Décision

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Décision

Coopérative d'habitation Walkley c. Kameni

2021 QCTAL 9441

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

461337 31 20190516 G

470413 31 20190710 G

Nos demandes :

2763253

2801167

 

 

Date :

13 avril 2021

Devant le juge administratif :

Alexandre Henri

 

Coopérative D'habitation Walkley

 

Locatrice - Partie demanderesse

(461337 31 20190516 G)

Partie défenderesse

(470413 31 20190710 G)

c.

Judith Kameni

 

Locataire - Partie défenderesse

(461337 31 20190516 G)

Partie demanderesse

(470413 31 20190710 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Suivant un recours introduit le 16 mai 2019 (dossier #461337), la locatrice réclame à la locataire une indemnité de relocation équivalente à quatre mois de loyers perdus (2 000 $), le loyer dû au moment de son départ (10 210 $) ainsi que des frais de dépistage (149,47 $), avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec (C.c.Q.), plus le paiement des frais. 

[2]      Le 10 juillet 2019, la locataire dépose à son tour un recours contre la locatrice (dossier #470413).  Elle demande au Tribunal de résilier le bail rétroactivement au 30 janvier 2019 au motif que le logement était impropre à l’habitation, ou subsidiairement, au motif que la locataire a subi un préjudice sérieux en raison du non-respect par la locatrice de ses obligations. 

[3]      La locataire réclame également une diminution de loyer de 300 $ par mois à compter du mois de juillet 2016 et une somme de 6 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., plus le paiement des frais.

[4]      Lors de l’audience, le Tribunal accueille la demande de la locataire afin que ces deux recours soient instruits en même temps et jugés sur la même preuve[1]

[5]      Seule la locataire est présente à l’audience.  Le Tribunal a donc procédé à l’instruction des dossiers en l’absence de la locatrice[2].

DEMANDE DE LA LOCATAIRE (dossier #470413) 

Preuve et allégations de la locataire

[6]      Suivant la preuve testimoniale administrée à l’audience, il appert que les parties étaient liées par un bail reconduit en vigueur jusqu’au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 700 $. 

[7]      La locataire occupait son logement depuis 2006, avec ses deux enfants actuellement âgés de 7 et 15 ans. 

[8]      Le logement concerné est un appartement de quatre pièces et demie situé au rez-de-chaussée d’un immeuble comportant six logements répartis sur deux étages.  Cet immeuble appartient à une coopérative dont était membre la locataire.

[9]      La locataire a quitté son logement dans le courant du mois de février 2019, au motif que son logement était devenu inhabitable et impropre à l’habitation, en raison de la perte d’usage complète de sa salle de bain, suite à des travaux entrepris par la locatrice.

[10]   La locataire explique à l’audience s’être plainte à maintes reprises auprès de la locatrice du piètre état de sa salle de bain qui avait grand besoin de rénovation.  Elle s’est également plainte du mauvais état des fenêtres de son logement et de la présence de moisissures autour de l’évier de cuisine. 

[11]   Au mois de juillet 2016, la locataire rencontre le président de la coopérative à l’époque, feu Donald Mc Lean.  Ce dernier inspecte son logement et constate le mauvais état de celui-ci. M. Mc Lean lui aurait alors promis que son logement serait priorisé afin que des travaux soient effectués par la coopérative à l’été 2017 pour corriger tous ces problèmes.

[12]   Toutefois, malgré ces promesses, aucun de ces travaux ne fut effectué par la locatrice. 

[13]   En septembre 2018, la nouvelle présidente de la coopérative, Monica Salaman, visite le logement de la locataire, mais elle ne mentionne rien en ce qui a trait aux travaux à faire.

[14]   Le 30 novembre 2018, la locataire transmet une lettre de mise en demeure[3] à la locatrice afin d’exiger que des travaux correctifs soient effectués dans son logement en raison de l’urgence de la situation.  Elle y mentionne notamment ce qui suit :

« […] Nous sommes rendus au mois de décembre 2018 et toutes mes demandes sont restées sans suite.  Il est évident que vivre avec des enfants aussi longtemps dans un appartement dont les installations sont insalubres, vétustes et hors d’usage m’expose à des risques sérieux de maladies et d’accident. […] » 

[15]   Cette lettre est reçue par la locatrice le 17 décembre 2018, mais cette dernière n’y répond pas.

