Groupe Alcan Métal Primaire et Dupéré |
2007 QCCLP 3317 |
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Dossier 289278-02-0605
[1] Le 15 mai 2006, Groupe Alcan Métal Primaire (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 mai 2006, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 février 2006 donnant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale (BEM) et déclare que le travailleur conserve, suite à sa lésion professionnelle du 24 août 2004, des limitations fonctionnelles. De plus, compte tenu de l’existence de limitations fonctionnelles, le travailleur continuera de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité à exercer son emploi.
Dossier 303975-02-0611
[3] Le 27 novembre 2006, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 9 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 juillet 2006 et déclare que l’emploi d’ébéniste est un emploi convenable, et que la mesure de réadaptation déterminée pour permettre au travailleur d’occuper cet emploi convenable est appropriée.
[5] Une audience s’est tenue le 28 février 2007 à Saguenay en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur était également représenté.
[6] Tel qu’il en avait été décidé préliminairement, cette audience n’a porté que sur le moyen préalable soulevé par l’employeur et il fut convenu de reporter, s’il y a lieu, l’audience sur le fond des questions d’ordre médical, à une date ultérieure.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la lésion professionnelle du 24 août 2004 n’entraîne aucune limitation fonctionnelle permanente.
MOYEN PRÉALABLE
[8] L’employeur soutient que l’avis rendu par le membre du BEM en date du 19 janvier 2006 est irrégulier et que, par conséquent, la décision de la CSST qui entérine cet avis irrégulier doit être annulée.
LES FAITS
[9] Le 21 juillet 2004, le travailleur, alors âgé de 33 ans, est embauché par l’employeur à titre de journalier et d’opérateur de pelle mécanique. Auparavant, il a travaillé comme camionneur pendant 17 ans.
[10] Le 24 août 2004, le travailleur subit un accident du travail qu’il décrit ainsi :
En donnant un coup de masse de côté, je me suis étiré le bas gauche.
[11] Le jour même, le travailleur consulte le docteur Robert Blackburn qui pose un diagnostic d’étirement musculaire. Il indique que le travailleur peut continuer à travailler mais qu’il ne doit pas travailler avec la masse.
[12] Cet accident du travail est accepté par la CSST et ne fait pas l’objet de contestation.
[13] Le 31 août 2004, le docteur Claude Duchaine voit le travailleur en consultation. Il indique que les douleurs au bras gauche du travailleur ont diminué de 50 %. Il recommande de continuer les travaux légers pour une période de 10 jours.
[14] Par la suite, différents médecins assurent le suivi médical du travailleur. Le diagnostic d’épicondylite au coude gauche est précisé par ces médecins. De plus, des traitements de physiothérapie débutent à compter du 15 octobre 2004.
[15] Devant la persistance des symptômes douloureux au coude gauche du travailleur, et comme le lui permet l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi), la CSST demande au docteur François Lefebvre de produire un rapport d’expertise médicale.
[16] Le 8 avril 2005, le docteur Lefebvre produit son rapport. Il conclut que le travailleur a présenté une épicondylite au coude gauche.
[17] Compte tenu que son examen objectif du travailleur est dans les limites de la normale, il consolide la lésion en date du 4 avril 2005 et il est d’avis que cette lésion ne nécessite aucun traitement additionnel.
[18] De plus, il conclut qu’aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ne découle de cette lésion. Toutefois, le docteur Lefebvre recommande, dans le but de favoriser la réintégration au travail du travailleur, que des limitations fonctionnelles temporaires, pour une période de 3 mois, soient accordées au travailleur. Toutefois, dans son avis écrit, le docteur Lefebvre précise clairement qu’il n’y a pas lieu d’envisager des limitations fonctionnelles permanentes pour ce travailleur.
[19] Suite au rapport du docteur Lefebvre, le docteur Charles Fournier, médecin qui a charge du travailleur, remplit pour la CSST, le 9 mai 2005, un rapport complémentaire sur lequel il indique que la lésion au coude gauche du travailleur n’est toujours pas consolidée et qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’existence ou non d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles.
[20] Face à cette divergence d’opinion médicale, la CSST demande au BEM de se prononcer sur ces questions médicales.
