Décision

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R. c. Rais

2024 QCCQ 6444

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

No :

500-01-228290-224

 

 

DATE :

12 novembre 2024

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARTIN CHALIFOUR, J.C.Q.

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant

 

c.

 

Seifallah RAIS

 Accusé

 

 

JUGEMENT SUR LA PEINE

 

 

MISE EN GARDE: Une ordonnance en vertu de l’article 486.4 du Code criminel a été rendue à l’égard des présentes procédures judiciaires. Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime concernée.

  1. INTRODUCTION

[1]               Au terme de son procès, Seifallah RAIS a été déclaré coupable d’avoir agressé sexuellement P... D... (ci-après P... D...).

[2]               Il convient désormais de déterminer la peine à lui imposer.

  1. CONTEXTE

[3]               La trame narrative des événements en cause est exposée dans le jugement sur l’accusation. Le Tribunal y réfère in extenso, comme partie intégrante de la présente décision. Cela étant, certains éléments sont à souligner.

[4]               Au moment des événements, P... D... était intoxiqué par l’alcool. Elle avait passé la soirée dans un bar avec des copines. Au moment de la fermeture, vulnérable et désormais seule, le portier en charge a senti le besoin de l’accompagner à un taxi pour qu’elle soit reconduite chez elle en toute sécurité. Avant de quitter l’endroit, elle a chuté en descendant les escaliers du deuxième étage et s’est blessée à un doigt et à un genou. Le portier est sorti avec elle à l’extérieur. Il a hélé un taxi sur la rue et a déboursé le montant du trajet pour elle. Une fois arrivé à destination, le chauffeur (l’accusé, Seifallah RAIS) l’a raccompagné à son appartement. Plus encore, il y est entré. Sur place, il a profité de son état d’intoxication et de confusion pour pratiquer sur elle divers gestes à caractère sexuel. Il lui a touché les seins, l’a pénétré de façon digitale, lui a pratiqué un cunnilingus et a frotté son sexe contre le sien, alors qu’il portait toujours son caleçon. À aucun moment P... D... ne l’a gratifié de gestes de nature sexuelle en retour. Au contraire, durant l’agression, elle communiquait par messages textes avec son copain et un ami pour les aviser de la situation. Elle aura d’ailleurs de brèves communications téléphoniques avec chacun d’eux. C’est finalement le copain de P... D... qui va alerter les policiers. Ceux-ci se sont rendus sur les lieux dans les instants suivants. À leur arrivée, la victime s’est précipitée dans leurs bras, éclatant en sanglots. Elle était en petite culotte.

[5]               L’accusé a été arrêté sur place.

  1. LES CONSÉQUENCES SUR LA VICTIME

[6]               La victime s’est adressée à la Cour par le biais d’une déclaration écrite[1].

[7]               Les événements l’ont profondément marqué, les conséquences qu’elle en a subies se font toujours sentir.

[8]               Alors qu’elle était aux études à temps plein, elle a échoué sa session collégiale de l’automne 2021 et n’a pas été en mesure de reprendre le rythme par la suite.

[9]               Elle devait graduer en 2022, elle était toujours aux études en 2024.

[10]           Son avenir professionnel a été décalé, ses projets futurs remis en question.

[11]           Elle a souffert d’anxiété et de symptômes dépressifs. Elle a été en thérapie et médicamentée; cela a engendré une prise de poids, une perte de cheveux et une perte de son estime personnelle.

[12]           Malgré ses pertes de mémoire dues à son intoxication, son corps se souvient, dit-elle, de l’agression. Elle a perdu la liberté de son innocence : son autonomie en souffre, sa vie sexuelle également. Elle vit de l’insécurité, elle craint de sortir seule, elle s’est isolée.

PROFIL DE L’ACCUSÉ/CONTREVENANT

[13]           À la demande de l’accusé, un rapport présentenciel a été confectionné[2]. On y apprend différents éléments.

[14]           L’accusé a 39 ans. Il est né au Canada d’un père tunisien et d’une mère québécoise. Il a déménagé avec eux en Tunisie à l’âge de 3 ans. Il a été élevé là-bas par une tante. Ses parents sont revenus vivre ici par la suite, sans lui.

[15]           Il est revenu au Canada en 2007, lorsqu’il a appris que son père était mourant. Depuis son retour, il a pratiquement toujours travaillé.

[16]           Il n’est plus chauffeur de taxi, il a perdu son permis.

[17]           Il s’est inscrit à une formation professionnelle en mécanique automobile[3] et travaille actuellement chez Subway[4].

[18]           Il n’a aucun antécédent judiciaire.

[19]           Il vit avec sa conjointe et leurs enfants. Celle-ci est au courant des procédures judiciaires et le soutien. Dans une lettre adressée au Tribunal, elle témoigne de sa bonne réputation et de son implication dans leur vie familiale. Elle souligne d’ailleurs qu’il en est l’unique pourvoyeur financier[5].

[20]           Relativement à l’infraction commise, il ressort du rapport présentenciel qu’il reconnaît les torts qu’il a causés à la victime et qu’il manifeste des remords sincères. On note, toutefois, qu’il offre « une explication peu crédible et incomplète de ses gestes », ce qui nuit à sa remise en question. L’accusé se justifie par la compassion qu’il dit avoir ressentie envers la victime qui était souffrante parce qu’elle s’était blessée, ensuite, parce qu’il dit avoir mal lu les intentions de celle-ci, enfin, parce qu’il ne connaissait pas les symptômes d’une personne intoxiquée par l’alcool et ignorait les lois canadiennes sur le consentement à une activité sexuelle[6].

[21]           Relativement au passage à l’acte, l’agent de probation a conclu : « Nous estimons que son infraction a été motivée par la recherche d’une gratification sexuelle auprès d’une victime perçue comme vulnérable. Il a manqué de jugement et n’a pas su freiner ses pulsions sexuelles. »

[22]           Dans les circonstances, bien que le risque de récidive apparaisse faible, l’agent recommande que l’accusé s’engage dans un processus thérapeutique ciblant la sexualité et la gestion des émotions.

[23]           Enfin, notons que lors des représentations sur la peine, l’accusé s’est adressé à la victime par le biais d’une lettre d’excuse qu’il a tenu à lire [7]. Cela fut fait avec émotions. Il s’est dit touché par les conséquences qu’elle a subies. Il a exprimé des regrets qui ont semblé sincères. Il lui demande le pardon.

