Décision

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Décision

Lemay c. Fernie

2018 QCRDL 20687

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

248946 31 20151126 G

392415 31 20180413 G

Nos demandes :

1883324

2478494

 

 

Date :

19 juin 2018

Régisseure :

Sophie Alain, juge administrative

 

Manon Lemay

 

Marc Pagé

 

Locataires - Partie demanderesse

(248946 31 20151126 G)

Partie défenderesse

(392415 31 20180413 G)

c.

Barbara Fernie

 

Gerhard Lichtenberger

 

Locateurs - Partie défenderesse

(248946 31 20151126 G)

Partie demanderesse

(392415 31 20180413 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Les locataires demandent la résiliation du bail, une diminution du loyer et des dommages moraux et matériels. Ils soutiennent que la maison louée était impropre à l’habitation en raison de la présence de moisissures. Comme les locateurs affirment le contraire, le Tribunal doit trancher si les locataires pouvaient l’abandonner[1].

[2]         À la veille de l’audience, les locateurs ont produit une demande pour se faire indemniser les pertes de loyers, plus les dommages qu’auraient causés les locataires à la maison.

[3]         Le Tribunal a réuni les deux dossiers pour la bonne administration de la justice[2].

Contexte

[4]         Le locataire, Marc Pagé[3], est gestionnaire en redressement d’entreprises, ce qui l’amène à déménager régulièrement. Durant leur séjour de 12 ans aux États-Unis, lui et son épouse, la locataire, ont acheté et revendu plusieurs maisons.

[5]         Un jour, les locataires souhaitent revenir à Montréal. Marc se trouve un nouvel emploi en novembre 2014. Son employeur fournira une maison en location temporaire pour lui permettre d’acquérir une nouvelle demeure.

[6]         Les locataires ont des jumeaux alors âgés de 4 ans. Ils recherchent une maison avec piscine, une cour extérieure et un sous-sol pour leur offrir un environnement ludique, mais surtout sécuritaire.

[7]         Incapables de dénicher leur maison de rêve avec piscine, les locataires contemplent l’idée de louer une maison dans une perspective de l’acheter. C’est dans ce contexte qu’ils rencontrent la locatrice et visitent la maison. Ayant l’intention d’acquérir la maison, ils lui posent de nombreuses questions.

[8]         Le 25 mars 2015, un bail est signé pour un loyer mensuel de 2 500 $ pour une occupation du 15 avril 2015 au 31 mars 2016.

[9]         Le bail indique que les locateurs doivent installer une clôture au pourtour de la piscine.

[10]      Les anciens locataires, les « Weatherman », quittent la maison le 14 avril. N’étant pas en ville, les locateurs avisent les locataires où trouver les clés.

[11]      Le lendemain, les locataires en prennent possession. Ils font faire un grand ménage par une équipe dirigée par madame Collin.

[12]      Les locataires et la locatrice échangeront plusieurs courriels.

[13]      En mai 2015, le fils des locateurs pose une clôture sur le patio.

[14]      Les locataires sont insatisfaits, car il n’y a toujours pas de clôture entourant la piscine, ce qui préoccupe au plus haut point la locataire. Elle a déjà été sauveteur, donc elle connaît bien les risques de la noyade chez les enfants d’où d’ailleurs son insistance sur cet élément lors de la signature du bail.

[15]      À mesure que les jours passent, les locataires déchantent. La locatrice qui leur avait promis une offre écrite de premier refus pour l’achat de la maison ne s’exécute pas. Pire, la fille des locateurs leur annonce qu’elle deviendra la propriétaire sous peu.

[16]      Quant à la commande à numéro fixe pour ouvrir la porte de garage, celle-ci ne sera jamais installée bien que la locatrice promettait de le faire.

[17]      La locatrice qui avait aussi promis de payer pour les coûts inhérents à l’ouverture de la piscine, se défile lorsqu’elle leur transmet plutôt le numéro de la personne qui effectue cette tâche et dont ils doivent payer les frais de service. En plus, la pompe de la piscine se révèle être bruyante et la piscine perd son eau; ce qui les oblige à remplir celle-ci quotidiennement.

