Décision

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Mosca c. SDLC Les Tours du Château Horizontal

2021 QCCA 874

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028310-191

(760-17-004785-179)

 

DATE :

26 mai 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

SILVANO MOSCA

SUZANNE FILION

LOUISE ROBILLARD

JULIE ZEMANOVICH

MICHAEL WOOD

ALYSON DUNN

APPELANTS - demandeurs

c.

 

SDLC LES TOURS DU CHÂTEAU HORIZONTAL

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ LES TOURS

DU CHÂTEAU PHASE I

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ LES TOURS

DU CHÂTEAU PHASE II

INTIMÉS - défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Beauharnois, rendu le 18 avril 2019 par l'honorable Nicole-M. Gibeau, qui rejette leur demande pour annuler et faire déclarer inopposable à leur égard la décision prise lors d’une assemblée de copropriétaires.

[2]           Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Lavallée, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de première instance;

[5]           ACCUEILLE la demande pour faire annuler et déclarer inopposable la décision votée à l’assemblée du 25 mai 2017 relativement au droit de location;

[6]           ANNULE la décision votée à l’assemblée du 25 mai 2017 relativement au droit de location;

[7]           ORDONNE au Syndicat de faire publier à ses frais les modifications conséquentes aux actes de modification des déclarations de copropriété horizontale, phase I et phase II du 18 septembre 2017;

[8]           LE TOUT avec les frais de justice, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

Me Ghislain Raymond

DEVEAU AVOCATS

Pour les appelants

 

Me Armand Poupart jr

POUPART & POUPART AVOCATS

Pour les intimés

 

Date d’audience :

18 février 2021



 

 

 

MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE

 

[9]           Les appelants se pourvoient contre un jugement[1] qui rejette leur demande pour annuler et faire déclarer inopposable à leur égard une décision prise lors d’une assemblée de copropriétaires modifiant leur déclaration de copropriété afin de limiter le pourcentage d’unités offertes en location.

LES FAITS

[10]        Les Tours du Château est une copropriété haut de gamme de 95 unités privatives constituée en projet intégré et située à proximité du Château Vaudreuil et du Lac des Deux-Montagnes à Vaudreuil-Dorion (ci-après « l’Immeuble »).

[11]        L’Immeuble fait l’objet d’une déclaration de copropriété initiale[2] et de deux déclarations de copropriété concomitantes visant les phases 1 et 2 de l’Immeuble[3] (l’ensemble des déclarations ci-après désignées « la Déclaration de copropriété »).

[12]        La déclaration initiale définit la destination de l’Immeuble comme étant de vocation résidentielle. Elle prévoit :

L’Immeuble est destiné exclusivement à l’habitation résidentielle. Les Déclarations de Copropriété Concomitantes pourront prévoir également que les parties privatives à être constituées pourront être affectées accessoirement, et sans cesser d’être occupées de manière résidentielle, à l’exercice d’une profession libérale ou d’une autre occupation à la condition qu’il ne résulte aucune circulation de personnes et de biens ou marchandises et dans les limites du respect des obligations contenues à la Déclaration de Copropriété Concomitante.

[Soulignement ajouté]

[13]        Les déclarations concomitantes stipulent aussi que l’Immeuble est destiné « exclusivement à l’habitation résidentielle » tout en prévoyant la possibilité de se livrer à une activité professionnelle à condition de ne pas troubler la tranquillité.

[14]        Par ailleurs, la déclaration initiale prévoit expressément le droit de louer les unités privatives, tandis que les déclarations concomitantes précisent que la location est permise pour un terme minimum d’un an :

8.3.1. Tout Copropriétaire a le droit de louer sa Fraction pour un terme minimum d’un an. Cette disposition ne peut pas être changée en ce qui concerne les Fractions détenues par le Déclarant. […]

[Soulignement ajouté]

[15]        Le 5 mai 2017, les copropriétaires reçoivent un avis de convocation à l’assemblée générale annuelle qui doit avoir lieu le 25 mai 2017 (« l’Assemblée »). L’ordre du jour joint à l’avis réfère aux « sujets requérant un vote de l’assemblée » : on y retrouve la question des « Locations permises » et l’annonce d’une proposition d’amendement au règlement de la copropriété de manière à limiter pour l’avenir le nombre d’unités louées dans l’Immeuble à 10 %.

[16]        Lors de l’Assemblée, cette proposition est formulée en ces termes :

Il est résolu d’amender l’article 1.2.1 du Règlement (et autres articles connexes) pour qu’il se lise comme suit :

« La Location des Fractions est autorisée pour un terme de un (1) an minimum, pourvu que le nombre total de Fractions sous location ne dépasse pas 10 %. Cette limite de 10 % ne s’applique pas aux Fractions sous location à la date du présent amendement jusqu’à la vente de celle-ci par le propriétaire actuel. »

[Soulignement ajouté]

[17]        Elle est alors adoptée par un vote à main levée de 52 « pour » et de 17 « contre ». Seulement 83 % des copropriétaires de la phase I et 76 % des copropriétaires de la phase II sont alors représentées. Ce vote satisfait les exigences de majorité simple de l’article 1096 C.c.Q. ainsi que la majorité représentant les trois quarts des voix des copropriétaires prévue à l’article 1097 C.c.Q., mais ne rencontre pas celles de l’article 1098 C.c.Q. qui requiert un vote à la majorité des trois quarts des copropriétaires représentant 90 % des voix de l’ensemble des copropriétaires.

[18]        Au moment de l’adoption de la proposition, le taux effectif de location dans l’Immeuble est de 18 %. Les locations en cours sont toutefois protégées par le biais d’une clause grand-père, tandis que les copropriétaires qui ne louent pas présentement leur unité ne peuvent pas faire tant et aussi longtemps que ce taux ne baisse pas sous la barre de 10 %.

