Nault et CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska |
2019 QCTAT 559 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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APERÇU
[2] Le 9 août 2015, elle subit une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale lors de l’installation d’une patiente au lit. Cette réclamation est refusée par la Commission de la santé de la sécurité du travail[1], la Commission, mais accueillie par le Tribunal administratif du travail, le Tribunal[2]. À la suite de l’admissibilité de cette nouvelle réclamation, le suivi médical de la condition de la travailleuse est assuré par la docteure Lévesque, médecin qui a charge. À la suite d’un désaccord entre l’opinion du médecin qui a charge et de celui mandaté par l’employeur, la travailleuse est évaluée par le docteur Jean-Pierre Dalcourt, membre du Bureau d’évaluation médicale[3]. Il retient les diagnostics de lombalgie mécanique (entorse lombaire), consolide la lésion le 23 février 2016 et conclut que la travailleuse ne conserve aucune limitation fonctionnelle. La travailleuse conteste ces conclusions et il s’agit du litige que devait trancher le premier juge administratif.
[3] Il appert du dossier que la travailleuse et l’employeur, seules parties au dossier devant le premier juge administratif, ont favorisé la voie de la conciliation pour régler leur différend. Ainsi, le premier juge administratif a entériné l’accord intervenu entre les parties, accueilli la contestation de la travailleuse et déclaré que l’entorse lombaire subie lors de la récidive, rechute ou aggravation du 9 août 2015 est consolidée le 3 novembre 2016, que la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles de classe 3 selon l’IRSST[4] et qu’elle a le droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une décision de capacité soit rendue[5].
[4] La Commission, qui n’était pas intervenue au dossier en première instance, dépose une requête en révision ou en révocation à l’encontre de la décision rendue par le premier juge administratif[6]. Elle invoque une erreur de droit assimilable à un vice de fond donnant ouverture à la révision de la décision rendue. Plus spécifiquement, elle soutient que l’accord entériné n’est pas conforme à la Loi. À son avis, la reconnaissance de limitations fonctionnelles n’est pas supportée par la preuve médicale prépondérante contenue au dossier, ce qui constitue une erreur déterminante.
[5] Pour sa part, la procureure de la travailleuse rappelle que le rôle du juge administratif appelé à rendre une décision entérinant un accord est différent de celui qu’il doit exercer lorsqu’il rend une décision au mérite. Dans le contexte d’un accord, il doit évaluer si, à sa face même, il s’appuie sur la preuve au dossier. Il n’a pas à apprécier l’ensemble de la preuve médicale offerte. Elle argue que la procureure de la Commission tente d’obtenir une réappréciation de la preuve, ce que ne permet pas le recours en révision ou en révocation. Les éléments qu’invoque la Commission auraient dû être soulevés devant le premier juge administratif. La Commission ayant choisi de ne pas intervenir à ce moment, elle ne peut utiliser le recours en révision ou en révocation pour pallier cette omission. Elle ajoute que la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif constitue l’une des issues possibles. La requête en révision ou en révocation doit donc être rejetée.
[6] Le Tribunal doit répondre à la question suivante :
Ø La Commission a-t-elle démontré un motif donnant ouverture à la révision ou à la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2017, entérinant un accord intervenu entre les parties ?
Pour les raisons suivantes, le Tribunal rejette la requête en révision ou en révocation déposée par la travailleuse, cette dernière n’ayant démontré aucun motif y donnant ouverture.
ANALYSE
[7] L’article 51 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[7], la LITAT, édicte que les décisions rendues par le Tribunal sont sans appel et que les parties visées doivent s’y conformer. Néanmoins, l’article 49 de la LITAT prévoit la possibilité pour une partie de demander la révision ou la révocation de la décision rendue. Plus spécifiquement, trois motifs donnent ouverture à un tel recours :
1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu’une partie intéressée n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;
3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à l’invalider.
[8] Dans l’affaire Franchellini et Sousa[8], la Commission des lésions professionnelles a rappelé que le recours en révision ou en révocation a une portée limitée et doit être interprété restrictivement en vue d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le Tribunal. De plus, on y précise que le pouvoir de révision ou de révocation ne peut servir de prétexte à une réappréciation de la preuve et ne constitue pas un appel déguisé.
[9] Par ailleurs, la Cour d’appel du Québec a eu à se prononcer à maintes occasions sur la portée du recours en révision ou en révocation. Dans l’affaire Tribunal administratif du Québec c. Godin[9], elle a souligné que le recours en révision ne doit pas être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments.
[10] De même, dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[10], la Cour d’appel précise que le recours en révision ou en révocation ne saurait être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation, ou encore une occasion, pour une partie, d’ajouter de nouveaux arguments.
