Décision

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Lawee c. Réseau Tel-synergy inc.

2011 QCCS 1745

JD 2422

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-040483-086

 

 

 

DATE :

1er avril 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SYLVIE DEVITO, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

ALAN S. LAWEE

Demandeur

v.

RÉSEAU TEL-SYNERGY INC.

et

GABRIEL HILTSER

et

4298918 CANADA INC.

et

ROSI KANO

et

INES LINARES

Défendeurs

et

4298942 CANADA INC.

et

4156765 CANADA INC.

et

ABDELLAH BELLAHSSAN

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

INTRODUCTION

[1]           Le demandeur, monsieur Alan S. Lawee (« M. Lawee »), prétend qu'il a été l'objet d'un congédiement déguisé. Il ajoute qu'à titre d'actionnaire dans des sociétés constituées selon la Loi canadienne sur les sociétés par actions (« LCSA »)[1], il a droit à certains des remèdes prévus à l'article 241 de cette loi.[2]

LES FAITS

[2]           La défenderesse Réseau Tel-Synergy Inc. (« Tel-Synergy ») est une entreprise de services en matière de télécommunications.

[3]           M. Lawee agit comme agent pour Tel-Synergy depuis environ 2001. Il est lié par une entente avec l'entreprise et reçoit des commissions.

[4]           En 2003, monsieur Patrick Lafrance (« M. Lafrance »), l'actionnaire principal de Tel-Synergy, décide de vendre l'entreprise.

[5]           Plusieurs agents qui travaillent pour Tel-Synergy, dont M. Lawee, manifestent un intérêt pour l'acquérir. Ils décident de former une corporation à cette fin. M. Lawee s'implique activement dans l'organisation du groupe et dans la négociation avec M. Lafrance en vue de l'acquisition. Il agit en quelque sorte comme entremetteur.

[6]           M. Lawee approche messieurs Bassim Kano (« M. Kano ») et Serge Farman (« M. Farman ») pour vérifier leur intérêt dans le projet d'acquisition, principalement à titre d'investisseurs. Il a déjà travaillé avec eux dans le cadre d'autres entreprises que ces derniers exploitent dans le même domaine ou dans des domaines connexes.

[7]           Messieurs Kano et Farman décident de joindre le groupe à titre d'actionnaires majoritaires, mais silencieux. Ce sont leurs épouses respectives, mesdames Rosi Kano (« Mme Kano ») et Ines Linares (« Mme Linares »), qui détiendront les actions. Les deux hommes participent également aux négociations avec M. Lafrance et reconnaissent l'implication soutenue de M. Lawee à ce propos.

[8]           Ainsi, vers le mois de mai 2004, les membres du groupe s'entendent pour constituer la défenderesse 4156765 Canada Inc. (« 65 ») qui détiendra Tel-Synergy.

[9]           Au total, les actionnaires investissent 950 000 $. Messieurs Kano et Farman, par l'entremise de leurs prête-noms, mesdames Kano et Linares, sont majoritaires (la part de chacune est de 250 000 $, soit 500 000 $ au total, représentant un peu plus de 52 % du capital-actions). M. Lawee investit la deuxième plus grosse part, soit 175 000 $, représentant 18,42 % de ce capital[3]. Les cinq autres actionnaires sont des agents qui travaillaient pour Tel-Synergy et leur contribution respective est moindre (50 000 $ pour quatre d'entre eux et 75 000 $ pour un cinquième).

[10]        La transaction conclue, le rôle de M. Lawee passe d'agent à employé de Tel-Synergy. Il devient chef (ou directeur) de l'exploitation. À ce titre, il gère le « back-office », le personnel responsable du service à la clientèle, la programmation du service de facturation et de gestion des ventes, les relations avec les agents et la clientèle. Il est admis qu'il reçoit un salaire annuel d'environ 72 000 $ en plus de certains avantages.

[11]        Durant la première année suivant l'acquisition, même si M. Lawee est chargé de diriger l'exploitation de Tel Synergy, messieurs Farman et Kano, suivent l'évolution financière de la compagnie. M. Lawee se rapporte surtout à M. Farman.

[12]        Au cours de cette période, la situation de Tel-Synergy s'avère chaotique, la réalité ne correspondant pas à ce qui avait été dépeint lors de la vente. Des problèmes majeurs se manifestent, particulièrement au niveau de la gestion de la facturation, des comptes recevables, de la structure des paiements et du versement des commissions aux agents.

[13]        Les agents et actionnaires sont mécontents. Une restructuration interne s'impose. Du personnel additionnel doit être embauché pour effectuer certaines des tâches, notamment certaines de celles qui relèvent de M. Lawee.

[14]        À la suggestion de certains agents et actionnaires, monsieur Gabriel Hiltser (« M. Hiltser ») est recruté par messieurs Farman et Kano pour aider à redresser la situation de l'entreprise. Bien que cette décision soit approuvée par les autres, M. Lawee prétend qu'il est placé devant le fait accompli.

[15]        En mai 2005, M. Hiltser acquiert la moitié des actions de mesdames Kano et Linares (250 000 actions) dans 65 et devient président de Tel-Synergy. Il convient en outre de recevoir des honoraires de consultation.

[16]        M. Lawee doit dorénavant se rapporter à M. Hiltser dont la présence n'est pas sans le frustrer. Toutefois, très rapidement et au terme de discussions tenues entre eux, les deux hommes décident de collaborer.

[17]        À la même époque, deux autres personnes sont embauchées. Elles prennent en charge certaines fonctions occupées jusque-là par M. Lawee. Il s'agit de messieurs Rondeau et Holden, ce dernier étant choisi conjointement par messieurs Hiltser et Lawee.

