R. c. Joly |
2021 QCCQ 6854 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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LOCALITÉ DE |
SAINT-JÉRÔME |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
700-01-161384-170 |
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DATE : |
2 août 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SANDRA BLANCHARD, J.C.Q. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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ÉRIC JOLY |
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Accusé |
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J U G E M E N T |
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MISE EN GARDE : Une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité des plaignantes a été rendue dans ce dossier.
[1] L’accusé subit son procès pour des accusations de possession et production de pornographie juvénile, et de leurre.
[2] Toutefois, au moment où la preuve de la poursuite tire à sa fin, considérant certaines circonstances alourdissant le dossier, la poursuivante ajuste son plan et abandonne certains chefs d’accusation, de sorte que le seul qui demeure à l’étude est celui de possession de pornographie juvénile.
[3] La preuve repose sur les témoignages des policiers[1] et sur leurs notes[2], sur l’entrevue vidéo de l’accusé[3], sur différents documents[4], sur les admissions formulées par les parties[5] et sur le dépôt d’une clé USB contenant 118 fichiers images (images)[6] identifiés par les parties comme représentant fidèlement les 966 images contenues aux CD/DVD récupérés au sous-sol de la résidence de l’accusé[7].
[4] Le litige porte essentiellement sur la possession et la qualification de ces images et, subsidiairement, sur la valeur artistique qui les caractérise.
[5] Selon la défense, il y a d’abord insuffisance de preuve quant à l’élément de possession des images et la poursuite ne peut se rabattre sur la théorie de l’opportunité exclusive pour combler ce vide, puisque l’accusé n’est pas le seul à demeurer à sa résidence; il y habite avec sa conjointe.
[6] De plus, toujours selon la défense, les images ne répondent pas à la définition de « pornographie juvénile »; il n’y a pas de contexte et certaines d’entre elles soulèvent un doute quant à l’âge de la personne qui y figure. Il s’agit tout au plus de nudité qui exprime une certaine forme d’art.
[7] La poursuivante s’oppose vigoureusement à cette interprétation. Selon elle, l’accusé avait la possession des images et elles correspondent exactement à ce que cible le législateur au sous-alinéa 163.1(1)a)ii) du Code criminel (C.cr.), soit que leur « caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ».
[8] Tout débute lorsqu’un individu, photographe professionnel, signale sur le site cyberaide.ca la pratique douteuse de l’accusé qui, à titre de photographe professionnel, fait des photos de jeunes filles de 15-16 ans de manière « très sexuelle » à sa résidence. Les séances commencent avec des poses neutres qui deviennent de plus en plus sexy Il indique que Y et X, ont fait l’objet d’une telle pratique au moment où elles étaient âgées respectivement de 15 et 16 ans[8].
[9] Les policiers mènent une enquête et rencontrent ces deux personnes. Les événements qu’elles relatent correspondent au signalement reçu. Ils obtiennent par la suite un mandat de perquisition[9] qui leur permet de saisir 23 items au domicile de l’accusé, dont un disque dur externe[10], un lot de 15 CD/DVD[11], trouvés dans un bac en plastique vert dans la salle de lavage au sous-sol, et un lot de 3 disquettes HD[12]. Ce matériel fait l'objet d'une perquisition informatique et d'une analyse. Les images recueillies sont classées par catégories.
[10] Sur les CD/DVD, l’enquêteur Boily[13] repère et classe, à l’aide d’un logiciel[14], 966 images de « catégorie 1 », soit comme étant de la pornographie juvénile au sens du paragraphe 163.1(1) C.cr. Il répertorie aussi 1 602 fichiers graphiques et 132 fichiers animés qu’il classe de « catégorie 2 »[15], c’est-à-dire de nature sexuelle, où les enfants sont partiellement ou complètement nus. Selon lui, ces fichiers ne correspondent pas exactement à la définition de « pornographie juvénile », mais peuvent être de nature aggravante et s’avérer utile au Tribunal dans son évaluation de l'intérêt sexuel que porte l'accusé envers les enfants. Il peut aussi s’agir de personnes vêtues apparaissant sur des images ou des vidéos qui, sans prendre part à des actes sexuels explicites, semblent être âgées de moins de 18 ans. Les images où l'enquêteur ne parvient pas à déterminer l'âge des personnes simplement en les regardant font également partie de cette catégorie.
