuter ses obligations, en dommages matériels, des dommages moraux et dommages punitifs (dossier 550639 27 20 201 229). Suite à une ultime audience, le juge administratif Michel Huot a pris ces deux dossiers en délibéré et sa décision n’est pas encore rendue.
[8] Cependant, le juge administratif Huot avait indiqué dans son procès‑verbal du 29 novembre 2021 : « suite à l’amendement de la locataire du 29 ‑11 ‑ 2021, le locateur fera compléter une expertise des lieux loués pour déterminer la nécessité de faire faire les travaux. » (sic)
[9] La locataire a témoigné que le 6 décembre 2021, le locateur s’est présenté au logement concerné afin d’effectuer l’inspection commandée par le juge administratif Huot. La veille, le locateur aurait donné un préavis de sa visite à la locataire en précisant qu’il ne serait pas accompagné d’un ingénieur, mais d’un très bon inspecteur. Finalement le locateur est arrivé, accompagné de sa fille et du conjoint de cette dernière, qui a admis ne pas être venu inspecter la maison, mais plutôt la visiter. La locataire a refusé la visite au motif qu’elle n’avait pas eu de préavis pour ce type de visite. En quittant la maison, le locateur aurait tendu une feuille à la locataire qui a refusé de la prendre et qui a fermé la porte.
[10] Le jour même, le locateur a envoyé un nouvel avis à la locataire par courriel et par message texte, message dans lequel il annonçait son intention de reprendre le logement et dans lequel il avisait la locataire qu’une deuxième visite aurait lieu 24 heures plus tard, non pas pour inspecter le logement, mais bien pour le visiter.
[11] Cet avis se lit comme suit :
« Je te donne un avis de 24 h que je vien faire visiter la maison demain. Si tu m’empêche de faire visiter ma maison ben sa prouvera que t’est de mauvaise volonté. Ma fille n’a pas de maison où habiter et le [...] correspond très bien ses besoins. Je suis dans lmon droit et je respecte les délais. Ce message constitue une annonce officiel que je reprend possession en date du 1er Juillet 2022 pout y loger ma fille. Commence tes recherches dès maintenant pour te trouver un endroit pour habiter à partir du 1er juillet 2022.
Merci de ta compréhension » (sic)
Analyse
[12] Lorsque le locateur a constaté que la locataire avait refusé de prendre l’avis de reprise qu’il avait voulu lui remettre en mains propres le 6 décembre 2021, plutôt que de lui envoyer par huissier, il a choisi de lui envoyer un nouvel avis par message texte et par courriel.
[13] Or, le nom de la fille du locateur, la bénéficiaire de la reprise, n’apparaît pas dans cet avis.
[14] Pourtant, l’article 1961 et la jurisprudence sont clairs : non seulement le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur doivent‑ils apparaître, mais aussi son nom.
[15] Dans l’affaire Cliff Blackburn c. Bryn Vienna Larsen[1], le juge administratif Alexandre Henri résumait l’état de la jurisprudence sur ce sujet et il écrivait :
« [47] Tel que le mentionne le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec dans l’affaire Metaxas c. Speirs, un avis qui ne contient pas le nom du bénéficiaire est invalide :
« [25] L’avis envoyé par le locateur ne rencontre pas les exigences de l’article
[Notre soulignement]
[48] Sur le même sujet, le juge Bernard Tellier de la Cour du Québec mentionne ce qui suit dans l’affaire Eng c. Delisle :
« [17] Nous nous trouvons dans un domaine où le législateur et les tribunaux luttent contre les abus commis par certains locateurs et, comme le fait toujours remarquer madame Rousseau-Houle :
"Les mentions obligatoires dans l’avis, en particulier celles du nom du bénéficiaire, sont un bon moyen d’assurer au locataire une défense pleine et entière. L’omission d’une des mentions obligatoires devrait être fatale, à moins que, exceptionnellement, le locataire y renonce de façon claire ou encore qu’il soit évident que le locataire pouvait identifier le bénéficiaire sans demander d’informations additionnelles, c’est-à-dire si le bénéficiaire était déterminable avec certitude à l’aide des informations contenues dans l’avis. »
[Notre soulignement]
[49] Même si les locateurs ont indiqué le nom de leur fils dans la demande qu’ils ont déposée au Tribunal, le défaut d’avoir omis de l’indiquer au départ dans l’avis de reprise est fatal, tel que le mentionne à juste titre la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Barile c. Lazanas :
« [19] Les articles
[20] Ce que la jurisprudence vise à prohiber, ce sont les avis qui ne permettent pas au locataire de vérifier les informations communiquées, l’empêchant ainsi de se préparer adéquatement pour en contester la teneur. Ainsi, si le locataire dispose de suffisamment d’éléments pour identifier avec une certitude raisonnable le bénéficiaire de la reprise, le principe est alors atténué.
