Faivre c. R. | 2023 QCCA 1150 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-10-006888-182, 500-10-007296-203, 500-10-007297-201 | ||||
(500-01-132975-167) (500-01-135324-165) | |||||
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DATE : | 14 septembre 2023 | ||||
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JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. | |||||
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Nos 500-10-006888-182, 500-10-007296-203 | |||||
ANDRÉ FAIVRE | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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No 500-10-007297-201 | |||||
ANDRÉ FAIVRE | |||||
REQUÉRANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en première instance, en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.
[1] L’appelant se pourvoit contre les verdicts de culpabilité prononcés le 21 septembre 2018 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale (l’honorable Yvan Poulin) dans deux dossiers distincts instruits en même temps (500-01-135324-165 et 500-01-132975-167) et comportant initialement 17 chefs d’accusation lui reprochant des infractions de pornographie juvénile, de contacts sexuels, d’avoir conseillé de commettre l’infraction de contacts sexuels, d’attentat à la pudeur, de grossière indécence ainsi que de possession et d’entreposage illégal d’une arme à feu.
[2] Alors qu’il soulevait plusieurs moyens contre le verdict de culpabilité rendu sur certains chefs, il a, depuis, abandonné plusieurs de ceux-ci. Ainsi, seuls demeurent le moyen relatif à l’admissibilité du témoignage d’un enquêteur et celui voulant que le juge ait erré en n’appliquant pas le cadre d’analyse de WD[1] aux chefs à l’égard desquels il n’a pas témoigné, mais pour lesquels il a fourni une déclaration extrajudiciaire qu’il estime être en partie disculpatoire.
[3] Il se pourvoit également contre la déclaration de délinquant à contrôler et contre l’interdiction d’utiliser Internet pour une période de 15 ans que le juge d’instance a ajouté à la peine d’emprisonnement de 12 ans qu’il lui a infligées le 5 février 2020.
[4] Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent les juges Schrager et Rancourt, LA COUR :
[5] REJETTE l’appel du verdict sur la culpabilité (no 500-10-006888-182);
[6] REJETTE l’appel portant sur la déclaration de délinquant à contrôler (no 500‑10‑007296-203);
[7] ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel de la peine;
[8] ACCUEILLE en partie seulement l’appel sur la peine (no 500‑10‑007297‑201) à la seule fin de moduler l’ordonnance de ne pas utiliser Internet;
[9] MODIFIE le paragraphe [205] du jugement sur la peine pour qu’il se lise dorénavant ainsi :
[205] En vertu de l’article 161 du Code criminel, le Tribunal INTERDIT à l’accusé :
de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire, et ce, à perpétuité;
de chercher, d’accepter ou de garder un emploi - rémunéré ou non - ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans, et ce, à perpétuité;
d’avoir des contacts - notamment communiquer par quelque moyen que ce soit - avec une personne âgée de moins de seize ans, et ce, à perpétuité; et
d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, et ce, pour une période de 15 ans, à moins de le faire en conformité avec les conditions suivantes :
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. |
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| MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
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| JOCELYN RANCOURT, J.C.A. |
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Me Réginal Victorin | |
Pour l’appelant | |
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Me Marianna Ferraro | |
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | |
Pour l’intimé | |
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Date d’audience : 17 janvier 2023 |
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MOTIFS DU JUGE HOGUE |
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[10] L’appelant est arrêté dans le cadre du projet Malaise, une enquête menée par la Sûreté du Québec visant plusieurs personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions de nature sexuelle sur des enfants.
[11] Sa résidence fait d’abord l’objet d’une perquisition subreptice le 11 juin 2015, puis d’une perquisition à la suite de son arrestation le 27 janvier 2016. Ses ordinateurs et du matériel informatique sont fouillés à ces deux occasions. Une arme à feu de calibre 22 et des munitions sont aussi trouvées dans le haut d’un placard non verrouillé lors de la seconde perquisition.
[12] Une opération d’infiltration est également menée dans le cadre de laquelle un agent d’infiltration personnifiant un jeune adulte ayant du désir sexuel envers les jeunes enfants se lie d’amitié avec l’appelant. Ce dernier agit comme mentor auprès de l’agent d’infiltration qui prétend souhaiter avoir des contacts sexuels avec un jeune voisin de 10 ou 11 ans. Il lui prodigue des conseils pour y parvenir sans avoir d’ennuis avec la police, lui explique comment sécuriser son ordinateur et ses échanges, effacer ses traces à l’aide d’un logiciel et lui suggère des sites illégaux de pornographie juvénile à consulter. L’appelant accède également à de la pornographie juvénile alors qu’il est en présence de l’agent d’infiltration. Il conseille de la même façon M. Turcotte, un de ses amis.
[13] Les perquisitions effectuées permettent de trouver des textes de pornographie juvénile qu’il a écrits et partagés. Des courriels extraits de ses ordinateurs démontrent qu’il expose les détails de certains des gestes qu’il a posés dans le passé et transmet des photos de certains jeunes, notamment certains de ceux qui logeaient dans le foyer d’accueil où il travaillait, avec la communauté Boy Lover.
[14] Certains de ses propos sont aussi interceptés via des micros cachés dans sa résidence.
[15] Deux victimes sont identifiées : X, un jeune homme que l’appelant a hébergé de l’âge de 14 ans jusqu’à sa majorité et Y, un jeune homme qui était âgé de 8-9 ans à l’époque où les gestes reprochés ont été posés et qui séjournait au foyer d’accueil où l’appelant travaillait.
[16] Alors que la période infractionnelle visée par les chefs relatifs à la pornographie juvénile va de 2003 à 2018, ceux relatifs à des abus sexuels commis sur X et Y visent des évènements survenus il y a plus de 35 ans dans le cas de X et près de 25 ans dans le cas d’Y.
[17] Lors de son arrestation, l’appelant fait volontairement une déclaration d’une douzaine d’heures que le ministère public dépose en preuve.
[18] Il reconnaît être pédophile. Il soutient toutefois que la pédophilie est une orientation sexuelle comme une autre et il milite en ce sens. Il reconnaît aussi être le fondateur de WebBleu, un service de courriels sécurisé et crypté permettant à des personnes pédophiles de communiquer entre elles à l’abri de toute incursion indésirable. Il veille aux opérations quotidiennes et au bon fonctionnement du service, qu’il héberge sur un serveur chez lui. Il soutient toutefois avoir mis en place une politique stricte interdisant d’utiliser le service à des fins illicites, tout en reconnaissant que la preuve révèle que celui-ci a néanmoins été utilisé pour échanger et conserver de la pornographie juvénile.
[19] Le procès dure 30 jours et plusieurs témoins sont entendus, dont X et Y.
[20] Plusieurs éléments de la preuve administrée proviennent de fichiers qui ont été extraits de l’ordinateur de l’appelant à l’occasion des perquisitions. L’enquêteur Marc‑André Piché, un membre de la division technologique de la Sûreté du Québec qui a été impliqué dans l’analyse du contenu des ordinateurs et d’autres équipements informatiques trouvés chez l’appelant, est appelé comme témoin. Il doit témoigner sur les méthodes utilisées pour extraire les fichiers, leur emplacement et leur accessibilité ainsi que sur les analyses effectuées et leur résultat.
[21] L’appelant, d’entrée de jeu, s’oppose à son témoignage au motif qu’il n’est pas qualifié comme témoin expert. Ses rapports, de plus, contiennent, selon lui, des informations constituant du ouï-dire et des éléments non pertinents, argument qu’il ne fait pas valoir en appel.
