Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Levasseur) c. Ville de Montréal (SPVM) | 2025 QCTDP 2 | |
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE | |
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CANADA | |
PROVINCE DE QUÉBEC | |
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |
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N° : | 500-53-000616-225 | |
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DATE : | 29 janvier 2025 | |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHRISTIAN BRUNELLE |
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AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : | Me Carolina Manganelli Me Daniel Proulx, avocat à la retraite | |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de GUYLAIN LEVASSEUR | |
Partie demanderesse | |
c. | |
VILLE DE MONTRÉAL (SPVM) | |
et | |
ANDRÉ AYOTTE | |
et | |
FRANÇOIS PROULX | |
et | |
WESLEY KARL TAIT | |
et | |
DANIEL RAYMOND | |
Parties défenderesses | |
et | |
GUYLAIN LEVASSEUR | |
Partie victime et plaignante | |
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JUGEMENT
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Table des matières
I. QUESTIONS EN LITIGE..................................................3
II. CONTEXTE.............................................................4
M. Guylain Levasseur.......................................................4
Le sergent Ayotte...........................................................6
L’agent Proulx............................................................11
L’agent Tait...............................................................13
L’agent Raymond..........................................................17
Les événements de janvier 2019.............................................19
III. ANALYSE.............................................................21
Remarque préliminaire : Décision sur une objection............................21
A. La prescription........................................................24
B. Le profilage discriminatoire.............................................30
1. La différence de traitement................................................36
2. La condition sociale.....................................................39
3. La compromission du droit à l’égalité........................................51
C. Les moyens de défense.................................................54
1. La légitimité des objectifs et la rationalité des moyens choisis.......................60
2. La nécessité raisonnable.................................................61
3. L’obligation d’accommodement raisonnable...................................61
a) Le volet procédural...................................................62
b) Le volet substantiel...................................................66
D. Le harcèlement discriminatoire..........................................73
E. Les réparations........................................................85
- La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), agissant dans l’intérêt public et pour M. Guylain Levasseur, soutient que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et les policiers André Ayotte, François Proulx, Wesley Karl Tait et Daniel Raymond ont exercé contre M. Levasseur du profilage et du harcèlement discriminatoires fondés sur sa condition sociale, aux termes de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (Charte).
- Au bénéfice de M. Levasseur, la CDPDJ réclame que la Ville et les quatre policiers défendeurs soient condamnés solidairement à payer 30 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
- La CDPDJ demande, en outre, que chacun des policiers défendeurs soit condamné personnellement à payer une somme de 3 000 $ en dommages-intérêts punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle aux droits de M. Levasseur.
- Elle sollicite également une ordonnance visant à ce que la Ville et ces policiers cessent toute forme de harcèlement discriminatoire fondé sur la condition sociale à l’endroit de M. Levasseur.
- Enfin, la CDPDJ requiert du Tribunal qu’il prononce contre la Ville, dans l’intérêt public, plusieurs ordonnances destinées à faire cesser toute pratique de profilage social discriminatoire contre les personnes en situation d’itinérance.
- Le Tribunal est appelé à statuer sur les questions suivantes :
- Le recours exercé par la CDPDJ est-il prescrit en partie compte tenu de la courte prescription dont bénéficie la Ville aux termes de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes[2] ?
- Les faits et gestes que la CDPDJ, au nom de M. Levasseur, reproche à la Ville et ses quatre policiers sont-ils constitutifs, à première vue, de « profilage social » c’est-à-dire de profilage discriminatoire fondé sur la condition sociale en vertu de la Charte ?
- Le cas échéant, la Ville et ses quatre policiers sont-ils parvenus à justifier leurs faits et gestes sur la base d’objectifs légitimes et rationnels et de contraintes excessives ne leur permettant pas la mise en œuvre de mesures d’accommodement ?
- La Ville et ses quatre policiers ont-ils exercé du harcèlement discriminatoire fondé sur la condition sociale de M. Levasseur ?
- À la lumière de la preuve, y a-t-il lieu d’accorder une réparation monétaire à M. Levasseur, de sanctionner par des dommages-intérêts punitifs la conduite des quatre policiers défendeurs, d’ordonner la cessation de tout profilage ou harcèlement fondé sur la condition sociale et de prononcer l’une ou l’autre des ordonnances d’intérêt public sollicitées par la CDPDJ ?
- Le Tribunal a recueilli les témoignages de vingt-huit personnes dans le cadre de ce procès, incluant ceux de la partie victime et plaignante et des quatre policiers défendeurs. La présente section n’a pas pour objet d’en faire la revue exhaustive mais d’en présenter les faits saillants. La section III consacrée à l’analyse sera ponctuée de renvois plus précis à cette preuve testimoniale abondante.
- M. Guylain Levasseur a longtemps travaillé dans le domaine de la messagerie, tantôt comme trieur de courrier, tantôt comme opérateur de chargement d’avions-cargos.
- Des problèmes de consommation d’alcool et de drogues l’amènent à suivre une thérapie, payée par son employeur, à la Maison Pierre-Péladeau. En 1992, il cesse la consommation et s’impliquera pendant une dizaine d’années dans le mouvement des alcooliques anonymes (AA).
- Il occupe plus tard un emploi rémunéré comme préposé à la sécurité sur des plateaux de tournage cinématographique.
- En 2011, il subit l’attaque violente de son ami envahi par une psychose toxique et doit composer avec un choc post-traumatique qui le plonge dans une importante dépression.
- Dans les mois qui suivent, il en vient à devenir bénéficiaire de l’aide sociale[3] et dort en plein air, dans un sac de couchage, au square Berri, situé au centre-ville de Montréal.
- En 2016, il est endetté d’une somme de 1 681,00 $ pour des amendes impayées presque toutes liées à des infractions de stationnement. Le 18 mars 2016, il conclut avec le Percepteur des amendes de la Ville de Montréal une « Entente de paiement par versements » par laquelle il « s’engage à effectuer un paiement de 5,00 $ le 15e jour de chaque mois ou le jour ouvrable suivant »[4].
- Des amis l’accueillent occasionnellement pour dormir sur leur sofa.
- Puis, il déniche un logement au [...], à Montréal. Il résilie toutefois son bail à la suite d’une infestation de punaises de lit.
- Vers 2017, il prend alors la décision de vivre dans son véhicule.
- Il occupe brièvement son Dodge Caravan jusqu’à ce que celui-ci prenne feu à l’occasion d’un voyage vers la Nouvelle-Écosse en compagnie de « quatre jeunes de la rue »[5].
- À cette époque, il est bénévole depuis quelques mois pour l’organisme SOS Itinérance[6] et agit comme chauffeur et surveillant « de la halte chaleur »[7]. Il acquiert de cet organisme un Plymouth Voyager dans lequel il installe son lit à l’arrière.
- Il peut ainsi consacrer ses prestations d’aide sociale à se nourrir et à mettre de l’essence dans son véhicule pour se déplacer, se chauffer au besoin et mener son action bénévole en distribuant de la nourriture et des vêtements aux personnes en situation d’itinérance.
- En 2017, un conflit avec un dirigeant de SOS Itinérance l’incite à fonder l’organisme Dehors novembre[8] qui fait « de l’accompagnement », aux dires de M. Levasseur.
- Il mentionne utiliser son véhicule pour recueillir des dons et en faire la distribution dans le secteur Centre-Sud, près du Parc Serge-Garant adjacent à la rue Beaudry, là où il se gare.
- La place qu’il privilégie pour immobiliser son véhicule n’est cependant pas une zone où le stationnement est autorisé.
- La persistance de M. Levasseur à stationner son véhicule à un endroit interdit entraîne l’émission de près de 230 constats d’infraction entre le 20 mai 2015 et le 25 janvier 2019.
- À cet égard, il déplore un manque d’« ouverture d’esprit » : « Je m’en viens aider le monde », insiste-t-il, d’où ses réponses offertes à l’avocate de la Ville lors de son interrogatoire préalable à l’instruction :
Q O.K. Ça fait que, moi, ma question c’est : est-ce que vous prétendez que les constats qui étaient émis pour des infractions de stationnement…
R Ils étaient abusifs.
Q …n’étaient pas justifiées ?
R C’était abusif.
Q Abusif, mais est-ce qu’ils étaient…
R Oui, oui.
Q Est-ce que votre véhicule était en infraction ?
R Ben, moi, peut-être que oui, en infraction, mais j’ai trouvé ça abusif.[9]
- Bien que la grande majorité des constats d’infraction aient été émis par des agents de stationnement, les quatre policiers défendeurs ont également eu à intervenir à plusieurs reprises auprès de M. Levasseur afin de faire respecter la réglementation municipale et le Code de la sécurité routière[10].
- L’agent André Ayotte débute sa carrière dans la police en 1988. Aujourd’hui retraité, il a passé 20 ans au Poste de quartier (PDQ) 22, là où il fut promu sergent en 2004.
- Il a fait partie de l’équipe Module d’action par projet (MAP) pendant 6 ans.
- Il décrit le secteur du PDQ-22 comme un endroit « criminogène » qui suscite plusieurs appels quotidiens au 9-1-1 (crimes violents et homophobes, proxénétisme, trafic de stupéfiants, bagarres, incivilités, etc).
- Il mentionne qu’en 2018-2019, beaucoup de jeunes se regroupaient au Parc Serge-Garant et cherchaient, selon lui, à prendre le contrôle de l’endroit, le véhicule de M. Levasseur servant pour ainsi dire de point de rencontre pour certains d’entre eux :
[…] ce que j’ai constaté c’est que c’était tout le temps les mêmes jeunes qui entouraient monsieur Levasseur puis […] monsieur Levasseur était peut-être comme un grand frère pour eux puis il y a eu comme une évolution au niveau des jeunes. Au début, on n’avait aucune problématique avec les jeunes puis les jeunes devenaient de plus en plus agressifs avec nous verbalement.[11]
- Il observe aussi, depuis longtemps, la présence de plusieurs personnes en situation d’itinérance du fait que les organismes et personnes-ressources qui leur viennent en aide sont situés à proximité pour la plupart.
- « J’ai pas de problématique avec les itinérants » au PDQ-22 affirme-t-il, lorsque contre-interrogé par l’avocate de la CDPDJ, mais il admet cependant qu’il n’est « pas un spécialiste au niveau de l’itinérance ».
- En période de piétonnisation de la rue Sainte-Catherine, de mai à septembre, l’équipe du MAP compte trois duos qui patrouillent le secteur, à pied ou à vélo, assistés de 8 à 10 auxiliaires (cadettes et cadets), afin d’assurer la sécurité des personnes qui fréquentent le secteur.
- Selon le sergent Ayotte, l’affectation au MAP, « c’est pas vendeur » parce que les membres du SPVM savent « que ça peut péter n’importe quand ».
- Ceci dit, sa relation avec M. Levasseur était plutôt bonne jusqu’à l’été 2018, lequel marque un changement dans son attitude. Les marques d’impolitesse s’accentuent, affirme le policier, évoquant une « pluie d’insultes, de bêtises, de doigts d’honneur », et il devient « de plus en plus agressif avec nous », « il nous narguait », il nous engueulait devant tout le monde.
- Il est au fait que M. Levasseur vivait de l’aide sociale[12] et il admet l’avoir déjà vu dormir le jour dans son véhicule[13]. Toutefois, à ses yeux, M. Levasseur ne se trouvait pas en situation d’itinérance et de vulnérabilité comme d’autres « sans-abri » qui eux, nécessitent des ressources : il s’apparentait plutôt à un travailleur de rue doté d’un cellulaire permettant de le rejoindre « 24/7 ». « Il avait des ressources en masse », témoigne-t-il : « Je ne vois aucune vulnérabilité ».
- Sur la rue, des gens se plaignent des attroupements de jeunes qui bloquent le trottoir autour du véhicule de M. Levasseur, des cris qui retentissent[14] et des déchets qui s’accumulent au sol[15]. S’ajoutent des plaintes pour non-respect de la réglementation relative au stationnement interdit : « Ça générait des appels presqu’à tous les jours », selon le sergent, du fait que le véhicule se trouvait « tout le temps au même endroit ».
- L’émission de constats d’infraction ne contribuait pas à l’atteinte du but recherché, soit que M. Levasseur « respecte la réglementation comme tout le monde ».
- Celui-ci persistait à garer son véhicule dans des zones interdites et ne semblait « pas du tout » perturbé par la réception d’un constat d’infraction : « Donne-moé lé ton ticket », disait-il au policier, « Je vais le mettre sur la pile ».
- Le 14 août 2018, un commerçant écrit à la mairesse de la Ville et se plaint « de la fréquentation de jeunes délinquants dans le parc derrière le métro Beaudry ». Ce faisant, il déplore notamment l’inaction de la Ville face aux agissements d’un individu qui s’avère être M. Levasseur :
J’ai personnellement appelé à plusieurs reprises le poste de police du quartier afin que les policiers interviennent pour empêcher le propriétaire d’une fourgonnette jaune pâle (avec des tâches de pattes d’animaux peinturés en brun et une inscription « Dehors novembre ») de venir stationner illégalement devant le métro Beaudry. Cet individu encourage la venue de jeunes délinquants en leur remettant divers biens et en prétendant les aider avec pour réelle conséquence une augmentation des crimes (drogue et violence physique). Dimanche dernier, j’ai parlé à deux policiers qui se promenaient dominicalement à vélo dans le village (il semblerait que nous ayions les moyens de payer pour les apparences de sécurité). Ces policiers m’ont expliqué qu’il y avait un manque de volonté politique. Il m’ont expliqué que la signalisation de la rue Beaudry avait été changée afin d’interdire à cet individu de venir désormais stationner mais que cela n’avait eu aucun impact car cet individu se fiche de la signalisation et se stationne malgré tout aux abors du métro Beaudry dans les zones de stationnement interdites : il s’y stationne et ou bien il reste dans son véhicule avec le capot arrière ouvert avec son pitbull et des sacs de couchage ou bien il se sort carrément une chaise de par cet s’installe assis dans le stationnement illégal !![16]
(Reproduction fidèle à l’original)
- « Moi, c’est venu me chercher », témoigne le sergent Ayotte, parce que « ça pointait les policiers et les agents de stationnement ». Il en informe le personnel du MAP : « J’étais à bout de ressources ».
- Bien que la teneur de cette missive reflétait la réalité vécue, selon lui, il précise qu’il n’avait pas le pouvoir de faire changer la signalisation ni de contraindre les agents de stationnement à plus de fermeté : « J’ai pas autorité sur eux ».
- Il aura tout de même un entretien avec leur superviseur qui, dès le 15 août 2018, ouvre « une surveillance assidue pour les 3 prochaines semaines » et émet lui-même un constat d’infraction à M. Levasseur « qui n’est pas coopératif »[17].
- Le 16 août 2018, le sergent Ayotte remet un constat d’infraction en main propre à M. Levasseur parce que les feux de recul de son véhicule ne sont pas fonctionnels, ce qui entraîne ces réponses : « $ 500 par mois chéri », « ma grand-mère aussi est non fonctionnelle »[18].
- Le 17 août 2018, un autre constat d’infraction est émis à M. Levasseur parce que sa fourgonnette est immobilisée dans une zone réservée pour la livraison à l’intersection des rues Beaudry et Ste-Catherine. Il reste impassible face aux demandes du sergent Ayotte de déplacer son véhicule[19].
- Le 18 août 2018, le policier constate que M. Levasseur est de nouveau garé dans cette même zone interdite : « Cette journée-là, il nous cherchait », dit-il. Après avoir refusé de déplacer son véhicule à la demande du policier, M. Levasseur projette ses papiers d’immatriculation sur le toit et le capot de sa fourgonnette.
- Cela lui vaut un autre constat d’infraction, celui-là assorti d’une amende de 442 $, pour avoir refusé de fournir à un agent de la paix agissant en vertu du Code de la sécurité routière[20] un document qu’il a le droit d’exiger ou d’examiner[21].
- M. Levasseur fait ensuite vrombir le moteur de son véhicule immobilisé en appuyant sur l’accélérateur, à plusieurs reprises, émettant un bruit excessif qui entraîne un autre constat d’infraction prévoyant une amende additionnelle de 444 $.
- Le sergent Ayotte convient qu’il est « peu fréquent » pour lui d’émettre trois constats d’infraction successifs dans une même séquence d’événements mais que la situation l’exigeait vu la « gradation » dans le comportement de M. Levasseur.
- À cet égard, il écrit :
Depuis quelques semaines le défendeur [M. Levasseur] est de plus en plus agressif envers nous verbalement. Il nous filme régulièrement lors de nos interventions et nous insulte allègrement. Il nous dit que nous faisons du harcèlement envers lui mais nous avons des plaintes régulières de la part des citoyens du secteur.[22]
- Mis au fait de l’existence d’une entente avec le Percepteur des amendes de la Ville qui permet à M. Levasseur d’acquitter ses dettes pour l’ensemble des constats d’infraction reçus en versant mensuellement une somme de 5 $, le sergent Ayotte veut en savoir plus à ce propos : « Pour lui, c’était comme une immunité », dit-il, « Ça’ me rentre pas dans’ tête », « Je’ trouvais pas ça normal ».
- Le 4 mars 2019, le policier se rend au bureau du Percepteur des amendes en compagnie de son collègue l’agent Tait : « Je’ savais pas au juste en quoi consistait le programme », disant craindre de revivre la même situation qu’à l’été 2018.
- Les deux hommes rencontrent brièvement la superviseure. Sans nommer M. Levasseur, celle-ci leur parle d’« un certain monsieur avec une van », aux dires de l’agent Tait. Elle les aurait informés que la dette accumulée s’élevait à plus de 20 000 $, tout en leur partageant sa crainte qu’il fasse « dérailler le système » — selon l’expression du sergent Ayotte — c’est-à-dire le Programme d’accompagnement des personnes en situation d’itinérance (PAPSI).
- Le 26 mars 2019, M. Levasseur porte plainte au Commissaire à la déontologie policière contre le sergent Ayotte, lui reprochant d’avoir tenté de faire modifier l’entente avantageuse convenue avec le Percepteur des amendes[23]. « J’ai rien demandé », déclare le policier.
- « C’était ma première plainte en 34 ans de service », se désole-t-il, laquelle sera finalement rejetée[24]. Une demande de révision par M. Levasseur va connaître le même sort[25].
- M. François Proulx est policier au SPVM depuis 1998.
- En 2010, il est affecté comme patrouilleur à vélo au PDQ-22 du secteur Centre-Sud.
- À compter de 2013, il intègre l’équipe du MAP à titre d’agent valideur d’informations. Cette équipe vise à rehausser le « sentiment de sécurité » de la population. Il intervient notamment dans des situations d’occupation illégale de terrains, de trafic de stupéfiants et de troubles de voisinage. Il assure les suivis selon les types d’incidents en cause et réfère au besoin aux personnes compétentes.
- Il explique que de 2015 à 2019, beaucoup de jeunes, dont plusieurs de la communauté gaie, fréquentent le secteur riche en ressources communautaires. La prostitution, la consommation et le trafic de stupéfiants ont cours et le Parc Serge-Garant constitue un « point focal central », selon l’agent Proulx, parmi les « places chaudes ».
- L’occupation du parc et les activités qui s’y déroulent — marquées par un « va-et-vient constant », « jour et nuit » selon le policier — suscitent de nombreuses plaintes (incivilités, intimidation, bruits, tapage, vols, etc) de la part des commerçants, des propriétaires et locataires avoisinants ou des passants.
- Chaque année, de mai à octobre, le tronçon de la rue Sainte-Catherine Est qui traverse le quartier est réservé à la piétonnisation de telle sorte que la surveillance policière y est constante : « On est tout le temps-là », affirme l’agent Proulx.
- Il témoigne que le MAP s’assure notamment du respect des règles contenues dans le Règlement concernant la paix et l’ordre sur le domaine public[26]. Ses interventions l’exposent à des insultes « à longueur de journée », dit-il, « je suis tout le temps dans le négatif », « c’est usant ».
- M. Levasseur fréquentait déjà le quartier au moment où l’agent Proulx est affecté au MAP, en 2013, mais la présence de M. Levasseur y était fluctuante, « on and off », selon le policier : « J’en n’entendais pas souvent parler ». À cette période, M. Levasseur l’appelle François quand il s’adresse à lui.
- À compter de 2015, il observe que M. Levasseur est de plus en plus présent avec son véhicule au coin des rues Beaudry et Sainte-Catherine Est et constitue un « pôle d’attraction », un « point d’intérêt » pour les jeunes de la rue.
- « Moi, je ne le considérais pas comme un itinérant », dit-il, « il est organisé, débrouillard » et il avait « l’air d’avoir beaucoup de contacts, un gros réseau ».
- Comme la fourgonnette de M. Levasseur est fréquemment immobilisée en zone de stationnement interdit, l’agent Proulx lui sert des avertissements de la déplacer.
- « Les ponts ont été coupés » dès l’émission des premiers constats d’infraction, déclare le policier, qui décrit dès lors leurs interactions comme « l’eau et le feu » : « On n’avait pas de contacts l’un et l’autre ».
- L’animosité de M. Levasseur envers lui se traduit par quantité d’insultes documentées dans des sommaires de contrôles de routine de septembre 2016 et 2017[27].
- En 2018, précise l’agent, « je le voyais pratiquement tous les jours ». Il évoque une « grosse période » au cours de laquelle ses interventions lui valent des insultes de M. Levasseur (« petit cochon », « fils de pute »…) dont l’attitude est décrite comme arrogante et défiante.
- Les choses s’enveniment progressivement. Le 12 août 2018, le policier rédige un rapport d’incident faisant état de menaces proférées contre lui par M. Levasseur, lequel suggère qu’il va le frapper au visage la prochaine fois qu’il le voit[28].
- Le 18 août 2018, M. Levasseur est l’objet d’une dénonciation pour avoir entravé volontairement l’agent Proulx dans l’exercice de ses fonctions[29].
- Le 23 août 2018, M. Levasseur doit souscrire un engagement afin de recouvrer sa liberté, lequel est notamment assorti de ces conditions :
- Ne pas communiquer ou tenter de communiquer directement ou indirectement de quelque façon que ce soit avec les policiers du SPVM sauf en cas d’urgence et avec leur consentement et initiative
- Ne pas se trouver dans un rayon de 15 mètres de tout policiers (sic) du SPVM sauf en cas d’urgence et avec leur consentement et initiative[30]
- L’agent Proulx n’est pas à l’origine de cette dernière interdiction : « Je pensais même pas qu’on pouvait faire ça ».
- « Moi, je donnais des billets », indique le policier, disant souhaiter, par cet « outil » de dissuasion privilégié, une prise de conscience de M. Levasseur et non son bannissement du quartier.
- Afin de ne pas envenimer la situation, d’éviter les confrontations et de placer M. Levasseur en situation de bris de conditions, il favorise alors l’envoi des constats d’infraction par la poste.
- M. Wesley Karl Tait est policier depuis 2007.
- Affecté au PDQ-22 en début de carrière, il y revient en 2012 après un court passage comme patrouilleur au PDQ-44 (Rosemont-La Petite Patrie) et ensuite à Ville Saint-Laurent.
- En 2013, il suit une formation de Réponse en intervention de crise (R.I.C.) afin d’être appelé à gérer pacifiquement des situations impliquant des personnes dont l’état mental est perturbé.
- À partir de 2015, il devient formateur R.I.C. auprès de collègues de divers corps policiers. Il fait brièvement l’expérience d’agir en duo avec une personne diplômée en travail social au sein de l’Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP).
- Il témoigne que le PDQ-22 reçoit un haut volume d’appels et que le secteur du Parc Serge-Garant est l’objet d’« énormément de plaintes » principalement liées à des actes de violence, à la consommation d’alcool et de drogues, au bruit et à l’insalubrité.
- Il explique qu’il ne privilégie pas une approche répressive envers les personnes en situation d’itinérance, qu’il cherche une « solution autre » quand il doit intervenir auprès d’elles, à moins qu’elles n’offrent aucune collaboration.
- Il a fait partie du MAP à partir de 2013, sauf en 2017.
- Il indique qu’il avait au départ une « bonne relation » avec M. Levasseur et sa chienne Micha[31]. Des jeunes de la rue se regroupaient près de son véhicule, certains y entraient. M. Levasseur lui disait qu’il leur venait en aide, leur donnait bénévolement des « lifts ».
- « Il n’est pas comme les autres itinérants », selon l’agent Tait, il est organisé, il a des ressources, « un filet de sécurité » et n’est pas « démuni ».
