Commission de la construction du Québec c. Nordmec Construction inc. | 2024 QCCA 599 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-36-010271-222) | |||||
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DATE : | 14 mai 2024 | ||||
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COMMISSION DE LA CONSTRUCTION DU QUÉBEC | |||||
APPELANTE – défenderesse | |||||
c. | |||||
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NORDMEC CONSTRUCTION INC. | |||||
INTIMÉE – demanderesse | |||||
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DAVID ROY, en sa qualité d’enquêteur de la Direction des enquêtes de la Commission de la construction du Québec | |||||
MIS EN CAUSE – défendeur | |||||
et | |||||
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PIERRE FORTIN | |||||
MIS EN CAUSE – mis en cause | |||||
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[1] La Commission de la construction du Québec porte en appel le jugement du 1er février 2023 de l’honorable Babak Barin de la Cour supérieure, district de Montréal, annulant un mandat de perquisition décerné par un juge de paix magistrat au motif d’absence de compétence territoriale.
[2] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Healy et Cournoyer, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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| GUY COURNOYER, J.C.A. | |
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Me Amélie Deguire | ||
commission de la construction du québec | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Samia Benlamara | ||
Me Luc Bellemare | ||
gbv avocats | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 10 avril 2024 | |
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MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
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[4] La Commission de la construction du Québec (« CCQ ») porte en appel le jugement du 1er février 2023 de l’honorable Babak Barin de la Cour supérieure, district de Montréal, annulant un mandat de perquisition décerné par un juge de paix magistrat au motif d’absence de compétence territoriale[1].
LE CONTEXTE
[5] La CCQ a pour principale fonction de veiller à l’application de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[2]. L’intimée, Nordmec Construction inc. (« Nordmec ») est une entreprise assujettie à cette loi.
[6] Le mis en cause David Roy, un enquêteur de la CCQ, soumet à un juge de paix magistrat siégeant à Montréal des informations afin d’obtenir un mandat de perquisition visant Nordmec, plus précisément afin de perquisitionner son bureau situé à Mont-Tremblant, district de Terrebonne, aux fins d’y saisir des feuilles de temps et d’autres documents, de même que des registres sur support informatique faisant état des heures travaillées par ses salariés et leur rémunération.
[7] L’enquêteur de la CCQ énonce dans sa dénonciation au soutien du mandat de perquisition que les feuilles de temps des employés de Nordmec sont envoyées au siège social de cette dernière situé à Mont-Tremblant[3]. Il ajoute qu’il a des motifs raisonnables de croire que Nordmec falsifie ces feuilles de temps et a, par conséquent, transmis à la CCQ des rapports mensuels faux ou inexacts en ne déclarant pas des heures supplémentaires effectuées par certains employés, en contravention du paragraphe 122(4) de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[4]. La dénonciation de l’enquêteur conclut donc qu’une perquisition aux bureaux de Nordmec situés à Mont-Tremblant devrait être autorisée afin d’y recueillir la preuve de ces infractions[5].
[8] Le 16 février 2022, le juge de paix magistrat Pierre Fortin, siégeant à Montréal, décerne le mandat de perquisition. Celui-ci est exécuté par l’enquêteur Roy le 22 février 2022 aux bureaux de Nordmec situés à Mont-Tremblant[6]. Plusieurs documents de même que des données informatiques et un ordinateur y sont alors saisis.
[9] Nordmec présente à la Cour supérieure une demande en contrôle judiciaire afin d’annuler le mandat de perquisition. Avant que cette demande ne soit entendue, trois constats d’infraction sont déposés dans le district de Montréal contre Nordmec, lui reprochant d’avoir transmis à la CCQ des renseignements faux ou inexacts dans ses rapports mensuels de mai, juin et septembre 2020[7].
[10] L’audition du pourvoi en contrôle judiciaire afin d’annuler le mandat de perquisition est tenue devant la Cour supérieure le 12 décembre 2022, et le jugement l’accueillant est rendu le 1er février 2023.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[11] Le juge de la Cour supérieure constate que l’article 102 du Code de procédure pénale[8] (le « C.p.p. ») précise qu’un mandat de perquisition peut être décerné par un juge ayant compétence : 1) dans le district judiciaire où la perquisition doit être effectuée ou, encore; 2) dans le district où l’infraction aurait été commise.
