Entreprise Cara du Québec ltée et Charlebois |
2012 QCCLP 6195 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1]
Le 11 novembre 2011, la Commission de la santé et de la sécurité du
travail (la CSST) dépose une requête en vertu de l’article
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord intervenu entre madame Helen Charlebois (la travailleuse) et Entreprise Cara du Québec ltée (l’employeur) dans les termes suivants (texte intégral de la décision) :
ATTENDU la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles;
ATTENDU l’accord intervenu entre les parties et annexé à la présente décision;
ATTENDU que le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que l’accord est conforme à la loi;
ATTENDU que l’article 429,46 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) permet à la Commission des lésions professionnelles d’entériner un accord conforme à la loi;
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ENTÉRINE l’accord intervenu entre les parties;
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Entreprise Cara du Québec ltée;
MODIFIE la décision rendue le 19 novembre 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 2 juin 2009 est consolidée en date du 6 juillet 2009 sans nécessité de soins ou de traitements à compter de cette date;
DÉCLARE que madame Helen Charlebois, la travailleuse, ne conserve aucune limitation fonctionnelle en relation avec la lésion professionnelle du 2 juin 2009 ;
DÉCLARE que la travailleuse est devenue capable d’exercer son emploi à compter du 6 juillet 2009;
DÉCLARE que le droit aux prestations prévues à la loi prend fin en date du 6 juillet 2009.
[3] La CSST est représentée à l’audience tenue sur la requête en révision ou en révocation, le 25 mai 2012, à St-Jérôme. La travailleuse et l’employeur y étaient également représentés.
[4] À la fin de l’audience, le tribunal a demandé aux représentants des parties de soumettre des argumentations additionnelles et a fixé un échéancier pour leur dépôt ainsi que pour le dépôt de répliques réciproques.
[5] Le représentant de la travailleuse n’a pas présenté d’argumentation orale à l’audience ni d’argumentation additionnelle ou de réplique par la suite.
[6] La procureure de la CSST et le procureur de l’employeur ont tous deux soumis une argumentation écrite additionnelle. Par leurs lettres du 15 août 2012, ils ont avisé le tribunal qu’ils ne produiraient pas de réplique.
[7] L’affaire a été mise en délibéré à compter de cette dernière date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[8] La CSST demande de
RÉVOQUER la décision rendue le 11 octobre 2011,
REMETTRE les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’accord du 11 octobre 2011 et
REFIXER le dossier pour qu’une audience ait lieu sur le fond du litige.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête devrait être accueillie. L’accord entériné n’est pas conforme à la loi, puisqu’il déborde le cadre du litige dont le tribunal est saisi. En effet, il déclare la lésion de la travailleuse consolidée à une époque où elle ne l’était pas encore, selon une décision antérieure désormais finale et irrévocable. Cela étant, la décision rendue le 11 octobre 2011 comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
[10] La membre issue des associations syndicales estime au contraire que la requête devrait être rejetée. Le tribunal est saisi de la contestation d’une décision appliquant un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale, le 13 octobre 2010, qui statue notamment sur la date de consolidation de la lésion professionnelle. Selon le courant jurisprudentiel majoritaire interprétant l’article 224.1 de la loi, pareille décision a pour effet de remplacer totalement la décision rendue précédemment en application d’un premier avis de membre du Bureau d’évaluation médicale, le 16 octobre 2009. Dans un tel contexte, les parties étaient libres de convenir de n’importe quelle date de consolidation. L’accord conclu était donc conforme à la loi et la décision l’entérinant ne comporte aucune erreur révisable.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La décision du 11 octobre 2011 dont la CSST demande la révocation en est une par laquelle la Commission des lésions professionnelles a entériné un accord intervenu, le jour même, entre l’employeur et la travailleuse dans le cadre des articles 429.44 et suivants de la loi.
[12] La CSST allègue que la susdite décision « comporte des vices de fond de nature à l’invalider », de sorte que le présent recours est régi par les dispositions du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[13] La notion de « vice de fond » a fait l’objet d’interprétation dans les affaires Donohue et Franchellini[2]. La Commission des lésions professionnelles y a jugé qu’il s’agit d’une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été suivies à maintes reprises dans la jurisprudence subséquente.
[14] Siégeant en révision judiciaire de certaines décisions de la Commission des lésions professionnelles, les tribunaux supérieurs ont entériné, à plusieurs reprises, l’interprétation des textes législatifs pertinents que celle-ci retient.
[15] Ainsi, en 2003, dans l’affaire Bourassa, la Cour d’appel a, en outre, rappelé qu’« il [le recours en révision] ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation »[3].
[16] Dans l’arrêt Godin[4], l’honorable juge Fish précise qu’une décision ne peut être révisée pour le simple motif que la formation siégeant en révision ne partage pas l’opinion du premier juge administratif, que ce soit à l’égard de l’appréciation de la preuve, de l’interprétation de la règle de droit applicable ou même du résultat de l’analyse ; dans chaque cas, conclut-il, là où plus d’une issue raisonnable est possible, c’est celle retenue par le premier juge administratif qui doit prévaloir :
[51] Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions. Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.
[17] Dans son arrêt Amar c. CSST[5], la Cour d’appel réitère qu’une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision.
[18] Dans l’affaire CSST c. Fontaine[6], sous la plume de l’honorable juge Morissette, la Cour reprend avec approbation les propos du juge Fish et ajoute que le vice de fond de nature à invalider dont parle la loi réfère à une « faille » dans la première décision telle qu’elle dénote, de la part de son auteur, une « erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique ».
[19] La même règle fut répétée dans l’arrêt Touloumi[7] :
[5] Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[20] Cette approche a toujours cours à la Commission des lésions professionnelles[8].
[21] Tout récemment encore, la Cour supérieure a rappelé que le « recours en révision est un recours exceptionnel limité aux vices de fond ou de procédure de nature à invalider la décision à l’étude » se définissant « comme une erreur grave, évidente et déterminante, un accroc sérieux et grave lors de l’audition ou de la disposition d’un litige et dont la conséquence est de déclarer la nullité de la décision qui en découle »[9].
[22] Le recours en révision n’est pas un appel.
[23] Le troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi consacre, en effet, le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles :
429.49.
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[24] Qu’en est-il en l’espèce ?
[25] Le 11 octobre 2011, la travailleuse et l’employeur ont conclu l’accord suivant :
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ACCORD
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[1] Le 26 novembre 2010, Entreprise Cara du Québec Itée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 octobre 2010 donnant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 13 octobre 2010 et conclut que
• elle est justifiée de statuer prochainement sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi puisque la lésion professionnelle est consolidée en date du 23 septembre 2010, et qu’il y a présence de limitations fonctionnelles ;
• elle doit cesser de payer les soins et les traitements après le 23 septembre 2010 puisqu’ils ne sont plus justifiés ;
• le port d’une orthèse souple pour le pouce droit est indiqué au travail ;
• madame Helen Charlebois (la travailleuse) n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné que l’atteinte permanente est évaluée à 0 %.
