Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Date :

Mailhot c. Université du Québec à Montréal

2021 QCCAI 73

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossier :             1007683-J

Date :                   Le 30 mars 2021

Membre :            Me Marc-Aurèle Racicot

 

Michel Mailhot

 

Demandeur

 

c.

 

Université du Québec à Montréal

 

Organisme

DÉCISION


DEMANDE DE RÉVISION en matière de rectification en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1]
.

APERÇU

[1]           Dans une décision interlocutoire rendue par la Commission d’accès à l’information (la Commission) le 25 septembre 2015, la Commission conclut qu’elle est compétente pour entendre la demande de rectification. Cette décision est portée en appel devant la Cour du Québec. Dans un jugement rendu
le 3 avril 2018, la Cour du Québec rejette l’appel[2].

[2]           Dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire initié par l’organisme,
la Cour supérieure conclut que la décision de la Commission et le jugement de la Cour du Québec sont bien fondés. La Cour supérieure conclut que
la Commission est compétente pour entendre la demande de rectification du demandeur, le dossier est ainsi retourné à la Commission[3].

[3]           La Commission est saisie d’une demande de révision à la suite du refus de l’organisme de supprimer certains renseignements personnels du demandeur contenus dans trois expertises médicales, à savoir tous
les renseignements quant à son historique personnel, ses antécédents personnels, familiaux ou judiciaires.

[4]           Le demandeur demande également que l’organisme s’assure que
ces renseignements soient supprimés dans toutes les copies que l’organisme aurait transmises
à des tiers.

[5]           Il est d’avis que les renseignements personnels visés par la demande de suppression ne sont pas nécessaires à l’organisme. Bien qu’il reconnaisse que les renseignements puissent avoir été nécessaires à l’expert qui les a recueillis, il maintient que ces renseignements n’avaient pas à être communiqués à l’organisme et que l’organisme n’a pas à les conserver.

[6]           Le demandeur a produit, sous pli confidentiel, au dossier de la Commission, des versions caviardées de chacune des expertises afin de permettre à la Commission d’apprécier les passages faisant l’objet de
la demande de suppression.

[7]           En début d’audience, l’organisme informe la Commission que toutes
les copies détenues par l’organisme ont été modifiées tel que demandé par le demandeur à l’exception de cinq exemplaires (deux originaux et trois copies intégrales).

[8]           Ainsi, depuis le 2 décembre 2020, il ne reste plus que cinq (5) documents contenant les renseignements personnels en litige, encore détenus par l’organisme, soit :

·        une copie intégrale du rapport d’expertise du Dr Louis Legault
du 8 février 2007 (12 pages), détenue par le Service des affaires juridiques (SAJ);

·        une copie intégrale du rapport d’expertise du Dr Louis Legault
du 22 décembre 2008 (10 pages), détenue par le SAJ;

·        une copie intégrale du rapport d’expertise du Dr Jean-Pierre Berthiaume du 22 janvier 2009 (10 pages), détenue par le SAJ;

·        un original du rapport d’expertise du Dr Louis Legault du 22 décembre 2008 (10 pages), conservé sous scellé par le Secrétariat général, qui sera remis au SAJ;

·        un original du rapport d’expertise du Dr Jean-Pierre Berthiaume
du 22 janvier 2009 (10 pages), conservé sous scellé par le Secrétariat général, qui sera remis au SAJ[4].

[9]           Pour ces trois documents contenant les renseignements en litige, l’organisme refuse d’accéder à la demande de rectification pour les motifs suivants :

·        ces documents sont nécessaires à l’activité du SAJ;

·        le Service des affaires juridiques doit conserver ces documents
car ils font partie de dossiers ayant fait l’objet de litiges devant
la Commission d’accès à l’information, la Cour du Québec, la Commission des relations du travail et le Tribunal administratif du travail);

·        en vertu du Règlement sur la comptabilité et les normes d’exercice professionnel des avocats[5], les avocats du Service des affaires juridiques sont requis de conserver leurs dossiers au moins sept (7) ans une fois qu’ils ne sont plus actifs;

·        en vertu du calendrier de conservation de l’organisme et des règles de conservation applicables, les documents doivent être conservés.

