Décision

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Lebel-Jalbert c. Spécialistes du financement du Québec inc.

2021 QCCQ 429

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-706436-187

 

DATE :

5 février 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, J.C.Q.

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DANNY LEBEL-JALBERT

Demandeur

c.

LES SPÉCIALISTES DU FINANCEMENT DU QUÉBEC INC.

Défenderesse

 

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JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Monsieur Danny Lebel-Jalbert (Acheteur) réclame 6 000,00$ des Spécialistes du financement du Québec inc. (Vendeur) pour les réparations faites (3 378,03$) et à faire (2 116,18$) à la voiture d'occasion achetée, de même que pour le stress, les troubles et les inconvénients associés à la gestion des problèmes (505,79$).

[2]           L’Acheteur allègue que le véhicule est affecté de vices cachés et que le Vendeur doit honorer une garantie de durabilité en vertu de la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Les problèmes constituent une usure prématurée, car ils sont apparus avant qu’une durée raisonnable ne soit écoulée.

[3]           Le Vendeur allègue que le véhicule a été inspecté et qu’il était en ordre au moment de l’achat. Le Vendeur estime qu’il n’y a pas de vices cachés et que les problèmes résultent de l’utilisation du véhicule.

[4]           De plus, le Vendeur prétend que l’Acheteur a effectué les réparations sans lui donner l’opportunité d’évaluer les problèmes allégués.

[5]           Finalement, le Vendeur prétend que l’Acheteur doit contacter son assureur ou qu’il doit contacter le fabricant du véhicule afin d’obtenir compensation pour les réparations.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]           Le Tribunal doit décider des questions en litige suivantes :

A.   Le véhicule a-t-il pu servir à son usage normal pendant une durée raisonnable?

B.   Quel est le préjudice subi?

ANALYSE

A.           Le véhicule a-t-il pu servir à son usage normal pendant une durée raisonnable?

[7]           Selon la LPC, le vendeur est tenu à une garantie légale d’usage et de durabilité[1]. Dans le cas présent le véhicule usagé acheté doit pouvoir « servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien »[2]. Selon les tribunaux, le standard objectif à appliquer pour évaluer la durabilité est celui des attentes raisonnables d’un consommateur moyen[3]. Le consommateur peut exercer ce type de recours directement contre le commerçant[4].

[8]           Selon la LPC, le vendeur est aussi tenu à une garantie légale de qualité[5]. Le consommateur peut exercer directement contre le commerçant un recours fondé sur un vice caché affectant le bien qui a fait l’objet du contrat. Selon les tribunaux, le standard objectif à appliquer pour la vérification du bien par le consommateur est celui de « l’acheteur crédule et inexpérimenté »[6].

[9]           Précisons que la voiture ne bénéficie d’aucune garantie de bon fonctionnement puisqu’elle est de catégorie D[7].

[10]        L’acheteur veut faire valoir ces garanties légales d’usage, de durabilité et de qualité, le consommateur doit prouver deux conditions cumulatives : (1) un déficit d’usage sérieux suffisamment grave au point de jouer un rôle déterminant sur sa décision, et (2) que le défaut lui était inconnu au moment de l’achat[8].

[11]        Débutons avec la première condition, est-ce que l’Acheteur démontre un déficit d’usage sérieux sur la voiture usagée?

[12]        L’Acheteur fait l’acquisition le 8 février 2017 d’un VUS Chevrolet Traverse 2010 avec 178 900km au compteur. Il paie 10 966,00$[9]. Il acquiert également une assurance conventionnelle avec Avantage Plus (Assureur) pour 24 mois ou 40 000km pour 1 100,00$[10].

[13]        L’Acheteur témoigne que le témoin de dysfonctionnement « check engine » est apparu à sept reprises pendant les quinze premiers mois d’utilisation du véhicule soit de février 2017 à mai 2018. Le véhicule a parcouru 10 600km pendant cette période.

[14]        À chaque fois l’acheteur fait diagnostiquer le véhicule et apporte un correctif. Il engage 4 495,50$ pour des réparations qui ne relèvent pas d’un entretien régulier du véhicule (remplacement de bougies, joints de soupapes, flexible de servodirection, timing chain, etc.)[11].

[15]        De plus, la preuve révèle que le véhicule nécessite une réparation de la suspension et du rétroviseur extérieur gauche estimés à 1 642,68$[12] et une réparation de l’air conditionné estimée à 591,15$[13]. L’Acheteur ne procède pas à ces réparations compte tenu de ses moyens limités et qu’il estime abusif de mettre autant d’argent en correctifs.

