Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 4 mai 2020

Référence neutre : 2020 QCTAQ 04479

Dossier  : SAS-M-250076-1607

Devant le juge administratif :

ANNICK POIRIER

 

S… G…

Partie requérante

c.

RETRAITE QUÉBEC

Partie intimée

et

C… A…

Partie mise en cause

 

 


DÉCISION




[1]              Le requérant (Monsieur) conteste une décision rendue en révision par l’intimée (Retraite Québec)[1] laquelle lui accorde la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour son fils J. à partir de mars 2015 et lui réclame la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour son fils O. à partir de mai 2013[2].

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[2]              Monsieur soumet qu’il a suivi les conseils de l'avocate agissant comme médiatrice que lui et son ex-conjointe ont consulté lors de leur séparation. Bien qu’ils aient deux enfants O. et J., elle leur a conseillé de déclarer chacun la garde complète d’un enfant alors qu’il s’agissait d’une garde partagée. Dès qu’il a été informé en 2016, à la suite d’un appel de sa nouvelle conjointe à Retraite Québec, qu’il ne s’agissait pas de la bonne façon de procéder, il a fait les modifications nécessaires.

[3]              Selon lui, il est possible dans certaines circonstances d’obtenir une rétroactivité plus longue que celle qui lui a été accordée pour son fils J., et étant donné qu’il n’avait aucune intention frauduleuse et qu’il était de bonne foi, c’est ce qu’il désire obtenir.

[4]              Pour sa part, l’avocat de Retraite Québec soutient que le fait d’avoir reçu de mauvaises informations de la part de la médiatrice ne fait pas disparaitre l’obligation de Monsieur de s'informer auprès de Retraite Québec. Qui plus est, il a reçu plusieurs avis[3] concernant le crédit pour le Soutien aux enfants faisant état que l’enfant O. résidait avec lui et non en garde partagée. Or, Monsieur n’a pas avisé Retraite Québec que ces informations étaient inexactes. Dans les circonstances, il demande au Tribunal de confirmer la décision en révision.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]              Le Tribunal[4] doit d’une part déterminer si Retraite Québec peut réclamer à Monsieur la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour l’enfant O. à partir de mai 2013[5].

[6]              D’autre part, il doit également déterminer si le paiement du Soutien aux enfants pour l’enfant J. peut rétroagir au-delà du mois de mars 2015.

[7]              Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que Retraite Québec était bien fondée de réclamer à Monsieur la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour l’enfant O. à partir de mai 2013, mais qu’il a droit à une plus grande rétroactivité que celle accordée pour l’enfant J.

L’ANALYSE

[8]              En matière de Soutien aux enfants, c’est la Loi sur les impôts[6] (la Loi) qui trouve application.

La réclamation

[9]              Cette Loi[7] prévoit qu’un particulier qui reçoit un montant au titre d’un paiement de Soutien aux enfants sans y avoir droit doit le rembourser à Retraite Québec sauf s’il a été versé à la suite d’une erreur administrative que ce particulier ne pouvait raisonnablement pas constater.

[10]           Ainsi, il ressort de la preuve au dossier qu’à la suite de sa séparation, Monsieur a indiqué avoir la garde complète de l’enfant O. alors que dans les faits, l’enfant O. était en garde partagée (50% - 50%).

[11]           Monsieur a reconnu avoir reçu les avis transmis par Retraite Québec qui indiquaient que l’enfant O. résidait avec lui et non en garde partagée. Or, ces avis mentionnaient clairement de vérifier si les renseignements qui y étaient mentionnés étaient exacts et complets et d’aviser obligatoirement sans tarder Retraite Québec si des modifications étaient nécessaires.

[12]           De l’avis du Tribunal, même si Monsieur croyait de bonne foi qu’il n’avait pas besoin d’aviser Retraite Québec de la garde partagée de l’enfant O., cela ne l’exempte pas de son obligation de remboursement.

[13]           En effet, Retraite Québec n’a été avisée de la situation réelle de l’enfant O. qu’en 2016 alors que la situation de garde partagée pour l’enfant O. prévalait depuis le 1er avril 2013.

[14]           Monsieur a ainsi reçu la totalité du Soutien aux enfants pour l’enfant O. à compter de mai 2013, alors qu’il n’avait droit qu’à la moitié puisque cet enfant était alors en garde partagée.