[10]        Le demandeur réitère que les renseignements personnels dont il demande la suppression ne devaient pas être collectés et conservés par l’organisme. Il est également d’avis que l’organisme devrait également récupérer une copie de l’un des rapports d’expertise qui avait été transmis
à un tiers sans son consentement.

[11]        La position du demandeur s’articule autour des arguments suivants :

·        bien que les renseignements visés par la demande de suppression puissent avoir été nécessaires pour les experts, seules l’introduction et la conclusion de l’expertise sont nécessaires pour l’organisme;

·        le fait que les experts aient communiqué à l’organisme plus de renseignements que nécessaire n’autorise pas l’organisme à les conserver;

·        la conservation des renseignements visés par la demande de suppression n’est pas nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme et ces renseignements doivent être supprimés des expertises conservées.

[12]        De son côté, l’organisme plaide que la conservation de
ces renseignements est pertinente et nécessaire car il y a eu plusieurs litiges relatifs à la conservation des renseignements personnels dans le cadre de différents contextes de droit d’accès, de grief et d’autres recours en droit du travail.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]        La conservation des renseignements personnels visés par la demande de suppression du demandeur est-elle autorisée par la loi? 

[14]        L’organisme doit-il récupérer une copie d’un rapport d’expert transmis à un tiers et d’y apporter la suppression demandée?

ANALYSE

La conservation des renseignements personnels visés par la demande
de suppression du demandeur est-elle autorisée par la loi? 

[15]        La Commission conclut que l’organisme est autorisé à conserver les renseignements personnels dans les cinq documents détenus par le SAJ. Voici pourquoi.

[16]        Le droit à la rectification est prévu à l’article 89 de la Loi sur l’accès, qui se lit comme suit :

89. Toute personne qui reçoit confirmation de l’existence dans un fichier d’un renseignement personnel la concernant peut, s’il est inexact, incomplet ou équivoque, ou si sa collecte, sa communication ou sa conservation ne sont pas autorisées par la loi, exiger que le fichier soit rectifié.

90. En cas de contestation relative à une demande de rectification, l’organisme public doit prouver que le fichier n’a pas à être rectifié, à moins que le renseignement en cause ne lui ait été communiqué par la personne concernée ou avec son accord.

[Notre emphase]

[17]    À la lecture de l’article 89 précité, le droit à la rectification est avant tout assujetti à la confirmation de l’existence, dans un fichier de renseignements personnels, de tels renseignements concernant le demandeur[6]. C’est le cas en l’espèce.

[18]        Les renseignements visés par la demande de suppression concernent
le demandeur. Il s’agit de renseignements quant à son historique personnel, ses antécédents personnels, familiaux ou judiciaires. Ainsi, la rectification prévue à l’article 89 de la Loi sur l’accès sera possible dans l’une ou l’autre des deux hypothèses suivantes :

·        si le renseignement est inexact, incomplet ou équivoque; ou

·        si la collecte, la communication ou la conservation ne sont pas autorisées par la loi.

[19]        Dans le présent dossier, la prétention du demandeur n’est pas que
les renseignements, qu’il a lui-même communiqués aux experts, sont inexacts, incomplets ou équivoques.

[20]        Le demandeur maintient que l’organisme n’était pas autorisé à collecter les renseignements et qu’il n’est pas autorisé à les conserver.

[21]        Bien que les renseignements aient été communiqués par le demandeur, considérant qu’il est question de la conservation des renseignements et non de leur exactitude, la Commission retient que le fardeau revient à l’organisme de démontrer qu’il peut les conserver et qu’il n’a pas à les supprimer. Dans Bellerose c. Université de Montréal[7], la Commission écrit :

Autant il est raisonnable qu'une personne doive démontrer l'inexactitude d'un renseignement qu'il a lui-même fourni, autant il est difficile de lui demander de démontrer qu'un organisme n'a pas besoin de ce renseignement dans l'exercice de ses fonctions. Nous considérons ainsi que le fardeau de la preuve de la nécessité du renseignement en question incombe à l'Université.

Les documents en litige

[22]        Outre les cinq (5) documents préalablement identifiés, l’organisme maintient qu’il ne détient pas d’autres copies intégrales ou d’autres originaux de ces trois expertises.