[12] S’appuyant sur une lecture téléologique de l’article 102 C.p.c., la doctrine[9] et l’arrêt de la Cour dans Ciment Indépendant[10], le juge écarte la prétention de la CCQ voulant qu’un juge de paix magistrat siégeant dans n’importe quel district judiciaire puisse décerner un mandat de perquisition. Afin de donner un sens à l’article 102 C.p.p., le juge conclut plutôt qu’un juge de paix magistrat doit décerner le mandat dans le district judiciaire où la perquisition doit être effectuée ou dans le district où l’infraction aurait été commise.
[13] Puisque la perquisition en cause vise le bureau de Nordmec situé à Mont-Tremblant, district de Terrebonne, il est manifeste que le juge de paix magistrat qui l’a décerné à Montréal n’avait pas compétence en vertu du premier volet de l’article 102 C.p.p., concernant le lieu où la perquisition doit être effectuée.
[14] C’est donc sur le deuxième volet de l’article 102 C.p.p. que le juge s’attarde, soit si les infractions alléguées auraient été commises à Montréal plutôt qu’à Mont-Tremblant. Son analyse de la disposition constitutive des infractions en cause, des dispositions réglementaires pertinentes et des énoncés des faits à la dénonciation de l’enquêteur de la CCQ l’amènent à conclure que le lieu où les infractions reprochées auraient été commises est le siège social de Nordmec à Mont-Tremblant, district de Terrebonne.
[15] Il conclut donc que le juge de paix magistrat qui a décerné le mandat à Montréal n’avait pas compétence pour le faire et que ce mandat doit être annulé.
LES QUESTIONS EN APPEL
[16] La CCQ soulève deux questions en appel :
a) Le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en droit en concluant que le locus delicti de l’infraction prévue au paragraphe 122(4) de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction n’est pas le lieu de la réception des renseignements ou rapports faux ou inexacts transmis à la CCQ?
b) A-t-il erré en droit en concluant que le juge de paix magistrat n’avait pas compétence pour décerner le mandat de perquisition?
ANALYSE
Le lieu de l’infraction reprochée
[17] Le paragraphe 122(4) de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction établit les infractions suivantes :
122. […]
4. Quiconque, détruit, altère ou falsifie un registre, une liste de paye, le système d’enregistrement ou un document ayant trait à l’application de la présente loi, d’une convention collective ou d’un règlement, transmet quelque renseignement ou rapport faux ou inexact, ou attribue à l’emploi d’un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur, commet une infraction et est passible:
a) dans le cas d’un individu, d’une amende de 1 090 $ à 2 186 $;
b) dans le cas de toute autre personne ou d’une association, d’une amende de 2 186 $ à 6 825 $;
c) pour une première récidive, d’une amende égale au double des amendes prévues aux sous-paragraphes a ou b, selon le cas;
d) pour toute autre récidive, d’une amende égale au triple des amendes prévues aux sous-paragraphes a ou b, selon le cas. | 122. (…)
(4) Whoever destroys, alters or falsifies any register, pay-list, registration system or document relating to the application of this Act, a collective agreement or a regulation, or forwards any false or inaccurate information or report, or gives a false designation to the position of an employee so as to pay a lower wage, is guilty of an offence and liable
(a) to a fine of $1,090 to $2,186 in the case of an individual;
(b) to a fine of $2,186 to $6,825 in the case of any other person or an association;
(c) to a fine equal to twice the amount of the fine prescribed in paragraph a or b, as the case may be, for a second conviction;
(d) to a fine equal to three times the amount of the fine prescribed in paragraph a or b, as the case may be, for any subsequent conviction. |
[18] Comme on peut aisément le constater, cette disposition législative établit trois infractions distinctes, soit : a) détruire, altérer ou falsifier un registre, une liste de paye, le système d’enregistrement ou un document ayant trait à l’application de la loi, d’une convention collective ou d’un règlement; b) transmettre quelque renseignement ou rapport faux ou inexact; et c) attribuer à l’emploi d’un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur.
