Décision

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Pareclemco inc. c. Maisons Lapierre inc.

2024 QCCS 4114

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

longueuil

 

No :

505-17-011072-198

 

 

 

DATE :

8 NOVEMBRE 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

katheryne a. desfossés, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

PARECLEMCO INC.

Demanderesse

c.

MAISONS LAPIERRE INC.

SERGE LAPIERRE

Défendeurs

et

RÉNOVATION SERGE LAPIERRE INC.

           Mise-en-cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]                Impliquée dans une saga judiciaire l’opposant aux défendeurs depuis 2019, la demanderesse Pareclemco inc. (« Pareclemco ») demande que le défendeur Serge Lapierre soit déclaré plaideur quérulent et qu’il lui soit interdit d’introduire toute nouvelle procédure et de signer ou produire des actes de procédure pour et au nom de la défenderesse Maisons Lapierre inc. Maisons Lapierre »).


[2]                Monsieur Lapierre s’oppose à la demande.

[3]                Le Tribunal doit donc décider si monsieur Lapierre constitue un plaideur quérulent qu’il faut encadrer dans l’introduction de procédures à son nom et le dépôt de procédures au nom de Maisons Lapierre.

[4]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’il a lieu d’accueillir la demande et de déclarer monsieur Lapierre plaideur quérulent.

ANALYSE

  1. monsieur lapierre est-il un plaideur quérulent?
    1. Faits pertinents à la question en litige

[5]                En janvier 2019, Pareclemco poursuit Maisons Lapierre en remboursement de prêts consentis en 2010 et 2014, dont le capital prêté totalise 650 000 $ (la « Demande »).

[6]                Rapidement, la firme Cayer Ouellette & Associés répond pour Maisons Lapierre.

[7]                En juin 2019, Pareclemco modifie la Demande pour y poursuivre également monsieur Lapierre, entre autres. Elle y allègue les manœuvres utilisées par ce dernier afin de permettre à Maisons Lapierre de frauder civilement ses créanciers. Une condamnation personnelle est alors recherchée pour un montant de 43 000 $.

[8]                Rapidement, la firme Cayer Ouellette & Associés répond pareillement pour monsieur Lapierre. 

[9]                En mars 2021, le procès relatif à la Demande procède pendant cinq jours devant le juge Marc St-Pierre.

[10]           Le 12 avril 2021, le juge St-Pierre accueille en partie la Demande, condamne Maisons Lapierre au paiement d’une somme de 600 000 $ avec intérêts et condamne monsieur Lapierre au paiement d’une somme de 160 500 $ avec intérêts[1]. Il précise toutefois que tout montant payé par monsieur Lapierre, en exécution de sa condamnation personnelle, doit être soustrait de la condamnation de Maisons Lapierre.

[11]           Par l’entremise de leur avocat, Me Cayer, Maisons Lapierre et monsieur Lapierre portent cette décision en appel.  

[12]           Le 28 mars 2022, monsieur Lapierre et Maisons Lapierre poursuivent devant la Cour supérieure leur ancienne avocate, Me Morand, et son cabinet, réclamant 1 550 000 $. Ils ne sont pas représentés par avocat dans cette autre instance.

[13]           Le 8 avril 2022, la Cour d’appel accueille l’appel relatif au jugement du juge St-Pierre, mais uniquement afin d’y réduire la condamnation personnelle de monsieur Lapierre de 160 500 $ à 89 576,25 $[2]. 

[14]           Le 20 mai 2022, monsieur Lapierre poursuit devant la Cour du Québec Ski Bromont.com  Bromont ») et son président Charles Desourdy. Il leur réclame la somme de 45 000 $ en compensation des dommages qu’il allègue avoir subis en raison de l’imposition, par Bromont, du passeport vaccinal aux clients souhaitant pratiquer le ski alpin dans ses installations pendant la saison hivernale 2021-2022. Il n’est pas représenté dans cette instance.

[15]           Le 4 août 2022, monsieur Lapierre demande au juge Patrick Healy, siégeant comme juge unique de la Cour d’appel, de rectifier l’arrêt de la Cour d’appel du 8 avril 2022, laquelle aurait commis une erreur de calcul dans son évaluation des dommages applicables. Il demande également la suspension de l’exécution de l’arrêt en attendant son appel à la Cour suprême.

[16]           Le 5 août 2022, le juge Healy rejette les demandes de monsieur Lapierre[3].