[23]        La Commission est satisfaite des démarches effectuées par l’organisme pour retrouver toutes les copies et tous les originaux de ces expertises.
Le témoignage de Me Marylène Drouin, secrétaire générale, est clair et détaillé. Elle explique les démarches effectuées pour récupérer tous les copies et originaux des services concernés soit le Service de la rémunération globale/RH, le Service de personnel cadre et de soutien (SPCS) et le Bureau des relations de travail (BRT)[8].

[24]        À la suite de ces démarches, elle affirme que l’organisme ne détient plus que cinq documents contenant les renseignements visés par la demande de suppression. Elle a personnellement détruit les copies intégrales reçues des services concernés.

[25]        Toutes les autres copies, encore détenues par l’organisme, ont été rectifiées et les renseignements personnels visés par la demande ont été supprimés de ces copies.

[26]        Les deux originaux seront remis par le Secrétariat général (SG) au SAJ. Ainsi, cinq (5) documents seront conservés, sous scellés, par le SAJ (deux originaux et trois copies intégrales). Ils ne seront accessibles qu’avec l’autorisation du SG si l’accès est nécessaire.

[27]        Le directeur du Service des archives et de gestion des documents de l’organisme affirme avoir reçu instructions de conserver ces documents sous scellés lorsqu’ils seront devenus inactifs au sens du calendrier de conservation.

Cycle de vie des documents - collecte, utilisation et conservation

[28]        La question est donc de savoir si la conservation des renseignements personnels concernant le demandeur et contenus aux cinq (5) copies intégrales des rapports d’expertise détenues par l’organisme, plus particulièrement le SAJ, est autorisée par la loi.

[29]        La Commission conclut que la conservation des renseignements contenus dans les rapports d’expertise est autorisée par la loi.

[30]        Toutefois, pour en arriver à cette conclusion, la Commission doit apprécier les étapes qui ont menés à cette conservation.

Collecte

[31]        En vertu de l’article 64 de Loi sur l’accès, nul ne peut, au nom d’un organisme public, recueillir un renseignement personnel si cela n’est nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme :

64. Nul ne peut, au nom d’un organisme public, recueillir un renseignement personnel si cela n’est pas nécessaire à l’exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en œuvre d’un programme dont il a la gestion.

[…]

[Notre emphase]

[32]        Il a été mis en preuve que les renseignements personnels du demandeur ont été recueillis par des experts dûment mandatés par l’organisme agissant à titre d’employeur dans le cadre de la gestion de relations de travail avec
un employé en lien avec l’aptitude de ce dernier à reprendre le travail[9].

[33]        Dans le cadre des deux premiers mandats[10] (7 février 2007
et 18 décembre 2008), l’organisme posait les questions suivantes aux experts :

·        Est-il en mesure de fournir une prestation de travail normale dans
le contexte d’une rétrogradation à un poste de niveau technique?

·        Y a-t-il des limitations fonctionnelles à considérer?

·        S’il n’est pas apte au travail, quel est le pronostic de retour (durée, suivi, autres recommandations…) afin que nous puissions faire valoir ces éléments auprès de la compagnie d’assurance?

[34]        Alors que pour le troisième mandat[11] (14 janvier 2009), les questions étaient :

·        Est-il en mesure de fournir une prestation de travail normale dans le contexte d’une rétrogradation à un poste de niveau technique?

·        Y a-t-il des limitations fonctionnelles à considérer?

·        S’il n’est pas apte au travail, quel est le pronostic de retour (durée, suivi, autres recommandations, etc.)?

[35]        En l’espèce, il ressort du témoignage du demandeur qu’il reconnaît lui-même que les renseignements personnels visés par la demande de suppression étaient nécessaires et pertinents aux experts, mandatés par l’organisme, afin de leur permettre d’évaluer son état de santé. Il est toutefois d’avis que ces renseignements n’auraient pas dû être transmis à l’organisme, son employeur, et que ce dernier ne devrait pas les conserver.

[36]        La décision de la Cour du Québec dans l’affaire Laval (Ville) c. X.[12] n’est d’aucune assistance au demandeur car la nécessité de la collecte des renseignements en litige par les experts n’est pas remise en cause.

