Décision

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Bolduc c. Comité sur la sténographie

2020 QCCS 2612

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

 

 

No :

500-17-112714-202

 

 

 

DATE :

11 août 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

 

______________________________________________________________________

 

OLIVIER BOLDUC

-et-

TATIANA PICARD

Demandeurs

c.

COMITÉ SUR LA STÉNOGRAPHIE

Défendeur

-et-

ACADÉMIE DE STÉNOGRAPHIE OFFICIELLE DU QUÉBEC

(ASOQ) INC.

-et-

ÉCOLE DE STÉNOGRAPHIE JUDICIAIRE DU QUÉBEC

Mises en cause

______________________________________________________________________

 

Transcription des motifs révisés

du jugement rendu oralement

le 8 juillet 2020[1]

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]          Olivier Bolduc (M. Bolduc) et Tatiana Picard (Mme Picard) sont tous les deux sténographes officiels au Québec.

[2]          Ils demandent une injonction à l’étape provisoire dont les conclusions sont rédigées ainsi :

Au stade de I'injonction provisoire

ACCUEILLIR la présente demande d'injonction provisoire pour une durée de dix (10) jours du jugement à intervenir;

DISPENSER les demandeurs de fournir un cautionnement pour frais;

ORDONNER I'exécution provisoire de l'ordonnance nonobstant appel;

ORDONNER qu’aucun étudiant ou finissant de l'Académie de sténographie officielle inc. ne puisse se présenter ou passer les examens visant à être reçu sténographe officiel pour une période de dix (10) jours;

ORDONNER au Comité de la sténographie et à I'Académie de sténographie officielle inc. de publier la présente ordonnance sur leur site internet respectif;

1.      Les parties

1.1  L’Académie de sténographie officielle du Québec (ASOQ) inc.

[3]          L’Académie de sténographie officielle du Québec (ASOQ) inc. (l’ « Académie ») est une entreprise qui existe depuis la fin de l’année 2018.

[4]          Elle est reconnue pour dispenser de l’enseignement en sténographie par le Comité sur la sténographie (le « Comité ») à sa séance du 19 novembre 2018[2] et forme des candidats à la profession depuis le mois de mars 2019.

[5]          Le 14 mars 2019, l’Académie est ajoutée à la liste des établissements reconnus pour prodiguer la formation et livrer une attestation équivalente à l’École de sténographie judiciaire du Québec (l’« École ») afin de permettre aux candidats de passer l’examen du Comité sur la sténographie.

[6]          Cette liste est publiée sur le site Web du Barreau du Québec.

[7]          Au début de mars 2019, I'Académie lance un site lnternet pour annoncer son ouverture; les demandeurs sont au courant[3].

1.2  L’École de sténographie judiciaire du Québec

[8]          L’École de sténographie judiciaire du Québec offre elle aussi la formation en sténographie judiciaire.

[9]          Elle est nommée dans le Règlement sur la formation, le contrôle de la compétence, la délivrance d’une attestation et la discipline des sténographes[4] (le Règlement), qui est adopté en 2006, comme un établissement dont les diplômés peuvent s’inscrire à l’examen de sténographie organisé par le Comité sur la sténographie.

1.3  Le Comité sur la sténographie

[10]        Le Comité est créé par la Loi sur le Barreau[5]. Il organise les examens et délivre les attestations aux sténographes qui réussissent l’examen. Ces pouvoirs sont énumérés à l’article 140.4 la Loi sur le Barreau[6] qui se lit comme suit :

140.4. Le Comité doit par règlement :

1°         déterminer les règles, conditions et modalités relatives à la formation, au contrôle de la compétence, à la délivrance d'une attestation et à la discipline des sténographes;

2°         fixer le montant des frais exigibles pour les examens auxquels les candidats doivent se soumettre ainsi que le montant de la cotisation annuelle que les sténographes admis à exercer doivent verser au Barreau, déterminer la portion de cette cotisation qui doit être affectée à la formation, fixer les modalités du versement de ces frais et cotisations, le délai dans lequel ils doivent être versés et les conséquences du défaut de les verser;

3°         déterminer son fonctionnement.