[17]           En avril 2023, dans une instance distincte devant la Cour supérieure, monsieur Lapierre et Maisons Lapierre produisent une demande introductive d’instance contre Pareclemco et son actionnaire Clément Pépin[4] (le « Recours »). Ils y réclament essentiellement les montants auxquels ils sont condamnés en vertu du jugement du juge St-Pierre. Aucun avocat ne les représente.

[18]           En mai 2023, Pareclemco et monsieur Pépin produisent une demande en rejet du Recours concernant Maisons Lapierre qui n’est pas représentée par avocat.

[19]           Le 4 juillet 2023, la juge Renée Thériault reporte au 17 août 2023 la présentation de cette demande en rejet afin de permettre à monsieur Lapierre de trouver un avocat pour représenter Maisons Lapierre[5].

[20]           Le 27 juillet 2023, monsieur Lapierre produit plutôt une requête en contestation de l’applicabilité constitutionnelle de l’article 87(3) du Code de procédure civile C.p.c. »)[6]. Il y plaide l’inconstitutionnalité de cette disposition, en demande une déclaration d’invalidité et d’être autorisé à représenter Maisons Lapierre.


[21]           Le 28 juillet 2023, le juge Luc Hervé Thibaudeau de la Cour du Québec accueille une demande en irrecevabilité de Bromont à l’égard de la demande de monsieur Lapierre intentée contre elle en mai 2022[7]. Notamment, le juge Thibaudeau mentionne que le « demandeur prétend que Bromont est fautive mais n’allègue aucun fait de nature à le prouver »[8].

[22]           En septembre 2023, Pareclemco et monsieur Pépin produisent également une demande en irrecevabilité et en déclaration d’abus à l’égard du Recours[9].

[23]           Le 8 septembre 2023, le juge Martin Vauclair de la Cour d’appel rejette la demande de permission d’appeler de monsieur Lapierre relativement à la décision de la Cour du Québec impliquant Bromont[10]. Il mentionne notamment[11] :

[5] La partie requérante prétend qu’il existe une jurisprudence contradictoire. Évidemment, une telle jurisprudence contradictoire ne nait pas d’un désaccord avec le jugement attaqué. À la lecture de la procédure et après sa présentation à l’audience, il est évident qu’il n’existe aucune jurisprudence contradictoire au sens où l’entend le droit.

[24]           Le 2 octobre 2023, le juge David E. Roberge rend jugement relativement à la demande en rejet du Recours de Maisons Lapierre et celle de monsieur Lapierre concernant l’applicabilité constitutionnelle de l’article 87(2) C.p.c.[12] Le juge Roberge y conclut que la demande de monsieur Lapierre est irrecevable et que le Recours de Maisons Lapierre doit être rejeté.

[25]           Le 3 octobre 2023, Pareclemco saisit le compte bancaire conjoint de monsieur Lapierre et sa conjointe, Sylvie Cantin, afin de tenter d’exécuter sa créance résultant du jugement du juge St-Pierre.

[26]           Le 4 octobre 2023, Pareclemco donne mainlevée à la saisie du compte bancaire conjoint qui n’est toutefois dégelé que le 13 octobre.

[27]           Le 13 octobre 2023, monsieur Lapierre et madame Cantin signifient tout de même leur opposition à cette saisie[13] qui repose principalement sur le fait qu’il s’agit d’un compte conjoint et que la saisie prive madame Cantin de ses économies personnelles.

[28]           Le 20 octobre 2023, Pareclemco signifie également un avis d’exécution de sa créance à la mise-en-cause Rénovation Serge Lapierre inc. (« Rénovation Lapierre ») à laquelle cette dernière ne répond pas.

[29]           Le 23 octobre 2023, monsieur Lapierre porte en appel la décision du juge Roberge[14], aux motifs que ce dernier a erré en faits et en droit.

[30]           Le 1er novembre 2023, la juge Chantal Lamarche rejette les oppositions à la saisie de monsieur Lapierre et madame Cantin[15]. Elle y mentionne que la conclusion visant l’annulation de la saisie est devenue sans objet en raison de la mainlevée, qu’aucune faute ne fut commise par Pareclemco par cette saisie et que la demande en dommages formulée parallèlement par monsieur Lapierre et madame Cantin doit également être rejetée.

[31]           Le 1er novembre 2023, Pareclemco produit également une demande pour condamner la mise-en-cause, Rénovation Lapierre, aux montants auxquels monsieur Lapierre et Maisons Lapierre sont tenus, vu son défaut de déclarer les sommes qu’elle verse à ce dernier malgré l’avis d’exécution qui lui fut signifié[16].

