Décision

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Buonamici c. Blockbuster Canada Co.

2007 QCCA 468

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-014994-040

(500-06-000149-019)

 

DATE :

Le 15 mars 2007

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

YVES-MARIE MORISSETTE J.C.A.

 

 

ALL NATURAL PERSONS IN QUEBEC, WHO

RENTED A PRODUCT FROM DEFENDANT AND,

FROM JANUARY 1ST, 1994 TO THE PRESENT,

THEREAFTER PAID DEFENDANT A PENALTY

FEE FOR HAVING RETURNED THE PRODUCT

AFTER IT WAS DUE TO BE RETURNED

THE CLASS

et

ALBERTO BUONAMICI

APPELANT - Demandeur

Représentant désigné

c.

 

BLOCKBUSTER CANADA CO.

INTIMÉE - Défenderesse

 

 

ARRÊT RECTIFICATIF

 

 

[1]                Par inadvertance, une erreur s’est glissée lors de la rédaction de l’arrêt du 8 mars 2007. Le paragraphe [9] aurait dû être ainsi rédigé :

Au procès, l’appelant n’a pas présenté de moyen contre l’argument de prescription partielle soulevé par l’intimée. Intenté en novembre 2001, le recours ne peut viser que les frais exigés depuis novembre 1998. D’autre part, l’intimée a changé sa tarification à partir du 8 août 2002 et l’appelant ne considère pas comme abusive la politique issue de ce changement. En conséquence, la réclamation ne peut couvrir que la période comprise entre novembre 1998 et août 2002.

EN CONSÉQUENCE, LA COUR;

[2]                RECTIFIE l’arrêt du 8 mars 2007 et substitue le paragraphe suivant au paragraphe [9] :

Au procès, l’appelant n’a pas présenté de moyen contre l’argument de prescription partielle soulevé par l’intimée. Intenté en novembre 2001, le recours ne peut viser que les frais exigés depuis novembre 1998. D’autre part, l’intimée a changé sa tarification à partir du 8 août 2002 et l’appelant ne considère pas comme abusive la politique issue de ce changement. En conséquence, la réclamation ne peut couvrir que la période comprise entre novembre 1998 et août 2002.

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE J.C.A.

 

Me Gordon Kugler

Me Robert Kugler

KUGLER KANDESTIN, L.L.P.

Pour l’appelant

 

Me James Woods

Me Patrick Ouellet

WOODS & ASSOCIÉS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

Le 12 février 2007


 

 

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-014994-040

(500-06-000149-019)

 

DATE :

Le 8 MARS 2007

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

YVES-MARIE MORISSETTE J.C.A.

 

 

ALL NATURAL PERSONS IN QUEBEC, WHO

RENTED A PRODUCT FROM DEFENDANT AND,

FROM JANUARY 1ST, 1994 TO THE PRESENT,

THEREAFTER PAID DEFENDANT A PENALTY

FEE FOR HAVING RETURNED THE PRODUCT

AFTER IT WAS DUE TO BE RETURNED

THE CLASS

Et

ALBERTO BUONAMICI

APPELANT - Demandeur

Représentant désigné

c.

 

BLOCKBUSTER CANADA CO.

INTIMÉE — Défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant Buonamici se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure[1] qui a rejeté au fond le recours collectif du groupe qu’il représente. Ce recours visait à faire déclarer abusifs les frais de retard imposés par l'intimée Blockbuster et à obtenir d’elle des dommages compensatoires et punitifs.

Les circonstances à l’origine du litige

[2]                L'intimée fait apparition sur le marché québécois de la location de cassettes vidéo en 1994. Vers 2002, elle occupe le troisième rang parmi les principales entreprises de ce secteur et elle exploite un peu plus d’une quarantaine de succursales au Québec.

[3]                Dès son implantation, pour se démarquer des autres fournisseurs déjà établis, l'intimée prolonge la durée maximale de location de ses produits, tout en offrant une tarification presque identique aux prix pratiqués par la concurrence. Plutôt que d'imputer des frais de retard dès 18 h le dernier jour de location - comme c'est l'usage pour ce genre de service - elle ne le fait qu’à compter de minuit.

