Spain c. Mode JE Fashion |
2017 QCCQ 5307 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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LOCALITÉ DE |
GATINEAU |
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« Chambre civile » |
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N° : |
550-32-023242-164 |
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DATE : |
18 mai 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE STEVE GUÉNARD, J.C.Q. |
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TONY SPAIN |
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Demandeur |
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c. |
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LA MODE J.E. FASHION |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur Tony Spain (ci-après M. Spain) réclame de la défenderesse le paiement de la somme de 213,23$ suite à l’achat d’une paire de bottes d’hiver, le 4 décembre 2015, auprès de la défenderesse.
[2] M. Spain réclame, par ailleurs, l’annulation du contrat de vente desdites bottes vu que celles-ci n’ont pu, soumet-il, être utilisées d’une manière conforme à la Loi sur la protection du consommateur.[1](ci-après LPC)
[3] La défenderesse conteste la réclamation sur la base que la vente desdites bottes était soumise à leur politique interne de « non-remboursement mais seulement d’échange ». La défenderesse soumet également que M. Spain a agi de manière déraisonnable en refusant les autres options lui ayant été offertes, dont l’obtention d’un crédit pour n’importe quel article en magasin.
QUESTION EN LITIGE
[4] M. Spain a-t-il démontré son droit d’annuler le contrat conclu avec la défenderesse et a-t-il droit au remboursement demandé ainsi qu’aux dommages réclamés?
LA PREUVE SOUMISE DEVANT LE TRIBUNAL
La preuve en demande
[5] M. Spain témoigne devant le Tribunal.
[6] Il indique qu’il est à la recherche, le 4 décembre 2015, d’une paire de bottes d’hiver.
[7] Il se rend donc chez la défenderesse. Il essaie 4 ou 5 paires de bottes mais seule une marque fonctionne pour son pied. « J’ai le dessus du pied fort, j’ai de la difficulté à me chausser » - précisera-t-il.
[8] Les bottes sont achetées pour le coût de 51,73$[2], toutes taxes incluses.
[9] Le surlendemain, soit le 6 décembre, il chausse lesdites bottes pour la première fois, le tout, dans le but de prendre une marche avec sa conjointe.
[10] Après une durée d’environ 30 minutes, peut-être un peu plus, M. Spain perd le talon de sa botte droite, la semelle vers l’avant se déchire. Il enlève ladite botte.
[11] Sa conjointe, qui l’accompagne, rit de bon cœur et le taquine en lui disant, que de toute façon, il se fera rembourser vu l’état lamentable des bottes.
[12] Revenu à la maison, M. Spain constate que la botte gauche commence également à fendre.
[13] Quatre jours plus tard, il retourne chez la défenderesse et demande d’être remboursé du montant payé.
[14] La défenderesse, par ses représentantes, refuse. Elle mentionne qu’il s’agit d’une « vente finale »[3] et qu’elle a une politique de non-remboursement qui apparait d’ailleurs à quelques endroits dans le magasin[4].
[15] La défenderesse offre à M. Spain de lui remettre une paire de bottes identique ou de lui offrir un crédit au montant de l’achat, et ce, pour n’importe quel article en magasin. « Vous pourriez acheter des sandales pour votre épouse » précise l’employée de la défenderesse.
[16] M. Spain refuse. Il exige le remboursement de la somme payée, soit 51,73$. Il souhaitait acheter des bottes d’hiver, « pas des sandales pour l’été, qui est encore loin », précise-t-il.
[17] M. Spain explique qu’il ne souhaite pas obtenir une botte de marque identique vu la mésaventure survenue avec la première paire de bottes. Quant à l’offre de crédit, il la refuse car il n’a pas l’intention d’acheter autre chose dans le magasin.
[18] Quant aux autres modèles de bottes, il ne souhaite pas en acquérir une paire car ceux-ci ne sont pas adaptés à son pied.
[19] M. Spain précise qu’il aurait accepté de procéder à un échange avec l’un des autres modèles de bottes si celles-ci ne lui causaient pas de douleur ou de désagrément. Or, tel n’est pas le cas.
[20] M. Spain pointe[5] l’employée en lui disant qu’il souhaite être remboursé et qu’à défaut, qu’il soumettra son dossier devant la Division des petites créances.
[21] Le Tribunal a pu visualiser les bottes en question.[6] Il apparait clairement que celles-ci sont en partie, du moins la botte droite, démantibulées. Soit cette botte n’était pas neuve, soit elle était affectée d’un grave vice de fabrication, soit elle a été utilisée de manière intempestive et abusive par M. Spain. Nous y reviendrons mais une chose est certaine, les bottes en question n’ont pas l’apparence de bottes ayant servi pendant environ 30 minutes alors qu’elles viennent d’être achetées neuves quelques jours auparavant.
[22] M. Spain réclame donc le remboursement du montant payé, ainsi qu’un montant de 50$ pour les inconvénients causés. Il envoie une mise en demeure[7] le 15 décembre 2015.