[18]      Dans un tel contexte, ils ne voient aucun intérêt à poursuivre leur occupation des lieux au-delà de la fin du bail. Ils font donc une offre d’achat sur une autre maison le 4 juin et l’acquiert le 2 septembre 2015. Ils y feront effectuer de nombreuses rénovations pour y déménager au 1er avril 2016.

[19]      Entre temps, le 16 juin, une portion du plafond du salon s’effondre. Des fuites d’eau sur plusieurs jours causent bien des soucis aux locataires en plus d’endommager certains de leurs biens.

[20]      Mais là ne s’arrête pas le malheur des locataires. Jamais malades et en excellente santé, les enfants sont malades, très malades. Ils s’absentent souvent de la garderie. Un des enfants aura plusieurs infections pulmonaires et ses difficultés respiratoires à répétitions requièrent des traitements par des spécialistes : traitements toujours actuels deux ans plus tard.

[21]       En plus, Marc saigne quotidiennement du nez et Manon perd la voix. Leur médecin diagnostique, durant l’occupation de la maison, une sinusite et un Epistaxis à Marc et une perte prolongée de la voie et maux de gorge à Manon.

[22]      En novembre, leurs médecins traitants soupçonnent l’environnement immédiat comme cause de leur état de santé qui jusque-là était excellent. Les locataires décident d’emménager dans leur nouvelle demeure, et ce, même si les travaux sont loin d’être terminés, voire même en l’absence de cuisine.


[23]      Également, ils mandatent des experts pour inspecter et analyser la qualité de l’air de la maison louée. Des experts se présentent au logement le 17 décembre 2015 et procèdent aux analyses.

[24]      En défense, les locateurs nient que la maison ait été impropre à l’habitation. Selon eux, les locataires, qui ont acheté une nouvelle maison à peine 35 jours après leur emménagement dans la maison, cherchent un prétexte pour avoir quitté sans payer les derniers mois de loyer.

[25]      Pour preuve, ils affirment que jamais ils n’auraient mis en danger leur fille ou leur petite-fille à naître en permettant à Chelsea, alors enceinte, d’habiter la maison dès avril 2016, et ce, jusqu’en juin 2017, ou leur propre santé, car ils habitent maintenant la maison.

[26]      Ils estiment ridicule et frivole la demande des locataires. Ils réclament la perte des trois derniers mois de loyer, soit 7 500 $, plus 2 500 $ pour la réparation de la piscine, 4 000 $ pour le remplacement des portes et 10 000 $ pour des dommages causés au sous-sol.

Questions en litige

[27]      En l’instance, les locataires doivent démontrer qu'ils pouvaient quitter avant l'expiration du bail, car le droit de quitter les lieux loués avant d'obtenir la résiliation par le Tribunal est exceptionnel et ne peut avoir lieu qu’en cas d’urgence. Outre l’entente entre les parties, c'est le cas lorsqu'un logement devient impropre à l'habitation.

[28]      Ainsi, pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

1.           La maison louée était-elle impropre à l’habitation ?

2.           Les locataires peuvent-ils obtenir une diminution du loyer et des dommages-intérêts ?

3.           Les locataires ont-ils causés des dommages à la maison et à la piscine ?

[29]      Rappelons qu’en vertu de l’article 2803 du Code civil du Québec (C.c.Q.) celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

[30]      Pour une meilleure compréhension, le Tribunal opte pour exposer les faits pertinents à chacune des questions qu’il abordera.

[31]      Voyons d’abord, ce que dit la Loi concernant la notion d’impropre à l’habitation.

Qu’est-ce qu’un logement « impropre à l’habitation »?

[32]      Rappelons que de manière générale, un locataire doit avoir dénoncé ses plaintes au locateur et prouver l'inaction de ce dernier à exécuter ses obligations légales, avant d’entreprendre un tel recours. En l’instance, les locataires ont rempli cette obligation.

[33]      Quant à l’état du logement, pour être reconnu comme un logement impropre à l’habitation, les locataires doivent prouver que l'état physique[4] de la maison constituait une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public comme le précise l’article 1913 C.c.Q. qui se lit ainsi :

1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.

Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente.

[34]      En matière de contamination par moisissures[5], la preuve doit reposer sur des critères objectifs pour établir le caractère impropre du logement. Ainsi, il faut documenter l'identification du contaminant et l'étendue de la contamination, car l'aspect qualitatif a autant d'importance que l'aspect quantitatif des moisissures.