[19] La dénonciation de l’enquêteur de la CCQ au soutien de la demande d’un mandat de perquisition dans ce dossier invoque les deux premières infractions, soit celle d’avoir détruit ou falsifié un registre et d’avoir transmis à la CCQ un rapport faux ou inexact.
[20] Bien que dans son mémoire la CCQ soutienne que le juge de la Cour supérieure aurait commis une erreur de fait en concluant que les documents pertinents auraient été colligés au siège social de Nordmec à Mont-Tremblant, elle n’explique pas sur quoi elle s’appuie pour soutenir cette erreur[11]. Par ailleurs, une simple lecture de la dénonciation de l’enquêteur permet aisément de constater que c’est effectivement la destruction ou la falsification de documents au siège social de Nordmec à Mont-Tremblant que décrit la demande pour le mandat de perquisition. C’est d’ailleurs pourquoi le mandat sollicité vise précisément à perquisitionner le siège social de Nordmec à Mont-Tremblant. Le juge de la Cour supérieure n’a donc commis aucune erreur en concluant comme il l’a fait quant au lieu allégué de destruction ou de falsification des registres ou documents.
[21] C’est surtout en rapport avec le lieu de l’infraction alléguée d’avoir transmis des rapports faux ou inexacts que s’inscrit l’appel de la CCQ. En bref, cette dernière soutient que lorsqu’un entrepreneur transmet à la CCQ un rapport faux ou inexact, l’infraction est alors commise au lieu de la réception du rapport par la CCQ, soit le siège social de celle-ci situé à Montréal, plutôt qu’au lieu de son expédition par l’entrepreneur concerné.
[22] Selon la CCQ, la transmission d’un rapport implique qu’il passe d’un lieu à l’autre. Ainsi, il ne pourrait y avoir une infraction si le rapport n’est pas reçu par la CCQ et, de ce fait, cette infraction ne peut être constatée qu’à son siège social situé à Montréal[12].
[23] Par ailleurs, la CCQ ajoute que, dans le cas d’une transmission électronique, comme le permet le règlement applicable[13], le lieu de transmission devient impossible à déterminer, ce qui impliquerait que le seul lieu pertinent à l’infraction serait celui du lieu de réception par la CCQ à son siège social de Montréal[14].
[24] Il n’y a pas lieu de retenir ces prétentions de la CCQ.
[25] Puisque l’infraction en cause est celle de transmettre un renseignement ou un rapport faux ou inexact – et non pas pour la CCQ de recevoir un tel renseignement ou rapport – c’est à l’endroit d’où il est transmis que l’infraction est consommée. En effet, la transmission d’un document et sa communication sont deux choses distinctes en droit : « un document n’est pas communiqué sans être transmis, mais il peut être transmis sans être communiqué »[15]. Il s’agit de deux concepts juridiques distincts.
[26] Ainsi, en interprétant l’article 381 du Code criminel (anciennement l’article 324) établissant l’infraction de l’usage de la poste pour transmettre ou livrer des lettres ou circulaires concernant des projets conçus ou formés pour leurrer le public, la jurisprudence établit que l’infraction est consommée à l’endroit duquel le courrier est transmis et non où il est reçu[16]. Une approche similaire fut adoptée par la Cour en interprétant le paragraphe 372(3) du Code criminel portant sur des télécommunications harcelantes, l’infraction étant consommée par le fait d’initier la télécommunication plutôt que par sa réception par la victime[17].
[27] En ce qui concerne la transmission électronique de renseignements, le premier alinéa de l’article 31 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[18] prévoit qu’un document technologique est présumé transmis lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par l’expéditeur ou sur son ordre. Ainsi, lorsqu’une infraction porte sur la transmission d’une information et que celle-ci s’effectue électroniquement, cette transmission est présumée effectuée lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé.