[24]           Un ami de longue date de l’accusé s’est aussi adressé au Tribunal par le dépôt d’une lettre. Celui-ci l’a accompagné à chaque date depuis le début du procès.  Il a témoigné de la bonne réputation de l’accusé et a attesté de la sincérité de ses regrets et remords[8].

Position des parties

[25]           La poursuite réclame une peine de 18 mois d’emprisonnement. Elle insiste sur la nécessité de donner priorité à la dénonciation et à la dissuasion considérant le contexte de l’infraction. Elle souligne la présence de plusieurs facteurs aggravants, à savoir : la gravité des gestes posés, leurs conséquences importantes sur la victime, l’exploitation de la vulnérabilité de celle-ci considérant son état d’intoxication et la circonstance d’abus de confiance dans laquelle l’infraction s’est déroulée.

[26]           Elle ajoute qu’un suivi probatoire d’une durée de 2 ans serait nécessaire pour assurer la réhabilitation de l’accusé, notamment pour qu’il s’attarde aux motifs sous-jacents de son passage à l’acte.

[27]           La défense insiste pour sa part sur la nécessité d’individualiser la peine. Elle souligne l’absence d’antécédent judiciaire de l’accusé, sa bonne réputation, les remords sincères qu’il a exprimés et son faible risque de récidive. Elle plaide pour une peine d’une durée 15 à 20 mois à purger dans la collectivité. Elle est en accord avec le suivi probatoire proposé. Elle ajoute que l’accusé est prêt à déposer au greffe de la Cour un montant de 1 000 $ à titre de compensation pour certains frais assumés par la victime suite aux événements[9].

[28]           Contrairement à la poursuite, elle estime qu’il ne s’agit pas d’un cas d’abus de confiance. Un chauffeur de taxi, dit-elle, n’a pas de relations d’une telle nature avec sa clientèle. Enfin, elle conteste qu’il s’agisse d’un cas d’exploitation de vulnérabilité de la victime. Celle-ci n’était pas suffisamment intoxiquée par l’alcool pour être dans un tel état.


  1. LES PRINCIPES DE DÉTERMINATION DE LA PEINE

[29]           Le prononcé de la peine a pour objectif essentiel la protection de la société, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

[30]           Cela se réalise par l’imposition d’une sanction juste visant à dénoncer le comportement illégal et le tort causé aux victimes ou à la collectivité, à dissuader le délinquant et quiconque de commettre des infractions, à l’isoler au besoin, à le conscientiser des torts qu’il a causés, tout en favorisant sa réinsertion sociale[10].

[31]           Il appartient au Tribunal de déterminer s’il est requis d’accorder plus de poids à l’un ou plusieurs de ces objectifs. L’ensemble dépend de chaque cas en espèce[11].

[32]           En bout de piste, un principe cardinal s’impose : la proportionnalité[12].

[33]           Une peine proportionnelle est une peine qui reflète la gravité de l’infraction et le degré de culpabilité morale du délinquant[13].

[34]           La gravité de l’infraction concerne le tort causé par le délinquant à la victime, à la société et à ses valeurs. Le degré de culpabilité morale réfère au degré de responsabilité du délinquant dans le crime perpétré et à ses caractéristiques personnelles[14].

[35]           Le Tribunal doit en conséquence individualiser la peine en tenant compte des circonstances aggravantes et atténuantes qui sont applicables en l’espèce[15].

[36]           De même, il doit tenir compte des peines semblables, pour les crimes semblables, commis dans des circonstances semblables[16].

[37]           Conséquemment, pour qu’il en résulte une peine proportionnelle, l’individualisation et l’harmonisation de la peine doivent être conciliées[17].

[38]           Enfin, plus le crime et ses conséquences sont graves ou plus le degré de culpabilité morale du délinquant est élevé, plus la peine sera lourde[18].  La société doit, par l'entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l'égard de certains crimes et les peines qu'ils infligent sont le seul moyen qu'ont les tribunaux pour transmettre ce message[19].

[39]           Cela étant, le Tribunal doit faire preuve de modération et évaluer, lorsque les circonstances le justifient, les peines les moins contraignantes avant d’envisager la privation de liberté[20].

[40]           Une multitude de facteurs doit donc être mise en équilibre pour atteindre les objectifs fondamentaux visés par la détermination de la peine.

[41]           Il s’agit d’un exercice délicat qui relève davantage de l’art que de la science[21].

  1.  ANALYSE

Gravité objective des infractions

[42]           L’infraction d’agression sexuelle par mise en accusation est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans, cela la situe dans la partie médiane supérieure de l’échelle de gravité[22].

[43]           L’agression sexuelle est qualifiée de fléau[23].

[44]           Toutes les formes de violence sexuelle, y compris la violence sexuelle faite aux adultes, sont moralement blâmables précisément parce qu’elles comportent l’exploitation illicite par le délinquant de la victime — le délinquant traite la victime comme un objet et fait fi de sa dignité humaine[24].

[45]            La jurisprudence reconnaît que les peines imposées en cette matière doivent refléter la gravité, le caractère répréhensible et la nocivité des conduites constituant de la violence sexuelle. La dénonciation et la dissuasion sont des objectifs prioritaires et mènent généralement à une peine d’emprisonnement ferme[25].

Fourchettes des peines

[46]           Les fourchettes des peines permettent de calibrer la peine à imposer avec des comparables. Ce sont des lignes directrices. Ce ne sont pas des règles absolues ni des carcans[26].

[47]           Un juge peut prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, à la hausse ou à la baisse, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine[27].

[48]           Au Québec, la décision rendue dans l’affaire R. c. Cloutier[28] en 2004 a servi d’étalonnage aux fourchettes des peines prononcées en matière d’agression sexuelle.

[49]           Dans l’ouvrage sur la peine du Traité de droit criminel, les auteurs Parent et Desrosiers répertorient ces fourchettes en trois catégories[29].