[22] Un voir-dire est donc tenu et le juge, dans un jugement écrit, permet le témoignage de l’enquêteur Piché. J’y reviendrai.
[23] Après la présentation de la preuve de la poursuite, l’appelant est acquitté des chefs 16 et 17 et un arrêt conditionnel des procédures est prononcé sur les chefs 2 et 4.
[24] Il témoigne ensuite pour sa défense, mais seulement dans le dossier 500‑01‑135324-165 qui concerne les chefs 12 à 17 se rapportant aux infractions commises à l’égard de X et d’Y. Il ne témoigne pas dans le dossier 500-01-132975-167 qui ne concerne plus que les chefs 1, 3 et 5 à 11 se rapportant à diverses infractions en lien avec la pornographie juvénile et les contacts sexuels avec des enfants, ainsi que de possession et d’entreposage illégal d’une arme à feu.
[25] Lors de son témoignage, l’appelant reconnaît avoir eu des contacts sexuels réguliers avec X de l’âge de 14 ans jusqu’à sa majorité. Il reconnaît aussi avoir eu des contacts avec Y, mais soutient que ceux-ci n’étaient pas à des fins sexuelles.
[26] Après avoir entendu l’ensemble de la preuve, le juge le condamne sur les 13 chefs d’accusation restants.
[27] Après avoir rappelé les prétentions de chacune des parties, il expose longuement la preuve soumise de part et d’autre. Il résume les témoignages de X et d’Y, détaille les nombreuses rencontres et les échanges ayant eu lieu entre l’agent d’infiltration et l’appelant, résume la déclaration extrajudiciaire qu’il a faite aux policiers et le témoignage qu’il a rendu à l’audience, identifie les fruits des perquisitions effectuées et expose le résultat de l’écoute électronique réalisée.
[28] Expliquant le droit applicable, il identifie le test en trois étapes établi par l’arrêt R. c. W.(D.)[2] comme étant celui qu’il doit appliquer en regard des chefs d’accusation sur lesquels l’appelant a témoigné, soit les chefs 12 à 15. Il indique que pour les autres chefs (1, 3 et 5 à11), sur lesquels il n’a pas témoigné, il doit vérifier si sa culpabilité est la seule inférence rationnelle pouvant être tirée de la preuve et donc déterminer si la preuve administrée démontre sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[29] Analysant cette preuve, il conclut essentiellement que les infractions d’attentat à la pudeur et de grossière indécence en lien avec X ont été établies hors de tout doute raisonnable puisque l’appelant reconnaît avoir eu des contacts sexuels réguliers avec X de l’âge de 14 ans jusqu’à sa majorité, alors qu’il était en position d’autorité puisqu’il l’hébergeait et était son éducateur (chefs 12 et 13).
[30] Pour ce qui est des gestes posés à l’égard d’Y, le juge ne retient pas son témoignage voulant que les contacts ou les attouchements n’aient pas été à des fins sexuelles. Il souligne que la version qu’il donne au procès est contraire à la description qu’il a lui-même faite des évènements dans une chronique destinée à un blogue sur la pédophilie et que son témoignage est incohérent et non transparent. Il estime, par ailleurs, que le témoignage d'Y est clair et dépourvu d’incongruité en plus d’être confirmé en partie par la preuve extrinsèque.
[31] Il conclut sur la base de l’ensemble de la preuve que les accusations d’incitation à des contacts sexuels et de contacts sexuels ont également été prouvées hors de tout doute raisonnable (chefs 14 à 17) tout comme les chefs reprochant à l’appelant d’avoir commis des infractions de pornographie juvénile. Il a en effet accédé à de la pornographie juvénile en présence de l’agent d’infiltration, l’a admis aux policiers et avait des images et des vidéos de pornographie juvénile sur une clé USB protégée par le mot de passe jaime[Y). Cette clé contenait, de plus, des documents personnels de l’appelant ainsi que divers mots de passe lui permettant de gérer son équipement informatique.
[32] Selon le juge, le témoignage de l’agent d’infiltration démontre également, hors de tout doute raisonnable, que l’appelant a délibérément encouragé et activement incité l’agent d’infiltration et son ami, M. Turcotte, à accéder à de la pornographie juvénile et à avoir des contacts sexuels (chefs 7, 8 et 9) puisqu’il leur a prodigué des conseils sur la façon d’exploiter la vulnérabilité de jeunes garçons alors qu’il connaissait leur désir d’avoir avec eux des contacts intimes et sexuels. Il leur a aussi suggéré des sites comportant de la pornographie juvénile.
[33] Finalement, le juge le déclare coupable des chefs 10 et 11 puisqu’il ne détenait pas de permis pour l’arme trouvée dans un placard non verrouillé.
[34] Tel que mentionné plus tôt, l’appelant attaque ce verdict en faisant valoir deux moyens : 1) n’ayant pas été qualifié d’expert, l’enquêteur Piché n’aurait pas dû être autorisé à témoigner pour, notamment, faire la preuve de l’arborescence et de l’accessibilité des fichiers considérés comme de la pornographie juvénile; 2) le juge aurait dû appliquer le cadre établi par W.(D.) lors de son analyse des chefs sur lesquels il n’a pas témoigné au procès, mais à l’égard desquels il a fait une déclaration disculpatoire aux policiers.
[35] Examinons ces deux moyens à tour de rôle.
[36] L’enquêteur Piché est enquêteur à la Sûreté du Québec et exerce des fonctions de chef d’équipe au sein de la division technologique, une unité de soutien aux enquêtes. Il est impliqué une première fois dans l’enquête Malaise lorsqu’on lui demande d’analyser les données qui ont été saisies par les agents ayant procédé à la perquisition subreptice du 11 juin 2015 et une seconde fois, en 2016, alors qu’il participe à la seconde perquisition réalisée chez l’appelant et est appelé à faire un survol des systèmes en place. Il rédige deux rapports sur ces évènements.
[37] L’appelant s’oppose à ce témoignage dès qu’il débute ainsi qu’au dépôt des deux rapports qu’il a préparés. Il plaide que ce témoignage relève de l’expertise et que l’enquêteur Piché n’ayant pas été qualifié d’expert, il est irrecevable. Les rapports, pour leur part, contiendraient du ouï-dire ainsi que des informations non pertinentes au litige et ils auraient une portée plus grande que le témoignage rendu par l’enquêteur Piché, trois raisons, selon lui, justifiant de les déclarer inadmissibles.
[38] Un voir-dire est tenu et le juge d’instance, dans un jugement écrit rendu le 5 mars 2018, déclare qu’il n’est pas nécessaire que l’enquêteur soit qualifié d’expert avant qu’il puisse témoigner et qu’aucune règle de preuve n’empêche le dépôt des rapports. Il reconnaît par ailleurs le droit de l’appelant de le contre-interroger et de présenter une preuve sur le contenu des perquisitions informatiques tout en rappelant aussi qu’il pourra formuler une objection si les questions posées lors de son interrogatoire en chef devaient dépasser le cadre factuel et relever véritablement d’une opinion.
