Décision

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Droit de la famille — 191677

2019 QCCA 1386

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027540-186

(705-04-019686-175)

 

DATE :

 16 AOÛT 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

C... L...

APPELANT - défendeur

c.

 

J... M...

INTIMÉ - demandeur

et

G... R...

INTIMÉE - défenderesse

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

DIRECTEUR DE L'ÉTAT CIVIL

MIS EN CAUSE - mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Gary D.D. Morrison), rendu le 23 avril 2018, lequel accueille en partie la demande introductive d’instance de J... M... en reconnaissance de paternité et en changement de nom. Le juge rejette la demande de changement du nom de famille de l’enfant mineure X, mais ordonne que le nom de C... L... soit rayé du certificat de naissance de cette dernière et qu’il y soit inscrit le nom de J... M... comme père (et seulement le nom de G... R... comme mère).

[2]           Pour les motifs du juge Kasirer auxquels souscrivent les juges Rancourt et Hamilton, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel en partie;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure en partie;

[5]           ACCUEILLE la demande introductive d’instance remodifiée en partie;

[6]           REJETTE la demande de contestation d’état et de réclamation de paternité de J... M...;

[7]           REJETTE la demande de modification des registres de l’état civil;

[8]           REJETTE la demande de déclarer l’article 532 C.c.Q. inconstitutionnel;

[9]           CONFIRME les autres conclusions du jugement de la Cour supérieure;

[10]        SANS FRAIS DE JUSTICE, vu la nature familiale du litige.

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

Me Viki Fontaine

Ratelle, Ratelle & Associés

Pour l’appelant

 

Me Carole Charron

Me Carole Charron, avocate & médiatrice

Pour l'intimé J... M...

 

Me Jean-Philip McCutcheon

Centre communautaire juridique de la Rive Sud

Pour l'intimée G... R...

 

Me Luc-Vincent Gendron-Bouchard

Me Stéphanie Neveu

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Pour les mis en cause

 

Date d’audience :

Le 2 mai 2019



TABLE DES MATIÈRES

 

 

I                       Aperçu

 

II                       Contexte

 

III                      Jugement de première instance

 

IV                     Questions en litige et précisions quant au cadre d’appel

 

V                     Fond du pourvoi

 

1.     Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit en concluant à l’absence de projet parental avec assistance à la procréation assistée conforme à l’article 538 C.c.Q.?

a.     Moyens des parties

b.     Droit applicable

c.     Application à l’espèce

2.    Subsidiairement, le juge de première instance a-t-il erré dans l’interprétation et l’application des règles de la filiation par le sang?

 

VI                     Conclusion

 

 

 


 

 

MOTIFS DU JUGE KASIRER

 

 

 

I         Aperçu

[11]        Un homme - l’intimé en l’espèce - affirme avoir convenu avec deux femmes mariées de devenir parents et d’élever un enfant à trois. Divers efforts d’insémination ont été entrepris auprès de chacune des deux conjointes, y compris, dit-il, des relations sexuelles avec celle qui donnera plus tard naissance à une fille.

[12]        Peu après la conception, les trois signent une « Entente pour mettre un enfant au monde » dans lequel « le père » et les « deux mères » expriment le vœu de partager « le support physique, émotionnel et financier » de l’enfant.

[13]        Vingt-six mois après la naissance, et à la suite d'une rupture du couple et au changement de sexe de la conjointe de la mère biologique, rien ne va plus. L’intimé présente une demande en reconnaissance de paternité et en contestation de la filiation établie par procréation assistée. Il cherche à rayer de l’acte de naissance le nom de la conjointe de la mère biologique (dès lors, le conjoint, et l’appelant ici) et d’y faire inscrire son propre nom, comme « père », selon les règles de la filiation par le sang.

[14]        Visiblement à regret, le juge de première instance conclut que le droit québécois n’admet pas qu’une telle relation tripartite puisse donner lieu à un triple lien de filiation à l’égard de l’enfant. Par ailleurs, il est d’avis que le rôle du père biologique dans la vie de l’enfant, tel qu’énoncé dans l’Entente, est incompatible avec l’existence d’un projet parental avec assistance à la procréation. Ainsi, écrit-il, un lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et l’appelant, le conjoint de la mère biologique. Le juge accueille la demande en reconnaissance de paternité de l'intimé selon les règles de la filiation par le sang. En même temps, il déplore le fait que le droit québécois, malgré d’importantes réformes en matière de filiation, ne permette toujours pas à un enfant d’avoir plus de deux parents.

[15]        Devant les faits de l’espèce, le juge écrit :

[37]            De l’avis du soussigné, l’impossibilité qu’un enfant ait plus de deux parents pose problème eu égard à la réalité sociale de 2018.  En l’espèce, avec égard pour l’opinion contraire, le meilleur intérêt de l’enfant mineure X requerrait que la loi permette la reconnaissance de sa réalité, soit que sur les plans émotionnel et socio-économique, elle a effectivement toujours eu trois parents.[1]

[16]        Avec égards pour son point de vue, j’estime que le droit positif laisse amplement place à la solution souhaitée par le juge de première instance, sans troubler ce qu’il qualifie du « modèle biparental »[2] pour la filiation établie au Code civil du Québec. La filiation par procréation assistée en faveur de « deux mères »[3] permet, à mon avis, l’implication du donneur de forces génétiques dans la vie de l’enfant après la naissance, tout en laissant le projet parental des conjointes intact et sans faire du géniteur le père de l’enfant aux yeux de la loi.

[17]        Bref, même si nous acceptons, aux fins de la discussion, que la « tri-parenté » ne soit pas admise en droit québécois, rien ne s’oppose, juridiquement, à la reconnaissance d’une situation de « tri-parentalité » à l’égard de l'enfant.

[18]        Cela tient d’une distinction - fort ancienne -, que le droit civil emprunte à d’autres disciplines, entre les rapports de parenté (fondés sur le lien de filiation) et les rapports de parentalité (fondés sur l’exercice des fonctions se rattachant notamment à l’autorité parentale).

[19]        Sans être parent - c’est-à-dire sans être mère ou père en vertu des règles de la filiation -, une personne peut être investie, de diverses façons et en diverses circonstances, de l’exercice de différents attributs de l’autorité parentale. Elle peut même avoir, selon le contexte, des responsabilités financières à l’égard d’un enfant. Cela peut donner lieu à une « parentalité de substitution », comme c’est le cas lorsqu’une personne - un tiers au regard de la filiation - est appelée à exercer une parcelle de l’autorité parentale pour pallier l’absence d’un parent. Le tiers peut aussi se voir confier une fonction de « parentalité d’addition », créant ainsi une situation de « tri-parentalité » ou de « multi-parentalité », comme c’est le cas, par exemple, dans certaines familles recomposées[4].

[20]        Un tel arrangement - bi-parenté pour la filiation; tri-parentalité pour l’exercice de certaines responsabilités parentales - peut être mis en place sans porter atteinte au principe de l’indisponibilité de l’autorité parentale et sans déchoir les parents des droits et responsabilités qui leur incombent en raison de leur statut de mères ou pères[5].

[21]        Rien dans le droit de la procréation assistée ne s’oppose à ce que ce « tiers au sens de la filiation » soit le père biologique de l’enfant.

II        Contexte

[22]        X naît le [...] 2014.

[23]        L’intimée G... R... est la mère biologique de X.

[24]        Au moment de la naissance de X, Mme R... est mariée à Ch... L... (aujourd’hui, à la suite d’un changement de sexe, l’appelant C... L...). M. L... n’a aucun lien biologique avec l’enfant.

[25]        L’intimé J... M... est le père biologique de X, et ce, tel que le prouve un test d’ADN produit en première instance au soutien de sa demande de reconnaissance de paternité.

[26]        Au-delà de ces quatre constats biologiques, voici ce que la preuve révèle sur la situation familiale de X[6].

[27]        À partir de 2003, M. L... (alors une femme) fait vie commune avec Mme  R.... Ils se marient en 2011.

[28]        Dès 2008 ou 2009, le couple entreprend des démarches pour avoir un enfant. Sur une période d’environ deux ans, Mme  R..., avec l’appui de M. L..., essaie, sans succès, de devenir enceinte par tentatives d’insémination artificielle effectuées en clinique.

[29]        Plus tard, ils s’inscrivent sur le site Internet « coparents.com » à travers lequel ils rencontrent M. M... au printemps 2013.

[30]        Une entente verbale au sujet de la conception d’un enfant, dont le contenu est contesté au procès, intervient entre M. M..., M. L... et Mme  R.... De juillet à décembre 2013, M. M... fournit, à plusieurs reprises, des échantillons de sperme afin que chacun des deux conjointes, femmes mariées à l'époque, puisse effectuer des tentatives d’insémination « artisanales ». Les conjointes s'aident, tour à tour, à s’injecter l’échantillon fourni par seringue.

[31]        M. M... et Mme  R... affirment avoir eu des rapports sexuels durant cette même période, ce que M. L... croit être faux.

[32]        Mme  R... dit aussi que M. L... et elle ont également eu des relations sexuelles avec un autre homme, après avoir rencontré M. M..., dans le but que l’un d’eux tombe enceinte. Ces tentatives se sont révélées infructueuses.

[33]        En septembre 2013 - donc avant la conception de l’enfant - M. M..., M. L... et Mme  R... consultent une notaire afin de connaître les droits de chacun. Au procès, M. M... affirme avoir été induit en erreur par la notaire au sujet de ses droits et de son statut éventuel à l'égard de l’enfant à naître.

[34]        Le 22 décembre 2013, Mme  R... apprend qu’elle est enceinte en présence de M. L.... Ils en informent M. M... le lendemain.

[35]        Le 7 janvier 2014, les parties signent un document, qu’elles ont préparé elles-mêmes, intitulé « Entente pour mettre un enfant au monde » (« Entente »). On peut y lire, notamment (texte reproduit tel que rédigé) :

Les mères Ch... L... et G... R... et le père J... M..., désirant individuellement et coopérativement mettre au monde et aimer un enfant, dans un contexte d'amour et de diversité, et conformément avec leurs valeurs. C'est l’intention du père et des mères de partager le support physique, émotionnel et financier de leur(s) futur enfant(s). Les partis s'entendent à ce que les deux mères puissent porter un enfant.

[36]        L’Entente précise que « [l]es parties reconnaissent que chaque parent ait un fort engagement envers l’enfant et aura l’aide de d’autres adultes ». Dans la section intitulée « Principes généraux », l’Entente prévoit que « les mères auront la garde de l’enfant afin de [lui] procurer une stabilité » et que « [l]e père peut avoir la garde de l’enfant la moitié du temps lorsque l’enfant n’est pas à l’école, s’il le désire ». Quant à la prise de décisions, l’Entente énonce un principe de « coopération » selon lequel « [l]es parti[e]s feront les décisions par rapport à la santé et l’éducation de l’enfant par consensus ». Une section porte sur la « question financière » où on lit que la responsabilité est établie en fonction du temps où l’enfant est présent chez l’une ou l’autre des parties, avec la précision que « [l]es parties reconnaissent que les majeures parties de dépenses journalières auront lieu avec les mères vu que l’enfant y résidera la majorité du temps ».

[37]        La clause A 4) de l’Entente apporte une précision quant aux rapports de chacune des parties face à l’enfant :

Le nom des mères figureront sur l'état civil de ou des enfants issus des trois parties. Nous désirons que le père obtienne le statut de gardien légal dès la naissance du ou des enfants issus des trois parties.

[38]       Lors de la naissance de X, M. L... et M. M... sont présents à l’hôpital pour accompagner Mme  R.... Mme  R... indique que M. L... a coupé le cordon ombilical lors de l’accouchement.

[39]       Il n’est pas contesté que la déclaration de naissance de l’enfant a été signée par M. L... et Mme  R..., même si, comme le note le juge, elle n’a pas été produite au procès.

[40]       Seuls les noms de Mme  R... et M. L... sont inscrits sur l’acte de naissance de l’enfant, à titre de « mères ». M. M... dit avoir choisi le nom Y comme second prénom, ce que confirment Mme  R... et M. L....

[41]       Au cours des deux premières années suivant sa naissance, X vit à temps plein chez le couple L...-R.... M. M... confirme que cette situation est conforme à l’intention des parties. Pendant cette période, M. M... est présent dans la vie de l’enfant et contribue financièrement à son entretien. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur l’intensité de son implication.