[23] La conjointe de M. Spain, Mme Lynda Côté, témoigne également. Elle confirme le témoignage de son conjoint et ajoute que l’épisode où son mari perd littéralement sa boite droite est un moment amusant à ses yeux. Elle rit de bon cœur, à ce moment, de son mari. Elle lui dit de ne pas s’en faire outre-mesure. Elle confirme, à sa connaissance, qu’il s’agissait de la première utilisation des bottes par M. Spain.
La preuve en défense
[24] En défense, le propriétaire de la défenderesse, M. Ted Atrill, témoigne.
[25] Il mentionne, d’entrée de jeu, qu’il trouve exagéré la réclamation de M. Spain. Une demande de remboursement de 51,73$ s’est transformée en une réclamation de 213$, dira-t-il.
[26] Il reproche à M. Spain son comportement désobligeant lorsque ce dernier rapporte les bottes, bien qu’il n’ait pas été présent à ce moment au commerce.
[27] Il reproche à M. Spain certaines inconsistances dans sa version de l’histoire, notamment quant à la durée de cette première marche, qui varie, selon les moments, de 20 à 45 minutes.
[28] M. Atrill exhibe au Tribunal une paire neuve de bottes, de la même marque, et soumet que les bottes de M. Spain ont potentiellement été utilisées de manière abusive, et ce, pour se retrouver dans un tel état à peine quelques jours après la vente.
[29] Mme Mery Sanchez témoigne également pour la défenderesse. Elle n’est pas présente au commerce lors de la vente des bottes mais y est lorsque M. Spain y revient quelques jours plus tard.
[30] Elle indique que M. Spain est « bien fâché » et qu’il refuse les autres options soumises. Il tient à son remboursement. Sinon, il soumettra le tout à la Cour. Il ne veut aucun autre article du magasin, car « c’est toute de la cochonnerie ».[8]
[31] Mme Sanchez indique au Tribunal que la défenderesse n’est pas « à cheval » sur le respect méticuleux de sa politique de non-remboursement. En effet, précise-t-elle, et en particulier en présence de clients sympathiques, elle acceptera d’allonger un peu la période pendant laquelle un échange est possible.
[32] Par contre, lorsqu’elle constate l’état des bottes qui sont ramenées par M. Spain, sa première réaction est de se dire « Oh my God! ». C’est pour cela qu’elle offre, dit-elle, un crédit à M. Spain.
ANALYSE ET DÉCISION
[33] Le Tribunal note d’emblée qu’il est malheureux que les parties, en l’espèce, n’aient pas réussi à trouver une solution à leur différend qui possède une valeur en litige aussi peu élevée.
[34] Ceci étant dit, le contrat en l’espèce est un contrat de vente, qui est soumis à la LPC. M. Spain est un consommateur, la défenderesse est un commerçant.[9]
[35] Le Tribunal juge approprié de citer les articles 34, 37, 38 et 272 de la LPC :
GARANTIES
34. La présente section s’applique au contrat de vente ou de louage de biens et au contrat de service.
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:
a) l’exécution de l’obligation;
b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.
[nos soulignements]
[36] Il revenait à M. Spain de démontrer, par prépondérance de preuve, son droit à l’annulation du contrat conclu ainsi que son droit aux dommages réclamés. À ce sujet, les articles 2803 à 2805 énoncent ce qui suit :
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver.
[37] En l’espèce, la preuve prépondérante démontre que les bottes achetées le 4 décembre 2015, deviennent, au moins en ce qui concerne la botte droite, inutilisables, à peine 48 heures après.
[38] Les bottes en question ne peuvent donc pas servir à leur « usage normal », au sens des dispositions précitées.
[39] Ainsi, M. Spain a droit à l’annulation de la vente, et à ce titre[10], il a le droit d’être remboursé de la somme payée pour les bottes, soit 51,73$.
[40] Comme le mentionne l’Honorable Juge Céline Gervais, J.C.Q., dans l’affaire Brunet c. 9147-2241 Québec inc.[11] :
[10] Comme il a été expliqué à la représentante de Mode Kuki lors de l’audition, la Loi sur la protection du consommateur[1] prévoit que tout bien vendu fait l’objet d’une garantie de qualité et de durabilité. Des mentions telles que celles apparaissant à la facture ne peuvent être invoquées à l’encontre d’un retour de marchandise fondé sur un vice de la chose vendue. Le commerçant a alors l’obligation de rembourser le prix d’achat en retour du bien acheté.
[41] En effet, tant la mention « Vente finale » sur la facture que la politique interne de non-remboursement ne peuvent anéantir les droits de M. Spain. Les bottes furent vendues à M. Spain comme étant des bottes neuves et elles n’ont clairement pas pu être utilisées à ce titre pendant une durée raisonnable.
