Décision

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Collège des médecins du Québec c. Le Sieur

2024 QCCQ 5635

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre criminelle et pénale »

 :

400-61-088921-246

 

 

 

DATE :

15 octobre 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MONSIEUR

GHISLAIN LAVIGNE, J.P.M.

______________________________________________________________________

 

 

COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC

Poursuivant

c.

JEAN LE SIEUR

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

(En exclusion de preuve :  articles 7, 8 et 24 CCDL et 141.1 CPP)

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]                Le défendeur est ostéopathe.

[2]                Le Collège des médecins (Collège) reçoit une plainte à l’effet que le défendeur outrepasse ses champs de compétence. Le Collège mandate un enquêteur privé qui se fait passer pour un client. Il se rend chez le défendeur et enregistre la consultation.

[3]                Le défendeur demande, par requête, l’exclusion de la preuve liée à cet enregistrement puisqu’il n’a pas été préalablement autorisé. Cette preuve, selon lui, va à l’encontre des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés[1] (Charte) ainsi qu’à l’encontre de l’article 141.1 du Code de procédure pénale du Québec (CPP). Il demande l’arrêt des procédures ou, subsidiairement, l’exclusion de toute preuve émanant de cette visite.

Les questions de droit :

1-     L’enquête est-elle réglementaire ou quasi criminelle ?

2-     La communication visée : première visite d’un client, est-elle une communication privée ?

3-     L’enregistrement de la consultation doit-il être autorisé par voie de mandat général ?

4-     Sil y a manquement, la preuve peut-elle être préservée sous l’article 24.2 de la Charte ou, dans le cas contraire, quel est le remède approprié ?

La position résumée des parties :

[4]                Le défendeur reconnaît qu’une enquête réglementaire n’est pas, d’entrée de jeu, assujettie aux mêmes règles qu’une enquête criminelle. Cependant, il y a des limites que l’enquêteur ne peut franchir (y voir un parallèle avec l’expression franchir le Rubicon). Le défendeur ne conteste pas les autres étapes de l’enquête. Il reconnaît que l’enquêteur peut se faire client mystère sans obtenir un mandat. Il peut ensuite rédiger un rapport de visite. Cependant, s’il enregistre la rencontre, il outrepasse ses pouvoirs. Cette démarche devient une fouille, une intrusion dans sa vie privée, une technique déloyale au sens des articles 7 et 8 de la Charte. Son argumentaire prend racine dans l’arrêt Duarte[2]. En page 67 du jugement, on lit :

« (…) Une conversation avec indicateur n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de la Charte. Toutefois l’interception et l’enregistrement électronique clandestin d’une communication privée en sont. »

[5]                Le défendeur soutient, d’autre part, que l’article 141.1 du CPP vise spécifiquement pareille enquête et impose la présence d’une autorisation judiciaire.

[6]                La poursuivante n’est pas de cet avis. L’enregistrement de la séance de travail se fait dans une clinique où le public a accès et où le défendeur offre ses prestations de travail. Le lieu est public et non privé. Ce lieu est dénoncé tant en vertu de la Loi sur la publicité des entreprises[3], que via le site internet du défendeur et via les enseignes publicitaires conventionnelles qu’on y trouve.

[7]                On ajoute que l’enquête est menée conformément aux pouvoirs édictés en vertu du Code des professions et non en vertu du Code criminel faisant en sorte que les articles 7 et 8 sont inapplicables. Finalement, l’article 141.1 du CPP ne s’applique pas à la situation visée.

LA PREUVE

[8]                Le défendeur est connu du Collège. En 2005, il est le sujet d’une première enquête. Par la suite, en 2015, il plaide coupable à quatre chefs d’accusation pour des infractions liées à la pratique interdite de la médecine.

[9]                La défense ne soumet aucune preuve. Elle offre un argumentaire en droit.

[10]           Côté poursuite, dans le cadre d’un voir-dire, le Tribunal entend deux témoins et autorise la production d’un cahier de pièces allant de P-1 à P-20.

[11]           Monsieur Marc Legault est enquêteur pour le Collège des médecins. Il a une feuille de route impressionnante. Il fut militaire pendant 11 ans, puis policier à la GRC pendant 27 ans. Depuis 2017, il est à l’emploi du Collège.