[16]   Le 15 janvier 2019, la locataire reçoit un appel de Mme Salaman, lui demandant d’avoir accès à son logement pour y effectuer des travaux de réfection de sa salle de bain.  Cette dernière lui mentionne que les ouvriers ont commencé des travaux dans le logement voisin et qu’il fallait que les deux salles de bain adjacentes soient rénovées en même temps.

[17]   Malgré l’absence de préavis, la locataire accepte de donner accès à son logement compte tenu qu’on lui avait promis que les travaux devaient durer seulement 24 heures, soit du mardi 15 janvier au mercredi 16 janvier 2019.

[18]   La première journée, les ouvriers démolissent complètement l’intérieur de la salle de bain du logement, à l’exception du bol de toilette qui demeure fonctionnel.  Dès lors, la locataire perd l’usage du lavabo et du bain.

[19]   Le 17 janvier 2019, la locataire transmet un message texte à Mme Salaman[4] pour exiger que les travaux soient complétés car elle n’a plus de salle de bain.

[20]   De retour de son travail en soirée le 18 janvier 2019, la locataire constate, à son grand désarroi, que les travaux ne sont pas encore terminés.  Le bol de toilette est maintenant complètement inutilisable.  L’ouvrier quitte les lieux en promettant de revenir compléter les travaux samedi matin, mais il n’est jamais revenu.

[21]   Le 21 janvier 2019, l’avocat de la locataire transmet une lettre de mise en demeure[5] à la locatrice pour exiger que les travaux de rénovation de la salle de bain soient complétés dans les meilleurs délais.


[22]   Le 22 janvier, un huissier se déplace au logement de la locataire pour y effectuer un constat de l’état des lieux[6].  Son rapport mentionne notamment ce qui suit :

« […]

-       La salle de bain : En état de réparation et inutilisable, pas de robinets pour la lave à boue, Le carrelage est Sali avec du ciment.

-       La cuisine : Des moisissures prés de l’évier et dans plusieurs coins de la cuisine.

-       Le salon, les chambres à coucher des parents et des enfants : pénétration de l’air froide au niveau des fenêtres, des traces d’humidité, peinture pluchée. […] » (sic)

[23]   Le 30 janvier 2019, l’avocat de la locataire transmet une seconde lettre[7] à la locatrice pour l’aviser que sa cliente quittera le logement à la fin du mois de janvier 2019, en raison du danger pour la santé et la sécurité de sa famille.  Cette lettre est reçue par la locatrice le 10 février 2019.

[24]   Pendant tout ce temps, la locataire et ses enfants sont complètement privés de l’usage de la salle de bain, forçant ainsi ces derniers à utiliser la salle de bain du voisin, et ce, en sortant à l’extérieur en plein hiver, parfois même pendant la nuit.

[25]   La locataire n’en pouvait plus de vivre dans un tel logement insalubre et impropre.  Pourtant, dit-elle, elle était très attachée à ce logement qu’elle a occupé pendant près de 13 ans. 

[26]   Elle s’est donc résignée à se trouver un nouveau logement, en plein hiver et de façon urgente, afin de pouvoir y déménager avec ses deux enfants.

[27]   Elle quitte finalement son logement dans le courant du mois de février 2019, mais elle ne peut confirmer avec certitude la date exacte à laquelle elle a quitté.  Selon les messages textes déposés en preuve, la locataire était toujours dans son logement en date du 8 février 2019.

[28]   Au moment de son départ, les travaux dans la salle de bain n’étaient toujours pas complétés.  Le bain, le lavabo et la toilette n’étaient pas fonctionnels.

[29]   Tous ces événements l’ont grandement affectée, au point de ne plus pouvoir travailler.  Elle a subi un arrêt de travail complet du 21 janvier au 15 février 2019.

[30]   Elle raconte avoir subi beaucoup de stress, de troubles et d’inconvénients découlant de cette situation, notamment la nuit lorsqu’elle devait s’occuper de sa fille qui avait besoin utiliser la toilette. 

