Arcuri c. Coopérative Belles-Fleurs |
2020 QCTAL 3057 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
||||||
Bureau dE Longueuil |
||||||
|
||||||
No dossier : |
445018 37 20190225 G |
No demande : |
2699173 |
|||
|
|
|||||
Date : |
28 septembre 2020 |
|||||
Devant le juge administratif : |
Marc C. Forest |
|||||
|
||||||
Patricia Arcuri |
|
|||||
Locataire - Partie demanderesse |
||||||
c. |
||||||
Coopérative Belles-Fleurs |
|
|||||
Locatrice - Partie défenderesse |
||||||
|
||||||
D É C I S I O N
|
||||||
Introduction
[1] La locatrice et la locataire sont liées par bail qui se termine au mois de juin 2021. Le loyer indiqué au bail est de 396 $.
[2] La locataire réclame une diminution de loyer puisqu'elle dit qu'elle n'a pas la pleine jouissance de son logement parce que la locatrice ne fait rien pour régler une situation problématique.
[3] Elle réclame également, des dommages punitifs ou exemplaires de 1 000 $, des dommages moraux de 2 000 $, ainsi que de lui permettre de jouir de son logement sans recevoir de menace.
Questions juridiques
[4] La situation que vit la locataire l'empêche-t-elle de jouir pleinement de son logement? Si oui, à combien s'évalue cette perte de jouissance?
[5] Le comportement de la locatrice envers la locataire lui donne-t-il droit à des dommages?
Analyse
[6] La locataire explique au Tribunal les problèmes qu'elle vit à son logement comme suit :
[7] La locataire habite le logement depuis quatre ans. Son logement de quelques décennies est situé au rez-de-chaussée où elle habite seule depuis plus d’un an. Auparavant son fils habitait avec elle.
[8] Elle se plaint tout particulièrement que son logement est mal isolé et entend tous les autres locataires qui passent dans le corridor longeant son logement, de même que ceux qui courent dans les escaliers. Cette situation se reproduit de façon régulière à toutes les semaines.
[9] Elle se plaint également des odeurs de fumée et de cannabis qui viennent de l’extérieur ainsi que d’un autre logement qui se répandent dans son logement.
[10] Ces propos ont été corroborés par son fils et son père.
[11] Elle se plaint de souffrir de racisme en racontant tout particulièrement un événement survenu suite au dépôt de la présente demande auprès du tribunal. Suite à ce dépôt, le président de la coopérative lui aurait dit : « ma tabernacle je vais te faire partir d’ici avec ton petit crisse de nègre. »
[12] Alors qu’elle se plaignait de ne pouvoir dormir, le président de la coopérative lui aurait mentionné qu’elle n’a qu’à dormir de jour puisqu’elle ne travaille pas.
[13] Elle précise également que sa boîte aux lettres a été brisée et qu’elle a perdu du courrier.
[14] En réponse aux arguments de la locataire, la locatrice expose sa version des faits :
[15] La présidente de la coopérative a témoigné à l’effet qu’elle n’a jamais tenu de propos racismes. Il a également été mentionné qu’au fil des années la coopérative a investi beaucoup dans le logement de la locataire.
[16] Concernant la boîte aux lettres endommagée, il a dit que c’était le cas de plusieurs locataires et qu’après avoir installé une caméra, ils ont découvert la personne qui s’amusait à faire ces bris. Depuis ce temps il n’y a pas de problème avec les boîtes aux lettres et le courrier.
[17] Concernant le cannabis, il confirme en consommer pour soulager ses douleurs à la tête.
[18] Le Tribunal croit nécessaire de reproduire les articles pertinents du Code civil du Québec :
« 1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.
Le bail est à durée fixe ou indéterminée. »
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
Diminution de loyer
[19] Au sujet de la diminution de loyer, le Tribunal souscrit à l'opinion de Me Gilles Joly dans l'affaire Gagné c. Larocque :
« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »
[20] Avec la preuve obtenue et l'application de la loi, le Tribunal croit que la locataire a droit à une diminution de loyer. En effet, la preuve révèle que la locataire n'a pas la pleine jouissance de son logement dû aux comportements et agissements des locataires voisins.
[21] Selon la preuve retenue, certains travaux auraient été apportés à l’immeuble, mais cela n’empêche pas qu’actuellement la locataire n’a pas la pleine jouissance de son logement par le comportement de certains locataires qui courent dans les escaliers ou parlent fort dans les corridors.
