Décision

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Société en commandite RDM c. Bibeau-Robillard

2022 QCTAL 30142

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Jérôme

 

No dossier :

617457 28 20220304 G

No demande :

3482414

 

 

Date :

26 octobre 2022

Devant le juge administratif :

Stéphane Sénécal

 

Societe en commandite RDM

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Gabrielle Bibeau-Robillard

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi d’une demande de la locatrice déposée le 4 mars 2022, en recouvrement de loyers dus, en résiliation du bail et éviction de la locataire pour retard de plus de trois semaines, en exécution provisoire, pour les frais judiciaires, pour les intérêts et en indemnité additionnelle.

[2]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er février 2022 au 31 janvier 2023, au loyer mensuel de 5 640 $. Ce dernier fait l’objet du présent litige.

[3]         Lors de l’audience, la locataire est représentée par madame Danielle Robillard et monsieur Mario Robillard, ses enfants.

FAITS :

[4]         Le Tribunal précise qu’il n’effectue qu’un court résumé des faits et témoignages ci-après, mais tient compte de tous les éléments de preuves au dossier.

[5]         La mandataire de la locatrice, madame Myriam Loranger, allègue entre autres que l’immeuble comporte 242 portes. La résidence s’adresse aux personnes autonomes. Il y a toutefois l’aile « Signature » pour les personnes en perte d’autonomie fonctionnelle et cognitive. Des évaluations sont alors effectuées afin de dispenser des services sur mesures. Il y a réévaluation aux (6) six mois s’il y a lieu. Elle dépose en pièce, notamment le bail (P-1) ainsi qu’une copie des règlements (P-3).

[6]         En l’espèce, il y a eu des évaluations le 19 juin 2019, le 7 août 2019, le 24 octobre 2010, le 14 juin 2020, le 2 mars 2021 et le 11 novembre 2021. Elle ajoute que lors des réévaluations, elle rencontre la famille de la locataire et selon elle, il y avait apparence d’opposition aux soins. Elle signale que les rencontres étaient difficiles.

[7]         De la correspondance et des états de compte sont expédiés à la famille de la locataire (P-5 et P6) relativement aux paiements des loyers dus.


[8]         En témoignage, le Tribunal entend madame Cathy Duchâtelier, directrice des soins infirmiers de la résidence. Elle a été chargée de la dernière évaluation de la locataire. Elle a constaté un déclin cognitif de la résidente, ce qui nécessitait plus de soins. Entre autres, la locataire présente des problèmes de perte de mémoire, d’incontinence et à besoin d’aide à l’hygiène. Elle ajoute que lors des évaluations, il y a toujours supervision et révision de sa supérieure. La réévaluation de la locataire est déposée en pièce sous scellé (P-4).

[9]         Les mandataires de la locataire pour leur part affirment que les autres évaluations et modifications ont toutes été acceptées. Ils affirment toutefois qu’après celle du mois de novembre 2021, malgré leur refus, ils n’ont jamais reçu d’explications afin de prendre une décision éclairée. Le 8 novembre 2021, ils ont fait parvenir un avis de refus, mais de renouvellement du bail aux mêmes conditions (L-3).

[10]     Ils signalent que le consentement général aux soins signé le 3 novembre 2021 (P-9) ne permet pas l’augmentation du loyer. Selon eux, l’augmentation est excessive et non justifiée. Il en est de même pour les soins. Ils ajoutent que le bail a été renouvelé aux mêmes conditions. D’autant plus, que la locatrice n’a pas entrepris de recours en fixation de loyer.

[11]     De part et d’autre, les parties déposent plusieurs documents en preuves ainsi que des autorités.

QUESTIONS EN LITIGES :

[12]     Quelle est la compétence du Tribunal administratif du logement quant aux conclusions recherchées?

[13]     Les loyers réclamés sont-ils dus?

[14]     Dans l’affirmative, est-ce que la résiliation du bail est justifiée?