[3] Les parties sont arrivées
au présent accord dans le cadre des articles
L’OBJET DE L’ACCORD
[4] Le présent accord porte sur la date de consolidation de la lésion professionnelle, la nécessité de soins ou de traitements ainsi que sur les limitations fonctionnelles et les conséquences légales qui en découlent.
[5] Les autres conclusions de la décision contestée demeurent inchangées.
LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT:
[6] Le 6 juillet 2009, le docteur Jacques Paradis, agissant à titre de médecin désigné de l’employeur, examine la travailleuse et produit un rapport d’expertise indiquant que la lésion professionnelle survenue le 2 juin 2009 est consolidée le 6 juillet 2009, sans nécessité de soins ou de traitements et indication d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[7] Le 16 octobre 2009, le docteur Pierre Beaumont, orthopédiste agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale, émet un avis à l’effet que la lésion professionnelle consistant en une contusion au poignet droit, à la main droite et au pouce droit n’est pas consolidée et nécessite des soins d’ergothérapie pour une période d’un mois.
[8] Le 21 octobre 2009, la CSST rend une décision en conformité avec l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale et conclut que la travailleuse continue d’avoir droit à des indemnités de remplacement du revenu selon l’évolution de sa lésion.
[9] La décision rendue par la CSST en date du 21 octobre 2009 n’a fait l’objet d’aucune contestation de la part des parties au dossier.
[10] Le 5 juillet 2010, le docteur Paradis, à la demande de l’employeur, rencontre la travailleuse et procède à une nouvelle évaluation.
[11] Le docteur Jacques Paradis produit un nouveau rapport d’expertise et maintient que la lésion professionnelle est consolidée le 6 juillet 2009, sans nécessité de soins ou de traitements et sans indication d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles à la suite d’un nouvel examen.
[12] Le 3 août 2010, le docteur François Trudel, médecin de la travailleuse, produit un rapport complémentaire sur lequel il mentionne être en désaccord avec l’opinion du docteur Paradis quant à la date de consolidation et la nécessité de soins ou de traitements.
[13] Le 13 août 2010, la CSST procède à une demande visant à soumettre le dossier au membre du Bureau d’évaluation médicale sur la base de l’expertise produite par le docteur Paradis du 5 juillet 2010, tel que rapporté aux paragraphes 10 et 11, et le rapport complémentaire produit par le docteur Trudel tel que rapporté au paragraphe12.
[14] Le 13 octobre 2010, le docteur Thien Vu Mac, orthopédiste agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale émet un avis par lequel il fixe la date de consolidation au 23 septembre 2010, sans nécessité de soins ou de traitements mais avec une atteinte permanente de 0% ainsi qu’avec des limitations fonctionnelles qui se décrivent comme suit:
- éviter un travail qui implique des mouvements rapides du pouce droit
- ne peut s’accrocher ou s’agripper avec la main droite;
- éviter de manipuler des charges de plus de 10 kg avec la main droite.
[15] Le 20 octobre 2010, la CSST rend une décision en conformité avec l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Ladite décision a fait l’objet d’une demande de révision et, le 19 novembre 2010, la CSST à la suite d’une révision administrative a rendu une décision confirmant la décision initiale du 20 octobre 2010. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente requête.
[16] Les parties estiment donc que:
- considérant que le docteur Paradis a examiné la travailleuse en date des 6 juillet 2009 et 5 juillet2010 ;
- considérant que le docteur Paradis, suite à son examen du 5 juillet 2010, réitère que la lésion survenue le 2 juin 2009 est consolidée le 6 juillet 2009 sans nécessité de soins et sans indication d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles ;
- considérant que la CSST, tel qu’en fait foi le formulaire qu’elle a elle-même complété en date du 13 août 2010, a soumis la demande au Bureau d’évaluation médicale sur la base de la date de consolidation retenue par le docteur Paradis soit le 6 juillet 2009, ainsi que sur la suffisance ou non de soins ou de traitements et ce après son nouvel examen qu’il a effectué le 5 juillet 2010.
le rapport du docteur Paradis à l’effet que la lésion professionnelle du 2 juin 2009 est consolidée le 6 juillet 2009, sans nécessité de soins ou de traitements et sans indication de limitations fonctionnelles.
[17] La travailleuse a toujours agi de bonne foi dans le suivi de son dossier.
COMPTE TENU DE CE QUI PRÉCÈDE, LES PARTIES DEMANDENT À LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES DE RENDRE SA DÉCISION SELON LES TERMES SUIVANTS :
ENTÉRINER l’accord intervenu entre les parties ;
ACCUEILLIR la requête de l’employeur, Entreprise Cara du Québec ltée ;
MODIFIER la décision rendue le 19 novembre 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en révision administrative ;
DÉCLARER que la lésion professionnelle du 2 juin 2009 est consolidée en date du 6 juillet 2009 sans nécessité de soins ou de traitements à compter de cette date ;
DÉCLARER que madame Helen Charlebois, la travailleuse, ne conserve aucune limitation fonctionnelle en relation avec la lésion professionnelle du 2 juin 2009 ;
DÉCLARER que la travailleuse est devenue capable d’exercer son emploi à compter du 6 juillet 2009 ;
DÉCLARER que le droit aux prestations prévues à la loi prend fin en date du 6 juillet 2009.
[26] La CSST soutient que la décision du 11 octobre 2011 entérinant cet accord comporte un vice de fond de nature à l’invalider pour les motifs suivants :
13- La compétence de la CLP découle de l’existence d’un recours et de l’objet de la décision contestée ;
14- La CLP était saisie d’un litige faisant suite à la contestation de la décision rendue par la CSST, en révision administrative, le 19 novembre 2010 et faisant suite au BEM-2 ;
15- Cette décision portait notamment sur la date et/ou période prévisible de consolidation de la lésion, la nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou traitements administrés ou prescrits, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles ;
16- En entérinant l’accord du 11 octobre 2011, nous vous soumettons que la CLP a commis un excès de compétence puisqu’elle a rendu une décision allant à l’encontre d’une décision antérieure rendue par la CSST le 21 octobre 2009 et faisant suite au BEM-1 ;
17- Cette décision prévoit notamment que la lésion professionnelle du 2 juin 2009 n’était pas consolidée au 16 octobre 2009 et que les soins ou traitements étaient toujours nécessaires ;
18- La décision rendue par la CSST le 21 octobre 2009 n’ayant pas été contestée, elle a acquis un caractère final et irrévocable ;
19- En effet, bien que le litige devant la CLP portait sur la décision rendue par la CSST suite au BEM-2, la CLP a commis une erreur de droit manifeste en entérinant un accord qui recule la date de consolidation de la lésion professionnelle au 6 juillet 2009 alors que la décision CSST du 21 octobre 2009 avait déjà statué à l’effet que cette lésion n’était pas encore consolidée au 16 octobre 2009 ;
20- Également, la CLP a commis une erreur de droit déraisonnable et manifeste en entérinant un accord qui déclare qu’il y avait suffisance de soins ou traitements le 6 juillet 2009 alors que la décision CSST du 21 octobre 2009 avait déjà statué à l’effet que les soins ou traitements étaient encore nécessaires au 16 octobre 2009 ;
21- En vertu du principe de la stabilité des décisions, nous vous soumettons que la CLP a commis une erreur de droit manifeste, déterminante et assimilable à un vice de fond alors qu’elle a entériné un accord qui allait à l’encontre d’une décision finale et irrévocable rendue par la CSST le 21 octobre 2009 ;
22- L’erreur commise par la CLP, à l’effet de ne pas respecter le principe de la stabilité des décisions, est déterminante puisque sans elle, le résultat aurait été différent;
23- L’article
24- Un accord entériné alors qu’il est non conforme à la loi comporte
une erreur de droit manifeste et déterminante donnant ouverture à la
révocation, et ce, en vertu de l’article
[27] L’article 429.46 de la loi auquel la CSST fait référence dans sa requête en révocation se lit comme suit :
429.46. Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.
Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.
Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[Notre soulignement]
[28] La jurisprudence du tribunal a établi en vertu de quels critères un accord était considéré « conforme à la loi », au sens de l’article précité.
[29] La décision rendue dans l’affaire Perron et Cambior inc.[10] citée par le procureur de l’employeur les énonce comme suit :
[42] La notion de conformité à la loi a été définie par la jurisprudence tant de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) que de la Commission des lésions professionnelles. Il faut rappeler, en effet, qu’avant même l’entrée en vigueur de l’article 429.46 de la loi, le 1er avril 1998, la Commission d’appel avait déjà imposé la notion de conformité à la loi lorsqu’elle entérinait une entente intervenue en conciliation 4. Les critères retenus par la jurisprudence sont les suivants : l’entente résultant d’un exercice de conciliation doit respecter la compétence du tribunal c’est-à-dire qu’elle ne doit pas déborder le cadre de l’objet en litige 5; les conclusions de l’entente ne doivent pas être contraires à l’ordre public 6; l’entente doit respecter la législation et la réglementation pertinentes 7; enfin, l’entente ne doit pas être fondée sur des faits manifestement faux, inexacts ou qui ne sauraient supporter les conclusions recherchées 8.
______________
4 Vaillancourt et Imprimerie Canada,
5 Voir note 4, Vaillancourt, p. 1231; Élag
(1994) inc. et Courcelles, C.L.P.
6 Voir note 4, Vaillancourt p. 1236; Voir note 4, Céleste, p. 172; Kohos et Daniel Cuda, C.A.L.P 35651-60-9201, 4 juin 1993, Y. Tardif
7 CSST et Del Grosso et Cie Moruzzi
ltée,
8 Mocci Campoli et Lightolier Canada inc.
et CSST, C.L.P.
[Notre soulignement]
[30] Cette approche a maintes fois été reprise dans les décisions subséquentes de la Commission des lésions professionnelles[11].
[31] Ainsi, pour être conforme à la loi, une entente doit-elle, entre autres conditions, ne pas déborder le cadre de l’objet en litige.
[32] D’où la nécessité de bien identifier et cerner l’objet du litige dont le tribunal était saisi dans la présente affaire.
[33] Ainsi que les parties en ont d’ailleurs convenu aux paragraphes 1, 2 et 15 de leur accord, la Commission des lésions professionnelles était saisie de la contestation par l’employeur d’une décision rendue par la CSST en application de l’avis donné par un membre du Bureau d’évaluation médicale, le 13 octobre 2010 (le BEM # 2).
[34] Plus particulièrement, la contestation portait sur la détermination de la date à laquelle la lésion professionnelle subie par la travailleuse devait être considérée consolidée[12]. Le BEM # 2 retient la date du 23 septembre 2010 à cet égard.
[35] Ce sujet d’ordre médical prévu à l’article 212 de la loi faisait, en effet, l’objet d’une divergence d’opinion entre le médecin ayant charge de la travailleuse (le docteur François Trudel) et celui désigné par l’employeur (le docteur Jacques Paradis).
[36] Dans le formulaire de Rapport médical d'évolution qu’il remplit à la suite de son examen de la travailleuse, le 21 mai 2010, le docteur Trudel indique que la lésion professionnelle n’est pas encore consolidée et prescrit des traitements d’ergothérapie.
[37] À ce sujet, le docteur Paradis conclut le rapport d’Expertise médicale qu’il rédige à la suite de son examen de la travailleuse, le 5 juillet 2010, dans les termes suivants : « Nous maintenons que la contusion au poignet droit et au pouce droit aurait dû être consolidée le 6 juillet 2009 ».
[38] Le docteur Paradis avait, en effet, déjà exprimé la même opinion dans le rapport d’Expertise médicale qu’il avait rédigé à la suite de son examen de la travailleuse effectué le 6 juillet 2009 : « Le diagnostic de contusion au poignet droit survenu le 2 juin 2009 est consolidé aujourd’hui, le 6 juillet 2009 ».
[39] Le docteur Paradis se trouvait ainsi à infirmer la conclusion à ce sujet exprimée par le médecin ayant charge de la travailleuse à cette époque (le docteur Kiderchah) dans son Rapport médical d'évolution du 14 juillet 2009 : période prévisible de consolidation de « 60 jours ou moins » à compter de cette date.
[40] Cette première divergence d’opinion avait, elle aussi, fait l’objet d’un recours à la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi. Le membre du Bureau d’évaluation médicale désigné avait rendu son avis le 16 octobre 2009 (le BEM # 1)[13] et statué que « les lésions ne sont pas consolidées ». Il considérait qu’il y avait lieu de poursuivre les traitements d’ergothérapie pour encore un mois.
[41] Le soussigné constate que la divergence d’opinion entre médecins qui a mené au BEM # 1 est différente de celle qui a conduit au BEM # 2. Certes, toutes les deux traitent du même sujet (la consolidation de la lésion professionnelle de la travailleuse), mais à des époques différentes, à la suite d’examens médicaux distincts et entre des médecins autres que ceux impliqués dans la première, du moins quant à celui qui avait charge de la travailleuse. De plus, entre les deux, la condition de la travailleuse avait beaucoup changé. Enfin, l’arbitre du différend, sur le plan médical, n’a pas été le même aux deux occasions.
[42] Le 21 octobre 2009, la CSST a rendu une décision « en conséquence » du Bureau d’évaluation médicale # 1, puisqu’elle était « liée » par celui-ci en vertu de l’article 224.1 de la loi :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[Nos soulignements]
[43] Ladite décision rendue le 21 octobre 2009 mentionne, entre autres, que « les soins ou traitements sont toujours nécessaires » et que « votre lésion n’est pas consolidée » :
Objet Décision de la CSST à la suite
d’un avis du Bureau d’évaluation médicale
Madame,
Vous avez reçu copie d’un avis rendu le 16 octobre 2009 par un membre du Bureau dévaluation médicale concernant l’événement du 2 juin 2009. Cet avis porte sur le diagnostic, les soins ou traitements, la date de consolidation. La CSST, étant liée par cet avis, rend la décision suivante :
- Vous aviez droit aux indemnités prévues â la loi. En effet, le diagnostic de votre médecin est maintenu et nous avons déjà établi qu’il était en relation avec l’événement du 2 juin 2009. Le Bureau d’évaluation médicale ne retient que les diagnostics suivant la contusion au poignet droit, à la main droite et au pouce droit.