[18]        Après l'arrivée de M. Hiltser, M. Lawee demeure affecté à l'exploitation mais se concentre particulièrement sur la stabilisation du logiciel de facturation. Deux personnes relèvent de lui : le programmeur, M. Abdellah Bellahssan (« M. Bellahssan »), ainsi que M. Holden.

[19]        Les versions de messieurs Hiltser et Lawee divergent à propos de ce qui survient à l'automne 2005.

[20]        M. Lawee prétend que M. Hiltser l'approche pour lui dire que Tel-Synergy n'a plus les moyens de le garder à son service. Par ailleurs, il indique que son implication au niveau de la recherche et du développement du logiciel de facturation pourrait se poursuivre au sein d'une nouvelle entité distincte de Tel-Synergy dans laquelle lui-même et messieurs Kano et Farman seraient intéressés à investir.

[21]        M. Hiltzer prétend pour sa part que la recherche et le développement de la programmation d'un logiciel de facturation constitue un projet privilégié par M. Lawee. Ce dernier lui indique, dès son arrivée en mai 2005, qu'il travaille sur ce projet depuis déjà un moment. L'idée de créer une entité distincte pour ce faire est proposée par M. Lawee qui y voit un intérêt non seulement pour développer le programme pour Tel-Synergy, mais aussi pour des tiers. M. Hiltser considère qu'il faut d'abord stabiliser le système existant mais trouve l'idée intéressante. Il en parle éventuellement à messieurs Kano et Farman.

[22]        Que l'on retienne l'une ou l'autre des versions, il demeure que les discussions en vue de conclure une entente pour la création de cette entité sont initiées dès la fin de 2005.

[23]        Dans les faits, M. Lawee n'est plus rémunéré par Tel-Synergy à compter du mois de janvier 2006 et se consacre au développement de la programmation. Il occupe toujours un bureau dans les locaux de Tel-Synergy.

[24]        Ce n'est qu'en mai 2006 qu'une entente écrite est signée pour créer 4298942 Canada Inc., faisant affaire sous la dénomination sociale de BillCo (« BillCo »).

[25]        Les principaux actionnaires sont M. Lawee, M. Hiltser et 4298918 Canada Inc., cette dernière faisant affaire sous la dénomination sociale de WivesCo (« WivesCo »).

[26]        Les actionnaires en titre de WivesCo sont mesdames Kano et Linares qui agissent dans les faits comme prête-noms pour messieurs Kano et Farman.

[27]        Les actions de BillCo sont divisées également entre les trois principaux actionnaires. Le solde des actions est détenu par M. Bellahssan.

[28]        Ainsi, le 15 mai 2006, M. Lawee, M. Hiltser et mesdames Linares et Kano signent le document intitulé « Memorandum of Understanding » (« l'entente ») dont les principales dispositions prévoient ce qui suit :

[…]

1.             PREAMBLE

1.1          Whereas Hiltser and WivesCo are in the process of forming a new and innovative corporate entity hereinafter referred to as "BillCo";

1.2          Whereas Lawee and Abdellah Bellahssan (hereinafter referred to as "Bellahssan") wish to become shareholders following the incorporation of BillCo;

NOW THEREFORE, THE PARTIES AGREE AS FOLLOWS:

2.             ACTIVITIES

2.1          BillCo is to become involved in the development of a state of the art, flexible software to manage billing, purchasing and customer relationship management (CRM), hereinafter referred to as the "Product".

[…]

4.          CONSIDERATION

4.1       The consideration for Lawee’s subscription for the shares shall be as follows:

4.1.1     The transfer of all of Lawee’s shares in 4156765 Canada Inc. to the shareholders of 4156765 Canada Inc. pursuant to the shareholders’ agreement of said company currently in effect;

4.1.2    A cash investment of eighty thousand dollars ($80,000.00);

4.1.3     His resignation and release from his position as Chief of Operations from Tel-Synergy Network Inc., to take place at the close of business on January 5th 2006.

4.2       The consideration for both Hiltser and WivesCo shall be that they agree to the advance of funds to BillCo as required from time to time, up to a maximum of Five Hundred and Ten Thousand Dollars ($510,000.00) in all, to be provided in an equal proportion between them.

4.3       The consideration of Bellahssan shall be established in a separate agreement to be concluded between the Board of Directors and Bellahssan.

4.4.         An additional consideration shall be granted to Lawee, Hilstser, and WivesCo, allowing them a gratis license to use the software developed by BillCo for any company in which they are equity participants of at least 20% (twenty percent). This right is strictly limited to the use of the software only and shall not extend to the resale or assignment of said license to any other parties.

5.             OPERATIONS

5.1          Hiltser shall manage BillCo and act as president and chief executive officer.

5.2          Lawee shall be responsible for the execution of the design of the Product and work closely with Hiltser to facilitate the development of the Product and the operations of BillCo.

5.3          Bellahssan shall be responsible for the timely execution of the programming of the product and work closely with Lawee to facilitate the development of the Product, acting as Software Project Manager.

6.          OPTION

6.1       WivesCo hereby grants to Lawee and Hiltser an option to acquire all of WivesCo’s shares (hereinafter referred to as the "Option").

6.2       The Option must be exercised on or before May 15th 2007, after which date it shall expire and become null and void.

6.3       The Option shall be exercised for the amount of Three Hundred Thousand Dollars ($ 300,000.00) payable by certified cheque upon closing of the share transfer.

6.4       In the event that Lawee and/or Hiltser exercise the option as stated herein, WivesCo shall be entitled to receive all cash investments they have invested into the business. This money shall be due to WivesCo as the R&D Tax Credit Claim is received from each government ministry, and the cash investment made by WivesCo shall be repaid in priority of, rather than in proportion to the cash investments made by the other parties.

