Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Rusu et Bombardier inc. — Groupe aéronautique (Amérique du Nord)

2016 QCTAT 2654

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

CM-2014-3034    CM-2014-5316

 

Dossier employeur :

102282

 

Montréal,

le 3 mai 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Pierre Flageole

______________________________________________________________________

 

 

 

Ioan Rusu

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Bombardier inc. ─ Groupe aéronautique (Amérique du Nord)

Partie défenderesse

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 28 février 2014, Ioan Rusu (le demandeur) dépose deux plaintes.

[2]           La première plainte prend appui sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] (la LNT). Le demandeur conteste le congédiement qu’il croit que Bombardier inc. - Groupe aéronautique (Amérique du Nord) (la défenderesse) lui a imposé le même jour.

[3]           La deuxième est déposée sous l’article 123.6 de la LNT. Le demandeur reproche à la défenderesse d’avoir commis ou toléré que des gestes de harcèlement psychologique soient posés à son égard.

[4]           L’audience des deux plaintes débute devant la Commission des relations du travail (la Commission) le 28 août 2015 pour se terminer le 3 février 2016. Les parties s’entendent pour que la Commission décide d’abord du bien-fondé des plaintes et réserve sa compétence pour décider des mesures de réparation, y compris la réintégration.

[5]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail (le Tribunal) qui assume les compétences de la Commission et celles de la Commission des lésions professionnelles (la CLP). En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission ou devant la CLP est continuée devant la division compétente du Tribunal.

La plainte de harcèlement psychologique

Le demandeur et son superviseur

[6]           Le demandeur est employé chez la défenderesse depuis le 20 janvier 2011. Avant cela, il y avait travaillé pendant quelques mois, à compter du 26 avril 2010, mais par l’entremise d’une agence.

[7]           Son travail, tant pour l’agence que pour la défenderesse, consiste à planifier des projets et à superviser leur exécution par des entrepreneurs, le tout à l’intérieur des budgets alloués. Son superviseur et le directeur et, dans certains cas, un vice-président approuvent les dépenses. Le demandeur peut engager de petites sommes, s’il obtient l’approbation verbale de son superviseur. S’il doit y avoir dépassement de coûts, il doit faire approuver un nouveau budget avant que de nouveaux bons de commande soient lancés et que les travaux soient poursuivis.

[8]           Janos Courville est le superviseur du service de l’ingénierie de l’usine Challenger de la défenderesse depuis 2007. C’est lui qui a procédé à l’embauche du demandeur à titre de contractuel en 2010 et comme employé permanent par la suite. Il a été le patron immédiat du demandeur depuis son embauche jusqu’à la fin de son emploi.

Janvier 2011 - l’embauche et le salaire

[9]           Le demandeur prétend que, dès le premier jour de son embauche, il est victime d’une conduite vexatoire de la part de monsieur Courville qui lui accorde un salaire de 70 000 $ au lieu des 80 000 $ que lui avait offerts Robert Léger, le patron de monsieur Courville. C’est ce montant de 70 000 $ qui est inscrit à titre de salaire dans la lettre d’embauche qu’il a signée. Cela représentait pour lui une augmentation de salaire et l’accès à des avantages sociaux dont il ne bénéficiait pas à titre d’employé d’une agence. Il a donc accepté l’offre.

[10]        À cela, monsieur Courville répond en déposant un courriel daté du  6 décembre 2010 qui mentionne que monsieur Léger proposait d’offrir un salaire annuel de 70 000 $ au demandeur. C’est le montant qui lui a été offert et qu’il a accepté. Pour monsieur Courville, il n’a jamais été question d’un autre montant, ni avant ni après l’embauche.

[11]        Pour le demandeur, le courriel déposé par monsieur Courville ne contredit pas son témoignage au sujet du montant que monsieur Léger lui avait offert. Il ajoute que la discussion qu’il a eue avec monsieur Léger est postérieure à ce document. Il ajoute que le document d’embauche comporte plusieurs erreurs, par exemple quant à sa date et quant à l’absence de signature par monsieur Léger.

le titre d’emploi

[12]        Le demandeur ajoute que le titre d’emploi qui apparaît sur les documents confirmant le paiement de son salaire est « agent de méthode », alors que sa lettre d’embauche utilise le terme « chargé de projet ». Lorsqu’il a demandé la  modification de ces documents, monsieur Léger lui a expliqué que le titre de « chargé de projet » était à cette époque réservé au personnel de l’informatique.

[13]        Par ailleurs, en 2013, quatre nouveaux ingénieurs sont embauchés pour accomplir des tâches comparables à celles du demandeur et ces nouveaux employés portent le titre de « chargé de projet ». À la suite d’une deuxième demande de changement de titre d’emploi, monsieur Courville lui a répondu que, s’il changeait le titre de son emploi, il devrait réduire son salaire. Les choses en sont restées là.

[14]        Le demandeur prétend avoir été l’objet de moqueries de ses collègues de travail au sujet de son titre d’emploi à de nombreuses reprises, ces derniers lui répétant fréquemment qu’il n’était qu’un simple « agent de méthode ». Personne n’a confirmé cette affirmation. Le demandeur reconnaît que ces remarques de ses collègues étaient faites « à la blague », mais ajoute qu’à la longue, c’est « dérangeant et frustrant ».

[15]        Le demandeur ajoute que, malgré ce qui précède, il n’a pas protesté davantage, car il était heureux d’avoir un emploi chez la défenderesse.

[16]        La défenderesse répond qu’il n’existe pas de poste de « chargé de projet ». Cette expression réfère plutôt à des tâches qui sont effectuées par des « agents de méthode » ou par d’autres employés portant d’autres titres d’emploi dans les registres officiels de la défenderesse.

[17]        Elle dépose, sans opposition de la part du demandeur, une liste des dates d’embauche où plusieurs ex-collègues de travail du demandeur portent le titre de « Methods Agent » alors que, dans les faits, il s’agit de « chargés de projet », tout comme lui. De plus, certains « chargés de projet » portent le titre de « Engineering Specialist Sr. » ou de « Analyst Sr, Facility » ou de « Engineering Professional ». Pourtant, ils font tous des tâches comparables.  

Mars 2012 ─ avertissement écrit

[18]        Lors d’une rencontre quotidienne connue sous l’appellation « Daily morning meeting », le demandeur, répondant à une demande de son superviseur, mentionne qu’il est surchargé de travail. Le superviseur lui annonce cependant qu’il a un nouveau projet à lui confier.

[19]        Le demandeur est tellement frustré qu’en quittant la réunion, il fracasse sa tasse. Il reconnaît que le geste était exagéré. Il reproche à monsieur Courville de lui avoir ajouté des tâches alors qu’il était déjà fatigué et stressé.

[20]        Il est par la suite convoqué à une entrevue disciplinaire et monsieur Courville lui  annonce qu’un avertissement sera déposé à son dossier, tout en lui mentionnant qu’il serait retiré après six mois.

[21]        Six mois plus tard, quand le demandeur s’informe du retrait de l’avertissement, monsieur Courville n’en a aucun souvenir. Le demandeur ajoute que, de fait, il n’a jamais vu cet avertissement.

[22]        Monsieur Courville confirme l’événement et la convocation dans le bureau des ressources humaines. Il mentionne cependant qu’il n’a jamais imposé une mesure disciplinaire, même pas un avertissement écrit, car il a conclu, après discussion avec le représentant des ressources humaines, qu’un tel événement n’allait pas se reproduire.

[23]        Il reconnaît cependant qu’il a été question, lors de la rencontre, de la possibilité d’imposer un avertissement écrit et de ses conséquences, mais aucune décision n’a été annoncée lors de l’entrevue. Il ne semble pas avoir informé le demandeur de sa décision de ne pas imposer d’avertissement écrit.

[24]        Il admet que le demandeur lui a reparlé de cet événement plus tard. Au départ, il ne savait pas de quoi il s’agissait, mais quand il a su que le demandeur référait à l’incident de la tasse lancée, il lui a confirmé qu’il n’y avait pas eu de lettre de réprimande.

Avril 2012 ─ les tranchées ou caniveaux

[25]        En avril 2012, le demandeur est responsable d’un projet qui consiste à creuser des tranchées ou caniveaux dans le plancher de l’usine afin d’y faire passer divers conduits. Comme le travail se fait dans l’usine d’assemblage, son exécution est délicate. Il ne faut pas s’approcher des avions et il faut, entre autres, contrôler la poussière.

[26]        Le demandeur précise qu’il a pris toutes les précautions nécessaires pour effectuer le travail pendant la semaine normale et que son plan a été accepté par tous. Cependant, le superviseur a décidé que les travaux allaient se faire les samedis et dimanches. 

[27]        Le demandeur ne nie pas que c’était peut-être une bonne idée de faire ces travaux la fin de semaine, mais ce changement l’a obligé à travailler pendant huit fins de semaine consécutives, ce qui lui a causé des inconvénients, entre autres, de nature familiale.