[37]        Dans P.B. c. Lepage[13], décision rendue dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[14], un demandeur s’était adressé à un expert, Dr. Lepage, afin de faire supprimer des renseignements personnels qu’il avait lui-même fournis à cet expert.
La Commission écrit :

[75]    Comme le précise l’article 5 précité, les renseignements personnels recueillis doivent non seulement être nécessaires à l’objet du dossier mais également avoir été recueillis par des moyens licites. La preuve démontre que le demandeur était présent au moment de l’expertise de sa conjointe. À la fin de l’exercice, le Dr Lepage lui a proposé de le rencontrer privément.

[76]    La preuve ne fait état d’aucune contrainte ou pression particulière exercée sur le demandeur. Il a simplement rencontré le Dr Lepage.

[77]     Le demandeur ne conteste pas l’exactitude des renseignements inscrits par le Dr Lepage dans son rapport. Il demande la suppression en insistant sur le fait que ces renseignements ne devaient pas se retrouver dans le rapport d’expertise de sa conjointe.

[78]    La preuve me convainc que le demandeur était bien informé du contexte de l’expertise effectuée par le Dr Lepage concernant sa conjointe. Alors qu’il avait la possibilité de refuser l’entretien proposé par le Dr Lepage, il a plutôt accepté de le rencontrer.

[79]   Tenant compte de la preuve, j’en viens à la conclusion que les renseignements concernant le demandeur ont été recueillis par des moyens licites.

[80]    Les quelques éléments de preuve qui font partie du dossier ne me permettent pas d’ordonner la suppression des renseignements apparaissant au rapport d’expertise du Dr Lepage du 19 février 1998.

[81]   La preuve démontre que les renseignements recueillis concernant le demandeur avaient pour objectif d’éclairer le psychiatre dans son évaluation. Effectivement, on peut imaginer différentes observations qu’un conjoint pourrait communiquer à un psychiatre afin de l’éclairer dans une évaluation. Cette preuve, dont l’exactitude n’est pas contestée, me semble devoir être considérée avec beaucoup d’attention dans les circonstances.

[82]   Non seulement le demandeur n’a pas présenté de preuve à ce sujet, mais également le médecin a été empêché par le secret professionnel de prouver la nécessité de la collecte de ces renseignements.

[83]  La preuve établit que le nom du demandeur n’apparaît pas dans le rapport d’expertise du Dr Lepage. Pour faire le lien avec le demandeur, il faut se référer au passage dont on demande la suppression qui parle du conjoint de la personne expertisée. La preuve démontre que les observations expriment ce que le Dr Lepage a constaté et évalué dans le contexte de la rencontre avec le demandeur. Il n’y a pas lieu d’en ordonner la suppression.

[84]  Je conclus de la prépondérance de la preuve dont je suis saisi que les renseignements recueillis auprès du demandeur par le Dr Lepage étaient nécessaires à l’objet du dossier. Ainsi, rien ne me permet de conclure que la collecte qui fut effectuée par le Dr Lepage n’était pas autorisée par la loi.

[38]        En appel, la Cour du Québec a maintenu la décision de la Commission :

[89] L'appelant se méprend sur la portée du caractère nécessaire prévu à la loi. Il en traite en terme de « nécessité » au sens d'une exigence indispensable ou impérieuse. Son point de vue voulant que les renseignements qu'il a livrés et que l'intimé a rapportés n'étaient pas indispensables ou obligatoires n'est pas conforme à l'exigence fixée par la loi.

[90] La Commission conclut que ces renseignements sont nécessaires à l'objet du dossier en ce qu'ils permettent à l'intimé de se prononcer sur la fiabilité des informations fournies par la conjointe de l'appelant.

[91] Elle considère donc qu'il est nécessaire pour un médecin psychiatre appelé à livrer une opinion, de valider la fiabilité des informations qui lui sont fournies par la personne examinée. Ainsi, elle considère que les renseignements recueillis auprès de l'appelant sont nécessaires à l'objet du dossier en ce sens qu'ils ne sont pas superflus, sans objet ni pertinence. Leur relation n'est pas gratuite ni fortuite.

