Décision

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Zhongshan Fucheng Industrial Investment Co. Ltd. c. Federal Republic of Nigeria

2024 QCCS 988

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No :

500-11-061884-231

 

 

 

DATE :

Le 21 mars 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTAL CORRIVEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ZHONGSHAN FUCHENG INDUSTRIAL INVESTMENT CO. LTD

Demanderesse

c.

THE FEDERAL REPUBLIC OF NIGERIA

Défenderesse

et

TIBIT LIMITED

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]                La défenderesse, la République Fédérale du Nigeria, ci-après désignée « Nigeria », demande au Tribunal d’être relevée de son défaut de répondre à temps à l’assignation de la demanderesse Zhongshan Fucheng Industrial Investment Co. Ltd, ci-après désignée « Zhongshan ».

[2]                À l’issue d’un arbitrage tenu en Angleterre entre Zhongshan et Nigeria, cette dernière a été condamnée par une sentence arbitrale datée du 26 mars 2021, à verser à Zhongshan une importante somme d’argent.

[3]                L’arbitrage concernait une demande en compensation de Zhongshan contre  Nigeria qui, après avoir exécuté des travaux au Nigeria afin d’aménager une zone franche, s’est fait exproprier sans indemnité. La sentence arbitrale condamne Nigeria à verser à Zhongshan une somme de 55,5 millions $US en compensation pour l’expropriation, plus 75 000$US pour dommages moraux, frais, coûts d’arbitrage et intérêts. Au moment Zhongshan initie son recours au Québec, la valeur de la condamnation incluant les intérêts à cette date est de 97.5 millions de dollars canadiens.[1]

[4]                Zhongshan a entrepris des recours dans différents pays afin d’obtenir l’exécution de la sentence, dont au Québec.

[5]                Une Demande introductive d’instance a été produite au dossier de la Cour au Québec en date du 23 janvier 2023 par laquelle Zhongshan demande la reconnaissance de la sentence arbitrale. Le 25 janvier 2023, Zhongshan obtenait une ordonnance de saisie avant jugement[2] d’un avion se trouvant sur le sol québécois, prononcée à l’issue d’un débat ex-parte[3].

[6]                En date du 19 avril 2023, Nigeria a été validement notifiée de la demande en justice du Québec par la voie diplomatique selon une attestation de signification déposée au dossier d’Affaires Mondiales Canada.

[7]                Nigeria n’a pas notifié sa réponse dans le délai impartit par le Code de Procédure Civile soit avant le 18 juin 2023. Ce délai n’est pas de rigueur et le Tribunal peut relever une partie d’avoir omis de manifester son intention de répondre à temps, c’est l’objet même de la présente demande.

[8]               Le 12 juillet 2023, Zhongshan a inscrit pour obtenir un jugement par défaut. Le 17 novembre 2023, la date d’audition a été fixée pour le 16 février 2024.

[9]               En date du 11 janvier 2024, 9 mois après la notification diplomatique de la demande de Zhongshan de faire reconnaitre au Québec le résultat de sa sentence arbitrale, Nigeria a produit une réponse dans la présente instance. La veille de l’audition prévue pour procéder sur la demande ex-parte, soit le 15 février 2024, Nigeria a communiqué et produit sa demande d’être relevé de son défaut de répondre à temps. Les parties ont convenu de débattre uniquement cette question lors de cette audition.

LES ARGUMENTS DE NIGERIA

[10]           Nigeria allègue n’avoir pu produire sa réponse à temps ou auparavant principalement en lien avec la situation particulière de l’État dOgun, une des 36 régions fédérées du Nigeria. L’État d’Ogun est celui où se sont déroulés les faits à la base de la sentence arbitrale. Une élection tenue en mars 2023 dans cet État a eu pour effet de paralyser la région pour une période prolongée. Selon la demande de Nigeria, ce n’est qu’en date du 13 octobre 2023, qu’un procureur général a été désigné, rendant la conduite à suivre dans le présent dossier difficile vu l’absence d’autorité responsable désignée.

[11]           À la demande de Nigeria, en septembre 2023 une médiation a eu lieu à Londres entre Nigeria et Zhongshan, mais sans succès.

