Office d'habitation du Sud de la Chaudière c. Larivière | 2024 QCTAL 10952 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Québec | ||||||
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No dossier : | 675242 18 20230118 G | No demande : | 3776201 | |||
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Date : | 28 mars 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Chantale Trahan | |||||
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Office d'habitation du Sud de la Chaudière |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Thérèse Larivière |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 18 janvier 2023, le locateur demande à ce que la locataire se conforme à la clause de son bail qui interdit la possession de chiens dans le logement et à défaut, la résiliation de son bail. Il demande l’exécution provisoire malgré l’appel, de même que la condamnation aux frais.
Contexte
[2] Les parties sont liées par un bail ayant débuté le 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, reconduit jusqu’au 30 juin 2024, au loyer actuel de 319 $ par mois.
Preuve des parties
[3] Le bail de la locataire et le règlement de l’immeuble stipulent que les locataires n’ont pas le droit de garder des animaux autres que ceux permis et affectés aux personnes handicapées. Dans ce dernier cas, les animaux autorisés sont identifiés et approuvés par le locateur dans un formulaire prévu à cette fin.
[4] La locataire, qui est absente à l’audience, mais représentée par une avocate, a toujours soutenu qu’elle pouvait garder son chien pour une question de zoothérapie, l’animal étant essentiel à son équilibre psychologique et pour des raisons de santé.
[5] L’Office d’habitation du Sud de la Chaudière exige une preuve convaincante à cet égard, avant d’acquiescer et de permettre la possession d’un animal, qui est l’exception à leurs règlements.
[6] Ainsi, il est déposé au soutien de la demande de la locataire, une lettre du 7 septembre 2023 de sa travailleuse sociale, qui explique que le chien de Mme Larivière lui permet de préserver sa santé mentale et physique, en raison notamment pour des problèmes cardiaques et d’anxiété chronique. Son animal fait toute la différence chez elle dans son quotidien, et il est une grande source de réconfort. Au surplus, l’animal est tranquille et ne dérange pas le milieu de vie, eu égard au voisinage.
[7] De plus, un document médical du médecin[1] de la locataire a été déposé pour valoir témoignage. Ce document stipule :
« J’ai rencontré mme Larivière pour la première fois et la seule fois à l’urgence le 6 juin 2023 où elle a consulté pour des idées suicidaires secondaires à la peur de perdre sa cause et de ne pouvoir garder son chien. Mme serait connue pour dépression chronique depuis des années depuis au mois 1994 et aussi pour des douleurs chroniques et autres maladies. Mme nécessite son chien pour diminuer son anxiété et la rassurer. Mme pense que son chien peut la réveiller la nuit si elle a une attaque de fibrillation auriculaire du cœur et donc, lui sauver la vie. Si mme se débarrasse de son chien, elle peut devenir suicidaire avec exacerbation de ses symptômes anxiodépressifs. Espérant le tout conforme, Asmine Pierre Louis, 03475 »
Question en litige
[8] Le locateur a t-il démontré un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail de la locataire ou, subsidiairement, peut-il obtenir une ordonnance sommant la locataire de se départir de son animal ?
Analyse et décision
[9] Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
[10] Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
[11] Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
[12] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[2].
[13] Le recours du locateur est basé sur l’article 1863 C.c.Q. qui stipule ce qui suit :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[14] La question à savoir si une interdiction de garder un animal dans un logement est valide ne se pose plus. Une telle clause n'est pas en soi déraisonnable (article 1901 C.c.Q.), ni contraire à la Charte québécoise des droits et libertés. Ainsi, en présence d'une telle clause au bail, le locateur peut obtenir une ordonnance pour que la locataire se départisse de son animal. Néanmoins, la seule contravention à cette clause ne peut soutenir une demande de résiliation de bail en l'absence d'un préjudice sérieux causé au locateur.