[42]       Mme  R... et M. L... souhaitent avoir un deuxième enfant et il est entendu que M. L... le portera. D... D..., une fréquentation de M. M..., accepte d’être le géniteur et, selon M. L..., l’enfant est conçu de la même façon que X, soit par « insémination à la maison ». Z naît le [...] 2016. Comme l’explique Mme  R..., les noms de M. L..., mère biologique, et de Mme  R..., conjointe de ce dernier, sont inscrits dans l’acte de naissance. Comme dans le cas de M. M... à l’égard de X, il n’y a pas de mention du nom du donneur à l'acte.

[43]       En juillet 2016, M. L... entreprend un processus de changement de sexe.

[44]       Mme  R... et M. L... cessent de faire vie commune le ou vers le 7 octobre 2016. Au départ, Mme  R... emménage chez M. M... avec X, alors que Z demeure chez M. L.... Le 12 octobre 2016, Mme  R... signe un document manuscrit qui autorise X « […] à résider chez son père biologique, J... M..., pour une période indéterminée ». Plus tard, Mme  R... trouve un autre logement. Selon M. M..., X partage son temps entre sa résidence et celle de Mme  R... et, une fin de semaine sur deux, elle est chez M. L....

[45]       M. L... introduit des procédures en divorce peu après la fin de la vie commune. Selon un consentement intérimaire homologué le 19 janvier 2017 en Cour supérieure, Mme  R... et M. L... conviennent qu’ils continueront d’exercer conjointement l’autorité parentale à l’égard de X et de Z. La première continuera d’habiter principalement avec Mme  R..., et le second, principalement avec M. L.... Des droits d’accès sont prévus de part et d’autre, mais l’ordonnance ne fait aucune mention de M. M.... Pour l’essentiel, l’arrangement est reconduit par un consentement sur mesures provisoires homologué le 3 août 2017. M. M... présente une demande d’intervention agressive dans le dossier de divorce, à titre de tiers intervenant, pour protéger ses droits.

[46]       Parallèlement aux procédures en divorce, le 18 novembre 2016, M. M... dépose au greffe de la Cour supérieure une demande introductive d’instance en reconnaissance de paternité et en changement de nom d’une enfant mineure. X a environ 26 mois à l’époque. M. M... demande, inter alia, que le nom de famille de X soit changé pour R...-M...; que son nom à lui soit inscrit dans l’acte de naissance de X en tant que père; et que le nom de M. L..., en tant que mère, soit rayé de cet acte.

[47]       M. L... conteste l’action de M. M... et demande qu’elle soit déclarée abusive. Mme  R..., quant à elle, ne s’oppose pas à la demande en reconnaissance de paternité de M. M..., mais elle dit ne pas vouloir écarter M. L... de l’arrangement tripartite concernant X.

[48]        À la suite d’un procès de deux jours, le juge de première instance accueille la demande de M. M... en reconnaissance de paternité, mais rejette sa demande en changement de nom. Il ordonne, également, que soit rayé le nom de M. L... de l’acte de naissance de X et que le nom de M. M... y soit inscrit à titre de père.

III       Jugement dont appel

[49]       Estimant ne pas avoir d’autre option que d’appliquer un modèle biparental et constatant que le statut de Mme  R..., mère biologique, n’est pas contesté, le juge dit devoir choisir qui, de M. L... ou M. M..., doit être reconnu comme deuxième parent de X.

[50]       À cette fin, le juge se demande d’abord s’il est devant un cas de procréation assistée, au sens des articles 538 et s. C.c.Q., permettant de fonder un lien de filiation entre X et M. L....

[51]       Le juge retient de la preuve que Mme  R... et M. L... ont formé le projet d’avoir un enfant et que M. M... a lui-même formé un tel projet. Il conclut que, à la suite de leur rencontre, « les trois ont fusionné leur plan de parentalité avec l’objectif que tous les trois deviennent les parents actifs de l’enfant à naître » (paragr. [47] de ses motifs).

[52]        Le juge est d’avis que M. M... voulait être présent dans la vie de l’enfant et agir en tant que père et que Mme  R... et M. L... avaient accepté qu’il agisse ainsi. De ce fait, il rejette la version « peu crédible » des faits avancée par M. L... qui aurait soutenu que M. M... « n’était qu’un donneur de forces génétiques ». Il prend également note que les parties avaient prévu, dans l'Entente convenue entre elles, que M. M... « obtiendrait un statut de ‘gardien légal’ dès la naissance de l’enfant » (paragr. [50]).

[53]       On ne peut donc pas conclure, écrit le juge, que M. M... est un tiers quant au projet parental, comme l’exige l’article 538 C.c.Q. Conséquemment, un lien de filiation par procréation assistée ne peut être établi avec les deux mères (paragr. [51]).

[54]       Puisque les règles de filiation par procréation assistée ne s’appliquent pas, poursuit-il, il n’est donc pas fatal à la demande de reconnaissance de paternité de M. M... que son recours n’ait pas été intenté dans l’année suivant la naissance.

[55]       Soulignant que la paternité biologique de M. M... n’est pas contestée et que le statut de Mme  R... à titre de mère biologique ne fait pas non plus l’objet de débat, le juge passe ensuite à l’analyse des règles de la filiation par le sang.

[56]       Le juge prend note que, aux termes de l’article 115 C.c.Q., les noms de deux mères - en l’occurrence Mme  R... et M. L... - peuvent être inscrits dans l’acte de naissance d’un enfant. Il note aussi qu’il n’y a pas de mention quant au père de X.

[57]       Il analyse ensuite le moyen soulevé par M. L... selon lequel l’article 530 C.c.Q. crée une « présomption irréfragable » de filiation en sa faveur, en raison d'une possession d’état conforme à l’acte de naissance de X. Le juge rejette cet argument. Le verrou de filiation de l’article 530 ne trouve pas application en l’espèce, car M. L... et M. M... ont tous les deux une possession d’état, ce qui fait que chacune de ces possessions est « incomplète, vu celle de l’autre » (paragr. [77]). Puisque, selon lui, la stabilité de l’enfant ne serait pas affectée par un « choix » entre M. L... et M. M..., le juge est d’avis que « la vérité biologique devrait primer ». Ce faisant, il reconnaît la filiation de M. M... envers l’enfant. 

[58]       Le juge précise que la réforme de 2002 n’a pas mené à une « désexualisation complète » du droit de la filiation, puisque l’article 532 C.c.Q. fait toujours une distinction, lors d’une demande en réclamation d’état en vertu des règles de filiation par le sang, entre les père et mère (paragr. [81]). Concernant la filiation par procréation assistée, il cite l’article 538.2 C.c.Q. qui permet, dans certains cas, au père biologique de réclamer un lien de filiation avec l’enfant, et ce, même s’il n’est qu’un simple donneur. A fortiori, dit-il, lorsque les règles de filiation par le sang s’appliquent, « un père biologique qui fait partie du plan parental a le droit, comme le plaide M. M..., de réclamer la paternité d’un enfant dont la filiation n’est pas déjà établie à son égard, comme ‘père’ » (paragr. [87]).

[59]       Le juge conclut donc que la réclamation de paternité de M. M... est bien fondée. Rappelant qu’au Québec, « à ce stade », un enfant ne peut avoir trois parents, M. L... sera remplacé par M. M... dans l’acte de naissance de X (paragr. [93]).

[60]       En ce qui a trait à la demande de changement du nom de famille de X, le juge la rejette, tout en réitérant qu’il serait dans le meilleur intérêt de X, si cela était possible, qu’elle ait les trois parties comme parents.

[61]        Finalement, le juge rejette la demande de M. L... en abus de procédure, insistant sur la complexité du débat juridique porté devant lui. À ses yeux, c’est plutôt la demande de M. L... qui est, à cet égard, manifestement mal fondée.

IV      Questions en litige et précisions quant au cadre d’appel

[62]       Un seul enjeu est au cœur de l’appel : la filiation de X. Le juge de première instance n’était pas saisi de la question des modalités éventuelles de l’exercice du droit de garde, des droits d’accès ou de la responsabilité financière que l’une ou l’autre des parties pourrait avoir à l’endroit de l’enfant.

[63]       L’appelant présente quatre moyens au soutien de son pourvoi : il plaide que le juge erre dans son interprétation du projet parental à l’article 538 C.c.Q.; qu’il se méprend dans son application du « verrou de filiation » énoncé à l’article 530 C.c.Q. en matière de filiation par le sang; qu’il commet une erreur en affirmant que la réalité biologique doit primer sur les autres moyens de preuve pour déterminer la filiation; et qu’il adopte une interprétation « discriminatoire » de l’article 532 C.c.Q., texte qui serait inconstitutionnel au regard du droit à l’égalité.

[64]       Les parties s’entendent sur le fait qu’une question préliminaire, essentielle à l’issue du pourvoi, doit être posée : celle de savoir si ce sont les règles relatives à la procréation assistée qui trouvent application. Pour ce faire, il faut d’abord déterminer s’il y a ici un projet parental avec assistance à la procréation au sens de l’article 538 C.c.Q. Dans le cas où il est établi que l’enfant n’est pas issu d’un tel projet et donc que les règles de la filiation par procréation assistée sont inapplicables, ce sont celles de la filiation par le sang qui s’appliqueront pour déterminer qui sont les parents de l’enfant[7]. Ce cadre d’analyse en deux étapes, utilisé par le juge en première instance et accepté par les parties, s’impose également en appel.

[65]       Les quatre questions de l’appelant s’articulent donc autour des deux axes, à savoir la filiation par procréation assistée et la filiation par le sang. Il y a lieu de regrouper les questions en litige ainsi :

1.    Le juge de première instance a-t-il erré en faits et en droit en concluant à l’absence de projet parental avec assistance à la procréation assistée conforme à l’article 538 C.c.Q.?

2.    Subsidiairement, le juge de première instance a-t-il erré dans l’interprétation et l’application des règles de la filiation par le sang?

[66]       Une première précision s’impose quant au cadre du débat en appel. Tout en notant que la filiation relève de l’ordre public[8], je tiens à souligner qu’aucune des parties ne soutient que X a trois parents. Devant le juge de première instance, l’appelant et l’intimé ont plaidé qu’un enfant ne pouvait avoir trois parents en droit positif. De part et d’autre, ils reconnaissaient le lien de filiation de Mme  R..., mère biologique de l’enfant, et affirment être l’autre parent.

[67]       En appel, M. L... soutient que la filiation est biparentale, mais qu’elle est établie par procréation assistée au profit de Mme  R..., mère biologique, et de lui-même, conjointe de cette dernière à l’époque. Selon l’intimé M. M..., la filiation serait établie selon les règles de la filiation par le sang à son avantage ainsi qu’à celui de Mme  R..., comme l'a conclu le juge. Mise en cause, la procureure générale du Québec ne plaide pas, non plus, pour la reconnaissance de la tri-parenté en droit québécois, estimant que le droit positif ne l’admet pas.

[68]       Bien que le juge de première instance ait cru utile d’exposer son point de vue sur la triple filiation en détail - quant à son inexistence en droit québécois et à l’opportunité pressante de la reconnaître à titre de lex ferenda - je m’abstiendrai de le faire ici. Je prends bonne note que la Cour, dans des circonstances fort différentes des nôtres, a pu observer que le droit positif ne la consacre pas formellement[9]. Aussi suis-je sensible aux arguments de texte qui laissent croire que le législateur n’admet pas la tri-parenté[10]. Si certaines provinces canadiennes s’ouvrent à la possibilité qu’un enfant ait trois parents[11], le droit civil québécois diffère du droit positif applicable ailleurs au pays en la matière. D’une part, l’établissement de la filiation par la loi, dans ce contexte, ne laisse que peu ou pas de place au pouvoir discrétionnaire du juge au Québec et, d’autre part, la distinction qui nous concerne ici - entre parenté et parentalité - s’articule autrement en common law[12]. À cet égard, je note que la réforme que propose le juge de première instance au législateur afin de faire reconnaître plus de deux parents à un enfant en droit divise les esprits et, me semble-t-il, appelle à une réflexion que l’on ne peut faire à partir du dossier tel que présenté devant la Cour. D’ailleurs, la conclusion à laquelle j’arrive en l’espèce, soit que X a deux parents en vertu des règles de la filiation par procréation assistée, ne m’oblige pas à entrer davantage dans ce débat.

