Section des affaires immobilières
En matière de fiscalité municipale
Référence neutre : 2022 QCTAQ 092
Dossier : SAI-M-313180-2201
Devant les juges administratifs :
MARTINE DURAND
JEAN-FRANÇOIS LÉCUYER
MICHEL LABERGE
c.
VILLE DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU /
Aperçu
[1] Le recours concerne l’inscription au rôle d’évaluation foncière 2022-2023-2024 de deux logements pour l’unité d’évaluation située au [...] à Saint-Jean-sur-Richelieu[1].
[2] Le 24 février 2022, les parties requérantes déposent une demande de révision administrative auprès de l’organisme municipal responsable de l’évaluation (OMRE) contestant le nombre de logements inscrit au nouveau rôle d’évaluation foncière.
[3] Dans sa réponse en date du 1er avril 2022, l’évaluateur recommande le maintien du nombre de logements inscrit au rôle à deux logements.
[4] Insatisfaites de cette réponse, les parties requérantes intentent un recours devant le Tribunal administratif du Québec (Tribunal) afin qu’un seul logement soit inscrit au rôle d’évaluation foncière 2022-2023-2024 au lieu de deux.
[5] Les parties requérantes invoquent aussi en motif de leur recours l'application de droits acquis à l'égard d'un usage dérogatoire pour leur propriété. Le Tribunal traitera plus loin ce motif bien que cet aspect ne soit pas de la compétence du Tribunal.
[6] La valeur de l’unité inscrite au rôle n’est pas contestée.
[7] L’audience est tenue par visioconférence le 16 août 2022. Chaque partie a l’opportunité de faire ses représentations et le délibéré débute le jour même.
Litige
[8] Le Tribunal doit déterminer si la propriété des parties requérantes comporte un ou deux logements.
[9] Selon l’analyse du Tribunal, la propriété située au [...] à Saint-Jean-sur-Richelieu comporte deux logements.
Analyse et décision
[10] Il convient de rappeler que le Tribunal doit déterminer le nombre de logements selon les principes édictés par la Loi sur la fiscalité municipale[2] ainsi que ses règlements afférents dont le Manuel de l’évaluation foncière du Québec (MEFQ).
[11] La définition de logement édictée par le MEFQ se trouve au Volume 2-C[3] de celui-ci et se lit comme suit :
Logement : maison, appartement, ensemble de pièces ou une seule pièce où toute personne peut tenir feu et lieu. Il comporte une entrée par l’extérieur ou par un hall commun, des installations sanitaires, ainsi qu’une cuisine ou une installation pour cuisiner. Ces installations disposent de l’eau courante et sont fonctionnelles, même de façon temporaire. Le logement peut être séparé d’un autre logement par une porte ou par une ouverture comportant un cadrage pouvant recevoir une porte ou, à défaut d’une telle ouverture, l’accès entre les deux logements n’est pas direct et se fait par un couloir, une pièce non finie ou une cage d’escalier cloisonnée.
(Transcription conforme)
[12] Le MEFQ[4] détermine les conditions de constitution d’un logement comme suit :
La définition de logement comporte trois conditions cumulatives, vérifiables par la seule observation des lieux, pour qualifier un espace habitable comme étant un logement :
1. Pouvoir y tenir feu et lieu. Nécessite qu’il y ait, dans le logement, des installations sanitaires, un espace pour dormir, un autre pour cuisiner et manger. Les installations sanitaires et celles pour cuisiner doivent disposer de l’eau courante lorsque le logement est occupé. Le fait que l’espace habitable soit inoccupé ne lui enlève pas son caractère de logement. Les chalets ou maisons de villégiature (code d’utilisation « 1100 ») sont considérés comme des logements, dans la mesure où les installations sanitaires et de cuisson qui s’y trouvent sont fonctionnelles, même de façon temporaire. Il en est de même pour les maisons mobiles (code d’utilisation « 1211 »).
2. Pouvoir y accéder directement. Nécessite que l’accès au logement se fasse par une entrée extérieure privée ou par un hall commun. S’il faut entrer par un autre logement pour y accéder, ce n’est pas un autre logement, mais plutôt la prolongation de celui dans lequel l’entrée s’est faite en premier.