[21] Le 9 juin 2005, le docteur Réjean Grenier, agissant à titre de membre du BEM, examine le travailleur.
[22] Dans son rapport écrit du 21 juin 2005, le docteur Grenier conclut que l’épicondylite au coude gauche du travailleur est consolidée depuis le 4 avril 2005.
[23] Il est d’avis que les traitements reçus par le travailleur pour cette lésion ont été adéquats et suffisants. Le docteur Grenier recommande toutefois qu’une investigation complémentaire, au moyen d’une résonance magnétique, soit faite au travailleur afin de confirmer ou d’infirmer l’existence d’une autre lésion au coude gauche qui pourrait expliquer la période prolongée de consolidation retrouvée dans ce dossier.
[24] Par ailleurs, le docteur Grenier confirme qu’aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ne découle de cette lésion professionnelle.
[25] De plus, il est d’accord avec le docteur Lefebvre relativement au fait d’accorder au travailleur des limitations fonctionnelles temporaires pour une période de 3 mois.
[26] Le docteur Grenier confirme lui aussi que la lésion du travailleur ne justifie aucune limitation fonctionnelle permanente.
[27] Suite à cet avis du docteur Grenier, la CSST rend une décision le 28 juin 2005, décision qui entérine l’avis du docteur Grenier.
[28] C’est ainsi que cette décision de la CSST déclare que malgré que la lésion professionnelle du travailleur soit consolidée depuis le 4 avril 2005, et qu’aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ne découle de cette lésion, le travailleur continuera de recevoir, jusqu’au 21 septembre 2005, des indemnités de remplacement du revenu puisqu’il conserve des limitations fonctionnelles temporaires pour une période de 3 mois.
[29] Cette décision de la CSST n’est pas contestée par le travailleur ni par l’employeur.
[30] Le 21 septembre 2005, l’agente de réadaptation de la CSST note au dossier du travailleur :
Rencontre avec le T dans le but d’éclaircir l’infos concernant les L.F., l’agente ira en 204 en ortho.
[31] Le 27 septembre 2005, la CSST demande à nouveau au docteur Lefebvre de se prononcer sur l’existence de limitations fonctionnelles.
[32] Le 25 octobre 2005, le docteur Lefebvre examine le travailleur. Suite à son examen physique, le docteur Lefebvre est d’avis que :
Je maintiens qu’il n’y a aucun élément objectif pouvant justifier des limitations fonctionnelles en rapport avec l’événement du 24 août 2004.
[33] Le 3 novembre 2005, le docteur Fournier émet pour la CSST un rapport final.
[34] Il indique un diagnostic d’épicondylite au coude gauche et souligne que le travailleur présente toujours des douleurs.
[35] Le docteur Fournier indique que, selon lui, la lésion du travailleur entraîne une atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles.
[36] Sur ce rapport, le docteur Fournier indique qu’il ne fera pas l’évaluation des séquelles physiques qui découlent de cette lésion, mais qu’il réfère le travailleur à un médecin spécialiste.
[37] Suite à la réception de ces rapports des docteurs Lefebvre et Fournier, la CSST décide de diriger à nouveau le dossier au BEM.
[38] Le 13 janvier 2006, le docteur Jean-Pierre Lacoursière, agissant à titre de membre du BEM, examine le travailleur.
[39] Dans son rapport signé le 19 janvier 2006, le docteur Lacoursière indique que, selon lui, des limitations fonctionnelles permanentes devraient être accordées au travailleur.
[40] D’après les limitations fonctionnelles permanentes émises par le docteur Lacoursière au travailleur, celui-ci devra éviter :
De soulever des charges de façon répétitive ou fréquente avec le coude gauche en extension et l’avant-bras en pronation;
De maintenir des mouvements de pronation prolongés avec la main gauche;
Les mouvements nécessitant une dorsi-flexion répétée du poignet et/ou des doigts de la main gauche.
[41] Le 2 février 2006, la CSST rend une décision qui entérine l’avis du docteur Lacoursière. C’est ainsi qu’elle déclare que, compte tenu de l’existence de limitations fonctionnelles, le travailleur continuera de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que sa capacité à exercer un emploi soit établie.