[19]        La modification est apportée à la Déclaration (dans la déclaration initiale et dans les déclarations concomitantes) avec les adaptations nécessaires (ci-après « le Règlement). Dans les déclarations concomitantes, elle se lit ainsi[4] :

Le sous paragraphe 8.3.1 est abrogé et remplacé par ce qui suit :

«8.3.1.1   Tout copropriétaire a le droit de louer sa Fraction pour un terme minimum d’un (1) an, pourvu que le nombre total de Fractions sous location ne dépasse pas 10%.

8.3.1.2     La limite de 10% indiquée à l’alinéa 8.3.1.1 ne s’applique pas aux Fractions sous location à la date du présent amendement jusqu’à la vente de celle-ci par le propriétaire actuel.

8.3.1.3     Le Copropriétaire qui loue sa Fraction, doit le notifier au syndicat constitué, au moyen d’un avis écrit qui indique également le nom du locataire.»

Le sous paragraphe 1.2.1 de la Deuxième Partie : Règlement de l’immeuble est amendé pour se lire comme suit :

«La location des Fractions est autorisée pour un terme minimum d’un (1) an pourvu que le nombre total de Fractions sous location ne dépasse pas 10%. Cette limite de 10% ne s’applique pas aux Fractions sous location à la date du présent amendement jusqu’à la vente de celle-ci par le propriétaire actuel.»

[20]        Les six appelants sont des copropriétaires de l’Immeuble qui ont acheté leur unité avant l’adoption de la proposition, mais qui n’ont pas encore loué leur unité de sorte qu’ils ne bénéficient pas d’un droit de location protégé. Par l’entrée en vigueur de la modification du règlement de la copropriété, il leur est désormais interdit de le faire jusqu’à ce que le taux effectif de location tombe sous la barre de 10 %.

[21]        Le 29 mai 2017, l’un des appelants, Silvano Mosca « Mosca », envoie une lettre au Syndicat pour faire part de son mécontentement à l’égard de l’adoption de la proposition et demande l’annulation du vote qui aurait été pris selon lui sans suffisamment informer au préalable les copropriétaires[5]. Il reproche également au Syndicat son manque de transparence, comme le font également d’autres copropriétaires.

[22]        Le 22 juin 2017, le Syndicat répond à Mosca que l’adoption de la proposition a eu lieu en toute légalité et que le Règlement « ne vise pas à changer la destination de l’Immeuble, au contraire [il] vise à préserver celle-ci ».

[23]        Le 21 juillet 2017, les appelants déposent une demande en annulation d’une décision d’une assemblée des copropriétaires et en inopposabilité, qu’ils assortissent d’une réclamation en dommages.

[24]        Le 2 octobre 2017, le Syndicat envoie une lettre pour signifier que la proposition a été adoptée par résolution unanime du Conseil d’administration et que le Règlement est en vigueur dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires initiées par les appelants.

[25]        Au moment de plaider l’affaire en Cour supérieure, le taux de location se situe toujours au-delà de la limite de 10 % de sorte que les appelants n’ont toujours pas le droit de louer leur unité.

[26]        Par jugement rendu le 18 avril 2019, la Cour supérieure rejette la demande introductive d’instance modifiée des appelants, d’où le présent pourvoi.

JUGEMENT ENTREPRIS

[27]        Dans son jugement la juge résume d’abord le contexte et les positions des parties.

[28]        Elle signale que les appelants soutiennent essentiellement que la décision modifie la destination de l’Immeuble et n’a pas été adoptée par la majorité des trois quarts des copropriétaires représentant 90 % des voix de l’ensemble de ceux-ci, contrairement aux exigences de l’article 1098 du Code civil du Québec (C.c.Q.)[6]. De plus, ils plaident que la décision contrevient à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne (« la Charte »)[7] et, au surplus, qu’elle leur est inopposable en vertu de l’article 1102 C.c.Q.[8].

[29]        Quant aux intimés, ils répondent que la modification apportée au règlement ne change pas la destination de l’Immeuble et ne fait qu’encadrer le droit de location dans une mesure permise par la Charte. Selon eux, la proposition a été adoptée conformément à l’article 1097(4) C.c.Q.[9] et il n’y a pas eu en conséquence violation de l’article 1102 C.c.Q.

[30]        La juge aborde la question du changement de destination de l’Immeuble. Elle reconnaît d’entrée de jeu que la déclaration autorise la location des unités privatives pour une durée minimale d’une année :

[14]  À l’achat ou lors de l’acquisition d’une Fraction privative par les demandeurs, tous conviennent que la déclaration de copropriété autorise la location de leur unité pour une durée minimale d’une année.

[31]        Elle réfère ensuite au jugement de principe de cette Cour dans l’affaire Kilzi[10], avant de conclure que la modification proposée au règlement n’apporte pas un changement de destination qui requiert un vote au-delà de la majorité simple des copropriétaires. Elle écrit :

[19]  L’arrêt phare de la Cour d’appel dans Pierre W. Kilzi c. Le Syndicat des copropriétaires du 10 400 boul. L’Acadie énonce les principes suivants :

-    la destination de l’immeuble, c’est le genre d’immeuble voulu par les copropriétaires;

-    la destination de l’immeuble, c’est en quelque sorte sa personnalité;

-    habituellement, l’acte constitutif de copropriété définit la destination de l’immeuble de façon sommaire : résidentielle, commerciale, industrielle ou autre;

-    il faut cependant appliquer une notion élargie de la destination de l’immeuble et tenir en compte certains facteurs extrinsèques tels, la qualité de la construction et les matériaux employés, l’harmonie de l’ensemble immobilier, les aménagements intérieurs et extérieurs, l’environnement particulier ou la situation de l’immeuble.

[Renvoi omis]

[20]      En l’espèce, il s’agit d’un immeuble luxueux situé près d’un cours d’eau et d’une autoroute.

[21]      Les copropriétaires résidents ont à cœur l’entretien de leur complexe. Certains s’occupent bénévolement du maintien et de l’entretien de la piscine intérieure, d’autres des plantations de végétaux, du désherbage et des fleurs sur le terrain.

[22]      De l’avis du Tribunal, la modification à la déclaration de copropriété n’a pas eu pour effet de changer la destination de l’immeuble, mais plutôt d’aménager autrement l’exercice des droits en matière de location tout en respectant la destination de celui-ci.

