Décision

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Décision

Desroches c. Evoludev Immobilier inc.

2021 QCTAL 11651

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Joliette

 

No dossier :

486331 29 20191011 G

No demande :

2866928

 

 

Date :

05 mai 2021

Devant le juge administratif :

Daniel Gilbert

 

Francine Desroches

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Evoludev Immobilier inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

La demande

[1]      Le 11 octobre 2019, la locataire demande une diminution de loyer de 100 $ par mois rétroactivement au début du bail, soit le 1er juillet 2019, en plus de réclamer 2 000 $ en dommages et intérêts au locateur.

[2]      Dans les motifs au soutien de sa demande écrite, la locataire indique qu'une mise en demeure a été envoyée le 12 septembre 2019. La locataire soumet que la configuration des lieux pour accéder à son garage intérieur fait en sorte qu'elle n'est pas en mesure de s’y stationner. Les manœuvres pour y arriver sont impossibles à exécuter, et ce, considérant l’exiguïté du terrain même en plein été alors que cela est encore plus difficile en hiver.

[3]      La locataire réclame donc une diminution de loyer de 100 $ par mois puisqu'elle n'a pas eu le bénéfice du garage intérieur inclus dans le loyer. De plus, elle réclame 1 000 $ à titre de dommages moraux pour les troubles et inconvénients suivants : perte de jouissance, multiples déplacements effectués afin de se stationner dans la rue ou ailleurs à proximité du logement, stress et anxiété. À ce premier montant, elle ajoute 1 000 $ pour des frais de déménagement. À la suite d’une modification verbale formulée à l’audience, la locataire a porté la réclamation pour frais de déménagement à 1 238,86 $ de sorte qu’elle réclame maintenant au locateur un total de 2 238,86 $ en dommages.

[4]      Les parties étaient liées par un bail initial de 12 mois, soit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, au loyer mensuel de 950 $. La locataire a cependant quitté à la fin du premier terme du bail, soit le 30 juin 2020 essentiellement parce qu’elle ne pouvait bénéficier du stationnement intérieur inclus au bail.

Preuve des parties

[5]      La locataire explique qu'elle a loué son logement à partir d'un plan puisque l'immeuble était alors en construction. Ainsi, elle n'a pas été en mesure de constater l'exigüité de l'accès au stationnement avant son arrivée au logement.

[6]      Elle possède une Honda Civic 2013 qu’elle qualifie de voiture normale puisqu’elle n'est pas surdimensionnée.


[7]      Dès le mois de septembre 2019, elle a demandé à la représentante du locateur de lui consentir un crédit de 100 $ par mois puisqu'elle n'arrivait pas à se garer dans le stationnement intérieur qui lui était assigné et elle n’était donc pas en mesure de l’utiliser.

[8]      La locataire témoigne avoir été avisée par l'agente de location retenue par le locateur, Mme Jessie Jaillet, qu'il en coûtait 100 $ de moins par mois si un logement ne bénéficiait pas d'un garage intérieur.

[9]      La locataire réclame 1 000 $ à titre de dommages moraux pour les troubles et inconvénients subis notamment pendant la période hivernale où elle devait stationner sa voiture à l'extérieur. Comme elle travaille très tôt, elle devait s’assurer de déneiger sa voiture et la laisser réchauffer avant de pouvoir quitter.

[10]   De plus, la locataire réclame 1 238,86 $ à titre de frais de déménagement avec facture à l'appui.

[11]   Enfin, la locataire produit une déclaration écrite datée du 26 janvier 2021, émanant d'une locataire voisine, Mme Lucie M Drolet, laquelle a habité l'immeuble au même moment. Malgré une question du Tribunal à cet égard, la mandataire du locateur ne s'est pas opposée à la production de cette déclaration écrite.

[12]   Madame Drolet déclare notamment ce qui suit :

« (…)

Six locataires sur dix avaient accès à un garage concernant cet immeuble. Chaque côté de l'immeuble, il y a 3 portes de garage.

Avec le logement que j'occupais, j'avais le garage Porte 6 situé du côté gauche de l'immeuble (lorsqu'on regarde l'immeuble de la rue). La porte du garage qui m'a été alloué était la première en partant de la Cour arrière.

Le sol du stationnement était constitué d'une couche de gravier (sur-élevé d'au moins 1 pied - 1 pied et demi par rapport au terrain du voisin au niveau des portes 5 et 6). Ce sol n'avait aucun soutien au moment de mon occupation comme un muret afin de permettre la rétention de ce gravier.

Or, il était très difficile de stationner et de sortir un véhicule de la Porte 6 et Porte 5 à cause de ce dénivelé instable et fragile. Pour ma part, je possède une petite voiture Nissan Micra, je réussissais à entrer et sortir du garage sans trop de mal à la condition d'installer quelque chose pour m'indiquer l'endroit critiques dont je ne pouvais pas dépasser. Ce que j'ai utilisé était une poubelle du bloc que j'avais installé au bout de ce gravier.

Je sais que madame Desroches n'a jamais pu entrer sa voiture dans son garage. J'ai moi même tenter de stationner sa voiture, l'été passé, dans son garage sans réussir. Je conduis des autobus voyageurs de 45 pieds et je stationne tous les jours ces véhicules dans le garage de la compagnie de reculons.

