Gauthier et Ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs | 2025 QCCFP 5 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER No : | 2000160 |
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DATE : | 10 avril 2025 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Denis St-Hilaire |
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sandra gauthier |
Partie demanderesse |
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MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS |
Partie défenderesse |
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MOTIFS DE LA DÉCISION INTERLOCUTOIRE
RENDUE LORS DE LA CONFÉRENCE PRÉPARATOIRE DU 3 AVRIL 2025 (Article 119, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1) |
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- Le 6 novembre 2024, Mme Sandra Gauthier dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (Loi), à l’encontre de son employeur, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (Ministère).
- Elle conteste sa suspension de trois journées imposées par son employeur qui allègue qu’elle a adopté un comportement qui va à l’encontre de ses devoirs et de ses obligations en matière d’éthique.
- Le 12 février 2025, la Commission tient une première journée d’audience.
- Au terme de cette journée, elle tient une conférence préparatoire afin de discuter de certaines questions dans le but de faciliter le déroulement des prochaines journées d’audience.
- Lors de cette conférence, Me Lantagne, l’avocate du Ministère, mentionne qu’elle fera entendre quatre témoins dans le cadre de sa preuve, incluant Mme Gauthier dont le témoignage a commencé, mais n’est pas terminé.
- Me Montmagny, le procureur de Mme Gauthier, requiert l’identité des trois autres témoins.
- Me Lantagne confirme le nom d’un second témoin, mais refuse de dévoiler les autres.
- La Commission indique alors qu’elle ne rendra pas d’ordonnance obligeant le Ministère à divulguer l’identité des autres témoins et que les parties, par courtoisie, peuvent s’informer mutuellement de l’identité de leurs témoins respectifs quelques jours avant une journée d’audience.
- Le 25 mars 2025, Me Montmagny demande par écrit à la Commission de tenir une conférence préparatoire ayant pour objet la divulgation de la liste des témoins que le Ministère a l’intention de faire entendre lors des prochaines journées d’audience.
- Il souhaite également que la Commission rende une décision écrite relativement à cette demande de divulgation.
- Lors d’une conférence préparatoire tenue le 3 avril 2025, la Commission annonce verbalement aux parties sa décision. Les paragraphes suivants exposent les motifs de cette décision interlocutoire.
CONTEXTE ET ANALYSE
- Le 3 avril 2025, la Commission tient une conférence préparatoire afin d’entendre les arguments des parties relativement à la demande de divulgation de la liste des témoins du Ministère.
- Me Montmagny réitère les arguments contenus dans sa demande écrite. Il souligne que les paragraphes 3o et 8o de l’article 33 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission de la fonction publique[2] (Règlement) prévoient que la Commission peut tenir une conférence préparatoire ayant pour objet la divulgation de la liste des témoins que les parties veulent faire entendre et l’examen de tout autre élément pouvant simplifier ou accélérer la gestion de l’instance.
- Il invoque également le principe de la collaboration entre les parties et les représentants que l’on retrouve à l’article 1 du Règlement afin que les demandes soient traitées de façon simple, souple et avec célérité.
- Il appuie également ses arguments par l’obligation de bonne foi des parties, par l’intérêt des clients et par le principe de la saine administration de la justice qui doit inciter les avocats à collaborer entre eux, que l’on retrouve aux articles 119 et 132 du Code de déontologie des avocats[3].
- Il ajoute que cela permettra notamment de simplifier et d’accélérer la gestion de l’instance en évitant de multiples suspensions, de préparer ses contre-interrogatoires et de prévoir la documentation qui doit être déposée lors du témoignage des personnes que le Ministère fera entendre.
- Il rappelle que le recours vise une suspension sans solde de trois journées pour laquelle six journées d’audience sont prévues.
- Me Lantagne répond qu’en droit du travail aucune règle de divulgation de la preuve au préalable n’est prévue et que la Commission aurait déjà tranché cette demande lors de la conférence préparatoire du 12 février 2025.
- Elle ajoute que le fait de dévoiler l’identité de ses témoins peut affecter la crédibilité et la valeur probante de certains témoignages.