[32]           Le 7 novembre 2023, Pareclemco et monsieur Pépin produisent une demande en rejet de l’appel du jugement du juge Roberge[17].

[33]           Le 15 novembre 2023, le Procureur Général du Québec produit également une demande en rejet d’appel[18].

[34]           Le 18 novembre 2023, monsieur Lapierre s’oppose à la demande pour condamner la tierce saisie Rénovation Lapierre[19].

[35]           Le 20 novembre 2023, monsieur Lapierre demande la récusation de la juge Lamarche qu’il estime inhabile à entendre son opposition, principalement en raison de la décision qu’elle a rendue le 1er novembre 2023. La juge Lamarche rejette cette demande[20].

[36]           Le même jour, elle rejette l’opposition à la demande pour condamner la tierce saisie, accueille la demande pour condamner la tierce saisie vu son défaut de déclarer et condamne cette dernière, solidairement avec monsieur Lapierre, à payer la somme de 89 576,25 $ à Pareclemco[21]. Elle y mentionne notamment que Rénovation Lapierre doit être représentée par avocat, ce qui n’est pas le cas, et que les documents soumis par monsieur Lapierre ne démontrent pas qu’elle a fait une déclaration de tierce saisie.

[37]           Le 29 novembre 2023, monsieur Lapierre et madame Cantin signifient une demande de permission d’appeler du jugement du 1er novembre 2023 de la juge Lamarche[22]. Ils soutiennent qu’elle a erré en faits et en droit.

[38]           Le 11 décembre 2023, monsieur Lapierre porte également en appel la décision du 20 novembre 2023 de la juge Lamarche[23], alléguant de nouveau des erreurs de faits et de droit. Pareclemco dépose dès lors une requête en rejet de cet appel.

[39]           Le 15 janvier 2024, le juge Sylvain Lussier rejette la demande de monsieur Lapierre et Maisons Lapierre, initiée en mars 2022, contre Me Morand, et la déclare abusive.

[40]           Le 22 janvier 2024, la juge Lori Renée Weitzman de la Cour d’appel rejette la demande pour permission d’appel de la décision du 20 novembre 2023 de la juge Lamarche[24]. La juge Weitzman y mentionne notamment [25]:

[4] La requête ne fait valoir aucune question méritant l’attention de la Cour, notamment parce que la juge conclut que l’annulation de la saisie est devenue sans objet, la mainlevée de la saisie étant déjà accordée, et les requérants ayant eu accès au compte bancaire conjoint depuis le 13 octobre 2023.

[41]           Le 2 février 2024, la Cour d’appel accueille la demande en rejet de Pareclemco et monsieur Pépin, de même que celle du Procureur Général du Québec, concernant la décision du juge Roberge[26]. Conséquemment, elle rejette l’appel de monsieur Lapierre et de Maisons Lapierre concernant l’applicabilité constitutionnelle de l’article 87(3) C.p.c. Au soutien de ses conclusions, la Cour d’appel écrit [27]:

[4] D’une part, l’appel est irrégulièrement formé. L’appelant, M. Lapierre, qui n’est pas avocat, n’a pas l’intérêt juridique pour agir devant cette Cour au nom de son entreprise. Cette dernière, visée par les conclusions du jugement d’instance, doit être représentée par avocat en vertu de l’article 87 C.p.c. et 128 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1.

[5] D’autre part, la Cour se range aux arguments soulevés dans la requête des intimés et le PGQ, selon lesquels les motifs invoqués au soutien de la déclaration d’appel sont insuffisants, ne présentent pas d’argument juridique défendable – ils n’expliquent pas les moyens qui justifieraient une conclusion d’invalidité constitutionnelle – en sus d’être vagues, imprécis et peu cohérents. Les références aux Chartes invoquées ne permettent pas de soutenir leur application au présent cas.

[42]           Le même jour, dans un jugement séparé, la Cour d’appel accueille également la requête en rejet d’appel de Pareclemco et rejette du même coup l’appel de monsieur Lapierre concernant la décision du 20 novembre 2023 de la juge Lamarche[28]. La Cour d’appel y mentionne [29]:

[4] L’appel est irrégulièrement formé. D’abord, l’appelant M. Lapierre ne peut agir ni au nom de la tierce saisie ni au nom de Maisons Lapierre inc. Ensuite, s’agissant d’une matière d’exécution, une demande pour permission était nécessaire en vertu de l’article 30 alinéa 2 (8) C.p.c.