[69]       Une seconde précision s’impose : les parties appelante et intimées se disent prêtes à admettre que le signataire de l’Entente qui serait exclu de la parenté - pour l’appelant, ce serait l’intimé M. M...; pour l’intimé, ce serait l’appelant M. L... - pourrait néanmoins jouer un rôle dans la vie de l’enfant pour l’avenir, à condition, bien entendu, que ce soit dans le meilleur intérêt de X. Même si cette question ne sera pas décidée lors de ce pourvoi, je tiens à en prendre note.

[70]        Ces précisions étant faites, regardons les moyens d’appel tour à tour.

V         Le fond du pourvoi

1.         Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit en concluant à l’absence de projet parental avec assistance à la procréation assistée conforme à l’article 538 C.c.Q.?

(a)       Moyens des parties

[71]        L’appelant M. L... est d’avis que le juge a erré en fait et en droit en refusant de conclure qu’il est l’un des parents de X en application des règles de la filiation par procréation assistée.

[72]        Le juge se serait mépris en statuant que Mme  R... et lui n’avaient pas conclu un projet parental avec assistance à la procréation. Leur projet parental, dit l’appelant, existait bien avant leur rencontre avec l’intimé M. M.... Dès leur première rencontre avec ce dernier, les deux conjoints lui auraient expliqué qu’ils souhaitaient être les parents de l’enfant à naître et que leurs deux noms, à titre de mères, devaient être inscrits à l’acte de naissance. Cet objectif n’aurait jamais changé au fil du temps et M. M... l’aurait accepté ainsi, et ce, même si, aux termes de l’« Entente pour mettre un enfant au monde », les parties ont indiqué que M. M... devait jouer le rôle du père de celui-ci. Selon l’appelant, cela n’empêcherait pas qu’un lien de filiation par procréation assistée soit reconnu entre X et lui.

[73]        L’intimé M. M... est d’avis que le juge n’a commis aucune erreur en concluant à l’inexistence d’un projet parental entre M. L... et Mme  R... au sens où l’entend l’article 538 C.c.Q. Citant notamment l’Entente, l’intimé soutient que le dessein de devenir parents émane des trois parties, ce qui empêche de conclure à la formation d’un « projet parental » entre les deux conjoints exclusivement. L’intimé insiste sur l’ampleur du rôle qu’il a accepté de jouer dans la vie de X, ce qui confirmerait l’intention commune des parties de le reconnaître comme père, terme par lequel il est désigné dans l’Entente.

[74]        Toujours selon l’intimé, le juge avait raison de statuer que le délai de prescription pour sa demande est celui de la filiation par le sang - 30 ans -, et ce, puisque les règles de filiation par procréation assistée ne s’appliquent pas en l’espèce.

[75]        Quant à l’intimée Mme  R..., elle appuie la position de l’intimé et, sans faire d'observations additionnelles, demande que l’appel soit rejeté. Au cas où la Cour confirmerait que l’intimé est le père de l’enfant à l’exclusion de l’appelant, elle ne s’opposerait pas à l’octroi de droits d’accès à M. L....

[76]        Bien qu’elle ne prenne pas position sur l’existence ou non d’un projet parental dans les faits de l’espèce, la procureure générale du Québec soutient avoir décelé une erreur de droit commise par le juge de première instance dans son interprétation de la définition du projet parental telle qu’énoncée à l’article 538 C.c.Q. À son avis, un projet parental repose nécessairement sur la volonté d’établir un lien de filiation avec un enfant et non, comme le laisserait entendre le jugement de première instance, sur la volonté du donneur de forces génétiques d’exercer des responsabilités de parent.

(b)       Droit applicable

[77]        Les dispositions du Code civil du Québec sur la procréation assistée se retrouvent au chapitre I.1 (De la filiation des enfants nés d’une procréation assistée) du titre II (De la filiation) du livre 2 (De la famille).

[78]        Comme l’explique le professeur Alain Roy, les articles 538 à 542 C.c.Q. ont fait l’objet d’importantes modifications législatives en 2002, notamment afin d’élargir la portée de la filiation par procréation assistée « au profit des couples de lesbiennes et des femmes seules »[13]. Disposition clé de la réforme, l’article 115 C.c.Q. permet d’inscrire dans la déclaration de naissance d’un enfant né par procréation assistée les noms des deux parents de sexe féminin à titre de mères. Cette « disposition définitionnelle » consacre ce que Benoît Moore, alors professeur de droit, a qualifié de « filiation désexualisée »[14]. La réforme permet de reconnaître aux parents de même sexe un véritable statut de mère ou de père au sens de la filiation et non seulement de simples fonctions parentales[15].

[79]        Dans les cas où un acte de naissance a été dressé, comme c’est le cas en l’espèce, la filiation non judiciaire d’un enfant né d’une procréation assistée s’établit, comme la filiation par le sang, par cet acte (art. 538.1, al. 1 C.c.Q.).

[80]        Tel que noté plus haut, l’acte de naissance de X indique que M. L... et Mme  R... sont les deux « mères » de l’enfant, comme le permet l’article 115 C.c.Q.[16], sans autre précision. Mme  R... explique au procès que ce sont M. L... et elle, et non M. M..., qui ont signé la déclaration de naissance à l’hôpital. M. L... s’est chargé de la transmission de la déclaration au directeur de l’état civil aux fins de la confection de l’acte de naissance[17]. Les explications des parties concernant la désignation des noms sur l’acte de naissance divergent. J’y reviendrai.

[81]        Sous certaines réserves, on peut contester judiciairement la filiation par procréation assistée, comme l’a fait l’intimé M. M... en l’espèce. Bien entendu, lors d’une telle contestation une preuve biologique démontrant la filiation paternelle n’est pas déterminante, autrement le donneur de forces génétiques aurait toujours la possibilité de remettre en question la filiation établie par procréation assistée. C’est donc le projet parental qu’il faut attaquer, puisqu’il est le fondement de ce type de filiation. Comme l’explique le professeur Roy :

En fait, le projet parental est au chapitre I.1 ce que le sang est au chapitre I; il en constitue l’équivalent conceptuel. Autrement dit, on doit y voir l’ultime fondement de la filiation de l’enfant né d’une procréation assistée. Sous réserve du verrou de filiation et des délais de prescription ou de déchéance applicables, l’action en contestation d’état sera donc accueillie dans la mesure où l’on démontre que celui ou celle qui a signé la déclaration de naissance ou s’est comporté de manière à créer une possession constante d’état n’était pas partie au projet parental ou que l’enfant n’en est pas issu.[18]

[82]        Ainsi, même s’il existait, à un moment donné, un projet parental entre les deux conjoints, M. M... est d’avis que l’enfant X n’en est pas issue et que sa naissance doit plutôt être reliée à un arrangement subséquent impliquant les trois parties, arrangement qui est incompatible avec un projet parental au sens de l’article 538 C.c.Q. Dans ce cas, les règles de la procréation assistée ne s’appliquaient pas, et  le droit lui reconnaît le statut de père selon la filiation par le sang.

[83]        C’est aussi l’avis du juge, position que l’appelant M. L... estime être erronée.

[84]        Le projet parental est défini en partie à l’article 538 C.c.Q., où il est ainsi libellé :

538. Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental.

538. A parental project involving assisted procreation exists from the moment a person alone decides or spouses by mutual consent decide, in order to have a child, to resort to the genetic material of a person who is not party to the parental project.

 

[85]        Le projet parental permet, d’une part, de fonder un lien de filiation entre l’enfant et la conjointe ou le conjoint de la mère biologique et, d’autre part, de ne pas en créer un avec l’auteur de l’apport, le père biologique (art. 538, 538.1, 538.2 et 539 C.c.Q.).

[86]        Il convient de préciser, dès maintenant, que M. M... ne pouvait formuler « seul » un projet parental au sens de l’article 538 C.c.Q.[19]. Par son essence, l’apport de forces génétiques d’un homme fait dans le cadre de la procréation assistée doit être un apport au « projet parental d’autrui / parental project of another » (art. 538.2, al.1 C.c.Q.).

[87]        Mais même si le juge s’est mépris sur ce point - et je me garde de l’affirmer -, cette erreur n’aurait pas eu d’impact sur le sort de l’affaire. Le juge a bien compris l’enjeu. Si M. M... était un tiers externe au projet parental de M. L... et Mme  R..., la procréation assistée servirait, d’une part, d’assise à la filiation de M. L... à l’égard de l’enfant et exclurait, d’autre part, la paternité du père biologique. En revanche, si le rôle de M. M... dans l’arrangement tripartite était incompatible avec ce projet parental, la filiation serait déterminée par le jeu des règles de la filiation par le sang.

[88]     Pour bien répondre aux moyens de l’appelant, il est utile de rappeler les éléments nécessaires à la constitution d’un projet parental avec assistance à la procréation.

[89]     Dans l’arrêt Droit de la famille - 111729, la Cour énonce les trois éléments nécessaires à l’existence d’un projet parental avec assistance à la procréation en application de l’article 538 C.c.Q. : « (1) une personne seule (ou des conjoints) décide d’avoir un enfant; (2) pour ce faire, elle(s) décide d’avoir recours aux forces génétiques d’un tiers; [et (3)] [l]e tiers ne doit pas être partie au projet parental »[20].

[90]     Le premier élément énoncé à l’article 538 ne pose pas problème ici : des « conjoints / spouses »[21] - rappelons que Mme  R... et M. L... étaient mariés et faisaient vie commune à l’époque de la formation du projet - « ont décidé / decide »[22], avant la conception, d’avoir un enfant par procréation assistée. Ce constat amène, toutefois, à apporter une précision. Puisque le projet parental doit se cristalliser avant la conception[23], l’ « Entente pour mettre un enfant au monde », signée le 7 janvier 2014, par M. M..., M. L... et Mme  R... ne peut pas constituer en elle-même le projet parental pertinent à la filiation de X aux fins de l’article 538 C.c.Q. Le juge n’a pas fait cette nuance, mais je n’y vois pas une erreur, et encore moins une erreur déterminante, dans la mesure où il semble traiter l’Entente comme la preuve d’un arrangement que les parties avaient mis en place avant la conception de l’enfant[24].

[91]        Le deuxième élément identifié par la Cour dans Droit de la famille - 111729 est également satisfait en l’espèce : les conjoints décident[25], pour devenir parents, d’avoir recours aux forces génétiques d’un tiers-donneur - ici, ce serait M. M.... À ce sujet, il faut rappeler que la loi prévoit que cet apport peut se faire par insémination artificielle ou par relations sexuelles. L’article 538.2, al. 2 C.c.Q. permet toutefois à celui qui a fait l’apport par relations sexuelles de demander, dans l’année qui suit la naissance, qu’un lien de filiation soit établi à son endroit, et ce, malgré l’existence d’un projet parental.

[92]        Or, cette exception ne s’applique pas à la demande en justice de M. M.... À supposer même que l’apport donnant lieu à la naissance de X ait été fait par relations sexuelles - je note bien que le juge s’abstient, au paragraphe [19] de ses motifs, de faire une détermination factuelle à cet égard -, le délai d’un an depuis la naissance avait expiré avant que l’action en justice ne soit entreprise par M. M.... Ainsi, sa demande en contestation de paternité et en contestation d’état ne repose pas sur l’exception énoncée à l’article 538.2, al. 2 C.c.Q., mais plutôt sur l’argument - accepté par le premier juge et contesté en appel - que l’enfant n’est pas issue d’un projet parental entre M. L... et Mme  R..., et que, par conséquent, c’est le délai de prescription de 30 ans énoncé à l’article 536 C.c.Q. qui s’applique.

[93]        Le troisième élément exigé par l’article 538 est l’objet principal du désaccord entre l’appelant et l’intimé. Ce dernier élément implique que le tiers-donneur ne soit pas « partie au projet parental / party to the parental project »[26]. Le tiers doit donc être « externe »[27] au projet, sinon son apport y ferait échec, et le lien serait établi entre lui et l’enfant selon les règles de la filiation par le sang. Dans Droit de la famille - 111729[28], le juge Rochon écrit :

[41]      […] Quant au troisième [critère], le texte législatif [l’article 538 C.c.Q.] n'énonce pas clairement la condition qui y est sous-jacente.  Le tiers ne doit pas être partie au projet parental.  Ce dernier élément fait ici intervenir la volonté des participants, plus particulièrement lorsque l'apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle.  Dans ce cas, le tiers doit accepter de n'être qu'un géniteur.  En d'autres termes, la mère biologique doit dénoncer au tiers le projet et celui-ci doit accepter le rôle limité de sa participation.