[11] Quant au disque dur externe trouvé dans la pièce identifiée comme étant le bureau, l’analyse de son contenu a permis de repérer des photos de Y et de X prises à l'intérieur de la résidence de l’accusé.
[12] Même si ces images ne font pas l’objet d’une analyse par le Tribunal quant à leur qualification, il convient de dire que sur certaines d’entre elles, Y pose en maillot de bain et que l'accent est mis sur sa poitrine. Sur d’autres, elle pose le haut du corps nu, cachant ses seins avec ses cheveux, laissant entrevoir le côté de sa poitrine. Enfin, sur d’autres photos, elle est dévêtue et des bandes autocollantes de couleur couvrent ses parties intimes, laissant entrevoir ses fesses et une partie de ses seins[16]. L’accusé admet avoir eu ces photos en sa possession[17].
[13] Quant à X, elle est vêtue sur certaines photos et sur d’autres, elle pose dans un bain, portant une petite culotte noire et un soutien-gorge noir en dentelle qui laisse entrevoir ses mamelons. Une série de photos la montrent en compagnie d’une autre jeune fille, dans un bain, dans des positions suggestives[18].
[14] L’accusé concède qu’en regardant ces photos après les séances, il a réalisé que ce « n’était pas correct » [19]. « C’était peut-être immoral, mais pas illégal », dit-il[20]. Il en a remis certaines à X et en a mis d’autres sur son site, dans une section cachée, car il les considérait trop sexy[21].
[15] Toutes ces photos ont été qualifiées de « catégorie 2 » par l’enquêteur[22].
[16] Au terme de la preuve du ministère public et après avoir présenté une requête de type Jordan et une requête en non-lieu, toutes deux rejetées par le Tribunal[23], l’accusé a choisi de ne pas présenter de preuve dans le cadre de sa défense.
[17] Le Tribunal se propose d’aborder le présent litige sous trois angles :
1. La possession;
2. La pornographie juvénile;
3. La valeur artistique des 118 images.
[18] Il ne fait pas de doute, et l’accusé le reconnaît, que le matériel dont le caractère illégal est allégué a été saisi à sa résidence, où il habite avec sa conjointe.
[19] Son entrevue vidéo[24], dont il a reconnu l’admissibilité en preuve[25], révèle qu’il en connaissait l’existence et qu’il en avait le contrôle.
[20] En effet, au moment où l’enquêteur lui fait part de la découverte du matériel litigieux, soit celui contenu aux CD/DVD trouvés au sous-sol de sa résidence, l’accusé répond que « c’est du vieux stock » qui se trouve là depuis longtemps et qu’il aurait dû détruire[26].
[21] Il s’agit là, de l’avis du Tribunal, d’une preuve non contredite qui démontre qu’il savait où étaient les CD/DVD et ce qu’ils contenaient. Son commentaire selon lequel il aurait dû les détruire démontre qu’il en avait le contrôle.
[22] Cela dispose de la première question en litige.
[23] La pornographie juvénile s’entend entre autres « de toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques, […] où figure une personne âgée de moins de 18 ans ou présentée comme telle et se livrant ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite, [ou] dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de 18 ans »[27].
[24] Le litige porte sur la deuxième partie de la définition, qui réfère aux notions de « caractéristique dominante » et de « but sexuel»[28].