[12]           En mai 2023, monsieur Legault reçoit une plainte en lien avec des traitements qu’une personne a reçus chez le défendeur. Après analyse des actes dénoncés, le Collège mandate monsieur Richard Michaud : un enquêteur privé. Il est décidé, pour fins d’enquête, que ce dernier prendra rendez-vous avec le défendeur et simulera être un client.

[13]           En contre-interrogatoire, monsieur Legault admet qu’il obtenait, dans son passé d’agent à la GRC, des autorisations judiciaires avant de faire ce type d’investigation. Il avoue avoir été surpris de constater, à son arrivée en poste pour le Collège, que, dans les enquêtes réglementaires, pareilles autorisations n’étaient pas demandées. Il reconnaît agir selon les recommandations des conseillers juridiques de l’ordre.

[14]           Le procureur du défendeur lui demande si la pratique, à ce chapitre, a changé depuis que l’article 141.1 du CPP est entré en vigueur en 2020. Sa réponse est simple : non.

[15]           Le 26 novembre 2023, monsieur Michaud laisse un message sur le répondeur du défendeur. Le 29 novembre 2023, monsieur Lesieur le rejoint. Un rendezvous est fixé pour le lendemain, à Trois-Rivières, à la clinique de la rue Thibeau. Tel que prévu, monsieur Michaud se présente à son rendez-vous. Il s’assoit d’abord dans la salle d’attente. Il est le seul client dans cette pièce. Il entend des voix en provenance d’une pièce fermée où le défendeur reçoit ses clients. Monsieur Michaud prend diverses photos des lieux; elles sont produites sous les cotes P-12 à P-20. Il entre finalement dans le bureau de monsieur Lesieur lorsque ce dernier l’y invite. Les deux hommes sont alors seuls dans cette pièce.

[16]           La consultation est enregistrée en totalité via le téléphone cellulaire de Michaud. Lesieur ignore qu’il est enregistré.

L’ANALYSE :

[17]           Plusieurs jugements ont récemment été rendus suite à la présentation de requêtes de type Jarvis lorsqu’en présence d’enquête en droit réglementaire québécois[4].

[18]           La donne, il faut le dire, est ici différente. Le défendeur limite sa demande à un acte très précis : l’enregistrement insoupçonné et non consensuel d’une visite chez un thérapeute.

De quel type d’enquête parle-t-on ?

[19]           Situons d’abord le cadre juridique qui mène à la rédaction des sept chefs d’accusation visés par le dossier.

[20]           Le processus et les accusations prennent assises tantôt de la Loi médicale[5] et tantôt du Code des professions[6]. Les poursuites sont ensuite autorisées en vertu de l’article 10 du CPP.

[21]           Le défendeur n’est pas poursuivi en vertu du Code criminel. Il n’est nullement passible d’une sentence d’emprisonnement. Il ne peut d’ailleurs pas l’être puisque les lois visées ne permettent pas d’accuser criminellement le défendeur ni, il en va de soi, de lui imposer le moindre emprisonnement. Au plus, on ordonnera au défendeur de payer diverses amendes.

[22]           Le Tribunal juge utile de souligner que le mot « pénal » est, en luimême, objet d’une certaine ambiguïté. On l’utilise, dans le contexte des infractions liées aux lois et règlements ayant une portée pénale; ce qui se justifie. Cependant, on omet souvent de départager les infractions qui conduisent à des sanctions criminelles ou quasi criminelles de celles dont la portée se limite à des condamnations pécuniaires.

[23]           La Cour suprême, dans de nombreux arrêts, parle de droit réglementaire lorsqu’elle réfère à des lois provinciales semblables à celles qui sont en cause au présent dossier. Il me paraît approprié de suivre ce terme.

[24]           En 1991, dans l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc.[7] le juge Lamer associe clairement la pertinence de l’article 7 de la Charte aux cas pouvant entraîner l’emprisonnement.

(…) La personne privée de sa liberté par l’emprisonnement n’est pas privée de moins de liberté parce qu’elle a été punie en raison de la perpétration d’une infraction réglementaire et non d’un crime. L’emprisonnement, c’est l’emprisonnement, peu importe la raison.