[21] En l’occurrence, même si la locataire pouvait se douter de l’identité des bénéficiaires, l’avis demeure ambigu. Elle ne pouvait alors s’assurer de la conformité de la demande aux dispositions législatives.
[22] La demande d’autorisation produite subséquemment ne peut permettre de remédier aux déficiences de l’avis. En effet, le processus de reprise, qui débute par l’envoi de l’avis prévu, est vicié dès le départ lorsque cet avis est invalide. On ne peut donc corriger par une procédure subséquente le défaut de l’avis.
[23] Le tribunal est d’opinion que l’avis transmis est invalide et ne rencontre pas les exigences obligatoires de l’article
[Nos soulignements] [Références omises] » (Références omises)
[16] CONSIDÉRANT que l’avis de reprise déposé par le locateur au dossier du Tribunal comportait une erreur cléricale puisqu’il mentionnait la date de reprise comme étant le 1er juillet 2021;
[17] CONSIDÉRANT que le locateur n’a pas prouvé que la locataire avait reçu cet avis de reprise;
[18] CONSIDÉRANT que les avis de reprise qu’il a fait parvenir à la locataire par message texte et par courriel ne sont pas conformes à l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[19] REJETTE la demande de reprise du locateur qui en assume les frais. »
[62] De plus, le Tribunal a évalué la crédibilité des témoignages entendus. Dans l’évaluation de la crédibilité des témoignages entendus, le Tribunal a pris en compte l’attitude générale des parties et des témoins lors de l’audience, les réticences qu’elles ont pu avoir, les contradictions, les exagérations, les affirmations gratuites qu’elles ont faites, l’intérêt qu’elles avaient dans le litige, la rancune manifestée contre l’autre partie, la vraisemblance de leur récit, les omissions volontaires, la complaisance et la mauvaise foi.
[63] Après avoir analysé toute la preuve, le Tribunal conclut qu’il y a lieu de rejeter la demande du locateur pour les motifs qui suivent.
[64] Le Tribunal n’est pas convaincu, selon la balance des probabilités, que le locateur souhaite réellement reprendre le logement concerné pour s’y loger. Le Tribunal entretient de sérieux doutes sur l’intention réelle du locateur qui l’amène à croire qu’il s’agit d’un prétexte pour atteindre d’autres fins, soit l’expulsion de la locataire.
[65] Premièrement, le Tribunal retient de la preuve que la maison était encore en vente lors de la première audience tenue le 27 mars 2023, étant affichée par la courtière immobilière du locateur.
[66] La maison était en vente depuis le mois de juin 2022, soit après le rejet de la demande pour être autorisé à reprendre le logement concerné. Le Tribunal retient que le locateur a produit lors de l’audience du 3 mai 2023 un formulaire de modification qui démontre qu’il a annulé le contrat de vente le 28 mars 2023, soit le lendemain de la 1re audience. Il témoigne que la maison n’est plus à vendre.
[67] Le Tribunal ne retient pas sa prétention à l’effet qu’il avait donné des directives à sa courtière en octobre 2022 pour mettre fin à la vente, mais que sa courtière immobilière avait oublié de la retirer du marché. La courtière immobilière ne fut pas entendue à titre de témoin et aucun document ne fut produit démontrant que le mandat donné à sa courtière immobilière pour la vente de la maison avait été annulé en octobre 2022.
[68] Deuxièmement, le Tribunal retient de la preuve présentée que le locateur n’a pas payé les sommes dues en vertu de la décision du 23 janvier 2023 à la locataire. La locataire a cessé de payer son loyer pour compenser les sommes dues.