[31]   La locataire témoigne, avec beaucoup d’émotion, des conditions d’hygiène épouvantables dans lesquelles elle a dû vivre avec sa famille pendant près d’un mois, sans compter la gêne et les désagréments occasionnés par le fait de devoir aller chez son voisin pour aller aux toilettes et se laver. 

[32]   Afin d’être compensée pour le préjudice moral subi découlant de la perte d’usage de sa salle de bain pendant près d’un mois, la locataire réclame à la locatrice le paiement d’une somme de 4 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux, et une diminution de loyer de 300 $ pour le mois de janvier 2019.

[33]   En ce qui concerne les autres problèmes dans son logement, elle explique que ses fenêtres étaient vétustes et désuètes, celles-ci laissaient entrer l’humidité et l’air froid à l’intérieur, et ce, depuis plusieurs années.  La peinture des cadres de fenêtres était également en très mauvais état, tel qu’il appert des photos déposées en preuve[8]

[34]   De plus, elle se plaint également de la présence de moisissures sur le comptoir et près de l’évier de sa cuisine, tel qu’il appert des photos déposées en preuve[9].

[35]   Elle raconte qu’elle ne se sentait plus bien chez elle et qu’elle était même gênée d’inviter des gens, en raison du mauvais état de son logement. 

[36]   Elle affirme que l’ancien président de la coopérative était bien au fait de la situation et qu’il avait pu constater le mauvais état des lieux lors de sa visite au mois de juillet 2016.  La nouvelle présidente, quant à elle, a pu constater l’état du logement lors de sa visite en septembre 2018.


[37]   Elle réclame une somme de 2 000 $ pour les dommages-intérêts moraux qu’elle a subis pendant les trois dernières années, en raison de la présence de moisissure dans sa cuisine et du mauvais état de ses fenêtres.

[38]   De plus, elle demande une diminution de loyer de 300 $ par mois pour la perte de jouissance occasionnée par les défectuosités dans son logement, et ce, rétroactivement à compter du mois de juillet 2016.

[39]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve et des allégations de la locataire.

Droit applicable

[40]   Les principales obligations pertinentes qui incombent à la locatrice en l'instance sont contenues aux articles 1854, 1864, 1910, 1912 et 1913 C.c.Q. :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.

1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.

1912.  Donnent lieu aux mêmes recours qu’un manquement à une obligation du bail:

1°  Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d’un logement;

2°  Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l’entretien, à l’habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d’un immeuble comportant un logement.

1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l’habitation.

Est impropre à l’habitation le logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l’autorité compétente.

[41]   En vertu de ces dispositions, la locatrice a notamment l’obligation de procurer à la locataire la jouissance paisible de son logement, en plus de garantir que celui-ci puisse servir à l'usage pour lequel il a été loué et l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. 

[42]   De plus, la locatrice doit également effectuer les réparations nécessaires (à l'exception des menues réparations d'entretien) et maintenir le logement en bon état d’habitabilité.  Il lui est interdit d’offrir en location un logement impropre à l’habitation.

[43]   Ces obligations de la locatrice sont considérées comme étant des obligations de résultat, sauf celle relative à l'usage du bien loué qui constitue une obligation de résultat.[10]

[44]   Cette classification des obligations de résultat ou de garantie entraîne des conséquences quant aux moyens de défense limités pouvant être soulevés par la locatrice, lorsqu'elle est poursuivie en dommages. Cette dernière ne peut simplement invoquer comme moyen de défense qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable[11].

[45]   En cas de manquement par la locatrice d’exécuter ses obligations prévues à la loi, la locataire peut alors intenter l’un et/ou l’autre des recours prévus à l'article 1863 C.c.Q. :

1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.


L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir.

[46]   L’article 1972 C.c.Q. permet également à la locataire de demander la résiliation du bail pour cause de logement impropre à l’habitation.

[47]   En l’instance, la locataire se prévaut de son droit de demander la résiliation du bail, une diminution de loyer ainsi que des dommages-intérêts moraux.

[48]   Il importe par ailleurs de souligner que le recours en diminution de loyer ne vise pas le même objet que le recours en dommages.

[49]   Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations entre les parties en évaluant objectivement la perte de valeur locative subie par la locataire, alors que le recours en dommages vise à compenser la locataire pour le préjudice subi[12].