(…) Certes, le contexte réglementaire peut bien influencer l’analyse fondée sur la Charte dans certains cas (voir l’opinion du juge La Forest dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425), mais je suis d’avis que la jurisprudence de notre Cour indique que la négligence est le degré minimum de faute qui est conforme à l’art. 7 de la Charte dans tous les cas où une déclaration de culpabilité peut entraîner l’emprisonnement.

[25]           Le juge Lamer, par ailleurs, soutient que lorsque les accusations visent une personne morale (ce qui n’est pas le cas du défendeur), le terme pénal renvoie à une notion de droit administratif.

(…) À mon avis, lorsque le droit pénal s’applique à une personne morale, il perd dans une large mesure son caractère « pénal » et devient, essentiellement, une forme « énergique » de droit administratif. Si la possibilité de l’emprisonnement est supprimée et si les stigmates qui se rattachent à la déclaration de culpabilité sont effectivement réduits à la perte d’argent, la personne morale se trouve dans une situation tout à fait différente de celle d’une personne physique.

[26]           Toujours dans cet arrêt, le juge La Forest écrit :

(…) Je conviens avec le juge Cory qu’il existe une différence assez marquée entre le droit criminel proprement dit et les infractions réglementaires et je me suis fondé sur cette distinction dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada, pour dire qu’une demande de documents commerciaux constituait une saisie non abusive au sens de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. (…)

(…) En l’espèce, nous examinons une disposition en vertu de laquelle il peut y avoir condamnation à une peine d’emprisonnement de cinq ans si une personne est reconnue coupable. Une telle privation de la liberté nécessite, pour que l’on se conforme aux principes de justice fondamentale, des exigences beaucoup plus strictes que dans le cas de simples peines pécuniaires.

[Les soulignements sont ceux du Tribunal]

[27]           En 1994, dans l’arrêt Potash[8], la Cour suprême reconnaît la validité des inspections administratives. La Cour précise que les critères stricts de l’arrêt Hunter[9], rendu en 1984, ne s’appliquent pas aux visites de lieux de travail à des fins administratives puisque leur objectif fondamental est d’assurer le respect d’une norme réglementaire. Le résumé de l’arrêtiste, en ce sens, est éloquent :

(…) Ces pouvoirs d’inspection sont raisonnables et ne violent pas l’art. 8. La LDCC est une loi de nature réglementaire qui vise à assurer des conditions de travail décentes dans certains secteurs de l’industrie où les salariés comptent parmi les plus vulnérables. (…) Vu que les activités des employeurs sont largement réglementées par l’État, les attentes raisonnables qu’ils peuvent entretenir en matière de vie privée à l’égard des documents visés (…) ou à l’égard des lieux où s’exerce l’activité assujettie à des normes particulières, sont considérablement réduites.

[28]           En 2002, dans l’arrêt Jarvis[10], la Cour suprême fixe des paramètres permettant de distinguer l’inspection administrative et l’enquête pénale. On y lit les pistes à explorer afin de déterminer si l’enquêteur dépasse les balises de son rôle administratif pour entrer sur le terrain de l’enquête pénale.

[29]           Voici les critères à évaluer :

(…) L’appelant risquant l’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité, il est indubitable que son droit à la liberté garanti par l’art. 7 entre en jeu lorsqu’on dépose, à son procès sur des infractions prévues à l’art. 239…

(…) Rappelons que, pour déterminer à quel moment la relation entre l’État et le particulier est effectivement devenue une relation contradictoire, il faut tenir compte du contexte en examinant tous les facteurs pertinents. (…)

À cet égard, le juge de première instance examinera tous les facteurs, y compris les suivants :

a)      Les autorités avaient-elles des motifs raisonnables de porter des accusations ? Semble-t-il, au vu du dossier, que l’on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle ?

b)      L’ensemble de la conduite des autorités donnait-elle à croire que celles-ci procédaient à une enquête criminelle ?

c)      Le vérificateur avait-il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs ?

d)      La conduite du vérificateur donnait-elle à croire qu’il agissait en fait comme un mandataire des enquêteurs ?

e)      Semble-t-il que les enquêteurs aient eu l’intention d’utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve ?

f)        La preuve recherchée est-elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea ?

g)      Existe-t-il d’autres circonstances ou facteurs susceptibles d’amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête criminelle ?