[12]           Ainsi Nigeria explique le long délai à répondre par la difficulté d’échanger de l’information entre Ogun et le Nigeria vu la complexité du dossier en plus du fait que des demandes ont été entreprises dans plusieurs juridictions, soit l’Angleterre, la Belgique, la France, les îles vierges Britanniques et le Québec.

[13]           Nigeria plaide n’avoir pu mandater ses avocats québécois avant le 11 janvier 2024.

[14]           Au chapitre de ses moyens de défense, Nigeria invoque l’immunité des États telle que reconnue par la Loi sur l’immunité des États[4] . Ainsi, comme toute première étape les parties doivent débattre de l’application de l’immunité au présent dossier ou non. Nigeria se garde d’élaborer tout autre moyen de défense, refusant de se voir opposer avoir renoncé par ce fait à soulever l’immunité.

LES ARGUMENTS DE ZHONGSHAN

[15]           Zhongshan plaide que Nigeria n’explique pas adéquatement son retard à répondre. La situation politique d’Ogun ne permet pas de justifier le retard d’autant que c’est Nigeria qui est poursuivie. Malgré son retard à agir pour se manifester devant le Tribunal au Québec, dans un litige intimement lié, soit le dossier Tibit[5] impliquant la mise en cause, Nigeria avait pourtant mandaté des avocats, un cabinet différent de ceux qui agissent dans le présent dossier, pour la représenter. Précisons que l’avion saisi par Zhongshan avait déjà été saisi par Nigeria dans le cadre de cet autre dossier devant la Cour Supérieure du Québec.

[16]           Devant le High Court d’Angleterre, Nigeria a fait preuve du même laxisme que dans le présent dossier, ne respectant pas les ordonnances du Tribunal imposant des délais stricts. Ainsi, dans une décision récente rendue en Angleterre[6] confirmée par la Cour d’Appel[7], Nigeria n’est pas relevée de son défaut de présenter à temps une demande d’annulation ou de modification de la sentence arbitrale visée par le présent dossier. Les juges en Appel soulignent que l’argument plaidant l’immunité des États soulevé par Nigeria est si faible qu’il ne s’agit pas d’un motif sérieux pour relever l’État de son défaut d’avoir présenté sa demande à temps[8].

[17]           Ainsi Zhongshan plaide que les retards de Nigeria sont chroniques et résultent d’une stratégie continue de retarder l’exécution d’une sentence arbitrale finale.

[18]           Enfin Zhongshan soutient que Nigeria n’a pas adéquatement énoncé ses moyens de défense de sorte qu’elle ne peut être relevée de son défaut de répondre pour pouvoir se défendre.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.        Nigeria a-t-elle soulevé une raison suffisante pour être relevée du défaut de répondre à temps ?

2.        Nigeria a-t-elle soulevé des moyens de défense suffisants en plaidant l’immunité des états?

ANALYSE

1.                  PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE : Nigeria a-t-IL soulevé une raison suffisante pour être relevé du défaut de répondre à temps ?

[19]           Pour pouvoir être relevé de son défaut de répondre à temps une partie doit présenter une preuve sommaire que le défaut de se soumettre au délai résulte d’une cause raisonnable.

[20]           Nigeria plaide au premier chef les difficultés internes issues d’élections contestées dans l’État d’Ogun et le délai à mettre en place les personnes responsables pour occuper la charge de procureur général, soit jusqu’en octobre 2023. Rappelons que la notification internationale de la demande de Zhongshan a été faite le 19 avril 2023.

[21]           Le Tribunal peine à comprendre cet argument de Nigeria. Dans un premier temps c’est l’État du Nigeria qui est poursuivi et qui au terme de la sentence arbitrale est visé par la condamnation. Même si les faits à la base de la dispute entre les parties se sont déroulés dans l’État d’Ogun, il demeure que c’est Nigeria qui est la partie liée à la sentence arbitrale dont l’exécution est recherchée. Personne ne met en doute que l’assignation issue du présent dossier a été valablement faite à Nigeria.

[22]           De plus, tel que le rapporte Nigeria dans sa demande d’être relevée du défaut de répondre, Nigeria a elle-même initié et obtenu une demande de médiation en Angleterre afin de régler son litige global avec Zhongshan. La demande a été faite le 25 mai 2023 et la médiation s’est tenue les 27, 28 et 29 septembre 2023 à Londres. Malgré cela, Nigeria invoque n’avoir pu répondre aux procédures entreprises au Québec alors que lors de la médiation la demande avait déjà été initiée et validement notifiée et la saisie de l’avion était en place.