[28] Il n’y a pas non plus lieu de retenir l’argument de la CCQ voulant que, puisque la transmission par voie électronique peut s’effectuer de n’importe où, il devient alors pratiquement impossible de déterminer le lieu de transmission. Au contraire, à moins que des éléments factuels probants établissent clairement le contraire, il est raisonnable pour la CCQ et les tribunaux d’inférer que la transmission électronique des rapports requis des entrepreneurs s’effectue au lieu du siège social de ces derniers ou, du moins, que cette transmission s’effectue sous le contrôle effectif des employés de ce siège social. Ainsi, en l’espèce, la preuve révèle que le siège social de l’intimé est situé à Mont-Tremblant. Il est donc tout à fait raisonnable d’inférer que les rapports qui font l’objet de ces infractions ont été transmis de ce siège social ou sous le contrôle des employés de ce siège social. En l’occurrence, les infractions alléguées sont survenues au lieu de ce siège social.
[29] L’interprétation soutenue par la CCQ, si elle était retenue, ferait en sorte que tous les procès en lien avec les infractions concernant la transmission de renseignements et de faux rapports seraient tenus à Montréal, le lieu de son siège social, plutôt que dans les districts judiciaires d’où ces renseignements et rapports lui sont transmis, soit le lieu du siège social des entrepreneurs concernés. Ainsi, par exemple, les entrepreneurs en construction de la ville de Québec, de l’Abitibi ou de la Gaspésie seraient tenus de se défendre de ces infractions dans le cadre de procès tenus à Montréal.
[30] Avec égards, une telle interprétation m’apparaît contraire au principe de justice de proximité sur lequel se fonde le droit pénal québécois et que reflète d’ailleurs la division du territoire du Québec en 36 districts judiciaires aux fins de l’administration de la justice civile et pénale.
La compétence territoriale du juge de paix magistrat
[31] Le premier alinéa de l’article 102 C.p.p. détermine la compétence territoriale d’un juge pour décerner un mandat de perquisition en lien avec une infraction pénale de compétence provinciale :
102. Un mandat de perquisition peut être décerné à tout moment par un juge ayant compétence dans le district judiciaire où la perquisition doit être effectuée ou dans le district où l’infraction aurait été commise. Il est signé par le juge qui le décerne. | 102. A search warrant may be issued at any time by a judge having jurisdiction in the judicial district where the search is to be made or in the district where the offence was reportedly committed. It must be signed by the judge who issues it. |
[32] La CCQ soutient que puisque l’article 172 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[19] prévoit que les juges de paix magistrats ont compétence sur tout le territoire du Québec, quel que soit le lieu où ils peuvent être assignés à exercer leurs fonctions, ces derniers peuvent décerner des mandats de perquisition pour tous les districts judiciaires, et ce, même s’ils exercent leurs fonctions dans un district judiciaire où la perquisition en cause n’est pas effectuée ou encore, où l’infraction alléguée n'a pas été commise[20]. La CCQ soutient aussi que l’arrêt de la Cour à l’effet contraire dans Ciment Indépendant devrait être écartée[21].
[33] L’article 1 de la Loi sur la division territoriale[22] dispose que le Québec est divisé, aux fins de l’administration de la justice, en 36 districts judiciaires qui sont décrits à l’article 9 de cette loi. Bien que la Loi sur les tribunaux judiciaires énonce que les compétences de la Cour supérieure et de la Cour du Québec et celles de leurs juges s’étendent à l’ensemble du Québec[23], il est bien établi que les juges de ces tribunaux exercent leurs pouvoirs judiciaires au sein des divers districts judiciaires prévus dans la Loi sur la division territoriale. C’est d’ailleurs pourquoi l’article 5.5 de la Loi sur les tribunaux judiciaires énonce que les tribunaux, les juges de ces tribunaux et les juges de paix de certains districts judiciaires ont une compétence concurrente avec ceux d’autres districts judiciaires sur certains territoires conformément à ce qui est prévu dans l’annexe I de cette loi.
[34] La loi prévoit donc que les tribunaux et les juges, bien qu’ils aient compétence sur l’ensemble du territoire du Québec, doivent exercer leurs fonctions judiciaires au sein de chacun des districts judiciaires afin d’y adjuger les conflits judiciaires qui ont un lien de rattachement avec le district judiciaire en cause[24].