[42] Cette décision de la CSST est contestée par l’employeur, d’où le premier litige en l’espèce.
[43] Le 14 juillet 2006, la CSST rend une seconde décision par laquelle elle détermine que l’emploi d’ébéniste constitue un emploi convenable pour le travailleur.
[44] De plus, la CSST autorise le travailleur à s’inscrire à un programme de formation en institution afin que celui-ci puisse être en mesure d’occuper cet emploi convenable.
[45] Cette décision est contestée par l’employeur, d’où le second litige en l’espèce.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[46] La représentante de l’employeur soumet que la CSST ne pouvait demander au BEM de se prononcer une deuxième fois sur la question des limitations fonctionnelles, puisque cette question avait déjà fait l’objet d’un premier avis du BEM, suivie d’une décision de la CSST.
[47] Cette décision de la CSST n’a d’ailleurs pas été contestée par aucune des parties.
[48] La représentante de l’employeur soumet que l’avis du docteur Grenier établissait de façon très explicite qu’aucune limitation fonctionnelle permanente ne découlait de la lésion professionnelle subie par le travailleur.
[49] Selon elle, aucune ambiguïté ne subsistait suite à cet avis du docteur Grenier et rien ne justifiait la CSST de demander un second avis sur cette question des limitations fonctionnelles.
[50] Afin d’étayer ses prétentions, la représentante de l’employeur commente plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles traitant de cette question.
[51] Le représentant du travailleur soumet que la CSST était bien fondée de demander un deuxième avis au BEM sur l’existence ou non de limitations fonctionnelles, puisque cette question faisait toujours l’objet d’un désaccord entre les différents médecins au dossier.
[52] Afin de démontrer qu’il subsistait toujours un litige sur la question de l’existence de limitations fonctionnelles, le représentant du travailleur réfère au rapport final émis le 3 novembre 2005 par le docteur Fournier.
[53] Sur ce rapport final, on peut y lire que ce médecin confirme que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles ainsi qu’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique.
[54] Selon le représentant du travailleur, ce rapport final du docteur Fournier justifiait donc la CSST de demander un deuxième avis auprès du BEM. La démarche alors entreprise par la CSST était donc pleinement justifiée et conforme à la loi.
[55] Le représentant du travailleur appuie aussi ses prétentions par une décision de la Cour supérieure.
[56] Finalement, le représentant du travailleur allègue qu’il faut interpréter l’avis du docteur Grenier au sujet de la présence de limitations fonctionnelles temporaires pour une période de trois mois, comme signifiant qu’au terme de cette période, une réévaluation des limitations fonctionnelles devait être faite.
L’AVIS DES MEMBRES
[57] Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales sont d’avis unanime que le moyen préalable soulevé par l’employeur doit être accueilli.
[58] Ils sont d’avis que la CSST ne pouvait demander un deuxième avis au BEM sur la question de l’existence ou non de limitations fonctionnelles, puisque cette question avait déjà été tranchée par le docteur Grenier dans l’avis qu’il a rendu le 21 juin 2005.
[59] Ainsi donc, ils sont d’avis que les décisions de la CSST rendues les 2 février 2006 et 14 juillet 2006 sont irrégulières et doivent être annulées.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[60] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le moyen préalable invoqué par l’employeur est fondé ou non.
[61] Si ce moyen préalable est fondé, la présente décision mettra fin aux litiges. Dans le cas contraire, les parties devront être convoquées afin de procéder sur le fond des questions médicales en litige.
[62] Les articles de la loi qui sont pertinents au présent litige sont les suivants :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
216. Est institué le Bureau d'évaluation médicale.
Sur recommandation des ordres professionnels concernés, le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre soumet annuellement au ministre, avant le 15 mars, une liste des professionnels de la santé qui acceptent d'agir comme membres de ce Bureau.
Le ministre peut ajouter à cette liste le nom d'autres professionnels de la santé.
À défaut par le Conseil consultatif de soumettre cette liste, le ministre la dresse lui-même.
La liste des professionnels de la santé qui acceptent d'agir comme membres de ce Bureau pour une année reste en vigueur jusqu'à ce qu'elle soit remplacée.