[25] Le Tribunal doit déterminer si une personne raisonnable qui examinerait les 118 images de manière objective et en contexte en viendrait à la conclusion que leur « caractéristique dominante » est la représentation des organes sexuels ou de la région anale des sujets âgés de moins de 18 ans, dans un « but sexuel » (au sens de ce qui est raisonnablement perçu comme visant à stimuler sexuellement)[29].
[26] On entend par « organes sexuels » ceux du corps humain généralement impliqués dans l’activité sexuelle ou encore ceux contribuant à une forme de gratification sexuelle, ce qui peut inclure, compte tenu du contexte, les seins d’une adolescente[30].
[27] Dans l’affaire R. c. Houle[31], il a été décidé que les 9 360 photos, divisées en séries dont chacune est élaborée de manière à ce qu’il y ait une progression entre la première représentation - où la jeune fille est habillée et pose de manière neutre - et la dernière - où l’accent est mis sur les parties génitales - , donnant l’illusion de la nudité malgré qu’elle porte des sous-vêtements, étaient de l’exhibitionnisme qui pouvait raisonnablement être perçu comme visant la stimulation sexuelle.
[28] Dans R. c. Landry[32], le Tribunal a conclu qu’un film saisi chez l’accusé, en langue étrangère inconnue de lui, dont la qualité de l’enregistrement écarte le moindre souci esthétique ou artistique et dans lequel de jeunes garçons se dévêtissent, constituait de la pornographie juvénile. L’analyse des fruits de la saisie a aussi permis de découvrir 20 285 fichiers d’images classés « pornographie juvénile » et 14 906 fichiers classés « nudité juvénile ». Certains de ces fichiers montrent des garçons se livrant à des activités sexuelles avec d’autres garçons ou avec des hommes adultes.
[29] Dans R. c. Croisetière[33], le Tribunal a jugé que les 452 photos saisies, qui représentent pour certaines de jeunes garçons nus ou portant un maillot de bain ou des sous-vêtements très ajustés, ayant le pénis presque toujours en érection, et pour d’autres des jeunes qui se livrent à des attouchements entre eux, avec insistance sur les parties génitales, constituaient une collection de pornographie juvénile et qu’il était raisonnable de penser que leur seul intérêt visait à stimuler l’accusé sexuellement.
[30] Dans R. v. Grant[34], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu qu’une série de photos qui étaient cachées dans une grille de ventilation au plancher de l'appartement où l'appelant avait habité, et qui représentent les régions anale et vaginale d’une fillette de 4 ans, prises de près et dans des positions permettant l'exposition optimale des parties génitales, constituait de la pornographie juvénile. Objectivement et en contexte, leur caractéristique dominante était la représentation du sujet à des fins sexuelles. Les photographies en soi, couplées au fait qu'elles étaient cachées, et l'aveu de l'accusé qu'il avait mal agi écartaient le but innocent de leur possession.
[31] Dans R. v. V.P.S.[35], des photos d'une adolescente nue, dont certaines sont retrouvées avec des films pornographiques dans la table de chevet d'une chambre, répondent à la définition de « pornographie juvénile » selon laquelle la caractéristique dominante des images est la représentation d'un organe sexuel d'une personne âgée de moins de 18 ans à des fins sexuelles.
[32] Dans R. v. T.W.[36], la Cour a décidé que les photos « hautement sexualisées » de jeunes filles d’environ 9 à 11 ans « maigrement » sous-vêtues, dans des poses provocantes, avec la mention « Sluts lie to themselves, let alone others », constituaient de la pornographie juvénile.
[33] Également dans R. v. T.W.[37], la Cour a décidé qu’une photo d'une adolescente entièrement nue dans une salle de bain, qui adopte une pose provocante, encadrée avec la mention « Teenfuns.com Promo Content », répond à la définition de « pornographie juvénile ».
[34] Dans le cas à l’étude, l’échantillon composé de 118 images[38] tirées des 966 identifiées comme étant de la pornographie juvénile par le policier Boily, dont certaines comportent une galerie de photos[39], a été examiné en salle d’audience à deux reprises : en preuve principale et lors de la plaidoirie de la défense.