[39] S’appuyant sur l’affaire Hamilton[3] et sur l’affaire Cyr[4], deux arrêts rendus par la Cour d’appel de l’Ontario en 2011 et 2012, le juge rappelle d’abord la distinction entre les faits et les inférences qui peuvent en être tirées. Il cite à cet égard les propos des auteurs David M. Paciocco, maintenant juge de la Cour d’appel de l’Ontario, et Lee Stuesser dans leur traité The law of Evidence[5] :
In the law of evidence, an opinion means an “inference from observed fact.” An inference from observed fact is different from the observed fact itself. A witness who says a wound was life-threatening, for example, is drawing an inference from observed fact and is therefore offering an opinion. If that same witness merely describes the wound – the carotid artery was severed – that witness is simply reporting an observed fact. This distinction between inferences and facts is important to the law of evidence, to the extent that it can be drawn. In our system of trial, it is the neutral, impartial trier of fact who is to determine what inferences or conclusions to draw from facts. The role of the witness is ordinarily to describe observed facts that the impartial trier of fact will use to draw his own inferences or conclusions. “A basic tenet of our law is [therefore] that the usual witness may not give opinion evidence, but testify only to facts within his knowledge, observation and experience”.
[Soulignements dans l’original; références omises]
[40] Soulignant ensuite l’évolution de la jurisprudence, il cite de nouveau Paciocco et Stuesser pour, cette fois, distinguer un témoignage d’opinion, qui doit être rendu par un expert, d’un témoignage factuel, mais technique, qui peut être rendu par un témoin ordinaire ayant une expérience ou des connaissances particulières dans ce domaine technique :
4.1(a) "Expert Opinion" or "Expert Evidence"
There is some uncertainty about the reach of the expert evidence rules. Traditionally, courts applied those rules whenever a witness purported to offer testimony that could not be offered without special training and experience. There is a growing body of authority, however, that the rules described below do not apply to witnesses who provide “factual” evidence. They apply solely where a witness with special training or knowledge is offering an “opinion”. On this standard, and using the illustration that opens this chapter, the expert evidence rules would have to be complied with if a medical doctor was to testify that a wound was life threatening, but not if a medical doctor was only going to describe the wound as a severed carotid artery or the depth of the wound or even the function of the carotid artery.
The proposition that the expert evidence rules do not apply to expert factual testimony was asserted unequivocally some years ago in obiter dictum in R. v. K (A.) by Charron J.A. (as she then was) but until recently, few cases said so with any clarity. Of late, the Ontario Court of Appeal drew this distinction in R. v. Hamilton and R. v. Cyr to uphold the admissibility of evidence from cellphone service provider employees who explained the principles that can be used to determine the proximity of cellphones to the particular cellphone towers that are relaying those calls. Objections to the admission of the evidence without satisfying the Mohan rule, described in section 4.2, “The Mohan Test for Admissibility” below in this chapter, were rejected because the evidence was “factual” and not “opinion” evidence.
[Soulignements dans l’original; références omises]
[41] Ayant établi ces distinctions, il analyse ce sur quoi portera le témoignage de l’enquêteur Piché et conclut que quoique celui-ci décrira une procédure technique, son témoignage ne semble pas devoir comporter d’opinion et demeurera factuel :
[17] En l’espèce, la poursuite entend faire témoigner M. Piché sur le contenu des perquisitions informatiques. Les ordinateurs saisis en 2016 et les données extraites lors de la perquisition subreptice de 2015 sont disponibles et seront intégralement produits en preuve par la poursuite. À ce stade des procédures, la preuve révèle que l’organisme d’enquête a mis en place une procédure afin de fouiller le contenu des ordinateurs et d’y repérer ce qui est pertinent. Aux yeux du Tribunal, bien que cette procédure soit technique, elle demeure néanmoins factuelle et ne constitue pas, au sens de la jurisprudence, une preuve d’opinion nécessitant que M. Piché soit qualifié d’expert. L’utilisation de logiciels ne change en rien cette conclusion. Ainsi, de manière générale, les gestes posés par M. Piché et ses collègues en lien avec les appareils et leur contenu constituent des faits et non une opinion.
[42] Ce témoignage s’échelonne sur un peu plus de 3 jours. Essentiellement, l’enquêteur Piché explique la façon dont les données contenues dans le matériel informatique saisi chez l’appelant ont été copiées, extraites puis catégorisées. Il décrit les étapes suivies, les logiciels utilisés et leur rôle, la classification effectuée et les constats réalisés par l’équipe d’enquêteurs ayant revu l’ensemble des fichiers pertinents. Il explique où étaient situés chacun des fichiers, à quand remontait leur création et la dernière modification qui leur avait été apportée. Il indique d’ailleurs que toute cette information se retrouvait sur les fichiers eux-mêmes.
[43] L’appelant, dans son mémoire, cite ces passages, qui démontreraient, selon lui, qu’il s’agit d’un témoignage portant sur des sujets techniques qui dépasse la connaissance d’office d’un tribunal et qui, ainsi, ne pouvait être rendu que par un expert :
[…] Donc, une fois que je prends toutes les données avec NUIX, NUIX, lui, me permet par le fait même de catégoriser ces données. Donc, je peux sélectionner les images, les vidéos, peu importe là où ils se trouvent sur le serveur, dans quel fichier, dans quel dossier. Je lui demande de me localiser l’ensemble des fichiers images, des fichiers vidéos et je vais utiliser un script qui est principal… qui est expressément fait pour ça. Donc, je les exporte de mon logiciel NUIX et je vais les importer dans le logiciel Netclean qui est un logiciel de catégorisation, comme je vous expliquais tout à l’heure, qui permet à un enquêteur de visionner simplement ces images-là ou ces vidéos-là et de leur donner une cote, soit 1, 2, 3 ou 4.
Suite à ça, une fois que les classifications sont faites par l’enquêteur, je vais récupérer les empreintes numériques et je vais demander à NUIX, mon logiciel à la base, de localiser tous ces fichiers-là dans le serveur courriel. Donc, c’est à ce moment-là qu’on détermine à quel endroit, si vous voulez, les fichiers de pornographie juvénile sont déterminés. Donc, en déterminant dans quel courriel, dans quelle boîte se trouvait la pornographie juvénile, ça a donné la première prémisse pour commencer à analyser le dossier. On a commencé par déterminer qui avait partagé ou qui avait reçu des fichiers graphiques ou animations de pornographie juvénile »
[…]
3Q. D’accord. Puis quand on consulte cette annexe-là, on regarde, si on prend ce document-là, pouvez-vous nous expliquer ce qu’on lit là?
7R. Oui, bien, premièrement, sur les détails de base…[…]
9R. …on va retrouver l’extension du fichier, donc on indique ici que c’est un fichier PDF, par exemple. Le Pathname, c’est à l’endroit où se trouvait le fichier dans la hiérarchie […]
16 […] Donc, on peut vraiment déterminer à quel endroit se trouvait le fichier qui est extrait dans lequel…
[…]
21 R. Sur le disque dur en question. Puis j’ai plein d’autres informations, comme la grosseur, est-ce que c’est effacé, la date de création, la date de modification, les empreintes alphanumériques, comme je disais. »
[…]
« La troisième étape, le système de fichiers. Dans le cas qui nous concerne pour ce disque-là, il y a un système NTFS, c’est un standard, le système pour se retrouver à l’intérieur des fichiers et pour garder en mémoire certaines métadonnées, notamment les dates de création, a besoin d’une structure.
[…] Comme ça, s’il a besoin de s’y référer, le logiciel va aller consulter sa table des matières, va pouvoir référer qu’à la page j’ai tels fichiers et en plus il va avoir certaines informations, notamment comment le fichier s’appelle, les dates de création, modification, est-ce que ce fichier est effacé ou non, c’est tout gardé dans la table des matières du disque, c’est pas propre au fichier, c’est propre au système de fichier
[44] À mon avis, ces passages ne relèvent pas du témoignage d’expert et l’analyse du juge quant à la recevabilité du témoignage de l’enquêteur est correcte.