ANALYSE ET MOTIFS :

[15]     Le Tribunal rappelle tout d'abord qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.[1]

[16]     Ainsi, il doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue. Il suffit que le fait litigieux soit, par la preuve, probable.[2] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau, de convaincre le Tribunal elle verra sa demande rejetée.

[17]     Tout d’abord, l'étendue de la compétence du Tribunal administratif en matière de bail de résidences privées pour aînés (RPA). Le Tribunal a une compétence d'attribution prévue à sa loi constitutive.

[18]     Les auteurs Issalys et Lemieux indiquent, relativement aux Tribunaux administratifs :

« la catégorie des tribunaux administratifs est donc constituée, en droit québécois, des organismes décentralisés spécialisés dans l'exercice de la fonction juridictionnelle consistant à entendre des « recours » (...) « la mention d'un « ordre administratif  vise donc simplement à souligner le fait que les tribunaux administratifs, en tant qu'organismes administratifs décentralisés, sont bien des institutions administratives et non pas des institutions judiciaires »

« (...) les tribunaux administratifs (...) qui statuent essentiellement sur la base de textes législatifs concernant une matière déterminée (..) »

« À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n'exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s'étend donc pas à l'intégralité de la situation juridique des individus.

(...)

La portée de l'intervention du tribunal administratif et par conséquent l'étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal »


« en droit québécois, depuis l'adoption de la Loi sur la justice administrative, le Parlement emploie systématiquement le mot « recours » plutôt qu' « appel » lorsqu'il attribue compétence à un tribunal administratif. Il se réserve ainsi la possibilité de préciser lui-même, dans les lois attributives de compétence, l'étendue de celle-ci.

Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu'en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions - notamment de délai - il peut être introduit, s'il suspend l'application de la décision qu'il vise, et de quels pouvoirs dispose le tribunal administratif quant à la réception d'éléments de preuve et au contenu de sa décision.

Ainsi, certaines lois n'ouvrent le recours au tribunal administratif que si certains motifs peuvent être invoqués ; (...). La compétence du tribunal administratif est alors circonscrite à ces aspects de l'affaire. (...) »[3]

[19]     L’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement édicte :

« 28. Le Tribunal administratif du logement connaît en première instance, à l'exclusion de tout autre tribunal, de toute demande:

  relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec;

  relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil;

  relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14.

Toutefois, le Tribunal administratif du logement n'est pas compétent pour entendre une demande visée aux articles 667 et 775 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01). »

[20]     Pour sa part, l’article 1892 du Code civil du Québec. précise :

« 1892. Sont assimilés à un bail de logement, le bail d'une chambre, celui d'une maison mobile placée sur un châssis, qu'elle ait ou non une fondation permanente, et celui d'un terrain destiné à recevoir une maison mobile.

Les dispositions de la présente section régissent également les baux relatifs aux services, accessoires et dépendances du logement, de la chambre, de la maison mobile ou du terrain, ainsi qu'aux services offerts par le locateur qui se rattachent à la personne même du locataire.

Cependant, ces dispositions ne s'appliquent pas aux baux suivants:

  Le bail d'un logement loué à des fins de villégiature;

  Le bail d'un logement dont plus du tiers de la superficie totale est utilisée à un autre usage que l'habitation;

  Le bail d'une chambre située dans un établissement hôtelier;

  Le bail d'une chambre située dans la résidence principale du locateur, lorsque deux chambres au maximum y sont louées ou offertes en location et que la chambre ne possède ni sortie distincte donnant sur l'extérieur ni installations sanitaires indépendantes de celles utilisées par le locateur;

  Le bail d'une chambre située dans un établissement de santé et de services sociaux, sauf en application de l'article 1974. »

[21]     Ainsi, le présent Tribunal a compétence afin de juger pour tout ce qui est relatif à un bail de logement d’une RPA. Cependant, il est également opportun de déterminer la compétence face à l’évaluation des soins.