[11] Dans l’affaire Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec[11], la Cour d’appel a réitéré les circonstances où un tribunal administratif doit procéder à une révision ou à une révocation de sa décision. Cette affaire impliquait le Tribunal administratif du Québec, qui est régi par le paragraphe [3] de l’article 154 de la Loi sur la justice administrative[12] prévoyant un recours s’apparentant à celui prévu à l’article 49 de la LITAT. Elle a rappelé que cette disposition « s’applique de façon exceptionnelle » et qu’une décision entachée d’un vice de fond « doit être assimilée à une décision légalement nulle ».
[12] Dans un jugement rendu dans l’affaire Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail[13], la Cour supérieure du Québec a précisé le rôle de la Commission des relations du travail en matière de révision ou de révocation en indiquant qu’elle :
[…] doit déterminer si la décision contestée contient une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. II faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux[14].
[13] Dans le présent cas, la Commission invoque que l’accord entériné par le premier juge administratif n’est pas conforme à la Loi, ce qui constitue un vice de fond prévu au troisième paragraphe de l’article 49 de la LITAT. Comme l’a notamment rappelé la Cour d’appel dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[15], la notion de vice de fond réfère à une erreur manifeste et ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[14] Par ailleurs, l’article 21 de la LITAT prévoit la possibilité pour les parties d’avoir recours au service de conciliation offert par le Tribunal. Pour sa part, l’article 23 de la LITAT prévoit que cet accord doit être entériné par un membre du Tribunal dans la mesure où il est conforme à la Loi. De même le sixième paragraphe de l’article 9 de la LITAT prévoit expressément ce pouvoir d’entérinement. Néanmoins, la notion de « conformité à la loi » prévue à la LITAT n’est pas définie par le législateur. Elle a cependant fait l’objet de plusieurs décisions permettant de mieux en cerner les contours. Dans la décision Perron et Cambior inc.[16], la Commission des lésions professionnelles a rappelé les critères retenus par la jurisprudence, soit que l’entente ne doit pas déborder le cadre de l’objet en litige, que ses conclusions ne doivent pas être contraires à l’ordre public, qu’elle doit respecter la législation et la réglementation pertinente et qu’elle ne doit pas être fondée sur des faits manifestement faux, inexacts ou qui ne sauraient supporter les conclusions recherchées[17].
[15] La jurisprudence a également établi que le rôle du juge administratif, lorsqu’il entérine un accord, est différent de celui qu’il exerce lorsqu’il entend un dossier au mérite. Il y a notamment été décidé que le juge administratif ne devait pas procéder à sa propre appréciation de la preuve, mais plutôt vérifier si l’accord respecte les critères de conformité à la Loi[18]. Son rôle se limite ainsi à vérifier si les faits admis par les parties justifient les conclusions de l’accord[19]. Il a d’ailleurs déjà été décidé qu’un juge administratif entérinant un accord commettait une erreur de droit en analysant la force probante d’une expertise médicale, ce qu’il ne devait pas faire, puisque la preuve au dossier, à sa face même, justifiait les conclusions recherchées[20]. Ceci étant établi, la non-conformité d’un accord à la Loi, lorsque démontrée, peut être assimilée à un vice de fond[21].
[16] Dans le présent cas, après analyse, le Tribunal conclut que la Commission n’a pas démontré la non-conformité à la Loi de l’accord entériné, pour les motifs ci-après exposés.
[17] Il ressort du libellé de la requête en révision ou en révocation déposée par la Commission ainsi que des arguments soumis à l’audience qu’elle remet en cause la reconnaissance de limitations fonctionnelles de classe 3 selon l’IRSST, considérant qu’elle n’est pas supportée par la preuve médicale prépondérante contenue au dossier. À cette fin, elle s’appuie principalement sur un passage de l’expertise médicale rédigée par le docteur Patrice Montminy, chirurgien orthopédiste, le 25 juillet 2016 où il mentionne que les limitations fonctionnelles à la colonne lombaire qu’il propose « […] sont émises sur une base personnelle et non pas sur une base de fait accidentel ». De ce fait, elle argue que l’accord ne peut être qualifié de conforme à la Loi, puisque les parties ont conclu un accord allant à l’encontre des conclusions émises par le docteur Montminy.
[18] Cette interprétation de la Commission ne prend pas en compte l’ensemble des éléments appuyant les conclusions de l’accord intervenu entre les parties. En effet, il appert du libellé de l’accord que les parties s’en remettent au rapport final rédigé par la docteure Lévesque, médecin qui a charge, par l’intermédiaire duquel elle concluait à l’absence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, mais à la présence de limitations fonctionnelles. Ceci ressort particulièrement des paragraphes [12] et [14] de l’accord entériné. Cependant, puisque la docteure Lévesque n’a pas évalué les limitations fonctionnelles que conserve la travailleuse, les parties ont convenu de s’en remettre à celles déterminées par le docteur Montminy dans le cadre de son expertise 25 juillet 2016. Il en découle que les parties ont choisi d’accorder une prépondérance à l’opinion du médecin qui a charge selon laquelle la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles reliées à sa lésion professionnelle, mais s’en remettent à l’évaluation médicale du docteur Montminy qui permet d’identifier lesdites limitations fonctionnelles. En concluant ainsi, les parties respectent l’objet du litige, soit les conclusions médicales découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 9 août 2015.