[45] Il est important de distinguer, comme il l’a fait d’ailleurs, le témoignage d’opinion du témoignage technique, mais factuel. Le premier implique l’expression d’une opinion, qui, généralement, peut être contestée, alors que le second ne fait que rapporter des faits relevant de connaissances spécialisées, scientifiques ou techniques. Comme l’a écrit le regretté juge Lamer « les experts aident le juge des faits à arriver à une conclusion en appliquant à un ensemble de faits des connaissances scientifiques particulières, que ne possèdent ni le juge ni le jury, et en exprimant alors une opinion sur les conclusions que l’on peut en tirer »[6]. Ainsi, il est de l’essence même d’un témoignage d’expert qu’une opinion y soit exprimée[7].
[46] Quoique cette distinction existe depuis fort longtemps, le développement de la technologie, l’acquisition de connaissances en lien avec celle-ci et son utilisation dans le cadre d’enquêtes criminelles ont parfois rendu difficile de tracer la ligne entre le témoignage d’opinion, qui ne peut être rendu que par un expert, et le témoignage technique, mais malgré tout factuel.
[47] Ici, l’enquêteur Piché explique les étapes qui ont été suivies pour copier le contenu des appareils informatiques perquisitionnés, le classer et l’analyser. Il identifie les logiciels qui ont été utilisés et explique globalement la fonction de chacun, alors que rien au dossier ne permet de croire que ces logiciels soient controversés ou que leur fiabilité soit mise en doute.
[48] Certes, les passages identifiés par l’appelant démontrent que l’enquêteur Piché connaît bien l’informatique et les logiciels utilisés, qu’il sait comment ils fonctionnent et qu’il comprend les informations qu’ils contiennent, mais ils ne démontrent pas qu’il émet une quelconque opinion.
[49] À mon avis, la situation est fort semblable à celle qui prévalait dans l’affaire Rochette[8] (dont le juge d’instance n’avait pas le bénéfice) où l’appelant s’opposait au dépôt de l’ensemble des messages extraits d’un téléphone Blackberry et de ceux provenant d’un téléphone « flip » au motif que seul un expert pouvait témoigner des méthodes d’extraction et de la fiabilité des éléments de preuve récupérés. La Cour y a confirmé la décision du juge d’instance de rejeter l’opposition au motif que le témoin qui procédait au dépôt ne donnait aucune opinion sur l’interprétation des données extraites et se contentait de décrire les démarches effectuées afin de les extraire et les vérifications faites pour s’assurer de la bonne marche de l’exercice.
[50] Cela étant, je ne vois rien en l’espèce qui justifierait de conclure différemment.
[51] À ce stade, il me semble toutefois opportun de rappeler que le juge d’instance, prudent, a rejeté l’opposition formulée par l’appelant au début du témoignage de l’enquêteur tout en reconnaissant spécifiquement son droit de soulever des objections au cours de ce témoignage si des questions posées devaient dépasser le cadre factuel et relever véritablement d’une opinion. Quoique l’appelant en ait formulé quelques-unes, son appel ne porte pas sur celles-ci, mais bien sur celle, générale, qu’il a formulée dès le début du témoignage de l’enquêteur Piché.
[52] Je veux aussi souligner, bien que je n’aie pas à en décider vu ma conclusion sur l’admissibilité du témoignage de l’enquêteur Piché, qu’il m’apparaît que la preuve administrée en l’espèce était à ce point accablante qu’il aurait été impossible, même en faisant abstraction de ce témoignage, de rendre un autre verdict. De ce fait, si j’avais conclu à l’inadmissibilité de ce témoignage, j’aurais vraisemblablement appliqué la disposition réparatrice prévue à l’article 686 (1)a)iii) C.cr.
[53] Reprenant les propos du juge voulant que « le test en trois étapes [doive] être appliqué uniquement sur les chefs pour lesquels l’accusé a choisi de témoigner [9]», l’appelant lui reproche également de ne pas avoir appliqué le cadre d’analyse de W.(D.)[10] aux chefs à l’égard desquels il n’a pas témoigné (les chefs 1, 3 et 5 à 11), mais pour lesquels il a fourni une déclaration extrajudiciaire qu’il estime en partie disculpatoire. Dans la mesure où le ministère public a déposé cette déclaration extrajudiciaire en preuve, elle vaut, en effet, tant pour les portions disculpatoires qu’inculpatoires et, ainsi, le juge, plaide-t-il, aurait dû suivre les trois étapes établies par W.(D.), comme il l’a fait pour les chefs d’accusation à l’égard desquels il a témoigné.
[54] Quoique l’appelant ait raison de reprocher au juge d’avoir écrit que le cadre d’analyse prescrit par W.(D.) ne s’appliquait qu’aux chefs à l’égard desquels il a témoigné, j’estime que ce moyen n’est pas davantage fondé que le précédent puisque, malgré ces propos, le juge a considéré la déclaration extrajudiciaire de l’appelant et a bien appliqué le fardeau de preuve.
[55] Il est maintenant bien établi que W.(D.) s’applique lorsqu’un accusé choisi de ne pas témoigner à son procès, mais qu’une déclaration extrajudiciaire qu’il a faite antérieurement et qui peut comporter des éléments exculpatoires est mise en preuve par la poursuite.[11]
[56] Je rappelle également que la Cour suprême a suggéré d’inclure dans une directive la démarche qui y est décrite afin d’éviter qu’un jury confronté à des versions contradictoires succombe à la tentation de choisir celle qu’il croit être la plus plausible et qu’il conclue ainsi à la culpabilité de l’accusé dès lors qu’il ne retient pas sa version[12]. Cette démarche, je le rappelle aussi, n’est pas une formule sacro-sainte et le cadre d’analyse qui y est proposé n’est pas rigide[13], ce qui est particulièrement vrai lorsque le procès se déroule devant un juge seul, sans la présence d’un jury. Dans un tel cas, l’important est que le juge analyse l’ensemble de la preuve, puis détermine si le ministère public s’est déchargé de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.
[57] Or, ici, les motifs du jugement entrepris démontrent que c’est ce qu’il a fait.
[58] Le juge savait qu’il existait une déclaration extrajudiciaire disculpatoire et il en a tenu compte. Il y fait d’ailleurs spécifiquement référence à quelques reprises. Il est vrai qu’il en retient essentiellement des éléments inculpatoires, mais l’appelant ne démontre aucunement que ce faisant il aurait erronément ignoré des aspects disculpatoires qui auraient pu avoir un impact sur le verdict rendu et cela à l’égard de quelque chef que ce soit. Il m’apparaît d’ailleurs que les extraits qu’il met en exergue peuvent difficilement être qualifiés de disculpatoires, particulièrement lorsque l’on considère l’intégralité de sa déclaration.
[59] Quoi qu’il en soit, les motifs du juge démontrent qu’il a bien identifié le fardeau qui incombait au ministère public et qu’il l’a appliqué. Il écrit d’ailleurs quant aux chefs pour lesquels l’appelant n’a pas témoigné, que l’exercice auquel il doit se livrer est celui de se demander si la culpabilité de l’accusé a été démontrée hors de tout doute raisonnable[14].
[60] Je suis donc d’avis qu’aucune intervention de la Cour n’est requise.