[30]           Cette distinction empirique entre les poursuites conduisant à de peines d’ordre criminelles et celles qui conduisent à de simples amendes a une incidence directe sur l’application des articles 7 et 8 de la Charte.

[31]           En 2020, dans son ouvrage Hutchinson’s Search Warrant Manual, l’auteur Scott C. Hutchison analyse la question en s’appuyant sur la décision rendue par la Cour d’appel de l’Alberta dans Law society of Alberta vs Sidhu.

4. Regulatory Searches

The conduct of regulatory inspectors and investigators is subject to a modified version of the analysis set down in Hunter. As noted, by the Alberta Court of Appeal in Law Society of Alberta v. Sidhu,

[17] What is unreasonable in a criminal investigation may well be reasonable in a regulatory investigation. Where an impugned law’s purpose is regulatory and not criminal, a more flexible or less strenuous approach to the standard of reasonableness under s. 8 of the Charter will apply…

The majority of the Supreme Court in British Columbia (Securities Commissions) v. Branch also noted that the “greater the departure from the realm of criminal law, the more flexible will be the approach to the standard of reasonableness.

For the purposes of ensuring compliance (that is, inquiries directed at civil or administrative remedies) regulators are often given a number of “superpowers” to engage in search and seizure activities. For example, regulators often do not require “reasonable and probable grounds” to conduct a search and can instead base the search on “suspicion” alone. Where their conduct is instead directed at quasi-criminal sanctions intended to result in charges under a regulatory statute

[32]           En ramenant le tout au présent dossier, il faut conclure que le défendeur est l’objet d’une enquête qui vise à déterminer s’il exerce illégalement la pratique de la médecine : une activité, il va sans dire, réglementée. L’enquête vise à assurer la protection du public. L’enquête ne conduit pas à des accusations criminelles. Elle est incontestablement réglementaire.

Peut-on pour autant enregistrer l’entrevue ?

[33]           Une fois ce constat fait, le défendeur soulève une question valable : peut-on, pour autant, enregistrer le défendeur, à son insu, lors de sa séance de travail ?

[34]           Le défendeur, on le répète, puise son argumentation dans les enseignements de l’arrêt Duarte[11]. Il faut toutefois se rappeler que Duarte s’attaque à l’article 178 du Code criminel alors qu’il est surveillé électroniquement dans un contexte d’enquête pour trafic de stupéfiants.

[35]           Dans Beaulieu[12], le juge Brunton analyse l’état du droit en matière d’infiltration depuis le prononcé des arrêts Duarte[13] et Wong [14]. Cette fois encore, il faut souligner qu’on vise des opérations policières entourant les activités des Hell’s Angels :

[61] Dans l’intervention sous étude, la preuve ne révèle pas que les requérants étaient soupçonnés d’activités criminelles précises au moment de leurs enregistrements. L’intimée n’a pas proposé de fondement statutaire pour permettre aux autorités de filmer les scènes du barrage ou du local. La Cour considère que la prise de la vidéo était la saisie de l’image des requérants sans leur consentement. Puisque la saisie n’avait fait l’objet d’aucune autorisation préalable, elle violait le droit des requérants, prévu à l’art. 8 de la Charte, à la protection contre les saisies abusives.

[Soulignement du Tribunal]

[36]           Le Tribunal, par ses soulignements, retient que le juge Brunton se positionnerait possiblement autrement si l’enregistrement était fondé sur une source légale comme c’est le cas au présent dossier.

[37]           La défense invoque aussi le jugement rendu par le juge Monnin dans The law Society of Manitoba c. Proudlock [15]. Il s’agit du cas d’un défendeur qui n’est pas avocat et qui dit être un : « non-lawyer Criminal code agent who has helped countless people win their court case ». Comme au présent dossier, l’enquêteur le joint pour obtenir ses services en matière de divorce. Le défendeur fixe un prix pour ses services qui sont manifestement l’apanage des avocats. Chacune des conversations téléphoniques est enregistrée à l’insu du défendeur. Voici ce qu’écrit le juge dans son jugement :

[42] I disagree. The fact that Mr. Pollock by his advertisement sought out individuals to contact him if they wished to use his services, did not place calls to his home in response outside the realm of a certain expectation of privacy. Telephone conversations with another party, even though a stranger, should not be the subject of surreptitious tape recording, a truly intrusive procedure, especially, as in this case, if the call comes from a state actor. While admittedly the expectation of privacy may not be as high as one would have with respect to a personal conversation, I would not consider it as the equivalent of having a conversation in a public place.