[42]      Suivant le langage familier, on peut certes affirmer qu’une personne a un projet parental sans pour autant que l’on puisse conclure, au plan juridique, qu’il s’agit d’un projet parental avec assistance à la procréation aux termes des articles 538 et suivants C.c.Q. Pour que ce dernier projet existe, il sera impératif que le tiers, qui apporte ses forces génétiques, accepte par un acte de volonté de limiter son rôle et d’éviter ainsi les conséquences juridiques de filiation qui en auraient normalement découlé.

[Soulignements ajoutés]

[94]        Il s’agit donc de déterminer si l’intimé M. M..., en tant que donneur de forces génétiques, est étranger au projet parental puisqu’il « accepte par un acte de volonté de limiter son rôle et d’éviter ainsi les conséquences juridiques de filiation ».

[95]        L’acceptation « par un acte de volonté » implique que le géniteur accepte clairement « de limiter son rôle et d’éviter les conséquences juridiques de filiation » et signifie également qu’il est conscient de son statut de tiers[29]. Dans le cadre du projet parental, le « rôle limité » qu’il accepte est un rôle limité quant à la filiation et non quant à la parentalité. Il convient de préciser que le juge Rochon écrit que le tiers doit accepter, par un acte de volonté, « d’éviter les conséquences juridiques de filiation » et non « les conséquences juridiques de la filiation ». Les conséquences juridiques de filiation font référence à l’attribution du statut de parent, alors que les conséquences juridiques de la filiation font référence aux obligations et aux droits qui, normalement, découlent de ce statut. Ainsi, selon moi, le troisième élément du projet parental tel que formulé par le juge Rochon exige que le tiers accepte son rôle limité quant au statut de parent, et non qu’il renonce à toute fonction parentale.

[96]        Bien entendu, le donneur de forces génétiques ne sera pas considéré comme un « tiers externe » au projet parental si cette personne exprime la volonté d’être le parent de l’enfant. Pour en être exclu, le tiers externe doit donc renoncer au statut de parent de l’enfant. En ce sens, M. M... devait comprendre et accepter son « rôle limité » au niveau de la parenté[30].

[97]        Le seul fait pour le donneur de forces génétiques de vouloir entretenir des rapports affectifs avec l’enfant, voire de s’impliquer dans sa vie en acceptant, par exemple, d’exercer des droits de garde ou d’accès, ne fait pas obstacle au projet parental au sens de l’article 538 C.c.Q.

[98]       En effet, le juge Rochon note bien que le fait que le donneur prenne des responsabilités parentales ne veut pas dire qu'il soit partie au projet parental : « [i]l serait erroné de conclure à l'absence de projet parental avec assistance à la procréation du seul fait que le géniteur entretient par la suite certains rapports avec l'enfant »[31]. Au nom de la Cour, il écrit :

[62]            La filiation est établie par la loi. Elle ne découle pas de la volonté d'un parent d'assumer les conséquences qui s'ensuivent (nourrir et entretenir l'enfant, veiller à sa surveillance et à son éducation). La filiation ne repose pas sur la volonté ou la capacité d'une personne de soutenir financièrement un enfant et de s'en occuper adéquatement. […]

[99]        Pour résumer, l’acceptation du « rôle limité » du géniteur dont parle la Cour dans Droit de la famille - 111729 se mesure par la volonté d’être le père juridique plutôt que par la volonté d’agir comme un parent ou de jouer ce rôle. Afin d’être en mesure de faire cette distinction lorsqu’il est temps de préciser les droits et les devoirs des parties à l’égard de l’enfant, il faut, en amont, faire la distinction entre « parenté » et « parentalité ».

[100]     La parenté se rattache à la filiation. Construction du droit positif, la « filiation » du Code civil - par le sang, par procréation assistée, ou par adoption - est le lien de droit qui unit un enfant à ses mères et pères[32]. Elle inscrit l’enfant dans un ensemble ordonné de relations familiales (parfois qualifié, de manière quelque peu trompeuse, d’« ordre généalogique »[33]), qui consacre divers liens de parenté[34], en ligne directe et collatérale, fondés sur le lien juridique de filiation dans ce qu’on pourrait appeler sa famille élargie.

[101]     La parentalité, elle, renvoie à une idée plus large que la parenté et la filiation, touchant plus généralement la fonction parentale ou la « situation d’une personne qui tient le rôle de parent pour un enfant »[35].

[102]     Ces concepts, pertinents au débat en appel, sont proches, mais distincts[36].

[103]     Certes, la filiation entraîne, à titre d’effet du lien de droit, des droits et des obligations pour les mères et pères qui sont, notamment, et du seul effet de l’établissement de la filiation, titulaires de l’autorité parentale envers l’enfant[37]. Souvent, les parents d’un enfant sont également ceux qui remplissent le rôle de figures parentales auprès de lui. Dédoublant le lien de parenté, cette fonction parentale - ou de parentalité - se rapporte à la prise en charge de l’enfant. Mais la source de cette prérogative, dans le cas des mères et pères, est l’autorité parentale dont ils ont le titre et la jouissance en raison du lien filial de parenté.

[104]     Toutefois, la jouissance et l’exercice de l’autorité parentale ne coïncident pas toujours. Le droit civil québécois reconnaît qu’un enfant puisse avoir d’autres figures parentales dans sa vie, de facto ou de jure[38], que ses parents. La doctrine relève, à juste titre, l’exemple des beaux-parents[39]. Le tiers donneur, externe au projet parental de l’article 538 C.c.Q., présente un cas de figure comparable. En ce sens, une personne qui est un tiers au sens du droit de la filiation peut néanmoins être appelée, dans les faits ou en droit, et parallèlement ou par substitution aux parents, à exercer le droit de garde, à apporter une assistance financière à l’enfant, ou à exercer des droits d’accès, et ce, sans nécessairement enlever à la mère ou au père son statut juridique de parent. Parfois qualifiée de « parent psychologique », de « parent social », voire de « tiers significatif », cette figure parentale n’est pas pour autant une mère ou un père au regard du droit de la filiation[40]. Contrairement à d’autres traditions juridiques, l’établissement de la filiation en droit civil ne dépend pas de l’exercice, en fait ou en droit, des prérogatives de parentalité, et vice versa. Ainsi, qu’un donneur de forces génétiques joue le rôle de père ne veut pas nécessairement dire qu’il a, ou aura, le statut de parent. Au Québec, pour reprendre les termes d’un auteur, « [c]ustody creates no bond of kinship »[41].

[105]     Dans C.(G.) c. V.-F. (T.), la Cour suprême a ouvert la porte en 1987 à l’idée qu’une personne, sans être titulaire du statut de père ou de mère selon le droit de la filiation, puisse être néanmoins investie judiciairement de l’exercice de l’autorité parentale, ou d’une parcelle de celle-ci, sans nécessairement porter atteinte à la jouissance de l’autorité parentale qui revient, de droit, aux parents[42]. En parallèle, le droit civil reconnaît depuis longtemps que le titulaire de l’autorité parentale puisse, sans l’intervention d’un juge, « déléguer la garde, la surveillance ou l’éducation de l’enfant / delegate the custody, supervision or education of the child » (art. 601 C.c.Q.), et ce, de façon révocable et temporaire. Cette délégation à un tiers ne supprime pas non plus le lien de droit entre les parents et l’enfant[43].

[106]     Ramenées à leur plus simple expression, les règles de la procréation assistée, y compris la définition du projet parental énoncée à l’article 538 C.c.Q., portent donc sur la question de la filiation, et non sur celle relative à la responsabilité parentale[44]. Contrairement aux questions se rapportant à la parentalité, l’établissement de la filiation par procréation assistée ne demande pas une évaluation du meilleur intérêt de l’enfant, ce facteur étant subsumé, en quelque sorte, dans les règles fixées par le législateur[45].

[107]     Quelle est la pertinence de cette distinction entre parenté et parentalité à l’égard de la procréation assistée en l’espèce?

[108]     La question de l’existence même du projet parental renvoie à la filiation de X, qui, elle, se rapporte à une question de parenté et non pas, du moins directement, à un enjeu de parentalité.

[109]     En l’espèce, la Cour supérieure n’a pas fait la distinction entre parenté et parentalité, une distinction qui est cependant au cœur de la présente affaire. À sa décharge, ces concepts sont souvent liés. En effet, des indices de parentalité - l’exercice du droit de garde, par exemple, ou l’acceptation d’une responsabilité financière envers l’enfant - peuvent aussi être des indices de parenté dans la mesure où l’autorité parentale et l’obligation alimentaire sont aussi des effets de la filiation[46].

[110]     Il existerait des situations dans lesquelles un géniteur qui accepte des responsabilités importantes dans la vie de l’enfant le ferait parce qu’il est véritablement le père et non un simple donneur. Dans le cadre spécifique de la procréation assistée, le donneur de gamètes peut, au soutien de l’argument qu’il n’est pas un tiers au projet parental au sens de l’article 538 C.c.Q., présenter une preuve de parentalité permettant d’inférer l’intention d’établir sa filiation avec l’enfant et, du coup, faire obstacle à la formation d’un projet parental. En revanche, si le géniteur manifeste son intention de renoncer à son statut de parent à l’égard de la filiation, l’acceptation par lui de certaines fonctions parentales auprès de l’enfant ne change pas le fait qu’il est « une personne qui n’est pas partie au projet parental » au sens de l’article 538, selon le test formulé dans Droit de la famille - 111729

[111]     Si le Code lie les deux concepts de parenté et de parentalité, les auteurs rappellent qu’ils ne sont pas pour autant indissociables[47]. En fait, c’est dans un cas comme celui de l’espèce que la distinction peut prendre toute son importance[48]. Si trois personnes veulent être présentes dans la vie de l’enfant et sont d’avis que l’enfant ne pourra établir de lien filial qu’avec deux d’entre elles, il y aura forcément une inadéquation entre la filiation de l’enfant et l’exercice de l’autorité parentale.

[112]     Examinons maintenant l’application de ces principes aux faits de l’affaire.

(c)        Application à l’espèce

[113]     Le juge de première instance, comme on le sait, estime que M. M... n’est pas un tiers au projet parental. Par conséquent, il refuse de retenir que la filiation de X est établie selon les règles de la procréation assistée.

[114]     Pour le juge, Mme  R..., M. L... et M. M... cherchaient à devenir tous les trois parents actifs d’un enfant. Il retient que l’intimé voulait « jouer le rôle de père de l’enfant à naître » (paragr. [45]) et « être présent dans la vie de l’enfant et agir en tant que père » (paragr. [48]). Notant les termes de l’Entente, il conclut que M. M... possède « un pouvoir similaire sinon égal à celui des deux mères ». Il souligne également que les parties souhaitent que l’intimé obtienne « un statut de ‘gardien légal’ » dès la naissance de l’enfant.

[115]     Appelé à interpréter le troisième critère de l’article 538 C.c.Q., la définition du projet parental exposé dans l’arrêt Droit de la famille - 111729, le juge écrit qu’« […] il ne s’agit pas d’un cas où la personne qui fournit des forces génétiques ‘n’est pas partie au projet parental’ ou accepte volontairement de limiter son rôle dans l’avenir » (paragr. [51]). Le projet parental entre M. L... et Mme  R... étant invalide, il décide que M. M... est le père de l’enfant en application des règles de la filiation par le sang.

[116]     Le juge a-t-il commis une erreur révisable en concluant que la filiation par procréation assistée ne pouvait être établie à l’égard de X en raison du refus de M. M... de limiter son rôle parental dans l'avenir?

[117]     En appel, l’intimé M. M... soutient que le juge a bien compris l’exigence selon laquelle celui qui apporte des forces génétiques doit être un tiers externe au projet parental. Il plaide que la conclusion du juge selon laquelle M. M... n’a pas agi à titre d’assistant à la procréation comporte un aspect hautement factuel, notamment quant à l’appréciation de la preuve du rôle que le père biologique devait jouer dans la vie de l’enfant. Invoquant à nouveau les enseignements de la Cour dans Droit de la famille - 111729[49], l’intimé soutient que la détermination de l’existence ou non d’un projet parental est, règle générale, soumise à la norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante, erreur qui n’a pas été démontrée par l’appelant. Fondée entre autres sur l’interprétation de l’Entente et l’appréciation de la crédibilité des témoins, cette détermination factuelle, dit l’intimé, mérite déférence en appel.

[118]     Cette qualification de la question en litige en appel m’apparaît erronée.

[119]     Au soutien de son appel, M. L... plaide, avant tout, que le juge de première instance se méprend non pas sur son appréciation de la preuve, mais plutôt sur l’interprétation qu’il fait de l’article 538 C.c.Q. La procureure générale du Québec est du même avis.