[61] L’appelant conteste aussi la déclaration de délinquant à contrôler et la durée de la surveillance qui a été fixée à 10 ans. Il fait valoir que l’ensemble de la preuve ne permet pas de conclure qu’il a commis plusieurs actes répétitifs sans s’amender, ce qui aurait pu rendre probable qu’il continue à agir de façon à causer des sévices ou des dommages psychologiques graves. Décrivant son profil de délinquant, il souligne que les délits sexuels qu’il a commis sur des mineurs sont anciens, qu’il n’y a eu aucune récidive depuis au moins 2001 et que c’est la première fois qu’il est accusé d’infractions en lien avec de la pornographie juvénile. Quant à la durée des infractions dans le temps elle est, plaide-t-il, insuffisante pour satisfaire la présomption légale de l’existence d’un risque élevé de récidive.
[62] Il ajoute ensuite que même si la Cour devait retenir que la présomption légale s’applique, elle a été repoussée par la preuve d’experts qui a été administrée. S’affairant à décortiquer toutes les expertises et tous les témoignages de leurs auteurs, et accordant une portée fort limitée au rapport de l’agent de probation, il soutient que ceux-ci s’accordent pour dire que son risque de récidive est faible. Il reconnaît ne pas être prêt à renoncer à son militantisme, mais affirme qu’il ne s’y livrera que dans un cadre légal. Par conséquent, plaide-t-il, l’appréciation que le juge de première instance a faite de la preuve est déraisonnable.
[63] Finalement, il soutient que le juge aurait dû justifier davantage sa décision d’imposer une surveillance pour la durée maximale possible de dix ans et propose plutôt que celle-ci soit de seulement une année.
[64] Qu’en est-il de ces reproches?
[65] L’article 759 (1)C.cr. permet au délinquant déclaré dangereux ou à contrôler d’interjeter appel :
759 (1) Le délinquant déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler peut interjeter appel à la cour d’appel de toute décision rendue sous le régime de la présente partie, sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait. | 759 (1) An offender who is found to be a dangerous offender or a long-term offender may appeal to the court of appeal from a decision made under this Part on any ground of law or fact or mixed law and fact.
|
[66] Saisie d’un tel appel, il est établi qu’une cour d’appel doit généralement se demander si la déclaration de délinquant à contrôler est raisonnable[15], ce qui veut dire qu’elle doit exercer un contrôle « un peu plus vigoureux » que celui qu’elle exerce à l’égard d’une décision rendue en matière de peine[16]. Alors que l’existence d’une erreur de droit justifie généralement une ordonnance de nouvelle audition, sauf si cette erreur n’a donné lieu à aucun tort important ni à aucune erreur judiciaire grave[17], en l’absence d’une telle erreur les tribunaux d’appel ne doivent intervenir que si la déclaration prononcée était déraisonnable. Ils doivent d’ailleurs faire preuve d’une grande retenue[18].
[67] L’article 753 (1) C.cr., quant à lui, établit les circonstances permettant à un tribunal de déclarer un contrevenant délinquant à contrôler et de l’assujettir à une surveillance de longue durée :
753 (1) Sur demande faite, en vertu de la présente partie, postérieurement au dépôt du rapport d’évaluation visé au paragraphe 752.1(2), le tribunal doit déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux s’il est convaincu que, selon le cas :
a) l’infraction commise constitue des sévices graves à la personne, aux termes de l’alinéa a) de la définition de cette expression à l’article 752, et que le délinquant qui l’a commise constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental de qui que ce soit, en vertu de preuves établissant, selon le cas :
(i) que, par la répétition de ses actes, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre qu’il est incapable de contrôler ses actes et permet de croire qu’il causera vraisemblablement la mort de quelque autre personne ou causera des sévices ou des dommages psychologiques graves à d’autres personnes,
(ii) que, par la répétition continuelle de ses actes d’agression, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre une indifférence marquée quant aux conséquences raisonnablement prévisibles que ses actes peuvent avoir sur autrui,
(iii) un comportement, chez ce délinquant, associé à la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, d’une nature si brutale que l’on ne peut s’empêcher de conclure qu’il y a peu de chance pour qu’à l’avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement;
b) l’infraction commise constitue des sévices graves à la personne, aux termes de l’alinéa b) de la définition de cette expression à l’article 752, et que la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, démontre son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles et laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes. | 753 (1) On application made under this Part after an assessment report is filed under subsection 752.1(2), the court shall find the offender to be a dangerous offender if it is satisfied
(a) that the offence for which the offender has been convicted is a serious personal injury offence described in paragraph (a) of the definition of that expression in section 752 and the offender constitutes a threat to the life, safety or physical or mental well-being of other persons on the basis of evidence establishing
(i) a pattern of repetitive behaviour by the offender, of which the offence for which he or she has been convicted forms a part, showing a failure to restrain his or her behaviour and a likelihood of causing death or injury to other persons, or inflicting severe psychological damage on other persons, through failure in the future to restrain his or her behaviour,
(ii) a pattern of persistent aggressive behaviour by the offender, of which the offence for which he or she has been convicted forms a part, showing a substantial degree of indifference on the part of the offender respecting the reasonably foreseeable consequences to other persons of his or her behaviour, or
(iii) any behaviour by the offender, associated with the offence for which he or she has been convicted, that is of such a brutal nature as to compel the conclusion that the offender’s behaviour in the future is unlikely to be inhibited by normal standards of behavioural restraint; or
(b) that the offence for which the offender has been convicted is a serious personal injury offence described in paragraph (b) of the definition of that expression in section 752 and the offender, by his or her conduct in any sexual matter including that involved in the commission of the offence for which he or she has been convicted, has shown a failure to control his or her sexual impulses and a likelihood of causing injury, pain or other evil to other persons through failure in the future to control his or her sexual impulses. |
[68] Ainsi, pour conclure à un risque élevé de récidive, l’alinéa 753.1(2)b) exige que le tribunal soit convaincu hors de tout doute raisonnable que le contrevenant causera vraisemblablement des sévices. Cela étant, il n'a pas à conclure qu’il y aura certainement récidive[19], une récidive probable suffit[20]. En matière d’infractions d’ordre sexuel, il est aussi utile de rappeler qu’il n’est pas nécessaire que le risque de récidive implique un « contact sexuel », la notion de « sévices ou autres maux » étant suffisamment large pour inclure des infractions de pornographie juvénile[21].
[69] Une fois cette étape franchie, la jurisprudence reconnaît que la présence d’un risque de récidive crée une présomption, qui peut toutefois être repoussée[22]. Ainsi, avant de prononcer une déclaration de délinquant à contrôler, le juge doit considérer l’ensemble de la preuve. Il doit certes tenir compte des rapports d’experts déposés et en apprécier la force probante, mais il peut aussi considérer les circonstances des infractions et le contexte dans lequel elles ont été perpétrées, le comportement délictuel et les antécédents du contrevenant ainsi que son profil psychologique. Quoique les juges accordent souvent beaucoup de poids aux expertises lorsqu’ils apprécient la preuve, il demeure qu’ils doivent la considérer dans son ensemble et qu’il leur revient de décider du poids à accorder à chacun de ses éléments[23].
[70] Tout comme la déclaration de délinquant à contrôler, la durée de la surveillance doit aussi être considérée en appel sous l’angle de la raisonnabilité[24].