[4]                Le produit vedette de l'industrie est le film récent, dont on tire la majeure partie des revenus de location. Il s’agit de films qui, après avoir complété leur passage en salle, sont disponibles en location pour visionnement privé. À l'époque, ce produit très en demande est normalement offert au client pour un loyer de 5 $ et pour une courte période de location. On permet au client de conserver le produit pour une nuit, tout au plus, et il a l'obligation de le remettre avant une heure fixe le lendemain en après-midi ou en soirée. Après quelques semaines, lorsque la demande pour le produit commence à décliner, le même film est offert pour une période plus longue (par exemple, deux nuits) mais pour le même prix ou à prix réduit. Lorsque la demande pour le titre devient aléatoire, la durée de location augmente et le loyer diminue.

[5]                Puisque l’intimée tient à se distinguer de ses concurrents et qu’elle n’impose de frais de retard qu’à partir de minuit, toute sa publicité présente comme une « location 2 soirées » l’offre d’un film récent qui doit être rapporté le lendemain avant minuit. En effet, à la différence de ses concurrents, l’intimée accorde au client une durée maximale de location qui comprend pour ce type de produit deux soirées de visionnement. Néanmoins, le client ne peut demeurer en possession du produit que pour une seule nuit. De même, pour une location de deux nuits, le fait que l’intimée n’exige pas la remise du film avant minuit le dernier jour de location lui permet d'étiqueter le produit comme une « location 3 soirées ». Et ainsi de suite. C’est ce créneau que l’intimée se donne pour objectif d’exploiter à l’époque et tous les produits qu’elle loue sont offerts au public en termes de « soirées ».

[6]                L'imputation de frais de retard (ou de « frais de visionnement prolongé ») est une pratique courante dans ce secteur et l’intimée ne fait pas exception. Si le client ne s'acquitte pas de son obligation de remise avant minuit, il se voit imposer des frais additionnels. Ainsi, le client qui loue un film récent le vendredi - ce qui lui coûte 4,79 $ en 1998 - doit le remettre avant minuit le samedi, à défaut de quoi des frais supplémentaires de 4,79 $ deviennent exigibles. Ces frais sont cumulatifs : 24 heures après un premier retard, le même montant est imputé une deuxième fois. En outre, le contrat d'adhésion entre l’intimée et ses clients prévoit à l'époque qu'au 15e jour de retard, la propriété du film passe au client, qui est alors tenu pour le prix de la cassette (ou du DVD) de même que pour les frais de retard cumulés.

[7]                À diverses nuances près, toute la structure tarifaire de l’intimée obéit à ce principe. Dans le cas d’une « location 2 soirées », les frais de retard pour 24 heures sont égaux au loyer initial. Pour les autres locations de trois, cinq ou sept soirées, les frais de retard sont équivalents au prix de la location divisé par le nombre de nuits comprises dans la durée maximale de location. Ainsi, pour une « location 3 soirées » facturée 4,79 $, les frais de retard sont de 2,40 $ pour le premier retard et ce montant est imputé à nouveau pour les périodes additionnelles de 24 heures.

[8]                L’appelant dénonce cette tarification qu’il prétend abusive. Il en donne pour illustration l'exemple suivant. Un film récent loué un vendredi doit être rapporté le samedi avant minuit. Mais le client qui le remet le lundi matin sera tenu de payer 9,58 $ car on lui aura imputé deux fois les frais de retard de 4,79 $. Or, comme l’intimée peut toujours louer le film dans la soirée du lundi, le seul gain dont elle aura véritablement été privée en raison du retard du client correspond au loyer perdu de la soirée du dimanche. Puisque le loyer pour deux soirées est de 4,79 $, le préjudice qu’elle subit se chiffre tout au plus à 2,40 $. Dans cet exemple, les frais exigibles - et que l’appelant qualifie de prélèvement effectué en application d’une clause pénale - équivaudraient à quatre fois le loyer perdu en raison du retard, ce qui est abusif. Il sera question plus loin de cet exemple.

[9]                Au procès, l’appelant n'a pas présenté de moyen contre l'argument de prescription partielle soulevé par l'intimée. Intenté en novembre 2001, le recours ne peut viser que les frais exigés avant novembre 1998. D'autre part, l'intimée a changé sa tarification à partir du 8 août 2002 et l’appelant ne considère pas comme abusive la politique issue de ce changement. En conséquence, la réclamation ne peut couvrir que la période comprise entre novembre 1998 et août 2002.

[10]           Enfin, il est admis de part et d'autre que le contrat qui lie l’intimée et les membres du groupe est à la fois un contrat de consommation et d'adhésion.