6.5       The Option shall be exercisable either by Lawee, by Hiltser, or by both of them acting together. Once exercised, Lawee and Hiltser shall each have the right to acquire up to fifty percent (50%) of the shares offered under the Option. Should either party individually decide not to acquire its entire allocation of the offered shares, the other party shall be entitle to acquire the balance of the shares offered under the Option. In the case where Lawee and Hiltser do not participate equally in the acquisition of shares under the Option, the party with the greater shareholding shall grant a proxy to the party with the lesser shareholding such that they shall each be able to vote in parity with the other.

 

7.          NON-PERFORMANCE

7.1       In the event that any of the parties (Lawee, Hiltser or WivesCo) do not provide the funds as agreed upon in clause 4, the parties agree that the Shareholdings shall be redistributed so that the party or parties in default will be diluted in direct proportion to the amount of funds that each has invested up to the moment of default versus the amount that they have committed to invest in clause 4; furthermore, in the case of the Option described in clause 6, the amount required to execute the Option shall be reduced in the same proportion.

8.          DISMISSAL

8.1       In the event that Lawee is dismissed, or is asked to resign voluntarily, Lawee shall be entitled to receive his cash investment of $80,000.00. This money shall be due to Lawee as the R&D Tax Credit Claim relating to his earnings is received from each government ministry. The cash investment made by Lawee shall be repaid in priority of, rather than in proportion to, the cash investments made by the other parties, unless the Option described in clause 6 is exercised, in which case the repayment of monies to Lawee shall rank in equal priority with repayments of monies to WivesCo as described in Clause 6.

[…]

            (notre soulignement)

[29]        Avant la signature de ce document, un autre document de même facture, daté de décembre 2005 est préparé et les parties en discutent. Il est identique au document du mois de mai, sauf qu'il ne comporte pas les articles 7 (7.1) et 8 (8.1)[4].

[30]        Ces dispositions sont ajoutées du consentement de tous, bien que la compréhension de la portée de cet ajout varie. Nous y reviendrons.

[31]        La contribution maximale totale de M. Hiltser et de WivesCo est établie à 510 000 $. Elle équivaut pour chacun d'eux, à l'investissement de M. Lawee, soit la valeur de ses actions dans 65, 175 000 $, plus une mise de fonds de 80 000 $, pour un total de 255 000 $.

[32]        BillCo est constituée le 24 janvier 2006. Les statuts constitutifs, de même que le règlement général de la corporation portent cette date.

[33]        Les résolutions des administrateurs établissant l'actionnariat, autorisant l'émission d'actions et les options accordées à M. Bellahssan, l'émission des actions aux actionnaires, l'option accordée à messieurs Hiltser et Lawee, de même que la résolution bancaire portent des dates se situant entre les 1er et 8 février 2006.

[34]        L'une des résolutions de 65 référant à l'entente[5], datée du 8 février 2006, autorise la vente des 175 000 actions détenues par M. Lawee dans 65 comme suit :

-                     43 750 actions en faveur de Mme Kano;

-                     43 750 actions en faveur de Mme Linares;

-                     87 500 actions en faveur de M. Hiltser.

[35]        Lorsque les parties signent l'entente en mai 2006, M. Lawee remet sa démission à titre d'administrateur de Tel-Synergy. Le document est daté du 5 janvier 2006 et prend effet à cette date.

[36]        Un formulaire de fin d'emploi complété par un employé de Tel-Synergy, quoique très peu lisible, semble indiquer que l'emploi de M. Lawee prend fin le 31 décembre 2005. Malgré l'entente qui prévoit qu'il démissionne de son poste de chef de l'exploitation, la raison indiquée sur le document de cessation d'emploi est « abolition de poste ». La personne qui a préparé ce document n'a pas été entendue et aucun témoin ne peut expliquer le contenu, y compris M. Lawee qui ne l'a reçu que bien plus tard. M. Lawee indique qu'il a une entente avec messieurs Kano et Farman qu'il ne réclamera pas d'assurance-emploi.

[37]        Tel que mentionné précédemment, dès janvier 2006, M. Lawee concentre son temps et ses efforts au nouveau projet. Il continue d'occuper un espace dans les locaux de Tel-Synergy pour lequel un loyer deviendra payable en mai 2006.

[38]        Il estime à l'époque qu'une période allant de 12 à 18 mois est nécessaire pour développer le logiciel. C'est d'ailleurs ce qu'il indique à messieurs Kano, Farman et Hiltser.

[39]        Les échanges entre messieurs Lawee et Hiltser se passent bien. M. Lawee collabore encore occasionnellement avec les employés de Tel-Synergy lorsque des questions particulières se soulèvent et que l'on sollicite son avis.

[40]        Les démarches de M. Lawee lui permettant d'investir 80 000 $ dans la nouvelle entreprise ne se concrétisent qu'au mois de mai 2006[6]. Ainsi, pendant les mois qui précèdent, il travaille sans être rémunéré.

[41]        Le 6 juin 2006, messieurs Hiltser et Lawee conviennent des termes de l'emploi de M. Lawee dans BillCo. Son salaire annuel est fixé à 100 000 $, plus certains avantages, et ce rétroactivement au 15 mars 2006. Ils signent une convention à ce sujet. Dans les faits, c'est grâce à sa mise de fonds que M. Lawee sera rémunéré.

[42]        Il appert qu'après quelque temps, M. Bellahssan ne souhaite plus poursuivre son implication dans le projet BillCo. Il s'en retire quelque part durant l'été 2006. Une mésentente intervient entre lui et M. Lawee.

[43]        Vers la fin de l'été 2006, M. Lawee qui s'occupe de tout ce qui concerne BillCo, sans implication active de M. Hiltser, indique à ce dernier que le projet arrive à une étape où le versement d'une contribution est requis de la part des autres actionnaires.

[44]        Le 25 octobre 2006, M. Hiltser transmet une lettre à WivesCo lui réclamant une contribution de 10 000 $ aux termes de l'entente. Il lui accorde jusqu'au 1er novembre 2006 pour verser la somme, à défaut de quoi WivesCo sera réputée avoir refusé d'avancer la somme réclamée.