3. Pouvoir en jouir de façon exclusive. Nécessite que l’espace habitable soit séparé du reste du bâtiment par des cloisons ou des planchers, permettant ainsi aux résidants une occupation distincte, autonome et exclusive, sans partage avec les autres espaces. Une telle exclusivité doit exister ou pouvoir être créée par des travaux mineurs (ex. : installer une porte verrouillable).
(Soulignements du Tribunal)
[13] Cette définition établit ce qui doit être présent pour qu’une partie ou la totalité d’un bâtiment soit qualifiée de logement. Le cumul des conditions doit être rencontré et le constat se fait par une simple observation des lieux.
[14] Lors de son témoignage, Mme Carbone a indiqué au Tribunal que la partie de l’immeuble que M. Laberge et elle habitent ainsi que celle où habite son père possèdent chacune sa propre cuisine, chacune une chambre à coucher ainsi que sa propre installation sanitaire complète. Elle indique que ce qui relie les deux espaces de vie est une salle d’eau au rez-de-chaussée qui est commune.
[15] Ces éléments du témoignage de Mme Carbone sont confirmés par le rapport de Marc Lépine, évaluateur agréé, expert de l’intimée[5].
[16] D’ailleurs, le rapport de M. Lépine inclut des photographies de cette salle d’eau[6]. À l’aide de ces photographies, le Tribunal constate qu’il y a deux portes de chaque côté de la salle d’eau : une qui donne accès à l’espace de vie des parties requérantes et l’autre qui donne accès à celui de M. Ercole Carbone, père de Mme Carbone.
[17] Questionné par le Tribunal, l’expert de l’intimée précise que la salle d’eau est l’élément qui divise les deux espaces de vie et qu’il serait possible de rendre ces deux espaces « étanches » l’un de l’autre en condamnant l’une des deux portes de la salle d’eau. Il mentionne aussi que chaque espace de vie comporte son entrée extérieure distincte et est par ailleurs complètement autonome, avec ou sans cette salle d’eau.
[18] M. Lépine est aussi d’avis que, en ne tenant pas compte de la règlementation en vigueur, l’aménagement actuel des deux espaces de vie permettrait la location de l’un ou l’autre des espaces à un tiers indépendant.
[19] Dans le rapport de l’expert de l’intimée ainsi que lors de son témoignage, celui-ci conclut que l’état des lieux au moment de ses visites concorde avec la définition de « logement » du MEFQ. En conséquence, il est d’opinion que l’immeuble comporte deux logements.
[20] Mme Carbone, pour sa part, explique au Tribunal avoir acquis cette propriété en 2006. Dès cette époque, la propriété était aménagée comme étant bi-générationnelle, comportant deux logements, lui permettant ainsi de pouvoir accueillir ses parents dans la même propriété. Il s’agit d’ailleurs de la raison de l’achat de cette propriété.
[21] À ce moment, un seul logement est inscrit au rôle d’évaluation foncière.
[22] Mme Carbone ajoute qu’il n’existe qu’une seule adresse civique, que le terrain est un espace commun utilisé par tous les habitants de l’immeuble, que la propriété n’a qu’un seul chauffe-eau et que l’installation électrique est aussi commune, ce qui justifie selon elle l’inscription d’un seul logement.
[23] Les propriétaires précédents avaient transformé la propriété à la suite d’un permis d’agrandissement délivré par la Ville en 2002[7].
[24] M. Carbone, témoin pour les requérants, explique de façon détaillée la situation de la propriété et les différentes étapes ayant mené les requérants devant le Tribunal.
[25] L’imbroglio débute par un avis de modification émis avant l’entrée en vigueur du nouveau rôle contesté, à la suite d’une visite de l’évaluateur municipal, qui modifie l’inscription au rôle d’évaluation d’un logement à deux.
[26] Cet avis génère l’émission d’un compte de taxes foncières complémentaires d’un montant de 408 $[8] qui constitue initialement l’objet de la contestation de la nouvelle inscription.