[120]     Cette question en est une d’interprétation législative, soit celle de savoir si le juge de première instance s’est mépris en droit sur le sens à donner à la définition du « projet parental avec assistance à la procréation / parental project involving assisted procreation » énoncée à l’article 538 C.c.Q. Plus précisément, il s’agit de déterminer si la règle de droit exposée par la Cour dans Droit de la famille - 111729 relative au troisième critère de l’article 538 a été bien identifiée et appliquée. Autrement dit, le juge mesure-t-il le « rôle limité » du géniteur par rapport à sa volonté d’établir un lien de filiation, comme la jurisprudence l’enseigne, ou plutôt en fonction des responsabilités parentales qu’il souhaite assumer? Il s’agit d’une question de droit soumise à une révision en appel en application de la norme de la décision correcte[50].

[121]     L’intimé dresse un portrait incomplet de la norme d’intervention utilisée dans Droit de la famille - 111729. Il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour s’attarde sur la présence ou non d’une erreur manifeste ou déterminante, mais le juge Rochon y relève aussi une erreur de droit commise dans l’interprétation de l’article 538 C.c.Q. Toutefois, il conclut que cette erreur de droit n’a pas eu d’impact sur les déterminations factuelles du juge selon lesquelles le donneur de forces génétiques, dans cette affaire, était un père et non un simple géniteur[51]. C’est seulement par rapport à l’analyse des faits que la Cour déclare ne voir aucune erreur manifeste et déterminante dans le jugement dont appel.

[122]     Avec égards, j’estime que la Cour supérieure identifie et applique le mauvais critère de droit pour déterminer si le donneur de forces génétiques est un tiers étranger au projet parental. Le juge fait reposer l’existence du projet sur la volonté de M. M... d’exercer des responsabilités parentales plutôt que sur sa volonté - ou son absence de volonté - d’établir un véritable lien de parenté avec l’enfant.

[123]     Ce faisant, le jugement s’attarde, à tort, sur des indices de la volonté des parties de confier un rôle de parentalité à M. M... dans la vie de l’enfant pour conclure qu’il n’était pas un tiers externe au projet parental. Or, la définition du projet parental, comme fondement de la filiation par procréation assistée, repose sur une volonté d’établir des rapports de parenté entre les parties au projet et l’enfant et, pour le géniteur, la conscience et l’acceptation de son rôle limité à cet égard.

[124]     Respectueusement dit, j’estime que cette confusion entre parenté et parentalité a conduit à deux erreurs ayant un impact déterminant sur l’analyse du troisième critère du projet parental. D’abord, le juge n’accorde pas d’importance à l’intention de M. M... de renoncer à sa filiation, intention exprimée au moment de la formation du projet parental initial. La manifestation de cette intention a été reprise dans le texte même de l’Entente quand il accepte de ne pas déclarer son statut de père à la naissance. Deuxièmement, en mettant l’accent sur la place accordée à M. M... dans l’Entente, le juge omet de considérer, comme le rappelle le juge Rochon dans Droit de la famille - 111729, qu’un donneur de forces génétiques peut bien jouer « un rôle dans l’avenir » de l’enfant, pour employer l’expression du juge, tout en restant une personne étrangère au projet parental.

[125]     Regardons ces deux points tour à tour.

[126]     La première manifestation de l’erreur de droit dans l’interprétation de la définition du projet parental et de l’omission de relever la renonciation claire de M. M... à établir sa filiation transparaît dans le traitement par le juge de la déclaration de naissance de X ainsi que de son acte de naissance, lequel désigne M. L... et Mme  R..., conjoints mariés à l’époque de la naissance, comme ses « mères », à l’exclusion de tout autre parent, dont M. M....

[127]     Sur ce point, le juge écrit, renvoyant à la clause A 4) de l’Entente entre les parties (reproduite au paragr. [37] plus haut) :

[38]            Nonobstant que les parties aient décidé d’utiliser les noms des mères aux registres de l’état civil, apparemment suite à l’opinion d’un notaire14, elles avaient prévu « que le père obtienne le statut de gardien légal dès la naissance (…). »15

[39]            Sans décider sur le fondement juridique de cette stipulation, le Tribunal estime que les parties ont clairement exprimé leur volonté que M... possède, à l’égard de l’enfant, un pouvoir similaire sinon égal à celui des deux mères.

___________________

                        14     La preuve à cet égard est plutôt vague. Aucune opinion écrite n’a été déposée en preuve et le notaire n’a pas témoigné.

                        15        Pièce P-1, s. A 4).

[128]     En omettant de faire adéquatement la distinction entre les concepts de parenté et de parentalité, le juge de première instance applique incorrectement la règle identifiée par la jurisprudence quant à la définition du projet parental avec assistance à la procréation. Par conséquent, il ne vérifie pas le rôle de M. M... et le choix de ce dernier d’éviter ainsi « les conséquences juridiques de filiation »[52]. Ainsi, le juge conclut, à tort, que M. M... n’est pas un tiers externe au projet parental de M. L... et Mme  R....

[129]     Dans la mesure où la définition du projet parental dépend de la volonté d’établir un lien de filiation avec l’enfant, par opposition à la volonté d’agir uniquement comme parent, le juge devait faire le constat que les conjoints voulaient déclarer au directeur de l’état civil leur désir d’être mères, et qu’ils l’ont fait, suivant l’article 115 C.c.Q., qui prévoit expressément la filiation bimaternelle. En même temps, il se devait de noter que l’intimé a clairement accepté, avant la conception, de ne pas déclarer son statut de père à la naissance de l'enfant.

[130]     Sachant pertinemment qu’il était le père biologique, M. M... a explicitement accepté, au moment de la formation du projet parental, cette condition - de ne pas déclarer sa paternité et de ne pas figurer sur l’acte de naissance -, condition sur laquelle, selon une preuve claire, les deux conjoints insistaient. Consentant à ce que les noms des deux mères soient inscrits à l’acte de naissance et à la place d’une telle déclaration qui aurait pu donner lieu à son inscription sur l’acte de naissance, M. M... a accepté que ses droits et ses responsabilités envers l’enfant à naître soient consignés dans une entente dressée après la conception, ce qui a été fait. Il comprend qu’il n’est pas inscrit dans l’acte de naissance comme parent, mais qu’il a plutôt « le statut de gardien légal » de l’enfant - un rôle différent de celui des deux mères. L’appelant et l’intimée R... se construisent un statut de parenté; M. M... accepte un rôle de parentalité.

[131]     M. M... dit qu’il a accepté de ne pas se déclarer père par erreur.

[132]     Le juge prend note que M. M... affirme dans sa demande introductive d'instance s’être trompé sur la possibilité de faire cette déclaration en se fiant sur ce que l’intimé estime être un avis juridique erroné donné par une notaire. Cette dernière aurait dit, à tort, selon l’intimé, qu'il n’avait pas le droit de se faire inscrire dans l’acte de naissance puisque les deux mères étaient mariées et que sa seule option était d’inscrire ses droits dans un contrat.

[133]     Il convient de noter que l’erreur de la notaire n’a pas été prouvée, ce que reconnaît le juge. Elle n’a pas témoigné. La preuve contradictoire entourant cet aspect de la déclaration de naissance est, selon le juge au paragraphe [38], note 14, « plutôt vague ». Le juge ne fait aucune détermination à partir de cette preuve. Il ne retient pas, par exemple, que cette supposée erreur de la notaire a donné lieu à un quelconque vice de consentement de la part de M. M... ou que le fait d’avoir accepté de ne pas se déclarer père de l’enfant à naître découle de cet avis supposément erroné.

[134]     Je partage l’opinion du juge selon laquelle la preuve au dossier ne permet pas de conclure que l’intimé s’est fié sur un avis juridique erroné. De plus, quand on examine le témoignage de M. M... sur ce point, on constate que le juge n’a pas commis d’erreur en qualifiant cet aspect de la preuve comme vague. Bien que ce ne soit pas nécessaire de me prononcer sur ce point, vu la conclusion du juge, il est loin d’être clair que M. M... a reçu un avis juridique erroné[53].

[135]     Après avoir constaté que l’explication par M. M... de son erreur ne trouve pas appui sur la preuve, le juge ne fait pas de détermination quant à ce que signifie cette renonciation au regard du critère de l’acceptation du rôle limité du tiers au projet parental au sens de l’article 538 C.c.Q. Ayant lui-même constaté que la preuve de l’avis erroné de la notaire était insuffisante, le juge aurait dû se prononcer sur la portée de l’acceptation par M. M... de ne pas déclarer sa paternité à son endroit et son impact sur son statut de tiers externe au projet parental.

[136]     Dans les circonstances, la Cour supérieure devait également prendre acte du fait que les deux conjoints avaient déclaré la naissance de X à leur endroit et que la filiation bimaternelle a été consignée dans l’acte de naissance de l’enfant. Il fallait aussi noter le fait que l’intimé avait accepté cela avant la conception et qu’il a confirmé subséquemment son acceptation, lors de la rédaction de l’Entente ainsi qu’au moment de remplir la déclaration de la naissance de l’enfant. Le juge a ainsi commis une erreur dans l’interprétation de l’article 538 C.c.Q.

[137]     Tout laisse croire que, à la lumière de l’interprétation correcte de cet article, un projet parental existait entre les deux conjointes, mariées à l'époque, avant la conception et que M. M... avait accepté d’être un géniteur et non pas le père juridique de l’enfant.

[138]     À l’égard des deux conjoints, l’intention d’établir un lien de filiation avec un enfant en déclarant ce lien au directeur de l’état civil constitue un indice déterminant quant à l’existence du projet parental. L’appelant et Mme  R... témoignent que leur désir d’avoir un enfant et de recourir à la procréation assistée remonte à plusieurs années avant leur rencontre avec l’intimé. Ce désir a été exprimé auprès de lui lors de leur premier entretien avant la conception. L'intention des deux conjoints de déclarer la naissance est cruciale quant à la détermination de leur volonté de créer un lien de filiation à l'égard de l'enfant, surtout que l’acte de naissance est le moyen prépondérant pour prouver, en l’absence de contestation judiciaire, la filiation par procréation assistée (art. 538.1 al. 1 C.c.Q.)[54]. Les textes législatifs confirment que le législateur voit l’intention de déclarer la filiation - déclaration qu’ont faite les deux conjoints - comme intimement liée à l’existence d’un projet parental valide[55]. Le rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille établi par le gouvernement du Québec souligne l’importance de la reconnaissance de co-maternité dans la déclaration de naissance en ce qui a trait au fondement volontariste de la filiation[56]. L’intention de faire cette déclaration est confirmée dans le texte de l’Entente[57]. Fait additionnel à noter : les conjoints ont procédé de la même façon lorsque M. L... a donné naissance à Z, c’est-à-dire qu’ils ont procédé par procréation assistée, ont eu recours à un donneur connu, et les noms des deux mères ont été inscrits sur la déclaration de naissance.

[139]     Quant à M. M..., le fait de renoncer à déclarer sa paternité et, à la place, de s’en remettre à un écrit - l’Entente - qui reprend l’énumération de ses responsabilités parentales constitue un signe net que l’intimé avait accepté « le rôle limité » de géniteur avant la conception, le troisième critère de l’article 538 selon Droit de la famille - 111729. M. M... a fourni ses forces génétiques sachant que l’enfant à naître aurait les noms des deux mères, et non le sien, inscrits dans l’acte de naissance. Les trois parties témoignent qu’elles en étaient conscientes avant la conception - et donc au moment de l’élaboration du projet parental -, et elles ont tout de même formé l’intention, comme le confirme l’Entente, que ce serait l’appelant et Mme  R... qui déclareraient leur lien de filiation à l’état civil et que M. M... s’en exclurait. Même si M. M... a « choisi » Y comme l’un des prénoms de l’enfant à titre de ‘compensation’ pour l’absence de son nom sur l’acte de naissance, ceci n’est nullement un signe qu’il n’a pas renoncé à déclarer sa filiation à l’endroit de X. Dans son témoignage, Mme  R... laisse plutôt croire que ce fait démontre que M. M... savait qu'il allait être exclu de l’acte de naissance et acceptait cet état de choses[58].