[16]        En ce qui concerne l’air conditionné, la preuve révèle qu’elle ne fonctionne pas en mai 2017, soit trois mois après l’achat du véhicule.

[17]        L’Acheteur contacte le Vendeur à plusieurs reprises pour signaler les problèmes et obtenir une compensation pour les réparations nécessaires. Le Vendeur le dirige vers l’Assureur ou vers le fabricant.

[18]        Le Vendeur propose aussi à l’Acheteur qu’il amène le véhicule pour qu’il soit inspecté, avec frais. Le Vendeur pourrait faire bénéficier à l’Acheteur un escompte s’il fait les réparations avec l’un de ses fournisseurs. L’Acheteur ne l’a pas fait, car il ne voulait pas payer les frais et n’avait pas la confiance nécessaire pour leur confier son véhicule.

[19]        Alternativement, le Vendeur offre à l’acheteur de lui vendre un autre véhicule avec un escompte. L’Acheteur témoigne que les véhicules offerts étaient au-dessus de son budget ou d’une qualité moindre que ce qu’il avait acheté. Le Vendeur ne propose pas de verser un montant d’argent à l’Acheteur en compensation.

[20]        Le Tribunal conclut qu’un consommateur moyen qui achète un véhicule de près de 11 000,00$ peut raisonnablement s’attendre à ce que l’air conditionné du véhicule fonctionne pendant une durée plus longue que trois mois.

[21]        De plus, le Tribunal conclut qu’un véhicule qui a environ 8 ans et 190 000 km, mais qui a roulé seulement 15 mois et 10 000 km depuis la vente ne devrait pas avoir plusieurs codes d’erreur « check engine » malgré les correctifs apportés et nécessiter des réparations aussi nombreuses et importantes totalisant 6 729,33$ (4 495,50$ faites et 2 233,83$ à faire).

[22]        Par conséquent, le Tribunal conclut que le véhicule souffre d’un déficit d’usage sérieux grave au point où l’acheteur aurait payé moins cher ou n’aurait pas acheté s’il avait connu ce déficit.

[23]        Poursuivons avec la deuxième condition, est-ce que l’Acheteur a démontré que le défaut lui était inconnu au moment de l’achat?

[24]        Au moment de l’achat, le Vendeur mentionne à l’Acheteur que le véhicule a été inspecté et qu’il est en ordre. Le rapport d’inspection n’est pas remis à l’Acheteur[14]. Se fiant au Vendeur, l’Acheteur n’inspecte pas le véhicule.

[25]        Le Vendeur de même que le mécanicien qui a fait l’inspection sont venus témoigner que le véhicule était fonctionnel au moment de l’achat. Devant le Tribunal, le mécanicien explique que la norme applicable pour déterminer que le véhicule est en ordre correspond à une usure des pièces de moins de 40 %. Autrement dit, le véhicule est en ordre si les pièces sont bonnes à 60 %. Cette norme d’usure n’est pas communiquée à l’Acheteur.

[26]        L’Acheteur témoigne qu’au jour de l’achat le voyant lumineux « check engine » est allumé au tableau de bord. Il ajoute que le Vendeur l’a rassuré en lui mentionnant qu’il s’agit probablement d’un incident mineur, tel qu’un bouchon d’essence mal fermé. Le Vendeur envoie le véhicule chez un mécanicien qui efface le code d’erreur. L’Acheteur témoigne qu’on l’a rassuré en lui disant qu’il n’est pas risqué de rouler avec le véhicule sauf si le voyant lumineux « check engine » clignote.

[27]        Selon les tribunaux, les assurances et représentations du commerçant peuvent rendre juridiquement caché un vice qui aurait été autrement apparent ou neutraliser la connaissance que le consommateur aurait pu en avoir[15].

[28]        Le Tribunal conclut qu’un acheteur crédule et inexpérimenté n’aurait pas décelé un défaut au véhicule dans les circonstances puisque le Vendeur a été rassurant sur le bon fonctionnement du véhicule et il a minimisé le risque associé à ce code d’erreur. 

[29]        En conclusion, le Tribunal conclut que les deux conditions sont présentes en l’espèce. Par conséquent, le Vendeur n’a pas respecté sa garantie de durabilité et sa garantie de qualité à l’égard du véhicule acquis par l’Acheteur.

B.           Quel est le préjudice subi?

[30]        En vertu de la LPC, le commerçant qui manque à ses obligations d’usage, de durabilité ou de qualité est responsable de verser les dommages-intérêts qui sont justifiés et causés par le défaut. La preuve du manquement crée une présomption absolue de préjudice, et elle permet ainsi au consommateur d’obtenir une mesure de réparation prévue à l’article 272 LPC[16].