[22]     L’article 52 du Règlement sur la certification des résidences privées pour aînés[4] édicte principalement qu’une résidence privée pour aînés peut procéder à une évaluation ponctuelle afin de déterminer si les services dispensés sont requis ou même doivent être augmentés.

« 52. L’exploitant d’une résidence privée pour aînés peut, avec le consentement d’un résident ou d’une personne qui souhaite le devenir, procéder ou demander que l’on procède au repérage de la perte d’autonomie de ce résident ou de cette personne, afin de déterminer si son état de santé peut nécessiter des soins ou des services qui dépassent l’offre de services de l’exploitant, ou pour permettre à ce résident ou cette personne de déterminer les soins et les services requis par son état. Un tel repérage doit être fait à l’aide de l’outil de repérage des personnes en perte d’autonomie Prisma-7.

L’exploitant peut également, de la même manière et pour les mêmes fins, procéder ou demander que l’on procède à l’évaluation de l’autonomie de ce résident ou de cette personne. Une telle évaluation doit être effectuée à l’aide du système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF), par un professionnel habilité à le faire.

Seuls les outils mentionnés au premier et au deuxième alinéa peuvent être utilisés dans le cadre d’un tel repérage ou d’une telle évaluation. Le résultat de ce repérage ou de cette évaluation doit être versé au dossier du résident tenu en application de l’article 57.

Dans l’éventualité où, à la suite d’une évaluation, un résident décide de se procurer des services supplémentaires, les nouveaux besoins identifiés et services choisis doivent faire l’objet d’une modification au bail et être communiqués au personnel de la résidence, notamment aux préposés. »

[23]     De plus, les règlements de l’immeuble qui accompagnent le bail de logement font état que la résidence doit s’assurer par des évaluations périodiques que les services requis sont toujours adéquats et advenant que la modification entraîne une augmentation des coûts, une nouvelle annexe au bail sera alors complétée, signée et le loyer sera augmenté en conséquence.

[24]     Or, il découle que la réglementation permet à la résidence de procéder à des évaluations périodiques et ceci peut entraîner des augmentations de coûts de loyer.

[25]     Le Tribunal, souscrit à l’analyse de Me Anne Mailfait, j. ad., qui mentionne ce qui suit :

« [133] Avec égards, la soussignée est d'avis que cette approche comporte son lot de risques et d'iniquité à l'égard de la partie la plus vulnérable : les locataires.

[134] Analyser « le degré de soins, la fréquence ou la nécessité de certains soins  » revient à sanctionner une appréciation de nature médicale, ou à tout le moins professionnelle, faite par des employés de la RPA , engageant aussi potentiellement leur responsabilité professionnelle à certains égards. Le Tribunal administratif du logement s'éloignerait ainsi de sa compétence d'attribution.

[135] La détermination du niveau de qualité ou de professionnalisme d'un acte médical ou d'un acte d'un travailleur social par exemple, revient aussi à entrainer les locataires dans un engrenage d'expertises et de contre-expertises sur la valeur d'une fonction exercée, le tout pour assurer une preuve probante devant le Tribunal.

[136] La soussignée est convaincue que l'objectif des nouvelles dispositions visait à faciliter la tâche de ces locataires particulièrement vulnérables ou de leurs mandataires qui assument déjà, à ce titre, un fardeau d'accompagnement pouvant se révéler difficile en termes humains ou financiers.

[137] Or, la preuve requise en demande ou en défense n'échappera pas à une valse des expertises et contestations, car elle pourrait mettre en jeu des évaluations d'ordre déontologique et sur des matières à haute expertise technique et professionnelle telle que la pertinence d'un service infirmier, un diagnostic, la nécessité d'une assistance ou encore l'évaluation qualitative ou quantitative de soins médicaux ou, comme en l'espèce, l'opportunité de maintenir l'autonomie de la locataire et l'appréciation de ce qu'est la dignité d'un individu en état de semi-autonomie.