[Soulignement du Tribunal]

La communication est-elle privée ?

[38]           Le Collège, à ce sujet, se réfère à l’arrêt Reeves[16] 

[28] Pour évaluer si l’auteur d’une demande fondée sur la Charte peut raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée à l’égard d’un objet qui a été pris, les tribunaux doivent examiner « l’ensemble des circonstances » (Edwards, par. 45(5)). Plus particulièrement, ils doivent (1) déterminer l’objet de la prétendue fouille, juger (2) si le demandeur possédait un droit direct à l’égard de l’objet, (3) si le demandeur avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet et (4) si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable (…). La question à se poser consiste à savoir si le droit à la vie privée revendiqué doit [traduction] « être considéré comme à l’abri de toute intrusion par l’État sauf justification constitutionnelle pour que la société canadienne demeure libre, démocratique et ouverte ».

[39]           Les circonstances sont assez claires. Le défendeur ne discute pas avec un complice ni avec un quidam. Il rencontre un client : une personne pour qui il prodiguera des soins et promulguera des conseils lors d’un premier rendez-vous.

[40]           Un praticien qui offre un soin réglementé, à un inconnu, ne peut prétendre agir dans une activité privée; il exerce son métier, et, de surcroit, il le fait dans une clinique ouverte au public. On ne saurait parler, entre le défendeur et l’enquêteur, d’un lien de proximité relevant de la vie privée et personnelle. Le défendeur agit dans l’exercice d’une activité professionnelle lui imposant un certain détachement entre lui et le client. Il œuvre dans la sphère du travail qu’il revendique publiquement. Il appert ainsi que tant l’environnement que les participants renvoient au caractère « non privé » de la conversation.

[41]           Il est difficile de concevoir une meilleure façon d’évaluer la validité des activités qu’il exerce. Le défendeur et l’enquêteur sont aussi seul à seul. Aucune source externe ne vient influencer le travail du défendeur. La rencontre entre le défendeur et l’enquêteur n’est pas, d’autre part, un entretien relevant du secret professionnel comme tel serait le cas si on se trouvait chez un avocat, par exemple. Il n’existe ainsi pas de devoir parallèle qui protège la conversation en ellemême.

[42]           Le Tribunal conclut que les articles 7 et 8 de la Charte ne sont pas violés lorsque le Collège procède à une enquête pour pratique interdite dans les lieux où le défendeur exerce ses activités. Si quelqu’un peut revendiquer un intérêt privé, c’est le client et non le thérapeute.

[43]           Le Collège en réfère à la décision rendue par mon collègue Yannick Couture, jpm, dans Létourneau[17]. Le cas est similaire. On enregistre les séances du thérapeute afin d’établir sil agit en violation des lois qui entourent la pratique exclusivement dévolue aux membres de l’ordre des psychologues. Voici ce qu’on y lit :

[11] Pour les raisons suivantes, le Tribunal conclut que la requérante n’a pas d’expectative de vie privée :

  • Les ordres professionnels, dont l’Ordre des psychologues du Québec, doivent s’assurer de la protection du public et doivent s’assurer du respect des lois.
  • Il est maintenant reconnu que les contrôles au hasard n’ont pas pour but d’éprouver la vertu des gens, mais de s’assurer du respect des lois.
  • Il y a eu renonciation à une expectative de vie privée par la requérante en acceptant de recevoir chez elle des clients, qui ne sont ni amis, ni parents.
  • Aucun renseignement de nature privée de la requérante n’est recherché.
  • S’il y a expectative de vie privée, c’est le client qui a cette attente et non la requérante.
  • L’expectative de vie privée est certainement plus limitée lorsqu’une personne décide d’œuvrer dans un domaine où elle doit obligatoirement se soumettre à une réglementation établie par la loi.