[42] En effet, comme le mentionne l’Honorable Juge Serge Champoux, J.C.Q., dans l’affaire Olsen c. Jalbert[12] :
[11] Qu'on analyse la vente entre la demanderesse et la défenderesse sous l'angle de la garantie de qualité prévue dans le Code civil du Québec (article 1726 C.c.Q.) ou celle prévue à la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. chapitre-40.1 (articles 37 et 28), le résultat est substantiellement le même. Le bien vendu doit pouvoir servir aux fins auxquels il est destiné, pour une période raisonnable, eut égard à sa nature, à son prix et à l'usage qui en est fait.
[12] Il n'y a aucune mention sur la facture qu'il s'agisse d'une vente "finale" ou faite sans garantie, mais même si une telle mention s'y était trouvée, cette exclusion de garantie n'aurait été d'aucun secours à la défenderesse. L'article 261 de la Loi sur la protection du consommateur énonce plus précisément ce qui suit:
"261. On ne peut déroger à la présente loi par une convention particulière.
[13] Le fait que le bien soit vendu à rabais n'a pas non plus de pertinence sur l'existence ou non de cette garantie, contrairement à ce que la défenderesse semble croire.
[nos soulignements]
[43] L’article 10 LPC abonde dans le même sens.
[44] La Loi sur la protection du consommateur est une loi d’ordre public.
[45] Quant à la mention de la défenderesse à l’effet que les dommages à la botte résultent potentiellement d’une utilisation abusive des bottes par M. Spain, il revenait à la défenderesse et à M. Atrill de le démontrer, et ce, par prépondérance de preuve.
[46] Cet élément soulevé par M. Atrill relève plus de l’hypothèse qu’autre chose. À tout événement, la preuve prépondérante de cette mauvaise utilisation n’est pas faite par la défenderesse.
[47] Quant aux dommages réclamés, pour les inconvénients, et se chiffrant à une somme de 50$, le Tribunal n’accordera pas ceux-ci. En effet, la conjointe de M. Spain a témoigné à l’effet que l’événement survenu lors de la marche avec son conjoint était plutôt loufoque. Quant à M. Spain, il a mentionné au Tribunal qu’il n’insistait pas pour cette réclamation - avant d’être repris par sa conjointe qui souhaitait qu’il maintienne celle-ci.
[48] À tout événement, le Tribunal fera siens les commentaires de l’Honorable Juge Jacques Lachapelle, J.C.Q. dans l’affaire Lafontaine c. Italmelodie inc.[13], lorsqu’il mentionne :
Le demandeur réclame également 75$ à titre de dommages-inconvénients. Le Tribunal estime que les inconvénients subis par le demandeur sont minimes et qu’il n’y a pas lieu d’accorder des sommes sur ce chapitre.
[49] En l’espèce, la preuve ne démontre pas d’inconvénients particuliers, à tout événement, la preuve n’en a pas été faite de manière prépondérante. Ainsi, le Tribunal ne fera pas droit à la réclamation en dommages.
[50] Quant à la demande de M. Spain pour le remboursement des frais de justice (11.50$ pour les frais associés à sa lettre de mise en demeure par courrier recommandé) et de 100$ pour les frais de timbre judiciaire, le Tribunal se réfère à l’article 340 du Code de procédure civile qui énonce ceci :
340. Les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le tribunal n’en décide autrement.
[51] En l’espèce, le Tribunal ne voit pas de raison de déroger de la règle habituelle. Ainsi, les frais de justice réclamés seront accordés à M. Spain.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la demande du demandeur;
ANNULE le contrat intervenu le 4 décembre 2015 entre les parties;
CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 51,73$, avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du 15 décembre 2015, soit la date de la mise en demeure;
LE TOUT, avec les frais de justice totalisant la somme de 111,50$.
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__________________________________ STEVE GUÉNARD, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
17 mai 2017 |
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[1] RLRQ c P-40.1
[2] Pièce P-2.
[3] Comme il appert d’ailleurs de la facture P-2, ce qui est reconnu par M. Spain.
[4] Et qui apparaissent de photos produites en preuve par la défenderesse, à titre de Pièce D-1. Le fait que
les affiches existent et sont visibles, le jour de la vente, dans le magasin est admis par M. Spain.
[5] Les parties ne s’entendent pas sur le niveau d’agressivité de M. Spain - la défenderesse admettant qu’il
n’a pas crié, M. Spain précisant qu’il a pointé de « manière sympathique ».
[6] Qui furent produites par M. Spain à titre de pièce P-1.
[7] Pièce P-3.
[8] M. Spain nie fermement avoir utilisé cette formulation.
[9] Le tout au sens de la définition de la notion de « consommateur » prévu à l’article 1 e) de la LPC.
[10] Et conformément à l’article 272 LPC et 1606 du Code civil du Québec.
[11] 2015 QCCQ 9077.
[12] 2010 QCCQ 3643.
[13] 2004 CanLII 22862. (QCCQ)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.