[35]      Cette contamination doit provenir du logement loué ou de l'immeuble et non pas découler d’une faute des locataires.

[36]      Ensuite, il faut établir un lien de causalité entre le(s) contaminant(s) et le danger pour la santé.


1-    La maison louée était-elle impropre à l’habitation ?

[37]     Les locataires soutiennent que la maison était impropre à l’habitation en raison des infiltrations au sous-sol et en provenance du toit amenant des moisissures toxiques.

[38]     Concernant les infiltrations au sous-sol, questionnée par les locataires, Chelsea admettra dans un courriel du 15 avril 2015 qu’il y a eu des inondations et infiltrations d’eau dans le sous-sol en raison d’une problématique avec la Ville de Beaconsfield il y a six ou sept ans. Le lendemain, Chelsea se veut rassurante et indique cependant qu’il n’y a jamais eu de moisissures depuis l’acquisition de la maison par ses parents et qu’ils avaient alors retiré les matériaux affectés par l’eau.

[39]     Toutefois, il y aura, durant leur occupation, des infiltrations d’eau au sous-sol qu’ils dénonceront chaque fois.

[40]      Concernant le toit, en juin, une section du plafond du salon situé devant la cheminée s’affaisse et tombe sur le téléviseur des locataires.

[41]      Les locataires ajoutent que les locateurs n’ont pas effectué les travaux nécessaires pour corriger les déficiences au sous-sol et au plafond du salon durant leur occupation. Par conséquent, ils ont été dans l’obligation de quitter les lieux.

[42]      Au soutien de leurs prétentions, les locataires ont fait entendre trois experts.

[43]      D’abord, Paul Trudel est inspecteur certifié en moisissures. Il est président d’Airlabs. Il explique que le mot « moisissure » est couramment utilisé pour désigner tout champignon qui pousse sur les matériaux de construction humides. Les moisissures ont souvent l'apparence d'une tache et sont de couleurs variées. Dans certains cas, les moisissures sont invisibles, mais dégagent une odeur de moisi. Si aucune mesure n'est prise pour en arrêter la croissance, les moisissures peuvent nuire à la qualité de l'air intérieur.

[44]     Il a inspecté la maison le 17 décembre 2016 où il a prélevé des échantillons de moisissures au bas du mur dans la cuisinette du sous-sol et au plafond du salon près du foyer, en plus de faire des tests d’analyse de la qualité de l’air.

[45]     Le laboratoire Pro-Lab a identifié la présence de spores de Stachybotrys sur les échantillons prélevés et de Penicillium/Aspergilus et de Stachybotrys dans l’air du sous-sol et du salon.

[46]     À son rapport d’expertise du 22 décembre 2015, monsieur Trudel conclut que le salon est contaminé et que le sous-sol est extrêmement contaminé par la présence de spores de ces deux moisissures, dont voici un extrait de la conclusion :

«  1- Basement : kitchenette

Based on the results from the laboratory I can conclude that the air in the basement kitchenette area, at the time of our visit, is extremely contaminated with airborne Penicillium/Aspergillus and Stachybotrys spores.

2- Main floor : living room

Based on the results from the laboratory I can conclude that the air in the main floor living room area,at the time of our visit, is contaminated with airborne Penicillium/Aspergillus and Stachybotrys spores.

We recommandend that all water-damaged materials must be removed from these areas to avoid risk of eventual exposure to toxic mould levels. Mould will develop when decomposable materials are exposed to humidity for a period longer than approximately 72 hours. The source of these airborne mould spores can hidden,visible or a combination of the two. To avoid health risk due to inhaled spores, we recommend a thorough and invasive mould decontamination of the affected environment by a trained professional in the field who can closely following recognised decontamination protocols. We also recommend the use of air scrubbers and negative pressure methods to cleanse the air of the concentrated mould accumulation during and after the decontamination procedure. After all affected materials are revoved we recommend a surface cleaning/fine decontamination of all levels and surfaces to ensure no surface accumulation of mould can be disturbed and become airborne once the project is complete. »


[47]    Le rapport d’expert indique, à titre de commentaire quant au Stachybotrys, que cette moisissure est très toxique et qu’il est inhabituel de la retrouver à l’intérieur d’un bâtiment (« Highly toxic. Unusual/Not Normal to be seen growing indoors »). Cette moisissure ne peut croître qu’en présence d’une contamination à l’eau.