[50]           Lorsqu’il n’y a qu’une victime et une seule agression, la peine devrait se situer dans la première catégorie. Cette catégorie est ainsi définie :

  • Les sentences de moins de deux ans pour des gestes sexuels de peu de gravité et/ou survenus en de rares occasions et/ou sur une courte période commise à l’endroit d’une seule victime ;

[51]           Les peines en de telles circonstances varient de 12 à 20 mois de détention[30].

[52]           C’est la fourchette à laquelle réfèrent les parties dans la présente affaire.

L’abus de confiance

[53]           Tout abus de confiance est susceptible d’accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l’infraction[31].

[54]           Les situations d’abus de confiance ou d’autorité ne sont pas restreintes aux cas mettant en cause un membre de la famille, un gardien, enseignant ou médecin. La relation de confiance établie entre un agresseur et une victime n’a pas à être « forte » pour être prise en compte parmi les facteurs aggravants. Le degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents[32].

[55]           L’histoire judiciaire canadienne recense plusieurs cas d’agressions sexuelles impliquant des chauffeurs professionnels. À chaque occasion, les tribunaux ont souligné la position de confiance dans laquelle se trouvaient les personnes exerçant un tel métier et l’ont considéré comme un élément aggravant dans la peine à imposer. Les décisions suivantes en sont une illustration :  R. v. Abdullahi, 2010 YKTC 76, par. 6; R. v. Singh, 2012 BCSC 466, par. 19; R. v. Malik, 2012 BCSC 502, par. 43; R. v. Dhindsa, 2014 MBPC 55, par. 11; R. v. Gill, 2015 BCSC 1907, par. 48, 51; R. v. Reslan, 2016 ONSC 6311, par. 96; R. c. Chikhi, 2018 QCCQ 2383, par.61-62; R. v. Ukumu, 2020 ONSC 3645, par. 42; R. v. Ali, 2021 ONSC 1648, par. 15-24; R. v. Einollahi, 2021 ONSC 6048, par. 59-60, 68.

[56]           Notre Cour d’appel le soulignait déjà en 1979, dans R. c. Savard, 1979 CANLII 2936 (QC CA), le juge Kaufman écrivait alors :

There is no doubt in my mind that taxi-drivers (as indeed others in similar occupations) occupy positions of trust. Citizens must feel safe in hailing cabs, especially at night (when this might be the only means of transport), and incidents of this nature must be prevented, in so far as it is within the power of the Courts to do so. That, by itself, would warrant a sentence which, one would hope, will deter others, but where, as here, the accused has a prior record which shows a total disregard for law and order, the situation is even more serious.[33]

[57]           La victime dans cette affaire avait hélé un taxi sur la rue pour rentrer chez elle après une soirée dans un bar. Une fois à destination, plutôt que de la laisser sortir, le chauffeur l’a agressée sexuellement dans sa voiture. La Cour est intervenue pour imposer une peine de 5 ans, en lieu et place de la peine de 23 mois d’emprisonnement prononcée par le juge d’instance.

[58]           Comme la Cour le souligne dans R. v. Singh (déjà citée), ce type d’agression à un impact non seulement sur les victimes, mais aussi sur la collectivité :

[4]    The entire community feels at risk when the well used and relied upon safety of a taxi ride home after a night of drinking becomes a potentially predatory opportunity for sex assault.

[59]           C’est pour être reconduit en sécurité que l’on fait appel à un chauffeur.  Il y a une attente du public. La Cour le souligne dans R. v. Dhindsa (déjà citée) :

[11]  (…)  And the public has high expectations of taxi drivers.  Their vehicles are seen as safety preservers, perhaps by a passenger being navigated through unfamiliar territory or an anxious parent not wanting a child to be alone on the street late at night.  And then there is the publicly promoted use of taxis by those who are too intoxicated to get themselves home in safety.  That was the victim’s situation in the offender’s taxi (…).

[60]           Il s'agit d'un facteur aggravant qui est applicable en l’espèce et qui doit être pleinement considéré.

Les circonstances aggravantes

[61]           Le Tribunal retient les circonstances aggravantes suivantes :

  • Le contexte d’abus de confiance dans lequel l’infraction a été perpétrée ;
  • Le caractère intrusif des gestes posés et leur atteinte à l’intégrité physique, sexuelle et psychologique de la victime ;
  • Les conséquences psychologiques du crime sur la victime ;
  • L’exploitation de la vulnérabilité de la victime considérant son niveau élevé d’intoxication.

[62]           En ce qui concerne ce dernier facteur, il convient de rappeler comment l’accusé est passé à l’acte.


[63]           En quittant le bar, la victime s’est blessée à un doigt et à un genou après avoir déboulé une partie des escaliers du deuxième étage. L’accusé a expliqué qu’une fois arrivés chez elle, il l’a raccompagnée à la porte de son immeuble, et à la porte de son appartement, à sa demande. Il dit aussi être entré chez elle, à sa demande. Si le Tribunal a retenu cette partie de son témoignage, car la victime n’avait aucune mémoire de cette séquence des événements, les conclusions qui ont été tirées sur ce qui a mené aux gestes sexuels non consentis sont importantes : le Tribunal a conclu que l’accusé avait fait preuve d’ignorance volontaire en omettant de se renseigner, sachant qu’il avait des motifs de le faire, et qu’il avait plutôt préféré profiter de la situation[34].

[64]           Il ne s’agit pas ici d’ébats consensuels qui ont pris une tournure non désirée ni d’un « flirt » mal compris. La victime s’est trouvée dans la voiture taxi de l’accusé, intoxiquée, à la sortie des bars sur la rue Mont-Royal, à 3 h 00 du matin. L’accusé avait pleinement conscience de ce contexte. Il avait pu aussi constater que c’était un tiers qui l’avait accompagnée à sa voiture et qui avait payé à l’avance la course pour elle. Enfin, pour avoir parlé avec elle, il savait qu’elle était étudiante de niveau collégial et qu’elle avait un copain.

[65]           Bien que le Tribunal ait statué qu’au moment de l’agression la victime n’était pas intoxiquée à un niveau d’incapacité, il reste qu’elle était fortement sous l’effet de l’alcool[35]. Cela était apparent pour tous, sauf pour l’accusé. À cet égard, il vaut de rappeler que le Tribunal a complètement rejeté son témoignage quant à son appréciation de l’état de la victime[36].