[35] Même après les avoir réexaminées lors de son délibéré en ayant à l’esprit les observations de la défense, le Tribunal ne partage pas son avis voulant qu’il s’agisse de nudité dans un contexte artistique et donc non visée par le sous-alinéa 163.1(1)a)ii) C.cr. Voici pourquoi.
[36] La majorité des images concernent principalement des jeunes filles âgées entre 10 et 17 ans, posant nues, seules ou en duos, dans divers contextes, en exhibant leurs organes sexuels dans des poses suggestives, voire parfois très suggestives.
[37] Le Tribunal est conscient que la description qui suit des images, dont la qualification est au cœur du litige, ne sera pas facile à lire et il aurait voulu épargner le lecteur de ces détails. Toutefois, afin de mesurer l’analyse à la lumière des notions de « caractéristique dominante » et de « but sexuel », ce détour est inévitable, puisqu’un simple énoncé de généralités risquerait de faire obstacle à l’obligation du Tribunal de motiver sa décision. Cela dit, voyons ce qu’il en est.
[38] Quelques images comportent des inscriptions de prénoms féminins, d’âges, et des titres tels « alt. Biniaris.adolescents »[40], « white Nymph volume 1 »[41] ou « Sweden sex ton »[42].
[39] Certaines galeries de photos représentent la même jeune fille, vêtue, à demi vêtue et dévêtue, dans l’ordre ou le désordre. Une autre est la représentation d’une jeune fille partiellement cachée par un rideau, qui porte une petite culotte et, au fur et à mesure de la progression des images, elle pose sans la petite culotte et les postures qu’elle adopte deviennent de plus en plus évocatrices[43].
[40] De nombreuses images représentent des jeunes filles sexualisées, parfois très jeunes, qui posent de manière suggestive[44].
[41] Quelques-unes représentent la même jeune fille, dont la succession se traduit par une certaine gradation dans la nudité et dans les poses qui deviennent de plus en plus sexuelles[45].
[42] Certaines images illustrent des poses comportant des gestes sexuels[46]. En voici trois exemples :
1. Deux jeunes filles sont couchées, nues, l’une à côté de l’autre. L’une est tournée vers l’autre, sa jambe par-dessus la sienne, puis, sur l’image suivante, elles sont dans la même position mais cette fois, l’une a mis sa main sur la région pubienne de l’autre et regarde l’objectif[47].
2. Il y a celle[48] où l’on voit une très jeune fille de dos, légèrement en angle, debout dans les bras d’une femme (qui semble être une adulte) qui elle, est assise dans un fauteuil et dénudée du haut. La jeune fille porte des souliers et des bas aux genoux; elle est vêtue, mais ses vêtements du bas ont été entièrement retirés ou soulevés, de sorte que l’accent est mis sur ses fesses dénudées[49].
3. Il y a une image où l’on voit une très jeune fille couchée sur le dos, dévêtue du bas, les jambes écartées, exhibant ses organes sexuels, posant un regard vaporeux sur la personne (qui semble être une adulte - l’avocat de la défense suggère qu’il pourrait s’agir de la mère) qui est tout juste à ses côtés, couchée nue sur le ventre, ses vêtements du bas descendus à mi-cuisses[50].
[43] Objectivement, il est certainement raisonnable de conclure que le seul intérêt d’avoir ce matériel vise à stimuler sexuellement la personne qui s’y intéresse. Le Tribunal n’y voit rien d’autre.
[44] Le nombre d’images où l’on voit des organes sexuels, soit les seins soit la région pubienne ou la vulve, est considérable; en fait, il s’agit de la majorité d’entre elles[51].
[45] Les images sont claires et non équivoques.
[46] Elles ne présentent pas toutes de gros plans sur les organes sexuels, mais l’absence de focalisation sur un organe en particulier n’est pas déterminante dans les circonstances[52].