[28]        Un jour, en présence de l’entrepreneur chargé des travaux, le superviseur du demandeur mesure lui-même l’inclinaison des tranchées. Ce n’est pas un geste normal pour un superviseur qui devrait plutôt simplement demander au chargé de projet s’il a fait cette vérification et se fier à sa parole.

[29]         Le demandeur perçoit ce geste comme un manque de confiance flagrant de la part de monsieur Courville et il s’est trouvé humilié devant l’entrepreneur, d’autant que ce dernier a ajouté qu’il n’aurait jamais accepté que son patron fasse lui-même une telle vérification. Cet entrepreneur n’a pas témoigné devant le Tribunal.

[30]        Monsieur Courville mentionne que les travaux étaient difficiles à planifier en raison de la présence d’avions en construction, de la poussière et du bruit. En particulier, la poussière de béton est corrosive pour les moteurs d’avions. C’est en accord avec le demandeur que les travaux ont été transférés au cours des fins de semaine.  Monsieur Courville exigeait que le demandeur soit présent les vendredis, samedis, dimanches et lundis pour planifier et vérifier les travaux. Il était prêt à le libérer les trois autres journées de la semaine, ce que le demandeur n’a pas voulu accepter pour des raisons personnelles.

[31]        Le premier lundi, le demandeur est particulièrement satisfait du travail effectué au cours de la fin de semaine et monsieur Courville l’accompagne pour inspecter les travaux.

[32]        Après avoir félicité le demandeur, monsieur Courville descend dans le caniveau et note la présence d’une déviation entre deux fers angles destinés à supporter la plaque de métal qui sera éventuellement installée pour couvrir le caniveau et sur laquelle les avions devront circuler. Il craignait que le béton ne soit pas tout à fait de niveau avec le reste du plancher.

[33]        Attiré par la discussion, l’entrepreneur s’approche et monsieur Courville lui signale la dénivellation, ce qui, même si elle est infime, peut causer un problème pour la circulation des avions en construction. Ils sont plus fragiles que le produit fini.

[34]        Le demandeur était d’avis qu’il fallait un outil spécialisé, un niveau au laser,  pour détecter la présence de cette dénivellation. Comme il n’y avait pas de niveau immédiatement disponible, monsieur Courville a utilisé un bout de bois (un deux par quatre) et constaté une déviation. Il a fait le même constat avec un niveau ordinaire appartenant à l’entrepreneur.

[35]        Il a demandé au demandeur de faire effectuer la correction, ce qui peut être fait en polissant le béton.

[36]        Monsieur Courville ajoute que, lors de la réunion du vendredi suivant, le demandeur a pris la parole pour le féliciter d’avoir détecté une défectuosité avec un deux par quatre et un simple niveau.

Mi-Septembre 2012 ─ la critique des projets du demandeur ET l’intervention de monsieur courville

[37]        Le demandeur est en vacances pendant une période non précisée, en août et septembre 2012. À cette époque, un nouveau chef de service est en poste,  monsieur Tsantrizos. Il remplace monsieur Léger.

[38]        Selon le demandeur, l’un de ses collègues profite du manque de connaissances du nouveau chef et des vacances de celui-ci pour dénigrer les deux grands projets dont ce dernier est chargé et rédiger une liste de déficiences. Le demandeur admet qu’une partie seulement de ces déficiences était réelle. À son retour de vacances, il s’est empressé de les faire corriger.  

[39]        Lors d’une réunion, vers la mi-septembre 2012, où plus ou moins 125 personnes sont présentes, le nouveau chef de service critique les deux projets du demandeur. Ce dernier veut alors les défendre, mais le chef de service l’empêche de répondre. Quand le demandeur insiste, son superviseur, monsieur Courville, l’interrompt et lui demande de se taire en ajoutant que les projets étaient effectivement mal faits.

[40]        Le demandeur s’en trouve humilié devant 125 personnes.

[41]        Monsieur Courville a une tout autre vision de cet événement. D’abord, il précise qu’il n’y avait pas plus de 80 personnes. Il s’agit d’une réunion plutôt informelle et joviale où on laisse tomber les conflits.

[42]        Il explique qu’à cette réunion, il y a des employés du service des projets et d’autres du service de l’aménagement. Les sources de conflit entre les deux groupes sont nombreuses. De plus, il y a des tensions entre les groupes de salariés syndiqués et ceux qui ne le sont pas.

[43]        Lors de cette rencontre, monsieur Tsantrizos, le chef de service de l’organisation matérielle, présente surtout le volet financier de certains projets.

[44]        Le demandeur s’était absenté du travail pendant un certain temps avant cette réunion et un autre « chargé de projet » s’était occupé de ses dossiers. Il avait préparé, à la demande de monsieur Tsantrizos, une liste des défectuosités dans les dossiers du demandeur, ce qui avait choqué ce dernier. Il accusait son collègue d’avoir amplifié les problèmes dans le but de le faire mal paraître.

[45]        Vers la fin de la rencontre, un plombier pose une question concernant l’installation des nouvelles tranchées dont le demandeur était responsable. Il y avait, semble-t-il, un robinet d’eau brisé qui remplissait les tranchées d’eau, ce qui n’est pas acceptable. Cette problématique s’ajoutait aux autres défectuosités rapportées par le remplaçant du demandeur.

[46]        Monsieur Tsantrizos a reçu les commentaires du plombier et il a voulu mettre fin à la discussion en disant qu’il y avait un problème, que c’était mal fait et qu’on allait corriger la situation. Le demandeur s’est alors levé et a dit : « Je m’excuse - c’est pas mal fait, le plombier ne sait pas de quoi il parle.» Monsieur Tsantrizos voulait clore la discussion.

[47]        Selon monsieur Courville, cette réunion n’est pas le moment de discuter en détail de ce type de problème. Il était mal à l’aise. Monsieur Tsantrizos voulait mettre fin à la discussion. Le demandeur insistait. Monsieur Courville a dû intervenir parce que le demandeur devenait émotif et voulait à tout prix défendre son image. Ce n’était ni le moment ni la façon et cela devenait source de malaise. C’est pour mettre fin à ce malaise que monsieur Courville est intervenu pour demander au demandeur d’écouter monsieur Tsantrizos et d’arrêter d’insister. Le demandeur était au courant de la liste des déficiences préparée par son collègue, mais le problème du robinet brisé n’avait rien à voir avec cette liste. Il s’agissait d’un problème nouveau. L’élément avait été mal fait et il fallait le refaire.

[48]        Quand monsieur Tsantrizos a monté le ton et répété trois fois : « stop, stop, stop », monsieur Courville est intervenu pour calmer le demandeur pour qu’il « cesse de se caler ». Il a voulu mettre un terme à une situation qui n’était pas drôle. Il ne s’est pas levé. Il n’a pas pris la parole, mais s’est adressé uniquement au demandeur pour le calmer.

Fin septembre 2012 ─ Le comité santÉ-sécurité 

[49]        Fin septembre 2012, le demandeur est en rencontre de fin de projet avec le service qui avait demandé le travail. Il y avait environ 25 personnes à la réunion.

[50]        Monsieur Courville s’y présente sans y avoir été invité. Il coupe régulièrement la parole au demandeur pour expliquer ce qu’il veut dire, comme s’il ne savait pas s’exprimer correctement. Il lui reproche aussi de sauter du « coq à l’âne ».

[51]        Non seulement le demandeur s’est-il senti humilié devant ce groupe de 25 personnes, mais en plus, la réunion a été un fiasco, car il n’a pas pu donner toutes les réponses que les personnes qui y assistaient voulaient recevoir.

[52]        Monsieur Courville décrit la rencontre à laquelle il a assisté. Chaque mois, il y a une rencontre du comité local de santé et sécurité. Plusieurs personnes assistent à ces réunions. Les personnes présentes discutent des problèmes reliés à la santé et sécurité et des améliorations en cours.

[53]        Le demandeur était invité à cette rencontre en raison du projet d’aspiration à la source dont il était chargé.

[54]        Madame Dina Conte, la personne responsable de la tenue de la rencontre de fin septembre 2012 a expressément invité monsieur Courville à cette réunion. Elle disait avoir de la difficulté à obtenir des réponses du demandeur. Elle souhaitait avoir des explications.

[55]        Le problème était le suivant : la Commission de la santé et de la sécurité au travail voulait que la présence d’un type de poussière de chrome, potentiellement cancérigène, et qui résulte de la peinture utilisée pour les avions soit diminuée. Il s’agissait d’un dossier sensible et plusieurs employés s’en inquiétaient.

[56]        Des questions se posaient au sujet de la capacité du système d’aspiration en cours d’installation à aspirer les poussières les plus fines.

[57]        Le demandeur, plutôt que de s’en tenir au sujet, soit à l’aspiration des poussières, prétendait que les poussières fines ne sont pas toxiques, qu’il mettait les mains dedans et qu’il n’était pas mort. Ce n’était pas le sujet. Cela avait l’effet de ne pas calmer les inquiétudes des gens, au contraire.