[71] En l’espèce, le juge conclut que « la conduite antérieure de l’accusé dans le domaine sexuel laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir des sévices ou autres maux à d’autres personnes », ce qui répond à l’exigence édictée au sous-alinéa 753.1(2)b)(ii) C.cr. Contrairement à ce que l’appelant semble comprendre, il ne s’appuie pas sur la notion d’acte répétitif mentionné au sous-alinéa 753.1(2)b)(i) C.cr.
[72] Il résume l’historique et le profil de l’appelant, son comportement délictuel ainsi que les circonstances entourant la perpétration des infractions :
[184] Rappelons de nouveau que dans un intervalle de près de 40 ans, l’accusé a commis plusieurs crimes à caractère sexuel, tous en lien avec des mineurs. Il a d’abord commis les gestes à l’endroit de X puis ceux à l’endroit du jeune scout au milieu des années 80. En dépit de son arrestation, de sa condamnation et de la peine imposée en 1986 pour ce dernier événement, l’accusé a continué de commettre des infractions dans les années qui ont suivi.
[185] Entre 1999 et 2001, il a été embauché par un foyer d’accueil pour jeunes garçons et a commis des attouchements à l’endroit de Y. Il s’est ensuite pleinement investi dans le mouvement BL pendant près de 16 ans. Il a fondé une organisation dont l’objectif est de valoriser la pédophilie et a tissé des liens avec de nombreux pédophiles de divers horizons. Il a mis en place un service de courriel sécurisé permettant aux pédophiles d’échanger entre eux. Il a usé de ses capacités persuasives pour conseiller d’autres pédophiles dans la commission d’infractions. Il a commis des infractions de pornographie juvénile et a dirigé les activités de WebBLeu jusqu’à son arrestation en 2016. Au moment de son arrestation, il travaillait par ailleurs à mettre sur pied une activité (Garçons Dragons) destinée aux jeunes garçons.
[186] La preuve révèle que l’accusé est atteint de distorsions cognitives toujours très ancrées en lui. Il affiche une attirance sexuelle déviante qu’il rationalise auprès de ses interlocuteurs. Il affirme ne pas avoir l’intention de rompre avec le mouvement BL, ce qui est un élément particulièrement préoccupant. Il ressort aussi de la preuve que sa remise en question est extrêmement limitée et que les regrets qu’il formule sont d’une sincérité douteuse et problématique.[25]
[73] Pour paraphraser les propos récents de la juge Bich dans l’affaire Lévesque Paquette, il a examiné, considéré et soupesé les différents rapports afin de déterminer la nature et le degré du risque de récidive de l’appelant[26].
[74] L’appelant s’en prend essentiellement à l’appréciation que le juge a faite des différentes expertises déposées. Sans pointer d’erreur manifeste et déterminante, il demande à la Cour de réexaminer cette preuve et de retenir l’évaluation que les Drs Morissette et Gagné et la criminologue Marie-Pierre Houde ont faite du risque de récidive. Dans la mesure où l’appelant ne démontre pas que cette déclaration de délinquant à contrôler ou sa durée soit déraisonnable, ce n’est pas le rôle de la Cour.
[75] Finalement, l’appelant attaque l’ordonnance lui interdisant d’utiliser Internet pour une période de 15 ans qui, selon lui, est injuste et inappropriée. Il ne conteste pas le bien‑fondé de l’ordonnance, mais bien plutôt son caractère absolu, plaidant qu’une ordonnance stricte lui interdisant d’utiliser Internet à des fins récréatives, pour accéder à des sites de médias sociaux, des réseaux sociaux, ou des forums de discussion ainsi qu’à tout contenu contrevenant aux lois en vigueur pour une période de dix ans serait suffisante et appropriée. La preuve d’expert, selon lui, démontre d’ailleurs qu’il est capable de respecter les règles de la société et que l’utilisation d’Internet est susceptible de favoriser sa réhabilitation.
[76] L’intimé pour sa part rétorque qu’il n’identifie aucune erreur de principe. Le juge de première instance, dit-il, n’a pas ignoré l’importance d’Internet dans la vie contemporaine, mais a plutôt considéré que d’autres facteurs pressants militaient pour une interdiction totale suffisamment longue. Une interdiction balisée n’est pas une option réaliste selon lui.
[77] Il rappelle les principes applicables en la matière et met l’accent sur l’objectif de protection des enfants contre toute violence sexuelle et souligne à nouveau le haut degré de discrétion dont bénéficie le juge d’instance et le pouvoir limité d’une cour d’appel à cet égard.
***
[78] Le juge justifie l’interdiction prononcée en rappelant essentiellement qu’Internet a été au cœur des infractions commises par l’appelant au cours des 20 dernières années et qu’il a acquis des connaissances très pointues pour éviter d’être détecté par la police. Selon lui, les risques associés à une utilisation illégale d’Internet sont « extrêmement présents et préoccupants et ne peuvent être assumés par la société en général »[27].
[79] Ce choix d’imposer une telle ordonnance relève d’un « pouvoir hautement discrétionnaire »[28], comme le plaide l’intimé. Comme pour toute peine, l’intervention en appel est limitée et n’est possible que si l’ordonnance est manifestement non indiquée ou si une erreur de principe a été commise et a eu une incidence[29].
[80] Je rappelle les termes de l’alinéa 161(1)d) C.cr. qui édicte la possibilité pour le tribunal de prononcer une telle ordonnance et qui lui laisse le soin d’en déterminer la durée :
Ordonnance d’interdiction
161 (1) Dans le cas où un contrevenant est déclaré coupable, ou absous en vertu de l’article 730 aux conditions prévues dans une ordonnance de probation, d’une infraction mentionnée au paragraphe (1.1) à l’égard d’une personne âgée de moins de seize ans, le tribunal qui lui inflige une peine ou ordonne son absolution, en plus de toute autre peine ou de toute autre condition de l’ordonnance d’absolution applicables en l’espèce, sous réserve des conditions ou exemptions qu’il indique, peut interdire au contrevenant :
[…]
d) d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, à moins de le faire en conformité avec les conditions imposées par le tribunal.
Le tribunal doit dans tous les cas considérer l’opportunité de rendre une telle ordonnance. […] | Order of prohibition
161 (1) When an offender is convicted, or is discharged on the conditions prescribed in a probation order under section 730, of an offence referred to in subsection (1.1) in respect of a person who is under the age of 16 years, the court that sentences the offender or directs that the accused be discharged, as the case may be, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence or any other condition prescribed in the order of discharge, shall consider making and may make, subject to the conditions or exemptions that the court directs, an order prohibiting the offender from
[…]
(d) using the Internet or other digital network, unless the offender does so in accordance with conditions set by the court.
[…]
|
Durée de l’interdiction
(2) L’interdiction peut être perpétuelle ou pour la période que le tribunal juge souhaitable, auquel cas elle prend effet à la date de l’ordonnance ou, dans le cas où le contrevenant est condamné à une peine d’emprisonnement, à celle de sa mise en liberté à l’égard de cette infraction, y compris par libération conditionnelle ou d’office, ou sous surveillance obligatoire. | Duration of prohibition
(2) The prohibition may be for life or for any shorter duration that the court considers desirable and, in the case of a prohibition that is not for life, the prohibition begins on the later of
(a) the date on which the order is made; and
(b) where the offender is sentenced to a term of imprisonment, the date on which the offender is released from imprisonment for the offence, including release on parole, mandatory supervision or statutory release. |
[81] Dans l’arrêt R. c. K.R.J., la Cour suprême a eu l’occasion de considérer et d’exposer les effets, tant préjudiciables que bénéfiques, d’une interdiction d’utiliser Internet. Voici ce qu’elle écrit :
[98] Les effets préjudiciables de l’application rétrospective de l’al. 161(1)d) sont eux aussi importants. L’interdiction totale « d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique » — un outil indispensable de la vie moderne, de même qu’une voie de participation à la démocratie — constitue un plus grand empiétement que l’interdiction antérieure « d’utiliser un ordinateur [. . .] dans le but de communiquer » avec de jeunes personnes. Il en résulte une atteinte importante au droit à la liberté. Dès lors, l’application rétrospective de l’al. 161(1)d) peut faire considérablement obstacle à la pleine participation du contrevenant à la société, ce qui est susceptible d’avoir de grandes conséquences socio-économiques.