[35] Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement le Code de procédure pénale, les articles 142 et 143 précisent le district judiciaire au sein duquel une poursuite pénale doit être intentée :
142. Une poursuite pénale est intentée, au choix du poursuivant, dans le district judiciaire où le défendeur: 1° a commis l’infraction d’après le constat d’infraction; 2° a sa résidence ou son siège ou l’un de ses établissements; 3° est en détention, le cas échéant. Elle peut aussi être intentée, avec le consentement du défendeur, dans tout autre district judiciaire. | 142. Penal proceedings shall be instituted, as the prosecutor may elect, in the judicial district where the defendant (1) committed the offence according to the statement of offence; (2) has his residence or has its head office or one of its places of business; (3) is in detention, where such is the case. Penal proceedings may also be instituted in any other judicial district, with the consent of the defendant. |
143. L’infraction qui est soit commise dans un rayon de deux kilomètres de la limite de deux ou plusieurs districts judiciaires ou sur une étendue d’eau traversée par cette limite, soit commise dans un véhicule au cours d’un trajet traversant plusieurs districts, soit commencée dans un district et terminée dans un autre, est réputée commise dans l’un ou l’autre de ces districts. | 143. An offence committed within a distance of two kilometres from the boundary of two or more judicial districts, upon any water crossed by such a boundary, or in a vehicle in the course of a journey that crosses several districts, or an offence begun in one judicial district and ended in another, is deemed to have been committed in one or the other of those districts. |
[36] Les propos du juge Tremblay dans l’affaire Morissette c. Canada (Ministre du Revenu national) apparaissent pertinents en l’espèce[25] :
[25] En règle générale, si un procès criminel ou pénal doit se dérouler dans le district où l'infraction a été commise, il est évident que toutes procédures incidentes, que ce soit des mandats de perquisition, des preuves sur cautionnement, ou des brefs de prérogative, doivent être entendues à l'endroit où l'infraction est présumée avoir été commise, puisque l'accessoire suit le principal.
[26] Accorder la demande des requérants, c'est l'équivalent de donner juridiction à un juge de paix du district judiciaire de Montréal d'émettre des mandats de perquisition dans le district judiciaire de Rouyn-Noranda, ce qu'il n'a pas le droit de faire.
[37] L’interprétation proposée par la CCQ aurait aussi pour effet de vider de sens plusieurs autres dispositions du Code de procédure pénale outre le premier alinéa de l’article 102, dont notamment :
a) le second alinéa de l’article 102 : un télémandat de perquisition peut être décerné à tout moment par un juge et dans un district désignés par le juge en chef de la Cour du Québec;
b) le second alinéa de l’article 113 : un mandat de perquisition doit être remis à un juge ayant compétence pour décerner un tel mandat dans le district judiciaire où il a été décerné;
c) le premier alinéa de l’article 114 : celui qui a effectué une perquisition sans mandat doit en faire rapport au juge ayant compétence pour décerner un mandat de perquisition dans le district judiciaire où a été effectuée la perquisition;
d) le premier alinéa de l’article 122 : toute personne qui a un intérêt dans une chose saisie peut, avec l’autorisation d’un juge ayant compétence pour décerner un mandat de perquisition dans le district judiciaire où la chose est détenue, examiner cette chose et en obtenir copie; et
e) l’article 141 : tout juge ayant compétence pour décerner un mandat de perquisition soit dans le district judiciaire où la chose saisie est détenue, soit dans celui où la chose était détenue avant sa vente, a compétence pour exercer les pouvoirs prévus aux articles 129 à 140 en lien avec la garde, la rétention et la disposition des choses saisies.