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1985, c. 6, a. 216; 1992, c. 11, a. 18.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
218. Le ministre désigne un membre du Bureau d'évaluation médicale parmi les professionnels de la santé dont les noms apparaissent sur la liste visée à l'article 216.
Toutefois, le ministre ou la personne qu'il désigne à cette fin peut, s'il l'estime opportun en raison de la complexité d'un dossier, désigner plus d'un membre de ce Bureau pour agir.
Il informe les parties à la contestation, la Commission et les professionnels de la santé concernés des nom et adresse du membre qu'il a désigné.
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1985, c. 6, a. 218; 1992, c. 11, a. 20; 1997, c. 27, a. 7.
219. La Commission transmet sans délai au membre du Bureau d'évaluation médicale le dossier médical complet qu'elle possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime un travailleur et qui fait l'objet de la contestation.
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1985, c. 6, a. 219; 1992, c. 11, a. 21.
220. Le membre du Bureau d'évaluation médicale étudie le dossier soumis. Il peut, s'il le juge à propos, examiner le travailleur ou requérir de la Commission tout renseignement ou document d'ordre médical qu'elle détient ou peut obtenir au sujet du travailleur.
Il doit aussi examiner le travailleur si celui-ci le lui demande.
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1985, c. 6, a. 220; 1992, c. 11, a. 22.
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[63] Après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve contenue au dossier de la CSST ainsi qu’après avoir entendu les prétentions des parties, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le moyen préalable soulevé par l’employeur doit être accueilli.
[64] À cet effet, le tribunal reconnaît que l’article 204 de la loi permet à la CSST d’obtenir l’avis d’un médecin désigné sur toute question médicale relative à la lésion professionnelle subie par un travailleur, y compris sur l’existence et l’évaluation des limitations fonctionnelles.
[65] C’est d’ailleurs ce qu’a fait la CSST en demandant au docteur Lefebvre, le 8 mars 2005, un rapport d’expertise médicale.
[66] Par la suite, comme le lui permet l’article 205.1 de la loi, la CSST pouvait soumettre ce rapport au BEM pour qu’il tranche les questions médicales litigieuses. D’ailleurs, en vertu de l’article 224.1, la CSST sera liée par cet avis du membre du BEM et devra rendre une décision en conséquence. C’est donc dans ce contexte que le docteur Grenier, agissant à titre de membre du BEM, rend son avis le 21 juin 2005.
[67] C’est ainsi qu’une lecture attentive de l’avis rendu par le docteur Grenier le 21 juin 2005 démontre, sans aucun doute, que la question de l’existence ou non des limitations fonctionnelles est entièrement tranchée par ce médecin.
[68] C’est ainsi qu’à la dernière page de son avis, le docteur Grenier indique que le travailleur ne conserve aucune limitation fonctionnelle permanente de sa lésion professionnelle.
[69] De plus, il indique clairement qu’il est d’accord avec les conclusions émises par le docteur Lefebvre qui sont à l’effet que des limitations fonctionnelles temporaires sont émises pour une période de 3 mois, et ce, dans l’unique but de faciliter la réintégration au travail du travailleur.
[70] D’ailleurs, la décision de la CSST rendue le 28 juin 2005 à la suite de cet avis du docteur Grenier démontre bien que l’ensemble des questions médicales relatives à la lésion subie par le travailleur était cristallisé.
[71] Le tribunal tient à rappeler que cette décision de la CSST du 28 juin 2005 n’a d’ailleurs pas été contestée par aucune des parties et a donc un caractère final.
[72] De l’avis du tribunal, cette décision de la CSST terminait le processus de contestation médicale qui avait été mené à son terme et, du même coup, la CSST avait épuisé sa compétence. En d’autres mots, la CSST était « functus officio ».