[23]      Cela n’a pas pour conséquence de nier le droit à la location mais de l’encadrer différemment.

[24]      Par la décision prise le 25 mai 2017, la majorité des copropriétaires expriment le souhait d’aménager la location des unités privatives selon des règles qui, sans toucher la destination de l’immeuble, visent à encadrer un exercice raisonnable du droit de location.

[25]      Quant au pourcentage permis de location, savoir 10% de l’ensemble des unités, «il n’appartient pas aux tribunaux d’apprécier l’opportunité des décisions prises par un organisme représentatif, mais plutôt d’en déterminer la légalité.»

[26]      La modification apportée à l’acte constitutif de copropriété ne change pas la destination de l’immeuble de sorte que les copropriétaires, à la majorité simple des votes, pouvaient imposer certaines restrictions à la location des unités privatives.                                                                                             [Renvoi omis]

[32]        En ce qui concerne l’argument soulevé à l’égard de l’atteinte à un droit protégé par la Charte, la juge conclut que la proposition adoptée en toute légalité restreint le droit de propriété dans une mesure permise par la loi et ajoute :

[30]  En outre, lorsque des personnes décident de vivre en communauté et que la loi permet à cet ensemble de personnes de modifier les règles applicables à leur immeuble, les droits collectifs ont alors préséance sur les droits individuels.

[33]        Puis, elle examine sommairement l’argument de la violation de l’article 1102 C.c.Q. et conclut qu’il ne trouve pas application, puisque la modification du règlement a été adoptée conformément aux exigences de l’article 1097 C.c.Q.

[34]        À l’issue de son analyse, elle rejette la demande des appelants.

QUESTIONS EN LITIGE

[35]        En appel, les appelants plaident essentiellement les mêmes arguments qui ont été rejetés en première instance et formulent à cette fin quatre questions :

1)    L’honorable juge de première instance a-t-elle erré en droit en décidant que la décision du 25 mai 2017 ne constituait seulement qu’un encadrement de l’exercice raisonnable du droit de location, sans changer la destination de l’immeuble et que, partant, le vote ne devait pas être celui pris en vertu de l’article 1098(1) C.c.Q.?

2)    A-t-elle erré en rejetant l’argument suivant lequel le droit de louer devait être considéré comme faisant partie intégrante du droit de propriété et qu’il ne pouvait être bafoué comme il l’a été par la décision du 25 mai 2017?

3)    A-t-elle erré en rejetant les arguments relatifs au droit de propriété contenus à la Charte?

4)    Subsidiairement, a-t-elle erré dans son interprétation et son application de l’article 1102 C.c.Q.?

ANALYSE

[36]        À mon avis, les deux premières questions sont intimement liées et la seconde doit être abordée en premier lieu, puisqu’une fois tranchée, elle entraîne le sort du pourvoi. Je m’explique.

[37]        La proposition votée à l’Assemblée visait à modifier la Déclaration de copropriété pour imposer une restriction au droit de location qui y était initialement reconnu.

[38]        La modification de tout document composant la déclaration de copropriété selon l’article 1052 C.c.Q.[11] ne peut avoir lieu que si elle s’avère justifiée par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation, tel que prévu à l’article 1056 C.c.Q. :

1056.  La déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation.

1056.  No declaration of co-ownership may impose any restriction on the rights of the co-owners except restrictions justified by the destination, characteristics or location of the immovable.

[39]        Le droit des copropriétaires d’user et de jouir librement de leur partie privative est par ailleurs défini à l’article 1063 C.c.Q. :

1063.  Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l’immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.

1063.  Each co-owner has the disposal of his fraction; he has free use and enjoyment of his private portion and of the common portions, provided he complies with the by-laws of the immovable and does not impair the rights of the other co-owners or the destination of the immovable.

[40]        Dans la dernière édition de son ouvrage intitulé La copropriété divise, l’auteur Christine Gagnon[12] commente le jugement entrepris, se disant à la fois étonnée de la conclusion de la juge de première instance relativement à l’absence de changement de destination de l’immeuble et du fait que le jugement n’aborde pas la question, ni de savoir si la restriction du droit de location paraît justifiée par la destination de l’immeuble au sens de l’article 1056 C.c.Q. Elle écrit :

182. Mosca c. Les Tours du Château. Une autre affaire concernant la location a été portée devant la Cour supérieure alors que des copropriétaires contestaient la décision de limiter le nombre de locations à 10 % des fractions de la copropriété alors que le taux de location était d'environ 18 %92. Assez étonnamment, la Cour supérieure a jugé que la décision ne changeait pas la destination de l'immeuble. Il est aussi surprenant que l'article 1056 C.c.Q. n'ait pas été invoqué, à savoir que la restriction au droit de louer n'était pas justifiée par la destination de l'immeuble.

 

Il aurait été intéressant d'avoir une réponse à ce sujet. On peut aussi imaginer les difficultés pratiques d'applications d'une telle restriction, surtout dans la détermination de qui peut faire partie du 10 % et qui en est exclu, par exemple lorsqu'un bail prend fin. Comme Me Papineau, nous ne croyons pas que la restriction semble justifiée par la destination de l'immeuble, en tout respect pour l'opinion contraire.

[41]        L’auteur Yves Papineau, qui commente également le jugement entrepris, signale pour sa part que le Règlement brime le droit de location des copropriétaires et il estime qu’il a été adopté à la suite d’un « vote partial » qui favorise certains copropriétaires au mépris des autres[13] :

Il est possible qu’un vote conforme au Code civil du Québec affecte les droits de certains copropriétaires et modifie en même temps la destination de l’immeuble. Ce n’est pas parce qu’un vote est légal qu’il ne brime pas les droits d’un copropriétaire ou n’a pas de conséquences sur d’autres points.

De ce fait, le droit de propriété et l’usage qu’il peut en faire sont affectés, contrairement à ses droits de propriétaire. Ce vote semble être partial, car il favorise une partie des copropriétaires au mépris des autres.