[58]        Monsieur Courville a effectivement tenté à plusieurs reprises de ramener le sujet sur le système d’aspiration, et non sur la toxicité du produit. Il a effectivement mentionné que le demandeur sautait du « coq à l’âne », mais c’était pour lui faire comprendre de parler d’aspiration et non de toxicité.

2 octobre 2012 ─ une facture contestée

[59]        Le 2 octobre 2012, le demandeur s’oppose au paiement à un entrepreneur d’une facture de 27 000 $ au motif que, selon lui, les travaux couverts par celle-ci n’ont pas été effectués. La firme n’avait fait que reproduire, sans modifications majeures, une esquisse qu’il avait lui-même préparée.

[60]        Malgré son opposition, la facture a été payée et débitée à son projet qui en était presque à sa limite budgétaire.

[61]        Monsieur Courville dépose cinq documents qui démontrent le bien-fondé de la dépense. Il s’agissait de vérifier la faisabilité d’utiliser un système d’aspiration usagé pour l’installer dans ce que les parties ont désigné comme étant la « petite paint shop ».

[62]        Ces documents comprennent les instructions aux soumissionnaires, l’offre de service du fournisseur pour un montant de 25 000 $ plus taxes qui porte l’acceptation du demandeur. Ils comprennent aussi les bons de commande préparés par le demandeur qui ont été acceptés par monsieur Courville, son chef de service et le directeur. Ils comprennent enfin les factures qui totalisent 25 000 $. Ces factures portent les initiales du demandeur.

[63]        Selon monsieur Courville, le demandeur avait raison de dire que les travaux exécutés n’étaient pas à la hauteur des attentes de la défenderesse. Même si le contrat était pour un prix forfaitaire de 25 000 $, elle a négocié une réduction de 7 164,48 $ et n’a payé que 17 835,52 $.

4 octobre 2012 ─ la suspension de cinq jours  

[64]        Le 4 octobre 2012, le demandeur est suspendu pour cinq jours.

[65]        La confirmation écrite de cette suspension comporte les mentions suivantes :

Lors de cette rencontre, vous avez admis avoir autorisé des travaux occasionnant un dépassement au PO[3] pour des montants de 4 000$ et de 65 000$, respectivement sur deux projets distincts.

Également, vous avez autorisé aujourd’hui même des travaux sans même avoir une commande approuvée par votre chef de service.

[66]        Le demandeur mentionne, dans un premier temps, que les 27 000 $ auxquels il s’était opposé le 2 octobre 2012 se trouvent inclus dans l’excédent de 65 000 $ qu’on lui reproche.

[67]        Il ajoute qu’il n’avait pas le pouvoir de signer des commandes d’achat. Il ne pouvait donc pas excéder son budget sauf si son supérieur immédiat, monsieur Courville, avait préalablement autorisé la dépense.

[68]        Le Tribunal note cependant que, par la même lettre, la défenderesse reproche justement au demandeur d’avoir autorisé des travaux sans avoir eu une commande approuvée par son chef de service. Le demandeur prétend au contraire qu’il avait obtenu l’accord verbal de son supérieur immédiat, monsieur Courville, avant de faire une dépense urgente et d’un faible montant.

[69]        Pour le demandeur, cette suspension de cinq jours n’est pas conforme aux pratiques de la défenderesse puisqu’elle n’est précédée d’aucune progression des sanctions. Il ajoute qu’il n’a pas été payé pour la journée fériée tombant le 8 octobre, soit pendant la période de suspension. Dans les faits, cependant, il a été suspendu pendant cinq jours, incluant le jour férié. Il n’a donc perdu que cinq jours de salaire.

[70]        Monsieur Courville témoigne que le demandeur a admis, au cours de la rencontre du 4 octobre 2012, qu’il avait autorisé des travaux pour des montants dépassant ses approbations.

[71]        Le montant de 4 000 $ (en fait, 4 934,58 $) concerne un extra sur un contrat. Le demandeur n’a pas suivi les étapes requises pour obtenir les autorisations nécessaires avant de dépenser cette somme. Le document indique clairement que les travaux ont été faits entre mars et juillet 2012 et la demande d’approbation n’est préparée que le 24 juillet 2012.

[72]        Pour le deuxième montant, 65 000 $, c’est la même chose. Il s’agissait d’un contrat dit « à temps et matériel » pour ce que les parties ont appelé la « grosse paint shop ». Ce type de contrat exige un suivi plus rigoureux qu’un contrat à prix fixe. Le contrat à l’origine était assorti d’un budget de 244 000 $ qui a, par la suite, été augmenté à 498 325 $, même si le demandeur ne demandait que 50 000 $ de plus.

[73]        Monsieur Courville estimait, selon les explications du demandeur, que le montant demandé n’était pas suffisant et a suggéré d’aller chercher plus de budget, y compris un montant qui pourrait servir en partie pour la « petite paint shop ». C’est de cette façon que le montant du budget a été doublé.

[74]        Monsieur Courville ajoute qu’il est difficile de planifier les travaux à l’intérieur de la « grosse paint shop » parce que la peinture des avions est prioritaire. Il va sans dire qu’on ne peut travailler dans un atelier de peinture pendant qu’on y peinture un avion. Il avait donc été convenu, avec l’entrepreneur, que, lorsque ses équipes ne pourraient pas travailler dans la « grosse paint shop »,  ils iraient travailler dans la « petite », ce que permettait le contrat à « temps et matériel ».

[75]        Il appartenait au demandeur de surveiller les travaux effectués et leur coût. Bien que le budget ait été doublé, il a quand même été dépassé de plus de 65 000 $ sans que le demandeur demande les autorisations préalables nécessaires.

[76]        Quant à l’autre reproche fait dans la lettre de suspension, les faits se passent le jour même de la rencontre du 4 octobre.

[77]        Le demandeur mentionne à monsieur Courville qu’il a noté des déficiences dans le travail d’un entrepreneur. Pour monsieur Courville, la correction d’une déficience doit être faite aux frais de l’entrepreneur. La défenderesse ne devrait pas avoir à payer pour une déficience. Monsieur Courville apprend que l’entrepreneur réclame un extra de quelques centaines de dollars, alors qu’il s’agissait d’une déficience.

[78]        Monsieur Courville admet qu’il peut autoriser verbalement de petites dépenses qui sont des extras et qui seraient rapidement inscrites au système, mais le demandeur avait parlé de corriger une déficience et il n’a pas demandé à monsieur Courville d’approuver verbalement une dépense.

[79]        Monsieur Courville ne se souvient pas précisément de la façon dont le demandeur a quitté les lieux après l’annonce de la suspension. Selon lui, le demandeur est allé chercher ses clés et son manteau puis il est parti, sans incident.

[80]        Monsieur Courville confirme qu’il est possible chez la défenderesse de procéder à une suspension même si l’employé n’a pas reçu d’avertissement préalable, et ce, en fonction de la gravité de la faute.

[81]        En contre-preuve, le demandeur signale que les documents déposés par la défenderesse pour démontrer le dépassement des coûts sont de deux formats différents, les uns portant des signatures et les autres n’en portant pas. Le Tribunal constate sans aucune hésitation qu’effectivement, certains des documents produits sont des factures détaillées portant des signatures, ce qui est normal, et que les autres sont des états de compte périodiques ne portant pas de signature, ce qui semble tout aussi normal.

12 octobre 2012 ─ le retour après la suspension

[82]        Le demandeur revient au travail le 12 octobre 2012 après sa suspension.

[83]        Au moment de la réunion quotidienne, personne ne lui adresse la parole.  Monsieur Courville l’ignore. Alors que le demandeur insiste, le superviseur lui fait comprendre que ses projets, « c’est de la merde » et ajoute que quelqu’un d’autre va se charger de les compléter. Une vingtaine de personnes ont pu entendre ses remarques.

[84]        Il s’est senti humilié. Il a voulu en parler au chef de service qui l’a plutôt retourné à son superviseur. 

[85]        Il a quitté le travail vers 15 h 30, le 12 octobre 2012 et s’est absenté pendant quatre mois, soit jusqu’à la fin de l’année 2012. Il est revenu au travail de façon progressive à compter du début de l’année 2013 et à plein temps le 11 février 2013.

[86]        Monsieur Courville se souvient de cette journée. Selon lui, le demandeur arrive juste à temps pour la réunion du matin au cours de laquelle on passe en revue l’état des projets.

[87]        Pendant la suspension du demandeur, un autre employé avait supervisé les travaux en cours sur les projets dont le demandeur était responsable. Comme les entrepreneurs de ces projets étaient déjà sur place, le remplaçant du demandeur avait décidé de continuer à faire la supervision, au moins pour cette journée-là.

[88]        Après la rencontre, le demandeur demande à monsieur Courville s’il va reprendre ses chantiers. Ce dernier lui  répond qu’il était nécessaire que le remplaçant supervise les travaux ce jour-là et que, pour lui, il serait souhaitable d’attendre quelques jours pour que le demandeur puisse reprendre ses dossiers.