Analyse et décision

a)  Résiliation du bail

[50]   En l’instance, la locataire plaide qu’elle était en droit de quitter son logement au motif que son logement était devenu impropre à l’habitation au moment de son départ, justifiant ainsi la résiliation du bail.

[51]   Afin de justifier son départ du logement, il appartient à la locataire de démontrer, par prépondérance de preuve, que le logement constituait une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants au moment où elle a quitté.

[52]   Subsidiairement, la locataire plaide que le bail doit être résilié en raison du préjudice sérieux occasionné par l’inexécution des obligations de la locatrice.

[53]   La jurisprudence nous enseigne qu'il faut retenir des critères objectifs pour établir le caractère impropre d’un logement.  À ce sujet, l’honorable juge Jean-Guy Blanchette de la Cour du Québec mentionne ce qui suit dans l'affaire Gestion immobilière Dion, Lebeau inc. c. Grenier[13]:

« Selon la jurisprudence, pour évaluer si l'impropreté d'un logement à habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d'une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l'audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l'état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir mais bien la situation ou l'état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement et en cette matière, selon la jurisprudence, le fardeau de la preuve incombe au locataire qui revendique droit au déguerpissement »

[Nos soulignements]

[54]   De plus, dans l’affaire Hajjar c. Hébert[14], le Tribunal mentionne les éléments qui doivent être démontrés par la locataire pour avoir gain de cause:

« Or, pour réussir sur leurs demandes, les locataires doivent établir par une preuve concrète et prépondérante les éléments suivants :

1) les problèmes reliés à la chose louée ou dans l'immeuble en général;

2) la dénonciation de leurs plaintes au locateur;

3) l'inaction du locateur à exécuter ses obligations légales;

4) leur départ est justifié car le logement était impropre à l'habitation au sens de l'article 1913 C.c.Q. et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise;

5) la relation de cause à effet entre l'état du logement et les dommages réclamés. »

[55]   À la lumière des principes énoncés ci-dessus et suivant une évaluation objective de la preuve soumise, il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que le logement était impropre à l'habitation au moment du départ de la locataire.  Cette dernière était justifiée de quitter son logement compte tenu des risques pour sa santé et sa sécurité ainsi que celle de ses deux enfants.


[56]   L’usage d’une salle de bain est absolument essentiel dans un logement.  Il est tout à fait inconcevable qu’une locataire soit privée de l’usage d’une salle de bain pendant une aussi longue période de temps, ce qui a eu pour effet de rendre le logement impropre à l’habitation.

[57]   En conséquence, le Tribunal déclare donc le bail résilié, et ce, aux torts de la locatrice.  Compte tenu de l’incertitude entourant la date exacte du départ de la locataire dans le courant du mois de février 2019, le bail sera résilié à compter du 10 février 2019, soit la date à laquelle la locatrice a reçu l’avis d’abandon (pièce L-5).  À tout événement, la date exacte a peu d’importance, compte tenu que le logement était impropre à l’habitation depuis plusieurs jours au moment du départ de la locataire.

b)  Diminution de loyer

[58]   Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations entre les parties en évaluant objectivement la perte de valeur locative subie par la locataire.  Lorsque cette dernière n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut demander une diminution de loyer afin que son obligation de payer le loyer soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure[15].

[59]   Tel que le mentionne le professeur Pierre-Gabriel Jobin[16], l'obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués constitue l'un des éléments essentiels du contrat de bail.  Il s'agit d'une obligation fondamentale et essentielle du locateur en matière de louage résidentiel.

[60]   Pour avoir gain de cause dans son recours en diminution de loyer, la locataire doit démontrer, par prépondérance de preuve, que la locatrice a failli à son obligation de lui procurer la pleine jouissance paisible de son logement et qu’elle en a subi une perte de valeur locative qui est réelle, sérieuse, significative ou substantielle[17].

[61]   En ce qui a trait à la détermination du montant de la diminution de loyer à laquelle la locataire pourrait avoir droit, le cas échéant, le Tribunal dispose à cet égard d’un pouvoir discrétionnaire qui repose essentiellement sur l’analyse de la preuve.  Pour ce faire, le Tribunal doit effectuer une évaluation de la perte de valeur locative de façon objective, globale et équitable[18].