[…]
[113] En ce qui concerne les effets bénéfiques, le dossier indique qu’Internet est de plus en plus utilisé pour commettre des infractions sexuelles contre des jeunes et que les délinquants sexuels qui s’en prennent à des enfants sont plus susceptibles de récidiver que les autres délinquants sexuels. L’évolution de la technologie ou les risques généraux liés à la récidive — des facteurs au large spectre susceptibles d’être associés à de nombreuses infractions — ne sont pas seuls en cause. En fait, la nature et le degré du risque auquel s’exposent certains des membres les plus vulnérables de notre société ont radicalement changé depuis 2002, l’année de la modification précédente du par. 161(1). La technologie et la prolifération des cybercollectivités de médias sociaux ont accru le degré du risque auquel sont exposés les jeunes personnes, de sorte que de nouvelles incitations et de nouvelles avenues amènent le contrevenant à persister dans son comportement criminel. L’interdiction antérieure n’était plus adaptée à l’évolution du risque, alors que la nouvelle — correspondant à l’al. 161(1)d) et dont la portée est accrue — peut réduire la viabilité de ces avenues. Bien qu’il demeure difficile de quantifier les effets bénéfiques précis de l’application rétrospective de l’al. 161(1)d), ses effets bénéfiques me paraissent tout à fait tangibles et convaincants.[30]
[82] La Cour, pour sa part, a reconnu que plusieurs facteurs doivent également être considérés par le juge d’instance pour décider de l’opportunité et de la durée d’une ordonnance prononcée en vertu du paragraphe 161(1) C.cr. :
[17] Il convient ici de rappeler les principaux facteurs que le juge doit avoir à l'esprit au moment de décider de l'opportunité et de la durée d'une ordonnance d'interdiction régie par l'article 161 (1) C.cr. Dans R. v. R.K.A., la Cour d'appel d'Alberta dresse une liste non exhaustive de ces facteurs :
1) la nature de l'infraction;
2) les circonstances de la commission de l'infraction : sa sévérité, sa durée, le nombre de victimes et l'impact sur les victimes;
3) les antécédents du contrevenant pour des infractions similaires et, inversement, le fait que le contrevenant ait un dossier criminel sans tache et qu'il s'agisse d'un comportement aberrant et exceptionnel de sa part;
4) les risques de récidive du contrevenant;
5) l'âge et la vulnérabilité des victimes;
6) les similitudes entre l'ordonnance à rendre et l'infraction commise, plus particulièrement si le contrevenant travaillait auprès d'enfants et a profité de sa situation d'autorité pour commettre l'infraction reprochée; et
7) le fait que le contrevenant n'accepte pas sa responsabilité pour ses gestes, qu'il ne démontre pas de remords, qu'il ne comprenne pas le sérieux de ses gestes ou, encore, qu'il soit réticent à suivre une thérapie.[31]
[Renvois omis]
[83] Dans l’arrêt Rodrigue c. R.[32], dont le juge de première instance n’avait toutefois pas le bénéfice puisqu’il a été rendu en 2021, la Cour fait état de trois considérations additionnelles :
[30] La première concerne la gravité des infractions d’ordre sexuel contre les enfants et l’importance qu’elle soit reflétée dans les peines imposées par les tribunaux. La Cour suprême l’a récemment rappelé dans l’arrêt Friesen :
[N]ous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités. Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes. Les tribunaux doivent infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants et au degré de responsabilité du délinquant, à la lumière des initiatives du législateur en matière de détermination de la peine et du fait que la société comprend mieux le caractère répréhensible et la nocivité de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Les peines doivent être le reflet fidèle du caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants de même que du tort profond et continu qu’elle cause aux enfants, aux familles et à la société en général.
[31] La deuxième considération est l’importance de la place qu’Internet a acquise dans la vie contemporaine. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt K.R.J. :
Empêcher le contrevenant d’avoir accès à Internet sur le fondement de l’al. 161(1)d) équivaut à le tenir à l’écart d’un élément de plus en plus essentiel à la vie quotidienne :
[traduction] Internet est désormais au centre de l’activité humaine dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’éducation ou du commerce, voire des loisirs. Ce n’est plus une simple fenêtre sur le monde. Pour un nombre croissant de personnes, Internet est leur monde, un endroit où l’on peut faire presque tout ce que l’on a besoin de faire ou que l’on souhaite faire. La toile offre la possibilité virtuelle de magasiner, de faire des rencontres, d’échanger avec les amis et la famille, de mener ses activités, de réseauter et de trouver un emploi, d’effectuer des opérations bancaires, de lire le journal, de regarder des films et de suivre des cours. [En italique dans l’original; notes en bas de page omises.]
(B. A. Areheart et M. A. Stein, « Integrating the Internet » (2015), 83 Geo. Wash. L. Rev. 449, p. 456)
[32] La troisième considération est que, bien que les ordonnances d’interdiction rendues en vertu du paragraphe 161(1) C.cr. puissent être modifiées — à la demande du ministère public ou du contrevenant — si cela s’avère souhaitable en raison d’un changement de circonstances, il faut se garder d’y voir une raison d’adopter une approche moins rigoureuse au moment de rendre l’ordonnance initiale. En effet, comme le souligne à juste titre la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Brar :
While I acknowledge, as noted by the Crown, that the court has the power to vary a s. 161 order on application of the offender or prosecutor, such a variation requires a change of circumstance and imposes a significant burden on the offender. Variation of prohibition orders under s. 161(3) is not a matter of course but requires a full hearing. The fact that s. 161 orders may later be varied does not justify imposing orders that create overbroad or unreasonable restrictions on an individual’s liberty.
[Références omises]
[84] Récemment, dans l’affaire Lapierre Goulet[33], notre Cour ajoute :
[19] Les deux premières considérations illustrent une certaine tension qui doit être conciliée entre les impératifs soulignés par la Cour suprême dans les arrêts Friesen et K.R.J. D’une part, la peine doit refléter la gravité de l’infraction d’ordre sexuel contre un enfant et le protéger et, d’autre part, les modalités de l’ordonnance doivent être sensibles à l’importance d’Internet dans la vie moderne sans quoi la réhabilitation du contrevenant est compromise.
[20] L’interdiction à perpétuité est réservée aux cas de risques élevés de récidive.
[21] L’interdiction totale est rarement préconisée même après l’arrêt Friesen. L’étude de la jurisprudence permet, au contraire, de constater une préférence pour les nuances dans les modalités d’une interdiction d’utiliser Internet. Il faut réaliser que, lorsqu’elle est totale, l’interdiction tient la personne ciblée à l’écart d’un élément de plus en plus essentiel à la vie quotidienne. Ainsi, l’ordonnance est généralement libellée de manière à limiter la portée de l’interdiction :
(i) soit en prohibant l’utilisation d’Internet à des fins récréatives ou sans logiciel de surveillance, l’accès aux réseaux sociaux, la communication avec une personne de moins de 16 ans ou de 18 ans, la contravention aux lois en vigueur, l’accès à la pornographie de tout type, l’usage de plus d’une adresse courriel ou de logiciels masquant l’historique;
(ii) soit en permettant l’utilisation d’Internet aux fins du travail, de la communication avec les membres, même mineurs, de la famille, de la communication avec un conseiller juridique.