[19] Le Tribunal constate que la Commission lui demande d’évaluer la valeur probante de l’expertise du docteur Montminy, non pas en lien avec l’existence de limitations fonctionnelles de classe 3, mais plutôt relativement à son opinion sur le lien causal. Elle espère qu’il retiendra l’interprétation qu’elle propose. Or, le rôle du premier juge administratif n’était pas d’apprécier la prépondérance de la preuve médicale comme il l’aurait fait au mérite, mais simplement de s’assurer que les admissions des parties permettent d’en venir aux conclusions recherchées en s’appuyant sur la preuve contenue au dossier. Cet exercice a été valablement fait par le premier juge administratif et la conclusion à laquelle en arrive l’accord constitue l’une des issues possibles.
[20] À ce propos, dans l’affaire Winners Merchants inc. et Leblanc[22], la Commission des lésions professionnelles a conclu, dans le cadre d’un accord, que la condition de la travailleuse était d’origine personnelle plutôt que professionnelle. Dans cette affaire, la Commission alléguait que les faits sur lesquels s’appuyait l’accord étaient insuffisants pour être qualifiés de prépondérants. Après avoir rappelé le rôle particulier que joue le juge administratif dans le cadre de l’entérinement d’un accord, la Commission des lésions professionnelles a conclu que les parties pouvaient convenir d’admettre des faits, même contestés, convergeant vers la conclusion de droit qu’ils veulent faire entériner. Il en découle que l’accord entériné s’inscrivait dans le cadre de la contestation dont était saisi le Tribunal et s’appuyait sur un élément de preuve supportant la conclusion recherchée. Le Tribunal en vient à la même conclusion dans le présent dossier.
[21] Au surplus, le Tribunal constate que la Commission, n’étant pas intervenue devant le premier juge administratif, tente, par l’intermédiaire de la requête en révision ou en révocation, de soumettre des arguments qui auraient dû l’être en première instance. Dans l’affaire Mutuelle de prévention de la CMEQ et Ratté Électrique inc.[23], la Commission des lésions professionnelles a rappelé qu’elle ne pouvait procéder ainsi.
[22] Par conséquent, la Commission n’a pas démontré que la décision rendue par le premier juge administratif le 14 mars 2017, entérinant l’accord intervenu entre les parties, comporte une erreur de droit assimilable à un vice de fond au sens du troisième paragraphe de l’article 49 de la LITAT.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête en révision ou en révocation déposée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, le 13 avril 2017.
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Ann Quigley |
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Me Isabelle Arseneault |
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F.I.Q. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Mélanie Auger |
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CIUSSS MCQ (CONTENTIEUX) |
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Pour la partie mise en cause |
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Me Dominique Tancrède |
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PAQUET TELLIER |
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Pour la partie intervenante |
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Date de l’audience : 13 novembre 2018 |
[1] Cet organisme a été remplacé par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, le 1er janvier 2016, et est indistinctement désigné sous le vocable de la « Commission ».
[2] Nault et CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska, T.A.T. 591171-04-1511, 12 décembre 2016, V. Lizotte
[3] Conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi, RLRQ, c. A-3.001.
[4] Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en Sécurité du travail, l’IRSST.
[5] Nault et CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska, T.A.T. 631200-04-1703, 14 mars 2017, D. Therrien.
[6] Le 13 avril 2017.
[7] RLRQ, c. T-15.1.
[8] [1998] C.L.P. 783.
[9] [2013] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[10] [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, 22 janvier 2004.
[11] 2014 QCCA 1067.
[12] RLRQ, c. J -3.
[13] 2015 QCCS 1430.
[14] Id., paragraphe [53].
[15] Précitée, note 10.
[16] [2003] C.L.P. 1641.
[17] Bujold et 9020-2383 Québec inc., C.L.P. 319405-63-0706, 31 mars 2009, L. Nadeau.
[18] Beaulieu et Germitech inc., [2003] C.L.P. 811.
[19] Goulet et Fabrique Saint-Romuald, [2006] C.L.P. 906.
[20] Services Matrec Inc. et Ringuette, [2005] C.L.P. 1692.
[21] Précitée, note 16.
[22] 2009 QCCLP 5250.
[23] 2012 QCCLP 1167. Voir au même effet : Mannan et ZIBO! Centre-ville, 2017 QCTAT 3535.
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