- La Commission a tenté, en vain, de sensibiliser les parties à la possibilité de s’entendre afin d’éviter l’émission d’une ordonnance. Lors de la conférence préparatoire du 12 février 2025, elle n’a pas ordonné au Ministère de fournir l’identité de ses témoins, laissant aux parties la possibilité de régler cette question entre eux. Force est d’admettre que cela a échoué.
- L’article 119 de la Loi octroie de larges pouvoirs à la Commission pour rendre des ordonnances afin notamment de sauvegarder les droits des parties :
119. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence; elle peut notamment rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit.
- La Loi sur la justice administrative[4] lui attribue également une grande latitude :
11. L’organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’utilisation d’une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l’administration de la justice.
- Comme le souligne le Ministère, aucune règle précise n’oblige une partie à divulguer l’identité des témoins qu’elle veut faire entendre à la Commission.
- Toutefois, il arrive fréquemment que les parties, par courtoisie, s’informent mutuellement de l’identité des témoins qu’elles feront entendre avant une journée d’audience afin de leur permettre de se préparer et d’éviter ainsi des suspensions qui retardent indûment le déroulement de l’audience.
- La conférence préparatoire peut être l’occasion pour la Commission d’émettre une ordonnance en pareille matière comme le prévoit le paragraphe 3o de l’article 33 du Règlement :
33. La conférence préparatoire a pour objet:
1° de définir les questions en litige;
2° de clarifier et de préciser les prétentions des parties ainsi que les conclusions recherchées;
3° de divulguer la liste des témoins que les parties veulent faire entendre;
4° d’assurer l’échange entre les parties de tout élément de preuve;
5° de planifier la procédure et l’administration de la preuve;
6° de planifier l’échéancier lorsque la Commission procède sur dossier;
7° d’examiner la possibilité pour les parties d’admettre certains faits ou d’en faire la preuve par déclaration sous serment;
8° d’examiner tout autre élément pouvant simplifier ou accélérer la gestion de l’instance.
[Soulignement de la Commission]
- Afin de trancher, la Commission doit prendre en considération l’intérêt des parties et la saine administration de la justice.
- Il est justifié pour une partie de demander les informations nécessaires lui permettant de se préparer adéquatement à une audience, notamment pour éviter, si possible, des suspensions et procéder avec célérité et efficacité.
- L’argument du Ministère qui prétend que le fait de dévoiler l’identité de ses témoins peut affecter la crédibilité et la valeur probante de certains témoignages est peu convaincant. La Commission est en mesure d’évaluer la valeur probante d’un témoignage en prenant en considération le contexte dans lequel il a été rendu.
- La trame factuelle du présent dossier est simple et implique peu de personnes. Il est donc facile de prévoir qui peut être appelé à témoigner.
- Le fait de cacher l’identité des témoins, et ce, même quelques jours avant une journée d’audience n’est pas de nature à favoriser une saine administration de la justice. Les demandes soumises à la Commission sont traitées avec souplesse en favorisant la célérité et la collaboration des parties. Retenir de l’information sans raison valable ne servira certainement pas l’intérêt des parties et la saine administration de la justice.
- En conséquence, la Commission accueille la demande de Mme Gauthier et, par souci d’équité et d’efficacité, l’applique aux deux parties. En effet, la Commission décide qu’elles pourront bénéficier de quelques jours pour se préparer pour chaque journée d’audience, en connaissant l’identité des témoins de l’autre partie au moins cinq jours ouvrables avant la tenue d’une telle journée.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE la demande de Mme Sandra Gauthier visant la divulgation de la liste des témoins que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a l’intention de faire entendre lors des prochaines journées d’audience ;
ORDONNE à chacune des parties de transmettre à l’autre partie la liste des témoins qu’elle fera entendre lors de chaque journée d’audience, au moins cinq jours ouvrables avant cette journée d’audience.
Original signé par : |
| __________________________________ Denis St-Hilaire |
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Me Samuel Montmagny |
Procureur de Mme Sandra Gauthier |
Partie demanderesse |
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Me Gabrielle Lantagne |
Procureure du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs |
Partie défenderesse |
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