[73] D’ailleurs, c’est ainsi que s’exprimait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ashfaq Ahmed et Tricots Liesse 1983 inc.[2]
[27] En l’espèce, un premier membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Jacques Duranceau, s’est prononcé sur la question du diagnostic au mois d’août 1997. Cet avis a donné lieu à une décision de la CSST qui a été rendue le 15 août 1997, laquelle a été modifiée par la décision du bureau de révision du 23 avril 1998. Cette décision écarte le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche et déclare que le diagnostic de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 1er avril 1997 est celui d’entorse lombaire et lombosciatalgie. La décision du bureau de révision n’a pas été contestée et elle est devenue, par le fait même, finale et irrévocable. Le processus de contestation quant au diagnostic a donc été mené à terme et la CSST ne pouvait soumettre de nouveau la question du diagnostic au Bureau d’évaluation médicale. Par conséquent, l’avis du docteur Antoun du 1er mars 2000 est irrégulier en ce qui a trait à cette question tout comme l’était celui du docteur Bourgeau émis en janvier 1999.
[74] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, rien ne justifiait la CSST de soumettre le travailleur à une deuxième évaluation en vertu de l’article 204 de la loi, ni à acheminer, encore une fois, le dossier du travailleur au BEM pour obtenir un second avis toujours au sujet des limitations fonctionnelles.
[75] Toute la question de l’existence et de l’évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur de même que tous les autres aspects médicaux au dossier avaient été clairement tranchés par le premier avis rendu par le membre du BEM, le docteur Grenier.
[76] Les aspects médicaux du dossier étaient donc établis et connus de toutes les parties.
[77] Ainsi donc, le dossier du travailleur était finalisé et toutes les parties, en l’absence de contestation, devaient se gouverner en conséquence, y compris la CSST.
[78] De l’avis du tribunal, l’article 204 de la loi ne permet pas à la CSST de soumettre la même question médicale à divers médecins désignés et, ultimement, à divers médecins du BEM, jusqu’à ce qu’elle obtienne la réponse qu’elle recherche.
[79] Cette conclusion du tribunal rejoint celle énoncée par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Théberge et Servi-Logistix inc.[3] qui établisait que :
[33] Le soussigné ne croit pas que l’article 204 de la loi permette à la CSST de soumettre le travailleur à des examens médicaux à répétition sur le même sujet. L’article 204 permet à la CSST de référer le travailleur à un médecin de son choix pour obtenir l’opinion de ce médecin concernant des points litigieux pour, éventuellement, soumettre le dossier à l’appréciation du membre du Bureau d’évaluation médicale lorsqu’il y a discordance entre les conclusions du médecin qui a charge du travailleur et celles formulées par le médecin désigné en vertu de l’article 204.
[34] Or, lorsque le médecin désigné en vertu de l’article 204 se prononce sur un sujet qui n’est pas contesté par la CSST, le soussigné considère que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, basé sur une conclusion sur laquelle le médecin n’était pas consulté, devient erroné par le fait même.
[35] L’article 204 de la loi doit permettre de solutionner une question litigieuse et non pas de revoir à répétitions les mêmes éléments d’un dossier. La CSST ne peut soumettre la même question à divers médecins désignés jusqu’à ce qu’elle obtienne enfin la réponse qu’elle recherche.
[80] Au même effet, le tribunal s’exprimait ainsi dans l’affaire Gaston Élément et Construction Jeanielle inc. et CSST[4] toujours au sujet l’existence de limitations fonctionnelles permanentes :
[33] La CSST rétorque qu'elle avait tout le loisir de faire évaluer, à nouveau, les capacités résiduelles du travailleur et, par la suite, soumettre à nouveau son dossier en vertu de l'article 204, parce que le docteur Guindon émettait l'opinion que les limitations fonctionnelles étaient temporaires. De l'avis de la soussignée, cette approche ne s'appuie sur aucune base légale. La loi est claire. Ou bien l'opinion du médecin désigné confirme l'opinion du médecin qui a charge, et à ce moment la CSST est liée par l'opinion de ce dernier; ou bien l'opinion du médecin désigné infirme l'opinion du médecin qui a charge, et à ce moment la CSST soumet les opinions contradictoires au Bureau d'évaluation médicale. En l'instance, la CSST qualifie les limitations fonctionnelles d'identiques. Par contre, elle est devant deux opinions différentes quant à leur existence dans le temps. Les unes sont permanentes, les autres, temporaires. La CSST n'avait d'autre choix, selon les articles pertinents de la loi, de soumettre la question au Bureau d'évaluation médicale. C'était, pour elle, la seule façon de donner suite au débat.