[47] De l’avis du Tribunal, le but de montrer des organes sexuels est évident[53]. Le degré de nudité, la présence de contact sexuel sur certaines photos[54], les poses sexuelles, la présence d’inscriptions sur certaines galeries de photos[55], qui témoignent d’indices de sexualité, sont tous des facteurs qui permettent au Tribunal de conclure au but sexuel[56].
[48] Aussi, bien que ce ne soit pas un facteur déterminant, le Tribunal ne peut ignorer le fait que les CD/DVD, dont la qualification du contenu est au cœur du litige, étaient rangés dans un bac dans la salle de lavage au sous-sol chez l’accusé, contrairement aux images concernant Y et X qui se trouvaient dans le bureau. Il s’agit là d’un indice qu’ils étaient cachés.
[49] Bien que les fichiers sauvegardés sur les CD/DVD aient été copiés ou créés entre 1999 et 2001[57] et que pour l’accusé, il s’agissait « de vieux stock », cela n’atténue en rien leur caractère illégal.
[50] En somme, il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal qu’un observateur objectif et raisonnable considérerait que la « caractéristique ou fin dominante [des images] est indéniablement sexuelle »[58].
[51] Il est vrai que certaines peuvent à première vue ne représenter que de la nudité[59] et sembler avoir été prises sans but sexuel, donc qu’elles puissent ne pas être visées par la définition de « pornographie juvénile »[60]. Mais le fait qu’elles se retrouvent sur des supports CD/DVD parmi d’autres photos qui, de l’avis du Tribunal, constituent de la pornographie juvénile, donne un caractère différent de celui recherché lors de la prise[61]. Les photos doivent être considérées comme un ensemble, en tenant compte du contexte (l’entièreté des photos en soi, l’endroit où elles ont été découvertes et la reconnaissance de l’accusé qu’il aurait dû détruire ce matériel, qu’il possédait « par curiosité », dit-il[62])[63].
[52] Il est également vrai que certaines images représentent des jeunes filles dont l’âge est discutable. Par contre, ces mêmes jeunes filles apparaissent dans des galeries de photos où il y a inscription de l’âge[64].
[53] Enfin, rien dans la preuve n’ébranle la classification proposée par l’enquêteur Boily. Après examen, le Tribunal, tout comme la personne raisonnable et objective, en serait arrivé à la même classification.
[54] Étant donné la période visée par l’accusation, les moyens de défense qui existaient avant le 1er novembre 2005[65] et ceux qui existent depuis sont tous à la disposition de l’accusé[66].
[55] Sous l’ancien régime, deux moyens de défense s’offrent à lui : l’un fondé sur la valeur artistique et l’autre, sur le bien public[67].
[56] Celui fondé sur la valeur artistique n’est recevable que si le matériel qui constituerait de la pornographie juvénile peut raisonnablement être considéré comme de l’art ou s’il sert « un but éducatif, scientifique ou médical ». Celui fondé sur le bien public peut aussi être invoqué par l’accusé si le matériel a effectivement servi le bien public et s’il n’a pas « outrepassé ce qui a servi celui-ci »[68]. Il n’est pas question de ce régime ici.
[57] Sous le nouveau régime, l’accusé peut invoquer un moyen de défense si l’acte qui constituerait l’infraction : (1) a un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts, et (2) ne pose pas de risque indu pour les personnes âgées de moins de 18 ans[69].
[58] Bien que ces moyens de défense doivent être interprétés largement, de manière à favoriser la liberté d'expression[70], ils ne doivent pas l’être de façon à faire obstacle aux objectifs du législateur qui, faut-il le rappeler, visent à criminaliser la pornographie juvénile et à protéger les enfants contre la violence[71].
[59] La question de savoir si les images ont une valeur artistique dépend de plusieurs facteurs, dont la forme et la teneur de l’œuvre, ses liens avec des conventions, traditions ou styles artistiques, et le mode de production, de présentation et de distribution. L’opinion d’un expert sur le sujet peut être utile[72].