(…)

[16] On ne veut pas piéger la requérante, mais bien s’assurer du respect des lois et règlements et ainsi assurer la protection du public. L’enregistrement n’est qu’un moyen de preuve parmi d’autres. En effet, il existe des rapports d’infraction, des notes et l’enquêteuse aurait bien pu après l’entrevue transcrire des notes exhaustives de la rencontre. Aucun renseignement de nature privée n'est recherché, on ne veut que s’assurer du respect de la loi.

[44]           Le défendeur, pour sa part, cite la même décision et invoque que les changements législatifs conduisent à une analyse différente. Rappelons que cette décision fut rendue en 2017 soit avant l’entrée en vigueur de l’article 141.1 du CPP.

[45]           Le défendeur invoque l’alinéa 24 du jugement :

[24] Le Tribunal en vient à la conclusion que le CPP ne prévoit aucun mandat permettant l’enregistrement audio d’une conversation à l’égard de l’application des lois provinciales. Par ailleurs, il serait plus que souhaitable que le législateur remédie à cette situation.

[46]           Utilisant ce texte dans lequel on déplore un vide juridique, le défendeur soutient que l’article 141.1 est précisément devenu ce chaînon manquant. Le Collège, selon lui, doit obtenir un mandat général avant d’agir.

[47]           Le défendeur fait ensuite sien le questionnement soulevé en obiter par le juge Dalphond dans Lussier c. Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec[18]. Ce dernier se soucie de l’évolution du droit et en appel à la réflexion:

[16] Ensuite, il faut se demander pourquoi une personne désignée par un ordre professionnel pour enquêter et initier des poursuites pénales en cas d’une violation des lois régissant les pratiques professionnelles ne serait pas tenue aux mêmes normes et exigences qu’un policier ou un procureur du ministère public, selon le cas ?

[18] Finalement, quant à la possibilité d’une défense dite de provocation « entrapment », le juge de la Cour supérieure l’exclut totalement en matière de poursuite pénale provinciale s’appuyant sur une analyse d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Clothier, [2011] O.J. 102, et sur les commentaires formulés par le juge Ewaschuk dans son traité Criminal Pleadings and Practice in Canada, 2nd ed., Aurora, Canada Law Book, Chapter 24, au numéro 21 : 8000 où l’auteur écrit :

The doctrine of entrapment does not apply to “provincial regulatory offences”. Nonetheless government is not allowed to investigate possible illegal activity in a way that offends the Canadian sense of decency and fair play.

[19] Si tel est l’état du droit, point sur lequel je n’exprime pas d’avis, cela ne signifie pas que la personne piégée par des méthodes inacceptables utilisées par l’enquêteur privé soit sans moyen. (…)

[20] En résumé, il demeure de belles questions à décider, ce qu’il reviendra à la Cour de faire dans le cadre d’une affaire où l’assise factuelle s’y prêtera. Cela n’est cependant pas le cas en l’espèce.

[48]           Le juge Dalphond, cela étant, pose la question pour l’avenir, mais précise que les faits en cause ne permettent pas de trancher le débat. Le Tribunal, vu ce qui précède, est d’avis qu’il en va de même au présent dossier. Le défendeur ne peut revendiquer être victime d’« entrapment » au sens des craintes soulevées par le juge Dalphond. Aucun stratagème n’est créé. Le défendeur ne fait qu’accueillir, sur rendez-vous, un client. Le Tribunal n’y voit aucun piège, aucune ruse, aucune situation pouvant mener à méprise sur les gestes que le défendeur ne posera ni sur les paroles qu’il prononcera.

L’article 141.1 du CPP crée-t-il l’obligation d’obtenir un mandat général afin de permettre d’enregistrer la rencontre ?

[49]           Voici le libellé de l’article :

141.1 AutorisationUn juge peut, sur demande à la suite d’une déclaration faite par écrit et sous serment d’un agent de la paix ou d’une personne chargée de l’application d’une loi, décerner un mandat ou un télé mandat général l’autorisant à utiliser un dispositif, une technique ou une méthode d’enquête, ou à accomplir tout acte qu’il mentionne, qui constituerait, sans cette autorisation, une fouille, une perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien.