[45]        Une rencontre a lieu le 9 novembre 2006 entre messieurs Hiltser, Kano, Farman et Lawee.

[46]        M. Lawee remet un rapport daté du 30 octobre 2006 concernant l'évolution du projet. La réunion se déroule mal. Messieurs Kano et Farman expriment leur insatisfaction sur l'état du projet. Ils font part de leurs attentes quant à ce qui devrait être réalisé pour qu'ils considèrent le versement de la somme demandée. M. Lawee est en désaccord avec l'évaluation faite par ses partenaires. Il soutient que l'avancement du projet rencontre l'échéancier envisagé.

[47]        Le 10 novembre, soit le lendemain de la rencontre, M. Hiltser transmet une lettre aux actionnaires de WivesCo, mesdames Linares et Kano, expliquant les attentes et démarches convenues la veille et qui doivent être complétées par BillCo pour évaluer la faisabilité du projet. Pour ce faire, il indique qu'une contribution de 15 000 $ doit être versée au plus tard le 17 novembre 2006. Il indique :

(…) This amount is in replacement of the written request that was issued on October 25th 2006 and is estimated to cover the projected costs to complete the above tasks as well as the current accounts payable and operating expenses.

[48]        À défaut de répondre ou de verser la somme, il indique que WivesCo sera réputée avoir refusé d'avancer la somme réclamée.

[49]        Dans les faits, ni M. Hiltser, ni mesdames Kano et Linares ne donnent suite à la demande dans le délai requis.

[50]        Le 30 novembre 2006, M. Hiltser mandate les avocats de BillCo pour entreprendre les procédures nécessaires pour réaliser la dilution des actions en faveur de M. Lawee, selon les termes de l'article 7 de l'entente.

[51]        Après cette date, aucun suivi n'est effectué par M. Hiltser, WivesCo, ni par messieurs Kano et Farman, au sujet des instructions données concernant la dilution des actions.

[52]        Il est admis que le livre de minutes de BillCo est remis à M. Lawee le 2 février 2007.

[53]        Quant à M. Lawee, ce n'est que le 1er mars 2007 que son avocat transmet une lettre à M. Hiltser et à WivesCo les invitant à dénouer l'impasse dans laquelle se retrouve BillCo. Il suggère la tenue d'une rencontre pour tenter de régler le litige à l'amiable. Aucune suite n'est donnée à cette invitation.

[54]        Le 3 avril 2007, une entente écrite intervient entre messieurs Hiltser et Bellahssan selon laquelle ce dernier formalise sa renonciation à tous ses droits et actions dans BillCo[7].

[55]        La requête introductive d'instance de M. Lawee est déposée le 4 janvier 2008.

[56]        Depuis lors, M. Lawee indique avoir continué à développer son projet. Toutefois, compte tenu de l'impasse et du litige engagé, il dit avoir été prudent dans l'utilisation du logiciel.

[57]        Malgré l'institution des procédures, les défendeurs ont eu recours, quoique très ponctuellement, aux services de M. Lawee.

[58]        M. Hiltser quitte Tel-Synergy en 2009. Ses actions dans 65 sont rachetées par mesdames Linares et Kano au même prix que celui payé lors de son arrivée en 2005.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

1.            En demande

[59]        M. Lawee résume comme suit le résultat de son aventure commerciale avec les défendeurs :

-                      il n'a plus son emploi chez Tel-Synergy suite à sa démission comme chef (directeur) de l'exploitation;

-                      il a cédé ses 175 000 actions dans 65, sans compensation;

-                      il a été le seul à investir dans BillCo;

-                      il est le seul à avoir travaillé pour BillCo et pendant plusieurs mois, sans rémunération;

-                      l'impasse dans BillCo perdure depuis la fin de 2006;

-                      même si on dilue les actions dans BillCo en sa faveur, l'entreprise ne vaut rien selon lui.

[60]        M. Lawee attribue la situation dans laquelle il se trouve à la mauvaise foi et aux fausses représentations des défendeurs dont le véritable dessein, selon lui, était de le démettre de son emploi chez Tel-Synergy et de l'écarter de l'actionnariat de 65.

[61]        Il articule ses demandes comme suit[8] :

-                     l'arrivée de M. Hiltser, suivie de la réorganisation du travail et de la prise en charge des ses tâches par d'autres, de concert avec l'aventure subséquente dans BillCo, constituent un stratagème ou un complot des défendeurs pour le démettre de son emploi chez Tel-Synergy et pour l'écarter de l'actionnariat de 65, sans aucune compensation;

-                     cela équivaut à un congédiement déguisé pour lequel il est en droit d'une part, d'être indemnisé suivant les règles du Code civil du Québec et d'autre part, d'obtenir réparation suivant l'article 241 LCSA puisque ses intérêts à titre d'actionnaire ont été injustement affectés;

-                     les circonstances entourant la fin de son emploi en décembre 2005 chez Tel-Synergy constituent un congédiement pur et simple, sans préavis suffisant. Sa démission et sa renonciation aux actions dans 65 ont été obtenues de manière abusive et sous de fausses représentations. Il devait bénéficier d'un délai-congé et réclame une indemnité de 100 000 $ à ce chapitre;

-                     l'absence de bonne foi et l'abus de droit de la part des défendeurs dans l'exécution de l'entente lui donnent droit à des dommages qu'il évalue à 50 000 $;

-                     l'entente doit être annulée pour cause de lésion ou vice de consentement, ou encore être résolue pour défaut d'exécution des obligations par les défendeurs. Par conséquent, il doit être remis dans la situation pré-contractuelle, ce qui implique la remise de ses actions dans 65 (ou le paiement de leur valeur : 175 000 $) et le remboursement de sa mise de fonds de 80 000 $, en vertu des articles 1590 et suivants du C.c.Q. ou selon l'article 241 (2) LCSA, le Tribunal devant intervenir pour préserver ses intérêts;

-                     toutes les actions de BillCo doivent lui être attribuées.