[89]        Selon monsieur Courville, le demandeur avait l’air très affecté par les récents événements. Il a pris des jours d’absence rémunérés et, par la suite, il s’est absenté pour maladie  jusqu’en janvier 2013.

25 février 2013 ─ l’évaluation de l’année 2012  

[90]        Le 25 février 2013, le demandeur rencontre monsieur Courville pour son évaluation annuelle. Ce dernier lui mentionne que monsieur Tsantrizos veut qu’il lui donne une mauvaise évaluation : des 1 et  des 2 seulement.

[91]        Monsieur Courville lui dit qu’il va lui donner une meilleure évaluation afin de l’aider, tout en lui fixant des objectifs élevés. Il lui suggère aussi de prendre monsieur Tsantrizos comme « coach » afin de l’aider à atteindre ses objectifs.

[92]        Le demandeur est surpris de cette évaluation négative puisqu’il avait eu une bonne évaluation de mi-année et avait été absent pendant plus de deux mois à la fin de l’année.

[93]        Quand il veut en discuter avec le chef de service, monsieur Tsantrizos, ce dernier répond qu’il n’est au courant de cette évaluation et le retourne vers monsieur Courville.

[94]        En raison de sa faible évaluation, le demandeur n’obtient aucune augmentation de salaire pour l’année à venir.

[95]        Monsieur Courville dépose en preuve l’évaluation donnée au demandeur pour l’année 2012. Il explique en détail la procédure suivie et les diverses sections du document. Le demandeur obtient la cote 2 sur 5, c’est-à-dire « rencontre partiellement les objectifs ».

[96]        Le processus permet à l’employé de faire des commentaires avant que son supérieur complète le document. Il est à noter qu’il écrit lui-même:

Je suis déçu de ma performance de cette année 2012, mais je m’engage d’effacer cette image avec une performance exceptionnelle en 2013.

Une performance moyenne en 2012 ne me satisfait pas. Je vais mettre les bouchées doubles pour l’année 2013 en faire rebondir ma performance.

(reproduit tel quel)

[97]        Il se termine par la signature électronique de l’employé qui peut, à titre de dernière étape du processus, ajouter ses commentaires, ce que le demandeur a fait. Il écrit, entre autres :

En conclusion je trouve que ma performance de 2012 mérite au moins la cote de 3. Après tout l’engagement envers notre usine et tous les sacrifices que j’ai fait en 2012 je m’attendais à une récompense mais j’ai eu une réprimande. Merci!

(reproduit tel quel)

[98]        Cette réponse ferme le processus et ni monsieur Courville ni les représentants des ressources humaines ne peuvent ajouter quoi que ce soit après cette étape.

[99]        Monsieur Courville admet qu’il a recommandé au demandeur d’obtenir l’aide d’un « coach ». Il précise que le demandeur admettait avoir certaines difficultés d’organisation du travail, mais qu’il ne connaissait personne qui pourrait jouer ce rôle. C’est alors que monsieur Courville a suggéré monsieur Tsantrizos et le demandeur trouvait que c’était une bonne suggestion.

[100]     De plus, il ajoute que, dans son plan de développement pour l’année 2012, le demandeur avait deux objectifs : « Formation microsoft project » et « Formation intelligence émotionnelle ». Il n’avait suivi ni l’une ni l’autre.

[101]     Monsieur Courville confirme que la cote 2 a pour effet que l’employé ne reçoit aucune augmentation de salaire.  

Début mars 2013 ─ le changement d’emplacement de bureau

[102]     Au début de mars 2013, il y a un important changement dans le service. Alors que monsieur Courville était le superviseur du groupe de l’ingénierie d’usine, il hérite en plus de la supervision du groupe de l’aménagement.

[103]     Le demandeur est affecté aux deux groupes et il est forcé de changer d’emplacement dans le bureau. Alors qu’il avait un espace de travail près d’une fenêtre, il se retrouve au beau milieu d’une aire de travail ouverte près du bureau de  monsieur Courville.

[104]     Il prétend qu’il est le seul qui a changé de place et que cette situation dure pendant six mois jusqu’à ce que le service entier déménage dans d’autres locaux. En contre-interrogatoire, il mentionnera cependant qu’au moins un autre employé a changé de place pour occuper son ancien emplacement.

[105]     En plus, il a fallu trois mois avant que son téléphone fixe ne soit installé sous prétexte d’un manque de budget, ce qui rendait difficile de le joindre par téléphone. Au départ, il ne voyait pas d’inconvénient à ne pas avoir de téléphone fixe, mais, à l’usage, il s’est aperçu qu’il ne recevait pas tous ses appels. Il admet qu’il aurait pu transférer les appels vers son téléphone cellulaire, du moins au cours des premières semaines, ce qu’il n’a pas fait.

[106]     Le demandeur a perçu ce changement d’emplacement comme une punition. Il s’est senti surveillé toute la journée au point où il a choisi de faire son travail après 16 h.

[107]     Monsieur Courville confirme qu’il y a eu fusion de services sous sa responsabilité et reconfiguration complète des locaux.

[108]     Il a aussi nommé deux chefs de groupe avec lesquels il voulait avoir un contact visuel. C’est pour avoir ce contact visuel avec ses chefs qu’il a déplacé le demandeur.

[109]     Il avait prévu un réaménagement complet des espaces de bureau de son nouveau service, mais il a été retardé par des restrictions budgétaires. Entre autres, il n’était pas possible de demander un déplacement d’une ligne téléphonique, car c’était en contrôlant ces déplacements que les restrictions étaient vérifiées. Autrement dit, le moyen privilégié par les personnes responsables pour contrôler les déménagements était de recenser les demandes de branchement de lignes téléphoniques.

[110]     Tous les employés du service ont été consultés concernant les déplacements envisagés et ils ont tous accepté, y compris le demandeur. À l’époque pertinente, il y a eu quatre employés qui ont changé d’emplacement.

[111]     Comme le projet prenait du retard, le demandeur a expressément demandé à monsieur Courville de lui permettre d’emménager dans son nouvel espace, même s’il savait que sa ligne téléphonique ne serait pas déplacée. Il n’était pas le seul dans cette situation. 

[112]     Le demandeur a accepté cette solution et il pouvait faire le transfert de ses appels vers le téléphone qui se trouvait à son nouvel emplacement. Le seul inconvénient était qu’il ne pouvait voir s’il avait un message en attente. Monsieur Courville ajoute que, de plus en plus, les contacts téléphoniques avec les chargés de projet se font par les cellulaires fournis par la défenderesse.  

[113]     Monsieur Courville mentionne qu’il n’a jamais été avisé que l’ancien téléphone du demandeur avait été débranché.  

7 mars 2013 ─ le demandeur somnole

[114]     Le 7 mars 2013, pendant une réunion du groupe, le demandeur ferme ses yeux à deux reprises. Le même après-midi, il somnole à son pupitre. Le lendemain,  monsieur Courville lui remet un avertissement écrit où l’on peut lire :

Si vous êtes malade et somnoler, vous devez prendre les dispositions nécessaires pour y remédier et vous soigner et ne pas en incommoder vos collègues.

(reproduit tel quel)

 

[115]     Le demandeur répond à cet avis en précisant qu’il prend des médicaments qui causent cette somnolence. Il se sent surveillé par ses collègues et son chef de groupe.

[116]     Monsieur Courville confirme que, ce jour-là, le demandeur était enrhumé et est arrivé avec une boite de mouchoirs. Alors qu’il avait le dos tourné à la salle, car il écrivait au tableau, il a entendu les gens réagir dans la salle. Il s’est retourné pour se rendre compte que le demandeur était endormi. Il a demandé à un voisin de le réveiller. Il a ensuite demandé au demandeur s’il allait bien, s’il était fatigué, s’il voulait quitter la rencontre.

[117]     Quelques minutes plus tard, le demandeur s’est endormi de nouveau. Monsieur Courville lui a demandé de sortir, car il perdait le contrôle du groupe. Le demandeur lui a répondu : « C’est pas de ma faute, c’est plat ce que tu présentes.» Cet incident a créé un malaise et monsieur Courville a coupé court à la réunion.

Fin mars 2013 ─ assignation des projets « aménagement »

[118]     À la fin mars 2013, le demandeur n’a pas de projet à surveiller. Un collègue avait repris tous ses projets. Aussi, quatre nouveaux ingénieurs avaient été embauchés et ils avaient des projets.

[119]     Monsieur Couville décide alors d’affecter le demandeur aux deux groupes dont il assurait la supervision, soit le groupe « ingénierie » et le groupe « aménagement ». Selon le demandeur, les projets « aménagement » sont plus petits, mais plus nombreux. Il se retrouve donc surchargé de travail.

[120]     Pour monsieur Courville, à cette époque, les projets de grande envergure tiraient à leur fin et il avait besoin d’aide du côté « aménagement ». C’est dans ce contexte qu’il confie au demandeur des projets « aménagement » dans le secteur transport et magasin. Cela répondait d’ailleurs à son désir, comme prévu dans son évaluation de 2012.