[62]   Pour ce qui est de la perte de jouissance des lieux loués pour le mois de janvier 2019, le Tribunal accorde, sans hésitation, le plein montant de la diminution qui est réclamée en raison de la perte d’usage de la salle de bain, soit en l’instance une somme de 300 $.

[63]   Pour ce qui est du mauvais état des fenêtres et la présence de moisissures dans la cuisine depuis le mois de juillet 2016, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante démontre une perte de jouissance suffisamment sérieuse et significative pour justifier une diminution du loyer en faveur de la locataire.

[64]   Toutefois, le Tribunal estime exagéré le montant de la diminution qui est réclamée (300 $/mois), en regard de la perte de valeur locative qui résulte de ces défectuosités.

[65]   Dans les circonstances, après analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal estime juste et raisonnable d’accorder à la locataire une diminution de loyer globale au montant total de 2 000 $ pour la perte de valeur locative subie par la locataire en lien avec le mauvais état des fenêtres et la présence de moisissures dans la cuisine, entre le mois de juillet 2016 et le mois de décembre 2018 inclusivement.

[66]   Par ailleurs, même si la locatrice a reçu une mise en demeure de la locataire uniquement le 17 décembre 2018 (Pièce L-1), la preuve révèle néanmoins que cette dernière était au courant des problèmes depuis la visite du logement par M. Mc Lean au mois de juillet 2016. 

[67]   Conséquemment, il apparaît évident que la locatrice a été avisée des défectuosités à compter du mois de juillet 2016, ce qui est suffisant aux yeux du Tribunal pour justifier une diminution de loyer à compter de cette date, d’autant plus que la locatrice a eu l’opportunité de pouvoir y remédier, ce qu’elle n’a pas fait.

[68]   Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal ne souscrit pas à l’école de pensée voulant que la mise en demeure au préalable soit obligatoire pour se prévaloir du recours en diminution de loyer, ni à celle voulant que la diminution de loyer prenne effet uniquement à compter de la mise en demeure

[69]   De l’avis du soussigné, une telle interprétation restrictive n’apparaît pas justifiée, surtout dans le contexte du louage résidentiel.

[70]   Tel que le mentionne la Cour du Québec[19], la mise en demeure n’est pas obligatoire pour exercer un recours en diminution de loyer.

[71]   Ainsi, le Tribunal est d’avis que la locataire a droit à une diminution de loyer à compter de la date à laquelle elle a dénoncé le problème à la locatrice, soit à compter du mois de juillet 2016, et non pas à compter de la date de la mise en demeure en décembre 2018.

c)  Dommages-intérêts moraux

[72]   La preuve prépondérante et non contredite est accablante à l’encontre de la locatrice en ce qui a trait au non-respect de ses obligations. 

[73]   Cette dernière a failli à plusieurs de ses obligations envers la locataire, notamment celle de procurer la jouissance paisible des lieux ainsi que celles d’effectuer les réparations requises et de maintenir le logement en bon état d’habitabilité. Elle a également failli à son obligation de fournir un logement propre à l’habitation.

[74]   Pour avoir gain de cause dans son recours en dommages, la locataire doit faire la preuve des dommages qu’elle a subis et démontrer que ceux-ci découlent directement de la faute de la locatrice[20] et qu’ils étaient prévisibles[21].

[75]   Les dommages-intérêts moraux visent à compenser pour les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques[22].

[76]   Tel que le mentionne le Tribunal dans l’affaire Obadia c. 3008380 Canada inc.[23], l’évaluation des dommages moraux demeure un défi :

« L'évaluation de tels dommages demeure un défi important car, sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non pécuniaires doivent être équitables et raisonnables. Ainsi, le juge Dickson écrivait que cette indemnité diffère qualitativement de l'indemnisation des pertes pécuniaires puisqu'il s'agit d'un exercice davantage philosophique et social que juridique ou logique (Andrews c. Grand & Toys Alberta Ltd (1978) 2 R.C.S. 229). »

[77]   En l’instance, le Tribunal est d’avis que la locataire a, par son témoignage crédible et sincère, rempli son fardeau de démontrer les dommages moraux qu’elle a subis ainsi que le lien causal existant entre ces dommages et les manquements de la locatrice. 