[66]           Une fois rendu à l’appartement de la victime, l’accusé n’avait aucune raison d’y entrer et d’y rester. Sa « mission » était complétée. Or, il est passé en mode sexuel dans les instants suivants, enchaînant les gestes de nature sexuelle allant jusqu’à une quasi-pénétration.

[67]           La victime s’est retrouvée dans la situation que l’on connaît parce qu’elle était intoxiquée, incapable de repousser l’accusé et mettre un terme à l’agression qu’elle subissait. Elle a cherché de l’aide en communiquant de façon confuse avec un ami et avec son copain.

[68]           L’agression qu’elle a subie est directement liée à son état diminué, du fait de son intoxication.

[69]           À propos de la vulnérabilité et l’exploitation d’une victime, les auteurs Parent et Desrosiers indiquent dans leur Traité de droit criminel, tome III, « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 210:


[…] la vulnérabilité de la victime désigne, au point de vue juridique, l’état ou la position d’une personne qui, en raison de sa condition « physique », « mentale », « factuelle », « professionnelle » ou « sociale » est plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée. […]

[70]           La Cour d’appel dans Lemieux c. R., 2023 QCCA 480 réfère à ce passage avec approbation[37].

[71]           Elle ajoute que la vulnérabilité de la victime constitue un facteur aggravant, car la victime n’est pas en mesure de se défendre adéquatement[38].

[72]           Ces paragraphes sont parfaitement applicables en l’espèce.

[73]           Bien que P... D... n’était pas dans un état aussi affecté que la victime dans Lemieux, il reste qu’elle était particulièrement diminuée.

[74]           À l’instar de l’abus de confiance, le Tribunal estime que la vulnérabilité d’une victime doit être évaluée selon un spectre allant de l’incapacité totale, de la personne inconsciente, à la personne suffisamment amoindrie pour ne pas être capable de dire « non » à un inconnu, de lui dire d’arrêter et de quitter son domicile. Il s’agit d’un facteur aggravant qui doit être considéré et être modulé en conséquence.

Les circonstances atténuantes retenues

[75]           Au niveau des circonstances atténuantes, le Tribunal retient :

  •        L’absence d’antécédent judiciaire ;
  • Le fait que l’accusé soit un actif pour la société ;
  •        Son faible risque de récidive ;
  • Les excuses présentées à la victime qui démontrent une empathie à son égard et une prise de conscience des conséquences de ses gestes.

[76]           Par ailleurs, à titre de conséquences indirectes, le Tribunal note que l’accusé est le seul soutien financier de sa famille. Ainsi, advenant une période d’incarcération, celle-ci souffrira d’un manque de ressources pour subvenir à ses besoins. Le Tribunal n’y est pas insensible. Cela dit, aucune preuve particulière n’a été présentée pour en démontrer ses effets concrets. Par ailleurs, il semble que l’accusé se soit préparé en conséquence dans l’éventualité où il devait s’absenter pour une certaine période. Son procureur a informé le Tribunal en ce sens.

[77]           Bien que cela doive être pris en compte dans l’analyse relative à la détermination de la peine, son effet ici n’exerce aucune influence atténuante[39].

 Jurisprudence soumise par les parties

[78]           Chaque partie a soumis des décisions en appui à sa position. Bien qu’il s’agisse d’événements uniques, se situant tous dans la même fourchette de peines, chaque cas à ces particularités. Il n’est pas utile de les résumer de manière exhaustive. Cela dit, quelques commentaires s’imposent pour chacune.

La défense

R. c. Brosseau, 2023 QCCQ 296

[79]           Il s’agit d’une pénétration vaginale non consentie au terme d’une soirée festive.

[80]           Une peine de 21 mois à purger dans la collectivité a été imposée, accompagnée d’une période probatoire d’une durée de 2 ans et 150 heures de travaux communautaires.

[81]           Bien que la victime avait les facultés affaiblies, le Tribunal a conclu qu’elle ne l’était pas au point de la placer dans un état de vulnérabilité au sens du Code criminel.

[82]           Le Tribunal a également statué qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’abus de confiance.

[83]           L’accusé avait 47 ans. Il avait deux antécédents pour conduite avec les capacités affaiblies. Il occupait un emploi stable et était en relation de couple. Son risque de récidive était considéré comme faible.

R. c. Ducharme, 2023 QCCQ 9868

[84]           Il s’agit de divers attouchements sexuels survenus dans une voiture patrouille lors d’un quart de travail. L’accusé et la victime étaient policiers et collègues de travail.

[85]           Une peine de 6 mois à purger dans la collectivité a été imposée.

[86]           La victime était à ses débuts au sein du corps de police, l’accusé était un vétéran respecté, responsable de sa formation. Le Tribunal a considéré qu’il avait une autorité morale sur la victime et qu’il avait abusé de sa confiance.

[87]           La défense demandait une absolution conditionnelle.

R. c. Gravel, 2023 QCCQ 397

[88]           L’accusé et la victime ont été des partenaires intimes pendant une certaine période. Ils ne l’étaient plus au moment des événements. Cela dit, le temps d’un soir, ils ont eu une relation sexuelle consensuelle. Au cours de celle-ci, l’accusé l’a pénétrée par voie anale sans son consentement.

[89]           Une peine de 20 mois à purger dans la collectivité a été imposée.

[90]           Malgré les facteurs aggravants présents, le Tribunal a retenu plusieurs facteurs atténuants et circonstances particulières. L’accusé s’était notamment investi dans des démarches thérapeutiques importantes, à la base de son passage à l’acte. La longueur exceptionnelle des procédures (8 années) a ajouté à la conviction du Tribunal que sa réhabilitation était déjà très avancée.

[91]           Le Tribunal a également pris en compte à titre de circonstances particulières les différentes publications malveillantes dont l’accusé a été victime sur les médias sociaux.

R. c. Michon, 2023 QCCS 2892

[92]           Il s’agit d’une pénétration vaginale non consensuelle survenue entre partenaires intimes.

[93]           Une peine de 15 mois à purger dans la collectivité a été imposée.

[94]           À titre de facteurs atténuants, le Tribunal a retenu le plaidoyer de culpabilité de l’accusé, le rapport présentenciel positif, l’absence de déviance sexuelle, le caractère isolé du geste, le risque de récidive très faible, les regrets formulés, le fait que l’accusé était un actif pour la société et la démarche thérapeutique entamée par celui-ci auprès d’un sexologue, notamment sur la notion de consentement.