[27] M. Carbone indique avoir alors demandé à la Ville que la propriété soit reconnue comme immeuble intergénérationnel afin de pouvoir être exemptée de cette taxe foncière complémentaire. C’est à ce moment qu’il a appris que la propriété était non conforme. Une série de démarches s’ensuit auprès de la Ville, mais elles demeurent veines à résoudre le litige.
[28] M. Alexandre Hamelin, urbaniste à la Ville, témoigne pour l’intimée et explique au Tribunal, au soutien du permis émis[9], que les travaux demandés en 2002 consistaient en l’agrandissement de l’immeuble, mais qu’aucune cuisine n’apparaissait aux plans annexés à la demande de permis. Il ajoute qu’aucune demande d’usage additionnel comme logement n’a été soumise à la Ville quant à l’espace agrandi, comme cela aurait dû être fait.
[29] Ce témoignage confirme la teneur de la pièce R-2 produite par Mme Carbone, soit une réponse de la Ville à leur mise en demeure du 8 décembre 2021[10].
[30] Questionné par le Tribunal, M. Hamelin explique que la propriété des requérants doit faire l’objet de mesures correctives pour être conforme à la règlementation. Il indique que la propriété pourrait être reconnue comme intergénérationnelle suivant certaines mises aux normes exigées par la règlementation. Si tel était le cas, la propriété serait considérée comme intergénérationnelle comportant deux logements.
[31] Puisqu’une telle demande n’a pas été effectuée par les requérants auprès de son service, l’étude particulière et approfondie du dossier n’a pas été faite et le témoignage de M. Hamelin demeure vague quant aux exigences exactes nécessaires pour que la propriété des requérants se qualifie d’intergénérationnelle conformément à la règlementation municipale en vigueur. Son témoignage est également vague concernant la conformité des aménagements intérieurs lors de la demande de permis en 2002 et selon la règlementation alors en vigueur. La preuve présentée au Tribunal se limite à la règlementation adoptée à compter de 2007[11], ce qui n’est d’aucune utilité pour déterminer la conformité des travaux effectués au permis émis en 2002.
[32] Par ailleurs, le Tribunal constate qu’un permis délivré en 2010 avait pour but d’ajouter une salle de bain au sous-sol de la propriété. Est-ce l’effet de ces travaux qui a permis aux deux espaces de vie de pouvoir être entièrement autonomes sans la salle d’eau qui lie les deux espaces au rez-de-chaussée? La preuve est muette à ce sujet.
[33] Quoiqu’il en soit, il n’est pas de la compétence du Tribunal de commenter la règlementation ou encore la présence de droits acquis concernant l’usage fait de la propriété par les requérants ni de trancher des litiges en lien avec ceux-ci. Les informations inscrites au rôle d’évaluation foncière en regard du nombre de logements ne déterminent pas la conformité de l’immeuble ou non auprès du service de l’urbanisme puisque ce dernier obéit à sa seule règlementation[12].
[34] Il appartient donc aux requérants de réaliser les démarches pertinentes pour s’assurer de la conformité de leur immeuble à la règlementation municipale, auprès du service d’urbanisme de la Ville.
[35] Le Tribunal doit pour sa part trancher la question du nombre de logements qui doit être inscrit au rôle selon les principes édictés à la LFM et ses règlements afférents. Cette mention faite au rôle d’évaluation n’est pas une inscription qui doit faire l’objet d’une appréciation de la part de l’évaluateur municipal. Il s’agit d’un renseignement général qui décrit une caractéristique du bâtiment, soit le nombre de logements, vérifiable selon la seule observation des lieux[13].
[36] Dans le contexte, qu’en est-il? Les deux premiers critères exigés au MEFQ pour correspondre à la définition de logement sont ici incontestablement rencontrés, soit pouvoir tenir feu et lieu et pouvoir accéder directement aux logements par une entrée distincte. La question qui demeure se situe donc au niveau de la troisième condition qui doit être rencontrée.
[37] Le troisième critère mentionne qu’il faut pouvoir jouir des lieux de façon exclusive, c’est-à-dire que l’espace doit être séparé au moyen de cloisons ou de planchers du reste du bâtiment pour permettre aux résidants une occupation distincte, autonome et exclusive, sans mixité avec les autres espaces, à moins qu’il n’y ait qu’à réaliser que des travaux mineurs, par exemple installer une porte verrouillable.