[60] Le Tribunal est d’avis que tant sous l’ancien régime que sous le nouveau, l’accusé n’est pas parvenu à soulever un doute raisonnable quant à la valeur artistique des images en cause.
[61] Il est vrai que quelques-unes semblent être des captures d’images provenant de livres, de revues ou d’autres types de publication[73], que d’autres portent des inscriptions en langue étrangère et que certaines sont de qualité professionnelle, mais il y a absence de preuve quant au caractère ou à la dimension artistique.
[62] L’accusé n’a pas signalé de faits susceptibles d’étayer un tel moyen de défense, « qui représentent généralement plus qu’une simple assertion que l’auteur a voulu subjectivement créer de l’art »[74].
[63] Il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à savoir si, d’un point de vue subjectif, l’accusé avait un motif valable et de bonne foi de posséder de la pornographie juvénile dans un but légitime lié aux arts[75].
[64] En fait, le Tribunal ne peut évaluer la légitimité de son but, puisqu’il ne le connaît pas. Il est donc impossible de voir s’il existe un lien objectivement vérifiable entre l’accusation alléguée et le but que l’accusé dit poursuivre, lequel doit être objectivement lié à au moins une des activités énumérées. En clair : la personne raisonnable devrait conclure, compte tenu de l’ensemble des circonstances, « (1) qu’il y a un lien objectif entre les actes de l’accusé et le but qu’il dit poursuivre, et (2) qu’il y a un lien objectif entre ce but et une des activités protégées (administration de la justice, science, médecine, éducation ou arts) »[76].
[65] Non seulement il y a absence de preuve quant au but légitime poursuivi par l’accusé, d’où l’impossibilité de voir un lien objectif entre ce but et une des activités protégées, mais pis encore, l’accusé reconnaît clairement lors de son entrevue vidéo - qui fait partie de la preuve et qui n’a jamais été contredite ou nuancée - qu’il aurait dû détruire ce matériel, une fois qu’il eût acquiescé à la suggestion de l’enquêteur que s’il possède de la pornographie juvénile, c’est par curiosité[77]. Il ajoute qu’à l’époque, il avait téléchargé des séries. Ce n’est « pas vraiment des enfants », dit-il, après avoir précisé que pour lui, « l’adolescence commence à 13 ans; en bas de ça, c’est un enfant »[78].
[66] Il ne peut s’agir ici d’une forme d'expression pouvant raisonnablement être considérée comme de l'art[79]. Objectivement, le Tribunal, tout comme un observateur raisonnable, ne peut d’aucune façon y voir une quelconque valeur artistique.
[67] Bien que l'intention subjective du créateur des images ne soit pas déterminante, elle est pertinente[80]. Mais le Tribunal n’a aucune donnée à ce sujet. Encore une fois, l’information disponible mise en preuve repose sur les propos tenus et non contredits de l’accusé lors de son entrevue vidéo, qui d’abord nie avoir de la pornographie juvénile, puis le reconnaît, et enfin admet qu’il aurait dû détruire ce matériel. Il n’y a aucun fait susceptible d'étayer une défense fondée sur la valeur artistique[81], bien au contraire.
[68] En conclusion, compte tenu de l’ensemble des circonstances, le Tribunal est d’avis que la poursuivante s’est déchargée de son fardeau. Il n’y a aucun doute raisonnable que l’accusé ait eu en sa possession de la pornographie juvénile.
[69] DÉCLARE l’accusé coupable d’avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile.