Selon nous, ce jugement est discriminatoire et n’est pas justifié par l’article 1056 C.c.Q., car il ne peut y avoir une destination pour 10 % des unités et une autre pour les autres.

Il aurait été intéressant que le tribunal mentionne en quoi cette restriction aux droits des copropriétaires ne modifiait pas la destination de l’immeuble.

[42]        Dans la mesure où la modification proposée entraîne une restriction du droit de location, qui s’avère l’un des attributs du droit de propriété protégé en vertu de l’article 1063 C.c.Q., je partage l’avis de ces auteurs voulant qu’il y ait d’abord lieu d’examiner dans quelle mesure le Règlement était justifié par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation, aux termes de l’article 1056 C.c.Q.

[43]        Les appelants soumettent à cet égard que le Règlement adopté impose des restrictions aux droits de copropriétaires qui ne sont pas justifiées par la destination de l’immeuble au sens de cet article et qui ont eu pour conséquence de changer la destination de l’immeuble de manière à requérir le vote prévu à l’article 1098 C.c.Q. Ils invoquent la conception élargie de la destination de l’immeuble retenue dans l’arrêt Kilzi au soutien de leur propos.

[44]        Les intimés se fondent sur ce même arrêt pour plaider que le Règlement vise à préserver la destination de l’immeuble dans sa conception élargie qu’ils définissent comme étant « celle d’un immeuble à l’origine majoritairement occupé par les copropriétaires qui s’impliquent tant au niveau matériel que financier », de sorte qu’il n’entraine pas un changement de destination de l’Immeuble.

[45]        Dans la mesure où les deux parties s’appuient sur l’arrêt Kilzi pour soutenir des thèses opposées, il convient d’en examiner la portée avant d’aller plus loin.

[46]        Dans cette affaire, notre Cour s’est intéressée au droit d’un syndicat de limiter le droit de location des copropriétaires par règlement. Dans ce cas, l’appelant Kilzi détenait avec d’autres membres de sa famille et une société sous son contrôle (Groupe Kilzi) un total de huit unités dont sept étaient louées à des tiers, certaines pour une période d’un an et d’autres pour des périodes plus courtes. Plusieurs copropriétaires en étaient mécontents et y voyaient une menace à la tranquillité des lieux, tout en craignant une diminution conséquente de la valeur de leur unité. C’est dans ce contexte qu’un règlement « taillé sur mesure » pour mettre fin aux locations du Groupe Kilzi a été soumis en assemblée et adopté à majorité simple, menant Kilzi à en demander l’annulation, au motif que son droit de location pourtant prévu à l’acte constitutif, était entravé à trois titres, puisque :

1.    Aucune location de moins d'un an n’était permise (sauf circonstances particulières et permission plus ou moins discrétionnaire des administrateurs du syndicat);

2.    Des restrictions importantes s'appliquaient à toute location pour les appartements en excédant des trois premiers dans le cas d'un propriétaire qui possède plus de trois unités (la location est alors permise uniquement à des membres de la famille proche);

3.    Une société ne pouvait louer ses appartements à des tiers.

[47]        La juge de première instance a conclu que le règlement était valide dans son entièreté puisqu'il ne modifiait pas la « destination » de l'immeuble, après s’être interrogée sur les attentes des copropriétaires et « l'historique » de l’immeuble, en le comparant notamment à un immeuble locatif voisin construit à la même époque par les mêmes promoteurs. Elle a jugé qu’elle n’avait pas à s’attarder sur le caractère commercial des activités de Groupe Kilzi, et ce, malgré le fait que les interdictions ou restrictions imposées par le règlement étaient motivées par le prétendu caractère commercial de ces activités, alors que la copropriété avait une vocation résidentielle.

[48]        La juge a également rejeté les arguments de l'appelant fondés sur la partialité, la discrimination, l'intention de nuire et l'atteinte aux droits acquis. Même si elle reconnaissait que le règlement avait été adopté pour contrer les activités du Groupe Kilzi, elle a conclu que les administrateurs du syndicat avaient agi de bonne foi dans l'intérêt des copropriétaires, et dans le respect de la loi et des dispositions de l'acte de copropriété.

[49]        En appel, la Cour est intervenue pour infirmer en partie ce jugement, en invalidant une partie des dispositions du règlement.

[50]        Dans le cadre de cet exercice, la Cour rejetait toutefois l’argument principal mis de l’avant par les intimés voulant que les activités du Groupe Kilzi constituent « l'exercice d'un commerce ou d'une activité commerciale » au sens de l'acte de copropriété. La Cour signalait à cet égard que l'acte de copropriété qui précisait que « les parties exclusives (unités de logement) ne serviront à l'exercice d'aucun commerce ou entreprise commerciale » visait à interdire les activités commerciales à l'intérieur des appartements et non pas à empêcher qu'un « commerçant » soit propriétaire d'un appartement. Elle prenait aussi le soin de préciser qu’elle ne concluait pas pour autant que « des activités de location à très court terme ne pourraient constituer une occupation commerciale si elles étaient, à titre d'exemple, assimilées à des activités d'hôtellerie »[14].

[51]        Les juges Forget et Rochon abordaient plutôt l’analyse au regard des articles 1056 et 1063 C.c.Q. :

[46]      En principe rien ne s'oppose au droit du copropriétaire de louer sa fraction.  Comme tout propriétaire, il peut en user et en jouir librement (1063 C.c.Q.). La professeure Francine Vallée-Ouellet le soulignait déjà aux premières années de la mise en place du régime de copropriété.  Les dispositions précitées tant du Code civil du Bas-Canada que du Code civil du Québec aménagent de façon explicite les règles devant guider les relations triangulaires copropriétaire-locataire-syndicat.  De plus, l'acte constitutif de copropriété réfère explicitement à la location.  Enfin, il faut dire que le règlement visé n'interdit pas toute location.

[47]      Si, en principe, le droit à la location ne pose pas de difficulté, il en va tout autrement des limites imposées à ce droit. Cette difficulté tire son origine de l'une des balises juridiques mise en place pour en contrôler l'exercice : la destination de l'immeuble.