[92] La portée que la décision de la Commission donne à la notion de renseignements nécessaires prévue à l'article 5 est rationnelle et conforme à l'esprit de la loi. Son interprétation est logique et le lien de rattachement entre la nature des renseignements en litige, leur utilisation et l'objet du dossier en montre bien le caractère nécessaire[15].

[39]        Puis, en 2012, dans le cadre d’une demande de rectification présentée à l’employeur par le même demandeur, la Commission réitère la légalité de
la collecte de renseignements similaires dans le cadre de procédure de grief[16] :

[30] Les renseignements le concernant sont contenus dans un document concernant sa conjointe, produit dans le cadre de procédure de grief entre elle et l’organisme. Ils ont été recueillis dans le cadre de l’expertise médicale de sa conjointe, par l’auteur de l’expertise. Or, la légalité de cette collecte a fait l’objet d’une décision de la Commission qui a décidé que « les renseignements en litige avaient été recueillis de façon licite et s’avéraient nécessaires à l’objet du dossier, selon les critères légaux applicables » et cette décision a été confirmée par la Cour du Québec (pièce O-3).

[31] Il s’agit du même document et du même extrait qui n’a pas à être rectifié, selon la Commission et la Cour du Québec. Ce n’est pas parce que la demande de rectification est adressée à l’organisme plutôt qu’au médecin ayant rédigé l’expertise que la Commission peut en arriver à une autre conclusion.

[Notre emphase]

[40]        Bien que cette décision ait été rendue sous la Loi sur le privé,
la Commission est d’avis que le même raisonnement s’applique ici considérant le libellé similaire de l’article 5 de la Loi sur le privé avec celui de l’article 63 de la Loi sur l’accès:

5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d’y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier.

Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites.

[Notre emphase]

[41]        De plus, la Commission note qu’en vertu de l’article 67 du Code de déontologie des médecins[17], au moment où les rapports ont été transmis à l’organisme par les experts (2007 à 2010), un médecin agissant à titre d’expert devait notamment limiter la communication au tiers aux seuls commentaires, informations ou interprétations pertinentes pour répondre aux questions soulevées par l’expertise demandée :

67.  Le médecin, agissant pour le compte d'un patient ou d'un tiers comme expert ou évaluateur, doit :

[…]

  3° s'abstenir de communiquer au tiers toute information, interprétation ou commentaire non pertinent à l'objet de l'évaluation ;

[…]

  5° communiquer avec objectivité, impartialité et diligence son rapport au tiers ou à la personne qui a demandé l'évaluation.

[Notre emphase]

[42]        En l’espèce, il n’est pas contesté que les renseignements personnels en litige étaient nécessaires aux experts mandatés par l’organisme. En intégrant ces renseignements dans leurs rapports respectifs, les experts ont considéré ces renseignements comme pertinents pour répondre aux questions soulevées par l’organisme.

Détention de l’expertise par l’organisme

[43]        Lors de la collecte des renseignements, les experts agissaient à titre de mandataires de l’organisme. L’organisme, qui a mandaté les expertises, avait donc une détention juridique des rapports préparés par ses experts[18].

[44]        En l’espèce, au regard de la Loi sur l’accès, le soussigné est d’avis qu’on ne peut pas parler d’une communication du rapport d’expertise entre l’expert
et l’organisme considérant que l’expert agit au nom de l’organisme, le mandant.

[45]        L’organisme détient les renseignements personnels du demandeur que ceux-ci se retrouvent dans les rapports d’experts détenus physiquement par l’organisme ou dans les rapports d’experts détenus physiquement par les experts mandatés.

[46]        Considérant que les renseignements personnels visés par
la demande de suppression ont été effectivement supprimés des copies en circulation et encore détenues par le BRT, le SPCS et le Service de
la rémunération globale/RH, la seule question qui demeure est de savoir si la conservation, sous scellés, des versions intégrales par le SAJ est autorisée par la loi.

Conservation par le SAJ

[47]        L’organisme maintient qu’il est en droit de conserver, au SAJ, une copie intégrale des trois rapports en question ainsi que les deux originaux.

[48]        La Commission conclut que l’organisme a démontré que la conservation
des documents en litige par le SAJ est requise en vertu des obligations qui découlent de la Loi sur les archives[19] et du Code des professions[20].