[121]     Un chargé de projet en aménagement reçoit de nombreuses demandes pouvant aller du simple remplacement d’une chaise à quelque chose de plus majeur. Il doit évaluer les projets avec les divers requérants pour en déterminer la pertinence et le coût. Son budget total pour l’année était autour de 50 000 $.  

[122]     Pour monsieur Courville, il est faux de prétendre que la charge de travail du demandeur était plus lourde en raison de l’ajout de projets du côté « aménagement ». Au contraire, elle était bien moindre que celle de 2012.

Avril-mai 2013 ─ approbation des commandes d’achat

[123]     Pendant cette période, le demandeur constate que ses patrons, messieurs Courville et Tsantrizos, tardent à approuver ses demandes d’achat. Ils « trouvaient toujours des bibittes ».

[124]     Il prétend que ses supérieurs essayaient de le mettre en échec. Il était triste, souffrait d’insomnie et se sentait dans un cul-de-sac. Même si son médecin proposait de lui prescrire un long arrêt de travail, il ne pouvait pas se permettre la baisse de revenus qui s’ensuivrait.

[125]     Monsieur Courville nie le reproche concernant le délai à donner les approbations. Il explique en détail la façon dont les choses fonctionnent.

[126]     Prenant un exemple précis, il démontre que, le 16 septembre 2013, le demandeur lui fait le reproche d’avoir tardé pendant 8 jours à répondre à une demande d’approbation alors que cette même demande avait été modifiée par le demandeur 12 minutes plus tôt et que monsieur Courville, au courant du projet, avait demandé des explications additionnelles au demandeur une semaine plus tôt, qu’il n’a reçues que le lendemain de la demande d’approbation.

[127]     Il admet cependant que, lorsque les chargés de projet lui demandent d’approuver des achats uniquement par inscription dans le système informatique, il n’est pas avisé, ni par un bip ni autrement. Il se fait cependant un devoir de vérifier le système régulièrement, mais il admet qu’il peut y avoir de court retard. Lorsque la demande d’approbation est pressante, les chargés de projet ont l’habitude de le prévenir par courriel, ce qui accélère le processus.

Mai à novembre 2013 ─ la valve cACHÉE

[128]     Entre mai et novembre 2013, le demandeur éprouve beaucoup de difficultés au travail. Il n’arrive pas à fournir tout le travail attendu. En plus, monsieur Courville lui « met des bâtons dans les roues ». Il lui cache même des informations.

[129]     Le demandeur requiert l’aide d’un représentant syndical. Ce dernier le dirige vers un organisme qui l’informe de la possibilité de déposer une plainte à la Commission des normes du travail, mais il a choisi de ne pas le faire.

[130]     Monsieur Courville répond au reproche que le demandeur lui fait concernant des informations qu’il aurait cachées. L’incident est lié à l’achat de débitmètres. Pour les installer, il faut couper la ligne d’eau en fermant une valve située sous le tarmac qui, théoriquement, apparaît clairement sur un plan.

[131]     Or, le demandeur ne trouvait pas la valve. Monsieur Courville nie avoir caché quelque information que ce soit au demandeur à ce sujet. Plusieurs hypothèses ont été émises quant à l’existence même de cette valve par un employé de longue date et de fait, cette valve n’a jamais été trouvée.

Décembre 2013 ─ LE TITRE D’EMPLOI

[132]     À une date non précisée en décembre, le demandeur reprend la discussion concernant son titre d’emploi. Officiellement, répète-t-il, il porte le titre «agent de méthode » alors que ses collègues de travail sont des « chargés de projet ». Entre autres, des employés d’agences avaient été embauchés comme employés de la défenderesse et le titre de « chargé de projet » leur avait été attribué. 

[133]     Monsieur Courville refuse le changement en expliquant encore une fois au demandeur que s’il changeait son titre d’emploi, il subirait une baisse de salaire. Le demandeur n’a pas insisté, et ce, malgré les moqueries de ses collègues de travail.

[134]     Comme mentionné plus haut, le titre de « chargé de projet » n’existe pas dans la nomenclature des postes. Il s’agit plutôt d’une tâche. D’autres collègues de travail du demandeur portent aussi le titre «agent de méthode.»

21 décembre 2013 ─ LES xCELL

[135]     Il existe chez la défenderesse un programme appelé Xcell. Il s’agit d’un mécanisme servant à récompenser les employés qui apportent des suggestions pour améliorer certains aspects du travail.

[136]     Au cours de l’année 2013, le demandeur a fait plusieurs suggestions, mais elles ont toutes été rejetées par monsieur Courville, sauf une seule que le demandeur a réalisé, mais pour laquelle il n’a pas été payé.

[137]     Monsieur Courville dépose un document qui indique que le demandeur avait proposé un Xcell le 2 décembre 2013 et l’a mis en application le 19 décembre 2013, jour où il l’a approuvé. À la suite de vérifications ultérieures, monsieur Courville confirme que le demandeur n’a pas été payé à l’époque pertinente, car il avait omis de le transmettre à son adjointe administrative. Monsieur Courville explique le processus administratif de paiement des Xcell et ajoute que ce n’est pas le seul cas où il a oublié de faire suivre un Xcell.

[138]     Monsieur Courville confirme qu’il a refusé d’autres suggestions de Xcell provenant du demandeur, par exemple un Xcell concernant la traduction d’un manuel. Il les a refusées, car ce qu’il proposait faisait partie de son travail normal ou ne répondait pas aux critères d’acceptation.  

22 janvier 2014 ─ L’ABOLITION DU POSTE DU DEMANDEUR

[139]     Le demandeur est en vacances du 21 décembre 2013 jusqu’au 16 janvier 2014. Le 22 janvier 2014, il apprend qu’il est congédié. Son emploi prendra fin le 28 février 2014, mais, entretemps, il est libéré, comme c’est le cas pour tous les employés licenciés.

[140]     Il reproche à la défenderesse de l’avoir « chassé » de l’usine, sans lui donner la chance de saluer ses collègues et sans même le laisser récupérer ses effets personnels. Monsieur Courville avait promis de l’appeler pour lui remettre ses effets personnels.

[141]     Monsieur Courville fait état des instructions que les gestionnaires avaient reçues quant à la façon de procéder pour annoncer les mises à pied. Ces instructions comprenaient des règles pour la récupération des effets personnels. Selon la procédure, les employés visés devaient récupérer le minimum d’effets personnels (manteau, clés, etc.) sur-le-champ et prendre rendez-vous avec le gestionnaire ou un représentant des ressources humaines pour le reste de leurs possessions. Cette façon de faire a été expliquée à tous les employés, y compris le demandeur.

[142]     Le demandeur ne voulait pas revenir pour récupérer ses effets personnels et monsieur Courville lui a fait une proposition alternative, c’est-à-dire de l’appeler pour que ses effets personnels soient livrés à la guérite et qu’il puisse en prendre possession rapidement. Le demandeur n’y a pas donné suite.

février 2014 ─ LE REDÉPLOIEMENT

[143]     Selon le plan de redéploiement en place chez la défenderesse, le demandeur a posé sa candidature à 12 postes. Il a en outre été invité à 2 entrevues pour d’autres postes.

[144]     Un représentant du Service des ressources humaines qui s’occupait du redéploiement lui a dit que, malgré la bonne impression qu’il avait faite lors des entrevues, il croyait que les mauvaises références données par son superviseur l’empêchaient d’obtenir un autre emploi. Ce représentant n’a pas témoigné et son nom n’a pas été précisé.

[145]     Monsieur Courville nie avoir été contacté par qui que ce soit pour obtenir des références concernant le demandeur. Il n’a donné aucune référence négative à qui que ce soit concernant le demandeur. Il ajoute que c’est le groupe « Acquisitions de talents » qui est chargé de procéder au déploiement et il ne connait personne de ce service. Il ne joue aucun rôle dans le processus de réaffectation.

procédure de plaintes de harcèlement

[146]     Il existe chez la défenderesse, depuis janvier 2002, une politique de harcèlement qui comporte la possibilité pour un employé de déposer une plainte advenant qu’il se croit victime de harcèlement. Cette politique est disponible sur l’intranet de la défenderesse.

[147]     Une plainte peut être déposée au supérieur immédiat, au supérieur de ce dernier, à des personnes du Service des ressources humaines ou même à un tiers indépendant.

[148]     Le demandeur ne s’est jamais prévalu de ce recours. Ce n’est qu’au moment du dépôt de sa plainte, après son licenciement, que la défenderesse a appris que le demandeur se disait victime de harcèlement psychologique. 

la fin d’emploi du demandeur

[149]     En janvier 2014, la défenderesse annonce d’importantes suppressions de postes à travers le monde, dont 1100 au Canada. Soixante abolitions touchent le secteur Challenger à Dorval dont le demandeur fait partie. Elles doivent être faites dans les services support-soutien et non dans ceux de service-opérations.