[48]      La destination de l'immeuble est le facteur utilisé à la fois pour limiter les prérogatives de la collectivité et les droits individuels des copropriétaires. […]

[49]      Me Christiane Gagnon souligne fort justement la fonction de cette règle :

La destination de l'immeuble est sans doute l'une des notions les plus importantes en matière de copropriété divise en ce qu'elle constitue la limite des droits individuels en même temps qu'elle en assure l'ultime protection. Le législateur québécois, à l'instar de son homologue français, en a fait un pilier du système de la copropriété divise. C'est ainsi que les deux principes fondamentaux suivants se retrouvent dans les lois québécoise et française sur la copropriété :

1.  La déclaration de copropriété ne peut restreindre ou porter atteinte aux droits des copropriétaires que dans la mesure où cette atteinte est justifiée par la destination de l'immeuble.

2.  Chaque copropriétaire doit jouir de sa fraction sans porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble.

[Renvoi omis]

[52]        Ils se penchaient ensuite sur la polémique doctrinale entourant la définition de la destination de l’immeuble en adhérant au courant majoritaire qui prône une conception élargie de la destination de l’immeuble plutôt qu’une interprétation littérale de l'article 1056 C.c.Q. Ils s’exprimaient ainsi :

[50]      Tout en faisant de cette notion un pivot fondamental du régime de copropriété, le Code civil du Québec s'abstient toutefois de la définir. Aussi, la «destination de l'immeuble» est au cœur d'une polémique doctrinale.

[51]      Deux courants de pensée s'opposent: il y a d'une part les auteurs qui prétendent que la destination de l'immeuble repose sur un ensemble de facteurs. Pour la déterminer, il faut considérer (1) un élément objectif (situation de l'immeuble, environnement, qualité des matériaux, distribution des appartements, confort, luxe, etc) (2) une composante subjective (considérations ayant motivé les acheteurs à acquérir une fraction) ainsi que (3) un élément collectif (sauvegarde des intérêts des copropriétaires).

[52]      Selon ces auteurs, la destination de l'immeuble se définit en premier lieu - mais pas exclusivement - à partir de la déclaration de copropriété et de toutes ses composantes (ce qui inclut les règles relatives à la jouissance des lieux qui se retrouvent au règlement de l'immeuble). L'analyse de la destination de l'immeuble implique que l'on tienne compte des caractères et de la situation de l'immeuble qui sont des critères extrinsèques à la déclaration de copropriété. C'est la position majoritaire qui prévaut en ce moment. C'est celle que semble avoir adoptée la juge en l'instance, lorsqu'elle écrit que:

La destination de l'immeuble est fondamentale, elle est modulée cependant par les caractères de l'immeuble et par la situation de l'immeuble.

[53]      En revanche, d'autres auteurs sont d'avis que la notion de destination de l'immeuble ne peut être tributaire des considérations personnelles de chaque acheteur. La destination ne doit pas être confondue avec les caractéristiques de l'immeuble. Les tenants de cette école s'appuient sur une interprétation littérale des dispositions du Code civil, plus particulièrement de l'article 1056 qui établit une distinction entre «destination» et «caractères» de l'immeuble.

[54]      Pour ces auteurs, la destination correspond davantage à l'usage ou l'affectation auquel l'immeuble est voué. Les affectations des immeubles sont multiples: habitations résidentielles, occupation commerciale ou de villégiature, pour ne nommer que celles-ci.

[55]      Force est de constater que la conception étroite de la «destination de l'immeuble» telle que formulée par la doctrine minoritaire s'avère d'un secours limité pour trancher les situations litigieuses qui opposent un copropriétaire au syndicat. Qu'il s'agisse de déterminer si l'usage que fait le copropriétaire de sa fraction porte atteinte à la destination de l'immeuble ou encore si les restrictions imposées aux copropriétaires sont justifiées par la destination de l'immeuble, le recours à une conception étroite de la notion telle que proposée par la doctrine minoritaire paraît insatisfaisante. En l'espèce, comment peut-on juger de la validité de la réglementation à la simple lecture de l'acte constitutif de la copropriété qui prescrit que : «la destination de l'immeuble en soit une d'habitation résidentielle» ou encore des clauses contractuelles relatives à la location ? Comment un tel concept pourrait-il nous permettre de trancher la validité d'une disposition interdisant un paravent sur un balcon ou prescrivant une norme d'insonorisation relative à un recouvrement de plancher ? Dès que l'usage se rattache à une occupation résidentielle, elle serait de ce fait permise.

[56]      Le rôle important que le législateur a réservé à cette mesure de contrôle en matière de copropriété commande le recours au concept élargi de la notion. À défaut, il sera impossible de déterminer la légalité de la conduite d'un copropriétaire ou de la validité des restrictions qu'on veut lui imposer. Le nombre et la variété des situations juridiques à examiner à la lueur de cette norme impliquent l'utilisation d'une mesure comportant une série de facteurs tels que précédemment énoncés.

[57]      Le recours à la thèse doctrinale majoritaire s'impose afin de donner effet à cette mesure de contrôle. Une analyse globale des dispositions législatives pertinentes appuie cette thèse. Une telle approche de la législation permet de contrer les arguments que d'aucuns tirent d'une interprétation strictement littérale d'une des dispositions du code.