[49]        L’organisme maintient que la conservation des documents en litige était requise et l’est toujours car :

·        dans la demande de rectification[21], le demandeur invoque comme motif la décision rendue par la CRT;

·        les renseignements sont nécessaires en raison du litige qui opposait le demandeur à l’organisme et à son syndicat[22];

·        les documents en litige faisaient partie du litige soumis à l’arbitre par le syndicat[23];

·        les documents en litige faisaient partie des dossiers devant la Commission des relations du travail (CRT) et le Tribunal administratif du travail (TAT) :

    • le 29 juillet 2013, le délai pour se pourvoir de la décision de la CRT[24] n’était pas encore expiré;
    • ce n’est que le 8 février 2016, près de 3 ans après la réception de la demande de rectification, que le demandeur exerce un recours devant le TAT afin de contester la décision de l’arbitre
      et la détention des expertises médicales;
    • le 16 avril 2016, le TAT rejette le recours du demandeur[25].

·        l’organisme, plus particulièrement le SAJ, est tenu de conserver les documents selon les délais prévus aux règles de conservation contenues à son calendrier de conservation[26] en vigueur depuis 2004 et selon les obligations qui découlent des obligations professionnelles des avocats.

[50]        Les renseignements en litige sont contenus dans des rapports d’experts. Ces rapports d’experts ont fait l’objet de recours devant un arbitre, la CRT,
le TAT ainsi que la Commission.

[51]        Les rapports d’experts et les renseignements personnels qu’ils contiennent ont servi à l’organisme pour une décision concernant le demandeur[27] :

71. Un organisme public doit verser dans un fichier de renseignements personnels établi conformément à la présente sous-section tout renseignement personnel qui:

[…]

2°  lui a servi ou est destiné à lui servir pour une décision concernant une personne.

[52]        En vertu de l’article 73 de la Loi sur l’accès, l’organisme ne peut détruire un renseignement personnel que conformément à la Loi sur les archives et au Code des professions:

73. Lorsque les fins pour lesquelles un renseignement personnel a été recueilli ou utilisé sont accomplies, l’organisme public doit le détruire, sous réserve de la Loi sur les archives (chapitre A21.1) ou du Code des professions (chapitre C26).

[53]        L’article 73 de la Loi sur l’accès fait obstacle à la destruction des renseignements visés par la demande de rectification.

[54]        Dans Benoit c. Ministère du Revenu, la Commission conclut que
la conservation des expertises est justifiée par les articles 71 et 73 de la Loi sur l’accès compte tenu des dossiers litigieux opposant le demandeur à l’organisme[28].

[55]        Dans L.D. c. Québec (Ministère de la Sécurité publique) (Sûreté du Québec)[29], où le demandeur cherchait la destruction de son dossier à la suite d’un acquittement en sa faveur, la Commission conclut que l’organisme est tenu de conserver le dossier conformément aux règles du calendrier de conservation.

[56]        En vertu du calendrier de conservation adopté en vertu de la Loi sur les archives, l’organisme doit conserver les documents pendant 10 ans
une fois le dossier fermé[30].

[57]        Dans C.G. c. CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, la Commission, saisie d’une demande de rectification visant la destruction
d’une expertise médicale, souligne qu’elle est liée par le calendrier de conservation de l’organisme :

[29]      La Commission est liée par le calendrier de l’organisme et ne saurait imposer à ce dernier la destruction du rapport d’expertise que si les renseignements qu’il contient avaient été illégalement recueillis. Or, rien dans la preuve ne suggère cela[31].

[Référence omise]

[58]        En vertu des articles 18 et 19 du Règlement sur la comptabilité
et les normes d’exercice professionnel des avocats
[32] adopté en vertu du Code des professions et de la Loi sur le Barreau[33], un avocat doit conserver le dossier au moins 7 ans et ne peut détruire un original appartenant à un client :

18. L’avocat doit conserver tous ses dossiers actifs à son domicile professionnel ou dans un lieu d’archivage approprié.

[…]

Lorsque le dossier d’un client n’est plus actif, il doit le conserver au moins 7 ans à compter de la date de sa fermeture. Il peut utiliser alors tout système ou procédé d’archivage qui lui donne accès à l’information que contient le dossier à la date de sa fermeture.