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__________________________________ SANDRA BLANCHARD, J.C.Q. |
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Me Ariane Lacasse |
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Me Claudia Carbonneau |
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Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Procureures de la poursuivante |
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Me Gilles Doré |
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Me Olivier Morin |
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Les avocats Morin et Associés Inc. |
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Procureurs de l’accusé |
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Dates d’audience : |
9 et 10 octobre 2019, 11, 12, 13, 14, 15 et 22 janvier 2021, 9, 10 et 11 février 2021, 22 mars 2021, 12 avril 2021, 5, 7 et 21 mai 2021, 2, 4, 7, 9, 10 et 11 juin 2021. |
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[1] Les policiers Sicuro, Viola et Boily ont témoigné le 9 octobre 2019, lors du voir-dire sur la requête en exclusion de la preuve, et la défense a consenti à verser leurs témoignages au procès (pièce P-11); M. Boily a témoigné au procès les 11 et 12 janvier 2021.
[2] Pièce P-3, notes prises par l’enquêteur Doré lors de l’interrogatoire de l’accusé le 16 novembre 2017.
[3] Pièce P-4, DVD de la déclaration de l’accusé le 16 novembre 2017.
[4] Pièce P-5, cahier « Requête en exclusion de la preuve » incluant ses pièces R-1 à R-6; pièce P-7, rapport d'analyse informatique de M. Sicuro; pièces P-2 et P-10, conversations Messenger entre l’accusé et X et entre l’accusé et Y; et pièce P-12, déclaration vidéo de la plaignante Y
[5] Pièce P-6, liste d’admissions, et pièce P-9, admission.
[6] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7.
[7] Pièce P-9, admission.
[8] Pièce P-5, cahier « Requête en exclusion de la preuve » incluant ses pièces R-1 à R-6, onglet 6, dénonciation cyberaide.ca.
[9] No de dossier 700-26-026162-172. L’accusé a contesté cette autorisation judiciaire par le dépôt d’une requête en exclusion de la preuve et pour contre-interroger l’affiant, que le Tribunal a rejetée (R. c. Joly, 2019 QCCQ 7700).
[10] De marque Seagate, modèle SRDOOF1, numéro de série NA78STAZ, trouvé dans le bureau à l'étage de la maison de l’accusé, article 002 du lot 2017-00454 décrit au document « contrôle des pièces à conviction » déposé sous la cote R-2.
[11] Article 007 du lot 2017 00454 décrit au document « contrôle des pièces à conviction » déposé sous la cote R-2.
[12] Article 011 du lot 2017-00454 décrit au document « contrôle des pièces à conviction » comme étant 3 disquettes contenant de la pornographie juvénile, trouvées dans un bac de plastique gris au sous-sol, dans la pièce D près de la salle de lavage, déposé sous la cote R-2.
[13] De l’équipe d’enquête sur l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet (ESEI) de la Sûreté du Québec.
[14] Le logiciel « Bluebear ». Les fichiers vidéo ont quant à eux été classés à l’aide du logiciel « Griffeye ».
[15] Pièce P-7, rapport d’analyse informatique de M. Sicuro, p. 5.
[16] Pièce P-5, cahier « Requête en exclusion de la preuve » qui inclut ses pièces R-1 à R-6, pièce R-5, rapport de visionnement du gendarme Boily, p. 2.
[17] Pièce P-3, notes prises par l’enquêteur Doré lors de l’interrogatoire de l’accusé le 16 novembre 2017, p. 8 et 9.
[18] Pièce P-5, cahier « Requête en exclusion de la preuve » qui inclut ses pièces R-1 à R-6, pièce R-5, rapport de visionnement du gendarme Boily, p. 2.
[19] Pièce P-3, notes prises par l’enquêteur Doré lors de l’interrogatoire de l’accusé le 16 novembre 2017, p. 4.
[20] Id., p. 7.
[21] Id., p. 4 et 7.
[22] Pièce P-5, cahier « Requête en exclusion de la preuve » qui inclut ses pièces R-1 à R-6, pièce R-5, rapport de visionnement du gendarme Boily, p. 1.