Le poursuivant

R. c. Collin Vallée, 2024 QCCQ 470

[95]           L’accusé est un ami du colocataire de la victime. Le soir des événements, le trio a consommé de l’alcool ensemble lors d’une fête. Ils sont retournés par la suite à l’appartement de la victime, celle-ci est allée se coucher dans sa chambre. L’accusé et son colocataire sont ressortis pour poursuivre leur soirée. Ils sont ensuite retournés à l’appartement. À un certain moment, la victime s’est réveillée. L’accusé était sur elle. Il la tenait avec ses deux mains et la pénétrait au niveau vaginal.

[96]           Une peine de 15 mois d’emprisonnement a été imposée à l’accusé.

[97]           À titre de facteurs aggravants, le Tribunal a considéré le caractère très intrusif de l’agir délictuel, l’état de vulnérabilité de la victime (alors qu’elle dormait et était en état d’ébriété), le fait que l’agression a eu lieu dans sa chambre, chez elle, et les conséquences importantes que cela a eues sur elle.

[98]           À titre de facteurs atténuants, le Tribunal a considéré l’absence d’antécédent judiciaire de l’accusé, son faible risque de récidive, le fait qu’il avait cessé de consommer de l’alcool depuis les événements (5 ans) et l’empathie qu’il a manifestée à l’égard de la victime.

[99]           Le Tribunal a aussi considéré le rapport présentenciel positif, le fait qu’il était un actif pour la société et les impacts de sa déclaration de culpabilité sur son statut de résident permanent.

R. c. ST., 2024 QCCQ 1150

[100]      L’accusé et la victime ont été en couple pendant quelques années. L’accusé a été trouvé coupable de trois voies de fait simples, une voies de fait armée et une agression sexuelle. L’ensemble est survenu sur une période de cinq années.

[101]      L’agression sexuelle concerne une pénétration vaginale. L’accusé avait poussé la victime sur le lit et l’avait déshabillée partiellement. La victime lui avait signifié son refus.

[102]      À titre de facteurs aggravants, le Tribunal a notamment considéré que les crimes étaient une série de mauvais traitements envers une partenaire intime, leurs durées, le caractère intrusif de l’agression sexuelle, les risques de récidive et les conséquences des crimes sur la victime.

[103]      À titre de facteurs atténuants, le Tribunal a retenu, l’absence d’antécédent judiciaire de l’accusé, le fait qu’il était un actif pour la société, les remords exprimés (quoique relatifs) et le début d’une introspection.

[104]      Considérant l’ensemble, le Tribunal a imposé une peine de détention ferme de deux ans moins un jour.

[105]      En ce qui concerne le chef d’agression sexuelle, une peine de 18 mois a été imposée.

Lemieux c. R., 2023 QCCA 480

[106]      Au cours d’une soirée festive à la résidence de l’accusé, la victime a eu un malaise et a été malade. L’accusé l’a conduite à sa chambre pour qu’elle se repose, il s’est couché à ses côtés et lui a fait des attouchements aux seins, au ventre et à la vulve. À un moment, il s’est levé, défait son pantalon, et a tenté d’insérer son pénis dans la bouche de la victime. Cela a duré quelques secondes.

[107]      À titre de facteurs aggravants, le Tribunal a considéré l’atteinte physique, sexuelle et psychologique de la victime, l’abus de la relation de confiance (la victime était la conjointe du meilleur ami de l’accusé), l’exploitation de la vulnérabilité de la victime (celle-ci avait consommé une pilule de MDMA, venait de vomir et était étendue assoupie), les conséquences du crime sur elle.

[108]      À titre de facteurs atténuants, le Tribunal a considéré l’absence d’antécédents judiciaires, le fait que l’accusé avait une situation familiale stable et qu’il était un actif pour la société.

[109]      L’accusé avait une entreprise et des contrats importants aux États-Unis. Il avait demandé de pouvoir bénéficier d’une absolution.

[110]      Le Tribunal l’a condamné à 12 mois d’emprisonnement, la Cour d’appel a confirmé la peine prononcée.

[111]      Considérant le poids déterminant des facteurs aggravants en présence, elle a conclu qu’une peine à purger dans la collectivité ne serait pas conforme aux principes de détermination de la peine, notamment quant aux objectifs de dénonciation et dissuasion.

[112]      À ce propos, toutefois, il est nécessaire de noter que dans R. c. Tremblay, 2024 QCCA 543, la Cour d’appel a confirmé une peine de 23 mois à purger dans la collectivité pour une agression sexuelle commise avec pénétration.

[113]      Dans cette affaire, la victime avait 16 ans, l’accusé 19 ans. Ils s’étaient rencontrés via la plateforme Facebook. Lors de leur premier rendez-vous, ils ont eu des échanges de baisers consensuels. À leur deuxième, le lendemain, la situation a été tout autre. L’accusé a pénétré la victime de force au niveau vaginal.

[114]      Bien que la Cour ait reconnu que la peine imposée était clémente, elle a conclu qu’elle ne s’écartait pas de manière déraisonnable du principe de la proportionnalité, ni ne s’écartait de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires, ayant commis des crimes similaires.

[115]      Quant aux objectifs de dénonciation et dissuasion, elle a rappelé que tout était une question de proportionnalité; chaque cas devant être évalué selon ses propres circonstances. Ainsi, à propos de l’emprisonnement à purger dans la collectivité et son arrêt dans Lemieux (déjà citée), elle indique :

[37]    Dans Lemieux, le juge Doyon souligne que, même si l’objectif de dissuasion « peut être atteint par un emprisonnement avec sursis, il reste que “[l]’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis” »[31]. Si l’appelant y voit un énoncé de principe selon lequel l’emprisonnement en milieu carcéral est toujours de rigueur afin de prioriser la dénonciation et la dissuasion, il se trompe. Bien qu’en règle générale, les objectifs de dissuasion et de dénonciation exigent des peines d’emprisonnement en milieu carcéral dans les cas d’agression sexuelle avec emploi de la force, la question de la proportionnalité demeure le fondement essentiel de toute peine infligée[32]. C’est d’ailleurs ce qu’indique le juge Lamer dans l’arrêt Proulx en précisant qu’il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement au seul motif qu’il y a présence de facteurs aggravants qui augmentent le besoin de dénonciation et de dissuasion, et que chaque cas doit être apprécié individuellement[33].