[15] Par ailleurs, il est pertinent de noter que la tolérance n'équivaut pas à une permission tacite. À ce sujet, l'auteur Jean Turgeon[3] s'exprime ainsi :
« La tolérance est une situation « qu'un propriétaire courtois tolère »190. Mais il faut distinguer entre la permission tacite et la tolérance. La tolérance sous-entend mutisme et passivité alors que la permission tacite requiert un fait positif constatant un consentement191. Au sens commun du terme, la tolérance est le fait de ne pas interdire, ni d'exiger quelque chose, alors qu'on le pourrait192. Ou encore, c'est l'attitude d'admettre chez autrui une façon d'agir ou de penser différente de la sienne193. Il faut donc qu'il y ait un droit de refuser une situation donnée. Si le droit de refus n'existe pas, ou s'il y a absence de connaissance de la situation, il ne peut être question de tolérance. » (Références omises)
[16] Dans l’affaire D.C. c. OMH de Berthierville[4] , la cour du Québec, sous la plume du juge Richard Landry, analyse la question de l'applicabilité d'une clause interdisant la présence d'animaux dans un logement. Il cite Me Pierre Gagnon :
« Lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail, il doit prouver un « préjudice sérieux » (article 1863 C.c.Q.); toutefois, s'il ne demande que l'expulsion de l'animal (exécution en nature), il n'a pas à prouver l'existence d'un tel préjudice; »
[17] Dans le cas où un locataire demande d’être exonéré de la clause interdisant la possession d’un animal, en vertu de l’article 1901 du Code civil du Québec, il y a la question de la zoothérapie. Lorsque cette thérapie démontre qu’il est essentiel pour le locataire, pour des raisons sérieuses de santé et d’équilibre psychologique, que l’animal soit présent auprès de la personne, le Tribunal peut permettre la présence de l’animal dans le logement, malgré l’interdiction prévue au bail à cet égard.
[18] Dans l'affaire Berniqué c. Office municipale d'habitation de Salaberry-de-Valleyfield[5], l'honorable juge Claude Montpetit, j.c.q. dresse une liste de circonstances dont le Tribunal administratif du logement peut prendre en compte dans le cadre de l'examen d'une demande d'exonération fondée sur l'article 1901 du Code civil du Québec; circonstances auxquelles fait référence l'honorable juge Tremblay précédemment cité, comme suit :
« [25] Le Tribunal est également d'avis, comme le juge Tremblay, que le Tribunal administratif du logement peut tenir compte de toutes les circonstances entourant la possession de l'animal comme :
a) l'adoption de l'animal depuis 2011 au vu et au su des autres locataires;
b) l'absence de plaintes concernant les odeurs, le bruit ou la simple présence du lapin;
c) le bien-être et le réconfort que procure la présence de l'animal à madame Berniqué ;
d) la démesure d'une demande d'expulsion fondée sur la présence de l'animal;
e) le besoin thérapeutique de celle-ci d'avoir un animal de compagnie dans un contexte de solitude et d'isolement;
f) le préjudice affectif et psychologique qui découlerait de l'obligation d'avoir à se départir de son animal de compagnie depuis presque dix ans;
g) l'animal (lapin nain) a pratiquement atteint la fin de son espérance de vie. »
[19] En l'espèce, la preuve démontre que la locataire a signé librement un bail comportant un règlement qui en fait partie intégrante, lequel contient des clauses interdisant expressément de garder un chien dans le logement. Cette clause est valide, sauf si elle démontre qu’elle peut être exonérée de l’application de cette clause.
[20] L’article 1901 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :
« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.
Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible. »
[21] Dans l'affaire Duhamel c. Arseneault et al.[6], la juge administrative Suzanne Guévremont fait un résumé de la jurisprudence sur cette notion :
« [30] Ainsi dans l'affaire Coopérative de l'Ébène(4), en présence d'une preuve établissant que la privation de son chat causerait préjudice à la jeune fille aux prises avec des problèmes d'anxiété, la cour du Québec conclut que la clause d'interdiction est abusive.
Même résultat dans D.C. c. Berthierville (Office municipal d'habitation)(5), où la cour du Québec permet au locataire de garder son animal parce qu'il « serait inapproprié et déraisonnable de le forcer à se départir de son chiot vu les conséquences néfastes probables sur son bien-être physique et mental ».