- Des plaintes formulées par téléphone au PDQ-22 ou au service d’urgence 9-1-1, par courriel ou en personne sur la rue ciblaient M. Levasseur « presqu’à tous les jours », surtout pour stationnement illégal mais aussi, parfois, pour les déchets générés par la présence de jeunes autour de son véhicule :
It was a common occurrence that we would go up to his car because it was always illegally parked, or almost always illegally parked, and so it kind of became a habit of our job.[32]
(Notre soulignement)
- L’été 2018 fut « le plus problématique », aux dires du policier. M. Levasseur refusait catégoriquement de déplacer son véhicule vers des espaces où le stationnement était autorisé. L’endroit qu’il privilégiait pour immobiliser son véhicule, au coin des rues Sainte-Catherine et Beaudry (côté Nord-Ouest ou Nord-Est)[33], comportait une signalisation que M. Levasseur ne respectait « aucunement », malgré plusieurs avertissements.
- Le 12 juillet 2018, tout bascule.
- Un individu est alors arrêté en lien avec du trafic de stupéfiants. M. Levasseur cherche à s’interposer et est avisé qu’il doit respecter l’espace de travail des policiers mais il n’obtempère pas et persiste à vouloir filmer la scène. Il est donc arrêté pour entrave au travail des policiers par l’agent Proulx.
- Le « sommaire des faits », qui ressort du rapport d’incident, décrit en ces termes le comportement de M. Levasseur, ici désigné comme le « suspect » :
L’agent Raymond et Wagnac […] porte assistance à l’agent Proulx et prennent charge du suspect pour l’amener au véhicule lettré des agents Tait […] et Wagnac. Pendant que l’agent Raymond introduit le suspect en arrière du véhicule des agents Wagnac et Tait, le suspect déclare à l’agent [Anne-Laurie] Fortin qui est à proximité, « je vais te cracher dans face ma truie ! » et l’agent Raymond l’introduit à l’intérieur. Ensuite l’agent Raymond entre le haut du corps dans le véhicule pour passer la ceinture à l’agent Tait qui est de l’autre côté pour la verrouillé. Dès lors, le suspect a craché sur l’agent Raymond au niveau de son visage. (agent Wagnac et Tait on vu la scène) Ensuite, la porte fut fermé du véhicule avec la fenêtre baissé et l’agent Fortin, qui était par loin, reçoit un cracha, au niveau du corps, de la part du suspect.[34]
(Reproduction fidèle à l’original)
- « J’ai senti qu’il a perdu un allié », déplore l’agent Tait, en parlant de lui-même. Il conduira M. Levasseur au Centre de détention pour répondre de quatre chefs d’accusation : entrave à un agent de la paix, voies de fait (2) et menace d’endommager des biens[35].
- À cette période, M. Levasseur dispose d’une entente avec le percepteur des amendes qui lui permet de payer un montant « forfaitaire » — selon l’expression du policier — de 5 $ par mois pour lui permettre de s’acquitter de l’ensemble de sa dette accumulée au cours des ans : « Il prenait avantage de ce programme-là », déplore-t-il.
- « J’ai vu un changement », note-t-il, dans l’attitude de M. Levasseur, qui reste indifférent à la réception de constats d’infraction : « Je m’en fous », lui disait-il, « Donne-le moi ton billet ». Tantôt il s’en faisait un éventail, tantôt il les étalait comme s’il en tirait une fierté.
- Il n’y avait « pas de bons échanges » mais plutôt de « bonnes tensions » entre M. Levasseur, d’une part, et les membres du MAP ou les agents de stationnement, d’autre part, souligne l’agent Tait : il les narguait, il s’en moquait, il vociférait, il les filmait, il s’immisçait dans leurs interventions, il était « très oppositionnel ». « J’accepte difficilement de me faire crier après », confesse le policier, « je trouve ça inacceptable ».
- Le 16 août 2018, l’agent Tait émet deux constats d’infraction à M. Levasseur, l’un parce qu’il refuse de déplacer son véhicule, lequel nuit à la circulation des piétons sur la rue Sainte-Catherine et à celle des automobilistes sur la rue Beaudry[36], l’autre pour s’être garé à moins de 5 mètres d’une intersection[37].
- Le 18 août 2018, trois autres constats d’infraction lui sont émis par l’agent Tait, l’un pour avoir sali le domaine public en négligeant de ramasser un papier tombé de son véhicule[38], l’autre pour avoir activé le moteur de son véhicule à un régime excessif[39] et un dernier pour avoir vociféré[40].
- Le 28 août 2018, à 10 h 50, l’agent Tait lui émet un premier constat d’infraction parce que son véhicule est stationné dans une zone réservée pour la livraison de marchandises[41], puis un second constat pour défaut d’avoir verrouillé les portières[42] : « Une des fenêtres était baissée », précise le policier. À la suite d’un « échange désagréable » avec M. Levasseur, il lui demande de déplacer sa fourgonnette et l’avise que le constat va lui parvenir par la poste à l’adresse liée à son permis de conduire.
- Le policier poursuit sa patrouille à vélo et revient sur les lieux quelques minutes plus tard. Il constate alors que M. Levasseur a déplacé son véhicule de l’autre côté de la rue, cette fois dans un espace réservé aux préposés de la Société de transport de Montréal (STM).
- « Je sais pu trop quoi faire », témoigne l’agent Tait, qui se dit alors « exaspéré ». Il se rend momentanément au PDQ-22 pour échanger avec quelques collègues sur la mesure à prendre dans les circonstances. Il décide de revenir sur place afin d’émettre un nouveau constat d’infraction[43]. Alors qu’il a son calepin en main, M. Levasseur s’approche de lui, malgré l’engagement qu’il a souscrit de ne pas se trouver à moins de 15 m de tout policier[44].
- L’agent Tait l’avise de rester à distance : « T’as pas le droit de m’approcher », lance-t-il, « va falloir que je t’arrête ». M. Levasseur n’obéit pas, il est fâché et agressif. « Je craignais pour ma sécurité », déclare le policier, « j’voulais pas que ça dégénère ».
- L’on procède à l’arrestation de M. Levasseur pour bris de conditions[45]. Il résiste, crie et demande aux personnes témoins de la scène de filmer l’intervention. Il sollicite l’aide de jeunes qui se trouvent autour et leur demande d’aller chercher une avocate dont les bureaux sont situés à proximité.
- Un contrôle articulaire est effectué par le policier Tait qui peine à se dégager de la pression exercée sur son bras par M. Levasseur. Celui-ci ne collabore pas et doit être menotté dans le dos dans l’attente de son transport vers le centre opérationnel, à 11 h 35[46]. Il sera libéré à 14 h 7, après consultation d’un procureur-conseil de la Direction des poursuites criminelles et pénales, sans qu’il n’y ait de mise en accusation[47] :
[…] I was made aware that we were – we were not to detain him, and we were going to drop the charges. And it was explained to me after – I don’t know who – where they got the information from, but an employee at the detention center explained to me that it’s – it’s a normal behavior for somebody to come, if they see the police dealing with their vehicle. And I understand that, and so at that point, then I immediately brought him back to the area, and you know, dropped the charges, and there – there were no charges that were – were deposited.[48]
- Tout comme son collègue Proulx, l’agent Tait affirme s’attarder à l’infraction commise. Le statut de la personne qui la commet, « ça m’est égal », dira-t-il, niant avoir ciblé de quelque façon M. Levasseur.
- Il relate ne pas avoir été mis au fait du nombre appréciable de constats d’infraction émis contre M. Levasseur par ses collègues : « J’ai pas accès à ça », ajoutant qu’une telle information n’a « aucune pertinence à notre travail ».
- M. Daniel Raymond est policier depuis 1998. Il était en fonction au PDQ-22 jusqu’à ce qu’il soit promu enquêteur en 2019.
- Il explique que le secteur du Métro Beaudry génère beaucoup d’appels au service d’urgence 9-1-1 en lien avec des activités criminelles de toutes sortes (prostitution, drogues, bagarres, voies de fait, vols, tapage, etc).
- La population y est dense, surtout en été, compte tenu qu’un tronçon de la rue Sainte-Catherine Est est fermé aux véhicules de mai à octobre.
- Il faisait partie du MAP en 2015 avant d’agir comme agent validateur d’informations entre 2016 et 2019. Durant cette dernière période, il lui arrivait parfois d’effectuer des remplacements comme patrouilleur au sein du MAP.
- Il connaît M. Levasseur depuis plusieurs années pour l’avoir vu fréquemment au coin des rues Sainte-Catherine et Beaudry, tantôt étendu dans son véhicule au hayon ouvert, tantôt assis dans le Parc Serge-Garant, souvent entouré de plusieurs jeunes âgés pour la plupart entre 16 et 22 ans.
- Il mentionne l’avoir vu une fois distribuer bénévolement des muffins.
- Il ne le considérait pas comme une personne en situation d’itinérance du fait qu’il possédait un véhicule, qu’il semblait bien organisé, qu’il était propre et vêtu convenablement, qu’il ne consommait pas de drogue ou d’alcool et qu’une adresse figurait sur son permis de conduire :
Il n’y a pas de consommation d’alcool, de drogue, que j’ai constaté par moi-même. Ce n’était pas un cas d’une personne qui est sans domicile fixe, qui couche dans le parc. Ce n’était pas ça. Monsieur avait son… monsieur Levasseur avait son camion, il se déplace, pas de problème, à ce que j’ai pu constater, je l’ai vu à l’occasion aller chercher une pointe de pizza. T’sais, je veux dire, ce n’était pas un problème de ressources.[49]
- Selon l’agent Raymond, plusieurs plaintes étaient formulées contre M. Levasseur en raison de son refus de se conformer à la signalisation relative aux stationnements, principalement celle touchant les zones de livraison réservées aux commerçants. Il y avait aussi « régulièrement des plaintes d’attroupement à l’entrée des commerces »[50].
- Plutôt cordiales au début, les relations entre les deux hommes se sont dégradées au fil du temps, en raison de l’accumulation des constats d’infractions[51].
- Le policier dit avoir été personnellement injurié plusieurs fois, tout comme ses collègues.
- Le 12 juillet 2018, il prête assistance à ses collègues de l’escouade des stupéfiants qui procèdent à l’arrestation d’un individu. Des jeunes s’opposent à l’intervention et chahutent les policiers. M. Levasseur est présent et refuse de se garder à distance de l’opération, d’où son arrestation.
- Au moment où l’agent Raymond tente d’attacher la ceinture de M. Levasseur afin de le conduire au centre opérationnel, celui-ci lui crache au visage.
- Le 18 août 2018, le policier effectue de la patrouille à vélo et constate qu’une personne commet une infraction à l’intersection des rues Sainte-Catherine et Beaudry. S’adonnant à « un peu de provocation », M. Levasseur s’approche et filme l’intervention. Puis, il fait des gestes obscènes, sortant sa langue pour feindre d’embrasser l’agent Raymond, lequel rédige un rapport d’incident afin de documenter ce qu’il considère être du harcèlement à son endroit[52].
- Pour M. Levasseur, sa fourgonnette constitue sa « maison » et celle de sa chienne Micha, qu’il appelle sa « fille ».
- En janvier 2019, il trouve refuge avec son véhicule aux abords du pont Jacques-Cartier. La Société responsable de cette infrastructure fait alors preuve d’une certaine tolérance envers les personnes qui occupent des espaces sous le pont.
- Pour se chauffer tout en minimisant sa consommation d’essence, M. Levasseur repère une prise électrique située dans un poteau d’utilité publique, à quelques mètres du sol, au Parc des Faubourgs.
- Au moyen d’une longue rallonge électrique, il y branche un radiateur portatif lui servant de chauffage d’appoint à l’intérieur de son véhicule afin de « tempérer » l’humidité.
- La rallonge surplombe le trottoir de telle sorte que si un passant s’y engage, il doit passer sous le fil.
- Aujourd’hui retraité, le policier Antonio Palacios compte 30 ans d’expérience dans la police. Il était agent de quartier-sécurité routière (AQSR) au PDQ-22 à cette période.
- Il connaissait M. Levasseur depuis un moment déjà. Il l’avait vu, par le passé, distribuer des vêtements et de la nourriture à des personnes en situation d’itinérance, puis devenir « de plus en plus confrontatif » (sic) au fil des ans, cherchant « à nous tester », notamment par des insultes telles « T’es un gros tas », témoigne-t-il.
- Les 10, 14, 15 et 16 janvier 2019, il est au travail de 6 h à 14 h 30.
- Le 10 janvier, alors qu’il effectue sa patrouille près du pont, il voit la camionnette de M. Levasseur immobilisée sur la rue Dorion, à proximité de l’Avenue Malo.
- Un fil électrique orange branché dans un lampadaire passe au-dessus du trottoir une dizaine de pieds dans les airs et se rend jusqu’à l’intérieur du véhicule.
- L’agent Palacios s’arrête, descend de sa voiture de patrouille et s’approche de la petite ouverture où le fil est introduit. Il interpelle l’occupant : « Guylain ! Guylain ! ».
- M. Levasseur sort de son véhicule et le policier l’avise qu’il ne peut s’approvisionner en électricité de cette façon et qu’il doit déplacer sa camionnette qui se trouve stationnée dans une zone interdite.
- À l’aide d’un petit escabeau, M. Levasseur monte et débranche son fil. « J’ai touché à rien », précise le policier.
- Un constat d’infraction est émis à M. Levasseur pour avoir « stationné un véhicule routier où la signalisation interdit le stationnement »[53].
- M. Levasseur témoigne que durant cette semaine-là, le policier est revenu sur place quelques fois. Il activait sa sirène pour le tirer du sommeil, criait après lui, débranchait le fil, puis s’en allait.
- L’agent Palacios reconnaît être repassé plusieurs fois à cet endroit par la suite, les jours où il était en fonction, pour s’assurer que M. Levasseur ne se trouvait plus là : « Y s’est pas branché 10 fois », insiste-t-il, donnant à entendre que M. Levasseur avait bien saisi le message de ne plus s’approprier l’électricité de la Ville.
- Contre-interrogé par l’avocate de la CDPDJ, il reconnaît que « c’était l’hiver, il faisait froid », mais nie que son intervention ait pu mettre M. Levasseur en danger, jugeant que celui-ci était en pleine possession de ses moyens pour se rendre dans un refuge si tel était son choix.
- Le 14 janvier 2019, il émet un nouveau constat d’infraction à M. Levasseur, cette fois pour avoir laissé Micha en liberté sans qu’elle ne soit tenue au moyen d’une laisse d’au plus deux mètres[54]. Son rapport d’infraction abrégé indique qu’une jeune fille a figé à la venue de la chienne vers elle[55].
* * *
- Le 8 février 2019, M. Levasseur porte plainte à la CDPDJ.
- Le 10 juin 2021, le comité des plaintes de la CDPDJ étudie la plainte portée par M. Levasseur à la suite de l’examen mené par l’enquêteur Serge Marquis.
- Le 2 mars 2022, la CDPDJ conclut « que le plaignant a subi un traitement différencié ou inhabituel de la part des agents de stationnement et de police de la Ville de Montréal du fait, notamment, de son appartenance à un groupe protégé par la Charte »[56].
- Le 7 mars 2022, cette décision est notifiée à la Ville mais celle-ci ne donnera pas suite aux mesures de redressement que la CDPDJ propose.
- L’instruction de ce dossier a nécessité 20 jours d’audience répartis entre les 17 avril 2023 et 24 novembre 2023.
- Au 11e jour, le Tribunal a accueilli une objection formulée par l’avocate de la Ville.
- L’avocate de la CDPDJ procédait alors au contre-interrogatoire de l’agent Tait. Par ses questions, elle cherchait à savoir s’il existe, au sein de la Ville, un système qui permet aux policiers ou aux agents de stationnement de savoir combien une personne donnée cumule de constats d’infraction. Le policier a offert cette réponse :
[…] pour qu’est-ce qui est des billets de stationnement ou des billets de la route, (inaudible), choses comme ça, moi, je peux pas aller dans notre système de tickets, taper un nom ou une plaque et voir combien de constats d’infraction qu’ils ont. C’est impossible pour moi de faire ça.
- L’avocate de la CDPDJ lui demande alors « [q]ui, dans l’univers du SPVM, a accès à ces informations-là ? » ou s’il savait « s’il y a quelqu’un qui a accès à ça ? ».
- L’agent Tait a répondu qu’il ne le savait pas.
- L’avocate de la Ville s’est immédiatement opposée à ce type de questions, voyant là une tentative de rechercher non seulement la responsabilité de la Ville à titre d’employeur des quatre policiers défendeurs, du policier Palacios et des agents de stationnement, mais également sa responsabilité « à titre d’organisme public » qui aurait manqué à son obligation de « sonner un signal d’alarme » afin d’éviter la sur-judiciarisation des personnes en situation d’itinérance.
- Pour la Ville, l’enquête menée par la CDPDJ et sa résolution[57] autorisant l’exercice du présent recours ne mettent nullement en cause l’ensemble du système de gestion des infractions à la réglementation municipale ou au Code de la sécurité routière. La CDPDJ a plutôt choisi de « personnaliser le débat » en ciblant la conduite des quatre policiers défendeurs envers M. Levasseur, ainsi que celle de l’agent Palacios et des agents de stationnement dont elle est l’employeur.
- Selon l’avocate de la Ville, le débat ainsi engagé ne pouvait être élargi comme la CDPDJ s’apprêtait à le faire sans que la Ville en subisse un préjudice à ce stade tardif du procès.
- La CDPDJ a répliqué qu’il fallait connaître les moyens que prend la Ville — ou qu’elle néglige de prendre — afin de lutter efficacement contre la sur-judiciarisation des personnes en situation d’itinérance.
- Après un court délibéré, le Tribunal a fait connaître sa position aux parties, donnant raison à la Ville essentiellement pour les motifs suivants :
- Selon la Cour suprême du Canada, la compétence du Tribunal « est tributaire du mécanisme de réception et de traitement des plaintes instauré par la Charte québécoise et mis en œuvre par la [CDPDJ] », si bien que le Tribunal « se veut la continuité, comme organe juridictionnel, du mécanisme d’enquête préliminaire de la [CDPDJ] »[58] ;
- L’enquête de la CDPDJ a mené à une décision (la résolution CP-785.7) aux termes de laquelle elle avance que M. Levasseur « aurait été victime de discrimination fondée sur la condition sociale, sous forme de profilage, de harcèlement et d’atteinte à son droit de bénéficier de services de police municipaux exempts de discrimination fondée sur la condition sociale, ainsi que d’une atteinte discriminatoire, fondée sur la condition sociale, à son droit à l’intégrité, à la vie privée et à l’inviolabilité de la demeure ». Ainsi, la CDPDJ conclut « que le plaignant a subi un traitement différencié ou inhabituel de la part des agents de stationnement et de police de la Ville de Montréal »[59] (Nos soulignements) ;
- L’enquête et la résolution de la CDPDJ visent les actes des policiers et des agents de stationnement et non l’Administration municipale au sens large ;
- Par ailleurs, la Cour suprême du Canada décrit le « profilage racial » en ces termes :
[…] la notion de profilage racial s’attache principalement à la motivation des agents de police. Le profilage racial se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux concernant la criminalité ou la dangerosité sont dans une quelconque mesure utilisés, consciemment ou inconsciemment, dans la sélection des suspects ou le traitement des individus […].[60]
(Notre soulignement)
- En s’autorisant une analogie avec le « profilage social », eu égard au libellé de la résolution de la CDPDJ, tout indique qu’elle s’est surtout intéressée, par son enquête, à la motivation des agents de police et des agents de stationnement dans leurs interactions avec M. Levasseur ;
- D’où cette décision du Tribunal rendue séance tenante, le 27 septembre 2023 :
[…] on n’est pas, enfin c’est l’avis du Tribunal, dans un litige qui porterait sur la discrimination systémique que pouvait exercer la Ville de Montréal. Qu’en d’autres termes, dans toute sa façon de gérer le système des constats, que la Ville aurait des pratiques qui sont… qui ont un effet systémique défavorable ou disproportionné aux personnes en situation d’itinérance.
C’est pas, en tout cas, la lecture que le Tribunal fait de la résolution et de la position qui a été prise. Alors, cela dit, le Tribunal reste sensible à l’objection qui avait été formulée par [l’avocate de la Ville], et dans ce sens-là, on va l’accueillir, cette objection-là.
[…]
[…] il y a eu un choix qui a été fait, le choix du profilage, et donc c’est dans cette lignée-là que le Tribunal apprécie le cadre du litige.[61]
- Attardons-nous maintenant à l’étude des questions en litige.
Le recours exercé par la CDPDJ est-il prescrit en partie compte tenu de la courte prescription dont bénéficie la Ville aux termes de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes ?
- Il est acquis que les règles de droit relatives à la prescription s’appliquent aux recours fondés sur la Charte[62].
- La CDPDJ décrit en ces termes la période temporelle au cours de laquelle elle estime que M. Levasseur a subi une atteinte à ses droits :
Entre janvier 2015 et février 2019, le plaignant a reçu plus de deux-cent-trente (230) constats d’infractions de la part d’agents de stationnement et d’agents de police de la Ville de Montréal.[63]
- Ceci dit, en matière extracontractuelle, l’article 586 de la Loi sur les cités et villes[64] aménage exceptionnellement une courte période de prescription au bénéfice des villes[65] :
586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.
(Notre soulignement)
- La plainte de M. Levasseur alléguant profilage et harcèlement discriminatoires fondés sur sa condition sociale est déposée le 8 février 2019.
- Par l’effet de l’article 76 de la Charte — disposition « impérative et d’ordre public »[66] — le cours de la prescription de 6 mois était dès lors suspendu jusqu’à ce que la CDPDJ forme sa demande introductive d’instance, le 7 mars 2023, ce qui fonde cet argument de la Ville :
Puisqu’une prescription de six (6) mois s’applique en l’espèce, le plaignant ne peut donc réclamer compensation que pour les dommages postérieurs au 7 août 2018. Tous les dommages antérieurs sont prescrits.[67]
- Or, le profilage et le harcèlement sont des manifestations discriminatoires qui peuvent tout aussi bien être ponctuelles[68] que s’étaler dans le temps.
- À cet égard, l’article 2926 du Code civil du Québec[69] (C.c.Q.) prévoit la règle suivante :
2926. Lorsque le droit d’action résulte d’un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.
(Nos soulignements)
- Ainsi, quand la manifestation du préjudice résultant d’un comportement donné est progressive, répétée périodiquement et étalée dans le temps[70], le « droit d’action » naît « au jour où le réclamant a constaté le premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice, alors même qu’il ne s’est pas totalement réalisé et donc qu’une partie même importante de celui-ci se produira dans le futur »[71].
- La CDPDJ plaide que « la prescription de six (6) mois, en vertu de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes, devrait donc débuter à la date du dernier acte de harcèlement à l’endroit de M. Levasseur et tenir compte de l’ensemble des événements ayant commencé en janvier 2015 »[72].
- Elle fonde principalement sa position sur l’arrêt Dhawan c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[73], où une dame Genova avait subi, entre 1988 et 1992, des remarques, des touchers et des étreintes à connotation sexuelle de la part de son supérieur, lequel lui faisait incidemment sentir qu’elle lui devait son emploi.
- Mme Genova déposait sa plainte à la Commission le 29 octobre 1993. Après enquête, la demande introductive d’instance suivait le 28 juin 1995.
- En défense devant le Tribunal, M. Dhawan soutenait qu’il y avait prescription puisque le délai de deux ans — applicable à cette époque[74] — était écoulé depuis le dernier acte pertinent à ses yeux, qu’il situait subjectivement au 30 novembre 1991.
- Le Tribunal rejetait l’argument en ces termes :
[…] le point de départ de la prescription d’un harcèlement sexuel se situe lors de sa cessation, c’est-à-dire, lors de la commission du dernier acte à connotation sexuelle faisant partie de l’enchaînement d’actes répétitifs. La plainte a été logée en octobre 1993 alors que les derniers actes reprochés au défendeur sont survenus en janvier et en février 1992. La prescription de deux ans […] n’était donc pas encore acquise.[75]
(Notre soulignement)
- En appel, la majorité, sous la plume du juge Delisle, prenait acte d’une admission de M. Dhawan voulant qu’il ait été l’auteur d’un autre acte à caractère sexuel vexatoire en janvier 1992, ce qui menait à la conclusion « que le droit de la mise en cause de s’adresser à la Commission des droits de la personne n’était pas prescrit à l’automne 1993 »[76]. Dissident, le juge Beauregard, était plutôt d’avis « que le recours de la Commission était prescrit le 29 octobre 1993 puisque le dernier incident qui peut être considéré comme une avance amoureuse fut l’invitation que l’appelant fit à Mme Genova d’acheter un appartement en Floride à la mi-octobre 1991 »[77].