[48]    Il cite également la documentation de Santé Canada. Dans la documentation du 31 mars 2007 intitulée « Residential Indoor Air Quality Guidelines », on y apprend que la Stachybotrys est cytotoxique. Les moisissures Penicillium et Aspergillus, toutes deux aussi présentes en quantité importante au salon et au sous-sol, sont associées à des symptômes s’apparentant à l’asthme. On y explique que les moisissures peuvent se développer dans des endroits de la maison qui sont humides ou mouillés en raison d'une fuite d'eau, d'une inondation ou d'un taux d'humidité élevé attribuable aux activités quotidiennes comme la cuisson ou les douches. Elles peuvent apparaître sur le bois, le papier, les tissus, les cloisons sèches et l'isolant. Elles peuvent se dissimuler à l'intérieur des murs et au-dessus des carreaux de plafond. Si les moisissures se développent dans un endroit humide, elles peuvent entraîner une détérioration de la qualité d'air ainsi que des problèmes de santé.

[49]    Ensuite, le Tribunal a entendu les représentants de SteriMobile : Bob Mironowicz, le Président et son fils, Tim Mironowicz. Ce dernier possède les certificats pour la détection des moisissures et l’assainissement des lieux par l’éradication des contaminants. Ils ont inspecté la maison le 17 décembre 2015, conformément aux normes de la National Association of Mold Inspectors (NAMI).

[50]    Leur rapport et témoignages indiquent la présence de plusieurs déficiences, notamment au toit, à la pente du terrain, au solage de la structure et au sous-sol. Par exemple, ils ont noté que les chantepleures sont bloquées ce qui empêche l’écoulement de l’eau de pluie vers l’extérieur des murs, tout comme le crépis qui remonte par-dessus la base de la première rangée de briques. En raison de ces déficiences, l’eau s’infiltre à l’intérieur du bâtiment. À l’ouverture des tuiles du plafond au sous-sol, ils ont remarqué que la charpente du plancher (particulièrement les solives) près des murs extérieurs présentait des signes visibles de contamination aux moisissures.

[51]    Également, directement au-dessus du trou dans le salon, ils ont noté l’absence de protection contre l’infiltration d’eau entourant le tuyau de la cheminée. Dans l’entre-toit, les matériaux de bois et d’isolation présentaient des signes visibles d’infiltration d’eau et de moisissures non contemporaines.

[52]    Monsieur Mironowicz conclut que la maison doit être décontaminée puisqu’elle ne constitue pas un lieu habitable selon les recommandations de Santé Canada.

[53]    Les experts sont unanimes : ils n’habiteraient pas une résidence contaminée par la Stachybotrys, car cette moisissure, de nature collante, cause plus de dommages à la santé pulmonaire des humains.

[54]    Finalement, les locataires soumettent un dernier rapport rédigé par un entrepreneur en construction. Appelé par les locataires lors des infiltrations d’eau au salon, Mario Cadieux de Construction Mario Cadieux Inc. a inspecté la maison et rédigé un rapport le 6 juillet 2015. Il conclut que « l’ampleur de la détérioration et la présence de moisissure démontrent qu’il s’agit d’un problème qui dure depuis longtemps » quant à l’infiltration d’eau au salon, après avoir inspecté l’entre-toit. Quant au sous-sol, il indique une forte odeur de moisissures et d’humidité, laissant présager une détérioration sur la surface interne des murs de finition du sous-sol. Il juge que les infiltrations d’eau près de l’évier du sous-sol sont dues à un problème de gestion d’écoulement des eaux et qu’elles paraissent répétitives et de longue date. Il a noté une dépression du terrain contre les fondations extérieures, là où l’infiltration se produit.

[55]   Pour leur part, à l’exception de leur témoignage, les locateurs n’ont pu contredire les résultats des tests objectifs.

[56]   De plus, les locataires ont prouvé que l'origine des contaminations aux moisissures dans la maison provenait d'une cause imputable aux locateurs.