[34] L'avenue choisie par la CSST en l'instance, ne respecte pas l'économie de la loi en regard des questions d'ordre médical. Lorsqu'elle soumet le dossier du travailleur, pour une deuxième évaluation des limitations fonctionnelles par un médecin désigné en vertu de l'article 204, la CSST agit de façon irrégulière et non conforme à la loi. Au surplus, l’opinion du médecin qui a charge du travailleur sera soumise à l’analyse du Bureau d’évaluation médicale, sept mois après la réception de celle-ci.
[81] Par ailleurs, le tribunal ne peut retenir la prétention du représentant du travailleur suivant laquelle l’émission d’un rapport final par le docteur Fournier le 3 novembre 2005, où il indique qu’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ainsi que des limitations fonctionnelles découlent de la lésion professionnelle, permettait à la CSST de reprendre le processus de contestation médicale.
[82] De l’avis du tribunal, ce rapport final du docteur Fournier n’avait pas lieu d’être considéré par la CSST puisque lorsqu’il a été émis par le docteur Fournier, toutes les questions de nature médicale avaient déjà été statuées par la CSST.
[83] De plus, bien que ce rapport final indique qu’une atteinte permanente découle de la lésion professionnelle, ni le docteur Lefebvre, dans son avis du 28 octobre 2005, ni le docteur Lacoursière, ne jugent nécessaire de se prononcer à nouveau sur cette question.
[84] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles ne peut appliquer la jurisprudence déposée par le représentant du travailleur, puisque la question en litige diffère de celle du présent dossier.
[85] En effet, dans l’affaire Chevalier[5], la Commission des lésions professionnelles devait décider si le membre du BEM pouvait émettre son avis sur un sujet (le diagnostic) qui ne faisait pas l’objet de contestation.
[86] En l’espèce, la question en litige est fort différente puisqu’il s’agit de déterminer si la CSST pouvait initier une deuxième procédure de contestation médicale alors que toutes les questions médicales avaient déjà fait l’objet d’une première procédure de contestation et qu’une décision finale de la CSST avait été rendue à ce sujet.
[87] Finalement, le tribunal ne peut souscrire à l’argument suivant lequel l’avis du docteur Grenier, au sujet de la fixation de limitations fonctionnelles temporaires d’une durée de 3 mois, doit être interprété comme signifiant qu’après ce délai, elles devront à nouveau être évaluées.
[88] Bien au contraire, il apparaît clairement dans l’avis du docteur Grenier que celui-ci n’envisage aucunement de réévaluer, après 3 mois, les limitations fonctionnelles du travailleur, ni que celles-ci soient permanentes.
[89] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la CSST ne pouvait demander au BEM de se prononcer une deuxième fois sur la question de l’existence de limitations fonctionnelles et que la décision de la CSST rendue le 2 février 2006, et qui découle de cet avis irrégulier du BEM, est nulle.
[90] Ainsi, la décision rendue par la CSST le 28 juin 2005 lie donc les parties.
[91] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le tribunal au sujet de la décision de la CSST du 2 février 2006, il va de soi que les suites de cette décision relativement à la détermination de l’emploi convenable d’ébéniste et à la mesure de réadaptation établie, sont aussi nulles. Il n’y a donc pas lieu de convoquer les parties sur le fond des litiges.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 289278-02-0605
ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par le Groupe Alcan Métal Primaire, l’employeur;
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 mai 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nulle la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 2 février 2006 faisant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 19 janvier 2006;
DÉCLARE irrégulier l’avis rendu par le Bureau d’évaluation médicale le 19 janvier 2006;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 24 août 2004 n’a entraîné aucune limitation fonctionnelle permanente;
Dossier 303975-02-0611
DÉCLARE sans objet la requête de l’employeur;
DÉCLARE que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative est devenue sans effet.
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Jean Grégoire |
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Commissaire |
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Me Annie Parent |
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OGILVY RENAULT |
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Représentante de la partie requérante |
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Me André Lalancette |
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LAROUCHE, LALANCETTE & ASS. |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.