[58]      Le législateur utilise la destination de l'immeuble comme «ultime rempart de protection des droits du copropriétaire» et comme limite au droit d'usage et de jouissance du copropriétaire. Pourtant, il ne formule pas la règle de la même manière (1056 et 1063 C.c.Q.) et ce, même si tous conviennent que l'on réfère à un même concept : la destination de l'immeuble. De même, le législateur énonce que l'acte constitutif de copropriété définit la destination de l'immeuble (1053 C.c.Q.). En l'espèce, cette définition est fort sommaire et, comme nous l'avons écrit, d'une utilité relative. Nous ne pouvons retenir l'interprétation restrictive qui empêcherait d'examiner d'autres parties de la déclaration de la copropriété et même des éléments extrinsèques à cette déclaration. À cet égard, la définition de la destination de l'immeuble, telle que proposée par Me Christine Gagnon emporte notre adhésion :

[…]

La destination de l'immeuble, c'est le genre d'immeuble voulu par les copropriétaires. C'est là une définition simple et facile à comprendre mais elle est insuffisante. Pour solutionner les conflits qui surgissent en pratique, pour déterminer si telle clause de la déclaration de copropriété est contraire à la destination de l'immeuble ou si tel comportement chez un copropriétaire est conforme à la destination de l'immeuble, il faut pousser plus loin cette notion de façon à ce que chaque immeuble soit imprégné d'une destination qui lui est propre. La destination de l'immeuble, c'est en quelque sorte sa personnalité. Ce n'est donc pas un concept qui peut être exprimé en une phrase, dans une clause de la déclaration de copropriété. Elle est plutôt la somme de plusieurs facteurs qui contribuent à la définir.

Ces composantes de la destination de l'immeuble, on les retrouve d'abord dans la déclaration de copropriété. L'acte constitutif de copropriété définit la destination de l'immeuble. En pratique, cette exigence se traduit par une clause habituellement intitulée «destination de l'immeuble» qui indique la vocation générale de l'immeuble, qu'elle soit résidentielle, commerciale, industrielle ou autre. Cette clause constitue un facteur de première importance dans la recherche de la destination de l'immeuble.

Mais il y a plus. Ce n'est pas seulement cette clause qui déterminera la destination de l'immeuble mais bien l'ensemble de la déclaration de copropriété. Les clauses déterminant la destination des parties privatives et, dans une moindre mesure, celle des parties communes permettent de préciser quel genre particulier d'immeuble les copropriétaires désirent et, à ce titre, contribuent à définir plus précisément la destination de l'immeuble. Il en va de même des clauses de la déclaration aménageant les conditions de jouissance de ces parties.

Il y a aussi des facteurs extrinsèques à la déclaration de copropriété qui ont un impact sur la destination de l'immeuble. Il faut savoir que même si aucune des deux lois québécoise et française sur la copropriété ne définit la destination de l'immeuble, elles donnent des indices sur certains facteurs extrinsèques à considérer. Dans la Loi du 10 juillet 1965, on les retrouve au deuxième alinéa de l'article 8 qui édicte que les restrictions aux droits des copropriétaires doivent être «justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation». Le pendant québécois de cette disposition, l'article 1056 C.c.Q., bien qu'inspiré de la loi française, a été formulé différemment. Il prévoit que les restrictions doivent être «justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation» (nos italiques). Il s'agit là d'une rédaction plus ou moins heureuse. Il est manifeste que, tant en droit québécois qu'en droit français, les caractères et la situation de l'immeuble sont des éléments qui aident à en déterminer la destination. Ils doivent donc être pris en considération.

Les auteurs reconnaissent généralement que les caractères et la situation de l'immeuble se traduisent, de façon pratique, par la qualité de la construction et des matériaux employés, par l'harmonie de l'ensemble immobilier, par les aménagements intérieurs et extérieurs, par l'environnement particulier ou la situation de l'immeuble, par exemple, dans un quartier luxueux ou populaire ou encore à proximité d'un cours d'eau ou d'une autoroute. Ces principes ont aussi été appliqués par la jurisprudence québécoise. Par exemple, dans l'affaire Talbot c. Guay, on a reconnu la validité d'une clause interdisant à un copropriétaire d'installer un paravent sur son balcon, celle-ci étant justifiée par la destination, les caractéristiques de l'immeuble. Pour arriver à cette conclusion, la Cour d'appel a considéré le fait que l'immeuble était situé sur la rive du fleuve Saint-Laurent et que le paravent installé par un copropriétaire obstruait la vue d'une autre copropriétaire. […]

 [Renvois omis]

[53]        Bien qu’affirmant que le règlement adopté n'avait pas pour effet de modifier la destination de l'immeuble et qu’il s'inscrivait plutôt dans le prolongement de cette destination, la Cour reconnaissait néanmoins la nécessité d’examiner la validité de chacun des articles afin de s’assurer qu’ils ne nient pas le droit à la location :

[61]      Avant d'examiner les diverses dispositions du règlement, on peut dès maintenant écarter la prétention de l'appelant que le règlement aurait dû être adopté à l'unanimité. Le règlement n'a pas pour effet de modifier la destination de l'immeuble; il s'inscrit plutôt dans le prolongement de cette destination. En conséquence, son adoption ne nécessitait pas l'unanimité des copropriétaires.

[62]      On doit maintenant examiner la légalité du règlement: la validité du règlement sera maintenue en autant qu'il ne nie pas le droit à la location, mais en aménage l'exercice par des règles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble.

[54]        À l’issue de cet examen, la Cour concluait que seuls les articles visant l’interdiction de la location à court terme étaient justifiés et validement adoptés : non pas parce que de telles locations pour de courtes périodes constituaient nécessairement l'exercice d'un commerce, mais plutôt en raison des préoccupations légitimes des copropriétaires à l’égard de la tranquillité des lieux et de leur appréhension d’une perte de valeur éventuelle. La Cour précisait à cet égard devoir faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la juge de première instance qui avait jugé de telles préoccupations conformes aux attentes de la majorité des copropriétaires et conclu que la location à court terme contrevenait à la «destination» de la copropriété.

[55]        La Cour déterminait ainsi que les restrictions imposées à ce type de location confirmaient le caractère résidentiel de la copropriété et visaient à assurer un exercice raisonnable du droit de location. Selon elle, ces restrictions pouvaient faire l'objet d'un règlement qui avait été légalement adopté, puisque les copropriétaires, à la majorité, partageaient ce point de vue. Elle écartait également les arguments de partialité et d’intention de nuire soulevés par Kilzi.