[Références omises]

[116]      La jurisprudence soumise par les parties a ses limites. Elle diffère souvent de la situation de notre affaire. Notamment, aucune ne concerne un chauffeur de taxi. Dans certains cas, l’accusé a plaidé coupable, dans d’autres l’intoxication de la victime n’était pas un enjeu, parfois elle était plus importante qu’ici, ou encore, la nature des gestes n’étaient pas les mêmes, parfois plus grave, parfois limité à des attouchements. Il y a une limite à leur utilité pour déterminer la peine à imposer à l’accusé. Il en ressort néanmoins que plus le crime est grave et plus la culpabilité morale de l’agresseur est élevée, plus la dénonciation et la dissuasion jouent un rôle prépondérant sur la peine prononcée.

[117]      Considérant les faits au dossier, le Tribunal a estimé opportun de se pencher sur les décisions qui concernent des chauffeurs professionnels. Les voici :

R. v. Abdullahi, 2010 YKTC 76

[118]      L’accusé a pris charge de la victime dans la nuit avec son véhicule taxi. Alors qu’il conduisait il lui a pris une main et la mise sur sa cuisse, près de son entrejambe. La victime a réagi en retirant sa main. L’accusé la prise à nouveau pour la mettre sur son pénis, alors sorti de son pantalon. La victime a, à nouveau, retiré sa main.

[119]      Par la suite, l’accusé a reconduit la victime chez une amie.

[120]      La victime était intoxiquée par l’alcool lorsqu’elle a pris place dans le véhicule de l’accusé; elle ne l’était pas toutefois au point d’être dans une position de vulnérabilité.

[121]      L’accusé jouissait d’une bonne réputation, était sans antécédent judiciaire et les évaluations effectuées qualifiaient son risque de récidive de faible.

[122]      Sa demande d’absolution a été rejetée. Il a été condamné à une peine de 3 mois à purger dans la collectivité.

R. v. Singh, 2012 BCSC 466

[123]      La victime a pris place à bord du taxi de l’accusé avec une amie après une fête. Elle était dans un état d’intoxication extrême, dans un état d’incapacité à consentir à toutes activités sexuelles.

[124]      Après avoir déposé l’amie de la victime, l’accusé l’a reconduit chez lui plutôt que chez son copain. Il l’a amenée dans sa chambre et a mis son pénis dans sa bouche.

[125]      Une peine de deux ans moins un jour lui a été imposée. Une période de probation d’une durée d’une année s’est ajoutée à la peine.

[126]      L’accusé avait 26 ans. Il était sans antécédents judiciaires. Il avait toujours occupé un emploi depuis son arrivée au Canada. Il jouissait d’une bonne réputation et était à risque de déportation.

R. v. Malik, 2012 BCSC 502

[127]      Au terme d’une nuit festive, la victime et une amie ont pris place à bord du taxi de l’accusé. Elles étaient toutes deux intoxiquées par l’alcool. Après avoir déposé l’amie, l’accusé a reconduit la victime chez lui pour changer de voiture. La victime lui a demandé la permission d’utiliser sa toilette, ce qu’il a accepté. Lorsqu’elle en est ressortie, l’accusé était en robe de chambre. Il a tenté de l’embrasser, de la déshabiller et d’entrer son pénis dans sa bouche.

[128]      La victime s’est débattue. À un certain moment, ils se sont trouvés au sol, l’accusé par-dessus elle. Elle a réussi à se déprendre et à se sauver. 

[129]      Une peine de 18 mois d’emprisonnement a été imposée, suivie d’une période de probation d’une durée de 2 années.

[130]      La victime avait 17 ans, l’accusé 49 ans. Il était marié, père de 3 enfants et sans antécédents judiciaires. Il jouissait d’une bonne réputation. Il était impliqué dans la communauté et travaillait.

[131]      Il n’avait toutefois démontré aucun remords.

R. v. Dhindsa, 2014 MBPC 55

[132]      La victime avait 18 ans et était intoxiquée à l’alcool.

[133]      L’accusé a vu la victime attendre à un arrêt d’autobus. Il lui a offert de la reconduire, elle lui a mentionné qu’elle n’avait pas d’argent pour le payer, il l’a prise quand même.

[134]      Plutôt que de la reconduire à l’endroit désigné, il l’a reconduite dans un coin industriel. Il lui a fait plusieurs attouchements aux seins et à l’entrejambe, par-dessus ses vêtements.

[135]      La victime s’est sauvée et s’est réfugiée chez une amie.

[136]      L’accusé a plaidé coupable.

[137]      Il était sans antécédents judiciaires, il avait un faible risque de récidive. Les conséquences sur son statut d’immigrant ont été considérées.

[138]      Une peine de 5 mois à purger dans la collectivité lui a été imposée, avec 40 heures de travaux communautaires.

R. v. Gill, 2015 BCSC 1907

[139]      À la sortie d’une boîte de nuit, la victime a pris place à bord du taxi de l’accusé. Elle était légèrement intoxiquée par l’alcool. Elle s’est endormie durant le trajet. L’accusé lui a fait des attouchements aux cuisses et éventuellement il lui a fait une pénétration vaginale digitale. Il l’a ensuite tiré vers lui pour tenter de l’embrasser.

[140]      La victime a souffert d’une lésion vaginale.

[141]      L’accusé avait 38 ans, n’avait aucun antécédent judiciaire, était marié, était un actif pour la société, jouissait d’une bonne réputation et était à risque de déportation.

[142]      Une peine de 3 ans de pénitencier lui a été imposée.

R. v. Reslan, 2016 ONSC 6311

[143]      La victime avait 18 ans. Elle était intoxiquée à l’alcool.

[144]      L’accusé lui a touché les seins pendant qu’il conduisait. Il l’a également embrassé et il lui a fait une pénétration vaginale digitale.

[145]      L’accusé n’avait pas d’antécédents judiciaires, il était un actif pour la société et avait le support de sa famille.