Le juge ne peut toutefois autoriser l’interception d’une communication privée, telle que définie à l’article 183 du Code criminel. Il ne peut non plus autoriser l’observation, au moyen d’une caméra de télévision ou d’un dispositif électroniques semblable, des activités d’une autre personne dans des circonstances telles que celle-ci peut raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée.

(…)

Le juge peut décerner le mandat ou le télémandat général s’il est convaincu :

  1. Qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à une loi a été ou sera commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront obtenus grâce à l’utilisation du dispositif, de la technique ou de la méthode d’enquête ou à l’accomplissement de l’acte.
  2. Que la délivrance de l’autorisation servirait mieux l’administration de la justice.
  3. Qu’il n’y a aucune disposition dans le présent code ou dans une autre loi qui prévoit un mandat, une autorisation ou une ordonnance permettant une telle utilisation de l’accomplissement d’un tel acte.

Le présent article n’a pas pour effet de permettre de porter atteinte à l’intégrité physique d’une personne.

(…)

[50]           Ce nouvel article est, pratiquement, un copier-coller de l’article 487.01 du Code criminel.

[51]           La position du défendeur est simple : le législateur ne l’a pas adopté pour rien. Le sousalinéa 1 ne laisse place à aucune ambiguïté. Puisque le Collège veut enregistrer une infraction; une autorisation judiciaire est nécessaire.

[52]           La poursuivante, pour sa part, réplique que l’article parle de lui-même : si on s’en remet au premier paragraphe, et non au premier sous-alinéa, il appert clairement qu’une autorisation est nécessaire si, et seulement si, l’enquête devient une fouille, une perquisition ou une saisie abusive.

[53]           Le Tribunal, dans son analyse, retient que le législateur, par cet article, encadre, en droit réglementaire, l’émission des mandats généraux comme on le fait en droit criminel; sans plus. Si l’enquête est intrusive au point de devenir une perquisition abusive; une autorisation par voie de mandat général s’impose. D’autre part, si un dispositif est utilisé, alors un juge peut décerner un mandat général. Soit! Mais, on ne peut, pour autant, soutenir qu’il en faut toujours un.

[54]           Ces questions nous ramènent aux sujets déjà traités par la lecture combinée des arrêts Duarte, Wong et Beaulieu[19]. Certes, on revisite le tout sous un angle nouveau, mais on en revient à devoir déterminer s’il y a, sans l’obtention d’une autorisation, abus de droit.

[55]           Le Tribunal garde à l’esprit que dans Duarte, l'enregistrement, ou devrait-on dire que les enregistrements, n’étaient pas de cet ordre : des tiers étaient impliqués. Aussi, il y avait présence d’un dispositif qui enregistrait plus que la simple conversation entre un enquêteur et un défendeur. On faisait de l’écoute active en continu.

[56]           La situation juridique qui prévaut au présent dossier conduit davantage aux questions soulevées dans l’arrêt Mills[20]. Voici les extraits que le soussigné retient de cette décision, lesquels viennent encadrer une situation qui diffère des arrêts Duarte et Wong.

[87] (..) L’atteinte commise à l’aide d’un moyen électronique qui était au cœur de l’arrêt Duarte résidait dans la violation du droit de choisir ses auditeurs (…).

[37] En l’espèce, les policiers ne se sont pas ingérés dans la conversation privée d’autres personnes, ils y ont directement participé.

[42] Notre Cour reconnaît depuis longtemps que l’art. 8 n’empêche pas les policiers de communiquer avec des individus au cours d’une opération d’infiltration. Il en est ainsi parce qu’un individu ne peut raisonnablement s’attendre à ce que la personne avec laquelle il communique ne prenne pas connaissance de ses propos. ()

[47] Cependant, le trait commun des affaires Duarte et Wong était non pas le recours à des agents d’infiltration, (), ce qui était troublant, car les policiers avaient transformé une conversation éphémère de vive voix en un relevé permanent à l’insu de la personne qui parlait. ()

[108] Dans l’arrêt Duarte, il était question des conséquences sur la vie privée du fait que l’ÉTAT, à son entière discrétion, avait pris connaissance d’enregistrements électroniques permanents de communications privées. ()

[57]           Si l’on transpose le tout à la situation du défendeur, on retient que l’enquêteur n’intercepte pas une conversation privée entre le défendeur et un tiers. Il enregistre purement et simplement sa rencontre avec le défendeur.