[38] La propriété des requérants comporte un accès entre les deux espaces de vie qui n’est pas direct, il est séparé par une salle d’eau. L’une des portes de la salle d’eau pourrait être verrouillée et les deux espaces de vie permettraient chacun une occupation entièrement exclusive sans aucune contrainte à leur autonomie puisque chaque espace de vie comporte par ailleurs chacun une cuisine, une chambre à coucher et des installations sanitaires autonomes permettant de tenir feu et lieu.
[39] Le Tribunal est ainsi d’avis que le troisième critère est également rencontré. Dès lors, il conclut que chaque espace de vie constitue un logement qui répond à la définition prévue au MEFQ. L’immeuble comporte donc un total de deux logements.
[40] Selon le Tribunal, les requérants n’ont pas réussi à renverser le fardeau de la preuve qu’ils avaient de démontrer que leur immeuble ne comportait qu’un seul logement. Bien que les arguments soumis par ces derniers semblent significatifs, ils ne sont pas déterminants pour la qualification d’un logement laquelle doit être établie selon la définition et les conditions de constitution d’un logement prévues au MEFQ.
[41] Le Tribunal retient que l’utilisation voulue des lieux est de servir pour deux logements au service de deux ménages. Le concept même de propriété bi-générationnelle ou intergénérationnelle est de délimiter deux espaces de vie tout en maintenant un certain accès entre eux du fait de leur objectif familial.
[42] Selon les témoignages, la configuration du bâtiment correspond exactement à cette fin.
[43] Par ailleurs, au contraire de la décision soumise par les requérants en exemple[14], cette dernière consistait en la réunion de deux logements en un pour qu’une seule famille puisse y vivre. Cette transformation avait été réalisée en conformité au permis dûment émis par la Ville et aux plans soumis.
[44] Comme l’indiquait la juge Goyer dans cette décision, Nous ne sommes pas ici dans le cas d’un immeuble intergénérationnel… mais bien dans le cas d’une résidence secondaire occupée par un seul ménage depuis toujours et qui continue de l’être, en conformité avec le zonage municipal.
[45] Comme chaque cas est un cas d’espèce, les différences entre cette décision et le présent litige sont trop importantes pour que le Tribunal y puise des arguments dans le dossier qui nous concerne.
[46] En ce qui a trait aux frais, le Tribunal ne considère pas avoir compétence à l’égard des sommes d’argent payées par la partie requérante lors du dépôt de sa demande de révision administrative auprès de l’organisme municipal responsable de l’évaluation, cette somme étant plus considérée comme un coût relatif à un service rendu plutôt que comme un débours taxable.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours;
MAINTIENT à DEUX le nombre de logements inscrit au rôle 2022-2022-2023 pour l’unité d’évaluation portant le matricule 2324-70-9692-0-000-0000.
LE TOUT sans frais de justice.
MARTINE DURAND, j.a.t.a.q.
| JEAN-FRANÇOIS LÉCUYER, j.a.t.a.q. |
[1] Matricule 2324-70-9692-0-000-0000.
[2] RLRQ, chapitre F-2.1 et le Règlement sur le Rôle d’évaluation foncière, paragraphe 4.
[3] Manuel d’évaluation foncière du Québec, édition 2021, page 2C-79.
[4] Idem, page 2C-81.
[5] Rapport d’évaluation de Marc Lépine, évaluateur agréé, Pièce I-1.
[6] À la page 8 du rapport précité ci-dessus.
[7] Pièces I-2 en liasse et R-5.
[8] Pièce R-6.
[9] Pièce I-2 en liasse.
[10] Mise en demeure de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu datée du 21 décembre 2021.
[11] Pièces I-4 et I-5.
[12]
[13] Règlement sur le Rôle d’évaluation foncière, paragraphe 4 et Manuel d’évaluation foncière du Québec, édition 2021, page 2C-12, Renseignements généraux.
[14]
AVIS :
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