[69] Troisièmement, le Tribunal retient également que le rapport d’ingénieur obtenu le 20 avril 2023 démontre la nécessité de faire d’importants travaux aux fondations et à la structure de la maison. Le Tribunal retient du témoigne du locateur qu’il ne souhaitait pas les faire si la locataire y habitait vu le coût élevé des travaux, soit près de 170 000 $. Le Tribunal retient également de son témoignage qu’il avait la possibilité de faire faire les travaux majeurs à la maison, et ce, depuis les inondations de 2019. Il pouvait obtenir des subventions lui permettant de faire des travaux pour régler le problème des fondations et de l’isolation. Le Tribunal retient que le locateur ne voyait pas la nécessité de les faire lorsque la locataire occupait le logement. Il les fera faire si le Tribunal l’autorise à reprendre le logement. Comme il le mentionne, le coût des travaux est trop élevé si la locataire y vit.
[70] Pourtant, la décision rendue le 13 janvier 2023 démontre que le locateur niait les problèmes de fondations et d’isolation allégués alors qu’il savait qu’il devait le faire et qu’il avait le droit à des subventions.
[71] Quatrièmement, le Tribunal retient que la fille du locateur n’était pas au courant des travaux majeurs devraient être réalisés pendant plusieurs mois. On parle ici de travaux du mois d’août à octobre selon la preuve[15] fournie par le locateur, nécessitant potentiellement l’évacuation de la maison.
[72] Cinquièmement, le Tribunal considère que le locateur tente de contourner les effets de la décision rendue le 13 janvier 2023 en tentant de reprendre le logement concerné. Cette décision constate que de nombreuses demandes de travaux furent faites au locateur sans succès.
[73] À cet effet, il y a lieu de reprendre une partie de la décision du 13 janvier 2023 :
« [70] En ce qui a trait aux fenêtres, le Tribunal considère que les fenêtres sont en fin de vie utile. Le Tribunal retient d’ailleurs de la preuve que le locateur a fait faire une soumission en 2020 pour procéder au remplacement des fenêtres, mais qu’il a décidé de ne pas aller de l’avant avec le remplacement desdites fenêtres. Le Tribunal retient de la preuve que le locateur demandait une forte augmentation de loyer à la locataire, en échange de laquelle il faisait les travaux pour remplacer les fenêtres. À défaut par cette dernière d’accepter l’augmentation exigée, il ne remplaçait pas les fenêtres.
[71] Le Tribunal rappelle au locateur qu’il a une obligation de résultat. Il ne peut négocier le loyer au cours du bail quand bon lui semble en échange de travaux. Le Tribunal lui rappelle que le législateur a prévu un mode de modification du loyer aux articles
[72] Le locateur a l’obligation de faire les travaux requis au logement. En conséquence, le locateur devra remplacer les fenêtres de l’immeuble par des fenêtres neuves, et ce, selon les règles de l’art.
[73] En ce qui a trait à la question du remplacement des balcons, le Tribunal s’en remet à l’expertise produite par la locataire. L’inspecteur en bâtiment conclut que les deux balcons sont en fin de vie utile. Le Tribunal a pu constater leur état lors de la visite des lieux. Le locateur, suite à la réception de l’expertise faite par la locataire, a apporté des correctifs aux poteaux de béton pour les solidifier. Il les a également enveloppés d’une pellicule plastique (de type « saran wrap ») pour les protéger. Le Tribunal est loin d’être convaincu que les travaux réalisés ont été faits selon les règles de l’art. Le Tribunal partage l’opinion de l’inspecteur en bâtiment et il y a lieu de remplacer les balcons.
[74] De plus, le Tribunal considère que la preuve présentée soulève une question de sécurité des lieux qui doit être considérée. Le rapport de l’inspecteur en bâtiment constate des problèmes importants eu égard aux solives de l’immeuble que le locateur a réparées, mais également face aux fondations de l’immeuble.
[75] L’inspecteur en bâtiment recommandait que le locateur fasse inspecter l’immeuble par un ingénieur en bâtiment pour déterminer les problèmes de structure de l’immeuble. Les problèmes soulevés étaient importants aux yeux de l’inspecteur pour la sécurité des occupants de l’immeuble. Toutefois, comme il l’a mentionné lors de son témoignage, la situation n’était pas assez grave pour appeler les pompiers immédiatement pour évacuer les lieux. Le Tribunal considère qu’il y a lieu de déterminer si la structure présente un danger.
[76] Le Tribunal retient également de la preuve que le locateur n’a pas l’air de se préoccuper du problème de structure de l’immeuble. Lors de son témoignage, le locateur remettait en cause les conclusions du rapport de l’inspecteur en bâtiment sur la sécurité des lieux sans produire de contre‑expertise, bien qu’il ait annoncé vouloir en produire une.