[38] De nombreuses autres dispositions du C.p.p. font mention d’un district judiciaire et se trouveraient fortement compromises par l’interprétation de la CCQ, notamment les articles et alinéas suivants : 10 al. 1, 24 al. 2, 35 al. 1, 43, 50, 52 al. 1, 55, 77, 80 al. 1, 81 al. 1, 89, 93 al. 1, 94.2 al. 2, 100 al. 2, par. 3, 101.1, 102, 113, 114, 116, 122, 127, 128, 128.1 al. 1, 133 al. 2, 141, 142, 143, 146 al. 1, par. 3, 165 al. 2, 166, 169, 174, 176, 177, 180.1, 186.3, 187, 218.3, 222 al. 3, 244 al. 2, 250, 257, 262, 270, 271 al. 2, 277, 294, 316, 324 al. 2, 353, 368.1 et 372 al. 1 par. 6.
[39] Ainsi, l’interprétation proposée par la CCQ revient donc à priver d’effet utile les termes se rapportant aux districts judiciaires présents dans l’article 102 C.p.p. et dans l’ensemble de ces autres dispositions, ce qui est contraire aux règles d’interprétation applicables[26]. Une telle interprétation va par ailleurs à l’encontre du principe d’interprétation bien établi selon lequel le législateur ne parle pas pour ne rien dire[27].
[40] Dans le même sens, l’idée avancée par la CCQ que toutes ces dispositions auraient été implicitement abrogées par la modification législative à la Loi sur les tribunaux judiciaires étendant la compétence des juges de paix magistrats à l’ensemble du Québec ne peut être soutenu à la lumière d’autres règles concernant l’interprétation des lois. En effet, il existe une forte présomption contre l’abrogation tacite d’un texte législatif par un autre[28]. Une loi antérieure n’est abrogée implicitement que « si tout sujet a été traité par des lois subséquentes de telle manière que, selon tout raisonnement ordinaire, les dispositions particulières de l’ancienne loi ne pouvaient être destinées à rester en vigueur »[29], ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les tribunaux doivent plutôt favoriser une interprétation qui permet d’éviter des conflits de lois, car une telle interprétation reflète la volonté rationnelle du législateur[30]. En l’espèce, il n’existe pas de conflit entre l’article 172 de la Loi sur les tribunaux judiciaires et le premier alinéa de l’article 102 C.p.p.
[41] En effet, les débats législatifs laissent entendre que le but poursuivi par le législateur en étendant la compétence des juges de paix magistrats à l’ensemble du Québec était simplement de leur permettre d’exercer leurs fonctions au sein de l’un ou l’autre des districts judiciaires en fonction des besoins des justiciables[31].
[42] Ainsi, appliquant une interprétation téléologique à l’ensemble de ces dispositions, il faut conclure que, bien qu’un juge de paix magistrat ait compétence sur tout le territoire du Québec, lorsqu’il décerne un mandat de perquisition, il doit exercer cette compétence au sein du district judiciaire où la perquisition doit être effectuée ou encore, où l’infraction alléguée a été commise.
[43] D’ailleurs, dans un dossier impliquant directement la CCQ, la juge Sophie Bourque de la Cour supérieure a annulé un mandat de perquisition qui avait été décerné dans le district judiciaire de Montréal, alors que la perquisition devait s’effectuer dans le district judiciaire de Québec, au motif « qu’il s’agi[ssait] d’une erreur affectant la validité du mandat de perquisition et emportant sa nullité »[32]. La Cour en a aussi décidé ainsi dans les affaires St-Germain Transport Ltée[33] et Coderre[34].
[44] C’est d’ailleurs la position exprimée par la Cour dans l’arrêt Ciment Indépendant décidé dans le contexte d’une infraction au Code criminel, mais dont les principes sont transposables aux infractions pénales. Le juge Kaufman y énonce notamment ce qui suit[35] :
I point to these provisions because I am quite satisfied that it was not the intention of Parliament to permit an informant to apply for a search warrant in the district of his choice, without regard to the district where the alleged offence was committed or where the "things" which are sought are located. And that is exactly what was done here: the crime alleged took place in Montréal, and the documents sought also were there. The only connection with Hull was that that was where the informant had his office.
[Soulignement ajouté; note de bas de page omise]
[45] Ce principe a été suivi au Québec et est tout aussi valable aujourd’hui que lorsque le juge Kaufman l’a exprimé[36]. Il se reflète d’ailleurs à l’article 102 C.p.p.