[58]           Le Tribunal conçoit, en revanche, qu’il peut en être autrement si le contexte diffère. Si, par exemple, l’enregistrement se fait ailleurs que dans le cabinet du praticien. Il en va de même si on enregistre le défendeur en présence d’un client autre que l’enquêteur.

[59]           L’article 141,1 du CPP trouvera un sens si l’enquête déborde du cadre normal de la visite légale de l’enquêteur chez le praticien. Le nombre d’enregistrements, la durée de ceux-ci, le lieu de la captation, le contexte de la rencontre, les personnes visées, les sujets abordés sont alors des facteurs déterminants permettant d’évaluer si on passe d’un contexte administratif à un contexte de perquisition indirecte.

[60]           Pour en revenir au contexte de l’enquête, le défendeur reconnaît d’emblée que la visite de l’enquêteur, à elle seule, n’est pas illégale. L’enquêteur aurait dû, selon lui, se limiter à subir le traitement, rédiger un rapport pour ensuite en témoigner sans avoir accès au mot à mot de l’entretien qu’il a enregistré. Cette démarche, dit-il, aurait été légale. Il ne s’attaque qu’à l’enregistrement.

[61]           La marge est alors mince. Le raisonnement de la défense vient à dire que l’enregistrement, donc l’accessoire d’une enquête réglementaire légale, ne doit pas suivre le principal. Le Tribunal refuse de franchir ce pas lorsque l’enjeu est purement réglementaire et mue dans l’esprit de la protection du public.

[62]           L’esprit de l’article 141.1 est respecté dans la présente enquête, car l’enregistrement visé se fait dans un contexte où le défendeur n’a aucune expectative de vie privée et cette captation n’est pas une fouille ni une perquisition abusive.

[63]           Puisque les droits du défendeur ne sont pas violés, le Tribunal ne procédera pas à une analyse de cette preuve sous l’article 24 de la Charte.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]           REJETTE la requête du défendeur.

 

 

__________________________________

GHISLAIN LAVIGNE

Juge de paix magistrat

 

Me François Daoust

Cain Lamarre, s.e.n.c.r.l.

Avocat du poursuivant

 

Me Michel Lebrun

LeBrun Provencher Avocats s.e.n.c.r.l.

Avocat du défendeur

 

Date d’audience :

10 septembre 2024

 


[1]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[2]  R. c. Duarte, [1990] 1 RCS 30, JE 90-263.

[3]  Loi sur la publicité légale des entreprises, RLRQ, c P-44.1.

[4]  9090-5092 Québec inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, C.S., 2021 QCCS 5067; Constructions LJP inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, C.S., 2021 QCCS 384; Fleury c. ARC (9 septembre 2024), 48061001461223.

[5]  Loi médicale, L.R.Q., c. M-9.

[6]  Code des professions, L.R.Q., c. C-26.

[7]  R. c. Wholesale Travel Group Inc., C.S. Can., [1991] 3 R.C.S. 154.

[8]  Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, C.S. Can., [1994] 2 R.C.S. 406.

[9]  Hunter c. Southam Inc., C.S. Can., [1984] 2 R.C.S. 145.

[10]  R. c. Jarvis, C.S. Can., 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757.

[11]  Précité, note 2.

[12]  Beaulieu c. R., C.S., 2015 QCCS 6670.

[13]  Précité, note 2.

[14]  R. c. Wong, C.S. Can., [1990] 3 R.C.S. 36.

[15]  2007 MBQB 51 (CanLII).

[16]  R. c. Reeves, C.S. Can., 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531.

[17]  Létourneau c. Ordre des psychologues du Québec, C.Q., 2017 QCCQ 10711.

[18]  Lussier c. Ordre des opticiens d'ordonnances du Québec, C.A., 2012 QCCA 502.

[19]  Précité, notes 2, 15 et 13.

[20]  R. c. Mills, C.S. Can., 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320.

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