- La CDPDJ invite le Tribunal à suivre le raisonnement du duo majoritaire dans cet arrêt Dhawan et à retenir comme point de départ de la prescription de 6 mois le « dernier acte » de profilage ou de nature harcelante « faisant partie de l’enchaînement d’actes répétitifs » qu’auraient commis la Ville et ses préposés à l’endroit de M. Levasseur.
- Le Tribunal refuse d’emprunter cette voie.
- À l’époque des faits à l’origine de l’affaire Dhawan, c’est l’ancien Code civil du Bas-Canada qui s’appliquait. L’article 2260a prévoyait alors la règle suivante :
2260a. En matière de responsabilité médicale ou hospitalière, l’action en indemnité pour le préjudice corporel ou mental causé à un patient se prescrit par trois ans à compter de la faute.
Toutefois, si le préjudice se manifeste graduellement, le délai ne court qu’à compter du jour où il s’est manifesté pour la première fois.[78]
(Nos soulignements)
- C’est dire que la règle du second alinéa de cet article s’appliquait seulement « en matière de responsabilité médicale ou hospitalière ». Le Tribunal des droits de la personne était alors raisonnablement fondé de ne pas l’appliquer dans un dossier de harcèlement sexuel au travail comme l’affaire Dhawan.
- Toutefois, l’article 2926 C.c.Q., entré en vigueur le 1er janvier 1994, étend désormais cette règle à toutes les matières civiles, incluant le domaine de la responsabilité municipale. La chose n’a évidemment pas échappé à la Cour d’appel dans l’arrêt Montréal (Service de police de la Communauté urbaine de) c. Tremblay[79].
- Tout en reconnaissant que l’application de l’article 2926 C.c.Q. dans un contexte de manifestation graduelle ou tardive de harcèlement soulève un « difficile problème », la Cour n’a pas exclu qu’une partie de ce préjudice puisse ne pas être réparée pour cause de prescription tandis que la partie la plus récente puisse l’être[80].
- Ce dernier arrêt trace donc la voie à suivre en l’espèce.
- Il semble maintenant acquis que « [l]orsqu’il s’agit d’actes dommageables continus ou répétés, un nouveau délai de prescription commence à courir à la date de chaque acte fautif »[81].
- Cette interprétation paraît juste pour au moins trois raisons. D’une part, elle est compatible avec la raison d’être de la prescription dont l’objet est « de préserver l’ordre public, de sanctionner le comportement négligent d’un créancier ou encore d’assurer la paix sociale »[82].
- D’autre part, cette interprétation est sensible à une préoccupation exprimée par la Cour d’appel dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jean-Marie) c. Ville de Montréal (SPVM)[83]. La Cour y exprime la crainte que la suspension de la prescription, prévue par l’article 76 de la Charte, place la personne à qui l’on impute une conduite discriminatoire à la merci de la CDPDJ « qui pourrait attendre aussi longtemps qu’elle le désire avant d’introduire des procédures judiciaires », ce qui serait « incompatible avec l’une des raisons d’être de la prescription, soit de faire en sorte qu’une personne ne soit pas indéfiniment susceptible d’être poursuivie pour un acte ou un geste qu’elle a posé »[84].
- Enfin, l’interprétation proposée par la CDPDJ est de nature à créer une situation injuste quand le harcèlement allégué est imputable à plusieurs personnes et non à une seule comme dans l’arrêt Dhawan. De fait, le dernier acte fautif commis par une personne donnée pourrait avoir pour effet de faire revivre contre une autre un droit à la réparation pourtant éteint par l’effet de la prescription.
* * *
- Il nous faut donc déterminer à quel moment M. Levasseur était à même de constater « le premier signe appréciable ou tangible » de préjudice lié à du profilage ou du harcèlement discriminatoires à son endroit.
- Le nombre considérable de constats d’infraction émis par les policiers et les agents de stationnement est au cœur de la thèse avancée par la CDPDJ.
- À l’exception de l’agent Proulx dont les relations avec M. Levasseur semblent s’être rapidement dégradées dès l’émission des premiers constats d’infraction, le sergent Ayotte et les agents Tait et Raymond disent avoir entretenu des rapports exempts de confrontation avec lui au début.
- C’est bien l’accumulation des constats d’infraction qui va convaincre M. Levasseur qu’il est l’objet d’un profilage de la part des policiers et agents de stationnement et que cela constitue du harcèlement à son endroit.
- Cela dit, le 19 février 2016, son véhicule est immobilisé sans droit devant une borne-fontaine. Le policier Alexandre Viau lui émet alors un constat d’infraction. Mécontent, M. Levasseur forme une boule de neige et la lance au visage du policier, ce qui lui vaudra une arrestation pour voie de fait pour laquelle il sera déclaré coupable par la Cour municipale de Montréal le 14 juin 2016[85].
- Dans le rapport d’incident que le policier Viau complète, il écrit notamment :
M. Levasseur aurait reçu bon nombre de billets pour des infractions au stationnement dans les derniers mois… […].
Je rédige le constat d’infraction #820-051-035. Je descends de mon véhicule pour aller remettre le billet et c’est la que le [prévenu] commence à s’énerver et à dire que c’est du harcèlement. Je lui remet le billet d’infraction et lui explique que je lui ai donné des chances auparavant.
[…].[86]
(Reproduction fidèle à l’original)
(Notre soulignement)
- À la fin de 2016, M. Levasseur cumulait 77 constats d’infraction.
- De l’avis du Tribunal, il disposait alors de suffisamment de signes appréciables et tangibles pour soupçonner la gravité et l’étendue du profilage et du harcèlement discriminatoires qu’il allègue dans sa plainte du 8 février 2019.
- Vu le délai de prescription de 6 mois applicable au bénéfice de la Ville en vertu de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes, la CDPDJ ne peut donc réclamer compensation, au nom de M. Levasseur, que pour les seuls dommages postérieurs au 7 août 2018[87].
- Cela entraîne le rejet de la demande formée contre l’agent Raymond puisque le dossier ne fait pas voir qu’il a fait une intervention directe contre M. Levasseur entre le 8 août 2018 et le 8 février 2019.
Les faits et gestes que la CDPDJ, au nom de M. Levasseur, reproche à la Ville et ses quatre policiers sont-ils constitutifs, à première vue, de « profilage social » c’est-à-dire de profilage discriminatoire fondé sur la condition sociale en vertu de la Charte ?
- L’article 10 de la Charte interdit la discrimination dans la reconnaissance ou l’exercice des autres droits et libertés qu’elle garantit[88].
- En fonction du libellé de cette disposition, les tribunaux en ont dégagé trois conditions d’application :
[…] l’art. 10 requiert du demandeur qu’il apporte la preuve de trois éléments, soit « (1) une “distinction, exclusion ou préférence”, (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa et (3) qui “a pour effet de détruire ou de compromettre” le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne ».[89]
- Cette méthode d’analyse en trois parties s’applique « quelle que soit la forme que prend la discrimination »[90], incluant lorsqu’elle se manifeste sous la forme d’un « profilage » lié à l’une ou l’autre des caractéristiques personnelles visées par l’article 10, dont la condition sociale en l’espèce.
- À ce jour, la jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de définir la notion de « profilage social ».
- Toutefois, sans répudier la notion de « profilage racial » décrite dans l’arrêt Le[91] de 2019 et évoquée précédemment[92], les parties s’entendent[93] pour retenir cette définition inspirée de l’arrêt Bombardier[94] de 2015 :
Le profilage social désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, telle que la condition sociale, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage social inclut aussi toute action de personnes en autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait notamment de leur condition sociale réelle ou présumée.
- Le Tribunal adopte d’emblée cette définition du profilage social puisqu’il a déjà eu l’occasion de statuer que le profilage constitue une forme particulière de discrimination exercée par des personnes en situation d’autorité et fondée sur l’un ou l’autre des motifs de discrimination illicites énumérés à l’article 10 de la Charte[95].
- La définition du profilage (racial) adoptée dans l’arrêt Bombardier et utilisée depuis par le Tribunal demeure donc pertinente, avec les adaptations nécessaires, concernant la condition sociale.
- Tout comme la définition du profilage racial, celle du profilage social réfère à des situations distinctes et différentes.
- Le premier alinéa vise le profilage individuel, c’est-à-dire le profilage discriminatoire exercé contre un individu « par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes ». En pareille hypothèse, et c’est clairement le cas en l’espèce, la notion de profilage social réfère à un traitement différencié préjudiciable qui repose sur des facteurs d’appartenance d’une ou plusieurs personne(s) ciblée(s) à un groupe caractérisé notamment par sa condition sociale.
- En mentionnant, au second alinéa, que le profilage inclut aussi l’action policière consistant à appliquer une mesure légale de façon disproportionnée à une ou des personnes en fonction d’une des caractéristiques personnelles énumérées à l’article 10 de la Charte, la définition de profilage discriminatoire vise spécifiquement la surveillance ou le contrôle accru exercé envers les personnes visées[96].
- Le second alinéa aborde également le profilage sous un angle plus systémique puisqu’il traite de l’application disproportionnée de mesures sur des segments de la population du fait notamment de leur condition sociale réelle ou présumée[97].
- Comme l’a exprimé la CDPDJ dans divers rapports, le profilage social systémique :
[…] inclut une série d’actions de personnes en situation d’autorité, de normes, de dispositions législatives ou réglementaires et de pratiques prises ou adoptées pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public et qui — à toutes les étapes de la judiciarisation — mènent à des mesures ou des interventions disproportionnées sur des segments particuliers de la population, notamment en raison de signes visibles de pauvreté ou de marginalité, qu’elles soient réelles ou présumées.[98]
- La CDPDJ a fait le choix, dans sa résolution initiale[99], sa déclaration introductive d’instance et son mémoire, de ne pas s’attaquer à l’ensemble du système, c’est-à-dire aux normes, aux dispositions législatives ou réglementaires et aux structures organisationnelles ou pratiques institutionnelles qui ont pour effet de pénaliser, de manière disproportionnée, le « segment de la population » que constituent les personnes en situation d’itinérance visées par le motif de la condition sociale énuméré à l’article 10 de la Charte.
- Elle a plutôt fait enquête sur les nombreux constats d’infraction émis entre 2015 et 2019 contre la personne de M. Levasseur par divers agents de police et de stationnement, examinant principalement les interactions entre ce dernier et les quatre agents de police poursuivis en l’instance.
- Son enquête a également porté sur l’arrestation de M. Levasseur exécutée le 28 août 2018 par les agents de police défendeurs, ainsi que sur une intervention distincte de l’agent Palacios, non partie au présent litige, effectuée auprès de M. Levasseur en janvier 2019.
- Ainsi, le présent dossier doit être traité comme regroupant divers cas de discrimination par profilage social individuel c’est-à-dire contre une personne ciblée. De fait, la compétence du Tribunal demeure limitée, en vertu de la jurisprudence[100], à statuer sur ce seul type de discrimination puisqu’il est le seul à avoir fait l’objet de l’enquête de la CDPDJ.
- Selon la CDPDJ, l’application disproportionnée d’une mesure du fait de la condition sociale d’une personne peut constituer une forme de profilage par discrimination indirecte[101]. En d’autres termes, bien que la législation et la réglementation en cause, notamment sur l’interdiction de stationner son véhicule en certains endroits réservés, s’appliquent également à tous, son application démesurée ou excessive au plaignant aurait pour effet indirect de le profiler de façon discriminatoire.
- La CDPDJ appuie l’argument relatif au profilage indirect sur le second alinéa de la définition du profilage, lequel réfère à l’application disproportionnée d’une mesure. Elle réfère à cet égard au passage suivant de la décision du Tribunal dans Rezko[102], une affaire de profilage racial :
[167] [Le second alinéa de la définition de profilage] renvoie aux situations où une personne en autorité prend une mesure de prime abord légale, mais qui s’avère disproportionnée compte tenu de la situation, et ce, en raison de l’appartenance, réelle ou présumée, de la personne à un groupe dit « racisé ». La personne en autorité applique alors la loi avec une rigueur accrue, voire exagérée envers des personnes dont la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale font socialement l’objet de généralisations négatives, de préjugés et de stéréotypes sans lien avec leur réalité objective.
- En réalité, l’interprétation que fait le Tribunal du second alinéa de la définition de profilage dans l’affaire Rezko ne correspond pas à la discrimination indirecte. Que ce soit en vertu du premier alinéa de la définition de profilage ou du second, le profilage individuel se caractérise par le fait que la personne en autorité agit sur la base de stéréotypes ou de préjugés conscients ou inconscients à l’endroit d’individus ciblés qu’elle croit appartenir à un groupe identifiable et protégé par l’article 10 de la Charte. Ce profilage individuel est essentiellement une affaire de motivation[103] et, partant, de discrimination directe.
- De fait, dans l’affaire Rezko, le Tribunal conclut que le motif de l’interpellation du plaignant est son origine ethnique et ajoute que la remise d’un constat d’infraction constitue dans les circonstances un « exercice disproportionné de [l]a discrétion policière »[104]. Bref, le policier a appliqué la loi à un individu avec une rigueur accrue ou excessive en raison de ses préjugés à l’endroit des gens d’origine arabe.
- Le profilage discriminatoire individuel est une forme de discrimination directe parce qu’il se produit lorsqu’un motif de discrimination a joué un rôle dans la décision de cibler et de traiter différemment une personne, que cette action soit isolée ou répétée. Si le motif de discrimination, ici la condition sociale, n’a pas été un facteur dans le traitement qui lui a été infligé, il ne s’agit donc pas de profilage à proprement parler et c’est donc à tort que l’on invoque une situation de profilage indirect, une véritable contradiction dans les termes.
- Comme on le sait, la théorie de la cause de la CDPDJ, telle qu’elle ressort de sa résolution CP-785.7 du 10 juin 2021[105], de l’enquête qu’elle a menée, de sa demande introductive d’instance et de son mémoire, est celle d’un dossier de discrimination par profilage individuel exercé entre 2015 et 2019 par certains agents de police du PDQ-22, les défendeurs en l’instance, et par le policier Palacios et des agents de stationnement non parties au présent litige, ce profilage reposant directement sur la situation d’itinérance réelle ou perçue de M. Levasseur.
- Certes, par l’effet de la courte prescription établie par l’article 586 de la Loi sur les cités et villes[106], le droit de M. Levasseur d’obtenir réparation en lien avec les événements antérieurs au 8 août 2018 est éteint.
- Toutefois, ces événements ne sont pas sans pertinence pour autant. Ils s’inscrivent dans un contexte plus général que l’on ne peut complètement ignorer. En effet, comme la preuve de profilage discriminatoire — qu’il soit racial ou social — est difficile à faire[107] en raison notamment du fait qu’elle repose souvent sur des préjugés ou stéréotypes inconscients et qu’elle est rarement directe, le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances et tirer les inférences raisonnables du portrait général révélé par la preuve circonstancielle, à la lumière de la connaissance d’office de l’existence du phénomène et de la preuve d’expert qui peut lui être présentée[108].
- Les tribunaux doivent donc se montrer sensibles à l’ensemble des circonstances et du contexte permettant de déterminer si un motif prohibé, en l’occurrence la condition sociale, a consciemment ou inconsciemment joué un rôle lors d’une intervention policière.
- Parmi les éléments de preuve circonstancielle dont le Tribunal doit tenir compte, le contexte social s’avère incontournable[109].
- Les preuves documentaires relatives au contexte social ne peuvent à elles seules constituer une preuve prépondérante qu’un policier a commis, dans une situation donnée, un acte de profilage social, c’est-à-dire qu’il a interpellé un citoyen en raison de sa condition sociale marquée par sa situation d’itinérance[110]. Toutefois, elles permettent d’établir la « toile de fond »[111] ou le « cadre contextuel »[112] de l’analyse, notamment le caractère systémique du profilage social exercé à l’endroit des personnes en situation d’itinérance par les forces de l’ordre.
- Le contexte de profilage social bien documenté qui prévaut dans les pratiques policières constitue donc un élément pertinent et utile dans l’ensemble de la preuve circonstancielle et peut même contribuer à expliquer certains aspects de la preuve[113]. Il peut éclairer le Tribunal sur le sens et la portée des faits en litige et l’aider à tirer des conclusions justes[114], notamment sur le caractère vraisemblable ou non des allégations de la partie demanderesse et des explications que les défendeurs lui opposent.
- En l’espèce, la CDPDJ a déposé une expertise étoffée sur le profilage social des personnes en situation d’itinérance à Montréal. Cette étude de la professeure titulaire Céline Bellot de l’École de travail social de l’Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages aborde la question du profilage social visant les personnes en situation d’itinérance à Montréal et, nous le verrons, « permet d’éclairer le tribunal dans sa prise de décision »[115].
* * *
- Comme le profilage social constitue une forme de discrimination prohibée par l’article 10 de la Charte, sa démonstration commande la réunion de ces trois éléments dont la partie demanderesse doit faire la preuve, savoir : i) une différence de traitement ; ii) fondée sur l’une des caractéristiques personnelles énumérées au premier alinéa de cet article, et ; iii) qui a pour effet de compromettre ou de détruire le droit à l’égalité dans la reconnaissance ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[116].
- Concernant la différence de traitement, la partie invoquant le profilage social doit prouver que le traitement auquel l’a soumise une personne en autorité diffère des pratiques habituelles. En d’autres termes, y a-t-il eu, selon la preuve, généralement circonstancielle, un écart de conduite de la part d’un policier par rapport aux pratiques normales dans des circonstances semblables[117] ? Ce dernier aurait-il agi différemment si le plaignant n’avait pas été une personne en situation d’itinérance[118] ?
- On a déjà reconnu en jurisprudence que les interventions effectuées sans motif raisonnable ou de manière abusive par un policier répondaient au critère du traitement différencié[119]. Il en est de même du manque de courtoisie ou de l’intransigeance, des questions inappropriées ou posées sans raison valable, des décisions inusitées qui se démarquent des pratiques habituelles, comme un abus de droit ou de pouvoir, des fouilles injustifiées, des recherches non pertinentes dans le dossier d’une personne, ainsi que des pratiques organisationnelles douteuses par les forces de l’ordre[120]. L’application d’une mesure de façon disproportionnée à une personne en situation d’itinérance peut constituer, selon la définition même du profilage reconnue en jurisprudence, un traitement différencié constitutif de profilage social.
- En matière de profilage racial, le Tribunal n’a pas à déterminer si l’intervention policière était raisonnable ou adéquate dans les circonstances, mais bien si elle a compromis le droit à l’égalité de la victime par son caractère discriminatoire au sens de la Charte[121]. Il en va de même en matière de profilage social.
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- Toute personne titulaire d’un permis de conduire et qui utilise un véhicule sur les chemins publics est tenue de respecter les règles de la circulation routière et la signalisation appropriée. L’automobiliste qui y contrevient s’expose à une amende lorsque les policiers ou les agents de stationnement, selon le cas, font le constat d’une infraction.
- En pareille matière, les automobilistes sont généralement en droit d’être traités de la même façon, sans distinction.
- Cela dit, le contexte factuel précédemment décrit montre bien qu’à l’été 2018, M. Levasseur était devenu un sujet d’intérêt par comparaison à d’autres propriétaires de véhicule fréquentant le secteur patrouillé par l’équipe du MAP.
- Plusieurs éléments contextuels concourent en ce sens.
- Premièrement, ses interactions passées avec les policiers défendeurs faisaient en sorte qu’il était désormais bien connu d’eux. D’ailleurs, sa photographie était même affichée à l’intérieur du PDQ-22.
- Mme Camille Guérin, aujourd’hui policière au SPVM, agissait comme « cadette » à l’été 2018. Elle témoigne que la photo de M. Levasseur figurait au mur parmi une quarantaine de photos d’« individus problématiques », selon son expression. Sous la photo, il était précisé qu’il se tenait au Parc Serge-Garant. Elle explique que les personnes ainsi photographiées posaient des enjeux de sécurité (voies de fait, agressivité, refus de s’identifier, etc).
- Deuxièmement, le véhicule de M. Levasseur était parfaitement identifiable et son repérage fort aisé. Les photographies mises en preuve montrent que la carrosserie était peinte de couleur jaune-beige et parsemée, ici et là, de taches orangées aux contours noirs, l’ensemble évoquant la peau d’un animal exotique[122].
- Plus tard, cet été-là, il conduisait apparemment « une vieille caravane de couleur noire-bleue et verte avec des graffitis »[123], tout aussi reconnaissable.
- Troisièmement, selon le témoignage du sergent Ayotte, une surveillance accrue était exercée sur M. Levasseur par l’équipe du MAP et les agents de stationnement à compter de la mi-août 2018.
- M. Sylvain Sauvageau, directeur à la Direction Surveillance et contrôle du stationnement et de la mobilité pour l’Agence de la mobilité durable de la Ville, confirme avoir « ouvert une surveillance assidue »[124] qu’il qualifie de « mode de suivi », en collaboration avec les policiers.
- Enfin, l’agent Palacios a également admis qu’il a exercé une surveillance étroite de M. Levasseur en janvier 2019.
- Dans l’arrêt Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux[125], qui met en cause la garantie constitutionnelle d’égalité, la Cour suprême rappelle que l’étape de l’analyse portant sur l’existence d’une « distinction » « ne constitue ni une étape de filtrage initial sur le fond, ni un lourd obstacle visant à écarter certaines demandes pour des motifs techniques »[126].
- L’article 10 de la Charte commande cette même souplesse, à la première étape de l’analyse, par l’application d’« une approche consistant à reconnaître les différences et à en tenir compte »[127] afin de réaliser la promesse d’« égalité réelle et effective »[128] dont il est porteur.
- De fait, en matière de profilage, l’élément de comparaison souvent nécessaire pour établir une différence de traitement est rarement disponible[129]. M. Levasseur avait pour caractéristique singulière de vivre le jour dans la rue, de tisser là ses liens sociaux et de dormir la nuit dans son véhicule en occupant l’espace public.
- À la lumière des faits, le Tribunal juge que M. Levasseur était un homme ciblé et donc l’objet d’un traitement différencié à l’été 2018 et en janvier 2019.
- Le deuxième élément constitutif de discrimination est celui du lien entre les décisions ou gestes contestés et une caractéristique personnelle énumérée à l’article 10 de la Charte. En matière de profilage social, la victime doit être identifiable par sa condition sociale, une caractéristique qui est moins univoque que la race ou la couleur de peau.
- Dans l’arrêt Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres)[130], la Cour d’appel du Québec écrit :
[47] […] selon la jurisprudence, la condition sociale résulte de caractéristiques que l’on attribue généralement à une personne en raison de critères socio-économiques et l’idée sous-jacente que celle-ci occupe une place inférieure en raison, notamment, de son revenu, tels les assistés sociaux, les étudiants, les réfugiés, etc. Globalement, on peut retenir que la jurisprudence québécoise a privilégié la protection de différentes catégories de personnes qui ont généralement (mais pas toujours) comme dénominateur commun d’avoir un faible revenu ou de vivre une situation économique précaire.[131]
- Ce faisant, la Cour souligne qu’« [a]ucun tribunal judiciaire ou administratif » — incluant notre Tribunal[132] — n’a écarté cette définition de la « condition sociale » proposée, dès 1978, par la Cour supérieure :
[…] dans le langage populaire « condition sociale » réfère soit au rang, à la place, à la position qu’occupe un individu dans la société, de par sa naissance, de par son revenu, de par son niveau d’éducation, de par son occupation ; soit à l’ensemble des circonstances et des événements qui font qu’une personne ou qu’un groupe occupe telle situation ou telle position dans la société.[133]
- Cette définition a subséquemment été enrichie d’une composante subjective en vue d’assurer une meilleure « protection de gens défavorisés constituant des minorités discrètes et isolées »[134] :
[44] Ainsi, le Tribunal a donné au critère de la « condition sociale » une définition s’inscrivant dans une approche qui ne limite pas l’analyse à un contexte précis mais prend plus largement en compte la place occupée par une personne ou un groupe de personnes sur les plans social, politique et économique. Cette dimension subjective renvoie au statut des individus, soit à la valeur qu’on leur attribue en fonction des représentations sociales, des stéréotypes associés, notamment, à leur éducation, à leur occupation ou à leur revenu.[135]
- En d’autres termes, la condition sociale « peut découler de plusieurs éléments révélateurs de la place réelle qu’un individu occupe dans la société par sa scolarité, son revenu, son occupation et l’absence de ressources de toutes sortes », ainsi que « les perceptions d’autrui associées à ces éléments »[136].
- À titre d’exemples liés à la définition de la condition sociale, la Cour d’appel suggère « que les étudiants, les assistés sociaux, les réfugiés, etc. forment des groupes sociaux identifiables dans la communauté »[137].