[56]        Cependant, la Cour invalidait deux des cinq articles adoptés, à savoir l’interdiction de louer imposée à la personne morale de droit privé, de même que la disposition limitant à trois le nombre d'appartements qu'une personne physique ou morale pouvait posséder, puisqu’elle jugeait qu’ils avaient pour effet de nier le droit à la location. En effet, contrairement à l’interdiction de location à court terme qui contrevenait, selon elle, à la destination de l’immeuble, la Cour concluait que les articles qui niaient le droit à la location n’étaient pas justifiés par la destination de l’immeuble ni par les caractères et la situation de l’immeuble.

[57]        À mon humble avis, dans ce cas, dans la mesure où la Cour fondait son analyse sur la validité des dispositions du règlement en fonction du respect ou non du droit de location des copropriétaires, on peut se demander dans quelle mesure il était nécessaire de faire appel à une conception élargie de la destination de l’immeuble pour en décider.

[58]        Cela étant, en l’espèce, la juge de première instance cite l’arrêt Kilzi et s’inspire de la conception élargie de la destination de l’immeuble qui y est développée. Elle souligne le caractère luxueux de l’Immeuble et le fait que les résidents ont à cœur son entretien, avant de conclure que le fait de limiter le droit de location à 10 % des unités de la copropriété ne constitue pas la négation du droit de location, mais plutôt un aménagement ou un encadrement de l’exercice d’un tel droit dans le respect de la destination de l’Immeuble.

[59]        Avec égards, j’estime qu’elle a tort.

[60]        Les restrictions apportées au droit de location des copropriétaires constituent bien plus qu’un simple aménagement ou un encadrement du droit de location. Elles font passer le nombre d’unités pouvant être mises en location de 100 % à 10 % et donne une priorité aux propriétaires qui louent déjà leur unité (18 % au moment du vote), ce qui a pour effet le jour du vote de nier concrètement à 82 % des copropriétaires le droit de louer leur unité, alors qu’il s’agit de l’un des attributs du droit de propriété protégé par l’article 1063 C.c.Q. et prévu expressément dans la Déclaration de copropriété. Ces restrictions ne peuvent être justifiées par la destination de l’immeuble suivant une conception élargie qui tiendrait compte de son caractère luxueux ni par le fait que ses résidents ont à cœur son entretien.

[61]        La Déclaration de copropriété prévoit déjà l’encadrement du droit de location par l’exclusion de la location à court terme, ainsi que de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle susceptible de nuire à la tranquillité des lieux. La vocation « résidentielle » et le terme « résidence » réfèrent à l’action de rester à demeure en un endroit, ainsi qu’à des habitations d’un certain luxe[15], mais sans y associer la qualité spécifique de propriétaire plutôt que de locataire[16].

[62]        Les intimés plaident que la proposition de modification du règlement est justifiée pour préserver la destination « d’un immeuble à l’origine majoritairement occupé par les copropriétaires qui s’impliquent tant au niveau matériel que financier ».

[63]        Or, avec égards, à supposer même que la conception élargie qu’ils proposent de la destination de l’immeuble ait été démontrée, le Règlement voté le 25 mai 2017 n’était pas justifié par une telle destination, puisqu’il n’y a pas de « lien inhérent rationnel »[17] entre l’occupation majoritaire par les copropriétaires de l’immeuble et le fait de refuser à la quasi-totalité des copropriétaires (dans une proportion de 82 % à 90 %) le droit de louer leur unité.

[64]        C’est sans compter que la procédure de location des unités établie dans le Règlement est passablement contraignante[18]. L’obtention d’une autorisation pour louer son unité est subordonnée à l’inscription, sur une liste d’attente, à un tirage pour déterminer l’ordre de priorité, à l’obligation de notifier son intention d’exercer son droit suivant l’autorisation, le cas échéant, et elle est également assujettie à une période de 6 mois pour effectivement s’en prévaloir sous peine d’y renoncer. Ces éléments s’appliquent aussi « aux autorisations d’occuper qui ne constituent pas des locations »[19], rendant impossible tout compromis, comme le prêt de son unité à un membre de la famille. Autant d’éléments contraignants qui ajoutent au caractère exceptionnel du droit de location désormais autorisé.

[65]        De plus, le caractère indéterminable de la durée de la restriction et le fait qu’il n’y a aucun moyen de déterminer lorsque le taux de location descendra sous 10 %, vient compromettre l’exercice légitime ou prévisible du droit de location, rendant impossible la planification de l’utilisation d’un tel droit. Cette difficulté pratique et concrète affecte fondamentalement le droit de location de manière à en nier l’existence et ne peut s’inscrire dans le prolongement de la destination de l’immeuble sous prétexte que la majorité des copropriétaires souhaiteraient.

[66]        Aucune preuve ne démontre un problème avec la proportion d’unités mises en location justifiant l’adoption du Règlement pour préserver la destination de l’immeuble. Il n’y a pas non plus de preuve que les propriétaires locateurs menacent de prendre le contrôle de l’Immeuble pour le convertir en immeuble locatif[20]. Au contraire, le taux de location est de 18 % au moment de l’adoption du Règlement.

[67]        L’auteure Christine Gagnon rappelle la prudence requise dans la rédaction de règlements encadrant le droit de location et signale que les tribunaux n’hésitent pas à intervenir pour protéger le droit de location des copropriétaires[21] :

Il semble donc que les tribunaux québécois n’hésitent pas à intervenir afin de protéger le droit de location des copropriétaires, considérant le droit à la location comme un droit important. Ils acceptent toutefois que les modalités d’exercice de ce droit soient encadrées par la déclaration de copropriété, dans la mesure où le cadre imposé découle de la destination de l’immeuble comme l’impose l’article 1056 C.c.Q. La rédaction de ces règlements doit donc être faite avec la plus grande circonspection.

 [Soulignement ajouté]

[68]        En l’espèce, l’absence d’une démonstration que le Règlement s’inscrit dans le prolongement de la destination de l’immeuble m’amène à conclure qu’il contrevient à l’article 1056 C.c.Q. et qu’il doit être annulé, dans la mesure où le vote qui aurait pu en permettre l’adoption, soit un vote à la majorité des trois quarts des copropriétaires représentant 90 % des voix, n’a pas été atteint lors de l’Assemblée du 25 mai 2017. La décision n’a pas été prise dans le respect de l’article 1098 C.c.Q., ce qui compromet sa validité et doit entraîner son annulation.