[78]   Nul doute que la locataire a subi du stress, des ennuis, des troubles et inconvénients découlant de l’absence d’une salle de bain dans son logement pendant près d’un mois. 

[79]   En raison des manquements de la locatrice, la locataire et ses deux enfants ont dû endurer des conditions d’hygiène inacceptables dans le logement, en plus d’être obligés d’aller aux toilettes et se laver chez le voisin, et ce, en plein hiver. 

[80]   La locataire a également subi un arrêt de travail pendant plusieurs jours en raison de ces événements, sans compter tous les inconvénients découlant de la recherche d’un nouveau logement, de façon urgente, afin d’y déménager avec ses deux enfants.

[81]   Dans les circonstances, le montant de 4 000 $ réclamé par la locataire pour le préjudice moral subi apparaît pleinement raisonnable et justifié.  La locatrice sera donc condamnée à payer ce montant à la locataire.

[82]   En ce qui a trait aux dommages moraux réclamés par la locataire en lien avec le mauvais état des fenêtres et la présence de moisissures dans la cuisine, le Tribunal estime le montant réclamé trop élevé en fonction de la preuve soumise.  Une somme de 500 $ sera accordée à la locataire à ce titre.

[83]   De plus, les frais applicables sont adjugés contre la locatrice selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[24].


DEMANDE DE LA LOCATRICE (dossier #461337)

[84]   Malgré l’avis d’audition qui lui a été transmis par le Tribunal, la locatrice est absente à l’audience.

[85]   Dans ce contexte, la locataire demande au Tribunal de rejeter la demande de la locatrice en raison de l’absence de preuve au soutien de celle-ci.

[86]   Considérant que seule la locataire est présente à l’audience et qu’aucune preuve n’a été soumise par la locatrice à l’appui de sa demande, le Tribunal rejette donc la demande de cette dernière, le tout conformément au 2e alinéa de l'article 30 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[25].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier #461337 :

[87]   REJETTE la demande de la locatrice.

Dossier # 470413 :

[88]   RÉSILIE le bail avec effet à compter du 10 février 2019, et ce, aux torts de la locatrice;

[89]   DIMINUE le loyer d’un montant total de 2 300 $, et CONDAMNE la locatrice à payer le montant de cette diminution à la locataire; 

[90]   CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire une somme de 4 500 $ à titre de dommages-intérêts moraux, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du 10 juillet 2019, plus les frais de 85,50 $;

[91]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandre Henri

 

Présence(s) :

la locataire

Me Thierry Muhgoh, avocat de la locataire

Date de l’audience :  

17 mars 2021

 

 

 


 



[1] En vertu de l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (RLRQ, c.T-15.01).

[2] Tel que permis en vertu de l'article 67 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

[3] Pièce L-1.

[4] Pièce L-2.

[5] Pièce L-4.

[6] Pièce L-6.

[7] Pièce L-5.

[8] Pièce L-9.

[9] Pièce L-8.

[10]  9192-2401 Québec inc. (Fabrication Pro-Fab) c. Villeneuve (Immeubles Jolika), 2018 QCCA 1143.

[11] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par P.-G. Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 40.

[12] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

[13] J.E. 91-345.

[14] R.D.L., (1999-10-06), [1999] J.L. 316.

[15] Girard c. Placements Bédard et Gauthier Enrg. (R.D.L., 1984-04-24), J.L. 84-53.

[16] P.-G. Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 23 et 423.

[17] Denis Lamy, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 29-30.

[18] Id., p. 19.

[19] Habitations Desjardins du centre-ville c. Lamontagne, J.E. 96-2060; FPI Boardwalk Québec inc. c. Isik, 2020 QCCQ 2875.

[20] Article 1607 C.c.Q.

[21] Article 1613 C.c.Q.

[22] Supra, note 12.

[23] (R.D.L., 1998-02-11) SOQUIJ AZ-51078786.

[24] RLRQ, c. T-15.01, r. 6.

[25] RLRQ, c. T-15.01, r.5.

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