[146]      Une peine d’emprisonnement ferme de 3 mois lui a été imposée. Le juge d’instance a statué qu’un emprisonnement à purger dans la collectivité n’aurait pas été en accord avec les objectifs de dénonciation et dissuasion applicables à l’affaire. Sa décision a été maintenue en appel.

R. c. Chikhi, 2018 QCCQ 2383

[147]      L’accusé a fait 3 victimes sur une période de 1 mois. À chaque occasion, au terme de la course, il a pris les victimes de force par la tête pour les embrasser.

[148]      Toutes les victimes ont subi des conséquences importantes des événements. Pour deux d’entre elles, il les avait suivies à l’extérieur de son véhicule jusqu’à proximité de leur domicile.

[149]      L’accusé était sans antécédents judiciaires et père de 2 enfants. Il travaillait et était un actif pour la société.

[150]      Une peine globale de 7 mois a été prononcée pour les 3 agressions. Une période de probation d’une durée de 3 ans lui a aussi été imposée.

[151]      Toutes les victimes étaient légèrement intoxiquées par l’alcool et avaient fait appel à un taxi pour rentrer à leur domicile en sécurité.

R. v. Ukumu, 2020 ONSC 3645

[152]      Au terme d’une soirée et intoxiqués par l’alcool, la victime et son copain se sont fait aborder par l’accusé alors qu’ils étaient sur la rue. Se faisant faussement passer pour un chauffeur du service « Uber », l’accusé a offert de les conduire.

[153]      Après que la victime soit rentrée chez elle, l’accusé est revenu à sa porte pour lui dire qu’il croyait qu’elle avait oublié des choses dans son véhicule. La victime est sortie pour aller voir. Il y avait deux cartes sur le plancher. Lorsqu’elle s’est penchée dans la voiture, l’accusé s’est appuyé sur elle, par derrière, et l’a fait tomber sur la banquette. Alors par-dessus elle, il a tenté de l’embrasser et lui a fait des attouchements avec sa main sur sa vulve, par-dessus ses vêtements. L’accusé a poursuivi en détachant ses pantalons pour tenter d’entamer une relation sexuelle complète. La victime s’est débattue et a réussi à fuir le véhicule. L’ensemble a duré entre 2 et 5 minutes.

[154]      L’accusé avait 30 ans. Il n’avait aucun antécédent judiciaire et était en attente d’une décision relative à son statut de réfugié au Canada.

[155]      Même si l’accusé n’était pas réellement un chauffeur « Uber », le fait qu’il se soit fait passer pour tel a été considéré comme un abus de confiance, au même titre que s’il en avait été un.

[156]      Une peine de 12 mois d’emprisonnement lui a été imposée.


R. v. Ali, 2021 ONSC 1648

[157]      L’accusé était un chauffeur « Uber », il a fait deux victimes.

[158]      Il a repéré chacune d’elles sur la rue aux petites heures de matin. Aucune n’avait fait appel à ce service de transport.

[159]      Chaque victime était extrêmement intoxiquée. Elles n’avaient aucun souvenir des gestes posés par l’accusé.

[160]      Ce sont des prélèvements d’ADN qui ont permis de déterminer que l’accusé avait été en contact avec la poitrine de chacune d’elles, que ce soit par sa bouche ou ses mains.

[161]      L’accusé n’avait aucun antécédent judiciaire. Il avait le support de sa famille et en était le principal soutien financier.

[162]      Des peines consécutives de 9 mois d’emprisonnement ont été imposées pour chacune des agressions sexuelles, pour un total de 18 mois.

[163]      Une peine supplémentaire d’une durée de 3 mois s’est ajoutée pour une voies de fait causant des lésions corporelles à l’une des victimes.

R. v. Einollahi, 2021 ONSC 6048

[164]      Il s’agit de l’appel d’une peine de 60 jours d’emprisonnement à purger dans la collectivité.

[165]      L’accusé était un chauffeur « Uber ». Il avait embarqué la victime et ses amies après une soirée dans un club. Après avoir reconduit ses amies, l’accusé s’est garé dans un coin reclus près du domicile de la victime. Il a tiré la victime vers lui pour l’embrasser sans son consentement. Il a persisté dans ses tentatives et lui a fait des attouchements aux seins par-dessus ses vêtements. La victime a réussi à se sauver du véhicule et trouver refuge à son domicile familial.

[166]      La victime avait 22 ans, l’accusé 34 ans. Il était sans antécédents judiciaires. Il était marié et père de 3 enfants. Il occupait deux emplois. Le rapport présentenciel était positif.

[167]      Une peine d’emprisonnement ferme d’une durée de 6 mois a été imposée en lieu et place.

[168]      La Cour supérieure est intervenue en considérant que la peine prononcée était manifestement non indiquée, elle ne reflétait pas la nécessaire dénonciation du comportement de l’accusé.

[169]      L’abus de confiance exigeait une peine plus sévère. De même, il était requis de considérer à titre de facteur aggravant que l’accusé croyait que la victime était intoxiquée par l’alcool, et que sur cette base il croyait pouvoir profiter d’une personne vulnérable.

Conclusion sur la peine à imposer

[170]      En l’espèce, l’accusé a passé à l’acte au profit de ses envies et pulsions sexuelles dans un contexte d’abus de confiance et d’exploitation de la vulnérabilité de la victime. Sa responsabilité morale est élevée.

[171]      Le nombre de gestes qu’il a posé, leurs variétés et leurs caractères intrusifs augmentent la gravité de son crime.

[172]      Bien que le processus judiciaire puisse avoir eu sur lui un effet dissuasif, et que son risque de récidive soit faible, la dénonciation et la dissuasion de ce qu’il a fait requièrent un poids prépondérant dans la détermination de la peine.

[173]      Le Tribunal reconnaît qu’une peine à purger dans la collectivité a un effet dissuasif et représente une mesure appropriée dans plusieurs circonstances. Toutefois, « lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce, en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs ». Ici, les facteurs aggravants en présence l’emportent nettement sur les facteurs atténuants. L’incarcération est la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement de l’accusé et pour décourager des comportements analogues dans le futur[40], particulièrement pour les chauffeurs de taxi qui œuvrent auprès d’une clientèle féminine intoxiquée à la sortie des bars.