[150]     Ce n’est pas monsieur Courville qui prend la décision de supprimer un poste ou un autre. C’est la haute direction de la défenderesse qui annonce l’ampleur des coupures, décide du processus à suivre et des critères à appliquer pour identifier les personnes à licencier.

[151]     Dans le service de l’organisation matérielle auquel monsieur Courville appartient, un poste vacant et deux postes occupés sont éliminés, dont celui du demandeur.

[152]     Le premier critère du choix des personnes à licencier est toujours le même : la performance des années précédentes et celle de l’année en cours. Les années de service et les projets en cours sont d’autres critères utilisés.

[153]     Un superviseur de l’équipe de monsieur Tsantrizos avait eu une note de 2 « rencontre partiellement les attentes », lors de sa plus récente évaluation et son poste a été supprimé.

[154]     Le demandeur était le seul sous la supervision de monsieur Courville qui avait eu une note de 2 dans l’évaluation de 2012. Il allait aussi recevoir la même note pour 2013. Le processus de finalisation de l’évaluation a été retardé puisque le demandeur allait vraisemblablement être licencié à court terme.  

[155]     Un autre employé sous la supervision de monsieur Courville devait lui aussi recevoir une note de 2 pour 2013, mais il s’agissait de sa première telle note et il possédait plus de 10 années de service. Enfin, le demandeur n’avait pas de projets complexes et leur transfert à d’autres « chargés de projet » ne posait aucune difficulté.

[156]     Tous les autres employés sous la supervision de monsieur Courville, incluant ceux récemment embauchés, avaient été évalués à la mi-année 2013 et aucun d’eux ne se dirigeait vers une note de 2 pour l’année 2013.

[157]     À l’automne de 2014, il y a eu une autre vague de coupures encore plus importante et les mêmes critères ont été utilisés. Depuis 2013, il y a de moins en moins de projets dans le service que supervise monsieur Courville, compte tenu de la réduction des budgets.

[158]     Monsieur Courville dépose une liste des dates d’embauche des salariés faisant partie de son équipe. Le demandeur conteste les dates reconnues à deux collègues de travail. La défenderesse confirme l’information. Le Tribunal est d’avis que cela est sans importance puisque, dans les deux cas, les années de service de ces personnes sont  moindres que celles du demandeur, qu’elles soient celles indiquées au document déposé par la défenderesse ou celles mentionnées par le demandeur.

[159]     En réponse à la preuve de la défenderesse, le demandeur fait état de sa formation générale d’ingénieur. Il n’est pas membre de l’Ordre des ingénieurs, par choix. Il fait état de l’évolution du nombre de « chargés de projets » dans le service dirigé par monsieur Courville avant comme après l’intégration du groupe « aménagement ». Les tâches des « chargés de projet » sont les mêmes malgré certaines différences de niveau de difficulté.

[160]     Selon le demandeur, en 2013, après son retour au travail à la suite d’une absence maladie, sa charge de travail est beaucoup plus lourde que celle des autres « chargés de projet » et que celle des contractuels. Il était le seul à travailler dans les deux secteurs, soit l’ingénierie d’usine et l’aménagement. Il prétend qu’il avait autant de projets que ceux du secteur « ingénierie » en plus d’autant de projets du côté « aménagement. »

[161]     Le demandeur confirme qu’il n’a reçu aucun commentaire de la part de monsieur Courville à la suite de ceux qu’il a inscrits dans son évaluation de 2012. Il ajoute qu’il n’a jamais vu l’évaluation de sa performance pour l’année 2013. Il reconnaît cependant qu’il avait été convenu, en début d’année 2013, qu’il allait vérifier ses coûts de plus près.

[162]     Il confirme qu’il a reçu la lettre mettant fin à son emploi, le 22 janvier 2014. Il était revenu de ses vacances de Noël, le 16 janvier 2014. On lui dit simplement que son poste a été aboli et que son emploi prendra fin à la fin de février 2014. Personne n’indique la raison pour laquelle c’est son poste qui est aboli et non celui d’un autre « chargé de projet ».

[163]     Le demandeur affirme ne pas avoir signé le formulaire d’évaluation pour l’année 2012, mais il reconnaît avoir écrit les commentaires qui s’y trouvent. Selon monsieur Courville, il est impossible d’ajouter des commentaires à cette étape de l’évaluation sans avoir, au préalable, signé le document.  

motifs de la décision

sur la plainte de harcèlement psychologique

[164]     Dans une décision élaborée, Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C[4], la Commission écrit ce qui suit au sujet des éléments qui doivent être prouvés par le demandeur dans le cas d’une plainte de harcèlement psychologique :

[76]      Les auteurs suggèrent donc la présence de critères pour que l’on puisse prétendre à du harcèlement psychologique. Le législateur a repris ces critères à l’article 81.18 de la LNT. Il y a six éléments qui découlent de cet article, soit :

-          une conduite vexatoire;

-          qui se répète;

-          de manière hostile ou non désirée;

-          qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité du salarié et;

-          qui entraîne un milieu de travail néfaste;

-          une seule conduite peut constituer du harcèlement.

[165]     Après avoir fait une analyse détaillée de la doctrine et de la jurisprudence, la Commission, dans cette même décision, définit comme suit chacun de ces éléments :

La conduite vexatoire

[…]

[80]      La conduite est donc la manifestation de gestes, de paroles, de comportements ou attitudes qui humilient ou blessent quelqu’un dans son amour-propre et qui cause des tourments.

Qui se répète

[81]      Bien qu’une seule conduite puisse être du harcèlement psychologique, la règle générale veut que les gestes, paroles, comportements ou attitudes se répètent dans le temps afin qu’il y ait harcèlement psychologique. Il faut donc une certaine continuité temporelle. Le harcèlement sous-entend un ou des comportements qui reviennent, qui se reproduisent, et ce, sur une période donnée. Le décideur doit évaluer chaque cas selon les circonstances particulières propres à la cause. C’est ainsi que des gestes, paroles ou comportements au départ anodins peuvent à cause de l’effet répétitif devenir significatifs et graves.

[…]

De manière hostile ou non désirée

[…]

[85]      Selon les dictionnaires usuels, le mot hostile réfère à un sentiment d’inimitié, d’opposition, voire à un comportement d’ennemi.  Quant à la notion de non désiré, elle réfère à une manifestation qui n’a pas été souhaitée par la victime du harcèlement, et ce, qu’elle ait exprimé ou non sa désapprobation avant l’événement.

[…]

[87]      Cependant dans certains cas, la Commission considère que la présumée victime est en mesure de signifier, même timidement, sa désapprobation afin de faire cesser les comportements non désirés, et que son silence pourrait être un facteur important dans l’analyse du bien-fondé de la plainte.

Qui porte atteinte à la dignité et à l’intégrité du salarié

[…]

[90]      On doit en conclure que pour que l’on soit en face d’une situation qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité, la preuve doit démontrer que l’atteinte a laissé des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, affectent de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime.

Qui entraîne un milieu de travail néfaste

[91]      En plus de porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité, la conduite doit obligatoirement entraîner un milieu de travail néfaste, soit un milieu nuisible, malsain, dommageable. Un milieu qui ne permet pas la réalisation des objectifs liés au contrat de travail de façon saine est un milieu néfaste.

Les manifestations de harcèlement psychologique, selon quel point de vue?

[92]      Les balises étant exposées, reste maintenant à déterminer le prisme à travers lequel les conduites doivent être analysées afin de les considérer comme du harcèlement. Doit-on prendre la vision du plaignant ou un modèle plus neutre.

[…]

[95]      Comme on vient de le voir, il est périlleux de prendre, comme unique point d’analyse, la seule perception du plaignant. Ce point de vue peut être celui d’une victime ou d’une personne ayant des problèmes de victimisation ou souffrant de paranoïa. De plus, chaque personne, en raison de ses traits de personnalité, de son éducation, de sa religion et de son milieu de vie, réagit différemment à une même situation voire à une même conduite.

[…]

[102]    En utilisant le point de vue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, on évite de focaliser uniquement sur le point de vue d’une personne ayant des problèmes de victimisation ou souffrant de paranoïa ou ayant des caractéristiques ou croyances personnelles particulières.

[166]     Les obligations de l’employeur en pareille situation sont prévues à l’article 81.19 de la LNT, lequel se lit comme suit :

81.19 Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

Devoir de l'employeur.

L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.

[167]     Enfin, il faut tenir compte de l’article 123.7 de la LNT qui se lit comme suit :

123.7  Toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les 90 jours de la dernière manifestation de cette conduite.

[168]     Ce n’est que si la démonstration est faite d’une telle manifestation survenue dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte que le Tribunal devra examiner les événements qui se sont produits plus tôt. Dans le cas présent, cela signifie que le demandeur doit faire la preuve d’une conduite de harcèlement psychologique après le 30 novembre 2013.

[169]     Dans la présente affaire, appliquant les enseignements de l’affaire Bangia, il y a  quatre raisons, tout aussi valable l’une que l’autre, pour rejeter la plainte de harcèlement psychologique du demandeur. Chacun des quatre motifs suffit à lui seul pour justifier le rejet de la plainte. 