Soulignons que dans cette affaire, le juge Landry accepte comme preuve médicale un billet laconique d'un médecin énonçant simplement que le locataire doit garder son animal pour des fins de zoothérapie. Pour le paraphraser « tout aussi laconique soit-il, ce billet constitue néanmoins une preuve médicale ».
Dans un autre cas similaire, l'affaire Bilodeau c. Chabot(6), la cour du Québec mentionne que dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 1901 C.c.Q., la possibilité pour un tribunal de juger une obligation déraisonnable pour un locataire ne se limite pas au cas où il existe une preuve médicale, mais peut tenir compte de l'ensemble des circonstances mises en preuve devant lui(7).
Il importe également de référer à Berniqué(8) dans laquelle la cour du Québec renverse une décision de notre Tribunal ayant ordonné à une locataire de se départir d'un lapin qu'elle garde depuis dix ans chez elle malgré une clause du bail qui le lui interdit.
Dans cette affaire, le juge Claude Montpetit rejette une application systématique de la clause restrictive et écrit que le Tribunal administratif du logement peut tenir compte, dans le cadre de l'examen d'une demande d'exonération fondée sur l'article 1901 C.c.Q, de toutes les circonstances entourant la possession de l'animal comme le bien-être et le réconfort qu'il procure à son maître et le préjudice affectif et psychologique qui découlerait de l'obligation d'avoir à s'en départir.
La soussignée applique cette approche au cas sous étude, d'autant que la preuve documentaire, dont le billet du médecin exhibé durant l'audience et produit sous la cote P-5, conjugué au témoignage crédible du locataire Arsenault, suffisent à convaincre de manière prépondérante de sa condition médicale et des liens bienfaisants existant entre lui et son chat Cachou à des fins thérapeutiques. »
(Références omises)
[22] Par la décision Berniqué, il est désormais établi que le Tribunal peut prendre en considération l’ensemble des circonstances pour décider si l’interdiction de posséder un animal est déraisonnable pour un locataire en vertu de l’article 1901 du Code civil du Québec, et non pas strictement par une preuve médicale.
[23] Dans le cas qui nous occupe, le rapport médical et la lettre de la travailleuse sociale de la locataire démontrent, de façon prépondérante, que la possession de son animal est essentielle à la santé physique et psychologique de la locataire, voire même vitale quant à sa survie dans ce cas-ci.
[24] Le locateur n’a pas démontré que la possession de l’animal de la locataire était une source de nuisance lui causant un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail. De plus, la preuve est prépondérante que la locataire est justifiée de garder son chien, et que lui imposer l’interdiction telle que prévue au bail et au règlement est déraisonnable dans les circonstances.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la demande;
[27] DÉCLARE inopposable à la locataire la clause du bail interdisant de garder un chien dans son logement, en ce qui concerne son chien actuel;
[28] LE TOUT sans frais.
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Chantale Trahan | ||
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Présence(s) : | la mandataire du locateur Me Frédéric Paré, avocat du locateur Me Dominique Laflamme, avocate de la locataire | ||
Date de l’audience : | 5 mars 2024 | ||
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[1] Billet médical de Dre Asmine Pierre-Louis, en date du 25 août 2023.
[2] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, C.c.Q. - 1991.
[3] TURGEON, Jean, La Régie du logement, l'interdiction d'un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit ou droit d'abus ?, (2013) 72 R. du B. 287. Disponible en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/revue-du-barreau/72/1347341639.
[4] D. C. c. OMH de Berthierville, 2012 QCCQ 1524. Lire notamment à ce sujet : HO c. Group Properties AZZ ou Z Inc. 2009 QCCQ 100 (CanLII), J.E. 2009-397 (C.Q.).
[5] Manon Berniqué c. Office municipal d'habitation de Salaberry-De-Valleyfield, Cour du Québec, 2021 QCCQ 7326 (CanLII), 760-80-003211-191 du 16 juillet 2021.
[6] Duhamel c. Arseneault et al., 2022 QCTAL 4284.
AVIS :
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