19. L’avocat ne peut détruire un original qui appartient à un client sans avoir obtenu l’autorisation de celui-ci ou sans lui avoir donné la possibilité de le reprendre.

[59]        Les expertises, dans leur version intégrale, font partie du dossier détenu par l’organisme. Faire droit à la présente demande résulterait à la destruction pure et simple d’éléments essentiels qui constituent le dossier détenu par l’organisme[34].

[60]        C’est donc dans le cadre de ces dossiers litigieux que les renseignements sont conservés. Ces versions intégrales des documents en litige sont détenues par le SAJ de l’organisme pour les fins du dossier de litige. Le SAJ ne conserve qu’un nombre minimal de copies, lesquelles sont sous scellés.

L’organisme doit-il récupérer une copie d’un rapport d’expert transmis à un tiers et d’y apporter la suppression demandée?

[61]        La Commission conclut que l’organisme n’est pas requis de récupérer une copie du rapport d’expert et d’y apporter la suppression demandée. Voici pourquoi.

[62]        À la connaissance du demandeur, outre son syndicat, les rapports n’ont pas été transmis à d’autres tiers. Sauf pour le rapport de 2009 du Dr Berthiaume qui a été transmis à la compagnie d’assurance Desjardins Sécurité Financière. Le demandeur ajoute que cette communication a été faite sans son consentement.

[63]        Lors de son témoignage, le demandeur affirme que le rapport d’expert du Dr Berthiaume, fait en 2009, a été transmis, sans son consentement, par l’organisme à Desjardins Sécurité Financière.

[64]        Le demandeur réfère la Commission à une référence faite dans la sentence arbitrale où l’arbitre reprend le contenu d’une lettre datée du 5 juin 2009 de l’employeur qui écrit : « Or, cette nouvelle expertise du Docteur Berthiaume en date du 20 janvier 2009 stipulait que monsieur Mailhot n’était pas apte à un retour au travail avec l’UQAM causé par un litige en cours. Nous avons donc transmis l’expertise à la compagnie d’assurance, qui a maintenu sa décision[35]. »

[65]        Le demandeur maintient que l’organisme doit effectuer les démarches afin de récupérer ce rapport et supprimer les renseignements visés par la demande de rectification.

[66]        Il appert que c’est à la demande expresse de l’avocat, représentant le demandeur à cette époque, que l’organisme a communiqué le rapport d’expert à la compagnie d’assurance Desjardins Sécurité Financière afin que
le demandeur puisse bénéficier de l’assurance invalidité[36]. Le 12 février 2009, l’avocat du demandeur écrit à l’organisme :

Faisant suite au rapport du Dr. Jean-Pierre Berthiaume, psychiatre, en date du 22 janvier dernier, concernant l’état de mon client, nous vous demandons de transmettre une demande à la compagnie d’assurance Desjardins Sécurité Financière, afin que mon client puisse bénéficier de l’assurance invalidité.

Je vous saurais gré de me confirmer que cette demande a été acheminée, et ce, dans les cinq (5) jours de la réception de la présente.

[67]        Il appert également du dossier que le 6 mars 2009, l’organisme informe
le demandeur de la décision de l’assureur :

Nous avons acheminé les expertises du Docteur Louis Legault et du Docteur Jean-Pierre Berthiaume à la compagnie d’assurance de même que les certificats médicaux émis par votre médecin traitant. La compagnie d’assurance vous a transmis une lettre que nous vous avons acheminée. La compagnie d’assurance estime qu’aucun nouvel élément ne lui permet de conclure à une invalidité totale relativement à votre emploi.

[68]        La Commission conclut que le demandeur a autorisé et exigé que l’organisme communique le rapport d’expertise du Dr Berthiaume à l’assureur, Desjardins Sécurité Financière.