L’absence de conduite vexatoire

[170]     La première est que, malgré la longue preuve entendue et en supposant même qu’elle soit retenue presque intégralement, il est impossible de qualifier l’un ou l’autre des comportements, paroles, actes ou gestes de monsieur Courville, ou de qui que ce soit d’autre, de « conduite vexatoire ».

[171]     Le Tribunal est en effet incapable de trouver, dans les affirmations du plaignant, quoi que ce soit qui dépasse le cadre normal des relations entre un superviseur et son supervisé ou entre un patron et son employé, ni même entre collègues de travail. Au contraire, il conclut que monsieur Courville, tout au long de sa relation avec le demandeur, a fait preuve de courtoisie et de respect.

[172]     Ainsi, et de façon plus particulière, les événements qui se sont produits après le  30 novembre 2013 ne sont pas des manifestations de harcèlement psychologique.

[173]     Le premier de ces événements, survenu à une date non précisée en  décembre 2013, concerne la reprise du débat sur la question du titre d’emploi du demandeur. Ce dernier avait soulevé cette question une première fois en 2011. Le point de vue du demandeur à ce sujet est contredit par la preuve qui indique que ses collègues de travail portent eux aussi des titres d’emploi autres que « chargé de projet », dont certains même celui d’« agent de méthode», comme le demandeur. Comment croire que des employés, exactement dans la même situation, se soient moqués du demandeur pour un titre d’emploi qu’ils partagent avec lui? Les prétentions d’humiliation mises de l’avant par le demandeur sont manifestement surfaites, sinon carrément inventées.

[174]     Quant aux démarches relatives au paiement d’un Xcell réalisé par le demandeur, monsieur Courville a bien expliqué la procédure complexe à suivre et il a admis avoir oublié de faire les démarches pour que le demandeur reçoive les 50 $ auxquels il avait droit. Ce n’était pas son premier oubli de cette nature. Rien ne permet au Tribunal de conclure que ce simple oubli constituait un acte vexatoire. Un simple rappel aurait permis de régler le problème.

[175]     Aussi, le Tribunal ne retient pas l’affirmation du demandeur voulant qu’il ait été « chassé » de l’usine à la suite de son licenciement. La procédure suivie est commune en semblable situation et elle s’est appliquée à tous les employés licenciés en même temps que le demandeur. L’imbroglio qui a peut-être existé quant à la remise au demandeur de ses effets personnels n’a rien de vexatoire. 

[176]     Enfin, quant aux remarques du demandeur concernant de mauvaises références que monsieur Courville aurait données dans le cadre du redéploiement, le Tribunal est d’avis que le requérant n’en a pas fait la preuve.

[177]     Le Tribunal pourrait s’arrêter là, le demandeur n’ayant pas fait la preuve d’un événement de harcèlement psychologique dans les 90 jours précédant sa plainte. Il choisit cependant d’ajouter les motifs qui suivent quant aux autres faits qui ont été soulevés par le demandeur, sans opposition de la part de la défenderesse.

[178]     En ce qui a trait au salaire du demandeur, le Tribunal retient la version de  monsieur Courville. Le salaire de 70 000 $ offert au demandeur est le montant dont avait parlé monsieur Léger, comme un courriel contemporain le confirme. Le demandeur a d’ailleurs signé un contrat pour ce montant. Il n’a pas prouvé que monsieur Courville a diminué le salaire offert pour le blesser. Il faut se rappeler que c’est monsieur Courville qui pilote le dossier et qui souhaite offrir un poste permanent au demandeur. Comment croire qu’il le harcèle en même temps?

[179]     Comment peut-on qualifier de « harcèlement psychologique » le fait que monsieur Courville n’ait pas imposé de mesure disciplinaire à la suite de l’incident de la tasse lancée par le demandeur? Certes, il n’a pas communiqué au demandeur sa décision de ne pas imposer de mesure disciplinaire à la suite de cet incident et il s’agit peut-être d’un oubli regrettable, mais cela est loin de constituer un acte vexatoire. Au contraire, le demandeur aurait plutôt pu conclure que, s’il ne recevait aucun avis, c’est parce qu’il n’y en aurait pas.

[180]     L’incident de la prise de niveau des tranchées est très significatif. Un superviseur a parfaitement le droit de vérifier la qualité du travail de ses employés. Monsieur Courville n’a rien fait d’autre que de signaler et de démontrer une défectuosité que ni le demandeur ni l’entrepreneur, semble-t-il, n’avaient notée. Il n’y a pas là d’acte vexatoire, mais plutôt la preuve évidente de l’orgueil démesuré du demandeur qui, à n’en point douter, supporte mal, ou pas du tout, la critique même lorsqu’elle est bien fondée.

[181]     L’attitude du demandeur au cours de la réunion de la mi-septembre 2012 est une autre manifestation de cet orgueil. Il s’était absenté et un collègue a continué de superviser ses projets. Ce dernier avait noté des défectuosités, ce qui avait choqué le demandeur même s’il admettait qu’il y avait effectivement des choses à corriger. Quand un plombier a parlé d’un robinet d’eau brisé, le demandeur semble s’être emporté afin de défendre son image envers et contre tout. L’intervention de monsieur Courville pour le calmer était tout à fait appropriée.

[182]     La présence de monsieur Courville à la rencontre concernant la santé et la sécurité, à la fin septembre 2012, était tout à fait appropriée d’autant qu’il y avait été invité expressément. Son intervention pour ramener le demandeur sur le sujet alors qu’il s’en écartait de façon inquiétante ne peut pas être qualifiée d’acte vexatoire.

[183]     Quant au paiement d’une facture d’un entrepreneur auquel le demandeur s’opposait, le Tribunal accepte les explications de monsieur Courville qui donne partiellement raison au demandeur et qui a obtenu une réduction de cette facture. Le Tribunal a d’ailleurs noté qu’une facture faisant partie de la réclamation de l’entrepreneur en cause a dûment été approuvée pour paiement par le demandeur. Il aurait été difficile pour la défenderesse de demander l’annulation complète de la totalité du montant d’un contrat forfaitaire. Le Tribunal est incapable de voir quoi que ce soit de vexatoire dans ce genre d’incident qui survient régulièrement dans le cours ordinaire des affaires.

[184]     Par contre, le Tribunal retient entièrement les prétentions de la défenderesse au sujet des dépassements de coûts qui ont valu une suspension de cinq jours au demandeur. Les documents déposés par la défenderesse en font la preuve évidente. On peut y retracer l’augmentation du budget ainsi que la facturation progressive. Il s’agissait d’un contrat « à temps et matériel » et il est clair que le demandeur a laissé l’entrepreneur faire des travaux qui excédaient le budget. Le Tribunal n’a pas à se pencher sur le processus disciplinaire ayant mené à une suspension de cinq jours plutôt qu’à une autre forme de mesure disciplinaire, mais il ne peut voir comment la mesure imposée par la défenderesse pourrait être qualifiée d’acte vexatoire. N’est-ce pas l’essence même du travail du demandeur de surveiller la qualité des travaux et leur coût?

[185]     À son retour des cinq jours de suspension, le demandeur est frustré parce qu’un collègue l’a remplacé pendant cette période et qu’il va superviser le travail de l’entrepreneur qui est déjà sur place ce jour-là. Quand monsieur Courville lui mentionne qu’il est souhaitable de reprendre ses dossiers progressivement, sur une période de quelques jours, le demandeur quitte pour plusieurs mois. Le Tribunal ne voit rien de vexatoire dans le fait que le remplaçant du demandeur supervise les travaux qu’il a planifiés le jour même du retour au travail du demandeur. Il ne voit rien de vexatoire non plus à ce que monsieur Courville ait proposé une reprise progressive des mandats, sur quelques jours. La réaction du demandeur est tout à fait disproportionnée dans les circonstances.

[186]     Le Tribunal ne voit rien de vexatoire dans le processus et dans l’évaluation du demandeur pour l’année 2012. Il convient de rappeler que le demandeur écrit ce qui suit au cours de l’exercice :

Je suis déçu de ma performance de cette année 2012, mais je m’engage d’effacer cette image avec une performance exceptionnelle en 2013.

Une performance moyenne en 2012 ne me satisfait pas. Je vais mettre les bouchées doubles pour l’année 2013 en faire rebondir ma performance.

(reproduit tel quel)

[187]     Le changement d’emplacement de bureau, la perte d’un téléphone fixe et la nouvelle assignation du demandeur, tout cela survenu en mars 2013, ne constituent pas des manifestations de harcèlement psychologique. Monsieur Courville a bien expliqué les raisons pour lesquelles il souhaitait que le demandeur change d’emplacement et il n’est pas contredit quand il affirme que le demandeur était d’accord. Le problème du téléphone fixe n’en est pas un : un transfert d’appel restait possible et la défenderesse fournit un téléphone cellulaire au demandeur, ce qui, comme cela a été évoqué, constitue une façon idéale de communiquer pour une personne qui est appelée à se déplacer sur différents chantiers.