- Dans l’arrêt R.O. c. Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale[138], la Cour d’appel reprend la définition « généralement avalisée par la jurisprudence québécoise »[139].
- Traitant des personnes qui comptent sur l’assistance de l’État pour assurer leur subsistance, la Cour convient que cette situation ne les définit pas mais que, « par le regard d’autrui », elle a tout de même un « impact définitionnel, sans égard au mérite ou aux besoins de l’individu » :
[67] […] le stéréotype négatif de l’assisté social est encore bien ancré dans notre société et s’il est un groupe — on serait tenté de dire une « classe » — d’individus vulnérables, qu’on pourrait qualifier de minorité distincte et isolée, victimes de préjugés politiques ou sociaux persistants ainsi que de généralisations injustes et d’insinuations malveillantes, c’est bien celui-là.[140]
- La vulnérabilité[141] et l’absence de ressources de toutes sortes qui caractérisent la condition des personnes en situation d’itinérance n’est assurément pas moindre que celle des personnes qui vivent de l’aide sociale.
- Cela dit, s’agissant d’une allégation de profilage reposant sur la situation d’itinérance d’une personne, la partie demanderesse doit démontrer que les personnes en autorité connaissaient — ou ne pouvaient ignorer — sa condition sociale de personne en situation d’itinérance au moment des interventions dont elle a été l’objet.
- Contrairement à la couleur de la peau, la situation d’itinérance n’est généralement pas détectable en un seul coup d’œil. Cependant, il suffit qu’en raison de représentations sociales stéréotypées, un policier perçoive subjectivement une personne comme étant en situation d’itinérance pour que le lien avec le motif de la condition sociale soit établi[142].
- Conformément à l’interprétation large et généreuse qu’il convient de donner à un document quasi constitutionnel consacré à la protection des droits fondamentaux, le lien requis entre le comportement reproché et un motif de discrimination énuméré à l’article 10 de la Charte ne saurait être confondu avec le lien de causalité du droit de la responsabilité civile[143] dépeint comme une « conséquence logique, directe et immédiate »[144] entre un comportement fautif et ses conséquences sur autrui.
- De fait, il suffit que le motif prohibé soit un facteur ayant influé d’une quelconque façon sur la décision d’un policier de sévir à une étape ou une autre d’une intervention pour établir le lien requis[145]. Il n’est donc pas nécessaire de démontrer que le traitement différencié soit fondé exclusivement sur un motif énuméré :
[41] […] cette démonstration, loin d’exiger la preuve d’un lien étroit ou exclusif entre le motif et la distinction, est établie dès que le motif a été un facteur de distinction. Bref, en autant que le motif prohibé ait joué un rôle dans la conduite reprochée ou y a contribué, la responsabilité de son auteur pourra être engagée.[146]
- Il n’est pas non plus nécessaire que la victime d’une pratique discriminatoire soit elle-même caractérisée par un motif discriminatoire comme la condition sociale de personne en situation d’itinérance, ni perçue comme telle. Si la preuve établit qu’une personne a été une victime immédiate d’une décision ou d’un traitement discriminatoire en raison de son association ou de ses relations avec des personnes en situation d’itinérance, la preuve que la condition sociale a joué un rôle dans le profilage discriminatoire sera démontrée[147].
- De plus, comme l’intention discriminatoire n’est pas exigée pour établir la discrimination, le profilage social — tout comme le profilage racial — peut fort bien résulter de préjugés inconscients[148] à l’égard d’individus qui, comme les personnes en situation d’itinérance, se distinguent souvent par des signes visibles de pauvreté ou de marginalité[149], bien qu’il existe des formes d’itinérance cachée, telle l’itinérance véhiculaire[150].
* * *
- Aucun des policiers qui ont témoigné devant le Tribunal n’a concédé que M. Levasseur pouvait être assimilé à une personne en situation d’itinérance.
- Le fait qu’il était propriétaire d’un véhicule dûment immatriculé, qu’il était à même de fournir une adresse de résidence, à tout le moins « jusqu’au mois de mai 2017 »[151], qu’il connaissait très bien les ressources communautaires et savait faire preuve de débrouillardise constituait autant d’indicateurs, à leurs yeux, qu’il n’était pas vulnérable sur le plan socio-économique.
- Ces extraits de l’interrogatoire préalable à l’audition du sergent Ayotte résument bien sa pensée au sujet de M. Levasseur :
Q […]
R […] Mais monsieur Levasseur, n’est pas, à mon livre à moi, ce n’est pas un itinérant, c’est difficile de le classer, là, mais c’est quelqu’un qui est autonome. Il ne semble pas avoir un problème d’alcool, un problème de drogue. Il a un véhicule, il est capable. Il n’a pas besoin de ressources, à mon niveau à moi, là. C’est quelqu’un qui est autonome puis quelqu’un qui est capable de faire cavalier seul, là.
Q C’est quoi pour vous une personne itinérante ?
R Bien c’est une personne qui est dans le besoin. Un peu comme je disais tantôt, qui a besoin d’aide, qui a besoin de ressources qui a peut-être des problèmes de santé mentale, problèmes de drogue, problèmes de boisson, qui n’a pas de matériel. Bien souvent, on les voit se promener avec un petit charriot, c’est qu’est-ce qu’ils ont, c’est leur habitat dans leur petit charriot. C’est des personnes qui sont sans ressources, là.[152]
- Cette même perception était partagée par d’autres policiers affectés au MAP.
- Pour l’agent Proulx, M. Levasseur ne se qualifie pas de personne en situation d’itinérance du fait qu’« il a des gros véhicules », « [i]l est capable de subvenir à ses besoins de base, puis il est autonome », c’est-à-dire « capable de faire plein de choses que beaucoup de personnes itinérantes normales ne sont pas capables de faire » :
Q Et pour vous, quelqu’un qui dort dans son véhicule ou sur un campement, ce n’est pas une personne itinérante ?
R Bien, moi je fais du camping, je dors dans mon véhicule. Quand je fais du… T’sais, en tout cas, pour moi ce n’est pas… je ne classe pas ça comme une personne itinérante.[153]
- L’agent Raymond offre sensiblement la même explication :
Q Les gens qui dorment dans un camion ou dans une tente, pour vous c’est des itinérants ?
R Pas du tout.
Q D’accord. C’est…
R Parce que je l’ai fait moi-même.
Q Vous avez fait quoi ?
R Des voyages où je dormais dans mon camion. Je n’étais pas plus itinérant.
Q D’accord.
R Il y en a qui font des choix de vie…
[…]
R Ça peut être un choix de vie.[154]
- C’est cette même vision que partage le policier Palacios, lequel considère que c’est un choix délibéré de vivre en marge de la société : « M. Levasseur a fait un choix de vie », témoigne-t-il.
- Rappelons qu’« une différence de traitement peut être discriminatoire même si elle est fondée sur des choix faits par l’individu »[155]. De tels propos dissimulent mal une vision stéréotypée du phénomène de l’itinérance :
[…] le fait de vivre dans sa voiture n’est pas un choix libre, mais un choix contraint ou tout simplement la seule option possible, faute de ressources, de conditions pour être domicilié dans un lieu propice à l’habitation.[156]
- Si l’on peut concevoir que la place qu’occupe une personne dans l’échelle sociale ne saute pas toujours aux yeux dès le premier regard, il y a tout de même des signes qui ne mentent pas, surtout lorsqu’ils s’accumulent et que la multiplication des interventions auprès d’elle en facilite l’observation.
- En 2011, M. Levasseur, qui fait « partie de la communauté gaie »[157], est victime de voies de fait causées par son copain en état de psychose toxique. Il mentionne avoir alors subi un choc post-traumatique. L’attaque entraîne pour lui « beaucoup, beaucoup de séquelles », témoigne-t-il, et le plonge dans une dépression profonde.
- Le 14 mars 2013, au moment où il reçoit sa sentence pour avoir fracassé la vitrine d’un commerce[158] le 28 novembre 2011, le juge prononce une ordonnance résumée en ces termes au plumitif :
CONTINUER SOU SUIVI AVEC LE DR. [M. K.] AINSI QU’AVEC LA PSYCHOLOGUE [R. M.] SUIVRE LEURS DIRECTIVES ET PRENDRE LA MEDICATION TELLE QUE PRESCRITE.[159]
(Reproduction fidèle à l’original)
- À compter de 2011, M. Levasseur n’a plus d’emploi rémunéré et doit vivre depuis de l’aide sociale[160], ce que le sergent Ayotte et l’agent Proulx savent selon leurs témoignages.
- Dans les années qui suivent, M. Levasseur vit « une situation d’instabilité résidentielle »[161]. Il dort tantôt en plein air, tantôt dans un logement où il est signataire d’un bail, tantôt en chambre avec d’autres colocataires, tantôt chez des amis qui l’accueillent.
- À compter de l’été 2017, il n’a plus d’adresse domiciliaire. Il aménage un lit dans son véhicule — qu’il considère sa « maison » — et y dort la nuit :
Le prix de l’aide sociale. On peut pas se loger avec ça. Ça fait que là, j’ai décidé de vivre dans mon véhicule.[162]
- Son point de chute devient le Sac-à-dos, un organisme communautaire qui vient en aide aux personnes en situation d’itinérance. Il peut prendre une douche à cet endroit ou encore dans les installations des organismes Dopamine, Care Montréal ou celles du YMCA[163].
- Dans son rapport, l’experte Bellot évoque :
[…] une trajectoire longue et progressive dans la désaffiliation sociale et la perte de domiciliation, marquée par une alternance entre des situations de location/colocation restreintes menant vers une situation d’itinérance complète et chronique en vivant dans sa voiture.[164]
- Pendant l’été 2017, M. Levasseur s’implique au sein de SOS Itinérance comme chauffeur et surveillant de la halte-chaleur[165], mais un conflit avec le dirigeant de cet organisme mettra un terme à cet engagement bénévole en octobre 2017.
- Le 1er novembre 2017, il constitue Dehors novembre, une organisation civique et amicale qui se destine à l’« accompagnement en itinérance »[166] :
C’est envoyer les personnes vers les bonnes ressources, faire de l’écoute, trouver de la nourriture, trouver des « sleeping bags », trouver des tentes.
[…]
Du matériel ou aussi ramasser les seringues, fournir du matériel propre aux consommateurs.[167]
- À l’été 2018, il est présent presque tous les jours à proximité du Parc Serge-Garant, là où se trouvent plusieurs personnes en situation d’itinérance auxquelles il veut venir en aide, notamment des jeunes de la rue pour qui il était perçu « comme un grand frère pour eux »[168]. Incidemment, M. Emmanuel Cree, qui agissait comme travailleur de rue à ce moment, le décrit comme un « phare ».
- M. Levasseur gare le plus souvent son véhicule sur la rue Beaudry, au nord de la rue Sainte-Catherine Est, dans des espaces où le stationnement n’est pas autorisé, ce dont il convient lorsqu’interrogé par l’avocate de la Ville :
Q Mais votre véhicule, là, parce que, dans le fond, j’essaye de voir, là, vous étiez dans le Centre-Sud, là, qu’est-ce qui vous empêchait d’aller le mettre dans des endroits où est-ce qu’il n’y avait pas d’interdits de stationnement ?
R C’est parce que les trois quarts du temps, j’avais des grosses caisses de nourriture, des caisses d’eau, des affaires de même. J’avais pas de ‘buggy’, j’avais pas rien pour…
Q Ça fait que c’était plus pratique pour vous d’être à cet endroit-là.
R À côté, ben oui.[169]
- Par-delà la question de commodité, M. Levasseur affirme que c’est faute de ressources financières qu’il défiait les interdictions de stationnement :
Q […] Les interdits de stationnement, là.
R Hum, hum.
Q Est-ce que vous y portiez attention ? Est-ce que vous les respectiez ?
R Je les voyais…
Q Oui.
R … mais j’avais pas l’argent pour mettre dans le parcomètre.[170]
- Sur une photographie mise en preuve, M. Levasseur est couché à l’intérieur de son véhicule avec sa chienne Micha. Le hayon du véhicule est levé, ce qui laisse voir bien en évidence une affiche manuscrite sur laquelle on peut lire :
Besoins de dons pour nourriture a chien du a son allergie elle doit mange nouriture au poisson
Et tous dons est bienvenu
Merci a tous / Essence / Nourriture / Carte cadeau / Eau / Jus / Bas / tous vetement pour distribution
(Reproduction fidèle à l’original)
- D’ailleurs, selon l’agent Tait, M. Levasseur persistait à se garer illégalement au coin des rues Sainte-Catherine Est et Beaudry parce qu’il lui était plus facile de recueillir des dons à cet endroit, vu les nombreuses personnes qui passaient par là.
- De l’avis du Tribunal, tout indiquait que M. Levasseur était une personne en situation d’itinérance vivant dans son véhicule en 2018.
- Le sergent Ayotte a reconnu l’avoir vu dormir dans son véhicule :
Q Donc est-ce que vous considérez que c’est son domicile ?
R Bien ça peut être son domicile. S’il dort dans son véhicule, combien de fois je l’ai vu, je ne pourrais pas vous dire, mais ça peut être considéré.[171]
- L’agent Proulx affirme également que M. Levasseur vivait et dormait dans un sac de couchage dans son camion Dodge Caravan.
- Incidemment, dans un rapport complémentaire que signe l’agent Christophe Van Eyck en date du 21 août 2018, celui-ci constate que « [l]e véhicule du suspect est sa maison et tout est à l’envers et sale »[172].
- Cette année-là, M. Levasseur reçoit soixante-trois contraventions émises par des agents de stationnement[173]. Trente-quatre de ces constats sont émis par un même agent de stationnement, nommé Azzi.
- L’agent de stationnement Max Casimir, qui a dressé six constats d’infraction contre M. Levasseur en 2018, a témoigné devant le Tribunal. Il dit s’être douté que M. Levasseur vivait dans son véhicule pour l’avoir vu souvent là avec son chien.
- Cette même année, des policiers ont émis pour leur part quarante-six (46) constats d’infraction visant M. Levasseur[174]. Le sergent Ayotte et l’agent Proulx en ont émis sept chacun et l’agent Tait neuf. Aucun constat d’infraction n’émane du policier Raymond cette année-là.
- La très grande majorité des cent neuf constats d’infraction émis au total contre M. Levasseur, en 2018, avait trait aux infractions suivantes :
- avoir stationné un véhicule routier où la signalisation interdit le stationnement ;
- avoir stationné un véhicule routier dans une place de stationnement contrôlée par une borne de stationnement sans que le tarif n’ait été payé ;
- avoir immobilisé sans nécessité un véhicule routier à moins de 5 m d’une borne-fontaine.
- Près de 80 % de ces constats ont été émis par des personnes en autorité autres que les quatre policiers défendeurs. Difficile, dans ces conditions, d’inférer que ceux-ci l’ont particulièrement ciblé et socialement profilé.
- Il ressort plutôt de la preuve — non contredite et clairement prépondérante — que M. Levasseur s’entêtait à stationner son véhicule dans des zones interdites malgré une signalisation claire, plusieurs avertissements reçus et l’existence, dans le voisinage immédiat, d’aires de stationnement gratuit ou payant accessibles à tous les automobilistes[175].
- Sa condition sociale de personne en situation d’itinérance n’a joué aucun rôle dans le traitement qu’il a reçu aux fins de l’application de la réglementation applicable à toute personne qui use d’un véhicule. C’est plutôt son mépris des règles que la Ville et ses préposés ont cherché à sanctionner, comme ils l’auraient fait pour quiconque refuse de se soumettre aux règles d’application générale.
- Il n’y a rien dans les paroles ou les gestes des agents qui témoigne d’un écart par rapport aux pratiques usuelles et qui permettrait d’inférer que la condition sociale de M. Levasseur a pu être un facteur[176] dans l’émission des nombreux constats d’infraction qu’il a reçus.
- Ce seul constat suffit pour conclure qu’il n’y a pas eu discrimination sous forme de profilage social à son endroit.
* * *
- La CDPDJ a par ailleurs axé en bonne partie sa plaidoirie sur le fait que, selon elle, chacun des quatre policiers défendeurs et les agents de stationnement auraient abusé de leur pouvoir discrétionnaire en appliquant les lois et règlements municipaux de façon disproportionnée à M. Levasseur, ce qui aurait eu, selon elle, un effet préjudiciable distinct sur ce dernier en raison de sa condition sociale. La Ville et ses policiers déplorent d’ailleurs les « multiples tentatives de la CDPDJ de faire dévier le débat sur ce terrain »[177] de la discrimination indirecte ou par effet préjudiciable.
- Or, même si l’on abordait l’affaire sous l’angle de la discrimination indirecte, le résultat final resterait le même.
- Voici pourquoi.
- L’on peut convenir que pour la personne qui fait de son véhicule son « chez-soi », en ce qu’« elle peut y avoir une certaine intimité » et « y déposer ses affaires », cela soulève inévitablement un « enjeu légal » « dans la mesure où l’exigence de stationnement en vertu de différentes réglementations impose une mobilité constante des personnes »[178].
- Par comparaison, l’automobiliste qui vit dans un immeuble d’habitation avec espace de stationnement, que ce soit à titre de propriétaire ou d’occupant, est infiniment moins à risque d’accumuler les contraventions à la réglementation du stationnement que la personne qui vit en situation d’itinérance véhiculaire.
- La CDPDJ a raison de soutenir que la personne en situation d’itinérance est « exposée à la présence policière de manière accrue » et qu’« elle est amenée, de par le fait même de ses conditions de vie précaires à se placer dans des situations qui pourraient être contraires à des règlements ou des lois »[179].
- En clair, être contraint de vivre dans son véhicule accroît fort probablement le risque de judiciarisation, comme le démontre l’experte Bellot :
Un des premiers constats concerne l’évolution de la judiciarisation à travers le temps. Si en 1994, le nombre de constats d’infraction était de 1 054, en 2018, ce chiffre s’élevait à 8 493, soit huit fois plus. L’augmentation massive de l’émission de constats d’infraction auprès des populations en situation d’itinérance permet de rendre compte de l’ampleur de cette facette de la judiciarisation de l’itinérance à Montréal.[180]
- La preuve révèle qu’en 2018, M. Levasseur fréquentait assidument le secteur du Parc Serge-Garant situé dans l’arrondissement Ville-Marie. Cette année-là, 39,8 % des constats d’infraction émis par le SPVM l’étaient à l’endroit des personnes en situation d’itinérance[181].
- À cet égard, l’experte Bellot précise :
Quant à la répartition géographique de ces constats d’infraction émis entre 2012 et 2019, il est notable de constater que l’arrondissement Ville-Marie, sur lesquels sont implantés les postes de quartiers (PDQ) 21 et 22, représente plus de 68 % (34 711) des constats d’infraction.[182]
- C’est dire que le risque de recevoir une contravention pour la personne en situation d’itinérance véhiculaire est probablement plus important quand elle fait de ce secteur son milieu de vie, son « chez-soi »[183].
- Quant aux événements de janvier 2019, qu’il suffise de dire que la situation de M. Levasseur demeurait inchangée à ce moment.
- Postulons dès lors, pour les seules fins de l’exercice, que le traitement appliqué à M. Levasseur par les défendeurs a eu un effet distinct sur lui en raison de sa condition sociale de personne en situation d’itinérance véhiculaire et poursuivons l’analyse.
- Le troisième élément à prouver en matière de discrimination, sous forme de profilage ou autrement, est celui du préjudice[184], du « désavantage réel »[185] ou de « l’incidence négative »[186] subis par la partie demanderesse.
- Il ne suffit pas, pour conclure à une violation de l’article 10 de la Charte, de constater une différence de traitement liée à un motif de discrimination mentionné dans cette disposition. Il faut aussi, selon les termes mêmes du second alinéa, que la mesure contestée ait « pour effet de détruire ou compromettre ce droit (à l’égalité) », c’est-à-dire qu’elle « affecte l’exercice en pleine égalité de l’un de ses droits ou libertés garantis par la Charte »[187].
- Ce troisième élément constitutif de discrimination n’exige toutefois pas la preuve d’une « double violation » de droits[188]. La partie invoquant le profilage social n’a donc pas à démontrer qu’il y a une atteinte indépendante à un autre droit ou liberté garanti par la Charte en plus de l’atteinte au droit à l’égalité[189]. Comme le rappelle le Tribunal dans l’affaire Toussaint, « le centre de l’attention doit demeurer la norme anti-discrimination »[190].
- Il s’ensuit qu’en matière de profilage social, le fardeau de preuve de la partie demanderesse consiste à établir que les décisions, faits et gestes d’une personne en situation d’autorité ont porté préjudice au plaignant en rendant l’exercice de l’un de ses droits ou libertés plus difficile ou moins favorable du fait de sa condition sociale réelle ou présumée.
* * *
- La CDPDJ avance que M. Levasseur est victime de discrimination dans la reconnaissance ou l’exercice de plusieurs de ses droits et libertés[191].
- Elle soutient surtout que la Ville et les défendeurs ont compromis le droit de M. Levasseur d’obtenir des services municipaux et de police exempts de discrimination en manquant à leur obligation d’accommodement compte tenu de sa condition sociale de personne en situation d’itinérance.
- Dans l’affaire Miller, qui mettait en cause une intervention policière contre une personne en situation de handicap, « le Tribunal conclut que, s’agissant de services municipaux, les services policiers constituent un service ordinairement offert au public »[192], au sens de l’article 12 de la Charte, d’où cette conclusion :
[229] Par conséquent, lorsque la Ville de Montréal offre des services policiers, la Charte lui impose de le faire sans porter préjudice à une personne, en raison de ses caractéristiques personnelles qui constituent des motifs interdits de discrimination. Les agents de police ont donc l’obligation d’accommoder les personnes ayant un handicap, à moins qu’il n’y ait un motif justifiable de ne pas pouvoir le faire, lequel peut être établi en prouvant que l’accommodement leur imposerait une contrainte excessive.[193]
- M. Levasseur a témoigné de l’effet préjudiciable qu’avait sur lui la surveillance étroite dont il était l’objet, l’accumulation de constats d’infraction et la dette judiciaire de quelque 26 000 $ qui en a résulté.
- Il déplore ce qu’il considère être de l’« acharnement » qui a provoqué chez lui un « état de panique », un « stress constant », du « découragement », l’incitant à « baisser les bras », le poussant « su’ l’bord de l’abandon » de son action bénévole auprès des personnes en situation d’itinérance : « Tu perds envie de te battre », « Chu su’ l’bord d’aller me reposer ».
- Pour une personne indigente, le poids d’une dette judiciaire d’envergure est une cause de stress qui s’infère, pour ainsi dire, de « la nature humaine » et ne requiert pas « une preuve quasi scientifique » :
Devant un obstacle trop grand, beaucoup se découragent. Ce serait larguer les principes de réhabilitation et de réinsertion sociale que d’écarter l’effet, sur l’être humain, d’obstacles évidemment insurmontables pour l’individu concerné. […] Si on interdit au riche comme au pauvre de voler du pain, il serait fondamentalement injuste pour le pauvre de récolter une punition dont les effets sont exagérément disproportionnés en comparaison avec ceux subis par le riche.[194]
- Qui plus est, le témoignage de M. Levasseur recoupe les constats faits par l’experte Bellot sur les effets de la judiciarisation pour les personnes en situation d’itinérance. Elle évoque chez elles un « sentiment d’injustice », un « sentiment d’être considérées comme des personnes de second ordre, des personnes qui n’ont pas accès au même droit de cité, au même droit d’occuper l’espace public » :
Plus globalement, les personnes en situation d’itinérance rencontrées affirment que la surveillance, le contrôle et la répression dont elles sont l’objet renforcent leur processus de désaffiliation sociale, en alimentant les processus de stigmatisation et de marginalisation qu’elles vivent, ce qui rend plus difficile leur sortie de l’itinérance, au-delà des dettes judiciaires avec lesquelles elles doivent composer. Le mépris social qu’elles ressentent constitue pour ces personnes un vecteur de leur déclassement et de leur renonciation à être considérées comme un membre à part entière de la société […].[195]
- Ces considérations pourraient potentiellement mener à la conclusion qu’il y a discrimination prima facie par effet préjudiciable.
La Ville et ses quatre policiers sont-ils parvenus à justifier leurs faits et gestes sur la base d’objectifs légitimes et rationnels et de contraintes excessives ne leur permettant pas la mise en œuvre de mesures d’accommodement ?
- Afin de contrer une preuve prima facie[196] de discrimination, que ce soit par profilage ou par effet préjudiciable, la partie défenderesse dispose de deux moyens de défense : la réfutation de la discrimination et sa justification[197], selon la prépondérance des probabilités[198].