2.            En défense

[62]        Les défendeurs contestent les prétentions de M. Lawee et plaident essentiellement qu'il a consenti librement et en pleine connaissance de cause aux diverses transactions, que le projet de BillCo était de son cru et a été initié par lui, qu'ils n'ont jamais exigé sa démission, ni ne l'ont congédié, mais que ce fut sa volonté de procéder ainsi.

[63]        Ils affirment avoir initialement cru au projet BillCo mais que M. Lawee n'a pas livré la marchandise. Ils affirment s'être conformés aux termes de l'entente. Ils concluent à l'échec pur et simple d'une aventure commerciale pour les parties. Ils soutiennent avoir agi de bonne foi en tout temps.

[64]        Ils maintiennent par ailleurs leur consentement à procéder à la dilution des actions de BillCo en faveur de M. Lawee suivant les termes de l'entente.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[65]        Les questions en litige peuvent se résumer ainsi :

1.            M. Lawee a-t-il été congédié?

a)            l'arrivée de M. Hiltser a-t-elle été planifiée dans le but principal d'évincer M. Lawee?

b)            le projet BillCo a-t-il été mis sur pied dans l'unique but d'évincer M. Lawee?

2.            L'entente peut-elle être annulée pour vice de consentement?

3.            Quelle est la portée de l'article 7 de l'entente?

4.            Quel est le remède approprié le cas échéant?

a)            Le recours de l'article 241 LCSA;

b)            Résolution de l'entente ou dommages pour abus de droit?

L'ANALYSE DE LA PREUVE

[66]        En matière civile, l'article 2803 C.c.Q. énonce que celui qui veut faire valoir un droit, doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. L'article 2804 C.c.Q. ajoute que la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante.

[67]        Il incombe donc au demandeur de démontrer ses prétentions par une preuve prépondérante.

1.         M. Lawee a-t-il été congédié?

a)            L'arrivée de M. Hiltser a-t-elle été planifiée dans le but principal d'évincer M. Lawee?

[68]        De manière générale, tous les témoignages confirment l'implication de M. Lawee dans l'acquisition de Tel-Synergy et dans l'exploitation de l'entreprise au cours de l'année qui suit. Outre messieurs Kano et Farman, les quatre agents actionnaires entendus en font état. Ils reconnaissent les efforts soutenus déployés par M. Lawee pendant qu'il occupe le poste de chef (directeur) de l'exploitation.

[69]        La preuve démontre de manière nettement prépondérante que la situation de Tel-Synergy durant cette période est chaotique. Même M. Lawee le reconnaît. Malgré les heures innombrables qu'il consacre à tenter de régler les problèmes, il n'y arrive pas. Dans son témoignage, il indique passer entre 12 et 14 heures par jour au bureau, ce qui l'incite lui-même à envisager l'embauche d'un autre directeur de services.

[70]        Les affaires ne vont pas bien, les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous et le constat que du renfort est requis est évident pour tout le monde, y compris pour M. Lawee.

[71]        Les aptitudes de M. Lawee pour les aspects techniques et son intérêt marqué pour la question de la programmation du logiciel de facturation sont largement évoqués au cours des témoignages, y compris par M. Lawee lui-même. Il ne s'est jamais caché du fait que cet aspect de son travail le passionne.

[72]        Selon la preuve prépondérante, ce sont les agents eux-mêmes qui présentent M. Hiltser à messieurs Kano et Farman.

[73]        Les mesures de redressement mises en place par M. Hiltser ont notamment eu pour effet de répartir le travail plus adéquatement et de permettre à M. Lawee de diriger ses efforts là où ses aptitudes et son intérêt lui permettent de livrer des résultats plus probants, le tout avec son adhésion libre et éclairée. M. Hiltser reconnaît la compétence de M. Lawee et de toute évidence, s'en réfère à lui sur les questions techniques.

[74]        Le Tribunal conclut de la preuve administrée que l'arrivée de M. Hiltser a été faite dans l'intérêt de l'entreprise et ne constitue pas un stratagème pour écarter ou évincer M. Lawee de ses fonctions chez Tel-Synergy.

b)           Le projet BillCo a-t-il été mis en place dans l'unique but d'évincer M. Lawee?

[75]        Dans son témoignage, M. Lawee admet avoir déjà suggéré le projet de constituer une entité distincte pour développer le logiciel de facturation au propriétaire antérieur, M. Lafrance. Il indique l'avoir également mentionné à messieurs Kano et Farman lorsqu'il les approche dans le cadre de l'acquisition de Tel-Synergy.

[76]        Le témoignage de M. Hiltser selon lequel M. Lawee lui fait part de ce projet dès son arrivée est cohérent avec ce qui précède. M. Hiltser sans être fermé à l'idée, en repousse initialement la discussion, privilégiant de stabiliser d'abord la situation de Tel-Synergy.

[77]        Par conséquent, le Tribunal est convaincu que M. Lawee est l'instigateur du projet puisqu'il en fait déjà la promotion depuis quelques années. Il s'agissait pour lui de revenir à la charge avec cette idée au moment propice. L'occasion se présente vers la fin de l'année 2005.

[78]        Pour toutes les raisons qui précèdent, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas eu ici de congédiement ou de congédiement déguisé.

[79]        Les circonstances révélées par la preuve démontrent de manière prépondérante que M. Lawee a démissionné de son propre gré et en toute connaissance de cause avec l'objectif principal de se consacrer entièrement à BillCo.