[188]     L’avertissement donné au demandeur lorsqu’il somnolait pendant une rencontre de groupe n’est pas un acte vexatoire. C’est le simple exercice du droit de gérance, d’autant que monsieur Courville invite le demandeur à prendre les dispositions pour remédier au problème de somnolence, tout simplement.

[189]     Quant à l’assignation de mandats d’aménagement, il est clair qu’il s’agissait là d’un simple exercice du droit de gérance et non d’un geste vexatoire. Le Tribunal, en considérant toute la preuve entendue de part et d’autre, ne peut s’empêcher d’être d’avis que le fait d’assigner au demandeur des projets plus nombreux, mais de moindre envergure, était de nature à lui permettre de se réaliser pleinement.

[190]     Le Tribunal ne retient pas l’accusation du demandeur concernant le retard à approuver ses demandes. Les explications données par monsieur Courville concernant la procédure d’approbation sont convaincantes. Le système ne lui signale pas l’arrivée d’une demande d’approbation dans son ordinateur et il est loisible à tous les « chargés de projet » d’annoncer une situation d’urgence par courriel. Dans un tel cas, les demandes sont examinées sans retard. Le demandeur n’a fait la preuve d’aucun acte vexatoire quant à la procédure d’approbation de ses demandes.

[191]     L’accusation du demandeur au sujet de la valve introuvable est un bel exemple de sa propension à exagérer les choses. Une valve apparaît sur les plans, mais elle est impossible à localiser. Selon le témoignage de monsieur Courville, les hypothèses sont nombreuses : entre autres, il est possible qu’elle ait été recouverte d’asphalte ou carrément enlevée. Rien, absolument rien, ne permet de penser que monsieur Courville connaissait l’information et l’a cachée au demandeur.

L’absence de preuve d’un milieu de travail néfaste  

[192]     La deuxième raison qui motive le rejet de la plainte de harcèlement psychologique est que la preuve révèle qu’en aucun temps, le demandeur ne s’est retrouvé dans un milieu de travail néfaste, au contraire.

[193]     En effet, ce que le Tribunal retient des témoignages du demandeur et de son superviseur, c’est que ce dernier a toujours fait preuve de compréhension à l’égard des difficultés que le demandeur semblait éprouver. À l’exception des moqueries dont le demandeur dit avoir été victime de la part de ses collègues de travail et que le Tribunal ne retient pas, qu’y avait-il de néfaste dans ce milieu de travail? La réponse qui s’impose c’est : rien.

Le point de vue de la personne raisonnable  

[194]     Le troisième motif de rejet est que le Tribunal est convaincu que le demandeur n’est pas la « victime raisonnable » qui doit servir de critère d’appréciation.

[195]     Le demandeur est apparu comme une personne particulièrement orgueilleuse qui s’offusque d’un rien et qui tente de monter en épingle le moindre événement. Dans une certaine mesure, le Tribunal pourrait même conclure à une forme de paranoïa de sa part.

[196]     Le meilleur exemple est certes celui de la valve introuvable. Comment peut-on concevoir de façon raisonnable que l’explication de l’incapacité à localiser cette valve soit due à une volonté expresse de monsieur Courville de faire mal paraître le demandeur quand on sait que cette valve n’a jamais été localisée?

L’absence de plainte

[197]     Le quatrième motif est que le demandeur n’a pas porté ses doléances à la connaissance de la défenderesse en temps opportun.

[198]     L’obligation d’un employeur en cette matière comporte deux volets.

[199]     Il doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique. Cette obligation est généralement satisfaite par la mise en place d’une politique à cet égard et d’une procédure de plainte et d’intervention, ce qui est le cas chez la défenderesse.

[200]     Il doit aussi prendre les moyens pour faire cesser toute conduite constituant du harcèlement psychologique, « lorsque portée à sa connaissance. » Or, comment prétendre que la défenderesse n’a pas rempli cette obligation alors que le demandeur ne l’a jamais saisie du problème allégué?

sur la fin d’emploi

[201]     La décision de la défenderesse de procéder à de très nombreux licenciements n’est pas remise en cause. C’est le choix de licencier le plaignant, plutôt qu’un autre « chargé de projet », qui est contesté.

[202]     Dans un tel cas, les règles concernant le fardeau de la preuve sont bien fixées depuis l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Donohue inc. c. Simard[5] où l’on peut lire :

Au contraire, dans le cas où s’imposent un ou des licenciements pour des motifs d’ordre économique, le fardeau de prouver l’existence de tels motifs incombant au départ à l’employeur, ce n’est pas l’individu qui est visé, mais bien l’ensemble de la structure organisationnelle de l’entreprise. Partant, celui qui en est éventuellement la victime n’est pas protégé par des normes établies par la loi en question. Il n’a que deux moyens de défense, savoir : 1) la contestation du motif économique allégué; 2) la démonstration qu’à son égard la décision prise constitue un congédiement déguisé, par opposition à un licenciement.

[203]     Le rôle du Tribunal dans un tel cas est bien tracé par l’arrêt de la Cour d’appel dans Bousquet c. Desjardins[6] où il est écrit :

1)        Le commissaire du travail a compétence pour décider si la décision de l’employeur est un licenciement ou un congédiement déguisé.

2)        Un employeur ne peut utiliser le prétexte d’un licenciement pour se débarrasser d’un indésirable. Les motifs qui sont retenus par l’employeur doivent être objectifs, impartiaux et non inspirés d’éléments subjectifs propres à l’employé ciblé.

3)        Pour déterminer si la terminaison d’emploi est un congédiement ou un licenciement, le commissaire est autorisé à se pencher sur les critères de sélection. S’ils sont raisonnables, ils ne sont pas indicatifs d’un déguisement. S’ils ne le sont pas, ils en seront un indice.

[204]     Dans le présent dossier, la preuve indique que les critères appliqués pour déterminer quel poste serait aboli ont été fixés par la haute direction de la défenderesse et ont été appliqués de façon uniforme pour l’ensemble des licenciements, et ce, sous le contrôle du Service des ressources humaines de la défenderesse. Voilà des indices d’objectivité.  

[205]     La preuve a aussi révélé que le premier et principal critère est celui de la performance passée. Monsieur Courville n’est pas contredit quand il affirme que le demandeur était le seul employé de son groupe qui avait eu une évaluation portant la note 2, soit « rencontre partiellement les attentes » pour l’année 2012.

[206]     Il n’est pas contredit non plus quand il affirme que tous les autres employés de son groupe avaient des notes supérieures, soit des 3 ou des 4. Il n’était pas nécessaire pour lui de déposer en preuve toutes ses évaluations, en l’absence d’une contestation de son témoignage.

[207]     La preuve n’est pas contredite non plus quand monsieur Courville mentionne que le demandeur se dirigeait vers une deuxième évaluation insatisfaisante pour l’année 2013.

[208]     S’il est exact de dire que le processus n’était pas terminé au moment du licenciement, cette situation n’a rien d’anormal. L’évaluation de l’année 2012 avait été complétée à la mi-février 2013. Le licenciement du demandeur survient le 20 janvier 2014 et il ne faut voir aucun complot dans le fait que celle de 2013 n’était pas encore complétée à ce moment-là.

[209]     Il est raisonnable pour un employeur d’utiliser un critère comme celui de la performance, surtout lorsqu’elle est mesurée par un processus aussi élaboré que celui mis en place par la défenderesse et qui permet à l’employé évalué de faire valoir son point de vue. Il convient de rappeler que, pour l’année 2012, le demandeur reconnaissait lui-même que sa performance n’était pas à la hauteur. Il écrivait en effet :

Je suis déçu de ma performance de cette année 2012, mais je m’engage d’effacer cette image avec une performance exceptionnelle en 2013.

Une performance moyenne en 2012 ne me satisfait pas. Je vais mettre les bouchées doubles pour l’année 2013 en faire rebondir ma performance.

(reproduit tel quel)

[210]     Manifestement, il n’a pas réussi à améliorer sa performance et c’est ce qui justifie que la défenderesse l’ait désigné pour être licencié.

[211]     Ni ses années de service ni les projets dont il était chargé à ce moment-là ne pouvaient justifier que la défenderesse licencie un employé plus performant pour garder le demandeur à son emploi.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE                  les plaintes.

 

 

__________________________________

 

Pierre Flageole

 

M. Ioan Rusu

Pour lui-même en ce qui concerne la plainte sous l’article 123.6 de la LNT

 

Me Judith Cardinaels

PAQUET TELLIER

Pour la partie demanderesse en ce qui concerne la plainte sous l’article 124 de la LNT

 

Me Carolyn Picard

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la dernière audience :      3 février 2016

 

 

  /rl

 



[1]          RLRQ, c. N-1.1.

[2]          RLRQ, c. T-15.1.

[3]          lire : « Purchase order. »

[4]          2006 QCCRT 0419.

[5]          [1988] R.J.Q. 2118 (C.A.).

[6]          [1997] AZ-97011841 (C.A.).

AVIS :
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