[77] Le locateur a fait faire des travaux aux solives de l’immeuble à la suite de la réception du rapport de l’inspecteur en bâtiment. À la suite des travaux effectués par le locateur, l’inspecteur en bâtiment s’est rendu de nouveau dans le logement pour vérifier les travaux faits aux solives. Comme il le mentionnait, les travaux réalisés sont non conformes aux règles de l’art bien que le locateur dise le contraire.
[78] Le locateur a des obligations prévues par le Code civil du Québec. À cet égard, le Tribunal considère qu’il néglige son obligation de fournir un logement sécuritaire à la locataire. Le plancher de l’immeuble au premier étage est affaissé, comme le mentionne l’inspecteur en bâtiment.
[79] L’article
« 1918. Le locataire peut requérir du tribunal qu’il enjoigne au locateur d’exécuter ses obligations relativement à l’état du logement lorsque leur inexécution risque de rendre le logement impropre à l’habitation. »
[80] Lors de sa visite du 31 mai 2022, le Tribunal a pu constater que les solives étaient fragiles, un morceau de bois ayant brisé avec une facilité déconcertante par un simple mouvement du poignet du soussigné.
[81] Force est de constater que si rien n’est fait par le locateur pour déterminer l’état de la structure, l’immeuble risque de devenir impropre à l’habitation. Le Tribunal, dans les circonstances, conclut qu’il y a lieu d’ordonner au locateur de faire inspecter par un ingénieur en bâtiment l’immeuble et, plus particulièrement, sa structure pour déterminer si la sécurité des occupants est en jeu ainsi que si des travaux urgents doivent être réalisés pour corriger des problèmes structurels de l’immeuble. Ladite expertise devra être réalisée dans les 45 jours suivant la date de la présente décision. L’expertise devra être communiquée à la locataire dès sa réception pour que celle‑ci soit avisée, pour sa sécurité et celle de sa famille de l’état de la structure de l’immeuble et des risques encourus.
[82] Si des travaux doivent être réalisés, il appartiendra aux parties de prendre les procédures appropriées pour les réaliser.
…
[91] L’inaction du locateur durant de nombreux mois à faire les travaux demandés, entre autres, aux fenêtres, au balcon ainsi que le refus d’isoler le sous‑sol sont autant d’exemples qui ont engendré des troubles et des inconvénients pour la locataire. L’inaction du locateur à régler la question de l’eau potable est un autre exemple des troubles et inconvénients qu’a subis la locataire. »[16]
[74] Le Tribunal doute de l’intention réelle du locateur de reprendre le logement pour y vivre. Le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un prétexte pour atteindre d’autres fins.
[75] Comme le mentionnait la Cour du Québec[17], le Tribunal doit exiger une preuve prépondérante, qui ne laisse subsister aucun doute sur les intentions réelles du locateur, avant d’accorder la reprise de possession. Si des doutes persistent, quant à l'intention du locateur, la demande doit être rejetée.
[76] En conséquence, la locataire pourra continuer à vivre dans le logement concerné. Le Tribunal considère que le bail fut reconduit pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 par l’effet de l’article
« 1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.
Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède 12 mois, pour une durée de 12 mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d’un terme de reconduction différent. »
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[77] REJETTE la demande du locateur.
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Michel Huot | ||
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Présence(s) : | le locateur la locataire Me Daniel Atudorei, avocat de la locataire | ||
Date de l’audience : | 27 mars 2023 | ||
Présence(s) : | le locateur Me Mélanie Chaperon, avocate du locateur la locataire Me Daniel Atudorei, avocat de la locataire | ||
Date de l’audience : | 3 mai 2023 | ||
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[1] Pièce P-1.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-3.
[5] Pièce P-4.
[6] Pièce P-7.
[7] Pièce P-10.
[8] Pièce P-13.
[9] Pièce P-14.
[10] Pièce P-5 en liasse.
[11] NADEAU, André et DUCHARME, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, pages 98 et 99.
[12] Dinel c. Brousseau,
[13] Bédard c. Viens‑Juillet,
[15] Pièce P-12.
[16] Bédard c. Viens‑Juillet,
[17] Hajjali c. Tsikis, (C.Q., 2008-01-03 (jugement rectifié le 2008-01-16)),
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