[5] Aussi, et surtout, la Cour est d’avis que l’appel ne présente aucune chance de succès. L’avis d’appel ne laisse entrevoir aucune erreur de la juge d’instance et les erreurs des huissiers invoquées sont difficilement cernables. En sus, l’avis d’exécution permet, contrairement aux prétentions de l’appelant, d’identifier la tierce saisie.

[43]           Le 21 février 2024, Pareclemco saisit le compte bancaire de Rénovation Lapierre afin de tenter d’exécuter sa créance résultant du jugement du juge St-Pierre.

[44]           Le 1er mars 2024, monsieur Lapierre et Rénovation Lapierre s’opposent à cette saisie du compte bancaire de Rénovation Lapierre[30]. Aucun avocat ne les représente.

[45]           Le 6 mars 2024, monsieur Lapierre et Maisons Lapierre déposent une demande pour permission d’en appeler hors délai de la décision du juge Lussier rejetant leur demande contre Me Morand. Aucun avocat ne les représente. 

[46]           Le 7 mars 2024, monsieur Lapierre et madame Cantin signifient une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême relativement à la décision de la juge Weitzman[31]. Ils invoquent des erreurs de faits et de droit, mais surtout une violation de la règle audi alteram partem à l’égard de madame Cantin.

[47]           Le 15 mars 2024, le juge Shaun E. Finn entend la demande en rejet du Recours concernant monsieur Lapierre, produite par Pareclemco et monsieur Pépin en septembre 2023.

[48]           Le 20 mars 2024, le juge Finn accueille la demande, rejette le Recours qu’il déclare abusif et condamne monsieur Lapierre au paiement d’une somme de 5 000 $ en dommages-intérêts[32].

[49]           Le 25 mars 2024, le juge Lussier rejette l’opposition à la saisie de monsieur Lapierre concernant la saisie du compte bancaire de Rénovation Lapierre[33]. Le juge Lussier souligne notamment que « la demande est effectuée par Monsieur Lapierre au nom de Rénovation Serge Lapierre inc., qu’il prétend une fois de plus représenter, le tout contrairement à l’article 87 du Code de procédure civile »[34].

[50]           Le 4 avril 2024, monsieur Lapierre signifie une demande de permission d’appeler de cette décision du juge Lussier[35].

[51]           Le 16 avril 2024, la Cour d’appel rejette la demande pour permission d’en appeler hors délai de la décision du 15 janvier 2024 concernant Me Morand[36]. La Cour d’appel y indique [37]:

[7] Les requérants ne nous convainquent pas que leurs moyens d’appel présentent des chances raisonnables de succès. En outre, ils ne pointent pas l’erreur que le juge aurait commise à l’égard de la prescription extinctive de leur recours. De plus, vu la conclusion du juge selon laquelle leur demande introductive d’instance est abusive, ils devaient démontrer que les questions en jeu qui seraient soumises à la Cour en sont de principe, nouvelles ou de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire (art. 30 al. 3 C.p.c.), fardeau qu’ils ne satisfont pas. Enfin, ils ne démontrent pas qu’il serait dans l’intérêt de la justice que la permission soit accordée, ni même qu’ils étaient dans l’impossibilité de déposer leur requête pour permission d’appeler, ceux-ci ayant été présents lors du prononcé du jugement.

[52]           Le 26 avril 2024, le juge Peter Kalichman de la Cour d’appel rejette la demande pour permission d’appeler de la décision du 25 mars 2024 du juge Lussier[38]. Lors de l’audience, le juge Kalichman avise monsieur Lapierre du risque qu’il soit déclaré plaideur quérulent s’il persiste à présenter les mêmes arguments sur une question déjà tranchée par les tribunaux.

[53]           Le 17 mai 2024, monsieur Lapierre signifie une demande de permission d’en appeler du jugement du juge Finn[39].

[54]           Le 10 juin 2024, le juge Frédéric Bachand de la Cour d’appel rejette la demande de permission d’appeler du jugement du juge Finn[40], n’étant pas convaincu que le jugement entrepris soit entaché d’une quelconque faiblesse apparente susceptible de mener à son infirmation.