Le jugement entrepris

[11]           Le juge de première instance qualifie les frais de retard d’obligation alternative. À son avis, le client fait face à un choix : il peut se libérer de ses obligations en vertu du bail initial en remettant l’article au locateur dans le délai prévu, ou il peut conserver l’article après minuit la deuxième soirée, et prolonger ainsi le bail pour 24 heures à un prix déterminé d'avance. Qualifiant les frais de contrepartie pour la jouissance du bien pendant 24 heures additionnelles, le juge écarte la notion de clause pénale et le critère, aux termes des articles 1622 et 1623 C.c.Q., de l’écart entre pénalité et dommage.

[12]           Cette caractérisation de l'aménagement contractuel entre les parties étant acquise, il se demande si les frais sont objectivement lésionnaires au regard des critères de l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur[2] et de l'article 1437 C.c.Q. Il compare alors les frais de retard demandés par l’intimée pour 24 heures de location additionnelle avec la valeur marchande usuelle de la location pour une durée égale et conclut que cette valeur pour un film récent et pour une location de 24 heures se situe selon la preuve autour de 5 $. Il s’ensuit que le prix de 4,79 $ fixé par l'intimée n'est nullement excessif. Le juge procède aussi à une comparaison « interne » entre la période additionnelle de location (24 heures pour 4,79 $) et la période initiale offerte au même prix. Il y a bien une augmentation du loyer « horaire » entre la période initiale et la période additionnelle, mais elle lui paraît insuffisante pour justifier une intervention judiciaire.

Les prétentions des parties

[13]           L'appelant soutient que le juge a qualifié erronément le rapport contractuel entre les parties. Il aurait de ce fait évacué le critère de la disproportion entre la peine et le dommage, et déterminé s'il y avait clause abusive en fonction de considérations inappropriées, telle la comparaison avec la valeur marchande de la prestation additionnelle fournie par l’intimée. L’avocat de l'appelant a vigoureusement soutenu lors de l’audition de l’appel que qualifier les frais de retard de loyer additionnel ne trouve appui ni dans les termes du contrat-cadre entre l’intimée et les membres du groupe, ni dans la documentation interne de l'intimée, ses allégations en défense ou la perception largement répandue dans l'industrie.

[14]           L’intimée, pour sa part, estime que les frais de retard sont bien l’une des branches d’une obligation alternative, ouvrant la possibilité de reconduire une location pour une durée et un loyer distincts, déterminés à l'avance et prévus au contrat. Les critères d'examen utilisés par le juge sont donc corrects. Enfin, même si le critère de la disproportion entre la peine et le dommage devait trouver application, la preuve démontre qu'il n'y a pas eu d'abus dans les faits, car les frais demandés constituent une anticipation raisonnable du dommage que cause le retard.

Analyse

A. Le fond du litige

[15]           D’emblée, une constatation s’impose à l’étude du dossier : que les frais de retard soient perçus comme un loyer additionnel ou comme un paiement imposé par une clause pénale, l'appelant n'a pas établi par preuve prépondérante l’existence de conditions qui autoriseraient le tribunal à intervenir afin d’annuler une clause abusive ou de réduire la peine qu’elle stipule. Même si, par hypothèse, les frais de retard étaient une clause pénale, l'appelant avait le fardeau de prouver la disproportion entre la peine prévue et les dommages prévisibles. Or, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[16]           Invité lors de l'audition du pourvoi à préciser en quoi consistait la preuve au dossier sur ce point, l’avocat de l'appelant s’est appuyé sur une démonstration arithmé­tique, présentée dans un tableau que reproduit son mémoire. En voici la teneur[3] : 

Comparison of late fees and potential loss of revenue for 2-evenings hot new release pre-August 2002

Video due back Saturday at midnight: $ 10 total late fees for return after midnight on Sunday

If video is returned on Monday

Evenings of potential lost revenue

Amount of potential revenue lost

Two late fees of $ 5 each were charged

Between midnight and 10:00 a.m.

1 evening only (Sunday) because stores are closed between midnight and 10:00 a.m.

$2.50

$10.00

Between 10:00 a.m. and 3:00 p.m.

1 evening (Sunday) and possibly, but unlikely Monday

$5.00

$10.00

Between 3:00 p.m. and 7:00 p.m.

1 evening (Sunday) and perhaps Monday evening

$5.00

$10.00

Between 7:00 p.m. and 9:00 p.m.