- Les soins ou traitements sont toujours nécessaires. La CSST continuera donc à les payer. Le Bureau d’évaluation médicale demande à ce que l’ergothérapie se poursuit [sic] encore pour une période d’un mois.
- Compte tenu que votre lésion n’est pas consolidée, nous concluons que vous continuez d’avoir droit à des indemnités de remplacement du revenu. La durée de l’indemnisation variera selon l’évolution de votre lésion.
Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de la décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.
Veuillez accepter, Madame, nos salutations distinguées.
FRANCOIS BEAUDRY
c. c. Entreprises Cara du Québec Itée
[Nos soulignements]
[44] Comme le rappelle le paragraphe 9 de l’accord conclu par les parties, « la décision rendue par la CSST en date du 21 octobre 2009 n’a fait l’objet d’aucune contestation de la part des parties au dossier ». Elle a acquis depuis un caractère final et irrévocable[14].
[45] Il s’ensuit que la contestation déposée par l’employeur le 26 novembre 2010 et dont le tribunal est saisi dans le présent dossier ne peut pas avoir pour objet la décision rendue le 21 octobre 2009.
[46] Il est donc acquis, de façon définitive, que la lésion professionnelle de la travailleuse n’était pas consolidée en date du 21 octobre 2009. La décision que la Commission des lésions professionnelles doit rendre dans le cadre de la contestation dont elle est saisie dans le présent dossier ne peut rien y changer.
[47] Conclure au contraire reviendrait à nier que la décision du 21 octobre 2009 ait eu un quelconque effet.
[48] C’est, en somme, ce que le procureur de l’employeur argue lorsqu’il soutient « qu’en date du 18 août 2010, soit la date de la seconde référence au Bureau d’évaluation médicale, un litige existait toujours au niveau de la date de consolidation de la lésion et la CSST jugeait que cette date était alors non déterminée ».
[49] Le tribunal ne partage pas cet avis.
[50] Il est vrai qu’à l’été 2010 la date de consolidation de la lésion de la travailleuse n’était pas encore arrêtée et qu’un différend subsistait à cet égard entre les médecins. Mais, on ne saurait prétendre pour autant que la décision du 21 octobre 2009 appliquant le BEM # 1 n’avait rien décidé. Car, elle avait bel et bien tranché le premier désaccord, celui qui opposait les docteurs Kiderchah et Paradis à l’été 2009, et ce, en statuant que la lésion de la travailleuse n’était pas encore consolidée en date du 21 octobre 2009.
[51] Tel que souligné précédemment, le différend entre les docteurs Trudel et Paradis que la décision du 20 octobre 2010 rendue en application du BEM # 2 a, pour sa part, tranché était tout autre. En effet, à titre de médecin traitant, le docteur Trudel était d’avis que des traitements et/ou des soins étaient encore requis à l’automne 2010, que la lésion de la travailleuse n’était donc pas encore consolidée. Le docteur Paradis, évidemment, ne partageait pas cet avis.
[52] En définitive, soutenir que le BEM # 2 aurait pu déclarer la lésion consolidée à une date antérieure au 21 octobre 2009 revient à faire comme si la décision rendue ce jour-là n’avait jamais existé. Ce serait donner à un membre du Bureau d’évaluation médicale le pouvoir de révoquer (réduire à néant) une décision que personne n’a jamais contestée.
[53] La décision rendue dans l’affaire Métoplus inc. et Racine[15] fait ressortir les conséquences incongrues d’une pareille approche :
[105] Il apparaît logique au tribunal qu’une fois que le BEM s’est prononcé sur l’un des points prévus à l’article 212 de la loi, soit le diagnostic, la date de consolidation, la nécessité ou suffisance de soins ou traitements, l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles, la seule façon de remettre en cause les éléments sur lesquels le BEM s’est prononcé est de contester, conformément à l’article 358 de la loi, la décision qui fait suite à cet avis.
[106] Permettre au BEM de se prononcer à nouveau sur un sujet visé par l’article 212 de la loi, dans des circonstances telles que celles retrouvées dans le présent dossier, aurait pour effet de reprendre autant de fois qu’une partie le désire le débat sur l’une des conclusions médicales consécutives à la lésion. De même, elle permettrait à la CSST de contester la question du diagnostic, ce que la loi ne lui permet pas de faire.
[107] À titre illustratif, une partie pourrait recourir à la procédure de BEM afin que la date de consolidation soit déterminée. Après que le BEM se soit prononcé, que la CSST ait rendu une décision reprenant les conclusions du BEM, décision confirmée par la révision administrative et que la Commission des lésions professionnelles ait tranché le débat sur la question de la consolidation, une partie qui ne serait pas satisfaite du résultat final n’aurait qu’à recourir à nouveau à la procédure d’évaluation assurée par le BEM pour recommencer le débat.
[Nos soulignements]
[54] La contestation logée le 26 novembre 2010 ne peut donc qu’avoir un objet autre que ce sur quoi la décision du 21 octobre 2009 avait déjà statué.
[55] Qu’est-ce donc ?
[56] Certes, à la suite de la décision du 21 octobre 2009, il restait encore à déterminer si et quand la lésion de la travailleuse allait devoir être considérée consolidée. Mais, pour les raisons mentionnées précédemment, cela ne pouvait être à une date antérieure au 21 octobre 2009, puisque cet aspect de la question avait déjà été décidé.
[57] La Commission des lésions professionnelles a rendu une décision conforme à ces principes dans l’affaire STM (Gestion des lésions professionnelles) et Santizo[16]. En conséquence d’un premier avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST avait déclaré que la lésion de la travailleuse n’était pas encore consolidée en septembre 2009. Cette détermination avait été maintenue par une décision à la suite de la révision administrative, laquelle décision n’avait pas fait l’objet d’une contestation à la Commission des lésions professionnelles. Le tribunal a conclu qu’il ne pouvait, dans le cadre d’un second litige dont il était saisi, retenir le 15 juin 2009 comme date de consolidation, parce qu’elle était antérieure à septembre 2009 :
[61] Ainsi, comme l’a fait le procureur de la travailleuse, décisions de la Commission des lésions professionnelles à l’appui, le tribunal souligne le fait que, en application de cette décision du 6 novembre 2009, l’employeur ne peut demander au tribunal de retenir la date du 15 juin 2009 comme date de consolidation de la lésion professionnelle. En effet, la décision du 6 novembre 2009 n’a pas été contestée.
[62] Or, bien que le tribunal ait une compétence de novo et des pouvoirs très larges, cette compétence ne lui permet cependant pas de réviser l’ensemble du dossier d’un travailleur2.
[…]
[65] Les pouvoirs du tribunal ne vont pas jusqu’à lui permettre de revenir sur des questions qui ont donné lieu à une décision finale et exécutoire de par la Loi, autrement le principe de la stabilité juridique des décisions serait sérieusement compromis5. Tel que l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Hôpital Ste-Croix6, il faut donc tenir compte « du caractère définitif et irrévocable d’une décision rendue par la CSST lorsqu’elle n’a pas été contestée ».