[174]      À cet égard, à la lecture des affaires répertoriées concernant des chauffeurs de taxi ou de transport social, de type « Uber », un constat troublant s’impose : à chaque occasion, la victime était une femme sous l'effet de l'alcool, et, à chaque occasion, le chauffeur en qui elle avait remis sa destinée, a profité de sa position pour abuser d’elle.

[175]      Cela est profondément choquant et mérite une dénonciation et une dissuasion en conséquence.

[176]      Comme la Cour d’appel le mentionne dans Lemieux :

[96]      La dénonciation n’est pas qu’un concept flou, aux pourtours incertains. Au contraire, la société en comprend très bien la signification puisqu’elle « est l’expression de la condamnation par la société du comportement du délinquant » : R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, paragr. 102. Une telle réprobation « représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel » : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81. Or, « le besoin de dénonciation est intimement lié à la gravité de l’infraction » : R. c. Hills, 2023 CSC 2, paragr. 139. Plus l’ensemble des circonstances de l’infraction est grave, plus la dénonciation s’impose et, dans le but de limiter la prolifération de telles infractions, l’objectif de dénonciation « témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit » : Friesen, précité, paragr. 105.

[177]      L’idée n’est pas de punir l’accusé plus sévèrement que les autres, mais bien de lui infliger une peine proportionnelle à la gravité de son crime et à la hauteur de sa culpabilité morale, tout en considérant l’impact de sa peine sur la collectivité.

[178]      Il vaut de rappeler que c’est dans l’objectif que la victime soit reconduite chez elle en sécurité que M. Steve Alexandre, le portier du bar où elle se trouvait, l’a accompagnée à une voiture taxi et qu’il a payé pour elle le montant du trajet. Il a fait plus que ce que sa fonction exigeait.

[179]      Le malheur a voulu qu’elle tombe sur l’accusé.

[180]      Si, ici, un homme a eu un comportement des plus déshonorables, un autre a, à tout le moins, montré que tous ne sont pas ainsi, bien au contraire. Le Tribunal tenait à le souligner.

CONCLUSIONS

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

IMPOSE à Seifallah RAIS une peine de détention de 14 mois pour le chef d’accusation d’agression sexuelle prévu à l’article 271(1)a) C.cr.;

ORDONNE à Seifallah RAIS de se conformer à une probation d’une durée de 2 années, dont la première sera avec suivi. Il devra se soumettre aux conditions suivantes :

-                 Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ;

-                 Répondre aux convocations du Tribunal ;

-                 Prévenir le Tribunal ou l’agent de probation de ses changements d’adresse ou de noms et de les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation ;

-                 Se présenter à un agent de probation dans un délai de 72 heures de sa libération de prison et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par cet agent ;

-                 Suivre toutes les recommandations de l’agent de probation ;

-                 Ne pas communiquer, directement ou indirectement, avec P... D... ;

-                 Ne pas se trouver au domicile, lieu de travail ou lieu d’étude de P... D...;

-                 Ne pas conduire de véhicule taxi ou de service de transport de personnes.

ORDONNE à Seifallah RAIS de ne pas communiquer de quelque façon que ce soit avec P... D... durant sa détention conformément à l’article 743. 21 C.cr. ;

AUTORISE le prélèvement d’un échantillon d’ADN selon l’alinéa 487.051(1) C.cr. ;

ORDONNE à Seifallah RAIS de se conformer à la Loi sur l'enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans, conformément aux paragraphes 490.012 (3) et 490.13 (1)(2)b) du Code criminel.

 

 

 

__________________________________

MARTIN CHALIFOUR, J.C.Q.

 

Me Karine Lagacé-Paquette

Procureure de la Couronne

 

Me Cédric Materne

Procureur de la Défense

 

Dates d’auditions :   18 avril 2024, 8 juillet 2024

 


[1] S-1. Déclaration de P... D... (article 722 C.cr.). La lettre a été lue par la procureure de la poursuite et déposée au dossier de la Cour.

[2]  S-2.

[3]  SD-1:  Document d’inscription.

[4]  SD-2:  Lettre d’emploi.

[5]  SD-3 : Lettre de Madame Ferjani Cheim.

[6]  S-2 : p. 5 et 6.

[7]  SD-5.

[8]  SD-4 : Lettre de Monsieur Samir.

[9]  Dans sa déclaration, la victime fait état de différentes dépenses : des pleins d’essence à son conjoint pour qu’il assure ses déplacements (elle était devenue trop craintive), elle a dû acheter de nouveaux vêtements (les médicaments lui ont fait prendre du poids), elle a dû payer pour des traitements capillaires divers (le stress lui avait fait perdre des cheveux).

[10]  Article 718 C.cr.

[11]  R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 43.

[12]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 12; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 39-40.

[13]  Article 718.1 C.cr.

[14]  Denis-Damée c. R., 2018 QCCA 1251, par. 58-59; Lacasse, par. 129-130.

[15]  Article 718.2 a) C.cr.

[16]  Article 718.2 b) C.cr.

[17] R. c. Lacasse, par. 53.

[18] Id., par. 12.

[19]  R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 81.; Lemieux c. R., 2023 QCCA 480, par. 96.

[20]  Article 718.2 d) C.cr.

[21]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 9.

[22]  R. c. Gravel, 2018 QCCA 1114, par. 14.

[23]  R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, par. 1.

[24]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 89.

[25]  R. c. Célestin, 2021 QCCQ 8927; R. c. Gravel, 2018 QCCA 1114, par. 15.

[26]  R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64; R. c. Friesen, 2020 CSC 9.

[27]  R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 44; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 58.

[28]  2004 CanLII 48297.

[29]  Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, t. III, « La peine », 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2020, par. 191, p. 836 à 853.

[30]   Côté c. R., 2014 QCCA 2083, par. 22.

[31]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 126.

[32]  Pierre c. R., 2023 QCCA 84.

[33]  Page 287.

[34]  Jugement sur l’accusation : par. 295-296.

[35]  Jugement sur l’accusation : par. 59,60, 179, 200 à 213, 218, 235, 237.

[36]  Jugement sur l’accusation : par. 222, 234 et 250 à 254.

[37]  Paragraphe 62.

[38]   Paragraphe 63.

[39]  R. c. Suter, 2018 CSC 34, par. 48.

[40]  R. c. Proulx, 2000 CSC 5, par. 127.

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