[57]   La preuve est tout aussi prépondérante quant au lien de causalité qui existe entre la présence des moisissures et les symptômes des occupants de la maison, à savoir irritation du nez et de la gorge, sinusite, perte de la voix, toux et accumulation de mucus (mucosités) et respiration sifflante et essoufflement chez les enfants âgés de 5 ans (surtout chez Yanni). En effet, le Tribunal estime que la preuve profane[6] est suffisante pour démontrer les inconvénients d’ordre physique allégués par les locataires.


[58]   L’examen de la preuve amène le Tribunal à conclure et juger que la maison était impropre à l'habitation au sens de l'article 1913, al. 2 C.c.Q., en ce que son état constituait une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants.

[59]   En vertu de l’article 1915 C.c.Q., un locataire est dispensé de payer le loyer lorsqu’un logement est impropre à l’habitation.

[60]   En l’espèce, il vaut de souligner que le 22 novembre 2015, les locataires ont avisé les locateurs qu’ils abandonneraient la maison louée en raison de son état. Le Tribunal condamne donc les locateurs à restituer aux locataires 1 129 $, représentant la portion du loyer payé après l’abandon du 18 décembre 2015.

[61]   Vu cette conclusion, et en l’absence de travaux pour rendre propre à l’habitation la maison avant la fin du bail, le Tribunal rejette la demande de 7 500 $ à titre de pertes locatives des locateurs.

2.           Les locataires peuvent-ils obtenir une diminution du loyer et des dommages ?

[62]   La Loi édicte qu’un locataire a droit notamment à la jouissance paisible des lieux loués[7] et d’un bon état d'habitabilité[8] et de réparations[9], que doit procurer le locateur.

[63]   Les obligations du locateur sont dites « de résultat », ce qui signifie que les moyens de défense de celui-ci sont limités. L'inexécution d'une obligation du locateur prévue par la Loi ou le bail permet au locataire de demander, entre autres, la diminution du loyer proportionnelle à la partie de la valeur locative ou des dommages[10]. Ces deux notions sont différentes[11].

[64]   La diminution du loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie par le locataire en raison de l'inexécution des obligations du locateur.

[65]  Pour sa part, l’octroi de dommages a pour but de compenser le préjudice subi (moral, matériel) ou à punir l'auteur d'un fait dommageable (dommage punitif) lorsqu’il y a un lien entre la faute reprochée et les dommages réclamés. Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.

[66]  Pour accorder une diminution du loyer, la preuve doit être prépondérante que la perte de jouissance subie par un locataire est sérieuse, significative et substantielle. Par opposition, la perte de jouissance qualifiée simplement de minime ou de peu d’importance ne peut donner ouverture à une diminution de loyer.

[67]  De plus, le locateur est soumis à ces obligations peu importe l'état de l'immeuble ou du logement lors de la signature du bail et malgré la connaissance ou l'acceptation de certaines anomalies par un locataire[12]. Également, un locateur est tenu de respecter ces obligations, et ce, bien que les locataires puissent se succéder sans délai à la fin d'un bail[13].

[68]  Les locataires demandent une diminution du loyer de 50% pour la durée du séjour du 15 avril au 17 décembre 2015 (soit 10 060 $), plus des dommages matériels de 9 900 $ et moraux de 15 000 $.

[69]  À titre de diminution de loyer, les locataires soumettent que 100% de l’air de la maison fut contaminé par les moisissures et ils imputent le reste de leurs troubles selon la répartition suivante :

·         25% pour les infiltrations d’eau au sous-sol

·         15% pour le plafond ouvert au salon

·         10% pour le patio de bois pourri

·         10% pour la piscine inutilisable

·         5% pour l’encombrement des espaces de rangement par les biens appartenant aux locateurs.


[70]  Les locataires ont aménagé une partie du sous-sol pour permettre aux enfants d’y jouer et entreposer une partie de leurs effets. Les infiltrations d’eau les ont privés de jouir pleinement du sous-sol. Même si la cause de l'infiltration d'eau est inconnue des locateurs, la preuve ne démontre pas qu’elle résulte d'un cas fortuit[14].