[66] En conséquence, le tribunal ne peut dans le présent litige remettre en question les conclusions du docteur Leclaire, membre du Bureau d'évaluation médicale, sur les diagnostics à retenir et sur la non-consolidation de la lésion professionnelle en septembre 2009.
[67] Donc, tel que le soutient le procureur de la travailleuse, en ce qui concerne la consolidation de ladite lésion, le tribunal devra statuer sur une date qui devra être postérieure à septembre 2009.
________________________
2 Forget
et Blanchard-Ness ltée,
5 Guagenti
et Mendolla,
6 Précitée
note 3 :
[Nos soulignements]
[58] Dans l’affaire Légubec inc. et Foreno-Moreno[17], le tribunal avait appliqué les mêmes principes :
[37] Le 18 décembre 2007, la CSST rend une décision en respect de l’avis précédemment émis par le docteur Léveillé. La CSST, étant liée par cet avis, déclare que le diagnostic devant être retenu est de « douleur base pouce droit d’étiologie imprécise (tendinite de De Quervain - vs - rhizarthrose) droite et gauche ».
[38] Elle précise, ensuite, qu’elle doit attendre les résultats des examens recommandés par ce médecin et que la lésion n’est donc pas consolidée.
[39] La Commission des lésions professionnelles note, au présent stade de son analyse, que cette décision n’a pas été contestée et qu’elle a donc acquis un caractère final.
[40] Par conséquent, les conclusions retenues, en respect de l’avis émis par le docteur Léveillé, le 4 novembre 2007, ne peuvent plus être remises en cause et ce, dans le cadre du présent litige soumis devant la Commission des lésions professionnelles.
[41] En effet, la Commission des lésions professionnelles n’a pas la juridiction, en l’espèce, pour modifier les conclusions retenues par la CSST au sein de la décision du 18 décembre 2007 puisque cette décision ne fut pas contestée par l’une ou l’autre des parties.
[42] En effet, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le litige dont elle est saisie provient de la décision rendue par la CSST, le 8 septembre 2008, laquelle décision fut confirmée par la décision rendue le 20 octobre 2008, à la suite d’une révision administrative.
[43] La compétence de la Commission des lésions professionnelles doit donc se limiter à analyser les conclusions issues de cette décision qui réfèrent à l’avis du BEM du 3 septembre 2008.
[44] Ainsi, dans le cadre de son analyse, la Commission des lésions professionnelles doit apprécier, plus particulièrement, les examens effectués par les docteurs Léveillé et Blanchette, les 25 août et 20 juin 2008 ainsi que le suivi médical effectué par le médecin traitant, après le 4 novembre 2007.
[45] Donc, sur le strict plan juridique, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir, comme tel, les conclusions précédemment émises par le docteur Paul O. Nadeau, le 27 juin 2007. Toutefois, ces conclusions peuvent servir de guide dans le cadre d’une analyse globale, sur le plan médical et ce, aux fins de déterminer à quelle date la lésion doit être consolidée postérieurement au BEM du 4 novembre 2007.
[Nos soulignements]
[59] Dans l’affaire Mojica et CLSC Côte-des-Neiges[18], le tribunal a déclaré irrégulier l’avis rendu par un deuxième membre du Bureau d’évaluation médicale fixant une date de consolidation antérieure à la date à laquelle un premier membre du Bureau d’évaluation médicale avait déclaré la lésion non encore consolidée. Le tribunal a dès lors déclaré nulle la décision de la CSST rendue en application de l’avis du deuxième membre du Bureau d’évaluation médicale :
[21] La Commission des lésions professionnelles considère que le fait de ne pas tenir compte des effets juridiques du premier avis du Bureau d’évaluation médicale constitue, pour le second Bureau d’évaluation médicale, une erreur de compétence. Le docteur Stephan émet son avis le 1er avril 1999 en faisant « rétroagir » la date de consolidation au 27 juillet 1998, sans tenir compte de la compétence déjà exercée par le docteur Lafond qui statue que le 18 novembre 1998 que la lésion n’est toujours pas consolidée, qu’il y a nécessité de poursuivre l’investigation médicale ainsi que les soins ou traitements.
[22] Dans un tel contexte, la compétence du second Bureau d’évaluation médicale ne pouvait s’exercer qu’après la date du 18 novembre 1998. En tant qu’organisme chargé d’émettre un avis selon la procédure d’évaluation médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la LATMP), le Bureau d’évaluation médicale avait exercé et épuisé sa compétence le 18 novembre 1998, plus particulièrement en l’espèce, concernant les questions d’ordre médical que sont la date de consolidation et la nécessité de soins ou traitements pour la lésion professionnelle du 23 janvier 1998. La compétence du second Bureau d’évaluation médicale chargé d’émettre un avis, sur ces mêmes questions, ne pouvait s’exercer qu’à la suite de la période sur laquelle la compétence fut préalablement exercée.
[…]
[25] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime bien fondée la question préliminaire soulevée et se doit de constater l’irrégularité de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 1er avril 1999 et d’infirmer la décision rendue portant sur cet avis.
[Nos soulignements]
[60] Une situation similaire a fait l’objet de la décision récemment rendue dans l’affaire Lemay et Transport A. Laberge & Fils inc.[19] :
[33] Le 17 mars 2011, le premier membre du Bureau d’évaluation médicale ne consolide pas la lésion. Le 3 mai 2011, le deuxième membre du Bureau d’évaluation médicale fait rétroagir la date de consolidation au 14 septembre 2010.
[34] Sans égard à la justification médicale, du point de vue légal, ce second avis équivaut à une révision du premier.
[35] Or, le Bureau d’évaluation médicale ne possède pas de pouvoir de révision. Il doit tenir compte d’un avis précédemment rendu. Il l’a d’ailleurs fait, en tenant compte des diagnostics retenus dans l’avis précédent, pour se prononcer sur les questions dont il est saisi. Pour respecter ces principes, le second membre du Bureau d’évaluation aurait dû fixer la date de consolidation entre celle de l’avis du 17 mars 2011 et celle de son propre examen, le 27 avril 2011.
[36] Rappelons que le travailleur ne conteste pas l’avis du 17 mars 2011 concernant la non consolidation de sa lésion mais conteste le second avis en demandant de fixer la date de consolidation au jour de l’examen de la docteure Haziza le 26 juillet 2011.
[37] Le tribunal procède de novo et peut tenir compte de la preuve subséquente au second avis pour fixer la date de consolidation. Toutefois, l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 17 mars 2011 n’étant pas contesté sur la question de la consolidation, le tribunal ne pourra fixer une date qu’à compter du 18 mars 2011.