[140]     À titre d’exemple, une « autorisation parentale » pour fins de voyage et soins de santé en cas d’urgence a été déposée en preuve, signée par M. L... et Mme  R..., à titre de « parents », désignant M. M... comme « père biologique ». De plus, Mme  R... a signé une autorisation de résidence en faveur du M. M..., « père biologique », suite à la rupture du couple. M. M... est également, à titre de « père biologique », autorisé à aller chercher l’enfant à la garderie. Dans l’ensemble, la preuve au dossier qui identifie M. M... comme « père » ou « père biologique » laisse croire que les parties considéraient que les droits et devoirs de M. M... étaient subordonnés à ceux de Mme  R... et M. L..., et qu’ils prenaient leur source dans une délégation faite, par les parents, à M. M..., qui est une figure parentale, mais un tiers externe au projet. Ajoutons que dans les premiers 26 mois de la vie de X, M. M... était conscient de l’absence du lien filial constaté à l’acte de naissance et acceptait cette situation.

[141]     On notera aussi que, à la différence de notre affaire, le géniteur dans Droit de la famille - 111729 a demandé à la mère biologique que son nom apparaisse, comme père, dans l’acte de naissance[59]. Ceci a été interprété comme un signe clair que le géniteur, dans cette affaire, ne voulait pas que son rôle soit limité au niveau de la filiation. M. M..., par contre, a accepté que son nom n’y apparaisse pas.

[142]     La deuxième manifestation de l’erreur de droit commise tient aussi à l’identification du troisième critère du projet parental à l’article 538 C.c.Q. Contrairement à ce que décide la Cour supérieure, l’acceptation du rôle limité par M. M..., à titre de tiers géniteur, devait être appréhendée au regard du lien de filiation avec l’enfant, et non au regard de la volonté ou non d’assumer une fonction parentale auprès de lui « dans l’avenir ». Lorsqu’il analyse cette question, le juge confond parenté et parentalité en s’appuyant sur l’engagement de M. M... à entreprendre des responsabilités parentales et non sur sa renonciation quant à la filiation.

[143]     En appel, M. M... plaide que le juge a bien fait en relevant que ses responsabilités parentales sont incompatibles avec le rôle limité de géniteur aux fins du troisième critère de l’article 538 C.c.Q.

[144]     Il se trompe. Permettre à un donneur de nier l’existence d’un projet parental parce qu’il accepte d’assumer des fonctions parentales, alors qu’il a renoncé à établir un lien filial avec l’enfant, ne respecte pas le cadre juridique proposé pour l’interprétation de l’article 538 C.c.Q. dans Droit de la famille - 111729. Comme je l’ai noté plus haut, la Cour enseigne, quant au sens à donner à cet article, qu’un géniteur peut accepter de telles responsabilités tout en restant une personne étrangère au projet parental.

[145]     En effet, un géniteur, comme M. M... - père biologique -, peut prendre une place importante dans la vie de l’enfant au quotidien en acceptant des fonctions parentales, mais sans être son père aux yeux du droit de la filiation par procréation assistée. Comme l’écrivent, à bon droit, les auteurs d’un rapport présenté au ministère de la Justice du Québec en parlant de la filiation par procréation assistée :

Certes, le donneur ou la donneuse [de gamètes] pourrait vouloir jouer un rôle actif auprès de l’enfant. De concert avec le ou les parents d’intention, il pourrait aspirer à devenir une véritable figure parentale pour l’enfant. Si la légitimité d’un tel plan ne fait aucun doute, sa mise en œuvre n’exige pas pour autant qu’on attribue une filiation au donneur.[60] 

[146]     « Il convient de ne pas confondre », poursuivent les auteurs du rapport, « filiation et parentalité » :

La filiation inscrit l’enfant dans un axe généalogique, alors que la parentalité confère l’exercice des droits et des devoirs originellement attribués aux parents, mais néanmoins susceptible de délégation et de subdivision, voire de déchéance. Aux yeux du Comité, c’est au moyen de la parentalité, et non pas de filiation, qu’il faut apporter réponse aux attentes légitimes des parties.[61]

[147]     En l'espèce, la Cour supérieure confond filiation et parentalité. On peut, comme les parties l’ont fait ici, accorder au géniteur un rôle actif auprès de l’enfant après sa naissance, dans la mesure où ce rôle s’inscrit dans les fonctions de parentalité et s’accompagne de l’acceptation, par le donneur, de son rôle « limité » au niveau de la filiation.

[148]     L’erreur de droit commise par la Cour supérieure a donné aussi lieu à des erreurs factuelles se rapportant à l’interprétation de l’Entente et à l’évaluation de la crédibilité de M. L....

[149]     Une fois la distinction entre filiation et parentalité reconnue, la lecture de l’Entente signée par les parties renforce la conclusion quant à la validité du projet parental comme fondement de la filiation par procréation assistée.

[150]     En réalité, l’Entente avait une double vocation, ayant trait à la fois à la parenté et à la parentalité de l’enfant à naître.

[151]     Au niveau de la parenté, elle confirme le projet parental de l’appelant et de Mme  R... qui a été conclu avant la conception. Elle démontre, par ailleurs, à la clause A 4), que M. M... avait, avant la conception, accepté de ne pas figurer à l’acte de naissance. En limitant son rôle quant à la filiation, il a ainsi restreint son statut à celui d’un tiers externe au projet parental.

[152]     Au niveau de la parentalité, l’Entente précise aussi que M. M... a des fonctions parentales importantes envers l’enfant, qui demeurent toutefois dans la sphère de la parentalité et qui sont, dans les faits, moins étendues que celles envisagées pour les deux mères à titre de parents.

[153]     De plus, contrairement à ce qu’écrit le juge au paragraphe [39] de ses motifs, la clause A 4) de l’Entente ne peut constituer une expression claire de la volonté des parties « que M. M... possède, à l’égard de l’enfant, un pouvoir similaire sinon égal à celui des deux mères »[62]. Par cette clause, les parties reconnaissent, d’une part, que les deux mères sont inscrites dans l’acte de naissance et, d’autre part, que « le père obtien[t] le statut de gardien légal dès la naissance » - et donc qu’il est investi d’un pouvoir de parentalité plus limité que celui que lui conférerait le statut de père puisque les autres effets de la filiation reviennent aux deux mères comme effet de droit.

[154]     Comme le souligne la procureure générale du Québec, la seule mention, dans l’Entente, que les parties désiraient que l’intimé obtienne un statut de gardien légal n’est pas déterminante quant à l’intention d’assumer la paternité de l’enfant, au contraire. Si l’intimé doit « obtenir » ce statut de l’appelant et de Mme  R..., cela signifie que ces derniers - détenteurs de l’autorité parentale - devaient lui déléguer une parcelle de l’exercice de la garde de l’enfant (comme l’article 601 C.c.Q. le permet). On peut comprendre de cela que les parties ont accepté que ce soit l’appelant et Mme  R... qui se verraient reconnaître un lien de filiation avec X. Le statut de gardien de l’enfant ne revient pas à M. M... à titre d’effet de la filiation, d’où l’importance - les parties l’avaient parfaitement compris - de préciser son statut de « gardien légal » aux termes de la clause A 4) de l’Entente.

[155]     Les droits et responsabilités de M. M... s’inscrivent bien dans un rôle de parentalité et, il est vrai, ils sont importants[63]. Toutefois, si ses droits et responsabilités au niveau de l’exercice du droit de garde, des accès et des finances sont précisés et qu'un processus décisionnel par « consensus » est évoqué, d’autres conséquences juridiques du rapport parent-enfant (droits successoraux ab intestat; obligations alimentaires réciproques; prérogative de consentement aux soins et à l’adoption; fondement des relations personnelles avec les grands-parents, etc.) n’y sont pas traitées. Celles-ci reviennent, de plein droit, aux parents, c’est-à-dire à l’appelant et à Mme  R....

[156]     Que les parties aient ici signé, après la conception de l’enfant, ce document accordant une place significative à l’intimé dans la vie de l’enfant ne change pas rétroactivement la filiation par procréation assistée, surtout que le projet parental doit se cristalliser avant la conception de l’enfant. Sinon, tout document préparé dans le but d’accorder et de baliser les droits de chacun dans un scénario de procréation assistée avec donneur connu ferait du père biologique le père juridique de l’enfant. Contrairement à ce que plaide l’intimé en réponse à une question posée par un membre de la formation à l’audience en appel, ceci ne peut être une interprétation raisonnable de la définition du projet parental exposé dans Droit de la famille - 111729. En effet, faire dépendre l’existence d’un projet parental de la volonté d’accepter ou non un rôle de parentalité, comme l’a fait le juge de première instance, ferait en sorte que toute implication d’un donneur de gamètes risquerait de faire échec à la reconnaissance d’une filiation par procréation assistée.

[157]     Il est vrai que l’Entente n’est pas exempte d’ambiguïté et, à ce titre, certaines de ses clauses appellent à une interprétation. C’est le cas, par exemple, de la désignation de M. M... comme « père », par opposition aux deux « mères » Mme  R... et M. L..., ce qui pourrait laisser entendre que l’intention commune des parties était de reconnaître tous les trois comme parents. Mais lue dans son ensemble, l’Entente précise, tant au niveau de la garde qu’au regard des responsabilités financières, que ce « père » n’a pas le même statut que les deux « mères », celui-ci ayant des droits d’accès à l’enfant et des obligations pécuniaires qui ne sont pas l’équivalent de ceux d’un père. De plus, on notera que l’interprétation que les parties ont donnée à l’Entente confirme que M. M... est investi d’une fonction parentale plutôt que du statut d’un père.

[158]     Finalement, sur la question de la crédibilité, le juge dit en accorder davantage au témoignage de M. M..., M. L... essayant trop de minimiser l’implication de ce dernier dans la vie de X. Or, autant l’intimé que l’appelant tentent de faire un portrait de la situation à leur avantage (l’appelant en minimisant le rôle de l’intimé, et ce dernier en essayant de mettre l’accent sur le fait que la conception a peut-être eu lieu par relations sexuelles). Néanmoins, l’appelant a reconnu que l’intimé était important et présent dans la vie de X, et il se dit prêt à reconnaître un rôle de parentalité pour M. M... à l’avenir, ce qui contredit la conclusion du juge selon laquelle l’appelant soutenait que le rôle de l’intimé se limitait à être « un donneur de forces génétiques » (paragr. [49] de ses motifs).

[159]     Encore une fois, le juge assimile filiation à parentalité et il fait une détermination sur la crédibilité de l’appelant en se basant sur la négation par ce dernier d’une possible revendication d’un lien filial entre l’intimé et X, alors qu’il ne nie pas son rôle parental auprès d’elle.

[160]     Par ailleurs, sur le volet procréation assistée, il est intéressant de noter que l’avocate de l’intimé, en première instance, a elle-même reconnu à plus d’une reprise qu’il y a eu assistance à la procréation ici. Cette concession semble s’expliquer par le fait qu’elle était d’avis que le changement de sexe de l’appelant venait changer la donne : « elle ne détient pas une filiation de père, elle détient une filiation de mère, par le volet de la procréation assistée ».

[161]     Il semble d’ailleurs que le changement de sexe a été une des raisons décisives pour laquelle l’intimé a entrepris son recours en réclamation d’état. La demande introductive d’instance remodifiée le dit clairement[64], M. M... le répète à l’instruction[65], cherchant après à retirer ses propos.

[162]     Or, je tiens à souligner que le fait que l’une des mères entreprenne un changement de sexe à la suite de la formation du projet parental, devenant ainsi père, ne change absolument rien à son statut de parent légal de l’enfant.

[163]     Même en tenant pour acquis que la contribution des forces génétiques de M. M... au projet parental a été faite par relations sexuelles, son droit de revendiquer un lien de filiation entre lui et l’enfant serait échu. L’article 538.2, al. 2 C.c.Q. précise que cela devait être fait dans l’année qui suivait la naissance de X. Or, la contestation d’état est intentée lorsque l’enfant a deux ans et deux mois.

[164]     Le moyen d’appel relatif à la procréation assistée est bien fondé et justifie de faire droit à l’appel.


 

3.    Subsidiairement, le juge de première instance a-t-il erré dans l’interprétation et l’application des règles de filiation par le sang?

[165]     Vu la conclusion de la Cour sur l’existence d’un projet parental entre l’appelant et Mme  R..., les règles de la procréation assistée sont celles qui s’appliquent pour déterminer la filiation de X. Ainsi, les moyens d’appel relatifs à la filiation par le sang deviennent théoriques, n’ayant plus aucun impact sur l’issue du litige.

[166]     Dans les circonstances, je préfère ne pas me prononcer formellement sur certaines conclusions du premier juge relatives à ce volet de son analyse.