[71] Quant au trou au plafond du salon, il ne fut jamais réparé. Les locateurs répliquent qu’ils ont été empêchés d’effectuer les travaux. Or, la preuve est prépondérante que seule la pose du tiroir de cuisine a été refusée par les locataires, et qu’ils ont permis l’accès pour les autres travaux.

[72] La preuve photographique démontre que le patio en bois nécessitait quelques travaux pour remplacer les planches trouées.

[73] En ce qui concerne la piscine, la preuve est prépondérante qu’elle perdait de l’eau, que le moteur était trop bruyant et qu’en plus, les locateurs n’ont pas respecté la clause au bail concernant l’installation de la clôture, condition essentielle lors de la conclusion du bail, lorsque les locataires ont requis au bail que les locateurs s’engagent à installer une clôture autour de la piscine ainsi qu’au pourtour du patio (« will add fence around pool - will put gates all around patio »).

[74] La locatrice argumente que cet engagement ne l’obligeait pas à installer une clôture pour entourer spécifiquement la piscine, en plus de bénéficier d’un droit acquis, soumet-elle. Le Tribunal rejette la défense des locateurs, car la clause au bail est claire et il n’y a aucune difficulté d’interprétation. De plus, il s’agissait d’une considération essentielle pour les locataires.

[75] Les locateurs ont également tardé à sortir leurs effets personnels du garage et du cabanon ce qui n’a pas été sans préjudices aux locataires.

[76] Enfin, le Tribunal ne retient pas la défense des locateurs, car la preuve offerte par les locataires au soutien de leur demande en diminution du loyer démontre de manière prépondérante une perte de jouissance aussi significative que substantielle des lieux pour les locataires.

[77] Pour ce poste de réclamation, le Tribunal juge approprié dans les circonstances du présent dossier d’accorder une diminution de loyer de 50%, et condamne les locateurs à payer 10 060 $ aux locataires.

Dommages matériels

[78] Les locataires réclament en dommages matériels 28 201,16 $.

[79] Le Tribunal accorde 1 171 $ pour les frais suivants :

·         400 $ à titre de frais de ménage, car les locateurs avaient l’obligation de délivrer une maison en bon état de propreté, ce qu’ils n’ont pas réalisé;

·         72 $ à titre de ménage après le nettoyage des conduits de ventilation, car la suie s’est répandue partout dans la maison en raison de l’erreur du technicien;

·         299 $ pour la perte de garantie prolongée, car le conduit d’évacuation de la sécheuse était encrassé;

·         300 $ soit le tiers du réservoir d’huile à chauffage laissé aux locateurs après leur départ;

·         100 $ soit une portion du dépistage après le déménagement des locateurs sans transmettre leur nouvelle adresse, alors qu’ils étaient déjà notifiés de la demande.

[80] Le Tribunal rejette les autres frais réclamés comme les frais médicaux pour les enfants en raison de l’absence de lien de droit avec les locateurs; ceux-ci n’étant pas locataires. Il rejette aussi les frais postaux et de transmission des correspondances, avis d’abandon et mise en demeure puisqu’ils constituent des frais indirects. Il rejette également les frais de déménagement, car il n’a été que devancé. De même, il n’accorde pas les frais médicaux privés, car les locataires ont choisi de ne pas recourir aux services publics de santé. Enfin, les frais de mobiliers (matelas, coussin, et autres) achetés en remplacement de ceux qui ont été jetés ne sont pas accordés en raison de l’absence de preuve qu’ils étaient irrévocablement devenus une perte totale et qu’ils ne pouvaient pas être récupérés.


Dommages moraux

[81] Les locataires réclament 10 000 $ à titre de dommages moraux.

[82] La preuve révèle que les locataires ont perdu temps et argent à nettoyer leurs biens, et à vider les seaux d’eau à la suite des écoulements d’eau au salon, sans compter les avis de perception dirigés contre les locateurs qui risquaient leurs biens.

[83] Les locataires ont été envahis par du stress, des inquiétudes et des soucis en lien avec leur santé et celle de leurs enfants. Entre autres troubles, il y a eu de nombreuses consultations médicales, absences et perte des vacances en raison des déficiences de la maison louée.

[84] La preuve offerte par les locataires justifie d’accorder 8 000 $ en dommages moraux.