[15]           Monsieur n’ayant déclaré qu’en 2016 la situation réelle en ce qui concerne l’enfant O., le Tribunal ne peut conclure à une erreur administrative de la part de Retraite Québec. Dans les circonstances, la décision en révision est donc à cet égard bien fondée et Monsieur doit rembourser à Retraite Québec la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour son fils O. à partir de mai 2013.

La rétroactivité

[16]           Cette Loi prévoit[8] également que pour recevoir le Soutien aux enfants, un particulier doit présenter une demande auprès de Retraite Québec et qu’une période de rétroactivité de 11 mois précédant le mois de la demande est possible.

[17]           Retraite Québec dispose toutefois d’un pouvoir discrétionnaire et peut ainsi en tout temps proroger ce délai, c’est-à-dire accorder une rétroactivité plus grande que celle prévue.

[18]           Selon la pratique opérationnelle en vigueur[9] au moment de la demande de Monsieur, Retraite Québec n’accorde une rétroactivité que lorsqu’une impossibilité d’agir est prouvée. De plus, l’ignorance de la loi, l’erreur de droit, l’inaction, la négligence, le manque de diligence, l’absence d’intérêt, le désistement, le manque d’argent ou la dépendance à un parent ne peuvent selon cette pratique opérationnelle donner ouverture à une prorogation.

[19]           Le Tribunal rappelle cependant qu’il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas lié par une pratique opérationnelle qui relève de l’administration et qui n’a pas force de loi et qu’il a compétence conformément à l’article 15 de la Loi sur la justice administrative[10] pour rendre la décision qui à son avis aurait dû être rendue par Retraite Québec et a les mêmes pouvoirs décisionnels que le décideur initial.

[20]           À cet égard, le Tribunal fait siens les propos tenus par un collègue dans l’extrait suivant d’une de ses décisions[11]:

« [13] Selon la pratique opérationnelle de RQ, cet organisme n’accorde une rétroactivité de plus de 11 mois que lorsqu’une impossibilité d’agir est prouvée. De plus, l’ignorance de la loi et l’erreur de droit ne peuvent permettre d’accorder une prorogation, sauf lorsque l’erreur de droit est introduite par l’organisme.

[14] Avec égards, le soussigné qui n’est pas lié par une pratique administrative estime qu’une telle norme (impossibilité d’agir) n’est pas appropriée, en raison de sa rigidité excessive.

[15] Certes, le législateur peut prévoir une telle norme, aussi rigide soit-elle.

[16] Il l’a d’ailleurs fait récemment, en modifiant l’article 1029.8.61.24.1 de la LI pour prévoir que la prorogation de la rétroactivité de 11 mois ne peut se faire que sur démonstration d’une impossibilité en fait d’agir[12].

[17] Cette modification n’est ni déclaratoire, ni rétroactive. Le législateur édicte d’ailleurs qu’elle ne s’applique qu’à l’égard d’une demande présentée à RQ après le 23 septembre 2016.

[18] Toujours avec égards, le soussigné estime que le Tribunal administratif du Québec (Tribunal) doit exercer pleinement sa compétence.

[19] Étant lui-même dans l’ordre administratif, notre Tribunal, lorsqu’il est confronté à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par un organisme, ne peut se limiter à ne réviser que les décisions déraisonnables, à l’instar de la Cour supérieure dans l’exercice de son pouvoir de réforme et de contrôle des décisions des tribunaux inférieurs.

[20] Le Tribunal ne doit aucune déférence à la décision qui est contestée devant lui. Sa mission est de s’assurer qu’à la lumière de la preuve prépondérante, la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu le soit.

[21] La question n’est pas de savoir si la décision contestée de RQ est raisonnable ou déraisonnable. La question est plutôt de déterminer si la preuve prépondérante établit la présence de circonstances particulières et sérieuses pouvant justifier la prorogation de la rétroactivité. »

[21]           Le Tribunal est d’avis que cette interprétation est conforme aux règles qui encadrent le rôle des tribunaux administratifs.