2.         L'entente peut-elle être annulée aux motifs de lésion ou de vice de consentement?

[80]        La preuve indique que M. Lawee a suffisamment cru au projet pour investir l'équivalent de la valeur de ses actions dans Tel-Synergy (175 000 $), ainsi que la somme de 80 000 $, avant de demander une contribution à ses associés. Il l'a fait librement et en toute connaissance de cause. La preuve prépondérante n'indique pas qu'il ait été contraint à conclure l'entente.

[81]        Il a été démontré que les discussions pour la mise en place de BillCo et pour établir les conditions de la participation de chacun ont fait l'objet d'échanges ouverts. M. Lawee a activement participé et a même contribué à la rédaction de l'entente sur une période de plusieurs mois.

[82]        Le Tribunal conclut en outre que les conditions énoncées à l'entente ont été convenues entre les parties dès la fin décembre 2005. En effet, M. Lawee se dédie entièrement à BillCo dès le début janvier 2006 tout en effectuant les démarches pour obtenir sa mise de fonds de 80 000 $. Il s'agit de l'une des considérations de son implication dans le projet. Cela indique que les autres actionnaires veulent en cela que M. Lawee démontre d'abord le sérieux de sa démarche. Ce dernier est de toute évidence d'accord pour ce faire puisqu'il ne fait aucun appel à leur contribution avant l'été 2006.

[83]        M. Lawee ne peut invoquer la lésion (article 1405 C.c.Q.) et il n'a pas démontré de manière prépondérante qu'il y a eu vice de consentement. Le Tribunal est d'avis que M. Lawee savait parfaitement ce qu'il faisait.

[84]        Par conséquent, ces motifs de nullité ne sont pas retenus.

3.         Quelle est la portée de l'article 7 de l'entente?

[85]        En contre-interrogatoire, M. Lawee reconnaît qu'il a fait ajouter les articles 7 et 8 à l'entente. Mais les parties ne s'entendent pas sur la portée de l'article 7 qui est au coeur du débat.

[86]        Il convient ici d'en rappeler les termes :

 

 

7.          NON-PERFORMANCE

7.1       In the event that any of the parties (Lawee, Hiltser or WivesCo) do not provide the funds as agreed upon in clause 4, the parties agree that the Shareholdings shall be redistributed so that the party or parties in default will be diluted in direct proportion to the amount of funds that each has invested up to the moment of default versus the amount that they have committed to invest in clause 4; furthermore, in the case of the Option described in clause 6, the amount required to execute the Option shall be reduced in the same proportion.

[87]        M. Lawee prétend que l'objet de cette disposition ne vise qu'à établir un remède technique à une impasse éventuelle pour BillCo. Selon lui, l'article 7 ne peut constituer une échappatoire permettant à la partie défaillante de se dédire de son engagement, de manière unilatérale, par la simple dilution de ses actions.

[88]        Ce n'est visiblement pas la compréhension de M. Hiltser et de WivesCo (messieurs Kano et Farman).

[89]        Initialement, ces derniers ont vu un intérêt au projet de M. Lawee. Mais la preuve est éloquente sur le fait que par la suite, ils n'ont aucune implication active dans les affaires de BillCo.

[90]        Dans le cas de M. Hiltser, même si l'entente prévoit « that he shall manage BillCo and act as president and chief executive officer », il admet s'en remettre entièrement à M. Lawee qui également selon l'entente, est responsable « for the execution of the design of the Product ».

[91]        M. Hiltser ne s'intéresse pas à ce que fait M. Lawee, bien que de temps à autre, il dit lui demander des nouvelles. Il ne s'implique pas significativement entre le mois de janvier et l'automne 2006. Dans son témoignage, il indique qu'il présume que les choses avancent puisque M. Lawee « passe ses journées devant son ordinateur ».

[92]        Des responsabilités incombent aussi à M. Bellahssan en vertu de l'entente, mais un différend survient rapidement entre lui et M. Lawee sur certains aspects de la programmation du logiciel de facturation. Par conséquent, sa participation ne se concrétise véritablement jamais.

[93]        Selon messieurs Kano et Farman, lors de la réunion du 9 novembre 2006, leurs attentes concernant l'avancement du projet sont déçues.

[94]        Or la preuve n'indique pas qu'avant cette date, ils aient exigé un plan d'action précis ou même quoi que ce soit de M. Lawee, ni qu'ils se soient impliqués.

[95]        À l'issue de la réunion, messieurs Kano et Farman identifient ce qui doit être accompli pour satisfaire leurs attentes et estiment les coûts afférents aux démarches requises. Mais dès après, lorsque le lendemain, M. Hiltser leur demande d'avancer les fonds pour permettre la réalisation de ce qui a été identifié, ils n'y donnent pas suite. Ils signent ainsi l'arrêt de mort du projet.

[96]        Suite à la réunion, M. Hiltser n'est pas davantage proactif. Malgré ses demandes écrites de contribution auprès de WivesCo, on peut certes conclure que la conviction n'y est pas. Il se prête finalement à un exercice purement procédural en transmettant les lettres des 25 octobre et 10 novembre 2006. Lui-même n'offre aucune contribution monétaire. Il est clair qu'il adopte la prise de position de messieurs Kano et Farman.

[97]        Bref, dès qu'une demande de contribution est requise par M. Lawee, aussi minime soit-elle, les autres actionnaires de BillCo n'y donnent pas suite. Ils cherchent à se défiler ou à se défaire de leur engagement découlant de l'entente par l'application de l'article 7.

[98]        Tenant compte des principes d'interprétation des contrats édictés au Code civil du Québec[9], le Tribunal est d'avis que l'interprétation de l'article 7 suggérée par les défendeurs ne tient pas la route si on tient compte de l'ensemble de l'entente et des circonstances entourant sa conclusion. À l'ultime, retenir la prétention des défendeurs signifierait qu'une partie défaillante peut invoquer son propre défaut pour éluder ses obligations, ce qui est inacceptable et clairement abusif.