Probably 2 evenings (Sunday and Monday)

$5.00

$10.00

Between 9:00 p.m. and midnight

2 evenings

(Sunday and Monday)

$5.00

$10.00

[17]           Cette démonstration repose sur une pétition de principe. Elle loge dans l’assertion suivante : parce que les clients de l’intimée sont autorisés à conserver les films qu'ils louent jusqu'à minuit le samedi, l’intimée ne peut relouer aucun de ces films durant la soirée du samedi ou avant. Il n'y a donc point de préjudice lorsque les films sont retournés le dimanche à partir de 0 h. Une conséquence très importante de cette assertion, si on la tient pour fondée, est que l’intimée ne peut espérer tirer une recette supérieure à 2,50 $ par soirée de location[4]. Loués un vendredi, les films ne pourront générer un nouveau revenu de location qu’à partir de 10 h le dimanche, heure à laquelle ouvrent les établissements de l’intimée. L’hypothèse se répétant, les films loués le dimanche ne pourront trouver preneur après avoir été remis en circulation le mardi à 10 h. Seul ce scénario permet à l’appelant d’avancer qu’un film récent loué le vendredi aux conditions habituelles et remis, non pas le samedi avant minuit comme le prévoit la période initiale de location, mais le lundi suivant entre 10 h et 23 h 59, ne générerait en recettes que 25 % à 50 % des frais de retard s’il était remis en circulation à la fin de la période de location initiale. L’écart entre des recettes anticipées de 25 % ou 50 % et des frais de retard de 100 % est évidemment important; il repose, cependant, sur une pure opération de l’esprit qui ne correspond pas aux faits mis en preuve.

[18]           La lecture du dossier permet en effet de constater que la seule preuve apportée à ce sujet contredit la prétention de l'appelant selon laquelle, lorsqu’une cassette est prise en location le vendredi, aucun gain ne peut être réalisé par l’intimée dans la journée ou la soirée du samedi. Cette preuve démontre au contraire que la grande majorité des cassettes louées revient à son point d’origine durant la soirée du samedi, à des heures où elles trouvent régulièrement preneur. Selon la preuve, donc, l’appelante peut raisonnablement espérer relouer la plupart des copies de films récents tous les soirs et l'intervalle normal entre une première et une deuxième location à 5 $ est seulement d’une nuit complète.

[19]           Ainsi, le témoin Guest, cadre supérieur de l’intimée au Canada, affirme dans sa déposition que la plupart des films sont de retour le lendemain matin, peu importe quel est le jour initial de prise en location pendant la semaine. Certes, ce témoignage survient lors de l’interrogatoire principal d'un témoin au service de l’intimée. Cependant, ce n’est pas le seul témoignage en ce sens. En contre-interrogatoire, le témoin Ménard, ancien propriétaire de Club International Vidéo Film - concurrent de l’intimée - et témoin expert cité par l’intimée sur les pratiques habituelles de l'industrie, corrobore les dires de Guest de manière on ne peut plus nette : la majorité des retours se produit bien avant « minuit moins une » et avant que les copies rendues cessent de trouver preneur. Notons aussi que l'appelant a appelé à la barre le responsable d’une succursale de l’intimée à Ville Lasalle, antérieurement congédié par l’intimée. Ce témoin aurait pu livrer au tribunal ce qu'il savait d'expérience sur l'heure de retour des produits mais il ne l'a pas fait.

[20]           On sait par ailleurs, à partir des chiffres disponibles pour la période en litige, que les frais de retard prélevés par l’intimée dans ses succursales québécoises représentent 13 % de ses recettes.

[21]           Mais, même si ces éléments de preuve ne se trouvaient pas au dossier, la démonstration arithmétique offerte par l'appelant demeurerait insuffisante. C'est l'appelant qui supportait le fardeau d'établir qu’il existait un écart entre, d’une part, la somme fixée par clause pénale - en admettant aux fins de la démonstration qu’il s’agissait bien d’une telle clause - et, d’autre part, le manque à gagner subi par l’intimée en raison du retard; le cas échéant, il devait également démontrer quelle était l’importance de cet écart. L’appelant ne pouvait se contenter de plaider que le client peut, hypothétiquement et selon les termes du contrat appliqués à la lettre, remettre le film à 23 h 59, pour postuler qu'en réalité la totalité ou une proportion appréciable des films loués reviennent en succursale à la toute dernière minute. Cette circonstance, l’absence relative ou complète de préjudice pour l’intimée, et donc l’existence en fait d’une disproportion suffisamment importante entre la peine stipulée par contrat et le dommage subi par la partie qui l’a stipulée, aurait dû être établie par une preuve prépondérante dont la charge incombait à l’appelant. Or, non seulement il ne s’est pas acquitté de ce fardeau, mais rien au dossier ne permet de dire si un tel écart existe en fait.