[22]           Le Tribunal est également d’avis que, considérant que la prestation de Soutien aux enfants est une mesure sociale, une interprétation large de la Loi s’impose. En conséquence, le Tribunal doit apprécier les faits particuliers de chaque dossier afin de déterminer s’il existe des circonstances particulières justifiant de proroger le délai pour présenter une demande, et ce, en respectant l’objet de la Loi qui est d’octroyer un crédit aux parents afin de subvenir aux besoins des enfants.[13]

[23]           En effet, bien que Retraite Québec puisse adopter des normes administratives afin de guider la prise de ses décisions, le Tribunal n’est pas lié par celles-ci et ne saurait se limiter à une impossibilité d’agir lorsque des circonstances particulières permettent de justifier la prorogation du délai.

[24]           Cela étant, il appartient à Monsieur de démontrer par une preuve prépondérante, claire et convaincante, en quoi des circonstances particulières peuvent dans son cas, justifier le Tribunal de modifier la décision de Retraite Québec et de proroger le paiement pour une période supérieure à celle prévue par le premier alinéa de l’article 1029.8.61.24 de la Loi.

[25]           Or, après analyse du dossier, le Tribunal conclut que la preuve prépondérante au dossier démontre la présence de circonstances particulières et sérieuses pouvant justifier la prorogation de la rétroactivité.

[26]           Il ressort en effet, autant du témoignage de Monsieur que de celui de la mise en cause qu’à la suite de leur séparation, ils ont consulté une médiatrice et que cette dernière leur a conseillé de chacun déclarer la garde complète de l’un des enfants au lieu de déclarer la garde partagée des deux enfants.

[27]           Le Tribunal note à cet égard qu’il n’a aucune raison de douter de la véracité des témoignages de Monsieur et de la mise en cause qui sont tous deux crédibles et convaincants.

[28]           Le Tribunal constate ainsi que bien que cela ne représente pas la situation réelle, Monsieur et la mise en cause sont de bonne foi. Ils n’ont pas voulu tirer avantage de la situation et recevoir des prestations plus élevées que celles auxquelles ils avaient droit. Ils ont tout simplement suivi les conseils de leur médiatrice.

[29]           Monsieur étant alors convaincu qu’il avait procédé d’une manière acceptable, la réception des avis annuels indiquant les informations qu’il avait lui-même transmises ne l’a donc pas incité à communiquer avec Retraite Québec pour déclarer la garde partagée de l’enfant J.

[30]           De plus, de la compréhension de Monsieur, la situation qu’il a déclarée était non seulement conforme aux conseils juridiques reçus, mais ne faisait pas en sorte qu’il obtenait plus d’argent que ce à quoi il avait droit.

[31]           Dans les circonstances particulières du présent dossier, le Tribunal est d’avis que la décision de Retraite Québec de refuser de proroger les prestations au-delà de mars 2015 pour l’enfant J. va à l’encontre de l’objectif poursuivi par le législateur qui est par le versement de prestations de Soutien aux enfants de venir en aide aux enfants. Par ce fait, il prive l’enfant J. d’une partie du soutien de l’état auquel il a droit.

[32]           Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante établit la présence de circonstances particulières et sérieuses pouvant justifier la prorogation de la rétroactivité pour ce qui est de l’enfant J.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE PARTIELLEMENT le recours;

MAINTIEN la réclamation quant à l’enfant O. à compter de mai 2013;

ACCORDE au requérant la moitié du paiement de Soutien aux enfants pour l’enfant J. à compter de mai 2013.


 

 

ANNICK POIRIER, j.a.t.a.q.


 

Laroche & Associés

Me Marc-André Maltais

Avocat de la partie intimée


 



[1] Décision rendue le 16 mai 2016.

[2] Une décision a été rendue par TAQ1 le 30 juillet 2018 (2018 QCTAQ 071081) et révoquée par TAQ2 le 3 décembre 2019 (2019 QCTAQ 11643).

[3] Pièce I-1.

[4] Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre, par ordonnance rendue en vertu de l’article 82, alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative.

[5] Une décision a été rendue par TAQ1 le 30 juillet 2018 (2018 QCTAQ 071081) et révoquée par TAQ2 le 3 décembre 2019 (2019 QCTAQ 11643)

[6] RLRQ chapitre I-3.

[7] Article 1029.8.61.33 de la Loi.

[8] Article 1029.8.61.24 de la Loi.

[9] Pratique opérationnelle 2061-05.

[10] RLRQ chapitre J.3.

[11] 2018 QCTAQ 05118, 11 mai 2018.

[12] Chapitre 29 des Lois du Québec de 2017.

[13] Article 1029.8.61.12 Loi.

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