VI      CONCLUSION

[167]     En guise de conclusion, il y a lieu de rappeler que la seule question en litige se rapporte à la détermination de la filiation. L’intimé, tiers externe au projet parental, n’a pas de droit à l’égard de l’enfant X à ce titre.

[168]     Il est vrai que l’Entente lui propose des droits d’accès et une certaine responsabilité financière envers l’enfant et que, lors des débats en première instance, l’appelant M. L... s’est dit prêt à laisser une place à M. M... dans la vie de l’enfant. Cela dit, les conclusions sollicitées dans l’action en justice présentée par l’intimé en première instance ne comportaient pas une demande, à titre de tiers significatif, personne in loco parentis ou autrement, pour faire reconnaître judiciairement des fonctions parentales.

[169]     Dans la mesure où ces questions dépendent de l’appréciation du meilleur intérêt de l’enfant, la preuve de cet intérêt n’a pas été administrée en première instance, car ce n’était pas l’enjeu de la présente affaire. En effet, la jurisprudence et la doctrine sont fermes sur ce point : l’établissement de la filiation autre qu’adoptive ne tient pas directement d’une évaluation du meilleur intérêt de l’enfant, considération propre à toute décision concernant la parentalité[66]. Il est vrai que le juge exprime son point de vue sur cet intérêt à deux reprises, mais il n’en a pas fait une véritable détermination factuelle. Ses commentaires à cet égard s’inscrivent d’abord dans l’invitation qu'il lance au législateur de réformer le droit de la filiation et ne lient personne.

[170]     La famille de X est donc biparentale : dès sa naissance, X avait deux mères (dont une est devenue un homme par la suite). Figure parentale impliquée dans la vie de l’enfant suivant l’intention des parties au moment de la formation du projet parental, M. M..., son père biologique, est un tiers du point de vue de la filiation.

[171]     Je note aussi que l’intimé est tiers intervenant dans l’instance de divorce, pendante en Cour supérieure, entre M. L... et Mme  R.... On peut penser que, dans ce contexte, les questions relatives aux rôles que M. M... et les deux parents seront respectivement amenés à jouer seront possiblement débattues, selon l’intérêt de l’enfant, mais je m’abstiens de tout commentaire à l’égard de ce litige.

[172]     En somme, je propose de faire droit à l’appel en partie et d’infirmer le jugement de la Cour supérieure en partie, sans frais de justice dans les deux cas vu la nature familiale du différend. Il y a lieu d'infirmer la conclusion du jugement accueillant la demande de reconnaissance de paternité de l’intimé M. M... ainsi que celles par lesquelles le juge ordonne au directeur de l’état civil de modifier les registres et le certificat de naissance de X en vue d’y rayer le nom de l’appelant M. L... comme mère et d’y substituer le nom de l’intimé comme père.

[173]     Considérant l’issue que je propose au dossier, il n’est pas nécessaire de trancher la question constitutionnelle. De ce fait, je rejetterais la demande de M. L... de déclarer inconstitutionnel l’article 532 C.c.Q. Pour le reste, je maintiendrais les conclusions du juge. La demande de changement de nom est rejetée et puisque le rejet de la demande de M. L... en abus de procédure n’a pas été contesté en appel, je suis d’avis de le rejeter, comme l’a fait le juge de première instance.

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 



[1]     Droit de la famille - 18968, 2018 QCCS 1900 [Jugement dont appel].

[2]     Jugement dont appel, paragr. [26]. Il convient de noter, dès maintenant, qu’il est techniquement inexact de dire que le droit québécois renferme un modèle « biparental » de la filiation juridique : une personne seule, par exemple, peut adopter un enfant (art. 546 C.c.Q.) et une femme peut devenir mère monoparentale en application des règles de la procréation assistée (art. 538, 538.2, lus avec art. 541 C.c.Q.).

[3]     C’est l’expression employée dans le texte français de l’article 539.1 C.c.Q., qui précise que cela convient « lorsque les parents sont tous deux de sexe féminin ». Tourné autrement, le texte anglais de l’article prévoit, lui aussi, la possibilité de deux mères, « [i]f both parents are women », en faisant la distinction entre la « mother who did not give birth to the child » et, simplement, la « mother » (celle mentionnée, on le présume, dans le constat de naissance par l’accoucheur). Outre l’article 539.1, voir les articles 111 et 115 C.c.Q.

[4]     Les expressions « parentalité de substitution » et « parentalité d’addition » sont expliquées utilement dans Dominique Goubau et Martin Chabot, « Recomposition familiale et multiparentalité : un exemple du difficile arrimage du droit à la famille contemporaine », (2018) 59 C. de D. 889, p. 894.

[5]     Comme l’explique le juge Beetz au nom de la Cour suprême dans l’arrêt C.(G.) c. V.-F. (T.), [1987] 2 R.C.S. 244, p. 281 : « Le démembrement de l’exercice de l’autorité parentale [au profit d’un tiers] ne fait pas perdre au parent non gardien sa qualité de titulaire de l’autorité parentale […] ».

[6]     Je référerai dans ces motifs à l’enfant X comme « X »; à l’appelant C... L... (autrefois Ch... L...) comme « M. L... » ou « l’appelant »; à l’intimé J... M... comme « M. M... » ou « l’intimé »; et à l’intimée G... R... comme « Mme R... » ou « l'intimée ». J’utiliserai le masculin pour faire référence à l’appelant, sauf lorsque les circonstances factuelles dictent l’emploi du féminin.

[7]     Voir le paragr. [54] du jugement dont appel, où le juge s’appuie sur l’arrêt Droit de la famille - 111729, 2011 QCCA 1180, paragr. [35] (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 1er mars 2012, n° 34441).

[8]     Droit de la famille - 11394, 2011 QCCA 319, paragr. [58]; voir, plus généralement, Jean Pineau, « L’ordre public dans les relations de famille », (1999) 40 C. de D. 323, p. 340 et s.

[9]     Voir les motifs du juge Ruel pour la majorité dans l’arrêt Droit de la famille - 181478, 2018 QCCA 1120, paragr. [5], (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 janvier 2019, no 38318); Droit de la famille - 161633, 2016 QCCA 1142, paragr. [19]; Droit de la famille - 07528, 2007 QCCA 361, paragr. [55] (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 20 septembre 2007, no 32045).

[10]    La mention, à l’article 538 C.c.Q., qui indique qu’un projet parental dépend de la décision d’« une personne seule ou des conjoints / person alone […] or spouses » est particulièrement pertinente pour démontrer que la filiation par procréation assistée ne peut être reconnue qu’à l’endroit d’un maximum de deux parents.

[11]    Sur les développements récents en Ontario, Colombie-Britannique et ailleurs, voir Fiona Kelly, « One of these Families is not Like the Others : The Legal Response to Non-Normative Queer Parenting in Canada », (2013) 51 Alta. L. Rev. 1 ; Régine Tremblay, « Quebec’s Filiation Regime, the Roy Report’s Recommendations, and the ‘Interest of the Child’ », (2018) 31 Can. J. Fam. L. 199, p. 238 et s.; Alain Roy, « Revue de la jurisprudence 2018 en droit de la famille : Quel droit de la famille pour aujourd’hui ou demain ? », (2019) 121 R. du N. 1, p. 15 et s.

[12]    Voir, par exemple, par des juristes québécois, Dominique Goubau, « Biomédicine et droit de la filiation au Canada : entre audace et retenu » dans Brigitte Feuillet-Liger et al. (dir.), Les incidences de la biomédecine sur la parenté : Approche internationale, Bruxelles, Bruylant, 2014. p. 11 (du texte manuscrit) ; Robert Leckey, « ‘Where the Parents are of the Same Sex’ : Quebec’s Reforms to Filiation », (2009) 23 Int’l. J.L. Pol’y & Fam. 62. p. 69 et s.; Angela Campbell, « Conceiving Parents through Law », (2007) 21 Int’l J.L. Pol’y & Fam. 242, notamment p. 254 et 260.

[13]    Alain Roy, « De certains enjeux contemporains du droit québécois de la filiation », (2017) 2 C.P. du N. 325, p. 341.

[14]    Benoît Moore, « Les enfants du nouveau siècle (libres propos sur la réforme de la filiation) », Barreau du Québec, Développements récents en droit familial, vol. 176, Cowansville, Yvon Blais, 2002, 75, p. 78. L’art. 115 C.c.Q. est une « disposition définitionnelle » pour M. Moore puisqu’il donne « ancrage, dans l’ensemble de notre droit, à la filiation homosexuelle », id. Voir aussi, A. Roy, id.

[15]    Voir Michael H. Lubetsky, «''Qui est ton parent ?'' : les implications de Droit de la famille - 111729 », Barreau du Québec, Développements récents en droit familial, vol. 355, Cowansville, Yvon Blais, 2012, 87.

[16]    Selon l’art. 114 al. 1 C.c.Q., lorsque la naissance survient pendant le mariage, l’un des conjoints peut déclarer la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre. L’article 115 prévoit que, lorsque les parents sont de même sexe, comme c’était le cas ici à l’époque, ils sont désignés comme les mères ou pères, selon le cas. La déclaration de naissance n’est pas au dossier, mais son contenu n’est pas contesté.

[17]    Art. 113 C.c.Q.

[18]    A. Roy, supra, note 13, p. 342-3.

[19]    La lecture du paragr. [45] des motifs du juge peut laisser croire que M. M... avait son propre projet parental qu’il a fusionné avec celui des deux conjoints. Certes, pendant la période avant sa rencontre de M. L... et Mme R..., M. M... s’est inscrit sur le site « coparenting.com » et, à cette époque, il pouvait bien vouloir devenir père d’un enfant. Toutefois, il serait erroné, dans l’état actuel du droit, de dire qu’un homme seul peut formuler un projet parental avec assistance à la procréation au sens de l’article 538 C.c.Q. Outre la règle à l’article 538.2, al. 1 C.c.Q., la doctrine souligne aussi que la nullité absolue des contrats dits de « mère porteuse » présente un autre obstacle au projet parental d’un homme seul (voir art. 541 C.c.Q.). Sur la non-disponibilité du projet parental pour l’homme seul, voir par ex., Marie Christine Kirouack, « Le projet parental et les nouvelles règles relatives à la filiation : une avancée ou un recul quant à la stabilité de la filiation ? », Barreau du Québec, Développements récents en droit de la famille, vol. 229, Cowansville, Yvon Blais, 2005, 375, p. 386.

[20]    Droit de la famille — 111729, supra, note 7, paragr. [41].

[21]    Voir, sur ce point, les articles 114 et 115 C.c.Q., lus avec l’article 538 C.c.Q, ainsi que les explications utiles de l’autrice Kirouack, supra, note 19, p. 387 à 391. S’appuyant notamment sur l’article 61.1 de la Loi sur l’interprétation, RLRQ, c. I-16, Kirouack ajoute que le terme « conjoints » implique un couple en vie commune, c’est-à-dire deux personnes, et pas plus, participants au projet parental.

[22]    Malgré l’apparente imprécision du texte anglais de l’article 538 C.c.Q. sur ce point, la jurisprudence enseigne, à bon droit, que la décision des conjoints doit être prise avant la conception : voir F.P. c. P.C., 2005 CanLII 5637 (QC CS), notamment au paragr. [76].

[23]    Voir, par ex., Alain Roy, Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), La filiation par le sang et la procréation assistée (Art. 522 à 542 C.c.Q.), Montréal, Yvon Blais, 2014, p. 155; et Michelle Giroux, « Filiation de l’enfant né d’une procréation assistée », dans Pierre-Claude Lafond et Alain Roy (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil : Personnes et famille », Montréal, LexisNexis, feuilles-mobiles, fasc. 30, no 10 (daté mai 2017).

[24]    Aux paragraphes [13] et [14], le juge indique que les trois parties « conviennent » sur comment procéder peu après leur première rencontre et avant que Mme R... tombe enceinte. Dans l'ensemble, ses motifs semblent considérer l’Entente comme le reflet exact de cet arrangement. Le témoignage de M. M... indique clairement que l’Entente a été rédigée par les trois parties après le début de la grossesse de Mme R... et qu’elle a été conclue pour expliciter les droits et responsabilités des trois parties. Le témoignage de M. L... ne le contredit pas sur ce point.

[25]    On notera que le texte anglais de l’article 538 C.c.Q. apporte une précision qui n’est pas explicite dans le texte français : les conjoints doivent avoir décidé d’avoir un enfant en recourant aux forces génétiques du tiers « by mutual consent ».