[138] De plus, la soussignée ne peut souscrire à l'idée que le Tribunal acquiert une compétence « automatiquement » en raison d'un encadrement légal jugé insuffisant. La compétence d'attribution d'un tribunal spécialisé ne permet pas de s'approprier une compétence sans lien en outre avec l'expertise pour laquelle il a été constitué. La prudence est donc de mise à cet égard et ce sera au législateur de reconnaître au Tribunal une telle compétence juridictionnelle soutenue par une telle expertise. »[5]

[26]     De ce fait, le Tribunal ne peut déterminer de la nécessité des soins requis, mais peut juger de tout ce qui concerne les obligations contractuelles découlant du bail. Dès lors, il doit uniquement s’assurer que les règles ont été respectées au même titre que celles qui découlent de l’article 1945 C.c.Q.

[27]     En ce qui concerne le cas en espèce, la locatrice a donc réévalué les besoins de la locataire en novembre 2021. Également, un avis de renouvellement de bail et des mesures à prendre, daté du 28 octobre 2021 est expédié à la locataire. Cet avis indique que l’avis doit être signé et retourné dans les trente (30) jours de la réception dudit avis, sans quoi le bail sera renouvelé aux nouvelles conditions.


[28]     Les mandataires de la locataire soulèvent que les soins sont surévalués, qu’ils n’ont jamais consentis à l’augmentation qui a suivi l’évaluation et que la locatrice n’a pas respecté les règles de fixation de loyer vu leur refus notifié. Ils confirment que l’autorisation aux soins signée le 3 novembre 2021 vise une autorisation générale et non une acceptation des nouvelles conditions du bail.

[29]     Cette étape de renouvellement de bail contractuelle est assimilable à un renouvellement des conditions du bail et, à ce titre, elle peut entraîner la résiliation du bail et, par le fait même, faire l’objet de contestation.

[30]     Il ressort de la preuve que la locataire, par le biais de ses mandataires, a contesté par formulaire daté du 8 novembre 2021 et reçu par la locatrice le 10 novembre 2021, le renouvellement du bail aux nouvelles conditions.

[31]     Toutefois, la locatrice n’a pas donné suite à cet avis de refus de renouvellement qui, pourtant, respectait les délais.

[32]     De surcroît, le Tribunal ne peut souscrire à l’argument que le consentement aux soins signé le 3 novembre 2021 consiste à une acceptation au renouvellement du bail aux nouvelles conditions.

[33]     Les parties ont conclu une entente contractuelle qui prévoit que la locatrice peut procéder à des évaluations ponctuelles afin de s’assurer de fournir les bons soins, que cette évaluation puisse entraîner une diminution ou une augmentation de loyer, mais cela permet également à la locataire de contester le changement des conditions du bail. Comme mentionné précédemment, cette procédure s’apparente à un renouvellement habituel du bail de logement. En l’espèce, c’est ce qui s’est produit, la locataire a contesté le changement des conditions, mais la locatrice n’a pas réagi à cette contestation.

[34]     En conséquence, le Tribunal, vu la preuve et les témoignages, considère qu’il ne peut faire droit à la demande de la locatrice, notamment en considérant le refus de la locataire du renouvellement aux nouvelles conditions.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]     REJETTE la demande de la locatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stéphane Sénécal

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

Me Nicolas Pfister, avocat de la locatrice

les mandataires de la locataire

Date de l’audience : 

15 juin 2022

11 août 2022

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.), CCQ-1991.

[2] Les jardins du roi société en commandite c. Jean-François Plante, RDL, 419462 18 20180921 No demande : 2590921, 4 février 2019.

[3] L'action gouvernementale, Lemieux & Issalys, Édition Y. Blais, 2e édition, 2002, page 353, 356, 361.

[4] S-4.2, r. 0.01

[5] P. P. c. Résidences l’Eau-vive inc., 2022QCTAL 11747; voir également Villemure c. Jardins Lebourgneuf, 2014 QCRDL 24539.

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