(…) »

[Reproduit tel quel]

[13]   En défense à la demande de la locataire, la mandataire du locateur explique d'abord que les stationnements intérieurs sont liés à des logements spécifiques de l'immeuble. En effet, le système électrique d’un stationnement intérieur est raccordé au panneau électrique d’un logement spécifique. Il devient dès lors impossible de retirer le stationnement intérieur lié à un logement pour l’attribuer à un autre logement puisque la fourniture du service électrique ne peut être modifiée. La locataire se serait alors retrouvée à payer l’électricité d’un stationnement intérieur utilisé par un autre occupant de l’immeuble.

[14]   La mandataire du locateur produit un plan d’implantation à l’échelle émanant de Michel Tellier, architecte, qui démontre un espace disponible de 14 pieds et six pouces devant le garage alors que le garage intérieur est d’une profondeur de 23 pieds et 4 pouces. À première vue, le Tribunal estime qu’il s’agit d’un espace très restreint pour qu’une voiture moyenne puisse se stationner d’autant plus qu’il faut tenir compte de l’instabilité du sol à la limite du terrain. En effet, à cette époque, il n’y avait pas de muret et l’entrée n’était pas asphaltée.

[15]   Enfin, la mandataire du locateur n'est pas d'accord pour qu'un crédit au montant de 100 $ par mois soit accordé à la locataire. Elle reconnaît cependant qu'un logement du même immeuble, sans stationnement et de grandeur identique, est loué 100 $ de moins que le loyer payé par la locataire.


Analyse

[16]   Considérant la preuve soumise par les parties à l’audience, notamment la déclaration écrite de Mme Lucie M. Drolet, le Tribunal estime que la locataire n’était pas en mesure d’utiliser le garage intérieur fourni avec le logement afin d’y stationner son véhicule. En effet, la locataire démontre qu’il était impossible de s’y stationner bien que son véhicule n’était pas hors norme et surtout que cela ne résultait pas d’un manque d’habileté de sa part.

[17]   Par ailleurs, la preuve soumise par la mandataire du locateur, notamment le plan d’implantation, démontre que l’espace devant le garage était excessivement restreint.

[18]   En ce qui concerne la diminution de loyer, les obligations du locateur sont énoncées notamment à l’article 1854 du Code civil du Québec :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

[Nos soulignements]

[19]   La locataire fonde son recours en diminution de loyer et en dommages sur les dispositions de l'article 1863 du Code civil du Québec qui édictent :

«1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer ; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[Nos soulignements]

[20]   Selon les auteurs[1], la loi impose au locateur des obligations de résultat en ce qui concerne la jouissance paisible du logement. Ainsi, le locateur ne peut se dégager de ses obligations en faisant simplement preuve de prudence et de diligence. La simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi par la locataire suffit à faire présumer la faute du locateur, une fois l'inexécution ou la survenance d’un dommage démontrées. Dès lors, le locateur, pour éviter d’engager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute et démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une situation de force majeure.

[21]   L'inexécution d'une obligation prévue par la loi ou le bail confère le droit à la locataire de demander, entre autres, une diminution du loyer (article 1863 du Code civil du Québec). Cette diminution vise à compenser, de manière objective, la perte subie par la locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur ou de la perte de jouissance subie.

[22]   Ainsi, les inconvénients subis par la locataire, du fait de l’impossibilité d’utiliser son stationnement pendant la durée du bail, doivent aussi entraîner une perte réelle, sérieuse, significative et substantielle de la jouissance du logement. Le montant du loyer doit ainsi refléter la valeur locative réelle du loyer. Toute entrave à la pleine jouissance des lieux doit donc, elle aussi, s'illustrer via une diminution du loyer en proportion avec le sérieux ou la gravité de la perte de jouissance.

[23]   En résumé, le Tribunal accorde à la locataire une diminution de loyer totalisant 1 200 $, laquelle portera intérêt, à compter du 1er juillet 2020, date de la fin du bail.

[24]   En ce qui concerne les dommages moraux, c’est-à-dire les troubles et inconvénients subis par la locataire découlant de l’impossibilité de se stationner dans le garage intérieur fourni avec le logement, le Tribunal estime qu’un montant de 300 $ est suffisant pour les compenser. Ce montant portera intérêt aussi à compter du 1er juillet 2020, date de la fin du bail.


[25]   Le Tribunal ne peut cependant faire droit aux frais de déménagement réclamés par la locataire. En effet, l’impossibilité d’utiliser le garage donne ouverture à une diminution de loyer et à des dommages moraux. Le Tribunal estime cependant que cette situation ne pouvait justifier la résiliation du bail. Dès lors, la locataire ne peut être indemnisée pour les frais de déménagement engagés. Bref, son déménagement à la fin du terme du bail découle d’une décision volontaire dont le locateur ne peut être tenu responsable. 

[26]   Le Tribunal fait aussi droit aux frais de justice de la locataire, soit un montant de 76 $ pour les frais de la demande et 9,50 $ pour les frais de notification pour un total de 85,50 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]   ACCUEILLE partiellement la demande de la locataire;

[28]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 1 500 $, plus les intérêts au taux légal, plus l'indemnité additionnelle de l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 1er juillet 2020, plus les frais de justice de 85,50 $;

[29]   REJETTE la demande de la locataire quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Daniel Gilbert

 

Présence(s) :

la locataire

la mandataire du locateur

Date de l’audience :  

29 janvier 2021

 

 

 


 



[1] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Motifs d'exonération dans Les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages. Baudouin, Jean-Louis et P. Deslauriers, La faute contractuelle dans La responsabilité civile, Volume I -Principes généraux, 7e Édition, 2007, EYB2007RES21, approx. 12 pages.

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