[Nos soulignements]
[61] La décision rendue dans l’affaire Matériaux Économiques inc. et Magny[20] est au même effet, quant aux principes :
[28] Or, malgré les allégués de la requête de la CSST, le tribunal, à l’audience, a soulevé d’emblée aux deux procureurs la question de savoir si l’accord entériné par le premier juge pouvait porter sur la qualification du diagnostic d’entorse périscapulaire gauche à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 31, puisqu’une décision antérieure, finale et irrévocable avait déjà statué sur cette question de l’existence d’une lésion professionnelle par le biais d’une décision rendue par la CSST le 28 février 2006. Le tribunal a permis aux deux procureurs de débattre de la question soulevée par le tribunal à l’audience et un délai fut accordé à ces derniers pour produire des autorités ou une argumentation écrite complémentaire sur cette question précise.
[29] Le tribunal est d’avis que cette question posée par le tribunal est déterminante, puisque, en effet, l’accord ne pouvait aucunement porter sur la qualification du diagnostic d’entorse périscapulaire à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 31 puisqu’une décision finale et irrévocable avait déjà été émise sur l’existence de la lésion professionnelle antérieurement. En conséquence, il n’est d’aucune utilité de statuer sur le motif soumis initialement par la CSST dans sa requête visant à démontrer l’absence totale de preuve sur la question de l’article 31.
[…]
[36] Ce sont uniquement ces deux sujets qui pouvaient être traités initialement s’il y avait eu audience devant la Commission des lésions professionnelles en l’absence d’entente entre les parties à la suite d’une conciliation. Le principe est le même, lorsque les parties tentent de conclure un accord en vertu des articles 429.44 et 429.46 de la loi. Cette décision, s’il y avait eu audience, et l’accord ne peuvent que porter sur les objets en litige.
[…]
[40] Or, toute cette question de l’admissibilité du diagnostic d’entorse périscapulaire avait déjà été traitée antérieurement et réglée par une décision de la CSST du 28 février 2006. En effet, par sa décision du 28 février 2006, la CSST avait reconnu le diagnostic d’entorse périscapulaire gauche en relation avec l’événement survenu initialement le 14 octobre 2005 suite à un avis émis par un BEM le 16 février 2006. Si les parties n’étaient pas satisfaites de l’admissibilité du diagnostic d’entorse périscapulaire à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi, ces dernières devaient en conséquence contester cette dernière décision, ce qu’elles n’ont pas fait.
[41] En concluant un accord postérieurement dans le cadre de contestations sans lien avec la question de l’admissibilité du diagnostic d’entorse périscapulaire, les parties se trouvaient en conséquence à se saisir d’un litige en rapport avec une décision finale et irrévocable rendue antérieurement. En entérinant cet accord, le tribunal commettait ainsi une erreur manifeste et déterminante de nature à invalider sa décision le 28 février 2008.
[Nos soulignements]
[62] Enfin, la même approche a été récemment appliquée dans une décision statuant sur une requête en révision[21] :
[24] Avec respect, le premier juge administratif, même s’il croyait approprié de se prononcer sur la date de la récidive, rechute ou aggravation, ce qui peut faire partie des pouvoirs dévolus au tribunal. Mais, en l’espèce, il ne pouvait faire rétroagir le droit à l’indemnité de remplacement du revenu plus de deux ans avant et, de surcroît, au moment de la consolidation de la lésion professionnelle initiale. Ce faisant, il s’est attribué le pouvoir de se prononcer sur une question qui ne faisait pas partie de l’objet du litige, et même, il s’est trouvé à passer outre au caractère définitif et irrévocable des décisions antérieurement rendues par la CSST.
[25] Selon la jurisprudence, se saisir d’une question qui ne fait pas partie de l’objet de la contestation constitue un vice de fond6. De même, ne pas respecter ou passer outre au caractère final et irrévocable d’une décision et en modifier les conclusions s’apparente constitue une erreur manifeste équivalente à un vice de fond7.
[26] En l’espèce, le premier juge administratif n’a pas modifié la date de la récidive, rechute ou aggravation de quelques jours, mais il a fait rétroagir le droit à l’indemnité de remplacement du revenu à la date de consolidation des lésions professionnelles initiales, statuant que la lésion de la rechute existait à cette date. Ce faisant, le premier juge administratif a passé outre aux décisions antérieurement rendues et non contestées.
________________________
6 Maltais
et Atelier de meubles,
7 Chevalier
et CSST,
[Nos soulignements]
[63] À la lumière de ces enseignements, il est possible de circonscrire l’objet de la contestation dont le tribunal est saisi dans le présent dossier.
[64] Bien sûr, il s’agit toujours de déterminer si la lésion professionnelle subie par la travailleuse est consolidée ou non et, dans l’affirmative, d’établir à quelle date. Mais, le recours exercé vise la décision rendue le 20 octobre 2010 (confirmée par celle du 19 novembre 2010) à ce sujet et non pas celle du 21 octobre 2009, puisque cette dernière n’a jamais fait l’objet d’une demande de révision administrative. N’étant pas saisie de cette dernière décision, la Commission des lésions professionnelles ne saurait statuer une seconde fois sur son contenu.
[65] À l’intérieur de ce cadre précis, il n’était plus possible, en octobre 2011, de déclarer la lésion professionnelle consolidée en date du 6 juillet 2009 - comme le suggérait le docteur Paradis -, car cela revenait à statuer une seconde fois sur la matière décidée le 21 octobre 2009, et ce, sans que les recours requis pour permettre au tribunal de le faire n’aient été exercés.
[66] Or, l’article 369 de la loi est clair : la Commission des lésions professionnelles « statue sur les recours formés en vertu » de certains articles de la loi. Dans le présent cas, c’est l’article 359 qui aurait reçu application si l’une ou l’autre des parties avait exercé le recours approprié après que celui prévu à l’article 358 l’eût été à l’égard de la décision rendue le 21 octobre 2009 :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
__________
1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[67] Rien de tout cela n’a été fait. Les parties n’ont pas saisi la Commission des lésions professionnelles de la décision déclarant que la lésion professionnelle de la travailleuse n’était pas encore consolidée en date du 21 octobre 2009.
[68] Dans le cadre d’un autre recours, celui-là visant une autre décision (celle du 20 octobre 2010 confirmée par celle du 19 novembre 2010), les parties ne pouvaient saisir la Commission des lésions professionnelles de cette même question.
[69] Par voie de conséquence, elles ne pouvaient convenir, dans le cadre de cet autre recours, d’une date de consolidation de la lésion antérieure au 21 octobre 2009, comme celle du 6 juillet 2009 qui a été retenue. Telle détermination « débordait le cadre de l’objet en litige », pour reprendre l’expression consacrée par la jurisprudence.
[70] En effet, l’objet du litige dont la Commission des lésions professionnelles est maintenant saisie a trait à la consolidation de la lésion professionnelle de la travailleuse après le 21 octobre 2009, mais pas avant.
[71] En convenant que la lésion était consolidée en date du 6 juillet 2009, les parties ont conclu un accord qui n’est pas conforme à la loi.
[72] En entérinant un accord non conforme à la loi, la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révocation de sa décision[22].
[73] La requête de la CSST est donc bien fondée.
[74] Avant d’énoncer le dispositif de la présente décision, il y a lieu de faire certains commentaires en rapport avec un sujet abordé lors de l’audience du 25 mai 2012, à l’initiative du soussigné.