[46] Cela étant, la CCQ soutient que l’arrêt Ciment Indépendant devrait être écarté au motif qu’il aurait été critiqué par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Haley[37] et que les modifications législatives subséquentes conférant aux juges de paix magistrats une compétence à l’échelle du Québec lui sont incompatibles.
[47] Or, dans R. c. Haley la question qui se posait n’était pas celle de savoir si un mandat de perquisition devait être décerné par un juge siégeant dans un district ayant un lien avec l’infraction ou l’accusé. En effet, un tel lien avait été établi dans le dossier[38]. La question qui se posait plutôt était celle de savoir si l’exécution du mandat de perquisition pouvait être poursuivie dans un autre district sans qu’il soit approuvé ou visé (« endorsed ») par un juge de paix de ce district, comme le prévoyait alors le Code criminel (depuis modifié).
[48] Compte tenu des modifications législatives subséquentes à l’arrêt Ciment Indépendant, il n’est plus nécessaire de faire approuver ou de viser un mandat de perquisition afin de l’exécuter dans un autre district judiciaire que celui duquel il est décerné. Ainsi, en matière pénale, l’article 105 C.p.p. prévoit dorénavant qu’un mandat de perquisition est exécutoire partout au Québec. Des modifications législatives aux articles 487, 487.01 et 487.019 du Code criminel ont eu un effet similaire dans les cas de perquisitions en lien avec des infractions criminelles, la procédure de « visa » prévue à cette fin audit code ayant été abolie en 2019[39].
[49] Cela étant, l’article 105 C.p.p. concerne l’exécution d’un mandat de perquisition et il n’a pas pour effet de modifier les règles de compétence territoriale pour décerner un tel mandat qui sont prévues au premier alinéa de l’article 102 C.p.p.
[50] Ainsi, en vertu du premier alinéa de l’article 102 C.p.p. un juge de paix magistrat ayant compétence dans le district judiciaire où l’infraction a été commise peut décerner un mandat de perquisition en lien avec cette infraction. Une fois ce mandat décerné, en vertu de l’article 105 C.p.p., il peut être exécuté dans tout autre district judiciaire sans autres formalités[40].
[51] Pour résumer, afin de décerner un mandat de perquisition selon le premier alinéa de l’article 102 C.p.p., le juge de paix magistrat doit exercer ses fonctions dans le district judiciaire où la perquisition doit être effectuée ou dans le district judiciaire où l’infraction aurait été commise. Cela étant, dans la mesure que le juge de paix magistrat détient une compétence initiale pour décerner le mandat de perquisition, ce mandat peut aussi autoriser des perquisitions qui peuvent être exécutées dans d’autres districts judiciaires sans qu’une autre autorisation judiciaire supplémentaire soit requise afin d’en assurer la validité ou le caractère exécutoire.
CONCLUSION
[52] Puisque le mandat de perquisition en cause fut décerné par un juge de paix magistrat exerçant ses fonctions dans le district judiciaire de Montréal, alors que la perquisition envisagée devait s’exécuter dans le district de Terrebonne en lien avec une infraction alléguée commise dans le district judiciaire de Terrebonne, le juge de la Cour supérieure n’a commis aucune erreur de droit en concluant que le mandat était invalide et qu’il devait être annulé.
[53] Je propose donc à la Cour de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Nordmec Construction inc. c. Commission de la construction du Québec, 2023 QCCS 284 (le « jugement de première instance »).
[2] Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ, c. R-20.
[3] Dénonciation et mandat de perquisition, 16 février 2022, p. 11.
[5] Id., p. 15 (par. 46).
[6] Procès-verbal de saisie, 22 février 2022.
[7] Constats d’infraction du 15 août 2022 portant les numéros 100400-1118608167, 100400-1118608175 et 100400-1118608183.
[8] Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1.
[9] Guy Cournoyer, Code de procédure pénale du Québec annoté, 12e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2022, p. 259.
[10] Ciment Independant Inc. and The Queen, Re, 1985 CanLII 3571 (QC CA), 21 C.C.C. (3d) 429 (« Ciment Indépendant »).
[12] Id., par. 44-46.