[31]        L’Acheteur a engagé 4 495,50$ pour des réparations liées à une usure prématurée du véhicule et qui ne relèvent pas d’un entretien régulier[17]. Il s’est vu rembourser 2 000,00$ par son Assureur. Le solde non remboursé est donc de 2 495,50$.

[32]        Le Tribunal conclut qu’il est justifié de dédommager l’Acheteur pour les réparations effectuées et non remboursées de 2 495,50$.

[33]        L’Acheteur demande également le remboursement des réparations à faire sur la suspension du véhicule et le rétroviseur extérieur gauche estimés à 1 642,68$. Puisque l’Acheteur a témoigné que le véhicule est remisé et qu’il ne l’utilise plus aujourd’hui, le Tribunal n’estime pas justifier que ce montant lui soit remboursé.

[34]        L’Acheteur réclame 505,79$ pour les troubles et inconvénients occasionnés par le temps consacré aux visites fréquentes au garage et le stress occasionné par l’incertitude relié à la conduite d’un véhicule dont la fiabilité est douteuse.

[35]        Selon les tribunaux, les pertes non économiques doivent être établies et ne peuvent consister en une simple contrariété, anxiété, stress ou crainte quotidienne ou usuelle[18]. Le Tribunal doit réaliser une évaluation personnalisée et rechercher un résultat raisonnable et équitable[19]. Il prend en compte à la fois la gravité objective du préjudice, la perception subjective de la personne et la valeur fonctionnelle nécessaire pour offrir une compensation.

[36]        Ici, l’Acheteur s’est déplacé au garage au moins à sept reprises pour faire vérifier le voyant lumineux, il a assumé des coûts de réparations considérables compte tenu de sa situation économique, en plus de vivre un stress associé à la sécurité incertaine de son véhicule.

[37]        Le Tribunal conclut qu’il est justifié de compenser l’Acheteur pour les pertes non économiques subies et demandées de 505,79$.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE partiellement la demande.

CONDAMNE Les Spécialistes du financement du Québec inc. à payer à Danny Lebel-Jalbert un montant de 3 001,29$ plus les intérêts au taux légal, et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de signification soit le 31 août 2018, plus les frais de justice de 187,00$.

 

 

_______________________________

JEAN-FRANÇOIS ROBERGE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Date d’audience :

8 janvier 2021

 



[1]     Art. 37 et 38 L.p.c.

[2]     Art. 38 L.p.c.

[3]     Fortin c. Mazda Canada inc. 2016 QCCA 31, par. 81.

[4]     Art. 54 L.p.c.

[5]     Art. 53 L.p.c.

[6]     Imperial Tobacco Canada Ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé. QCCA 2019 358, par. 448-450 et 453.

[7]     Art. 159 et 160 L.p.c.

[8]     Fortin c. Mazda Canada inc. 2016 QCCA 31 par. 60, 70 et 71.

[9]     Pièce P-1.

[10]    Pièce P-4.

[11]    Pièce P-2 : Factures en liasse.

[12]    Pièce P-2 : Facture de Canadian Tire datée du 20 avril 2018.

[13]    Pièce P-2 : Facture de Midas datée du 12 décembre 2017.

[14]    Pièce D-1.

[15]    Imperial Tobacco Canada Ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé. QCCA 2019 358, par. 458; Deslippe c. Club auto escompte S.M. inc. 2019 QCCQ 6392 par. 75.

[16]    Vidéotron, s.e.n.c. c. Union des consommateurs, 2017 QCCA 738 par. 58; Fortin c. Mazda Canada inc. 2016 QCCA 31 par. 74; Richard c. Time, 2012 CSC 8, par. 113.

[17]    Pièce P-2 : Factures en liasses Canadian Tire datée du 20 avril 2018 (1 203,70$), Canadian Tire datée du 24 avril 2018 (551,81$), Chevrolet, Buick, GMC de LaSalle datée du 1er mai 2018 (149,41$), MIDAS datée du 11 mai 2018 (300,00$), MIDAS datée du 29 mai 2018 (290,58$).

[18]    Mustapha c. Culligan du Canada ltée, 2008, CSC 27; Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, 2015 QCCA 1820.

[19]    Quebec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital Saint-Ferdinand, 1996 CSC 172 par. 72, 73, 75 et 77; Gauthier c. Beaumont, 1998 CanLII 788 (CSC), [1998] 2 RCS 3, par. 101 et 102.

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