[69]        Vu cette conclusion, il devient à mon avis inutile d’examiner les autres questions qui concernent l’atteinte à un droit protégé à la Charte ou l’application de l’article 1102 C.c.Q.

[70]        Par ailleurs, puisqu’aucune représentation n’a été faite en appel à l’égard du bien-fondé de la réclamation en dommages présentée en Cour supérieure, il n’y a pas lieu d’y faire droit en l’espèce.

[71]        Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance afin d’accueillir la demande d’annulation de la décision votée à l’assemblée du 25 mai 2017 relativement au droit de location et d’annuler cette décision ainsi qu’ordonner au Syndicat de faire publier à ses frais les modifications conséquentes aux actes de modification des déclarations de copropriété horizontale, phase I et phase II du 18 septembre 2017, le tout avec les frais de justice, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 



[1]     Mosca c. Tours du Château, 2019 QCCS 1514.

[2]     La déclaration initiale a été rédigée alors que les bâtiments n’étaient pas construits. Elle a été publiée au registre foncier le 4 décembre 2007.

[3]     Les déclarations concomitantes ont été rédigées une fois les bâtiments construits et publiées au registre foncier respectivement le 7 janvier 2008 et le 9 mars 2009.

[4]     Pièce P-14 : Lettre du 2 octobre 2017 et actes de modification des déclarations de copropriété.

[5]     Pièce P-12.

[6]     Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, l’article 1098 se lit ainsi :

1098.  Sont prises à la majorité des trois quarts des copropriétaires, représentant 90% des voix de tous les copropriétaires, les décisions :

1°  Qui changent la destination de l’immeuble;

2°  Qui autorisent l’aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au maintien de la destination de l’immeuble;

3°  Qui modifient la déclaration de copropriété pour permettre la détention d’une fraction par plusieurs personnes ayant un droit de jouissance périodique et successif.

1098.  Decisions on the following matters require a majority of three-quarters of the co-owners representing 90% of the votes of all the co-owners:

(1)  to change the destination of the immovable;

(2)  to authorize the alienation of common portions the retention of which is necessary to maintain the destination of the immovable;

(3)  to amend the declaration of co-ownership in order to permit the holding of a fraction by several persons having a periodic and successive right of enjoyment.

 

[7]     Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 6 :    

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

6.  Every person has a right to the peaceful enjoyment and free disposition of his property, except to the extent provided by law.

 

 

 

[8]     L’article 1102 C.c.Q. se lit ainsi :

1102.  Est sans effet toute décision du syndicat qui, à l’encontre de la déclaration de copropriété, impose au copropriétaire une modification à la valeur relative de sa fraction ou à la destination de sa partie privative.

1102.  Any decision of the syndicate which, contrary to the declaration of co-ownership, imposes on a co-owner a change in the relative value of his fraction or a change of destination of his private portion is without effect.

 

[9]     L’article. 1097 C.c.Q. se lit ainsi :

1097.  Sont prises par des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix des copropriétaires, présents ou représentés, les décisions qui concernent :

1°  Les actes d’acquisition ou d’aliénation immobilière par le syndicat;

2°  Les travaux de transformation, d’agrandissement ou d’amélioration des parties communes, ainsi que la répartition du coût de ces travaux et la constitution d’une hypothèque mobilière pour les financer;

3°  La construction de bâtiments pour créer de nouvelles fractions;

4°  La modification de l’acte constitutif de copropriété ou de l’état descriptif des fractions;

5°  La modification de la description des parties privatives visée à l’article 1070.

1097. Decisions concerning the following matters are made by co-owners representing three-quarters of the votes of the co-owners present or represented:

(1)  acts of acquisition or alienation of immovables by the syndicate;

(2)  work for the alteration, enlargement or improvement of the common portions, the apportionment of the cost of the work and the granting of a movable hypothec to finance it;

(3)  the construction of buildings to create new fractions;

(4)  the amendment of the act constituting the co-ownership or of the description of the fractions;

(5)  the amendment of the description of the private portions referred to in section 1070.

 

[10]    Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 boul. l'Acadie, SOQUIJ AZ-50100727, [2001] R.J.Q. 2401, [2001] R.D.I. 619 (C.A.) [Kilzi].

[11]   1052.  La déclaration de copropriété comprend l’acte constitutif de copropriété, le règlement de l’immeuble et l’état descriptif des fractions.

1052.  A declaration of co-ownership comprises the act constituting the co-ownership, the by-laws of the immovable and a description of the fractions.

 

[12]    Christine Gagnon, La copropriété divise, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 5e Éd., 2020, no. 182, p. 118 [C. Gagnon].

[13]    Yves Papineau, Jurisprudence récente en droit de la copropriété divise dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 473, Développements récents en droit de la copropriété divise, Montréal, Éd. Yvon Blais, 2020, p.185, 197-8, EYB2020DEV2833.

[14]     Kilzi, supra, note 10, paragr. 42.

[15]    Le Petit Robert indique que, dans un usage plus spécialisé, le terme résidentiel réfère est « relatif aux ensembles d’habitations de luxe ».

[16]    Le Petit Robert définit le terme « résidentiel » comme « propre à l’habitation, à la résidence » et le terme « résidence » comme « Le fait de demeurer habituellement dans un lieu ; ce lieu ».

[17]    Wilson c. Syndicat des copropriétaires du condominium Le Champlain, 1996 CanLII 4562 (QC CS), paragr. 77.

[18]    Pièce D-4 : Règlement no 01-17 - Procédure de location d’unité - versions française et anglaise.

[19]    Pièce D-4 : Règlement no 01-17 - Procédure de location d’unité - versions française et anglaise, article 1.2.

[20]    Voir à cet effet Kilzi, supra, note 10, paragr. 67.

[21]    C. Gagnon, supra, note 12, paragr. 179.

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