[13] Règlement sur le registre, le rapport mensuel, les avis des employeurs et la désignation d’un représentant, RLRQ, c. R-20, r. 11, art. 11.
[14] Argumentation dans le mémoire de l’appelant, par. 41-42.
[15] SNC-Lavalin inc. c. Lafarge Canada inc., 2023 QCCA 939, par. 238.
[16] United States of America v. Novick, 1960 CanLII 490 (QCCS), 128 C.C.C. 319, p. 328. Cette interprétation de l’article en question n’a pas été remise en question par la Cour suprême dans l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, par. 47.
[17] Manrique c. R., 2020 QCCA 1170, par. 35.
[18] Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ, c. C-1.1.
[20] Argumentation dans le mémoire de l’appelante, par. 53-59, 73-80 et 83.
[21] Id., par. 60-64.
[22] Loi sur la division territoriale, RLRQ, c. D-11.
[24] Voir notamment : Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, art. 23, 32 à 34, 51, 70, 137 et 138; Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1, art. 142-143; Code de procédure civile art. 40-48. C’est aussi le cas pour plusieurs lois particulières, dont notamment en matière de fiscalité provinciale : art. 93.1.10 de la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. 6.002.
[25] Morissette c. Canada (Ministre du Revenu national), AZ-99021175, 1998 CanLII 11659 (QC CS), par. 25-26.
[26] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, no 1009; Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, [2017] 1 R.C.S. 402, par. 54; Subilomar Properties c. Cloverdale, [1973] R.C.S. 596, p. 603.
[27] Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, 2007 CSC 30, par. 96; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, par. 58.
[28] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, no 1220; Canadian Westinghouse Co. v. Grant, [1927] S.C.R. 625, p. 630; Duval v. Le Roi, (1938) 64 B.R. 270, 1938 CarswellQue 49, par. 11 (Cour du Banc du Roi du Québec).
[29] R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, p. 265 citant The India (1865), 12 L.T.N.S. 316, à la p. 316; Conseil scolaire francophone de la Colombie Britannique c. Colombie Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 42, par. 44.
[30] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, no 1220; Duval v. Le Roi, (1938) 64 B.R. 270, 1938 CarswellQue 49, par. 11 (Cour du Banc du Roi du Québec); Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, par. 89; Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591, par. 86, 90 (motifs conjoints concordants des juges Deschamps et Fish).
[31] Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, 37e lég., 1re sess., vol. 38, n° 54, 28 mai 2004, p. 26 (J. Mercier); Assemblée nationale, Commission permanente des institutions, 37e lég., 1re sess., vol. 38, n° 55, 1er juin 2004, p. 18-19 (J. Dupuis).
[32] Multi-Toits MF inc. c. Commission de la construction du Québec, 2018 QCCS 3326, par. 4.
[33] St-Germain Transport Ltée c. La Reine, 1986 CanLII 3684 (QC CA).
[34] Coderre c. Québec, C.A.P. 87C-5, AZ-87018017 (QC CA), p. 2-3.
[35] Ciment Independant Inc. and The Queen, Re, 1985 CanLII 3571 (QC CA), 21 C.C.C. (3d) 429, p. 434.
[36] Outre les arrêts St-Germain Transport Ltée et Coderre précités, voir notamment : R. c. Abinader, EYB 1999-15175, 1999 CanLII 4614 (QC CQ); R. c. Moallaghi, 2016 QCCQ 1674; R. c. Brunelle, 2018 QCCS 6155, par. 135-152, infirmé pour d’autres motifs : 202 CSC 3, par 108.
[37] R. c. Haley, 27 C.C.C. (3d) 454, 1986 CanLII 4641 (ON CA).
[38] Id., p. 464: « In the instant case […] there was a clear local “affinity” or “territorial link” with the proceedings, the respondent and his Hamilton house both being in the Judicial District of Hamilton-Wentworth, the district in which the justice of the peace was physically located. »
[39] Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, L.C. 2019, ch. 25, art. 191, 192 et 193.
[40] Voir à cet égard : Guy Cournoyer, Code de procédure pénale du Québec annoté, 12e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2022, p. 259.
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