[69]        À l’égard de cette copie détenue par Desjardins Sécurité Financière, puisque le demandeur a consenti à la communication de ce rapport d’expertise à Desjardins Sécurité Financière, la Commission conclut que le demandeur ne peut maintenant exiger que l’organisme entreprenne des démarches en vue de la suppression de renseignements personnels qu’il a lui-même fournis à l’expert et qu’il a requis, par le biais de son avocat, qu’ils soient communiqués à Desjardins Sécurité Financière.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[70]        ORDONNE la non-diffusion, la non-divulgation et la non-publication des expertises médicales;

[71]        PREND ACTE des mesures prises par l’organisme pour supprimer
les renseignements personnels du demandeur des copies des trois (3) rapports d’expertise détenues par le Service de la rémunération globale/RH, le Service de personnel cadre et de soutien (SPCS) et le Bureau des relations de travail (BRT) de l’organisme;

[72]        PREND ACTE que seulement trois (3) copies intégrales et deux (2) originaux seront conservés, sous scellés, par le Service des affaires juridiques de l’organisme conformément au calendrier de conservation;

[73]        REJETTE la demande de révision.

Marc-Aurèle Racicot
Juge administratif

 

GWBR sencrl

(Me Benoit Marion)

Procureurs du demandeur

 

Lavery, De Billy

(Me Raymond Doray)

Procureurs de l’organisme

 

Dates des audiences : 8 janvier 2020 et 7 décembre 2020

Date des dernières observations : 12 mars 2021



[1]    RLRQ, c. A-2.1, la Loi sur l’accès.

[2]    Université du Québec à Montréal c. Mailhot, 2018 QCCQ 2375.

[3]    Université du Québec à Montréal c. Cour du Québec, 2019 QCCS 3352 (pièce O-23).

[4]    Pièce O-25.

[5]    RLRQ, c. B-1, r.5.

[6]    Liboiron c. Laval (Ville de), 2018 QCCAI 135, paragr. 7.

[7]    Bellerose c. Université de Montréal, [1986] C.A.I. 109, p. 111, appel rejeté, [1988] C.A.I. 377 (C.Q.).

[8]    Pièce O-24.

[9]    Pièces O-2, O-4 et O-6; Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 1-26.

[10]   Pièces O-2 et O-4.

[11]   Pièce O-6.

[12]   2003 CanLII 44085 (QC CQ).

[13]   2008 QCCAI 228; voir également P.B. c. Commission scolaire des Sommets, 2012 QCCAI 209, paragr. 23-24.

[14]   RLRQ, c. P-39.1, Loi sur le privé.

[15]   P.B. c. Commission scolaire des Sommets, 2010 QCCQ 5982 (QC CQ).

[16]   P.B. c. Commission scolaire des Sommets, 2012 QCCAI 209, paragr. 30-31.

[17]   RLRQ, c. M-9, r. 17.

[18]   Bolduc c. Commission scolaire de Chicoutimi, décision non rapportée, C.A.I., n° 93 11 05, 14 juillet 1994, p. 8-9; Piquer c. Résidence Jean-de-Lalande inc., [1988] C.A.I. 145, p. 146.

[19]   RLRQ, c. A-21.1.

[20]   RLRQ, c. C-26.

[21]   Pièce O-16 et Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 38.

[22]   Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 1-33, 35.

[23]   Pièce O-3, paragr. 80, 87, 88 et 90, et Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 27-30.

[24]   Pièce O-12 et Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 39.

[25]   Pièce O-13 et Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 33.

[26]   Pièce O-26.

[27]   Déclaration assermentée de Marylène Drouin, secrétaire générale de l’Université du Québec à Montréal, 1er décembre 2020, paragr. 1-26.

[28]   Benoit c. Ministère du Revenu, C.A.I. Montréal, no 94 00 98, 13 décembre 1995, c. Comeau, page 8.

[29]   2010 QCCAI 117, paragr. 23-27.

[30]   Pièce O-26.

[31]   2017 QCCAI 62, paragr. 29.

[32]   RLRQ, c. B-1, r. 5.

[33]   RLRQ, c. B-1.

[34]   X. c. Commission de la santé et de la Sécurité du travail, C.A.I. Montréal, no 02 20 01, 30 janvier 2004, c. Constant, paragr. 29.

[35]   Pièce O-3, paragraphe 42 de la sentence arbitrale du 20 mai 2011.

[36]   Observations additionnelles de l’organisme, 22 février 2021 et lettre de Me Pierre Blain en date du 12 février 2009.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.