[99]        En outre, si cette disposition n'était pas incluse à l'entente, sur quoi messieurs Kano et Farman se seraient-ils basés pour refuser de contribuer? Cela renforce le constat que ce ne peut être le sens voulu par M. Lawee lorsqu'il demande l'inclusion de la clause.

[100]     Mais il y a plus. L'article 7 ne peut signifier qu'initialement, M. Hiltser et WivesCo ne s'engageaient pas à avancer des fonds à BillCo puisque cet engagement, selon l'article 4.2 de l'entente, constitue une « considération » à l'actionnariat :

4.2       The consideration for both Hiltser and WivesCo shall be that they agree to the advance of funds to BillCo as required from time to time, up to a maximum of Five Hundred and Ten Thousand Dollars ($510,000.00) in all, to be provided in an equal proportion between them.

[101]     Il est invraisemblable que l'intention des parties ait été que seules les considérations stipulées pour M. Lawee s'appliquent et que celles se rapportant à M. Hiltser et WivesCo soient entièrement discrétionnaires tout en leur permettant de revendiquer le statut d'actionnaires.

[102]     Selon l'entente, M. Lawee payait sa part de l'investissement dans BillCo en cédant gratuitement ses actions dans 65, ce qui représentait une valeur de 175 000 $ et investissait une somme additionnelle de 80 000 $.

[103]     En contrepartie, ses partenaires s'engageaient à financer les activités de BillCo jusqu'à concurrence d'une part équivalente à la sienne. Il s'agissait pour M. Lawee d'une expectative légitime qui ne s'est jamais matérialisée.

4.         Quel est le remède approprié?

a)            Le recours de l'article 241 LCSA

[104]     Le litige se situe ici véritablement entre d'une part, WivesCo et M. Hiltser et d'autre part, M. Lawee. Il s'agit d'un différend entre actionnaires au sujet de l'entente relative aux affaires de BillCo. Le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, le recours à l'article 241 LCSA revendiqué par M. Lawee ne s'applique pas.

[105]     L'auteur Paul Martel[10] rappelle ce qui suit à ce propos :

31-300  Le but de l'article 241 n'est pas de couvrir n'importe quelle dispute pouvant survenir entre un plaignant et une société, mais seulement celles qui sont spécifiquement visées par les termes utilisés. Cet article ne vise pas, notamment, la simple violation d'un engagement contractuel de la société, ou encore un acte posé par des tiers (sauf s'il s'agit d'une société du groupe de la société), même conformément aux statuts de la société ou à un contrat conclu avec celle-ci.

31-301  En raison des termes utilisés à l'article 241, qui visent le comportement et la conduite des affaires de la société, ainsi que l'exercice des pouvoirs des administrateurs, nous ne croyons pas que ce recours soit disponible pour réviser les actes des actionnaires agissant à ce titre, qu'ils soient posés lors d'une assemblée d'actionnaires ou encore individuellement en contravention ou en exécution d'une convention entre actionnaires. Contrairement à la tendance américaine, les tribunaux canadiens sont réticents à sanctionner les devoirs « fiduciaires » d'actionnaires majoritaires à l'endroit des minoritaires.

31-302  Les seules circonstances pouvant rendre le recours applicable aux actes d'un actionnaire sont les suivantes :

o   si l'acte en est un d'administration posé par l'actionnaire en vertu d'une convention unanime d'actionnaires conformément à l'article 146 de la Loi; dans ce cas, on est en présence d'un acte de la société ou des administrateurs;

o   si l'actionnaire posant le geste est lui-même une société qui contrôle la société, il est une « personne morale du groupe » de la société, visé par l'article 241, au même titre que la société elle-même. Peut-être le législateur fédéral ne voulait-il pas discriminer entre l'actionnaire majoritaire corporatif et celui qui ne l'est pas, mais les termes utilisés permettent cette interprétation.

31-303  Le but de l'article 241 est de permettre aux tribunaux de redresser des situations abusives ou injustes résultant d'actes de la société, et pas de régler toutes les difficultés ou tous les litiges de nature purement privée ou civile pouvant surgir entre actionnaires.

            (…)

            (notre soulignement)

b)        Résolution de l'entente ou dommages pour abus de droit?

[106]     Le litige se situant plutôt dans la sphère contractuelle, il doit donc être décidé suivant les principes applicables en matière civile.

[107]     À cet égard, M. Lawee invoque les articles 1590 et 1604 C.c.Q. pour réclamer la résolution de l'entente en raison de l'inexécution des obligations de ses partenaires. Il demande à la fois d'être replacé dans la situation pré-contractuelle et de bénéficier du mécanisme prévu l'article 7 de l'entente afin que les actions détenues par WivesCo et M. Hiltser soient diluées en sa faveur.

[108]     Le Tribunal estime qu'il y a là incompatibilité.

[109]     Si l'entente est résolue, elle est censée ne jamais avoir existé. Les parties sont dans ce cas tenues de restituer à l'autre les prestations reçues (article 1606 C.c.Q.).

[110]     Or M. Lawee tente de réclamer sur les deux fronts. Ou bien l'entente est résolue et n'a jamais existé, auquel cas l'article 7 ne s'applique pas. Ou bien l'entente s'applique et dans les circonstances, toutes les actions doivent être dévolues à M. Lawee. En d'autres termes, ce dernier ne peut être remis dans l'état pré-contractuel, c'est-à-dire récupérer son investissement dans BillCo (175 000 $ + 80 000 $), et en même temps bénéficier de toutes les actions de BillCo.

[111]     La résolution de l'entente n'est pas la solution appropriée ici en raison de la nature des obligations souscrites par les parties et de l'existence de l'entité juridique qu'est BillCo. Considérant les demandes telles que formulées par M. Lawee dans son recours, la restitution des prestations paraît irréalisable.