[55]           Le 14 juin 2024, monsieur Lapierre signifie une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême relativement à l’arrêt de la Cour d’appel rendu en février 2024 concernant l’applicabilité constitutionnelle de l’article 87(3) C.p.c.[41]. Il invoque la violation de la règle audi alteram partem, diverses erreurs de faits et de droit de la Cour d’appel, ainsi que l’inconstitutionnalité de l’article 87(3) C.p.c.

[56]           Le 4 juillet 2024, la Cour suprême rejette la demande d’autorisation d’appel concernant la décision de la Cour d’appel rendue par la juge Weitzman en janvier 2024[42].

[57]           Le 16 juillet 2024, monsieur Lapierre signifie une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême relativement à la décision de la Cour d’appel rendue par le juge Kalichman[43]. Il allègue une violation de la règle audi alteram partem, des erreurs de faits et de droit, l’inconstitutionnalité de l’article 87(3) C.p.c. ainsi qu’un déni de justice.

[58]           Le 29 juillet 2024, Pareclemco saisit de nouveau le compte bancaire conjoint de monsieur Lapierre et madame Cantin.

[59]           Le lendemain, monsieur Lapierre et madame Cantin formulent une nouvelle opposition à cette saisie[44], alléguant que la saisie les empêche d’accéder à leurs économies.

[60]           Le 24 août 2024, monsieur Lapierre signifie une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême relativement à la décision du juge Bachand[45] concernant le rejet du Recours.

[61]           Le 3 septembre 2024, la juge Marie-Claude Armstrong rejette l’opposition à la saisie de monsieur Lapierre et madame Cantin.  

[62]           Le 17 septembre 2024, la Cour du Québec déclare monsieur Lapierre coupable de deux infractions à la Loi sur le Barreau[46], soit d’avoir agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocats ou à en faire les actes en représentant Rénovation Lapierre et d’avoir illégalement préparé et rédigé pour cette dernière, une requête en opposition de saisie dans le cadre de la présente instance[47].

[63]           À l’audience, monsieur Lapierre informe le Tribunal qu’il en appelle de cette décision de la Cour du Québec.  

[64]           Le 1er octobre 2024, monsieur Lapierre et madame Cantin produisent une demande pour permission d’en appeler de la décision de la juge Armstrong. Cette demande fut présentée le 25 octobre 2024 devant le juge Vauclair.

[65]           Le 29 octobre 2024, monsieur Lapierre témoigne afin de contester la demande visant à le déclarer plaideur quérulent. Il dépose diverses pièces qu’il ne dénonce pourtant pas dans la déclaration commune pour fixation d’audience qu’il signe le 27 août 2024. L’avocat de Pareclemco n’admet pas la production de trois de ces pièces et s’oppose à la production de l’une d’entre elles pour cause de tardiveté. Le Tribunal accueille l’objection que monsieur Lapierre s’empresse de qualifier de déni de justice.

[66]           Au soutien de ses arguments, monsieur Lapierre produit également une réponse écrite dans laquelle il sollicite qu’un procès sur le Recours soit ordonné.

[67]           Essentiellement, monsieur Lapierre plaide que toutes ses demandes (pourtant rejetées) étaient fondées. Il réitère les arguments déjà plaidés face à celles-ci, soutient que les justiciables non représentés subissent une injustice par rapport à ceux qui le sont et qu’il est en droit de demander un procès sur le Recours. Il souligne qu’il n’a introduit qu’une seule demande (le Recours) et n’a fait que se défendre à toutes les autres occasions. Enfin, il mentionne avoir été autorisé à agir pour Maisons Laprise devant la Cour supérieure pendant sept ans, dans l’instance portant le numéro de cour 500-17-095079-169, sans qu’on lui oppose qu’il ne pouvait agir ainsi. Confronté par le Tribunal au fait que le plumitif indique que Maisons Lapierre fut, en tout temps, représentée par avocats dans cette instance, il maintient sa position.    

[68]           Le 31 octobre 2024, le juge Vauclair rejette la demande pour permission d’appel de la décision de la juge Armstrong. Il y mentionne que « [m]ême si la description de l’audience en première instance peut laisser perplexe », il est d’avis qu’il y a lieu de refuser la demande de permission d’appel. Préalablement à cette conclusion, le juge Vauclair indique :

[2] Dans leur demande de permission, les requérants non-représentés affirment que la juge a erré en contrevenant à la règle audi alteram partem. De plus, à l’audience, ils m’ont longuement expliqué pourquoi le jugement d’instance était erroné, plaidant à l’aide d’une preuve nouvelle qu’ils ne peuvent pas, en droit, déposer. Elle appuierait leurs propos voulant qu’ils soient propriétaires du compte bancaire saisi et le fait qu’ils subissent des dommages des procédures judiciaires. Ils expliquent que cette preuve n’a pas été produite devant la juge parce qu’elle ne les a pas entendus.