[22] Avec tout ce bruit, elle ne peut utiliser l’une des chambres de son logement et pour cette raison le Tribunal lui octroie une diminution loyer de 20 $ par mois. La locataire a donc droit de recevoir la somme de 380 $.
[23] La locatrice plaide
que le tribunal ne peut accorder une diminution loyer en vertu de l’article
« 1955. Ni le locateur ni le locataire d'un logement loué par une coopérative d'habitation à l'un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d'autres conditions du bail par le tribunal.
De même, ni le locateur ni le locataire d'un logement situé dans un immeuble nouvellement bâti ou dont l'utilisation à des fins locatives résulte d'un changement d'affectation récent ne peut exercer un tel recours, dans les cinq années qui suivent la date à laquelle l'immeuble est prêt pour l'usage auquel il est destiné.
Le bail d'un tel logement doit toutefois mentionner ces restrictions, à défaut de quoi le locateur ne peut les invoquer à l'encontre du locataire.
[24] Parmi les jugements produits par la locatrice, dans l’affaire Choueke c. Coopérative d'habitation Jeanne-Mance[1], il est mentionné ceci :
« [54] Dans ce contexte, l'intimée ne peut pas
faire ce qu'elle veut, même lorsqu'elle parle à la majorité de ses membres. Sa
marge de manœuvre en matière de loyer est limitée non seulement par les
dispositions du Code civil du Québec pertinentes au bail de logement
mais aussi par les dispositions pertinentes des conventions de financement la
liant aux organismes subventionnaires. L'article
[25] Et dans l’affaire Booth c. Coopérative d’habitation Bois-Vert[2] , il est précisé ceci :
« [4] La régisseure n'a pas accepté de vérifier le bien fondé de la décision de l'intimée de suspendre la subvention, jugeant que cette question n'était pas de sa juridiction mais de celle d'un tribunal de droit commun. Il s'agit non pas d'une question relative au bail, mais relative à une entente complémentaire au bail qui ne fait pas partie du bail. La Régie a juridiction pour entendre toutes les demandes relatives au bail d'un logement en vertu du paragraphe 1 de l'article 28de la Loi sur la Régie du logement (LRQ, c R.8.1).
[5] Cependant, quand il s'agit d'une coopérative, la
Régie ne peut fixer le loyer ou modifier les conditions du bail d'un locataire
membre d'une coopérative d'habitation (art.
"Ni le locateur ni le locataire d'un logement loué par une coopérative d'habitation à l'un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d'autres conditions du bail par le tribunal." »
[26] Dans ces décisions, il s’agit de subvention et de fixation de loyer et il n’est nullement question de diminution de loyer.
[27] Le Tribunal n’est nullement d’accord avec la prétention de la locatrice, car penser ainsi voudrait dire que les locataires d’une coopérative n’auraient aucun droit de poursuivre leur locatrice pour perte de jouissance de leur logement.
[28] L’article
Mise en demeure
[29] L'honorable juge Luc Lefebvre de la Cour supérieure, dans la cause Bourlard c. Nova transtech inc.[3], mentionnait que l'envoi d'une mise en demeure est obligatoire si l'on veut forcer un débiteur à agir et lui réclamer des dommages s'il ne fait rien :
« [15] S'il est vrai que les défendeurs
n'étaient pas satisfaits de ses services, ils auraient dû agir conformément à
l'article
« 1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l'exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande. »
[16] Or, ils n'ont rien fait.
[17] En conclusion, le Tribunal estime que le demandeur Bourlard a droit au montant réclamé, sauf en regard de la première facture au sujet de laquelle le Tribunal ne lui accorde que 600 $, soit le montant convenu initialement. Le demandeur a ainsi droit à une somme de 7 300 $. La demande reconventionnellement contre lui est rejetée pour défaut d'avoir transmis l'avis requis et pour faute de preuve. »
[30] Le Tribunal va prendre comme date de départ, la date du dépôt de la procédure devant le tribunal, soit le 25 février 2019.
Dommages punitifs ou exemplaires
[31] Dans la cause Nalder c. Rogers communications inc.[4], la Cour du Québec mentionnait ceci concernant les dommages punitifs ou exemplaires :
« [87] Il y a atteinte illicite à un droit ou une liberté reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne lorsque l'auteur de l'atteinte à un état d'esprit qui dénote une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou s'il s'agit en toute connaissance des conséquences immédiates ou probables que sa conduite engendrera.
Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
[88] Comme la preuve ne révèle aucune intention malveillante de la part de Rogers, ni de négligence équivalant à une atteinte intentionnelle, le montant réclamé à titre de dommages punitifs n'est pas accordé. »
[32] Pour avoir droit à une condamnation à des dommages punitifs ou exemplaires, la locataire doit prouver, selon la jurisprudence, qu'il y a eu de la mauvaise foi de la part de la locatrice, de façon intentionnelle, dans l'intérêt marqué de causer des dommages à la locataire.
[33] Pour le Tribunal, il n’y a aucun doute qu’il y a eu de la mauvaise foi de la part de la locatrice, lorsque le président de celle-ci a dit à la locataire :
« Ma tabernacle je vais te faire partir d’ici avec ton petit crisse de nègre ».
[34] Dans un premier temps la locatrice plaide que si ces propos ont été tenus, il visait le fils de la locataire et non cette dernière. Conséquemment elle ne pourrait pas être indemnisée pour ses paroles.
[35] Le Tribunal n’est pas d’accord avec cette proposition puisqu’étant la mère de la personne visée par ces propos, ceux-ci l’ont également visé personnellement. Une mère dont on traite son fils de « crisse de nègre » est directement affectée par ce genre de propos inadmissibles.
[36] Mais comme il a été soulevé, si les paroles ont été dire c’étaient surtout pour viser le fils de la locataire et si celui-ci s’est senti directement viser, il pourra à son tour poursuivre le président de la coopérative devant le tribunal approprié.
[37] De plus, la locatrice plaide que si le tribunal retient que ces propos ont été mentionnés, elle ne peut être responsable des agissements de son président qui agit à titre personnel.
[38] Pour la locataire, lorsqu’elle parle avec le président de la coopérative, c’est avec le représentant de la locatrice qu’elle discute et lorsque celui-ci parle, il le fait généralement au nom de la coopérative. Et d’ailleurs, lorsqu’il a tenu ces propos inadmissibles, il l’a fait lorsqu’il venait de recevoir la confirmation d’une poursuite judiciaire devant le tribunal administratif du logement. Et cette information c’est à titre de président de la coopérative qu’il a reçue. Il a donc agi à titre de président et de représentant de la coopérative.
[39] Malheureusement pour la coopérative elle devra assumer la faute et les responsabilités de son président.
[40] Par contre, rien n’empêche la coopérative de réclamer à son président les montants auxquels elle est condamnée à payer puisque ce n’est pas à la coopérative ni à la société qui subventionne la coopérative de payer pour les erreurs impardonnables de son président.
[41] La locataire a le droit de jouir pleinement de son logement et d’y vivre sans tracas ni menaces de qui que ce soit. Il y a donc lieu que les dirigeants et administrateurs de la coopérative prennent acte de ce fait et agissent en conséquence pour réprimander ceux qui nuisent à la jouissance des locataires de l’immeuble.
[42] Il est clair pour le Tribunal que les agissements du représentant de la locatrice sont empreints de mauvaise foi et qu'il a réellement posé volontairement les gestes qu'il a faits, dans l'intérêt de causer des dommages à la locataire.
Dommages moraux
[43] Dans la décision Malo c. Higgins[5], la Cour du Québec fait la distinction entre les dommages punitifs et les dommages moraux :
« [74] Contrairement aux dommages punitifs ou exemplaires, qui ont pour fonction la réprobation de gestes ou de comportements condamnables, l'octroi de dommages moraux doit s'évaluer eu égard aux seuls dommages subis par le plaignant. »
[44] Ils ne doivent pas non plus être utilisés pour pénaliser deux fois le locateur qui doit déjà subir une perte de revenus par la diminution de loyer. Ils ne doivent pas être liés à la perte de jouissance du logement qui est déjà compensée par la diminution de loyer.
[45] Les dommages moraux doivent être reliés à d'autres facteurs comme le stress, l'anxiété ou autres contraintes diverses, occasionnés par le comportement du locateur.
[46] Selon la preuve, le Tribunal conclut à l'octroi de tels dommages et le Tribunal lui accorde la somme de 1 000 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] ACCUEILLE la demande du locataire;
[48] CONDAMNE la
locatrice à payer à la locataire la somme de 2 380 $, plus les
intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle selon l’article
|
|
|
|
|
Marc C. Forest |
||
|
|||
Présence(s) : |
la locataire Me Manuel Johnson, avocat de la locataire le mandataire du locateur Me Marwa Daher, avocat de la locatrice |
||
Date de l’audience : |
1er septembre 2020 |
||
|
|||
|
|||
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.