[23]           Mais il y a plus, le Tribunal peine à saisir le retard de Nigeria d’agir alors qu’elle est partie à une autre procédure instituée au Québec avec la mise en cause Tibit et la saisie du même avion.

[24]           Dans un dossier de cour séparé[9] Nigeria a poursuivi Tibit, la mise en cause dans le présent dossier concernant une dispute en cours devant le Tribunal des Iles vierges Britanniques. Informée qu’un actif de Tibit se trouvait au Québec soit sur le terrain d’aéroport de Montréal, Nigeria a demandé et obtenu l’autorisation de saisir un avion soit le modèle Bobardier 6000 Jet (type BD-7-1A10). La saisie a été autorisée le 20 mai 2020[10]. Une demande de cassation de la saisie a par la suite été refusée[11]. La saisie est toujours en œuvre quoiqu’une demande de changement de gardien a été autorisée[12] de même qu’une suspension des procédures[13].

[25]           Précisons que les avocats de Nigeria dans le dossier Tibit sont du cabinet Davies.

[26]           En janvier 2023, au moment de la saisie avant jugement du même avion dans le présent dossier, les avocats de Zhongshan ont avisé, par courtoisie, les avocats de Davies des procédures entreprises, ces derniers n’ont jamais comparu au présent dossier. Ce n’est que le 11 janvier 2024 que le cabinet Alexeev Avocats a notifié sa réponse afin d’agir pour Nigeria.

[27]           Ainsi, dès après la saisie de l’avion Bombardier 6000 Jet par Zhongshan autorisée le 25 janvier 2023, il est difficile de saisir que Nigeria n’était pas en mesure raisonnable d’agir. Cette dernière n’avait dans les faits aucune obligation d’agir jusqu’à l’expiration du délai de 60 jours suivant la notification de la demande par la voie diplomatique. Il faut donc observer le comportement de Nigeria à compter de cette date, soit à compter du 19 juin 2023. À cette époque il y a une saisie par Nigeria de l’avion bombardier 6000 jet qui est en place et une seconde saisie par Zhongshan du même avion. Il y a une demande et à la tenue d’une médiation entre Nigeria et Zhongshan à Londres pour régler leurs disputes.

[28]           Malgré cela Nigeria ne se manifeste pas devant le Tribunal au Québec pour répondre à l’assignation dans le présent dossier. Nigeria ne plaide pas l’ignorance des procédures, elle invoque simplement une absence de direction en conséquence d’élections contestées dans l’État fédéré où se sont produit les faits.

[29]           Largument que les élections d’Ogun ont compliqué la transmission d’information et rendu difficile la collecte de renseignements n’est pas convaincant. L’on constate plutôt que Nigeria a choisi de ne pas se présenter devant le Tribunal au Québec jusqu’en janvier 2024, à la veille d’une audition, au surplus, fixée depuis 4 mois, pour procéder sur cette affaire par défaut.

[30]           Le Tribunal conclut que la preuve soumise tentant d’expliquer les motifs du retard à agir n’est pas raisonnable ni convaincante. Pour cette raison, le Tribunal dans l’exercice de sa discrétion est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accorder la demande de Nigeria.

2.                  SECONDE QUESTION EN LITIGE : Nigeria a-t-ELLE soulevé des moyens de défense suffisants en plaidant l’immunité des États?

[31]           Malgré la réponse à la première question, le Tribunal aborde la seconde question.

[32]           Le Tribunal doit déterminer si les moyens de défense soulevés sont sérieux.

[33]           Dans sa demande, pour être relevé du défaut Nigeria soulève que le Tribunal doit trancher l’argument d’immunité des États.

[34]           Elle  plaide qu’il s’agit d’une question d’ordre public devant être tranchée en premier lieu avant même de faire valoir d’autres moyens de défense.

[35]           La Loi sur L’Immunité des États[14] prévoit l’immunité des États des poursuites sauf exception bien établie. Ainsi selon l’article 5 de la loi; « L’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur des activités commerciales ».