[75] À cette occasion, j’ai posé les questions suivantes aux procureurs des parties : « Estimez-vous que la jurisprudence du tribunal traitant de l’effet d’une décision rendue en vertu de l’article 224.1 de la loi sur une décision antérieure trouve application dans le présent cas ? Dans l’affirmative, la décision rendue le 20 octobre 2010 (en conséquence du BEM # 2) a-t-elle remplacé ou non celle du 21 octobre 2009 (en conséquence du BEM # 1) ? Si oui, s’est-il agi d’un remplacement total ou partiel ? »
[76] J’ai alors invité les parties à soumettre une argumentation additionnelle à ce sujet, si elles le désiraient. Les procureurs de l’employeur et de la CSST se sont prêtés de bonne grâce à cet exercice ; je leur en sais gré.
[77] Le questionnement du tribunal faisait écho aux paragraphes 21 et 22 de la requête en révocation présentée par la CSST alléguant que la décision rendue le 11 octobre 2011 par le premier juge administratif comporte « une erreur de droit manifeste et déterminante », en ce qu’elle va à l’encontre de la règle de la stabilité des décisions en entérinant un accord « non-conforme à la loi » (paragraphes 23 et 24 de la requête).
[78] Selon la jurisprudence du tribunal citée précédemment[23], l’un des critères servant à déterminer si une entente est conforme ou non à la loi est effectivement celui voulant qu’elle « doit respecter la législation et la réglementation pertinentes ».
[79] À l’évidence, l’article 224.1 de la loi est ici particulièrement « pertinent », puisqu’il se situe au cœur même du litige dont le tribunal est saisi. En effet, la décision rendue le 20 octobre 2010 en conséquence du BEM # 2 a fixé la date de consolidation de la lésion professionnelle de la travailleuse au 23 septembre 2010, alors qu’en date du 24 septembre 2010, le docteur Trudel, en sa qualité de médecin qui a charge, était d’avis que des traitements de physiothérapie étaient encore requis.
[80] D’où l’intérêt de voir si la décision d’entérinement respecte ou non les dispositions de l’article 224.1 de la loi, et ce, à la lumière de la jurisprudence ayant interprété le sens et la portée de cet article.
[81] Dans le présent cas, cet exercice devait cependant tenir compte des paramètres particuliers suivants.
[82] Lorsque le tribunal exerce sa fonction d’entérinement d’un accord conclu par les parties, son rôle est différent de celui qui lui est habituellement dévolu à la suite d’une enquête et audition. Il s’ensuit que l’obligation de motiver la décision s’en trouve modifiée, puisque, aux termes du second alinéa de l’article 429.46 de la loi, l’accord « constitue la décision de la Commission des lésions professionnelles » :
429.46. Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.
Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.
Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[83] La Commission des lésions professionnelles a souligné cette particularité dans l’affaire Trépanier et Natrel[24], de même que l’impact qu’elle a sur l’analyse à laquelle il y a lieu de se livrer dans la prise en considération d’une requête en révision ou en révocation visant la décision d’entérinement :
[41] Or la portée de l’obligation de motivation (art. 429.50 de la loi) doit nécessairement être nuancée dans le cadre d’une décision entérinant un accord. Dans cette affaire, le juge Léger explique que la motivation implique un exercice d’analyse et d’introspection. Il constate que la décision rendue «ne contient aucune appréciation de la preuve entendue et analysée».
[42] Le juge administratif qui entérine un accord n’a pas à faire cet exercice d’analyse de la preuve, cela atténue l’obligation de motivation. Dans une décision récente, Gestion Ressources Richer inc. et Lemire13, où la CSST fait ce même reproche d’une motivation insuffisante pour une décision entérinant un accord, la Commission des lésions professionnelles rejette cette prétention :
[47] En ce qui a trait aux arguments concernant l'emploi convenable, il y a lieu d'emblée d'écarter celui voulant que la juge administratif ait commis une erreur, en ne motivant pas sa décision d'entériner l'accord sur cette question. Le rôle dévolu au commissaire en vertu de l'article 429.46 de la loi consiste à entériner l'accord après avoir vérifié sa conformité à la loi et il n'a pas à indiquer les raisons qui l'amènent à considérer que l'accord est conforme à la loi.
[43] Certes il aurait été souhaitable dans le présent dossier que l’accord soit davantage élaboré. Cependant la révision ne constitue pas un mécanisme de contrôle de la qualité et, dans le cadre de l’entérinement d’un accord, c’est de la conformité à la loi qu’il faut s’assurer. Il n’y a pas d’erreur à cet égard.
[Nos soulignements]
[84] Dans l’Argumentation supplémentaire de la partie intimée que le procureur de l’employeur a déposée, la réponse donnée au questionnement du tribunal s’articule de la manière suivante :
8. Selon la jurisprudence largement majoritaire du tribunal, à laquelle souscrit la partie intimée, la décision rendue en conséquence par la CSST a pour effet de remplacer la décision initiale portant sur le même objet dans la mesure où l’avis initial du médecin qui a charge est infirmé par l’avis du BEM;
9. Cette position est notamment étayée dans l’affaire Masse et Nova Bus Corp1. Dans cette décision, la CLP précise que ce raisonnement ne va pas à l’encontre du principe de stabilité des décisions et répond à l’objet de la loi:
« Effectivement, il est équitable qu’une partie, qui se croit lésée par la décision en conséquence qui découle du processus de contestation médicale aboutissant en des conclusions médicales différentes de celles qui lient la CSST jusque là, ait l’opportunité de faire valoir son point de vue par rapport à ces nouvelles conclusions médicales et à leur effet juridique.
Le principe de stabilité des décisions, par ailleurs, est respecté dans la mesure où la seule décision donnant ouverture à l’exercice du droit de contester est celle qui fait suite à un avis médical infirmant la conclusion médicale à l’origine de la décision, laquelle découle d’un processus bien encadré par la loi et ne prend pas les parties per surprise. »
10. Cette position est également soutenue par la CL.P dans l’affaire Divex Marine Inc. et BujoId2. Dans le cadre de cette décision, le commissaire souligne le caractère impératif de l’article 224.1 et conclut que son application permet d’affecter la stabilité d’une décision, non seulement sur le plan médical, mais aussi sur les aspects légaux qui découlent des conclusions médicales infirmées:
« Qu’en est-Il de la stabilité des décisions? Une décision n’est stable que lorsqu’elle ne peut être modifiée. Or, outre les articles 359 et 359.1 qui permettent de contester une décision rendue per la CSST, le législateur a prévu des mécanismes qui ont pour effet de permettre è la CSST de modifier elle-même une décision dans diverses circonstances.
(...)
De plus, à l’article 224.1, le législateur a prévu un mécanisme permettent à la CSST de rendre une nouvelle décision suite à la modification des conclusions du médecin qui a charge d’un travailleur, par le membre du Bureau d’évaluation médicale. D’ailleurs, la CSST n’a pas de couvoir discrétionnaire en la matière, d’abord parce qu’elle est liée par les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale et que la législateur a écrit, non pas qu’elle peut rendre, mais qu’elle rend (notre soulignement) une décision en conséquence. Cette disposition a un caractère impératif qui ne prête pas à équivoque.