- Quant à la réfutation, pour les raisons déjà exprimées, le Tribunal juge que la CDPDJ n’est pas parvenue à établir que la condition sociale de M. Levasseur a joué un rôle quelconque dans les décisions ou actions des policiers ou autres personnes en situation d’autorité, mais le Tribunal prend néanmoins en considération l’argument selon lequel l’application des règlements municipaux en matière de stationnement à M. Levasseur aurait eu a un effet disproportionné sur lui en raison de sa condition sociale.
- Passant au second moyen de défense potentiel, la question qui se pose alors est de savoir si la partie défenderesse a réussi à justifier l’action a priori discriminatoire de ses préposés par l’application des exemptions prévues par la Charte ou celles qui ont été développées par la jurisprudence[199].
- Développée dans le domaine de l’emploi[200], la preuve de justification a été étendue, avec les adaptations nécessaires, aux autres domaines visés par la Charte en raison des caractéristiques générales du droit à l’égalité réelle[201].
- En matière d’accès aux lieux publics et aux services qui y sont disponibles, ce qui inclut les services policiers municipaux[202], la Cour d’appel a examiné dans l’arrêt Radio Lounge[203] une défense de justification calquée sur celle qui a été développée en matière d’emploi et qui découle des enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Meiorin[204] (une affaire d’emploi) et Grismer[205] (une affaire d’accès aux services offerts au public).
- Dans cet arrêt Radio Lounge, qui concernait une différence de traitement préjudiciable liée à l’utilisation d’un chien-guide pour pallier une cécité dans l’accès à la salle principale d’une discothèque, la Cour d’appel énonce ceci :
[43] La méthode d’analyse à suivre en vue de déterminer si une norme ou décision discriminatoire s’avère justifiée est bien établie. Il s’agit de celle élaborée par la Cour suprême dans l’arrêt Meiorin.
[44] Voici, succinctement résumée, la méthode en question.
[45] D’abord, il appartient à celui qui se plaint d’une décision attentatoire d’en établir, à première vue, le caractère discriminatoire. Une fois cette démonstration faite, il revient alors au fournisseur de services qui a pris cette décision de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle possède une justification réelle et raisonnable. Pour ce faire, il doit d’abord établir que la norme est rationnellement liée à l’atteinte d’un objectif légitime. Dans un deuxième temps, il doit démontrer qu’elle a été adoptée de bonne foi[[206]], croyant sincèrement qu’elle s’avérait nécessaire pour l’atteinte de cet objectif. Dans un dernier temps, il doit démontrer que la norme se révèle, dans les faits, raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objectif et qu’elle intègre des mesures d’accommodement. En l’absence de telles mesures d’accommodement, la norme ne pourra se justifier à moins que celui qui l’a adoptée parvienne à prouver qu’il est incapable de composer avec les caractéristiques du groupe dont fait partie la personne visée […].
[46] Dans l’arrêt Grismer, la juge McLachlin applique cette méthode dans un contexte de prestation de services. […][207]
(Nos soulignements)
- Bref, pour justifier une mesure a priori discriminatoire dans l’accès aux services offerts au public, la partie défenderesse doit démontrer, selon le cadre analytique établi dans les arrêts Meiorin[208] et Grismer[209] applicables à la Charte québécoise, les trois éléments suivants[210] :
- que sa décision ou sa norme est rationnellement liée à la poursuite d’objectifs légitimes ;
- que sa décision ou sa norme est raisonnablement nécessaire à l’atteinte de ses objectifs ;
- que sa décision ou sa norme intègre un accommodement ou, au contraire, qu’il lui est impossible de composer avec les personnes préjudiciées sans subir une contrainte excessive.
- Quant au premier élément de cette analyse de justification, il comporte deux exigences : la légitimité des objectifs et la rationalité des moyens choisis. C’est ainsi que la sécurité des usagers dans une discothèque bondée a été jugée une préoccupation légitime dans l’arrêt Radio Lounge, bien que la rationalité de la décision d’en écarter un malvoyant accompagné d’un chien-guide ait été escamotée[211].
- Le second élément de l’analyse de justification impose à la partie défenderesse de démontrer que sa décision ou politique est raisonnablement nécessaire dans les faits pour atteindre ses objectifs. Il a d’abord été confondu avec le troisième élément relatif à l’obligation d’accommodement dans l’arrêt Meiorin, mais la Cour suprême a corrigé le tir, trois mois plus tard, dans l’arrêt Grismer afin de dissocier clairement ces deux éléments distincts de la défense de justification. La Cour d’appel a pris bonne note de la chose dans l’arrêt Radio Lounge en précisant que le fournisseur de services « doit démontrer que la norme se révèle, dans les faits, raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objectif et qu’elle intègre des mesures d’accommodement »[212].
- C’est ainsi que le second élément est passé d’une norme ou décision raisonnablement nécessaire parce qu’il est impossible de composer avec les personnes à accommoder dans l’arrêt Meiorin, à une norme ou décision raisonnablement nécessaire (en elle-même) pour l’atteinte d’objectifs légitimes et qui inclut un accommodement dans la mesure où cela ne lui impose pas une contrainte excessive[213].
- Il est en effet inutile d’aborder la question de la nécessité d’un accommodement si l’exigence discriminatoire ne peut se justifier en elle-même. Par exemple, l’exigence de mesurer au moins 1,80 m (6 pieds) pour être pilote d’avion ou policier a été jugée discriminatoire à l’endroit des femmes et des personnes d’origine asiatique et injustifiée puisque non nécessaire pour exercer efficacement les fonctions essentielles de tels postes ni pour atteindre les objectifs de sécurité inhérentes à ce genre de fonctions[214].
- En pareille situation, il ne sert à rien de se pencher sur la question distincte de l’accommodement : la décision ou la norme discriminatoire doit alors être annulée purement et simplement. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans l’arrêt Meiorin où l’exigence d’une certaine capacité aérobique a été jugée non justifiée en elle-même. Dès lors, l’examen des possibilités d’accommodement devenait inutile puisque cette exigence avait été conçue à partir de tests administrés sur des sujets masculins uniquement, ce qui avait pour effet d’imposer aux femmes une norme aérobique plus élevée que nécessaire[215].
- Si une décision ou une norme est raisonnablement nécessaire pour l’atteinte d’objectifs légitimes, le troisième élément de la défense de justification doit alors être abordé et la partie défenderesse a la charge de prouver qu’un accommodement raisonnable a été offert ou mis en place ou, au contraire, que cela n’a pas pu être mis en œuvre parce que des contraintes excessives rendaient un accommodement raisonnable impossible ou irréaliste.
- On reconnaît ici la perspective de l’égalité réelle adoptée par les tribunaux[216] selon laquelle la partie défenderesse a « l’obligation de prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que les membres d’un groupe défavorisé bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général »[217], c’est-à-dire une obligation d’accommodement raisonnable qui ne prend fin que si elle entraîne une contrainte excessive pour elle.
- Dans cette perspective juridique, l’obligation d’accommodement « fait partie intégrante du droit à l’égalité »[218] et constitue « un principe central et transcendant en matière de droits de la personne »[219] et « l’un des principes centraux de la Charte québécoise »[220].
- En conséquence, les fournisseurs de service ont l’obligation de prévoir un traitement différent et adapté pour les personnes protégées par l’article 10 de la Charte.
- L’objectif d’un accommodement raisonnable consiste en effet à faire en sorte de lever les obstacles qui empêchent les membres de groupes vulnérables de jouir des mêmes avantages que le public en général. En ce sens, une mesure d’accommodement ne consiste pas en un traitement de faveur qui serait clairement discriminatoire en vertu de l’article 10, mais au contraire une mesure qui s’impose pour contrer toute forme de discrimination[221].
- Le droit à un accommodement n’est toutefois pas absolu. L’analyse de sa faisabilité est contextuelle et doit tenir compte du bon sens, en fonction des faits particuliers de chaque cas[222].
- Sur le plan procédural, la partie défenderesse peut justifier son action discriminatoire si elle démontre qu’elle a fait des efforts sérieux[223] pour accommoder le plaignant, c’est-à-dire qu’elle a examiné des pistes de solution avec ouverture, qu’elle a pris en considération ses besoins individuels[224], qu’elle lui a offert des solutions raisonnables compte tenu de sa situation personnelle et aussi de la mission et des possibilités de l’organisation, mais que, sur le plan substantiel, aucune mesure d’accommodement n’était possible dans les circonstances sans entraîner une contrainte excessive en fonction du coût de l’accommodement envisagé, de l’entrave au fonctionnement de l’organisation, de l’impact sur la sécurité des autres usagers ou employés et de l’atteinte aux droits d’autrui[225].
- L’accommodement raisonnable étant une affaire de collaboration entre les parties impliquées, la personne qui souhaite en bénéficier doit elle-même participer activement à la recherche d’une solution, porter à l’attention du débiteur de l’obligation d’accommoder tous les faits pertinents relatifs à sa situation, faire preuve de souplesse et faciliter l’atteinte d’un compromis, étant entendu que l’obligation d’accommoder ne consiste pas à trouver la solution parfaite, mais une solution de compromis, souvent imparfaite, mais qui parvient à supprimer l’essentiel de l’effet discriminatoire constaté[226].
- L’absence de collaboration de la personne à accommoder peut en effet constituer une contrainte excessive. En d’autres termes, « l’intransigeance ou l’hostilité de la personne qui espère un accommodement face aux options offertes qui sont concrètement vivables pour tous, contribuera à la démonstration du débiteur de l’obligation que l’accommodement n’était pas possible »[227].
* * *
- La preuve révèle que le secteur avoisinant le Parc Serge-Garant, là où M. Levasseur avait l’habitude d’immobiliser son véhicule, est fortement achalandé.
- En été, la circulation automobile est même interdite sur le tronçon de la rue Sainte-Catherine Est qui traverse ce secteur où cohabitent des propriétaires et occupants d’immeubles résidentiels, des commerçants (ex. : Tim Hortons, Subway, bars), des prestataires de services publics (ex. : Centre local d’emploi, STM, organismes communautaires) et privés (ex. : bureau d’avocats), sans compter les clients, les passants et les visiteurs qui fréquentent le quartier[228].
- Dans ces conditions, la réglementation du stationnement dans les rues afin d’assurer la sécurité des personnes, la fluidité de la circulation (routière ou piétonnière)[229], l’approvisionnement des commerces et l’accessibilité partagée au quartier répond non seulement à des objectifs légitimes, mais constitue un moyen rationnel afin de les atteindre, dans l’intérêt public[230].
- Du reste, la CDPDJ ne soutient pas que les constats d’infraction remis à M. Levasseur reposent sur une réglementation municipale invalide ou encore que la signalisation était insuffisante ou imprécise.
- Les constats d’infraction émis à l’automobiliste qui fait fi des interdictions de stationnement entraînent des conséquences pénales sous forme d’amendes[231]. Ce type de sanction punitive a pour but d’inciter le contrevenant à respecter la signalisation, à s’y conformer et à éviter la récidive. L’amende vise à accroître la responsabilisation des contrevenants envers la collectivité[232].
- Si la contravention à la réglementation était dépourvue de toute sanction pénale, les objectifs légitimes que nous avons évoqués et que poursuit la Ville pourraient difficilement être atteints :
[…] la certitude d’être puni, de même que l’ensemble des sanctions pénales, produisent néanmoins un certain effet dissuasif, quoique difficilement mesurable, chez les contrevenants potentiels[233].
- Incidemment, il y a longtemps que les tribunaux considèrent que « réglementer le stationnement à l’intérieur des limites d’un territoire municipal est une décision raisonnable qui se justifie dans le cadre d’une société libre et démocratique »[234].
- De l’avis du Tribunal, il est raisonnablement nécessaire que la réglementation relative au stationnement soit assortie d’amendes afin de responsabiliser les automobilistes et les inciter à l’observer dans l’intérêt public.
- Cette obligation d’accommodement s’applique quelle que soit le motif de discrimination en cause[235], incluant la condition sociale :
Si l’obligation d’accommodement raisonnable trouve à s’appliquer à d’autres motifs que la religion, son application à de nouveaux motifs encore inexploités, ou à des combinaisons de motifs, reste également disponible. L’usage du concept d’accommodement raisonnable en matière de condition sociale pourrait fournir des illustrations inédites du potentiel subversif du droit à l’égalité […] dans un domaine où la pauvreté est souvent un obstacle à l’exercice des droits, comme l’accès aux biens et services destinés au public.[236]
- Les personnes en situation d’autorité (tels les juges[237], les agents de services correctionnels[238], les policiers[239] ou les agents de stationnement) sont évidemment tenues de composer avec la condition sociale des personnes auprès de qui elles interviennent.
- Cette obligation d’accommodement se décline en deux volets, l’un d’ordre procédural, l’autre substantiel.
- La CDPDJ avance que les policiers et les agents de stationnement qui ont remis des constats d’infraction à M. Levasseur auraient manqué à leur obligation procédurale d’accommodement, laquelle impliquerait, selon elle, « qu’un partage d’information se fasse, que des discussions soient entamées, qu’une évaluation individuelle soit réalisée et que des pistes de solutions soient évaluées »[240].
- Il ressort de la preuve que si la personne qui contrevient à la réglementation sur le stationnement se trouve à l’intérieur de son véhicule ou tout près de celui-ci, les policiers ou les agents de stationnement ont pour pratique de l’avertir et de lui demander de le déplacer[241].
- Dans ces cas, le sergent Ayotte déclare qu’il y a « tout le temps un avertissement » : « Je l’ai averti souvent », dit-il, sans que M. Levasseur ne lui communique un quelconque besoin d’accommodement : « Monsieur voulait rien savoir », témoigne le sergent.
- Le policier Proulx dit appliquer également la pratique de l’avertissement préalable. S’il n’obtient pas de collaboration, il émet un constat. Il mentionne que M. Levasseur n’est pas une personne qui se laisse approcher facilement. Interrogé sur la possibilité de faire preuve de tolérance malgré les infractions observées, il exprime la crainte que la situation devienne hors de contrôle : « Je’ peux pas faire d’exceptions », tranche-t-il, « le règlement, c’est ça, c’est ça », « Je’ regarde pas la personne, je regarde l’infraction ». En d’autres termes, précise-t-il, son attention est portée sur le véhicule garé à un endroit interdit et non sur le statut de son propriétaire.
- L’agent Proulx mentionne s’être inquiété, avant 2018, de la santé mentale de M. Levasseur. Il dit avoir fait « valider des choses » auprès d’anciens collègues de l’Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance (EMRII)[242].
- Il mentionne avoir également fait appel, « sur le fly », à la policière Marie-Claude Larocque, agente sociocommunautaire au PDQ-22, laquelle offre du soutien aux patrouilleurs confrontés à certaines problématiques. Elle témoigne avoir entrepris une démarche auprès de M. Levasseur « dans une optique de médiation » : « Ça’ pas marché », se désole-t-elle, « Ça continuait d’enfreindre les règlements ».
- De son côté, le policier Tait a pour méthode d’apprécier la situation en fonction de l’infraction en cause. Il peut servir une mise en garde ou émettre d’emblée un constat d’infraction. Quand il n’obtient pas de collaboration, le constat suit l’avertissement.
- Il indique avoir donné « énormément de chances » à M. Levasseur et lui avoir servi plusieurs avertissements, en vain. À un certain moment, il lui a demandé ce qu’il souhaitait. Pour toute réponse, M. Levasseur réclamait une place de stationnement gratuite qui lui soit réservée à proximité du Parc Serge-Garant.
- L’agent Tait affirme avoir lui aussi sollicité l’aide des agentes sociocommunautaires, soit Mme Larocque et sa collègue Geneviève Noël : « Ça’ été un échec », dit-il.
- Le policier Raymond relate qu’il a lui aussi pour pratique de donner un avertissement avant d’émettre une contravention. Comme M. Levasseur récidivait sans cesse et persistait à se garer dans des endroits non autorisés par la réglementation, il lui émettait un constat d’infraction. Il affirme que le nombre de constats émis par lui est bien inférieur au nombre de fois où M. Levasseur était stationné illégalement : « Je l’ai constaté ben plus souvent que ça ». Les agents Proulx et Tait ont également témoigné dans le même sens.
- Le policier Dominic Wagnac a fait partie du MAP à l’été 2018. S’il constate qu’une personne commet une infraction, il lui donne un avertissement et demande sa collaboration. Si elle n’obtempère pas, il émet un constat d’infraction.
- Il témoigne avoir averti M. Levasseur à « plusieurs reprises », sans obtenir sa collaboration, essuyant plutôt souvent des insultes. Interrogé quant à savoir si des démarches ont pu être entreprises pour trouver une solution, il offre cette réponse : « On en a tout’ fait’ un peu », évoquant le fait que les agentes sociocommunautaires avaient été sensibilisées, sans pouvoir confirmer l’étendue des démarches effectuées.
- Ceci dit, le pouvoir discrétionnaire des personnes en situation d’autorité est une composante essentielle de leurs fonctions :
[3] Nul ne conteste que le pouvoir discrétionnaire des policiers est un élément essentiel tant de notre système de justice pénale que de la fonction d’agent de police. Il permet une application plus juste du droit aux situations concrètes auxquelles sont confrontés les policiers.[243]
- Cela vaut également pour les agents de stationnement[244].
- Servir un avertissement à l’automobiliste présent qui occupe un espace interdit avant de lui émettre un constat d’infraction participe du pouvoir discrétionnaire. Si ce n’est pas une mesure d’accommodement à proprement parler, cela s’inscrit dans la même logique[245].
- Quand cet automobiliste bien au fait de l’interdiction persiste à la défier sciemment, la personne en situation d’autorité, qui « a le devoir d’appliquer la loi »[246], est justifiée de lui émettre un constat d’infraction, faute de collaboration.
- M. Levasseur témoigne qu’il était « très rare », « très, très, très rare », qu’on lui donne la chance de déplacer son véhicule. Pourtant, plusieurs rapports d’infractions abrégés portent des mentions telles :
- « J’avise le proprio de la voiture (Guylain Levasseur) qui est assis derrière le volant. M. Levasseur ne veut pas déplacer sa voiture et me dit que s’il mérite un ticket, de lui donner. Je tente de convaincre M. Levasseur mais ce dernier ne coopère pas. Je met (sic) le constat sur son pare-brise »[247] ;
- « […] le propriétaire de la van a été averti à plusieurs reprises de payer son tarif ou de stationner ailleurs. Il fait cela à tous les jours. […] Je lui ai donné un délais (sic) d’environ 40 minutes pour payer »[248] ;
- « […] homme dans son véhicule il ne voulait pas déplacer son vr. Le def dit non et me repond donne moi le ticket. […] »[249] ;
- « […] Je demande alors au conducteur de bien vouloir se déplacer car il est devant une entrée privée. Il me répond qu’il reste là et que je n’ai qu’à lui faire un ticket. […] »[250] ;
- « Je vais voir le conducteur : Guylain Levasseur qui est propriétaire du véhicule et lui demande à 3 reprises de déplacer le véhicule car c’est une zone réservée pompiers-ambulances et policiers pour les appels d’urgence car la rue Ste-Catherine est fermée à la circulation automobile : Rue piétonnière. Le conducteur regarde droit devant lui en bouchant son oreille gauche pendant que je le somme à trois reprises de quitter les lieux. Je lui indique alors que je vais rédiger un constat. »[251] ;
- « LE CITOYEN REFUSE DE DÉPLACER SON AUTO »[252] ;
- « LE CITOYEN REFUSE DE PAYER OU DÉPLACER SON AUTO »[253].
- Par ailleurs, dès mars 2016, M. Levasseur avait accumulé une dette de 1 681 $ pour une quinzaine d’amendes impayées liées dans une forte proportion à des infractions de stationnement. Il avait alors été convenu de le faire bénéficier du PAPSI. Il concluait donc une entente avec le Percepteur des amendes aux termes de laquelle il devait effectuer le paiement d’une somme de 5 $ le quinzième jour de chaque mois[254].
- Selon le Tribunal, il s’agit là d’une mesure d’accommodement qui tenait compte de sa situation d’impécuniosité, sans oublier les nombreux avertissements dont il a pu bénéficier et qui, s’ils avaient été suivis, lui aurait permis d’éviter bien des contraventions.
- Puisque la jurisprudence ne semble pas encore fixée quant à savoir si un manquement, le cas échéant, à l’obligation procédurale d’accommodement s’avère forcément fatal pour l’auteur d’une discrimination à première vue — ce que soutient la CDPDJ — le Tribunal s’en tient plutôt à une approche holistique[255] et poursuit donc son analyse sous le volet substantiel.
- Nous avons vu que des impératifs liés à la sécurité des personnes, à la fluidité de la circulation, à l’approvisionnement des commerces et à l’accessibilité partagée au quartier justifiaient d’y réglementer le stationnement.
- Une telle réglementation est autorisée par la loi, elle est obligatoire et d’application générale et impersonnelle[256]. Elle vise l’ensemble de la population et n’a pas à inclure de mesures d’accommodement individualisées :
[69] […] De par leur nature, les mesures législatives [ou réglementaires] d’application générale ne sont pas adaptées aux besoins particuliers de chacun. Le législateur n’a ni le pouvoir ni l’obligation en droit de prendre des décisions aussi personnalisées et, dans bien des cas, il ne connaît pas à l’avance le risque qu’une mesure législative porte atteinte aux droits garantis par la Charte. On ne peut s’attendre à ce qu’il adapte les mesures législatives à toute éventualité…[257]
- Cela dit, les personnes en situation d’autorité qui jouissent d’un pouvoir discrétionnaire et sont à même d’apprécier les circonstances précises dans lesquelles les personnes à qui s’applique la réglementation évoluent doivent être attentifs aux besoins d’accommodement de ces dernières.
- Toutefois, encore faut-il que la personne à accommoder fasse connaître ses besoins, d’une part, et offre sa collaboration, d’autre part, sans pour autant s’attendre à une solution parfaite.
- La preuve révèle que l’agent Tait avait une relation relativement harmonieuse avec M. Levasseur, laquelle s’est cependant sérieusement dégradée à l’été 2018. Selon le policier, M. Levasseur n’avait d’autre idée que d’obtenir de la Ville une place de stationnement gratuit qui lui soit réservée à proximité du Parc Serge-Garant.
- M. Levasseur déclare avoir également tenté de communiquer avec l’agente sociocommunautaire du PDQ-22 pour « régler le problème » et cesser d’être « bombardé de tickets ». Il dit n’avoir jamais eu de retour d’appel.
- Ce sont là des tentatives plutôt diffuses et pour le moins modestes de faire connaître ses besoins.
- Au stade de la plaidoirie, la CDPDJ relève ces possibilités d’accommodements :
- Évaluer la possibilité de faire des modifications à la signalisation sur le stationnement[258] ;
- Évaluer la possibilité de permettre à M. Levasseur d’obtenir une vignette de stationnement pour résident, ou autre permission spéciale de stationnement, aux alentours du Parc Serge-Garant[259] ;
- Évaluer la possibilité de permettre à M. Levasseur d’utiliser un espace de stationnement réservé aux organismes communautaires ou autres organismes, pour certaines plages horaires, notamment lorsqu’il aide d’autres personnes en situation d’itinérance[260] ;
- Évaluer la possibilité de permettre à M. Levasseur d’utiliser certains jours de la semaine ou pour certaines plages horaires prédéterminées un espace de stationnement avec borne sans devoir payer la borne de stationnement[261] ;
- Évaluer la possibilité d’avoir une entente verbale lui permettant d’utiliser un espace de stationnement par exemple réservé aux livraisons, ou autre, et de partir lorsque le stationnement est requis pour une livraison, ou autre[262].
- Toutes ces possibilités impliquent ainsi une certaine dérogation aux règles usuelles régissant le stationnement sur les voies publiques de la Ville.
- Contre-interrogé par l’avocate de la Ville quant à savoir s’il avait effectué une démarche quelconque en vue d’obtenir une telle dérogation, M. Levasseur offre cette réponse : « J’ai jamais demandé ».
- Alors qu’il aurait souhaité plus de « tolérance » et de « compréhension », dit-il, il déclare : « La seule affaire que j’ai eue, c’est de la répression ».
- M. Luc Coulombe, agent technique principal à la circulation et au stationnement à la Ville, confirme n’avoir reçu aucune demande visant à revoir la signalisation aux abords du Parc Serge-Garant.
- Or, la personne qui revendique un accommodement raisonnable des autorités publiques doit minimalement faire connaître ses besoins. Elle ne peut demeurer passive et espérer que la situation qu’elle déplore se résolve d’elle-même.
- Cette communication des besoins et des attentes est un corollaire de l’obligation de collaboration ou de coopération inhérente à l’obligation d’accommodement raisonnable[263].