[36]           En l’espèce le caractère commercial du fondement de la dispute soumise à l’arbitrage ne fait pas grand doute. Plaider qu’un débat doit avoir lieu pour éclaircir cette question ne fait pas montre d’un fondement suffisant pour considérer qu’il s’agisse d’un moyen de défense sérieux. Comme l’a mentionné la Cour d’Appel en Angleterre [15] confirmant la décision de la juge Cockerill saisie d’une question similaire à l’issue de la sentence arbitrale, même sans être débattu au fond, soulever cet argument ressemble plus à de la poudre aux yeux qu’à un moyen défense devant être considéré.

[37]           De plus, tout État parti à la Convention de New York de 1958 sur La reconnaissance de l’exécution des sentences arbitrales étrangères[16] qui choisit de se soumettre à un arbitrage, reconnait et renonce à invoquer son immunité de juridiction pour s’opposer à la reconnaissance de la sentence. Le Nigeria est signataire de cette convention depuis le 3 mars 1970.

[38]           Enfin quant à la question de savoir si le Nigeria aurait dû énoncer ses autres moyens de défense sur le fond, le Tribunal est en accord avec la position avancée par Nigeria. Compte tenu de l’arrêt Barer[17], Nigeria pouvait ne pas énoncer ses autres moyens de défense au mérite afin de na pas se faire opposer avoir renoncé à invoquer son droit à l’immunité.

[39]           Le Tribunal est d’avis que le moyen de défense soulevé n’est pas suffisamment sérieux.

CONCLUSION

[40]           En conclusion, le Tribunal estime que le délai pour répondre à la demande de Zhongshan est déraisonnable et que les moyens de défense soulevés ne sont pas assez sérieux. Ainsi, le Tribunal n’accorde pas à Nigeria sa demande d’être relevé du défaut de répondre à temps à l’assignation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]           REJETTE la demande THE FEDERAL REPUBLIC OF NIGERIA d’être relevé de son défaut de répondre à temps à l’assignation.

[42]           LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

__________________________________ CHANTAL CORRIVEAU, j.c.s.

 

 

Me Patrick Ferland

Me Sean Giacobbe

LCM AVOCATS INC.

Procureurs de la partie demanderesse

 

Me Molly Krishtalka

Me Lev Alexeev

Alexeev Avocats

Procureurs de la partie défenderesse

 

Me Benjamin Dionne

DENTONS CANADA LLP,

Procureur de la partie mise en cause Tibit Limited

Date d’audience :

Le 16 février 2024

 


[1]  Ces éléments ressortent de la déclaration solennelle de Christopher Bird du 23 janvier 2023, produite au soutien de la demande de saisie avant jugement. La sentence arbitrale est produite en pièce R-1 au soutien de la demande en saisie avant jugement.

[2]  Le jugement de l’honorable David R. Collier est daté du 25 janvier 2023.

[3]  L’avion saisi est un modèle Bombardier 6000 Jet (type BD-700-1A10) se trouvant à Montréal lequel était déjà saisi par Nigeria dans le cadre d’un autre litige l’opposant à la mise en cause Tibit, dans le dossier de cour 500-17-112282-200.

[4]  L.R.C. (1985), ch. S-18.

[5]  Le dossier porte le numéro 500-11-112282-200 enter Federal Republic of Nigeria c Tibit Limited et Giuseppina Russa.

[6]  Jugement de la juge Cockerill du 2 décembre 2022, P-22.

[7]  Le Juge Males refuse la permission d’appeler en date du 30 janvier 2023 et ceci est confirmé les juges Flaux et Underhill (2022) EWHC 3286 (E&W H.C.Comm.) refusant la permission d’en appeler et la demande de révision également

[8]  Id. par 32.

[9]  Federal Republic of Nigeria c Tibit Limited et Giuseppina Russa, préc., note 5.

[10]  Jugement de l’honorable Chantal Masse du 30 mai 2020.

[11]  Jugement de l’honorable Martin Castonguay du 4 aout 2020.La Cour d’appel sous la plume de l’honorable Robert Mainville a refusé la demande d’appel le 3 septembre 2020.

[12]  Jugement de l’honorable Martin Castonguay du18 décembre 2020.

[13]  Jugement de l’honorable Martin Castonguay du 4 juin 2021.

[14]  Préc. note 4.

[15]  Préc. note 7.

[16]  330 R.T.N.V.3. Le Nigeria est parti à la convention.

[17]  Barer c. Knight Brothers LLC, 2019 CSC 13.

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