[85] Par contre, c’est à bon droit que les locateurs pouvaient requérir le code du système d’alarme[15], puisqu’il s’apparente à la clé qu’un locateur a droit d’obtenir pour exercer pleinement ses droits d'accès.

Frais d’expertise

[86] Les locataires réclament 804,83 $ pour AirLabs, car l’absence de collaboration des locateurs a rendu nécessaire cette preuve. Ils demandent aussi 258,89 $ pour la vacation au Tribunal le 15 août 2017 de Paul Trudel, vu la demande de remise des locateurs à l’audience.

[87] Les locataires ont dû avoir recours à des experts devant l’inaction des locateurs à réparer la maison. Dans ce contexte, les locataires réclament le remboursement de l’expertise d’AirLabs comme dommages. D’ailleurs, les locateurs ont fait inspecter leur maison à l’hiver 2016, mais ils ont choisi de ne pas fournir ce rapport au Tribunal.

[88] L’expertise D’AirLabs a éclairé le Tribunal. Le Tribunal juge que cet expert a rédigé un rapport et a rendu un témoignage objectif et rigoureux et en tout temps il a démontré être impartial dans le litige.

[89] Dans l’arrêt de principe Maison Simons inc. c. Lizotte[16], la Cour d’appel conclut que les frais d’expertise doivent être attribués au chapitre des « dépens » et non comme « dommages ». La Cour explique que cette solution est logique, raisonnable et, en plus, elle permet un traitement uniforme des parties. En effet, il n’y a aucune raison qui justifie de traiter de façon différente un demandeur, qui a besoin d’une expertise pour établir son droit, et un défendeur, qui a tout autant besoin d’une expertise pour éviter une condamnation. Si l’on devait inclure les frais d'expertise dans les dommages, cela aurait pour conséquence d’obliger un défendeur, qui a obtenu le rejet d’une action, à établir la faute du demandeur pour recouvrer ses frais d'expertise, ce qui n’est pas acceptable.

[90] À première vue, l’argument des locataires pour en obtenir le remboursement est séduisant.

[91] Cependant, contrairement aux règles régissant les tribunaux de droit commun, il n’existe pas de « dépens » à la Régie du logement. En effet, le Tarif des frais exigibles par la Régie du logement[17] permet d’accorder les frais de notification et de la production d’une demande uniquement. Le rôle du tribunal consiste à appliquer les lois et règlements que le législateur édicte.

[92] Par conséquent, une partie devant le tribunal de la Régie du logement ne peut pas réclamer à l’autre partie les frais d’expertise.

[93] Aussi, bien que la récente décision de la Cour d’appel dans Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Érablières Roger Caron inc.[18] soit d’un certain intérêt dans une situation similaire à celle qui prévaut devant le présent Tribunal, le contexte exceptionnel qui a justifié la Cour supérieure à accorder les frais d’expertises n’est pas présent en l’instance.


3.           Les locataires ont-ils causés des dommages à la piscine et à la maison ?

[94] Les locateurs réclament 16 500 $ pour pertes et dégradations et soumettent que les locataires n’ont pas respecté leur obligation de remettre la propriété louée dans le même état qu’à la prise de possession

[95] D’abord, les locateurs allèguent que les locataires n’ont pas utilisé convenablement la piscine en été, et que leur faute a entraîné des dommages. Plus amplement, ils produisent une photographie prise en juin montrant un niveau d’eau sous les « skimmers » et les comptes de la Ville pour la consommation d’eau sur plusieurs années pour démontrer que les locataires n’ont pas rempli suffisamment d’eau la piscine.

[96] De plus, ils affirment que la piscine n’a pas été bien fermée pour la période hivernale. Pour ces raisons, ils réclament 1 500 $ en pièces et 1 000 $ en main d’œuvre.

[97] Pour appuyer leur réclamation, les locateurs ont fait entendre leur fille Chelsea. Celle-ci témoigne avoir dû acheter au printemps 2016 un nouveau filtre et diverses pièces. Il lui fallut près de 4 jours avec ses frères et le locateur pour rendre fonctionnelle la piscine. Les locateurs et Chelsea affirment que la piscine fut construite en 2004.