- À titre d’exemple, le salarié en situation de handicap qui souhaite obtenir un accommodement de la part de son employeur doit minimalement l’informer de sa condition et de ses besoins[264]. À défaut de le faire, il peut difficilement reprocher à l’employeur de ne pas avoir été proactif dans la recherche d’une solution.
- Par analogie, dans l’arrêt CHRTR[265], la Cour d’appel du Québec confirme que la personne qui postule un emploi et qui dissimule des informations pertinentes et nécessaires quant à son état de santé prive l’employeur de la possibilité d’évaluer l’opportunité de mettre en œuvre un accommodement afin de composer avec un candidat en situation de handicap. « Cet exercice important, conclut la Cour, n’a pu être fait, ici, en raison du choix délibéré du salarié de ne pas répondre en toute bonne foi au questionnaire de l’employeur »[266].
- De même, dans l’affaire Lessard-Gauvin c. Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec[267], un justiciable reprochait à la Cour supérieure d’avoir gérer son dossier judiciaire sans égard « à des limitations ou restrictions qui nécessitent certains accommodements »[268] en lien avec sa santé et son handicap.
- À cet égard, la Cour écrit :
[50] [Le demandeur] invoque son droit à l’égalité réelle, la non-écoute ou réceptivité des juges, leur néo-libéralisme, leur attitude de fermeture et la rigidité de la procédure en Cour.
[51] Or, ce besoin d’accommodement n’a jamais été mentionné, dans le présent dossier, avant l’audience du 5 septembre dernier. Il n’en a pas été question devant le juge Hardy, ni devant la juge Bergeron, ni devant le juge Bellavance. Aucune référence à un besoin d’accommodement n’est faite […]. Aucune demande formelle et aucun délai additionnel n’a été sollicité sur cette base.
[52] La Cour supérieure est ouverte à des demandes d’accommodement, notamment quand vient le temps de témoigner. Encore faut-il en faire la demande.
[…]
[54] Il invoque qu’on ne l’aurait pas traité convenablement. Il passe sous silence son inaction quant à ce désir d’accommodement. […].[269]
- Saisie d’une demande de permission d’en appeler à l’encontre de ce dernier jugement, une formation de trois juges de la Cour d’appel la rejette unanimement en ces termes :
[10] L’appelant plaide que l’appel envisagé soulève des questions nouvelles relativement aux mesures d’accommodement auxquelles les personnes handicapées ont droit devant les tribunaux administratifs et judiciaires en vertu de leurs droits fondamentaux. Or, le fait qu’il n’ait pas formulé de demande d’accommodement en première instance lui est fatal. En première instance, l’appelant a seulement mentionné qu’il avait un handicap, sans mentionner la nature de son handicap et sans préciser surtout les mesures d’accommodement qu’il recherchait. Pour cette même raison, le jugement de première instance ne présente pas de faiblesse apparente qui permettrait d’accorder la permission d’appeler recherchée.[270]
- Il ressort de cette jurisprudence que la personne qui désire une mesure d’accommodement en sa faveur doit minimalement en faire la demande et en préciser la teneur.
- Dans l’arrêt CUSM, la Cour suprême indique bien que « les contraintes afférentes à l’accommodement » ne sont pas « à sens unique »[271]. Un citoyen qui nécessite un accommodement « doit faire sa part dans la recherche d’un compromis raisonnable »[272].
- Comme l’affirme cette même Cour dans l’arrêt Hydro-Québec[273], la preuve d’une « contrainte excessive » ayant pour effet d’entraver un processus d’accommodement « peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances »[274].
- Non seulement M. Levasseur n’a pas formulé auprès des autorités compétentes de la Ville une demande visant l’un ou l’autre des accommodements maintenant suggérés par la CDPDJ, mais l’attitude intransigeante qu’il manifestait dans ses rapports avec les policiers et les agents de stationnement témoigne d’une mauvaise foi tout aussi constitutive de « contrainte excessive » dans les circonstances[275].
- Alors que sa participation au PAPSI visait à le responsabiliser[276] tout en lui permettant d’être soulagé d’une dette judiciaire d’importance, moyennant le versement d’une somme de 5 $ par mois, il persistait à défier systématiquement les règles de stationnement et les personnes en charge de leur application. Ce faisant, la mesure d’accommodement monétaire qui lui était accordée devenait, à ses yeux, une licence pour contrevenir à la réglementation sans avoir à en assumer les conséquences pénales.
- Me Lucie Dauphinais fut perceptrice en chef des amendes à la Cour municipale de Montréal jusqu’en 2021. C’est sous son autorité que le PAPSI a été mis en place en vue d’aider les personnes en situation d’itinérance et permettre une alternative à l’incarcération par la signature d’une « entente honorifique de paiement ».
- « On n’a jamais publicisé ça », dit-elle, de telle sorte que les policiers n’en connaissent pas vraiment l’existence. Cela explique pourquoi le sergent Ayotte et le policier Tait ont cherché à en savoir plus en 2019.
- Alertée par le fait que M. Levasseur accumulait les contraventions en invoquant l’entente à 5 $ conclue avec lui, Me Dauphinais demande un « global des dossiers visés » et constate qu’« y’en a vraiment beaucoup », évoquant une « accumulation incroyable de constats ».
- « Je suis estomaquée », « hérissée », exprime-t-elle, voyant là un dangereux précédent qui dénature un programme « unique » : « Ça m’a jeté en bas de ma chaise », « Ça’ représentait pas le PAPSI », « C’était jamais arrivé », insistant sur le fait que l’entente, signée à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, n’autorise pas la personne qui en bénéficie à « se soustraire à ses obligations de propriétaire d’un véhicule automobile ».
- « J’ai décidé de mettre fin à l’entente de paiement », indique Me Dauphinais, et le PAPSI a été précisé de manière à ne pas inclure les infractions de stationnement, qu’elle qualifie d’« infractions imprudentes » :
Exclusion du programme
Les dossiers liés à une infraction en matière de stationnement (propriété d’un véhicule) ou de circulation routière (excès de vitesse, arrêt obligatoire, virage interdit, etc.) sont exclus du PAPSI.[277]
- Il faut dire que M. Levasseur n’était nullement contraint de commettre ces infractions. Il est en preuve que des espaces de stationnement gratuit étaient disponibles dans le voisinage immédiat du Parc Serge-Garant[278], mais il était « fermé à 100 % » à l’idée de se déplacer « en carré », témoigne l’agent Tait.
- Quant à l’argument selon lequel il devait immobiliser son véhicule tout près de ce parc afin de distribuer de la nourriture, de l’eau ou des vêtements aux personnes en situation d’itinérance, le Tribunal observe qu’aucun des rapports d’infractions abrégés mis en preuve ne semble avoir été émis à l’occasion d’une telle distribution.
- Ces rapports révèlent par ailleurs que M. Levasseur était souvent réfractaire à déplacer son véhicule, réclamant parfois même un constat d’infraction, tout en signifiant aux policiers ou aux agents de stationnement que le billet allait de toute façon se retrouver « sur la pile »[279], comme pour mieux dévaloriser leur travail. Par dérision, il lui arrivait même de faire un éventail avec un constat ou de les étaler sur son véhicule.
- Ces interactions s’accompagnaient fréquemment d’agressivité, d’insultes, de langage vulgaire ou de gestes obscènes de la part de M. Levasseur. Cela compromettait toute tentative de dialogue et de recherche de solutions raisonnables.
- Comme l’écrit la Ville dans son plan d’argumentation :
[…] il n’y a pas beaucoup d’options disponibles face à un problème persistant de stationnement illégal. Soit on rend l’espace de stationnement non disponible au risque de pénaliser l’ensemble des usagers, soit on émet des constats, soit on remorque le véhicule. Le Code de procédure pénale prévoit également qu’un contrevenant peut être détenu afin d’éviter la récidive. Les policiers ont tenté les deux premières options mais ont écarté, avec raison selon nous, les deux dernières, qui sont plus drastiques.[280]
- Ainsi, à la lumière de la preuve, le Tribunal juge que la Ville et ses quatre policiers n’ont pas manqué à leur obligation d’accommodement dans les circonstances, laquelle implique « la notion de raisonnabilité »[281] et demeure, rappelons-le, une obligation de moyens et non de résultat[282]. Ils n’ont pas commis d’actes discriminatoires contraires au droit à l’égalité garanti par la Charte.
La Ville et ses quatre policiers ont-ils exercé du harcèlement discriminatoire fondé sur la condition sociale de M. Levasseur ?
- C’est bien souvent le caractère répétitif d’une conduite qui la rend harcelante pour la personne qui la subit. Cela implique la révision méthodique des faits et gestes qui sont posés à son endroit. Certains incidents n’ont pas encore été abordés jusqu’ici, d’autres l’ont été mais méritent que l’on s’y attarde davantage afin de disposer, en toute connaissance de cause, de l’allégation de harcèlement discriminatoire portée par la CDPDJ.
- L’été 2018 s’apparente à un point de bascule dans les rapports entre M. Levasseur et les défendeurs.
- Le 23 juin 2018, autour de 22 h, M. Levasseur fait jouer de la musique à un niveau sonore élevé à partir de son véhicule. Il refuse de baisser le son, à la demande des policiers Vachon et Cianni, et reçoit donc un constat d’infraction pour avoir émis un bruit audible de l’extérieur de son véhicule.
- L’agent Vachon écrit :
Lorsque j’ai signifié le constat d infraction au défendeur, ce dernier à déchiré le billet, l a lancé dans sa fourgonnette et en me regardant, il m’a dit : " asteure décrisse mon gros tabarnak, je l enlèverai pas ma musique, regarde les bars autour. Envoye décalisse d icitte mon estie de Vachon"[283]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 26 juin 2018, le sergent Ayotte observe que le véhicule de M. Levasseur entrave l’accès à une propriété privée. Le rapport d’infraction abrégé qu’il signe comporte ces mentions :
[…] On a beaucoup de plainte concernant ce véhicule que les citoyens du quartier appelle Le Camion Poubelle. Je demande alors au conducteur de bien vouloir se déplacer car il est devant une entrée privée. Il me repond qu’il reste là et que je n’ai qu’à lui faire un ticket. Je lui dit à nouveau de se déplacer.
Alors, il me répond « fais moi le ton ticket je vais le mettre sur la pile, tu n’a pas de jugement, tu as eu tes bananes dans une boîte de cracker jack ». Quand je lui remets le constat en lui disant qu’il a 30 jours pour payer ou le contester il me dit « PFFF...le payer ???[284]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 29 juin 2018, M. Levasseur reçoit deux constats d’infraction, l’un à 16 h 7 pour s’être immobilisé sans nécessité à 5 m d’une intersection. L’agent Wagnac écrit :
[…] Il faut comprendre que la tolérance face aux infractions de stationnement est nulle dans le secteur de la piétonisation car le stationnement est très limité et le non respect de la signalisation entrave la circulation de certains véhicules et camions. Le [contrevenant] se stationne tous les jours dans les espaces de stationnement réservés aux parcomètres sans jamais les payer.[285]
(Reproduction fidèle à l’original)
- L’autre constat, émis à 22 h 1, reproche à M. Levasseur d’avoir proféré des imprécations à l’endroit du policier Raymond en lui criant : « Toé jte souhaite qu’il t’arrive la pire catastrophe de ta vie »[286]. L’amende atteint la somme de 444 $.
- Le 30 juin 2018, à 21 h 55, M. Levasseur reçoit une contravention pour s’être stationné dans une place de stationnement dont l’accès est interdit par une housse fixée bien en vue sur le parcomètre.
- Le sergent Ayotte explique en ces termes le déroulement de son intervention :
[…] Le conducteur regarde droit devant lui en bouchant son oreille gauche pendant que je le somme à trois reprises de quitter les lieux. […]
Quand je vais pour lui remettre le constat, il part les essuie-glace et le lave-glace pour ne pas que je place le constat sur la pare-brise alors, sa fenêtre côté conducteur est ouverte, je lance le constat dans le camion car, il ne veut pas le prendre. Problématique avec le conducteur de ce véhicule, il stationne presque toujours en infraction en nous disant qu’il ne paiera pas ses tickets. Beaucoup de plainte de citoyens concernant les problématiques entourant le camion et son propriétaire.
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 11 juillet 2018, l’agent Proulx sanctionne M. Levasseur pour avoir continué ou répété un acte interdit après avoir reçu l’ordre de cesser :
[…] Je suis stationnaire en arrière du véhicule du défendeur qui est stationné. Un agent de stationnement se présente pour lui émettre un constat d’infraction pour ne pas avoir payé. Le défendeur cris à l’endroit de l’agent de stationnement des imprecations « Tes un osti chien sâle ». Dès lors, j’ordonne au défendeur d’arrêté de crier et d’insulté l’agent. Le défendeur continue à mon endroit en criant « donne moé lé ton ostie ticket ».[287]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 12 juillet 2018, en soirée, l’agent Raymond et sa collègue Anne-Laurie Fortin procèdent à l’arrestation d’un individu en lien avec du trafic de stupéfiants à l’angle des rues Ste-Catherine Est et Beaudry. L’agent Proulx « arrive sur les lieux à bord d’un véhicule lettré »[288] afin de faciliter le transport de la personne arrêtée.
- Un attroupement se forme autour des policiers et l’agent Proulx cherche à établir un périmètre de travail sécuritaire. M. Levasseur s’approche et filme la scène, indifférent aux directives visant à l’en éloigner. L’agente Fortin se positionne avec son vélo, en lui faisant dos, afin de favoriser le respect de l’espace de travail voulu, sans succès.
- M. Levasseur est arrêté pour entrave au travail des policiers. Il résiste à son arrestation et doit être menotté.
- Il traite la policière de « truie », de « trou de cul », de « chienne », menace de lui « cracher dessus », puis la pousse, la blessant légèrement au coude droit.
- Les agents Tait et Wagnac viennent prêter assistance à leurs collègues.
- Alors que l’agent Raymond tente d’asseoir M. Levasseur sur le siège arrière d’un véhicule de patrouille et cherche à boucler la ceinture de sécurité, M. Levasseur lui crache au visage, sous le regard stupéfait des agents Tait et Wagnac qui le conduisent ensuite au centre opérationnel sud[289].
- Une accusation de voies de fait contre un agent de la paix est notamment portée contre lui, assortie d’un engagement à ne pas se trouver à l’intérieur du quadrilatère formé des rues De Lorimier — René-Lévesque — Maisonneuve — St-Hubert.
- Les 23 et 26 juillet 2018, il est néanmoins vu à l’intérieur de ce quadrilatère, ce qui justifie son arrestation, le 28 juillet 2018, pour deux bris de conditions[290].
- Le 12 août 2018, un peu avant 17 h, M. Levasseur affirme à un tiers qu’il entend frapper l’agent Proulx au visage (« … he wanted to punch agent Proulx in the fucking face the next time agent Proulx harassed him »[291]).
- Le 16 août 2018, à 21 h 43, le policier Tait émet un constat d’infraction, reprochant à M. Levasseur un refus d’obéir à l’ordre d’un agent de la paix dirigeant la circulation :
[…] Le vr bloquait la circulation des piétons sur Ste-Catherine et la circulation des automobilistes sur la rue Beaudry. J’ai avisé le [Contrevenant] de déplacer son vr et il a refusé, il a dit qu’il n’allait pas le déplacer aussi longtemps que je ne donne pas des billets aux autres voitures stationné illégalement sur Beaudry, à noter que ces véhicules ne bloquaient pas la circulation. […]
Raison de non signification : Défendeur agressif
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 17 août 2018, l’agent de stationnement Casimir constate que M. Levasseur a fait défaut de payer le tarif de la borne de stationnement où se trouve son véhicule. Un constat d’infraction est émis mais sera plutôt signifié par la poste pour la raison suivante : « Défendeur agressif »[292].
- Le 18 août 2018, à 15 h 25, M. Levasseur est stationné dans une zone réservée aux véhicules de livraison[293]. Le sergent Ayotte inscrit cette mention à son rapport abrégé d’infraction :
[…] Il sait qu’il ne peut pas se stationné à cet endroit car ça fait plusieurs fois qu’on l’avise. Je lui demande de circuler et il ne me répond pas. Je lui demande une 2e fois : pas de réponse alors je lui dis que je vais devoir remorquer son véhicule alors, il sort de son VA et il me dit « je vais le déplacer ». Je lui demande les papiers du véhicule, il me dit : « tu les veux les papiers et il les garoche sur le toit et le capot du véhicule.[294]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le sergent Ayotte émet un constat d’infraction additionnel pour ce qu’il assimile, après avertissement, à un refus de fournir à un agent de la paix un document qu’il a le droit d’exiger ou d’examiner, l’amende prévue étant de 442 $[295].
- À 15 h 38, l’agent Tait signe un constat d’infraction accompagné d’une amende de 444 $ imposée à M. Levasseur pour avoir « émis un bruit audible à l’extérieur de cris ou d’altercations » :
[…] Le sergent Ayotte donnait un constat […] au [Contrevenant] pour s’être stationné dans un débarcadaire. Au moment ou le sergent Ayotte a signifié le constat au [Contrevenant], il a commencé à crier « ticket, donne des tickets aux autres !! » [Contrevenant] criait tellement fort que les gens autours regardaient. Je lui ai dit d’arrêter de crier mais il a continué avec les même paroles. […][296]
(Reproduction fidèle à l’original)
- M. Levasseur quitte mais revient aussitôt se garer quelques pieds plus loin, toujours en zone interdite.
- À 16 h 1, le policier Wagnac, qui fait équipe avec le policier Tait, émet un constat d’infraction pour stationnement illégal et s’en explique ainsi : « Véhicule du défendeur stationné dans une zone de livraison. Défendeur avisé à multiples reprises de ne pas se stationner à cet endroit »[297].
- M. Levasseur déplace son véhicule avec fracas, ce qui lui vaut un autre billet d’infraction à 16 h 4. Le policier Tait écrit :
Je vennait de dire au [Contrevenant] qu’il allait recevoir un constat d’infraction pour s’être stationné illégalement (dans une zone de livraison 8-22 hre) [Contrevenant] s’est fâché et a fait fonctionné le moteur de son vr à un régime excessif a 2 ou 3 reprised avant de quitter les lieux. Il a fait la manœuvre lorsque son véhicule était immobilisé, son moteur et système d’échappement ont fait beaucoup de bruit dérangeant les gens aux alentours. à noter qu’il était situé dans un endroit résidentielle et commerciale et il avait plusieurs personnes alentour.[298]
(Reproduction fidèle à l’original)
- À 16 h 21, le sergent Ayotte complète un autre constat d’infraction et reproche à son tour à M. Levasseur d’avoir émis un bruit provenant de l’utilisation d’un moteur de véhicule à des régimes excessifs, ce qui entraîne une autre amende de 444 $ :
[…] je m’approche du véhicule le défendeur démarre son véhicule et appuie sur l’accelerateur à 6 ou 8 reprises, le régime du moteur est très fort. Je lui demande de cesser de faire du bruit car il y a beaucoup de monde sur les rues (samedi de la fierté et parade demain, rue bondée. Il me regarde et appuie de nouveau sur l’accélérateur à plusieurs reprises encore une fois avec le régime excessif assez que les piétons sur Beaudry se retourne en entendant le bruit fort du moteur. […][299]
- À peine plus d’une demi-heure plus tard, à 16 h 52, un agent de stationnement constate une nouvelle infraction pour défaut d’avoir payé le tarif de la borne de stationnement[300].
- En début de soirée, M. Levasseur interpelle l’agent Raymond mais celui-ci lui fait savoir qu’il ne souhaite pas amorcer une conversation avec lui compte tenu des événements du 12 juillet 2018 et du procès à venir à ce propos.
- M. Levasseur s’avance néanmoins vers lui, le regarde avec insistance et sort la langue, feignant de vouloir l’embrasser comme pour le provoquer, le policier déplorant « le même comportement harcelant et agressif qui s’est soldé par une agression le 12 juillet 2018 »[301].
- À 22 h 5, le policier Proulx constate que le véhicule de M. Levasseur se trouve « dans un espace réservé par signalisation aux détenteurs de permis », ce qui entraîne l’émission d’un autre constat d’infraction[302].
- Le 22 août 2018, une accusation de menace de causer des lésions corporelles est portée contre M. Levasseur en lien avec les menaces proférées contre l’agent Proulx le 12 août. Des accusations pour avoir entravé le travail de l’agent Raymond et l’avoir harcelé le 18 août sont également déposées[303].
- Le 28 août 2018, à 10 h 50, l’agent Tait effectue une patrouille à vélo et constate que le véhicule de M. Levasseur est immobilisé, sans droit, dans une zone de livraison. Il émet donc un premier constat d’infraction[304]. Puis, comme les portières ne sont pas verrouillées, un deuxième billet est complété et une amende de 107 $ s’ajoute[305].
- Quelques minutes plus tard, le policier remarque que le même véhicule est cette fois immobilisé dans un espace de stationnement réservé à l’usage de la STM, près du métro Beaudry.
- L’agent Tait s’affaire à rédiger un nouveau constat d’infraction[306] lorsque M. Levasseur s’avance vers lui.
- Au fait de l’engagement souscrit par M. Levasseur qui lui interdit de s’approcher à moins de 15 m des policiers du SPVM[307], l’agent Tait lui ordonne de rester à distance, en vain.
- M. Levasseur, qui s’approchait « pour récupérer des effets dans son véhicule et le déplacer »[308], est mis en état d’arrestation pour bris de conditions, mais il oppose une forte résistance selon le policier :
And so, then, at that point, I proceeded to his arrest for breach of conditions, and the I, you know, read him his rights, and he resisted his arrest, and became physically combative with me, and I had to handcuff him and – and I had to call a car to do the transport, because for breach of conditions, you have to detain them.[309]
- Plusieurs policiers sont mobilisés à cette occasion[310].
- Mme Catherine Tsakalis est alors réceptionniste dans un bureau d’avocats de la rue Beaudry et peut voir le Parc Serge-Garant et le métro de son poste de travail. Elle entend du bruit provenant de l’extérieur et constate que M. Levasseur, qu’elle connaît, est en présence de deux policiers et semble en détresse : « Je suis allée chercher des avocats ».
- L’avocate Me May Chiu, qui connaît M. Levasseur parce qu’il se stationne régulièrement dans la rue « devant nos bureaux », dit-elle, sort à l’extérieur et constate la présence de 6 à 8 policiers, « trois, quatre autopatrouilles » et voit que M. Levasseur est menotté, mains derrière le dos, à côté de son véhicule.
- Elle demande à lui parler, ce qui lui est refusé du fait qu’il est en état d’arrestation. Même si un policier le lui déconseille, c’est elle qui prendra charge du véhicule, après s’être assurée que la carte d’affaires de sa collègue, l’avocate Me Francesca Cancino, soit remise à M. Levasseur.
- Dans le rapport d’incident cosigné par les agents Tait et Wagnac, ceux-ci écrivent :
Lors de l’arrestation, M Levasseur a résisté a son arrestation, il criait et nous insultait beaucoup. « fils de pute, vidange, t’es aussi pire que les autres [Wesley] » Une fois menotté, M Levasseur s’est propulsé violemment vers l’avant sans aucune raison nécessaire vers son véhicule.[311]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Le 4 septembre 2018, sur l’heure du midi, M. Levasseur est assis sur un banc du Parc Serge-Garant. Sa chienne Micha est à 2 ou 3 mètres de lui. L’agent Martineau émet un constat d’infraction assorti d’une amende de 444 $ à M. Levasseur pour avoir omis de tenir sa chienne en laisse. Le policier écrit :
Compte tenu des relations très tendues entre le def et le service de police (harcèlement, intimidation) j’ai seulement avisé le def qu’un constat lui serait signifié par la poste. Étant seul dans le parc, je craignais la réaction du def à cause de ses antécédents avec le service de police.[312]
(Reproduction fidèle à l’original)
- Aucun des policiers défendeurs ne sera personnellement impliqué dans les événements de janvier 2019.
- Deux constats d’infractions sont émis par l’agent Palacios à cette période.
- Le 10 janvier 2019, à 8 h 2, il constate que le véhicule de M. Levasseur est immobilisé dans un endroit où la signalisation l’interdit près du Parc des Faubourgs, à l’angle de la rue Dorion et l’Avenue Malo, aux abords du Pont Jacques-Cartier[313].
- Puis le 14 janvier 2019, à 12 h 24, dans ce même secteur, M. Levasseur reçoit un billet pour avoir omis de maintenir sa chienne en laisse[314].
* * *
- L’article 10.1 de la Charte dispose que « Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10 ».