[23] R. c. Joly, 2021 QCCQ 4652 et R. c. Joly, C.Q. Terrebonne, no 700-01-161384-170, jugement rendu oralement le 9 juin 2021.
[24] Pièce P-4, DVD de la déclaration de l’accusé le 16 novembre 2017.
[25] Procès-verbal du 26 novembre 2020.
[26] Pièce P-4, DVD de la déclaration de l’accusé le 16 novembre 2017, 13 h 45.
[27] Article 163.1(1)a) C.cr.
[28] Sous-alinéa 163.1(1)a)ii) C.cr.
[29] LSJPA — 1811, 2018 QCCA 597, par. 29.
[30] Id., par. 18 et 19.
[31] 2016 QCCQ 16383.
[32] 2017 QCCQ 7455.
[33] 2019 QCCQ 11267.
[34] 2009 BCCA 72, par. 15 et 16.
[35] 2001 BCSC 619, par. 95.
[36] 2014 ONSC 4532.
[37] Id.
[38] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7.
[39] Id., images 118, 180, 200, 213, 371, 534, 576, 612, 646, 653, 707, 720, 734, 822, 832, 843, 867, 876 et 884.
[40] Par exemple, l’image 180 de la pièce P-8.
[41] Par exemple, l’image 707 de la pièce P-8.
[42] Par exemple, les images 867, 876 et 884 de la pièce P-8.
[43] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7, image 707.
[44] Id., images 2, 3, 6, 7, 10, 11, 12, 91, 96, 211, 582, 598, 682, 702 et 832.
[45] Id., les images 6, 7 et 8, les images 10, 11 et 12, les images 185 et 189, et les images 670, 682, 694 et 702.
[46] Id., images 38 et 52.
[47] Id., image 42.
[48] Id., image 38.
[49] Id., image 96.
[50] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7, image 787.
[51] R. v. Way, 2015 ONSC 3080, par. 58 et suivants.
[52] LSJPA — 1811, préc., note 29, par. 28.
[53] R. v. Way, préc., note 51, par. 60 et suivants.
[54] Par exemple, les images 42 et 396 de la pièce P-8.
[55] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7, images 867, 876 et 884.
[56] R. v. Way, préc., note 51, par. 60 et suivants.
[57] Transcription du témoignage de M. Sicuro lors du voir-dire sur la requête en exclusion de la preuve, p. 21.
[58] R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 51.
[59] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7, images 18 à 24.
[60] R. c. Sharpe, préc., note 58, par. 128.
[61] R. v. Nedelec, 2001 BCSC 1334, par. 49.
[62] Pièce P-4, DVD de la déclaration de l’accusé le 16 novembre 2017.
[63] R. v. Grant, préc., note 34, par. 16.
[64] Pièce P-8 déposée sous scellés, clé USB contenant les photos du lot 2017-0454, items 2 et 7, images 211 et 213.
[65] L.C. 2005, ch. 32.
[66] R. c. Katigbak, 2011 CSC 48 (CanLII), [2011] 3 RCS 326, par. 1.
[67] Id., par. 39.
[68] R. c. Katigbak, préc., note 66, par. 41.
[69] L.R.C. 1985, ch. C-46, par. 163.1(6) et R. c. Katigbak, préc., note 66, par. 55.
[70] R. c. Sharpe, préc., note 58, par. 61.
[71] R. c. Katigbak, préc., note 66, par. 38.
[72] R. c. Sharpe, préc., note 58, par. 64.
[73] Vu les mentions « scanned by black cat » ou « black magic » qui y apparaissent.
[74] R. c. Sharpe, préc., note 58, par. 66.
[75] R. c. Katigbak, préc., note 66, par. 58.
[76] R. c. Katigbak, préc., note 66, par. 60.
[77] Pièce P-4, DVD de la déclaration de l’accusé le 16 novembre 2017.
[78] Id.
[79] R. c. Sharpe, préc., note 58, par. 63.
[80] Id., par. 64.
[81] Id., par. 66.
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