[69]           Cette preuve nouvelle invoquée en Cour d’appel figure parmi les documents que monsieur Lapierre tente de déposer devant le Tribunal afin de contester la demande visant à le déclarer plaideur quérulent et qui lui fut refusé.

1.2   Principes juridiques

[70]           L’article 68 du Règlement de la Cour supérieure du Québec en matière civile[48] prévoit :

Si une personne fait preuve d’un comportement quérulent, c’est-à-dire si elle exerce son droit d’ester en justice de manière excessive ou déraisonnable, le tribunal peut, d’office ou sur demande, en outre des autres mesures prévues au Code de procédure civile (chapitre C-25.01), lui interdire d’introduire une demande en justice ou de produire ou présenter un acte de procédure dans une instance déjà introduite, sans autorisation préalable du juge en chef ou d’un juge désigné par lui et selon les conditions que celui-ci détermine.

[71]           L’article 55 du Code de procédure civile permet également au Tribunal d’interdire à une partie quérulente d’introduire une demande en justice ou de présenter un acte de procédure dans une instance déjà introduite sans l’autorisation préalable du juge en chef et selon les conditions que celui-ci détermine.

[72]           Sur la quérulence, la Cour d’appel s’exprime comme suit dans l’arrêt Deraspe c. Zinc électrolytique du Canada ltée[49]:

53 L'auteure Julie McCann affirme que « [l]e comportement du plaideur quérulent se caractérise par une utilisation irrationnelle et répétée de procédures judiciaires lesquelles témoignent d'un comportement pathologique ».

54 Pour sa part, la professeure Sylvette Guillemard esquisse ainsi les traits d'une personne quérulente :

Comment reconnaît-on un quérulent? Dans la rue, et même en société, il passe à peu près inaperçu. Nous disons « il » à dessein, car il s'agit généralement d'un homme, entre 40 et 60 ans, le plus souvent doué sur le plan de l'intelligence et qui fait preuve, à première vue, d'un comportement rationnel. À peine peut-on déceler chez lui une légère tendance au narcissisme.

En revanche, lorsqu'il pénètre dans le système judiciaire, sa personnalité particulière ressort, nous serions presque tentés de dire « s'épanouit ». Par la multiplication de ses demandes, son comportement excessif et souvent irrespectueux, son acharnement à vouloir faire entendre des arguments qui ne sont pas toujours fondés ni pertinents, le plaideur compulsif « encombre inutilement » les palais de justice. En d'autres termes, le quérulent abuse de son droit fondamental d'ester en justice.

55 L'analyse vise donc à déterminer si le plaideur utilise de façon irrationnelle et répétée son droit d'ester en justice, que ce soit dans ses procédures, dans son comportement en salle de Cour ou plus généralement dans le cadre de son dossier.

56 Pour ce faire, les tribunaux analysent généralement la preuve en considérant les indicateurs de quérulence répertoriés par mon collègue le juge Yves-Marie Morissette dans un article publié dans la Revue de droit de McGill en 2004, qui sont devenus les critères pouvant donner ouverture à une déclaration de quérulence. Dans l'arrêt Brousseau c. Montréal (Ville de), la Cour les reprend de la manière suivante :

1º Le plaideur quérulent fait montre d'opiniâtreté et de narcissisme;

2º Il se manifeste généralement en demande plutôt qu'en défense;

3º Il multiplie les recours vexatoires, y compris contre les auxiliaires de la justice. Il n'est pas rare que ses procédures et ses plaintes soient dirigées contre les avocats, le personnel judiciaire ou même les juges, avec allégations de partialité et plaintes déontologiques;

4º Il réitère les mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs : la recherche du même résultat malgré les échecs répétés de demandes antérieures est fréquente;

5º Les arguments de droit mis de l'avant se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité. Ils ont une forme juridique certes, mais à la limite du rationnel;

6º Les échecs répétés des recours exercés entraînent à plus ou moins longue échéance son incapacité à payer les dépens et les frais de justice afférents;

7º La plupart des décisions adverses, sinon toutes, sont portées en appel ou font l'objet de demandes de révision ou de rétractation;

8º Il se représente seul;

9º Ses procédures sont souvent truffées d'insultes, d'attaques et d'injures.