- Il s’agit d’« un droit indépendant et autonome »[315], « distinct de celui de ne pas être discriminé »[316], discrimination et harcèlement constituant « deux motifs particuliers de grief, donc deux réalités juridiques distinctes »[317]. L’interdiction du harcèlement « s’applique sans référence à la notion de discrimination »[318].
- Cette distinction se reflète dans la structure de la Charte elle-même. L’auteur d’un acte discriminatoire, au sens de l’article 10 de la Charte, dispose des moyens de défense prévus aux articles 20 ou 20.1 de la Charte ou encore de ceux établis par la jurisprudence et qui lui permettent de justifier sa conduite, le cas échéant.
- La protection contre le harcèlement discriminatoire offerte par l’article 10.1 de la Charte n’aménage pas de tels moyens de défense permettant de justifier un comportement harcelant[319]. Le Tribunal a depuis longtemps fait le constat de « l’absence, dans la Charte québécoise, de moyen de défense opposable au harcèlement quel qu’il soit »[320]. En clair, « […] la Charte ne reconnaît aucune situation en vertu de laquelle le harcèlement serait permis »[321].
- Dans l’affaire V.D. c. G.De[322], la Cour supérieure indique que « [l]e harcèlement est une situation d’abus de pouvoir qui existe sous plusieurs formes »[323]. Le harcèlement discriminatoire est notamment l’une d’elles[324].
- S’attardant à le définir lorsqu’il se manifeste au travail, le Tribunal écrit :
[141] Le harcèlement en milieu de travail se caractérise, quel (sic) qu’en soit la forme, par l’abus de pouvoir qui s’exerce à l’encontre d’une victime, uniquement parce qu’elle s’identifie à l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la Charte, notamment, le fait d’être femme, d’être noir, d’être arabe, d’être musulman, d’être handicapé, d’être prestataire de l’aide sociale, d’être homosexuel, etc. La conduite inacceptable s’appuie essentiellement sur une notion d’abus de confiance, d’abus de pouvoir ou d’autorité, exercé à l’encontre de la victime ; […].[325]
- Si l’« abus de pouvoir ou d’autorité » caractérise le harcèlement, encore faut-il qu’il soit en lien avec un motif de discrimination énuméré à l’article 10 de la Charte.
- En d’autres termes, le Tribunal est sans compétence pour sanctionner le « harcèlement » si la preuve ne permet pas de l’associer, en tout ou en partie, à une caractéristique personnelle visée par la norme québécoise d’égalité[326].
- Certes, le fait de « [s]uivre, talonner, traquer une personne, communiquer avec elle de façon répétée, la surveiller, se comporter envers elle de façon agressive, faire des menaces de toutes sortes sont autant de comportements harcelants »[327]. Il en va notamment de même des « remarques désobligeantes, rebuffades, brimades, injures et insultes » répétées « à caractère vexatoire et non désiré dont les effets sont continus dans le temps »[328].
- Toutefois, les propos ou comportements dont on allègue l’effet harcelant « doivent être considérés dans leur contexte et dans leur ensemble »[329].
- Cela dit, vu la nature du travail de policier ou d’agent de stationnement, l’exercice d’une surveillance est inhérent à leur fonction de maintien de la sécurité et de contrôle des infractions aux lois et règlements.
- Personne n’a contredit, devant le Tribunal, les témoignages des policiers selon lesquels le secteur avoisinant le Parc Serge-Garant et le métro Beaudry était un endroit particulièrement achalandé et criminogène[330], d’où la présence soutenue des membres du MAP sur les lieux. L’agent Proulx témoigne que la directive était d’être « très présents et visibles ».
- Dans ces conditions, la personne qui se place à répétition en situation d’infractions ne peut raisonnablement se plaindre de recevoir un nombre conséquent de contraventions.
- Rien ne permet de conclure que les constats d’infractions émis à M. Levasseur ont un lien quelconque avec sa condition sociale de personne en situation d’itinérance.
- Quant à l’existence d’un comportement agressif ou l’expression de remarques désobligeantes, d’insultes ou d’injures, elles s’observent surtout chez M. Levasseur.
- À l’exception de l’agent Raymond qui reconnaît avoir usé du terme « lama » pour désigner M. Levasseur, personne n’a témoigné que les policiers ou les agents de stationnement qui ont eu à interagir avec lui ont manqué de respect à son égard. Nous étions « scrutés à la loupe », explique l’agent Proulx.
- Quant à l’agent Raymond, la preuve révèle que M. Levasseur lui a craché au visage le 12 juillet 2018. Comme le Tribunal l’a déjà reconnu, « [l]e fait de cracher en direction de quelqu’un est d’une grande impolitesse, voire une marque de mépris »[331]. C’est là un geste « socialement inacceptable »[332] qui explique, à défaut de le justifier, l’allusion du policier au camélidé. Cette pique n’atteint pas le seuil de gravité requis pour constituer du harcèlement[333] pas plus qu’elle présente un lien quelconque avec la condition sociale.
- Il va de soi que l’accumulation de constats d’infractions peut être subjectivement perçue comme du harcèlement pour la personne qui les reçoit. Cette personne devient toutefois l’artisane de son propre malheur quand elle s’obstine, malgré les avertissements reçus et sa capacité à en mesurer les effets, à contrevenir systématiquement aux règles de droit. Pareille attitude de défiance s’apparente à une forme de provocation qui suscite forcément une réaction de la part des autorités.
- Dans l’affaire St-Eustache (Ville de) c. Doucet[334], la Ville était confrontée à une citoyenne qui, pendant des années, refusait de se conformer à la réglementation municipale sur les nuisances limitant le nombre d’animaux domestiques qu’elle était en droit de posséder. Elle s’opposait aux nombreuses visites de l’inspecteur municipal qui se présentait chez elle afin de vérifier si elle se conformait aux règlements, alléguant être victime de harcèlement de sa part.
- La Cour supérieure dispose sommairement de l’argument en concluant « qu’il n’y a eu, en l’espèce, aucun harcèlement de ce dernier, lequel a tout simplement rempli les devoirs qui lui étaient dévolus »[335], ce qui sera incidemment confirmé par la Cour d’appel[336].
- Une même conclusion s’applique à la conduite des défendeurs[337]. Il y a clairement une « explication » ou une « justification contextuelle à [cette] conduite »[338].
- Dans l’exercice de leurs devoirs, la Ville et ses préposés ont-ils fait preuve d’un zèle excessif en sanctionnant M. Levasseur, à titre d’exemples, pour avoir émis des sons musicaux trop bruyants la veille de la fête nationale (23 juin 2018), pour avoir proféré des imprécations (29 juin 2018) ou encore en lui remettant pas moins de sept constats d’infractions en un court laps dans une seule journée (18 août 2018) ?
- À supposer — sans en décider — que ces interventions policières puissent constituer une forme de « harcèlement », elles découlent d’un certain sentiment d’exaspération ou de découragement partagé par les défendeurs face à une situation qui perdurait, contre toute logique.
- De toute évidence, ces interventions sont sans lien avec la « condition sociale » de M. Levasseur mais s’expliquent plutôt par son caractère récalcitrant.
- Du reste, il n’appartient pas au Tribunal des droits de la personne de juger du caractère fautif ou non des interventions policières[339]. Sa compétence se limite à déterminer si ces interventions peuvent constituer du harcèlement discriminatoire au sens de l’article 10.1 de la Charte. Pour les raisons déjà exprimées, tel n’est pas le cas.
- La demande est donc rejetée.
À la lumière de la preuve, y a-t-il lieu d’accorder une réparation monétaire à M. Levasseur, de sanctionner par des dommages-intérêts punitifs la conduite des quatre policiers défendeurs, d’ordonner la cessation de tout profilage ou harcèlement fondé sur la condition sociale et de prononcer l’une ou l’autre des ordonnances d’intérêt public sollicitées par la CDPDJ ?
- La CDPDJ n’ayant pas réussi à démontrer par une preuve prépondérante que M. Levasseur a été victime de profilage et de harcèlement discriminatoires en lien avec sa condition sociale, il n’est pas nécessaire de répondre à cette dernière question.
- Il est vrai que la CDPDJ a sollicité plusieurs ordonnances d’intérêt public et une portion importante de l’instruction a porté sur leur opportunité.
- Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême du Canada rappelle que :
[…] les ordonnances que le Tribunal peut prononcer ne sont pas limitées à la réparation du préjudice subi par le demandeur, mais peuvent également inclure des mesures nécessaires dans l’intérêt public. L’exercice de ce pouvoir doit toutefois se rapporter au litige soumis au Tribunal, être appuyé par la preuve pertinente et être approprié compte tenu de l’ensemble des circonstances[340].
- Les circonstances entourant la présente affaire sont à ce point singulières qu’elles ne justifient pas d’émettre des ordonnances d’intérêt public.
- Il ressort de la preuve que le phénomène de l’itinérance véhiculaire, présent aux États-Unis[341], n’était pas une réalité observée sur le territoire de la Ville de Montréal pendant la période des faits en litige[342]. Au Québec, nous en serions « aux balbutiements », selon l’experte Bellot.
- Cela dit, il est à craindre que le nombre de personnes contraintes de vivre dans un véhicule, faute de logements abordables et de ressources, connaisse une hausse dans les années à venir.
- Nous entretenons l’espoir que le présent jugement contribue à sensibiliser et mobiliser les autorités municipales face à cette réalité émergente ainsi que les personnes en situation d’autorité qui ont à intervenir en pareil contexte.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande introductive d’instance re-re-re-modifiée du 12 avril 2023 ;
- AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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| __________________________________ CHRISTIAN BRUNELLE Président par intérim du Tribunal des droits de la personne |
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Me Liz Lacharpagne Me Lysiane Clément-Major |
Me Emma Tardieu |
BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER |
Pour la partie demanderesse |
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Me Myrtho Adrien Me Fanny Maheu |
Gagnier Guay Biron |
Pour les parties défenderesses |
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Dates d’audiences : | 17, 18, 19, 20 et 21 avril 2023 19, 20 et 21 juin 2023 25, 26, 27, 28 et 29 septembre 2023 13, 14, 15, 16 et 17 novembre 2023 23 et 24 novembre 2023 |
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[4] Pièce P-4, p. 3, Entente de paiement par versements.
[5] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 31.
[6] Pièce D-47, Lettre du président fondateur de SOS Itinérance, 16 avril 2017.
[8] Pièce P-2, État de renseignements d’une association au registre des entreprises, NEQ 3374068727, 28 octobre 2021.
[9] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 115.
[11] Pièce P-14, Extraits de l’interrogatoire préalable à l’instruction de M. André Ayotte, 1er novembre 2022, p. 33.
[16] Pièce D-20, Mise en demeure transmise au PDQ-22, à l’Hôtel de ville et à la mairesse de la Ville, 14 août 2018.
[17] Pièce P-12, SPVM, Appels 733, Bureau du service à la clientèle.
[18] Pièce D-24, p. 16-18, Constat d’infraction no 755 037 360 et Rapport d’infraction abrégé.
[19] Id., p. 19 à 21, Constat d’infraction no 755 037 382 et Rapport d’infraction abrégé.
[21] Pièce D-24, p. 25 à 27, Constat d’infraction no 755 037 404 et Rapport d’infraction abrégé.
[22] Pièce D-44, p. 2, Complément de rapport d’infraction, 19 août 2018.
[23] Pièce P-10, p. 7, Plainte de M. Guylain Levasseur contre le sergent André Ayotte.
[24] Id., p. 1 et suiv. ; Pièce D-38, p. 1 à 6, Décision de Me Marc-André Dowd, commissaire à la déontologie policière.
[25] Pièce D-38, p. 9 à 17, Décision du juge administratif Richard W. Iuticone, Comité de déontologie policière.
[27] Pièce D-43, Sommaire du contrôle de routine, p. 3 et 4.
[28] Pièce D-14, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800798915).
[29] Pièce D-15, Rapport complémentaire (Dossier MTLEV1800798915).
[31] Pièces P-17 et D-46, Photographies de M. Levasseur, assis devant un véhicule, en compagnie de sa chienne Micha.
[32] Pièce P-15, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Wesley Karl Tait, 19 octobre 2022, p. 86.
[33] Pièce D-51, Plan des lieux dessiné, séance tenante, par le policier Proulx.
[34] Pièce D-11, p. 4, Rapport d’incident (MTLEV1800688498).
[35] Id., p. 12, Dénonciation, 20 juillet 2018.
[36] Pièce D-27, p. 5, Constat d’infraction no 835 032 343.
[37] Id., p. 5, Constat d’infraction no 835 032 343.
[39] Id., p. 14, Constat d’infraction no 835 821 910.
[40] Id., p. 26, Constat d’infraction no 320 318 552.
[42] Pièce D-27, p. 19, Constat d’infraction no 835 968 346.
[43] Pièce D-17, Constat d’infraction no 835 968 350.
[44] Pièce P-3, Engagement, p. 2.
[45] Pièce D-35, SPVM, Direction des opérations, Procédure liée « Arrestation — Bris de condition », PL 211-12, 29 janvier 2014.
[46] Pièce D-18, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800845226).
[47] Pièce P-18, Contrôle du détenu (Dossier MTLEV1800845226).
[48] Pièce-P-15, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Wesley Karl Tait, 19 octobre 2022, p. 85.
[49] Pièce P-16, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Daniel Raymond, 28 octobre 2022, p. 44.
[51] Pièce D-26, Constats d’infractions no 754 300 960, no 754 060 101, no 754 060 112, no 754 212 034, no 754 212 045, no 754 212 115, no 818 589 041 et no 818 589 052.
[52] Pièce D-15, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800814867), p. 2.
[53] Pièce D-23, p. 226, Constat d’infraction no 838 162 485.
[54] Id., p. 227, Constat d’infraction no 320 319 425
[56] Pièce P-5, p. 2, Résolution CP-785.7, 10 juin 2021.
[59] Pièce P-5, Résolution CP-785.7, 10 juin 2021.
[60] R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 76 (Référence omise).
[61] Transcription partielle de l’audience du 27 septembre 2023 effectuée, à la demande du Tribunal, par la sténographe officielle Hélène Gerbet.
[62] Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries, 2024 QCCA 1225, par. 13.
[63] Mémoire de la demanderesse re-remodifié, 12 avril 2023, par. 9.
[65] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2019 QCCA 1435, par. 59 et 64.
[66] Pierre-Louis c. Québec (Ville de), 2008 QCCA 1687, par. 53 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 05-03-2009, 32870).
[67] Plan d’argumentation de la Ville de Montréal, 23 novembre 2023, p. 53 (par. 268) (Soulignement reproduit).
[68] Bien que le harcèlement découle généralement de gestes répétitifs échelonnés dans le temps, un seul acte grave aux effets préjudiciables persistants sur la personne qui le subit peut exceptionnellement y être assimilé : Christian BRUNELLE, « La protection quasi constitutionnelle contre le harcèlement », dans SFPBQ, vol. 134, Développements récents en droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 185, à la page 195.
[70] Dunkin' Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624, par. 143 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 17-03-2016, 36475).
[71] Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 1241 et 1242 (par. 1-1323).
[72] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 6 (par. 19).
[73] 2000 CanLII 11031 (QC CA) (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 03-05-2001, 28122).
[74] Code civil du Bas-canada, art. 2161.
[75] Commission des droits de la personne (Genova) c. Dhawan, 1995 CanLII 11 (QC TDP), p. 20 (.pdf), conf. par 2000 CanLII 11031 (QC CA) (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 03-05-2001, 28122).
[76] Dhawan c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 73, par. 10.
[78] Adoptée en réaction à l’arrêt Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 RCS 388, cette disposition entrait en vigueur le 1er janvier 1975 avec effet rétroactif au 1er janvier 1972. Voir à ce propos : Cusson c. Robidoux, [1977] 1 RCS 650.
[81] Syndicat des employées et employés de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) c. Fontaine, 2006 QCCA 1642, par. 56.
[82] Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48, par. 2.
[84] Id., par. 28. Incidemment, le Tribunal observe qu’il s’est écoulé un délai anormalement long de 12 mois entre la notification de la proposition de mesures de redressement à la Ville et l’exercice du présent recours par la CDPDJ.
[85] Pièce D-4, p. 12, Procès-verbal d’audience.
[86] Pièce D-4, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1600159673).
[87] Voir, par analogie, Châtelain c. Shefford (Corporation municipale du canton de), 2007 QCCS 623, par. 122 et 162 ; 9116-7957 Québec inc. c. Ville de Shannon, 2024 QCCS 3670, par. 88 et 395 : « […] les lois municipales sont ainsi faites, qu’à moins d’un dommage qui se répète en continu, on ne puisse poursuivre pour un dommage causé il y a plus de six mois ».
[88] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, par. 35 (Ward) ; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204, par. 45 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 21-11-2024, 41237).
[89] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 35 (Bombardier) (Références omises) ; Ward, id., par. 36.
[90] Bombardier, id., par. 34.
[91] R. c. Le, préc., note 60.
[92] Voir le paragraphe 147 du présent jugement.
[93] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 94 (par. 240-244) ; Plan d’argumentation de la Ville de Montréal, 23 novembre 2023, p. 25 et 26 (par. 125).
[94] Bombardier, préc., note 89, par. 33.
[95] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) c. Montréal (Service de police de la Ville de), 2012 QCTDP 5, par. 173 (demande pour permission d’appeler refusée, 2012 QCCA 1501) (Rezko).
[96] Rezko, id., par. 167, 171 et 172 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dagobert et autres) c. Bertrand, 2013 QCTDP 6, par. 116, 171 et 172, inf. en partie, mais non contredit sur ce point, par 2014 QCCA 2199 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 28-05-2015, 36275) (Dagobert) ; Michèle TURENNE, « Le profilage racial : une atteinte au droit à l’égalité – Mise en contexte, fondements, perspectives pour un recours », dans SFCBQ, vol. 309, Développements récents en profilage racial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 37, aux pages 49 à 52.
[97] Dagobert, id., par. 119 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil, 2020 QCTDP 21, par. 136 et 137 (DeBellefeuille).
[98] COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale sur le projet de loi no 32 (Loi visant principalement à favoriser l’efficacité de la justice pénale et à établir les modalités d’intervention de la Cour du Québec dans un pourvoi en appel), 2019, p. 5 ; COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, La judiciarisation des personnes itinérantes à Montréal : un profilage racial (rédaction : Christine CAMPBELL et Paul EID), 2009, p. 81 et suiv.
[100] Mouvement laïque québécois, préc., note 58, par. 54-61.
[101] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 95 (par. 247).
[102] Rezko, préc., note 95, par. 167.
[103] R. c. Le, préc., note 60, par. 76.
[104] Rezko, préc., note 95, par. 267.
[107] Voir, par analogie, Procureur général du Québec c. Luamba, 2024 QCCA 1387, par. 70.
[108] R. c. Dorfeuille, 2020 QCCS 1499, par. 55 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Toussaint) c. Procureur général du Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2023 QCTDP 21, par. 231-233 (Toussaint) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1, par. 310 (demande pour permission d’appeler refusée, 2021 QCCA 339) (Nyembwe) ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 148 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller et autres) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2019 QCTDP 31, par. 196 (Miller).
[109] R. c. Le, préc., note 60, par. 97 ; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, par. 59 et 60 ; R. c. Grant, 2009 CSC 32, par. 154 ; Toussaint, id., par. 236 et 237 ; Nyembwe, id., par. 176-178.
[110] Bombardier, préc., note 89, par. 88.
[111] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba) c. Ville de Gatineau, 2023 QCTDP 14, par. 31 (demande pour permission d’appeler accueillie, 2023 QCCA 870) (Nkamba) ; Nyembwe, préc., note 108, par. 187 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 161 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2018 QCTDP 5, par. 94 (demande pour permission d’appeler refusée, 2018 QCCA 1030) (Mensah).
[112] R. c. Ipeelee, préc., note 109, par. 469 ; Miller, préc., note 108, par. 163.
[113] R. c. Spence, 2005 CSC 71, par. 57 ; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, par. 42 et 43.
[114] Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, par. 120.
[115] Code de procédure civile, RLRQ. c. C-25.01, art. 22.
[116] Ward, préc., note 88, par. 36 ; Bombardier, préc., note 89, par. 35 ; Mouvement laïque québécois, préc., note 58, par. 152. La grille d’analyse du profilage basée sur d’autres lois anti-discrimination et appliquée dans l’affaire Rezko, préc., note 95, par. 177, semble donc obsolète depuis l’arrêt Bombardier.
[117] Nkamba, préc., note 111, par. 20 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bazelais) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2022 QCTDP 6, par. 210 et 211 (Bazelais) ; Nyembwe, préc., note 108, par. 307 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 141 ; Rezko, id., par. 181 et 183.
[118] Mensah, préc., note 111, par. 69 ; Rezko, id., par. 179 et 250.
[119] Rezko, id., par. 183.
[120] Mensah, préc., note 111, par. 70-72 ; David M. TANOVICH, « Applying The Racial Profiling Correspondence Test », (2017) 64 Crim LQ 359, p. 368 qui précise qu’une arrestation injustifiée (« unjustifiable arrest ») peut constituer une manifestation de profilage racial ; M. TURENNE, préc., note 96.
[121] Bazelais, préc., note 117, par. 212 et 307 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 143 ; Miller, préc., note 108, par. 185 ; Rezko, préc., note 95, par. 180.
[122] Pièces D-46, p. 2 ; Pièce D-48.
[123] Pièce D-12, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800728299), p. 3 ; Pièce D-13, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800736546), p. 3.
[124] Pièce P-12, Appels 733, 15 août 2018.
[127] R. c. Kapp, 2008 CSC 41, par. 28.
[128] Daniel PROULX, « Le droit à l’égalité : pierre angulaire de la Charte des droits et libertés de la personne », (2015) hors-série juin RQDI 61, p. 73.
[129] M. TURENNE, préc., note 96, p. 68.
[130] 2021 QCCA 989 (Aluminerie de Bécancour inc.).
[131] Id., par. 47 (Nos soulignements).
[132] Commission des droits de la personne (Larente) c. Gauthier, 1993 CanLII 8751 (QC TDP); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bia-Domingo) c. Sinatra, 1999 CanLII 52 (QC TDP), par. 40 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Marchand) c. Girard, 2016 QCTDP 23, par. 53.
[133] Aluminerie de Bécancour inc., préc., note 130, par. 50, citant avec approbation l’affaire Commission des droits de la personne c. Centre hospitalier St-Vincent de Paul de Sherbrooke, CS St‑François, no 450-05-000856-78, 7 septembre 1978, j. Tôth (nos soulignements).
[134] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bia-Domingo) c. Sinatra, préc., note 132, par. 45.
[135] Id., par. 44 (Nos soulignements).
[136] Zavala Lopez c. Hoang Vu, 2024 QCTDP 7, par. 64. Voir, à titre d’exemple, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaumont) c. Delisle, 2013 QCTDP 17 (demande en rétractation de jugement rejetée, 2013 QCTDP 33).
[137] Aluminerie de Bécancour inc., préc., note 130, par. 52.
[138] 2021 QCCA 1185 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 31-03-2022, 39880).
[140] Id., 67 (Références omises) (Notre soulignement).
[141] Clinique juridique itinérante c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 182, par. 14.
[142] Voir, par analogie, Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, par. 39 et 48 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 144 ; Miller, préc., note 108, par. 175 ; Mensah, préc., note 111, par. 69 ; Rezko, préc., note 95, par. 178.
[144] J. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 71, p. 765 (par. I-683).
[145] Ward, préc., note 88, par. 36 ; Bombardier, préc., note 89, par. 48-52 ; Nkamba, préc., note 111, par. 23 ; Nyembwe, préc., note 108, par. 314 et 315 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 131, 145 et 146.
[146] Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2015 QCCA 1397, par. 41 (Nos soulignements).
[147] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal, 2017 QCCA 286, par. 86 et 87 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 17-08-2017, 37538) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Côté, 2015 QCCA 1544, par. 28 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Huard et une autre) c. Karimi, 2021 QCTDP 12, par. 44 (Huard) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Agnant et autres) c. 2955-5158 Québec inc. (Restaurant pub O’Toole), 2000 CanLII 16 (QC TDP), par. 51.
[148] Bombardier, préc., note 89, par. 40 et 41 ; Nkamba, préc., note 111, par. 25 ; Nyembwe, préc., note 108, par. 297 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 147 ; Miller, préc., note 108, par. 195 et 196 ; Dagobert, préc., note 96, par. 142 et 143 ; Rezko, préc., note 95, par. 184.
[149] COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE (CAMPBELL et EID), préc., note 98, p. 87 à 89.
[150] Pièce P-6, Céline BELLOT, Surveillance, contrôle et judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Montréal, Rapport d’expert, Décembre 2022, p. 9 et 10.