On doit donc, comme l’a exprimé le juge Chamberland dans l’affaire Desrivières et General Motors du Canada, considérer l’article 224.1 au même titre que l’article 365. La Commission des lésions professionnelles considère qu’il est donc possible en vertu de l’article 224.1, d’affecter la stabilité d’une décision, non seulement sur le plan médical, mais aussi sur les aspects légaux qui découlent des conclusions médicales infirmées, et ce, selon la volonté même du législateur. »
(nos soulignés)
11. Soulignons également que la Cour d’appel, dans l’affaire Griffiths c. Arschinoff & Cie ltée3 a jugé que cette position n’était pas manifestement déraisonnable, étant conforme à l’obligation que comporte l’article 224.1;
12. Le corpus jurisprudentiel de la CLP relativement à la théorie du remplacement s’est développé en grande partie en fonction de la détermination du diagnostic;
13. De l’avis de l’intimée, la jurisprudence majoritaire de la CLP s’avère juste en ce qui concerne le remplacement de la décision initiale lorsqu’il est question du diagnostic, notamment parce que la détermination du diagnostic sur le plan médical doit précéder et non se confondre avec ou suivre l’analyse de la relation causale;
14. La théorie du remplacement trouve par ailleurs application lorsqu’il est question des autres sujets prévus à l’article 212;
________________________
1
2
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[Nos soulignements]
[85] J’en retiens que, selon l’employeur, une décision rendue en conséquence de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale a, en vertu de l’article 224.1 de la loi, un effet de remplacement d’abord sur la question d’ordre médical concernée et ensuite sur les aspects légaux en découlant.
[86] Aux paragraphes 15 à 22 de son argumentation supplémentaire, le procureur de l’employeur réfère ensuite le tribunal à cinq décisions de la Commission des lésions professionnelles[25] ayant appliqué la théorie du remplacement total à des situations où le sujet médical en cause était autre que le diagnostic, soit la nécessité ou la suffisance de traitements, d’une part, et l’atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle, d’autre part.
[87] Au terme de cette revue de jurisprudence, le procureur de l’employeur conclut comme suit, au paragraphe 23 de son argumentation supplémentaire :
23. II appert donc de la jurisprudence majoritaire de la CLP qu’une décision Initiale portant sur l’un des sujets listés é l’article 212 est remplacée par l’effet de l’article 224.1 au terme du processus d’évaluation médicale et que ce mécanisme, prévu à même la loi, n’est pas contraire au principe de stabilité des décisions;
[88] Je note que l’employeur ne cite aucune décision ayant appliqué la théorie du remplacement total en vertu de l’article 224.1 à un cas où, comme ici, le sujet médical en cause était celui de la date de consolidation de la lésion. Pour ma part, je n’en ai pas répertorié aucune, non plus.
[89] Évidemment, dans sa propre argumentation supplémentaire, la procureure de la CSST en arrive à une conclusion tout autre et conclut que la théorie du remplacement ne s’applique pas au cas sous étude :
16. Cette théorie ne s’applique que dans le cas où le diagnostic de la lésion professionnelle est contesté au BEM;
(…)
20. (…) Cette exception au principe de la stabilité des décisions doit être interprétée de façon restrictive afin de ne pas faire renaître des droits qu’une partie n’a pas valablement exercés à l’étape de la décision initiale et lui permettre de faire indirectement ce que la loi ne lui permet pas de faire directement. (…) ;
(…)
41. En
conséquence, nous vous soumettons que l’article
[90] Assurément, devant le constat que cette théorie jurisprudentielle a effectivement été appliquée dans des affaires où le sujet médical en cause était autre que celui du diagnostic, la question de savoir si elle trouve application en l’espèce est sérieuse et mérite d’être considérée avec attention.
[91] Si j’en étais venu à la conclusion que ladite théorie du remplacement total s’applique au présent cas, j’aurais probablement conclu que, dans la décision d’entérinement qu’il a rendue, le premier juge administratif a implicitement opté pour ce courant jurisprudentiel.
[92] Selon un tel scénario, il n’y aurait pas eu lieu d’intervenir en révision, puisqu’à toutes fins que de droit, la décision d’entérinement retenait ainsi l’une des interprétations de l’article 224.1 de la loi que la jurisprudence du tribunal reconnaît comme étant appropriée. Je n’aurais pas alors conclu que la décision rendue le 11 octobre 2011 comporte une erreur grave, manifeste et déterminante, soit un vice de fond de nature à l’invalider.
[93] Mais, étant donné la conclusion à laquelle j’en suis précédemment arrivé, à savoir que l’accord n’est pas conforme à la loi pour cet autre motif qu’il déborde le cadre de l’objet du litige dont le tribunal est saisi, il n’est pas utile de répondre aux questions que j’ai moi-même posées aux parties.
[94] Elles demeurent donc, pour être éventuellement résolues lorsqu’il sera opportun de le faire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 11 octobre 2011 ;
CONVOQUERA les parties à une audience sur le fond de la requête déposée par Entreprise Cara du Québec ltée, le 26 novembre 2010.
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Jean-François Martel |
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Me Don Alberga |
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NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L. |
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Procureur d’Entreprise Cara du Québec ltée |
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Monsieur Patrick MacKay |
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TRAVAILLEUR C.A. (LOCAL 698) |
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Représentant de madame Helen Charlebois |
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Me Josée Blain-Landreville |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Procureure de la CSST |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve,
[3] Bourassa c. Commission
des lésions professionnelles,
[4] Tribunal administratif du Québec c. Godin,
[5]
[6]
[7] CSST c. Touloumi,
[8] Donohue : Victoria et 3131751 Canada inc., C.L.P. 166678-72-0108,
1er décembre 2005, B. Roy ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P.
[9] Plomp c. Turcotte et al. et Centre
Hospitalier de St-Mary,
[10]
[11] Voir entre autres : Services Matrec inc. et Ringuette,
C.L.P.
[12] C’est le seul aspect de l’objet de la contestation qui est pertinent aux fins de la présente décision.
[13] L’examen de la travailleuse par le membre du Bureau d’évaluation médicale a eu lieu le 18 septembre 2009.
[14] Voir, entre autres : Gauthier c. Pagé et Les
Industries Valcartier inc., C.A. Québec, 200-09-000395-860, 1er
mars 1988, jj. Rothman, Chouinard, LeBel ; Chevalier et CSST,
[15]
[16]
[17]
[18] C.L.P.
[19]
[20]
[21] Caron et Volvo
de Brossard,
[22] Voir : Perron et Cambior inc. ainsi que Cambior (Mine
Doyon - Fermée) déjà citées aux notes 10 et 11. Aussi : CSSS
Drummond et Martin,
[23] Voir la décision Perron et Cambior citée au paragraphe 29 des présentes et la jurisprudence mentionnée au paragraphe 42 de celle-ci ainsi que les décisions mentionnées à la note 11.
[24]
[25] Larocque et Création Visu inc.,
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