57 Peuvent s'ajouter à ces critères :

a) La recherche de condamnations monétaires démesurées par rapport au préjudice réel allégué et l'ajout de conclusions atypiques n'ayant aucune commune mesure avec l'enjeu véritable du débat;

b) L'incapacité et le refus de respecter l'autorité des tribunaux dont le plaideur quérulent revendique pourtant l'utilisation et l'accessibilité.

58 La Cour enseigne d'ailleurs que « pour conclure à un comportement quérulent, excessif et déraisonnable sur la foi de ces caractéristiques, il ne faut pas qu'elles soient nécessairement toutes présentes. Chaque cas est d'espèce. C'est la globalité de l'analyse qui importe ».

59 Elle rappelle également dans Droit de la famille – 152912 que « la prudence s'impose en matière de déclaration de quérulence » puisqu'il s'agit d'une restriction importante au droit fondamental d'ester en justice.

[73]           Qu’en est-il en l’espèce?

1.3   Discussion

1.3.1            Le plaideur quérulent fait montre d'opiniâtreté et de narcissisme et il réitère les mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs

[74]           L’opiniâtreté s’entend de l’acharnement ou de l’obstination, alors que le narcissisme définit plutôt l’amour excessif porté par une personne à l’égard d’elle-même.

[75]           Les éléments soumis ne permettent pas de conclure que monsieur Lapierre est narcissique, mais certainement qu’il fait preuve d’opiniâtreté et qu’il réitère les mêmes questions ou arguments par ses différents recours.

[76]           Non seulement porte-t-il en appel l’ensemble des décisions qui lui sont défavorables, mais il persiste à croire que celles-ci sont erronées même lorsqu’il est débouté.

[77]           Il s’entête également à présenter en boucle les mêmes arguments, comme celui de l’inconstitutionnalité de l’article 87(3) du C.p.c. ou de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés[50], à l’instance alors qu’il s’agit d’un litige privé. Le juge Kalichman l’avise d’ailleurs des conséquences auxquelles il s’expose s’il persiste à présenter les mêmes arguments relativement à des questions déjà tranchées par les tribunaux. Pourtant, il continue.

1.3.2           Il se manifeste généralement en demande plutôt qu'en défense

[78]           Ce point constitue le cheval de bataille de monsieur Lapierre qui soumet à répétition qu’il n’agit en demande qu’au Recours, étant plutôt défendeur dans l’ensemble des autres procédures. En plus d’être inexacte, cette prétention témoigne également de son opiniâtreté.  

[79]           D’une part, il est demandeur au Recours ainsi qu’aux instances contre Me Morand et Bromont.

[80]           D’autre part, il est pareillement l’instigateur de multiples procédures dont il se porte ensuite appelant des jugements. Incluant celles où il est en demande à proprement dit, monsieur Lapierre dépose un peu plus d’une vingtaine de procédures devant différentes instances depuis mars 2022.  

1.3.3           Il multiplie les recours vexatoires, y compris contre les auxiliaires de la justice

[81]           À l’exception de ses procédures contre Me Morand, il n’intente pas de recours de nature vexatoire. Par ailleurs, monsieur Lapierre est poli en salle d’audience.

1.3.4           Les arguments de droit mis de l'avant se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité

[82]           Devant le Tribunal, monsieur Lapierre réitère un argument relatif à la Charte canadienne des droits et libertés en soumettant un billet de 10 $ sur lequel est cité l’article 15 de ladite Charte. De ses représentations, le Tribunal comprend qu’il ne s’agit pas de la première fois où monsieur se prête à cet exercice théâtral devant un tribunal.

1.3.5           Les échecs répétés des recours exercés entraînent, à plus ou moins longue échéance, son incapacité à payer les dépens et les frais de justice afférents

[83]           La dette de monsieur Lapierre est importante et les procédures qu’il présente visent à en éviter l’exécution par Pareclemco.

[84]           En raison des différentes condamnations aux frais judiciaires qui découlent du rejet de ses demandes ou requêtes, monsieur Lapierre diminue d’autant sa capacité à payer un jour sa dette envers Pareclemco et parvient ainsi, indirectement, à en repousser d’autant plus l’exécution. 

1.3.6           La plupart des décisions adverses, sinon toutes, sont portées en appel ou font l'objet de demandes de révision ou de rétractation

[85]           Toutes les décisions défavorables à monsieur Lapierre sont portées en appel (ou la permission en est sollicitée) devant la Cour d’appel, puis devant la Cour suprême.