[98] Les locataires nient avoir causé quelques dommages à la piscine. Ils ont payé les frais de services pour l’ouverture de la piscine en mai 2015, mais comme le moteur était trop bruyant et que l’eau ne cessait de s’échapper de la piscine, ils ont tout simplement cessé de l’utiliser en juin.

[99]    Bien qu’ils aient fermé le filtreur, ils ajoutaient, malgré tout, les produits chimiques afin de maintenir la qualité et le niveau de l’eau. Marc, qui est ingénieur mécanique, est catégorique pour dire qu’il a fermé la piscine selon les instructions de la personne engagée en mai 2015.

[100] Somme toute, le Tribunal juge que la preuve soumise est insuffisante pour établir de façon probante la responsabilité des locataires relativement aux dommages causés à la piscine qu’on leur impute.

[101] Quant aux portes, certes il n’est pas contesté que des trous ont été faits dans les portes pour l’installation de loquets. Toutefois, à ce jour, les locateurs n’ont pas remplacé ni fait quelques travaux sur les portes et aucune facture ni évaluation n’a été soumise. Il n'appartient pas au Tribunal de se livrer à un exercice arbitraire quant à la valeur des dommages subis. Cette réclamation est donc rejetée.

[102]  Enfin, à l’égard du sous-sol, les locateurs allèguent que les locataires les ont empêchés de faire des travaux durant leur occupation. Ils réclament donc 10 000 $. Or, ils n’ont pas démontré qu’ils aient transmis un avis pour effectuer des travaux et, au surplus, ils n’ont produit aucune facture ou autre pièce justificative en appui. Dans les circonstances, la preuve est insuffisante pour permettre au Tribunal de donner gain de cause aux locateurs sur cette partie de la réclamation.

[103]  Le Tribunal rejette la réclamation en dommages-intérêts des locateurs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Demande des locataires - Dossier no : 248946

[104] ACCUEILLE en partie la demande;

[105] RÉSILIE le bail au 17 décembre 2015;

[106] CONDAMNE solidairement les locateurs à payer 20 360 $ aux locataires, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 1er décembre 2015, plus les frais judiciaires de 91 $[19];


[107] REJETTE les autres conclusions recherchées.

Demande des locateurs - Dossier no : 392415

[108]  REJETTE la demande des locateurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

les locataires

les locateurs

Dates des audiences :

16 et 17 avril 2018

 

 

 


 



[1] En raison du départ des locataires, la demande d'exécution provisoire n’a plus d’objet.

[2] Comme lui permet l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1.

[3] L’utilisation du prénom, par la suite, a pour but d’alléger le texte et non à faire preuve de familiarité ou de prétention.

[4] Hajjar c. Hébert, [1999] J.L. p. 316, Christine Bissonnette j.a.

[5] Henault c. Keita, 31-080718-015G, Montréal, le 3 juillet 2009, F. Jodoin j.a.

[6] Puisque le Tribunal a accueilli l’objection des locateurs quant aux conclusions médicales.

[7] Art. 1854 al. 1 C.c.Q.

[8] Art. 1910 C.c.Q.

[9] Art. 1864 C.c.Q.

[10] Article 1863 C.c.Q.

[11] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

[12] Simoneau c. Singh, 2012 QCRDL 2391.

[13] Gauthier c. Descheneaux, [2005] J.L. 121 (R.L.).

[14] Comme le rappelle la décision Bejerman c. Lagarde (R.D.L., 2017-02-02), 2017 QCRDL 3532, SOQUIJ AZ-51363869.

[15] Gamache c. Beaulieu (R.D.L., 2012-03-30), 2012 QCRDL 10895, SOQUIJ AZ-50845802, 2012EXP-3020 ; Feldman c. Anick (R.D.L., 2002-01-10), SOQUIJ AZ-50133745, [2002] J.L. 91.

[16] 2010 QCCA 2126.

[17] RLRQ, c. R-8.1, r. 6.

[18] (C.A., 2016-10-27), 2016 QCCA 1752, SOQUIJ AZ-51338017, 2016EXP-3527, J.E. 2016-1922

[19] Puisque le Tribunal accueille en partie la demande des locataires, il y a lieu d’accorder les frais judiciaires incluant ceux de notification en vertu de l'article 7 du Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r. 6.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.