[151] Plan d’argumentation de la Ville de Montréal, 23 novembre 2023, p. 4 (par. 6).
[152] Pièce P-14, Extraits de l’interrogatoire préalable à l’instruction de M. André Ayotte, 1er novembre 2022, p. 65 et 66 (Notre soulignement).
[153] Pièce P-13, Extraits de l’interrogatoire préalable à l’instruction de M. François Proulx, 27 octobre 2022, p. 40 à 42.
[154] Pièce P-16, Extraits de l’interrogatoire préalable à l’instruction de M. Daniel Raymond, 28 octobre 2022, p. 45 et 46.
[155] Aluminerie de Bécancour inc., préc., note 130, par. 68 citant l’arrêt Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 86.
[156] C. BELLOT, préc., note 150, p. 13. Comme la Cour supérieure l’affirme dans l’affaire R.L. c. Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2021 QCCS 3784, par. 145 (demande en rétractation de jugement rejetée, CS, 25-11-2021, 500-17-109412-190) : « Poverty is not a choice ».
[157] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 53.
[158] Pièce P-19, Rapport complémentaire, page 1.
[159] Pièces P-19 (p. 9) et D-1 (p. 12), Relevés informatisés des antécédents judiciaires. Nous avons anonymisé les noms des professionnels de la santé.
[160] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 14.
[162] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 25.
[164] C. BELLOT, préc., note 150, p. 17.
[165] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 37 et 38.
[166] Pièce P-2, État de renseignement d’une association au registre des entreprises.
[168] Pièce P-14, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. André Ayotte, 1er novembre 2022, p. 33.
[169] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 113.
[170] Id., p. 119 et 120 (Notre soulignement).
[171] Pièce P-14, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. André Ayotte, 1er novembre 2022, p. 66.
[173] Pièce D-22, Constats d’infractions émanant d’agents de stationnement.
[174] Pièce D-23, Constats d’infractions émis par des agents de police.
[175] Pièce D-28, Situation 2015-2019 / Localisation approximative des espaces de stationnement accessibles à tous les automobilistes.
[176] Bombardier, préc., note 89, par. 52, 56 et 95.
[177] Plan d’argumentation de la Ville de Montréal, 23 novembre 2023, p. 47 (par. 237).
[179] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 38 (par. 130).
[180] C. BELLOT, préc., note 150, p. 33.
[183] Marilyne COUPIENNE et Édith PERRAULT, « De la rue à la prison et de la prison à la rue : une analyse du caractère cruel et inusité de l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes des personnes en situation d’itinérance », (2020) 50-1 RGD 285, p. 291 : « […] la visibilité des [personnes en situation d’itinérance] dans les territoires publics […] les rend plus vulnérables au profilage social et à la remise de constats d’infraction ».
[184] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), préc., note 142, par. 65 ; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, préc., note 88, par. 53 et 87 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Poulin) c. Manufacture Frameco ltée, 2021 QCTDP 21, par. 56 (Poulin) ; Huard, préc., note 147, par. 31 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 150 ; El Harrad c. Azizi, 2019 QCTDP 27 ; Daniel PROULX et Frédérick DOUCET, « Le droit à l’égalité », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit constitutionnel », LexisNexis Canada, 2024, par. 112 et suiv.
[185] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, id., par. 53.
[186] R.O. c. Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, préc., note 138, par. 49 et 51.
[187] Bombardier, préc., note 89, par. 53.
[188] Id., par. 54 ; Toussaint, préc., note 108, par. 247-249 ; Baril c. Gestion Lisette & Pierre inc. (Boutique Click), 2021 QCTDP 30, par. 55 ; DeBellefeuille, préc., note 97, par. 129 et 150 ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 43.
[189] Ward, préc., note 88, par. 139 ; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, préc., note 88, par. 53.
[191] Dans sa Demande introductive d’instance re-re-remodifiée du 12 avril 2023, elle invoque les droits et libertés garantis par les articles 1, 4, 5, 7, 10.1, 12, 15, 24 et 25 de la Charte.
[192] Miller, préc., note 108, par. 228.
[193] Id., par. 229 (Notre soulignement).
[194] Ces propos sont tirés de l’opinion dissidente de la juge en chef de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Boudreault c. R., 2016 QCCA 1907, aux paragraphes 96 et 97. L’appel de cet arrêt a été accueilli par une majorité de juges de la Cour suprême du Canada, laquelle confirme cette dissidence : R. c. Boudreault, 2018 CSC 58.
[195] C. BELLOT, préc., note 150, p. 45 et 46.
[196] La preuve prima facie ou à première vue est « une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire qu’il y a discrimination », c’est-à-dire une preuve « qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante […] » : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, p. 558 ; Bombardier, préc., note 89, par. 59 et 60.
[197] Bombardier, id., par. 64 et 65 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Woodley) c. Ville de Laval, 2024 QCTDP 6, par. 44 (demande pour permission d’appeler accueillie, 2024 QCCA 1141).
[198] Bombardier, id., par. 64 ; Nkamba, préc., note 111, par. 28 et 29 ; Bazelais, préc., note 117, par. 205 et 206.
[199] Bombardier, préc., note 89, par. 3, 34-37 et 64 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bellemare) c. Club de soccer Les Braves d’Ahuntsic, 2024 QCCA 462, par. 40.
[200] Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3, par. 25-29 (Caron) ; Hydro‐Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, par. 11 (Hydro-Québec) ; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, par. 50 (CUSM) ; Colombie‐Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 RCS 3 (Meiorin), par. 54 ; Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201, par. 39-42 (Gaz métropolitain) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Samson-Thibault) c. Ville de Québec, 2023 QCTDP 2, par. 57-61 (Samson-Thibault) ; Poulin, préc., note 184, par. 61.
[201] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9185-2152 Québec inc. (Radio Lounge Brossard), 2015 QCCA 577, par. 43 et suiv. (Radio Lounge) ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 46 et suiv. ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Khouas et un autre) c. Centre à la petite enfance Gros Bec, 2008 QCTDP 14, par. 112 et suiv. (Khouas).
[202] Miller, préc., note 108, par. 211-229.
[205] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 (Grismer).
[206] Nous maintenons que l’élément de preuve subjectif de la bonne foi ou de la croyance sincère n’est toutefois pas applicable dans le contexte de la Charte québécoise : Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Coeur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, par. 52 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 21-03-2013, 35130) (CHRTR) ; Gaz Métropolitain, préc., note 200, par. 40 ; Samson-Thibault, préc., note 200, par. 64 ; Poulin, préc., note 184, par. 61 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bellfoy et autres) c. Société des casinos du Québec inc., 2011 QCTDP 17, par. 97 (demande pour autorisation d’appeler refusée, 2011 QCCA 2314).
[208] Meiorin, préc., note 200, par. 25 et 54.
[209] Grismer, préc., note 205, par. 20 et 21.
[210] CUSM, préc., note 200, par. 50 ; Gaz métropolitain, préc., note 200, par. 39-42.
[211] Radio-Lounge, préc., note 201, par. 52.
[212] Id., par. 45 et 52 (Notre soulignement).
[213] Comparer la formulation du critère de justification dans Meiorin, préc., note 200, par. 54 et son application concrète dans Grismer, préc., note 205, par. 21 : « Par contre, le fait que la norme imposée exclue certaines catégories de personnes ne constitue pas de la discrimination si la politique ou la pratique en cause est raisonnablement nécessaire à la réalisation d’un but ou objectif approprié et si l’accommodement sans qu’il en résulte une contrainte excessive a été incorporé dans la norme » (Notre soulignement).
[214] Chapdelaine c. Air Canada, 1987 CanLII 102 (TCDP).
[215] Meiorin, préc., note 200, par. 74 et 82. Voir en ce sens : Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski c. St-Laurent, 2011 QCCS 1114, par. 36, 44 et 45 (demande pour permission d’appeler refusée, 2011 QCCA 915) ; Regroupement des centres d’hébergement et de soins de longue durée des Trois-Rives c. Laberge, 2001 CanLII 24977 (QC CS).
[216] Gaz Métropolitain, préc., note 200, par. 36.
[217] Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624, par. 79.
[218] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 RCS 525, p. 544.
[219] Caron, préc., note 200, par. 20 et 30.
[220] Id., par. 35 ; Desroches c. Commission des droits de la personne, 1997 CanLII 10586 (QC CA), par. 88 ; Pierre BOSSET, « Les fondements juridiques et l’évolution de l’obligation d’accommodement raisonnable », dans Myriam JÉZÉQUEL (dir.), Les accommodements raisonnables : quoi, comment, jusqu’où ? », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 3, aux pages 10 et 16.
[221] Grismer, préc., note 205, par. 22 ; Radio Lounge, préc., note 201, par. 47.
[222] Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, par. 134 (Via Rail) ; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, préc., note 218, p. 546 ; Samson-Thibault, préc., note 200, par. 103 ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 61.
[223] Via Rail, id., par. 187 ; Toussaint, préc., note 108, par. 289 ; Commission des droits de la personne (Dabel) c. Lingerie Roxana ltée, 1995 CanLII 10774 (QC TDP), p. 10 et 11 (.pdf).
[224] Caron, préc., note 200, par. 28 et 29 ; CUSM, préc., note 200, par. 22 ; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec – Université Laval, 2020 QCCA 857, par. 77 et 78 ; Toussaint, préc., note 108, par. 262 ; Poulin, préc., note 184, par. 70 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Du Castel) c. Pause Café Impérial inc., 2018 QCTDP 25, par. 129-135.
[225] Via Rail, préc., note 222, par. 134 ; Toussaint, id., par. 258-261 ; Poulin, id., par. 65 ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 52 et 53 ; Khouas, préc., note 201, par. 119 et 120.
[226] CUSM, préc., note 200, par. 22 et 38 ; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, p. 991 à 994 (Renaud) ; Autobus Legault inc. c. Québec (Commission des droits de la personne), 1998 CanLII 12534 (QC CA) (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 10-11-1997, 27073).
[227] Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, préc., note 196, p. 555 ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 64 et 65 ; Khouas, préc., note 201, par. 177-212.
[228] Le défendeur Proulx évoque une « population flottante ».
[229] Dans l’arrêt Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 RCS 1084, p. 1105, la Cour suprême du Canada reconnaît qu’un règlement municipal qui cherche notamment à éviter « les dangers pour la circulation » poursuit un objectif « urgent et réel ».
[230] Outremont (Ville d’) c. Lefloch, J.E. 91-734 (C.S.) ; Savoie c. Boucherville (Ville de), 2001 CanLII 19442 (QC CS).
[231] R. c. Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541, p. 559.
[232] R. c. Boudreault, préc., note 194, par. 62.
[233] R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 47.
[234] Outremont (Ville d’) c. Lefloch, préc., note 230, p. 14 (.pdf).
[235] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec – Université Laval, préc., note 224, par. 56 et 59.
[236] P. BOSSET, préc., note 220, p. 7 (.pdf).
[237] R. c. N.S., 2012 CSC 72 ; El-Alloul c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1611.
[239] Miller, préc., note 108 ; Alok MUKHERJEE, « Police and the Duty of Reasonable Accommodation », dans Christian BRUNELLE et Patrick MOLINARI (dir.), Accommodements raisonnables et rôle de l’État : un défi démocratique, Montréal, Institut canadien d’administration de la justice, 2009, p. 234.
[240] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 73 (par. 195).
[241] Pièce D-33, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Guylain Levasseur, 14 juillet 2022, p. 67 et 68.
[242] Pièce P-20, Courriel du 29 mars 2019 de la policière Virginie Côté de l’EMRII en réponse à une demande du policier Proulx ; Courriel du 12 décembre 2022 de Mme Vanessa Lepage confirmant que « le signalement remonte avant le 20 octobre 2017 ».
[244] Montréal (Ville de) c. Chereau, 2014 QCCM 249, par. 34.
[245] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, p. 83.
[246] R. c. Beaudry, préc., note 243, par. 35.
[247] Pièce D-23, p. 16 et 17, Constat d’infraction no 755 043 811 (16 mai 2015).
[248] Id., p. 80 et 81, Constat d’infraction no 755 035 665 (10 septembre 2015).
[249] Id., p. 83, Constat d’infraction no 817 323 080 (15 septembre 2015).
[250] Pièce D-24, p. 11, Constat d’infraction no 755 038 933 (26 juin 2018).
[251] Id., p. 14, Constat d’infraction no 835 215 032 (30 juin 2018).
[252] Pièce D-22, p. 92 et 94, Constats d’infractions nos 441 788 012 (8 août 2018) et 441 830 060 (9 août 2018).
[253] Id., p. 111 et 114, Constats d’infraction nos 443 669 962 (3 octobre 2018) et 444 109 212 (17 octobre 2018).
[254] Pièce P-4, Entente de paiement par versement. Voir également : Pièce D-38, Décision du juge administratif Richard W. Iuticone, Comité de déontologie policière, et les constats qui y sont faits par les instances de déontologie policière.
[255] Samson-Thibault, préc., note 200, par. 182.
[256] Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, par. 53.
[257] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 69.
[258] Plan d’argumentation de la partie demanderesse, 24 novembre 2023, p. 80.
[263] Singh c. Montréal Gateway Terminals Partnership, 2019 QCCA 1494, par. 40 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 30-04-2020, 38916) ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gravel) c. 9228-0908 Québec inc. (Domaine du Radar), 2024 QCTDP 16, par. 93-95 ; Joulani-Varzeghani c. SDC Le Frontenac II, 2021 QCTDP 16, par. 86 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Leclerc) c. Repentigny (Ville de), 2003 CanLII 68798 (QC TDP), par. 69 (demande pour permission d’appeler refusée, CA, 12-03-2003, 500-09-013080-031) ; Syndicat des professionnelles et professionnels en milieu scolaire du Nord-Ouest (SPPMSNO) et Commission scolaire Crie, 2025 QCTA 8, par. 70-72 ; Syndicat des employés et des employées de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (SECDPDJ-CSN) et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), 2024 QCTA 320, par. 79-81, 92 et 93.
[264] Davis v. Royal Canadian Mounted Police, 2024 FCA 115, par. 33 : « It is the responsibility of the disabled individual to bring the facts relating to the discrimination they are experiencing to the attention of the employer or service provider […]. » ; Desormeaux c. Ottawa (Corporation de la Ville de), 2005 CAF 311, par. 19 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 23-03-2006, 31230) ; Sébastien PARENT, « Quand l’obligation d’accommodement raisonnable vole au secours de la victime de harcèlement psychologique », (2017) 76 R du B 471, p. 494 : « Une fois la limitation fonctionnelle émise par le médecin du salarié, celui-ci a l’obligation d’en informer son employeur et de fournir tous les renseignements nécessaires quant à sa condition mentale, en plus d’offrir sa pleine collaboration à la recherche d’un accommodement » (Notre soulignement).
[266] Id., par. 86. Voir dans le même sens : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), 2022 QCCA 1577.
[267] 2023 QCCS 3957 (demande pour permission d’appeler refusée, 2024 QCCA 1204).
[269] Id., par. 50-52 et 54 (Nos soulignements).
[270] Lessard-Gauvin c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec, 2024 QCCA 1204, par. 10 (Nos soulignements).
[271] CUSM, préc., note 200, par. 22. Dans un article signé par l’ex-juge de la Cour suprême du Canada, l’honorable Ian BINNIE, « Putting Reasonable Accommodation in Historial Perspective », dans BRUNELLE et MOLINARI (dir.), préc., note 239, p. 7, celui-ci écrit, à la page 21 : « […] there seems to be a general agreement that reasonable accommodation is a two-way street » (Notre soulignement). Ce faisant, il cite avec approbation cet extrait tiré du Rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’Avenir, le temps de la réconciliation [Rapport Bouchard-Taylor], Québec, 2008, page 21 : « Les demandeurs qui font preuve d’intransigeance, refusent la négociation et vont à l’encontre de la règle de la réciprocité compromettent lourdement leur démarche » (Notre soulignement). Voir aussi PROULX et DOUCET, préc., note 184, par. 141.
[272] CUSM, id., par. 38 ; Renaud, préc., note 226, p. 994 et 995 ; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, préc., note 196, p. 555 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G. J.-C.) c. Ville de Gatineau, 2022 QCTDP 22, par. 123 ; El Harrad c. Azizi, préc., note 184, par. 64 et 65 ; Khouas, préc., note 201, par. 177 et suiv.
[275] Khouas, préc., note 201, par. 208 : « […] certaines limites à l’accommodement raisonnable s’imposent là où le déraisonnable devient facteur de contrainte excessive ».
[276] Mme Isabelle Raffestin, directrice générale de la Clinique Droits Devant au moment des faits, reconnaît que les ententes par versements conclues en vertu du PAPSI sont une « manière de mobiliser ces personnes-là » afin de régulariser leur situation pour « s’en sortir ».
[277] Pièce D-3, Directive administrative no D20-PE-01, 27 novembre 2020.
[278] Pièce D-28, Situation 2015-2019 / Localisation approximative des espaces de stationnement accessibles à tous les automobilistes.
[279] Voir, à titre d’exemples, Pièce D-24, p. 12, Rapport d’infraction abrégé du sergent Ayotte (constat no 755 038 933) et p. 179, Rapport d’infraction abrégé de l’agent Wagnac (constat no 835146815).
[280] Plan d’argumentation de la Ville de Montréal, 23 novembre 2023, p. 47 (par. 236).
[281] Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 1240 (par. XII-7.63).
[282] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 2995 c. Spreitzer, 2002 CanLII 27275 (QC CA), par. 89 ; Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) c. Guay, 2021 QCCS 4874, par. 44 ; Khouas, préc., note 201, par. 207 ; Anne-Marie LAFLAMME et Sophie FANTONI-QUINTON, « L’obligation d’accommodement au Canada et l’obligation française de reclassement : convergences, divergences et impacts sur le maintien en emploi du salarié en état d’incapacité », (2009) 3-1 RDSM 121, p. 136.
[283] Pièce D-23, p. 172, Rapport complémentaire (Dossier MTLEV180061392).
[284] Pièce D-24, p. 11 et 12, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 755038933).
[285] Id., page 179, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 835146815).
[286] Id., page 174, Complément du rapport d’infraction général.
[287] Pièce D-25, p. 11, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 304877204).
[288] Pièce D-11, Rapport d’incident de l’agent Proulx (Dossier MTLEV1800688498), 13 juillet 2018, p. 3.
[289] Id., p. 4, à 0 h 35 ; Rapport complémentaire de l’agent Fortin, 12 juillet 2018, 22 h 14 ; Rapport complémentaire de l’agent Raymond, 12 juillet 2018, 23 h 38 ; Rapport complémentaire de l’agent Wagnac, 13 juillet 2018, 16 h 26.
[290] Pièce D-12, Rapport d’incident de l’agent Wagnac (Dossier MTLEV1800728299) ; Pièce D-13, Rapport d’incident de l’agent Wagnac (Dossier MTLEV1800736546).
[291] Pièce D-14, p. 5, Déclaration de témoin de M. Robert Mostaway, 14 août 2018.
[292] Pièce D-22, p. 97, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 441958252).
[293] M. Luc Coulombe déclare que seuls les véhicules commerciaux dont la plaque d’immatriculation débute par les lettre F ou L sont autorisés à utiliser ces zones, tout en précisant : « La livraison terminée, vous devez quitter ».
[294] Pièce D-24, p. 23 et 24, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 755037393).
[295] Id., p. 25, Constat d’infraction no 755037404.
[296] Pièce D-27, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 320318552).
[298] Pièce D-27, p. 15, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 835821910).
[299] Pièce D-24, p. 28 et 29, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 312469043).
[300] Pièce D-22, p. 98, Constat d’infraction no 441 917 136.
[301] Pièce D-15, p. 2, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800814867).
[302] Pièce D-25, p. 13, Constat d’infraction no 755035960.
[303] Pièce D-15, p. 2, Rapport d’incident (Dossier MTLEV1800814867).
[305] Pièce D-27, p. 19, Constat d’infraction no 835968346.
[306] Pièce D-17, Constat d’infraction no 835968350.
[309] Pièce P-15, Interrogatoire préalable à l’instruction de M. Wesley Karl Tait, 19 octobre 2022, p. 85 (Notre soulignement).
[310] Sur une photographie mise en preuve (Pièce D-48), l’on constate la présence de cinq policiers, sans que l’on puisse déterminer où en était rendue l’intervention à ce moment.
[311] Pièce D-18, p. 2, Rapport d’incident (Dossier MTLEV 1800845226).
[312] Pièce D-23, p. 190 et 191, Rapport d’infraction abrégé (Constat no 320587470).
[313] Id., p. 226, Constat d’infraction no 838162485.
[314] Id., p. 227, Constat d’infraction no 320319425.
[316] Habachi c. Commission des droits de la personne, 1999 CanLII 13338 (QC CA), p. 24 (.pdf) (j. Deschamps, diss.).
[317] Id., p. 5 (j. Baudouin) ; Audige c. Robert, 2021 QCTDP 25, par. 35 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Blais et un autre) c. Tardif, 2019 QCTDP 20, par. 49 (Blais).
[318] H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 281, p. 1247 (par. XII.7.86).
[319] Notons cependant que depuis le 1er juin 2022, la disposition justificative de l’article 9.1 de la Charte s’applique désormais à l’ensemble des droits et libertés garantis, incluant la protection contre le harcèlement discriminatoire de l’article 10.1 (Autorité des marchés financiers c. Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, 2024 QCCA 1500, par. 58). Toutefois, l’article 9.1, tel que modifié depuis le 1er juin 2022, ne s’applique pas aux faits du présent litige qui sont tous antérieurs à cette date.
[320] Commission des droits de la personne du Québec (Kafé) c. Commission scolaire Deux-Montagnes, préc., note 315, p. 39 (.pdf).
[322] 2008 QCCS 3694, conf. par 2010 QCCA 1705.
[325] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lippé) c. Québec (Procureur général), préc., note 315, par. 141 (Nos soulignements).
[326] Timm c. Canada, 2019 CF 238, par. 104, conf. par 2019 CAF 279 (demande pour autorisation d’appeler refusée, CSC, 07-05-2020, 39010) ; Blais, préc., note 317, par. 53.
[327] V.D. c. G.De, préc., note 322, par. 93.
[328] Blais, préc., note 317, par. 50 et 51. Voir également : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Ye) c. Mitrovic, 2013 QCTDP 16, par. 22 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Marseille) c. Laverdière, 2008 QCTDP 15, par. 24-28.
[329] Blais, id., par. 53.
[330] Mme Isabelle Rochon-Goyer, intervenante communautaire auprès des jeunes de la rue, évoque une « dynamique assez explosive ».
[331] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beydoun) c. Dimopoulos, 2012 QCTDP 9, par. 33 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Ye et un autre) c. Lapierre-Roy, 2012 QCTDP 1, par. 90.
[332] Gagné c. Ville de Saguenay, 2019 QCCS 2273, par. 168.
[333] De fait, il y a des différences — de nature et de degré — entre les actes « harcelants », d’une part, et ceux qui sont simplement « irritants » ou « incommodants », d’autre part : Timm c. Canada (CF), préc., note 326, par. 34.
[334] 2016 QCCS 1865, conf. par 2018 QCCA 282.
[336] Doucet c. Ville de Saint-Eustache, 2018 QCCA 282.
[337] Voir, à titre d’exemples, Ihejirika c. Ville de Montréal (SPVM), 2022 QCCQ 8838, par. 8 et 17-21 ; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lacasse, 2012 QCCQ 14521, par. 24, 28 et 37-42 (demande pour permission d’appeler sur la culpabilité refusée, 2014 QCCA 14) ; Commissaire à la déontologie policière c. Gervais, 2002 CanLII 49300 (QC TADP), par. 117-119.
[338] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Boutin et une autre) c. Immeuble Shirval inc., 2010 QCTDP 14, par. 36.
[339] Voir la jurisprudence citée, préc., note 121.
[340] Bombardier, préc., note 89, par. 103 (Nos soulignements).
[341] Ben A. MCJUNKIN, « The Negative Right to Shelter », (2023) 111 Cal L Rev 127 ; C. BELLOT, préc., note 150, p. 13 et suiv.
[342] À l’audience, M. Laurent Dyke, policier et conseiller stratégique en itinérance pour le SPVM, a dit de l’itinérance véhiculaire qu’elle était « presque inexistante » au Centre-Ville entre 2015 et 2019 : « J’en n’avais pas vu ». De son côté, M. Sylvain Sauvageau, qui dirige la Direction Surveillance et contrôle du stationnement et de la mobilité pour l’Agence de la mobilité durable de la Ville, a déclaré que c’était la première fois qu’il était informé de ce type d’itinérance et que l’Agence « ne s’attarde pas à ça ».