1.3.7           Il se représente seul

[86]           Depuis le jugement de la Cour d’appel relativement au jugement du juge St-Pierre, monsieur Lapierre se représente seul et tente même, à répétition, de représenter ses sociétés alors que la loi l’en empêche.

1.3.8           Ses procédures sont souvent truffées d'insultes, d'attaques et d'injures

[87]           À l’instar de ses représentations en salle d’audience, les procédures de monsieur demeurent respectueuses.

1.3.9           Conclusion

[88]           En conclusion, à la lumière de ces éléments qui pointent majoritairement vers une conclusion de quérulence, et bien que la prudence s’impose relativement à ce type de demande, le Tribunal est amplement convaincu que monsieur Lapierre représente un plaideur quérulent qu’il faut encadrer. La simple nomenclature de ses différentes interventions procédurales parle d’elle-même et justifie amplement les conclusions recherchées.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[89]           ACCUEILLE la demande afin de déclarer des plaideurs quérulents;

[90]           DÉCLARE le défendeur Serge Lapierre plaideur quérulent;

[91]           INTERDIT au défendeur Serge Lapierre d’introduire toute nouvelle procédure, ou demande en cours d’instance, en son nom personnel ou au nom de ses sociétés par actions dont la défenderesse Maisons Lapierre inc. et la mise-en-cause Rénovation Serge Lapierre inc., de quelque nature que ce soit à l’encontre de toute partie, dans tous les districts judiciaires de la province du Québec, devant tout tribunal judiciaire, sauf la Cour d’appel du Québec, sans autorisation préalable de la Juge en chef de la Cour supérieure;

[92]           ORDONNE qu’à défaut d’autorisation de la Juge en chef de la Cour supérieure, toute procédure émanant du défendeur Serge Lapierre, personnellement ou pour l’une de ses sociétés, soit rayée du rôle et du plumitif;

[93]           ORDONNE au greffier de la Cour supérieure d’inscrire le présent jugement au registre public des plaideurs sujets à l’autorisation restreinte par la Cour supérieure;

[94]           LE TOUT avec frais.

 

 

__________________________________katheryne a. desfossés, j.c.s.

 

Me Jean-Félix Racicot

Avocat de la demanderesse


 

Serge Lapierre

Partie non représentée

 

Date d’audience :

Le 29 octobre 2024

 


[1]  Pièce R-1.

[2]  Pièce R-2.

[3]  Pièce R-2.

[4]  Pièce R-4.

[5]  Pièce R-10.

[6]  Pièce R-11.

[7]  Pièce R-37.

[8]  Pièce R-37, par. 41.

[9]  Pièce R-5.

[10]  Pièce R-38.

[11]  Pièce R-38, par. 5.

[12]  Pièce R-12.

[13]  Pièce R-19.

[14]  Pièce R-13.

[15]  Pièce R-20.

[16]  Pièce R-25.

[17]  Pièce R-14.

[18]  Pièce R-15.

[19]  Pièce R-26.

[20]  Pièce R-36.

[21]  Pièce R-27.

[22]  Pièce R-21.

[23]  Pièce R-28.

[24]  Pièce R-22.

[25]  Pièce R-22, par. 4.

[26]  Pièce R-16.

[27]  Pièce R-16, par. 4 et 5.

[28]  Pièce R-29.

[29]  Pièce R-29, par. 4 et 5.

[30]  Pièce R-30.

[31]  Pièce R-23.

[32]  Pièce R-6.

[33]  Pièce R-31.

[34]  Pièce R-31.

[35]  Pièce R-32.

[36]  Pièce R-43.

[37]  Pièce R-43, par. 7.

[38]  Pièce R-33.

[39]  Pièce R-7.

[40]  Pièce R-8.

[41]  Pièce R-17.

[42]  Pièce R-24.

[43]  Pièce R-34.

[44]  Pièce R-40.

[45]  Pièce R-8a).

[46]  R.L.R.Q. c. B-1.

[47]  Pièce R-44.

[48]  R.L.R.Q. c. C-25.01, r. 0.2.1.

[49]  2018 QCCA 256, par. 53 à 69. Voir également Antoun c. Montréal (Ville de), EYB 2016-272030 (C.A.), par. 39-40 et Fortin c. Ville de Lévis, 2018 QCCA 255, EYB 2018-290549.

[50]  Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), entrée en vigueur le 17 avril 1982.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.