[22]           Dans ces conditions, l’examen du caractère abusif et réductible des frais de retard selon la norme posée par l’article 1623 C.c.Q. devient superflu[5]. L’appel doit donc être rejeté.

B. Les dépens

[23]           En première instance, le juge a rejeté en ces termes le recours de l’appelant : « AVEC DÉPENS incluant les seuls frais d’expertise de M. Jules Ménard. » L’intimée ne remet pas en question cette partie du dispositif. L’appelant, cependant, a conclu sa plaidoirie en appel en faisant valoir avec insistance que l’équité (fairness) commandait que son recours, s’il devait être rejeté, le soit sans frais.

[24]           L’article 477 C.p.c. énonce un principe d’application générale selon lequel la partie qui succombe doit supporter les dépens. Mais les tribunaux peuvent, par décision motivée, déroger à ce principe. Le juge de première instance s’est conformé à cette disposition et a expliqué pourquoi il jugeait nécessaire en l’espèce de mitiger les dépens. Après avoir refusé les frais de déplacement de plusieurs témoins venus du Texas, où se trouve la compagnie mère de l’intimée, il a fait les observations suivantes sur les dépens relatifs aux expertises :

[83]      Les frais engagés par Blockbuster pour se défendre sont considérables, mais pour ce qui est des frais d’expertise comptable ils tiennent plus à la complexité des opérations de la compagnie et au volume des transactions complétées qu’à la complexité de la cause qui repose, rappelons-le, sur la proportionnalité entre le prix exigé et la valeur marchande du produit. Ces frais d’expertise sont refusés.

[84]      Quant aux frais d’expertise engagés pour établir les prix et les pratiques de commerce qui prévalent dans l’industrie de la location de films vidéo, ils sont accordés. Le sujet traité est au cœur même de la cause et l’expertise a servi à établir les pratiques et les valeurs marchandes.

Les dépens ainsi adjugés, selon les explications fournies lors de l’audition du pourvoi, atteindraient environ 30 000 $. L’appelant demande à en être exempté.

[25]           Il convient en premier lieu de rappeler certaines dispositions de la loi qui traitent des dépens en matière de recours collectif. Le paragraphe f) de l’article 1006 C.p.c. précise que, lorsque le tribunal autorise l’exercice d’un recours collectif, l’avis aux membres du groupe doit faire état du « fait qu’un membre qui n’est pas un représentant ou un intervenant ne peut être appelé à payer les dépens du recours collectif ». L’article 1024 du même code prévoit que, lorsque le tribunal permet qu’un membre du groupe soit substitué au représentant, le nouveau représentant « ne peut être tenu au paiement des dépens et des autres frais pour les actes antérieurs à la substitution, à moins que le tribunal n’en ordonne autrement. » En outre, une autre disposition du code met en place un cadre juridique qui, pour ce qui concerne les dépens, est propre au recours collectif et déroge au régime général du code:

1050.1 S’il y a condamnation aux dépens, les honoraires judiciaires sont calculés comme s’il s’agissait d’une action de la classe II-A du Tarif des honoraires judiciaires des avocats (R.R.Q., 1981, chapitre B-1, r. 13) et, dans ce calcul, l’article 42 de ce tarif ne s’applique pas.

L’honoraire spécial prévu à ce tarif pour tenir compte de l’importance d’une cause ne peut être accordé qu’après le prononcé du jugement final, sur requête du procureur signifiée à la partie adverse et au Fonds d’aide aux recours collectifs si celui-ci s’est conformé à l’obligation prévue par le premier alinéa de l’article 32 de la Loi sur le recours collectif (L.R.Q., chapitre R-2.1); le tribunal ne doit pas alors tenir compte du fait que le Fonds d’aide aux recours collectifs ait garanti, en tout ou en partie, le paiement des dépens.

Enfin, il y a lieu de citer ici l’article 31 de la Loi sur le recours collectif :

31.  Dans les cas où le représentant a bénéficié de l'aide, si le défendeur en faveur de qui le jugement final a été rendu démontre au Fonds l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'obtenir paiement intégral des frais judiciaires sur les biens du représentant, le Fonds, après examen de l'état financier du défendeur, peut acquitter ces frais judiciaires au nom du représentant. Le Fonds devient alors subrogé dans les droits du défendeur jusqu'à concurrence du montant versé à ce dernier.