[112]     M. Lawee a cru dans BillCo et a initialement considéré que son investissement (valeur de 255 000 $) était approprié. Malgré le litige engagé, il admet qu'il a poursuivi le développement du logiciel. S'il n'y voyait aucun intérêt ou aucune valeur, il ne l'aurait pas fait et n'insisterait pas pour devenir actionnaire exclusif de BillCo. Bref, son affirmation devant le Tribunal que BillCo ne vaut rien n'est pas convaincante.

[113]     Le Tribunal est d'avis qu'il y a lieu d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 7 de l'entente en faveur de M. Lawee en précisant toutefois qu'en l'espèce, la dilution des actions en sa faveur, à elle seule, n'absout pas WivesCo et M. Hiltser des conséquences de leur comportement abusif à son endroit.

[114]     Dans les circonstances révélées par la preuve, la passivité de WivesCo et de M. Hiltser à compter de janvier 2006, jointe à leur comportement à partir de la fin de l'été 2006, puis en octobre 2006 lors de la première demande de contribution et finalement, le lendemain de la réunion du 9 novembre 2006, dénotent une absence totale de bonne foi dans l'exécution de l'entente.

[115]     M. Lawee a subi un préjudice comme suite de leur refus d'honorer leur engagement contractuel et d'exécuter leurs obligations. Bien que la preuve présentée par M. Lawee à cet égard soit ténue, elle démontre néanmoins de manière prépondérante que pendant plusieurs mois, il a été laissé à lui-même. WivesCo et M. Hiltser n'ont démontré aucun intérêt pour le projet, ni de véritable soutien, que ce soit à M. Lawee ou à BillCo. Dès que M. Lawee leur a demandé de respecter leur engagement, ils ont trouvé des prétextes pour se défiler. Ils ne se sont aucunement préoccupés de ce qui adviendrait de BillCo, du projet ou de M. Lawee par la suite, laissant le tout lettre morte et abandonnant M. Lawee à son sort.

[116]     Les expectatives légitimes de ce dernier à l'égard de BillCo ont été déçues. À compter de la fin de l'été 2006, M. Lawee n'a pu compter sur les ressources financières adéquates pour lui permettre de faire progresser le projet dans des conditions optimales. En ce sens, cela a freiné BillCo dans la réalisation de son objectif et dans ses perspectives de développement, préjudiciant ainsi au seul actionnaire qui avait investi dans l'aventure. Sans compter aussi que le paiement des comptes et des dépenses d'exploitation de Billco, dont le salaire de M. Lawee, n'était plus assuré.

[117]     La preuve administrée convainc le Tribunal que WivesCo et M. Hiltser ont failli dans leur obligation de bonne foi dans le cadre de l'exécution de l'entente (article 6, 7 et 1375 C.c.Q.). M. Lawee réclame des dommages de 50 000 $ pour abus de droit. Dans les circonstances, cette somme paraît raisonnable et le Tribunal considère qu'elle est justifiée. Par conséquent, il sera ordonné à WivesCo et à M. Hiltser, solidairement (article 1525 C.c.Q.), de la verser à M. Lawee.

[118]     Quant aux autres réclamations de M. Lawee, pour les raisons déjà exprimées, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de les accorder.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[119]     ACCUEILLE partiellement la requête introductive d’instance re-ré-amendée du demandeur;

[120]     CONDAMNE les défendeurs Gabriel Hiltser et 4298918 Canada Inc., faisant affaires sous la dénomination sociale de WivesCo, solidairement à payer au demandeur la somme de cinquante mille dollars (50 000 $) avec intérêts, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec et ce, à compter de l’assignation;

[121]     DÉCLARE le demandeur seul propriétaire de la totalité des actions de 4298942 Canada Inc. et, à cette fin, ORDONNE à monsieur Gabriel Hiltser et à 4298918 Canada Inc. de transférer la totalité des actions qu’ils détiennent dans 4298942 Canada Inc. au demandeur, sans contrepartie, dans un délai de trente (30) jours du jugement, à défaut de quoi le jugement vaudra titre pour le demandeur en qualité de seul et unique propriétaire de la totalité des actions de 4298942 Canada Inc.;

[122]     LE TOUT, AVEC DÉPENS;

[123]     REJETTE les autres réclamations du demandeur, SANS FRAIS.

 

 

__________________________________

SYLVIE DEVITO, J.C.S.

 

Me Maurice Charbonneau

CHARBONNEAU, AVOCATS CONSEILS

Procureurs du demandeur

 

Me Harry Dikranian

STERNTHAL KATZNESLON MONTIGNY

Procureurs des défendeurs

 

Me Jean-Philippe Simard

GOYETTE SIMARD & LE BAIL, AVOCATS

Procureurs du mis en cause Abdellah Bellahssan

 

Dates d’audience :

27, 28, 29 et 30 septembre 2010

 



[1]     L.R.C. [1985], c. C-44.

 

[2]     Me Simard représentant M. Bellahssan était présent le 27 septembre pour indiquer que son client serait absent mais disponible pour témoigner au besoin, et pour préciser qu'il n'entendait pas assister à l'audition ni interroger les témoins, déclarant s'en remettre au Tribunal.

[3]     Il est admis que M. Lawee a payé la somme de 175 000 $ à 65.

[4]     Le texte de l'article 6.3 y est légèrement différent.

[5]     Admis le 27 septembre 2010 dans le document produit intitulé « Admissions conjointes ».

[6]     Il est admis que M. Lawee a versé cette somme à BillCo.

[7]     Pièce P-10.

[8]     Dans ses procédures, M. Lawee ne prétend pas avoir été congédié de BillCo et ne réclame pas l'application de l'article 8.1 de l'entente.

[9]     Articles 1425-1429 C.c.Q.

[10]    Paul MARTEL, La société par actions au Québec - Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2011, pages 31-108 à 31-113.

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