[26]    Art. 538 C.c.Q. Comme je l’ai noté plus haut, l’article 538.2, al. 1 C.c.Q. est plus explicite encore, statuant que l’apport des forces génétiques doit être fait par le géniteur « au projet parental d’autrui / to the parental project of another » pour que ne soit fondé aucun lien de filiation entre l’auteur de l’apport et l’enfant.

[27]    C’est l’expression du professeur Roy, supra, note 13, p. 9. L’autrice Kirouack, supra, note 19, p. 390, désigne utilement le donneur comme « une personne étrangère » au projet parental.

[28]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7.

[29]    L’objectif de l’exigence serait, notamment, d’éviter « qu’un homme ne tente d’échapper à sa paternité, en prétendant que la femme avec laquelle il a eu des relations sexuelles avait formé un projet parental auquel il n’était pas partie » : Jean Pineau et Marie PratteLa famille, Montréal, Thémis, 2006, no 423, p. 681. Les tribunaux se montrent donc vigilants à l’égard du géniteur qui, ayant eu des relations sexuelles avec la mère, prétend être un tiers à son projet parental comme moyen de défense contre une paternité qui relève de la filiation par le sang. Cette préoccupation, des plus légitimes, n’est pas pertinente en l’espèce; ici, l’intimé M. M... soutient au contraire que l’inexistence d’un projet parental lui permet de revendiquer la paternité de X via les règles de filiation par le sang. Voir F.P. c. P.C., supra, note 22, paragr. [64] et [72] à [74].

[30]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [64]. Ainsi, le professeur Robert Leckey écrit « […] a person is only a contributor of genetic material if he has knowledge of the parties’ parental project and consents to assume that role »: « Lesbian Parental Projects in Word and Deed », (2011) 45 R.J.T. 315, p. 326.

[31]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [60].

[32]    Voir, par exemple, la définition du terme « filiation » proposée par Paul-André Crépeau et al. (dir.), Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les familles, 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 2016, p. 60 :« [l]ien de droit qui établit le rapport entre un enfant et un parent, père ou mère ».

[33]    L’expression « ordre généalogique » doit être utilisée avec prudence, au regard du droit positif québécois, dans la mesure où même la « filiation par le sang / filiation by blood » du C.c.Q. n’est pas le reflet exact d’une généalogie fondée sur une réalité biologique : Voir, par exemple, Marie-France Bureau, « Filiation et origines : questionnement et hypothèses sur le rôle du droit », dans Christelle Landheer-Cieslak et Louise Langevin, (dirs.), La personne humaine, entre autonomie et vulnérabilité, Mélanges offerts à Edith Deleury, Cowansville, Yvon Blais, 2015, 75, p. 95 et s.

[34]    Voir la définition proposée par P.-A. Crépeau, supra, note 32, p. 91, pour « parenté » : « [l]ien juridique entre descendant d’un auteur commun, en ligne directe ou collatérale. Par exemple le lien entre un père et une fille, entre une sœur et un père ». La connexité entre « filiation » et « parenté » est soulignée de manière analogue dans le droit français par Gérard Cornu dans sa définition de « filiation » : « lien de parenté unissant l’enfant à son père (filiation paternelle) ou à sa mère (filiation maternelle) » : Vocabulaire juridique, 7e éd., Paris, P.U.F., 1998, p. 360.

[35]    P.-A. Crépeau, supra, note 32, p. 90. On y précise que « la parentalité repose sur des liens factuels avec l’enfant qui se manifestent au quotidien ».

[36]    On notera qu’une distinction similaire existe en droit français. Cette distinction est pertinente à faire même si le droit québécois de la filiation par procréation assistée est différent du droit français, surtout depuis la réforme québécoise de 2002, ce qui complique quelque peu les comparaisons. Sur comment le droit français a pu refuser « d’octroyer aux couples homosexuels des véritables droits de filiation (parenté); pour leur octroyer uniquement la parentalité (autorité parentale) », voir Daniel Borrillo, « La parenté et la parentalité dans le droit : conflits entre le modèle civiliste et l’idéologie naturaliste de la filiation », dans E. Dorlin et E. Fasson (dirs.), Reproduire le genre, Paris, Centre Pompidou, 2010, 121, p. 129.

[37]    Article 597 et s. C.c.Q. En rappelant que l’autorité parentale est « une conséquence directe de l’établissement de la filiation », la Cour souligne aussi que lorsque la filiation n’est pas établie, il n’est pas possible d’en réclamer ses effets : Droit de la famille - 07528, supra, note 9, paragr. [54].

[38]    Le droit civil reconnaît diverses circonstances où un tiers, non parent et non titulaire de l’autorité parentale, peut exercer cette autorité : voir, par exemple, en adoption (art. 562 et 572 C.c.Q.), en matière de tutelle (art. 186 C.c.Q.) et de tutelle supplétive (art. 199.1 et s. C.c.Q.).

[39]    Voir, par exemple, Johanne Clouet, « Le statut juridique du beau-parent en droit civil québécois », dans Vincent Caron et al. (dirs.), Les oubliés du Code civil du Québec, Montréal, Thémis, 2014, 51, p. 56, où l’autrice s’appuie, comme je propose de le faire ici, sur l’arrêt de la Cour suprême dans C.(G.). c. V.-F.(T.), supra, note 5, pour asseoir une distinction entre la filiation d’un parent et la fonction parentale d’un beau-parent.

[40]    Voir, par exemple, Benoît Moore, « La notion de ‘parent psychologique’ et le Code civil du Québec », (2001) 103 R. du N. 115.

[41]    Robert Leckey, « Two Mothers in Law and Fact », (2013) 21 Fem. Leg. Stud. 1, p. 6.

[42]    C.(G.) c. V.-F.(T.), supra, note 5, notamment les paragr. [67] et s.

[43]    Droit de la famille - 09398, 2009 QCCA 374.

[44]    Les auteurs, même les plus critiques à l’égard de la réforme de 2002, reconnaissent que les articles 538 à 542 C.c.Q. visent des rapports de parenté et non de simples rapports de parentalité. Sur cette question, voir Marie-France Bureau, Le droit de la filiation entre ciel et terre : étude du discours juridique québécois, Cowansville, Yvon Blais, 2009, p. 213 et s.

[45]    Droit de la famille - 3444, [2000] R.J.Q. 2533, 2000 CanLII 11357 (QC CA), paragr. [22] à [26] ; Droit de la famille - 11394, supra, note 8, paragr. [58].

[46]    On peut faire une analogie avec des indices de possession d’état : « une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation / an adequate combination of facts which indicate the relationship of filiation » (art. 524, 538.1 C.c.Q.).

[47]    Les professeures Ouellette et Lavallée soulignent que le lien entre l’autorité parentale issue du lien filial peut être vu comme héritage d’une époque dominée par un modèle familial dit traditionnel Françoise-Romaine Ouellette et Carmen Lavallée, « La réforme proposée du régime québécois de l’adoption et le rejet des parentés plurielles », (2015) 60 R. D. McGill 295, p. 308.

[48]    Tout en me gardant de tirer des conclusions de données qui ne font pas partie de la preuve, je prends note que certains auteurs, juristes et sociologues soulignent que la dissociation de parenté et parentalité est fréquente en procréation assistée lorsque deux femmes en couple font appel à un tiers connu qui, en raison de sa relation avec les futures mères, veut garder contact avec elles et assumer les fonctions parentales auprès de l’enfant à naître : voir, par exemple, Isabel Côté, « Du père au géniteur en passant par le tiers intéressé : représentations du rôle joué par le donneur de sperme connu dans les familles lesboparentales québécoises », (2014) 21 Enfances, Familles, Générations 70, p. 73 et s.; Robert Leckey, « The Practices of Lesbian Mothers and Quebec’s Reforms », (2011) 23 Can. J. Women & L. 579, p. 589 et s.; Michael H. Lubetsky, supra, note 15, p. 96-7.

[49]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [63].

[50]    Voir Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, paragr. [23].

[51]    Voir Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [31] et [63] où le juge Rochon explique que l’erreur d’interprétation portant sur l’article 538 C.c.Q. n’a pas conduit à une erreur dans l’interprétation de la preuve par le premier juge.

[52]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [42].

[53]    M. M... affirme au procès avoir compris qu’il n’avait pas le droit de faire inscrire son nom dans l’acte de naissance puisque les « co-mères » étaient mariées et qu’elles tenaient à le faire. Il dit avoir compris aussi que s’il voulait se réserver un rôle de père dans la vie de l’enfant, il devait le faire par contrat. Il me semble que cette compréhension est un reflet adéquat de l’état du droit de la filiation par procréation assistée. Les deux mères - des conjointes mariées à l’époque aux fins des articles 113, 144, al. 1, 115 et 538 C.c.Q. - voulaient et avaient bien le droit de déclarer la naissance à leur propre endroit comme les parents par procréation assistée. Il était tout aussi conforme au droit que M. M..., en tant que tiers externe au projet, se fasse accorder des fonctions parentales par entente. Dans ce contexte, la possibilité pour M. M... de s’impliquer dans la vie de X tenait de la volonté des deux mères, titulaires de l’autorité parentale, qui pouvaient lui déléguer, par une entente, l’exercice d’une parcelle du droit de garde, comme le prévoit l’article 601 C.c.Q.

[54]    Droit de la famille - 1528, 2015 QCCA 59, paragr. [8].

[55]    L’article 538 C.c.Q. doit être lu conjointement avec l’article 540 C.c.Q. à cet égard : ce texte prévoit qu’une personne engage sa responsabilité lorsqu’elle ne déclare pas son lien de filiation à la naissance d’un enfant après avoir pourtant accepté de participer au projet parental dont il est issu.

[56]    Comité consultatif sur le droit de la famille, Alain Roy (prés.), Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Montréal, Thémis, 2015, p. 234.

[57]    Outre la clause 4 A), on notera que le juge reproduit, au paragr. [49] de ses motifs, une clause de l’Entente qui prévoit que les parties avaient l’intention de partager le support des enfants à naître, mais il omet la dernière phrase de cette clause qui déclare que « Les parti[e]s s’entendent à ce que les deux mères puissent porter un enfant ».

[58]    À cet effet, Mme R... témoigne que « […] parce que j’ai dit que c’est la seule chose de monsieur M... qu’il va avoir sur le certificat de naissance, donc j’ai dit, je voulais que ça soit monsieur M... qui choisisse le nom, le deuxième prénom ».

[59]    Droit de la famille - 111729, supra, note 7, paragr. [51].

[60]    Comité consultatif sur le droit de la famille, A. Roy (prés.), supra, note 55, p. 244 (renvois omis).

[61]    Id., p. 245 (renvois omis).

[62]    En fait, au paragr. [39] le juge écrit qu’il ne décidera pas du « fondement juridique » de la stipulation selon laquelle l’intimé obtient « le statut de gardien légal [de l’enfant] dès la naissance ». Il décide néanmoins que M. M... possède « un pouvoir similaire sinon égal des deux mères ».

[63]    L’intention déclarée des parties de partager « le support physique, émotionnel et financier » de l’enfant s’inscrit dans un engagement, pour M. M..., de « jouer le rôle du père » (paragr. [45] des motifs du juge). On note bien que, selon l’Entente, les « mères s’engagent à ce que l’enfant puisse à tous les jours si possible garder un contact avec le père », voire « avoir la garde la moitié du temps lorsque l’enfant n’est pas à l’école, s’il le désire ». M. M... s’engage financièrement envers l’enfant, même si l’Entente prévoit clairement que la responsabilité principale à cet égard incombe aux « mères ».

[64]    Le paragr. 17b) de cette procédure énonce : « De plus, défenderesse Ch... L... est en processus de changement de sexe, elle veut devenir un homme et veut que l’enfant X la nomme ‘papa’, ce que le demandeur [M. M...] refuse; […] ».

[65]    Dans son témoignage, en première instance, l’intimé dit : « ça me fait du mal, c’est une co-mère, c’était une co-mère initialement, mon rôle était d’être le père, d’être reconnu le père, au niveau du certificat de naissance ça sera toujours une mère, elle ne pourra jamais être reconnue comme père, moi je suis le père de X ».

[66]    Voir, par exemple, les explications de la juge Bich au nom de la Cour dans Droit de la famille - 11394, supra, note 8, paragr. [58]. Le professeur Goubau, à juste titre, met en garde contre le danger d’invoquer l’intérêt de l’enfant dans un contexte comme le nôtre, signe de « confusion des genres entre fonction parentale et filiation » : supra, note 12, p. 11.

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