Il ressort de ces dispositions que, malgré diverses mesures législatives destinées à faciliter l’exercice du recours collectif, le législateur n’a pas aboli en cette matière le principe général qu’énonce le premier alinéa de l’article 477 C.p.c.

[26]           En l’espèce, l’autorisation d’exercer le recours a été accordée le 10 mars 2003, sans que le requérant de l’époque ait préalablement sollicité le soutien financier du Fonds d’aide aux recours collectifs. Le 28 octobre de la même année, la Cour supérieure permettait au requérant de renoncer à son statut de représentant et elle attribuait ce statut à l’appelant, lequel était entré en contact avec l’avocat de la demande à la suite de la publication de l’avis d’autorisation du recours. L’article 1024 C.p.c. pouvait donc recevoir application ici. Cela dit, selon les explications fournies au cours de l’audience en appel, il est possible, voire probable, qu’au moment de la substitution l’appelant n’ait même pas été informé que le statut de représentant comportait pour lui un risque de condamnation aux dépens.

[27]           Pour sa part, la partie adverse souligne les éléments suivants. La requête introductive d’instance postérieure au jugement qui autorisa le recours portait sur une réclamation principale de 300 000 000 $. Ce n’est que beaucoup plus tard, et long­temps après la substitution du représentant, que le montant réclamé fut réduit aux 13 460 239 $ demandés par l’appelant dans les conclusions de son mémoire. L’intimée a donc entrepris de se défendre à une action où le montant réclamé était très élevé. Cela a nécessité le déplacement de plusieurs témoins venus de l’étranger et la confection de deux expertises pour la défense. En limitant les dépens comme il l’a fait, le juge de première instance écartait, notamment, des frais d’expertise comptable qui, au moment du procès, totalisaient 195 656,28 $. Dans les circonstances, plaide l’intimée, l’appelant ne peut se contenter de soutenir que la condamnation aux dépens est « manifestement injuste » pour obtenir qu’elle soit modifiée en appel.

[28]           L’intimée a raison. Rien dans les motifs fournis par le juge de première instance sur la question des dépens ne permet de déceler une quelconque erreur de droit ou une cause de reproche quant à la façon dont il a exercé sa discrétion. Bien au contraire, il a réduit la condamnation en tenant explicitement compte du caractère sérieux de la réclamation qui, après examen au procès, s’est révélée sans fondement.  L’intimée, bien qu’elle ait eu gain de cause, devra absorber la majeure partie des coûts associés à sa défense, et cela malgré que certains d’entre eux auraient pu être inclus dans les dépens adjugés par le juge. Conformément au critère d’intervention souvent réitéré par notre Cour, notamment dans l’arrêt Giroux c. Confédération des Caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec[6], il n’y a pas lieu d’intervenir au titre des dépens.

[29]           En l’espèce, la condamnation aux dépens ne peut comprendre que les frais postérieurs à la substitution du représentant (art. 1024 C.p.c in fine). Il appartiendra à l’officier taxateur de s’assurer que ce sera effectivement le cas.

[30]           Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON J.C.A.

 

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE J.C.A.

 

Me Gordon Kugler

Me Robert Kugler

KUGLER KANDESTIN, L.L.P.

Pour l’appelant

 

Me James Woods

Me Patrick Ouellet

WOODS & ASSOCIÉS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

12 février 2007

 

 



[1]     [2004] R.J.Q. 2724 .

[2]     L.R.Q., c. P-40.1.

[3]     Pour simplifier la lecture du calcul, l’appelant arrondit les chiffres de 4,79 $ à 5,00 $, mais cela n’affecte en rien à la thèse qu’il développe.

[4]     Dans les faits, compte tenu de la tarification alors en vigueur, il s’agirait très exactement d’une recette de deux dollars et 39,5 ¢.

[5]     Voir, notamment, J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, 6è éd. (par P.-G. JOBIN et N. VÉZINA), Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2005, p. 170, paragr. 121; il est certain qu’on ne peut parler ici d’une stipulation qui « heurt[e] le sens élémentaire de la justice » (p. 166, paragr. 118).

[6] [2002] R.R.A. 312 .

AVIS :
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