[Soulignement dans l’original; références omises]
[85] Finalement, je retiens de cette jurisprudence récente que l’ordonnance doit être soigneusement adaptée à la situation particulière du contrevenant et être assortie de conditions permettant raisonnablement de réduire le risque qu’il représente pour la société en général, et les enfants en particulier[34]. Tout comme celles accompagnant une ordonnance de probation, ces conditions ne doivent être ni trop vagues ni si difficiles à suivre qu’elles entraîneront un manquement presque certain[35].
[86] Ici, le juge a estimé qu’une longue période d’interdiction était nécessaire et je ne vois aucune raison pour la Cour d’intervenir. L’appelant n’avance d’ailleurs aucun argument spécifique pour justifier une réduction de la durée de l’interdiction. Étant donné les circonstances particulières de la présente affaire, surtout le fait que l’appelant soit pédophile, ou encore pédéraste selon ses propres dires, que ses distorsions cognitives sont bien ancrées et qu’il souhaite toujours soutenir et s’impliquer dans le mouvement BL, interdire l’usage d’Internet pour une aussi longue période m’apparaît raisonnable.
[87] Cela dit, l’interdiction prononcée est absolue et ne prévoit aucune exception alors que comme le soulignait le juge Rouleau dans l’arrêt R. v. Brar[36] l’accès à l’Internet est devenu essentiel pour plusieurs fins légitimes (par exemple obtenir certains services, prendre des rendez-vous, avoir accès à son dossier de santé, recevoir certaines confirmations). L’ordonnance s’écarte donc de l’approche modulée préconisée par la jurisprudence récente dont, je le rappelle, le juge n’avait pas le bénéfice[37].
[88] Dans ces circonstances, j’estime qu’il est nécessaire de moduler l’ordonnance prononcée pour permettre à l’appelant d’utiliser Internet dans certaines circonstances, mais en encadrant cet usage de conditions strictes.
[89] Ainsi, je suggère que la Cour modifie le paragraphe [205] du jugement sur la peine pour qu’il se lise dorénavant ainsi :
[205] En vertu de l’article 161 du Code criminel, le Tribunal INTERDIT à l’accusé :
de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire, et ce, à perpétuité;
de chercher, d’accepter ou de garder un emploi - rémunéré ou non - ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans, et ce, à perpétuité;
d’avoir des contacts - notamment communiquer par quelque moyen que ce soit - avec une personne âgée de moins de seize ans, et ce, à perpétuité; et
d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, et ce, pour une période de 15 ans, à moins de le faire en conformité avec les conditions suivantes :
[90] Je recommande donc à la Cour de rejeter l’appel du verdict sur la culpabilité et celui portant sur la déclaration de délinquant à contrôler, d’accueillir la requête en autorisation d’appel de la peine et d’accueillir en partie seulement l’appel de la peine à la seule fin de moduler l’ordonnance de ne pas utiliser Internet.
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MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
[1] R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.
[2] R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.
[3] R. v. Hamilton, 2011 ONCA 399.
[4] R. v. Cyr, 2012 ONCA 919.
[5] D.M. Pacocco et L. Stuesser, The Law of Evidence, 7e éd., Toronto, Irwin Law, 2015.
[6] R. c. Howard, [1989] 1 R.C.S. 1337, paragr. 1348.
[7] Dans certaines circonstances des témoins de fait peuvent aussi être autorisés à exprimer une opinion, mais il ne s’agit pas de cela ici. Voir notamment Graat c. R. [1982] 2 R.C.S. 819, paragr. 837 et 838; Hunt (Litigation Guardian of) v. Sutton Group Incentive Realty Inc., 2002 CanLII 45019.
[8] Rochette c. R., 2022 QCCA 58.
[9] Jugement sur la culpabilité, paragr. 121.
[10] R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.
[11] Voir notamment R. c. Marki, 2021 ONCA 83; Vollant c. R., 2011 QCCA 1309; R. v. Sanhueza, 2020 BCCA 279.
[12] Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2022, no. 34.42.
[13] R. c. Dinardo, [2008] 1 R.C.S. 788, paragr. 23.
[14] Jugement sur la culpabilité, paragr. 121.
[15] R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260, paragr. 33; Elizée c. R., 2022 QCCA 852 paragr. 47 et Duperron c. R., 2021 QCCA 832, paragr. 42-43.
[16] L’expression est celle du juge Cromwell dans R. c. Sipos, 2014 CSC 47, paragr. 26.
[17] Duperron c. R., 2021 QCCA 832, paragr. 42-43 citant Francoeur c. R., 2018 QCCA 1988.
[18] Yombo c. R., 2020 QCCA 1738, paragr. 87, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 16 décembre 2021, no 39725.
[19] R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260.
[20] M.L. c. R., 2010 QCCA 395, paragr. 14.
[21] R. c. Rhode, 2019 SKCA 17, paragr. 59-61, demande d’autorisation à la Cour suprême rejetée, 27 juin 2019, no 38582.
[22] Lévesque Paquette c. R., 2022 QCCA 1047, paragr. 34.
[23] Morin c. R., 2019 QCCA 176, paragr. 11.
[24] Morin c. R., 2019 QCCA 176, paragr. 13, citant R. c. Wilton, 2016 SKCA 131, paragr. 35 ainsi que Francoeur c. R., 2018 QCCA 1988, paragr. 30-33.
[25] Jugement sur la peine, paragr. 184-186.
[26] Lévesque Paquette c. R., 2022 QCCA 1047, paragr. 31.
[27] Jugement sur la peine, paragr. 191-198.
[28] R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, paragr. 72.
[29] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 41 et 44. Voir aussi : Lapierre Goulet c. R., 2022 QCCA 924, paragr. 8; R. v. Durigon, 2021 ONCA 775, paragr. 5; Perron c. R., 2015 QCCA 601, paragr. 36.
[30] R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, paragr. 98 et 113.
[31] J.L. c. R., 2011 QCCA 1847, paragr. 17, repris dans Lapierre Goulet c. R., 2022 QCCA 924, paragr. 17 et Rodrigue c. R., 2021 QCCA 456, paragr. 27.
[32] Rodrigue c. R., 2021 QCCA 456, paragr. 30-32.
[33] Lapierre Goulet c. R., 2022 QCCA 924, paragr. 19-21. Voir aussi : Perron c. R., 2015 QCCA 601, paragr. 36.
[34] R. c. Schulz, 2018 ONCA 598, paragr. 41, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 16 avril 2020, no 39033.
[35] Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2023, no. 48.28.
[36] R. v. Brar, 2016 ONCA 724, paragr. 24.
[37] Voir : Lapierre Goulet c. R., 2022 QCCA 924; Rodrigue c. R., 2021 QCCA 456; Perron c. R., 2015 QCCA 601; Voir aussi : R. v. Durigon, 2021 ONCA 775; R. v. Hagen, 2021 BCCA 208; R. v. S.C.W., 2020 BCCA 377; R. v. Cooper, 2019 ONCA 953; R. v. Brar, 2016 ONCA 724.
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