Pour prendre un règlement, le quorum du comité est d'au moins trois membres. Un règlement doit être pris à la majorité des membres présents. Toutefois, cette majorité doit comporter le vote d'au moins un des avocats désignés conformément au paragraphe 1° du premier alinéa de I'article 140.2 et le vote d'au moins un des sténographes désignés conformément au paragraphe 2° du même alinéa.

[11]        Le Règlement prévoit :

SECTION I

ATTESTATION DE STÉNOGRAPHE

1.          Une attestation de sténographe est délivrée par le Comité sur la sténographie au candidat qui satisfait aux conditions suivantes:

1°         il a réussi I'examen du Comité sur la sténographie prévue à Ia section ll ou il a réussi l'épreuve théorique de cet examen et est titulaire d'une autorisation légale d'exercer la sténographie délivrée par I'autorité compétente des provinces de I'Alberta, de I'Ontario ou de la Saskatchewan, d'un Certificate of Proficiency ou d'un Certificate of Achievement de la British Columbia Shorthand Reporters Association;

2°         il n'a pas fait l'objet d'une décision d'un tribunal canadien ou étranger le déclarant coupable d'une infraction criminelle qui, de I'avis du comité, a un lien avec I'exercice de la sténographie, sauf s'il a obtenu le pardon;

3°         il a payé la cotisation prescrite à l'article 11;

4°         il a prêté Ie serment d'office devant un juge de la Cour supérieure.

Pour Ie titulaire qui a réussi I'examen du Comité sur la sténographie visé à la section Il, l'attestation doit indiquer, entre autres s'il a réussi son examen en français ou en anglais ainsi que la méthode qu'il a utilisée lors de l'épreuve de sténographie, soit la sténographie proprement dite, la sténotypie ou le sténomasque. Elle doit indiquer, pour le titulaire d'une autorisation légale d'exercer la sténographie délivrée par l'autorité compétente des provinces de I'Alberta, de I'Ontario ou de la Saskatchewan, d'un Certificate of Proficiency ou d'un Certificate of Achievement de la British Columbia Shorthand Reporters Association, la langue et la méthode reconnues par cette autorisation légale ou par ce certificat.

L'attestation vaut pour chacune des méthodes et des langues qui y sont indiquées.

[12]        Et à la section II :

SECTION II

EXAMEN

§1. - Conditions d'admissibilité

2.          Pour être admissible à l'examen, un candidat doit satisfaire aux conditions prévues à I'un ou I'autre des paragraphes suivants:

1°         être titulaire du diplôme de l'École de sténographie judiciaire du Québec;

2°         être titulaire d'un diplôme d'études collégiales (D.E.C.) ou de son équivalent, avoir suivi la formation menant à l'épreuve théorique de I'examen prévu à la présente section et être titulaire d'une attestation de formation en sténographie décernée par un organisme reconnu par le Comité sur la sténographie ou avoir une expérience reconnue pertinente par ce comité.

Aux fins de la reconnaissance de l'expérience pertinente, Ie comité examine la méthode et la langue utilisées ainsi que la nature et la durée de I'expérience;

3°         être titulaire d'une autorisation légale d'exercer la sténographie délivrée par l'autorité compétente des provinces de l’Alberta, de l'Ontario ou de Ia Saskatchewan, d'un Certificate of Proficiency ou d'un Certificate of Achievement de la British Columbia Shorthand Reporters Association;

4°         être titulaire d'une attestation de sténographe délivrée par le Comité sur la sténographie.

2.      La Position des demandeurs

[13]        Le 27 septembre 2019, à titre de président de l’Association professionnelle des sténographes officiels du Québec, M. Bolduc, demande au Comité de suspendre le permis de l’Académie[7].

[14]        Malgré le Règlement, les demandeurs affirment que l’École est le seul organisme reconnu pour donner la formation[8].

[15]        Ils prétendent également que ce n’est que le 10 juin de cette année qu’ils savent que les étudiants de l’Académie sont éligibles à passer l’examen et que les examens se tiendront les 15 et 16 juillet.

[16]        Ils ajoutent que le Comité se sert de l’article 2(2) du Règlement de manière déraisonnable pour prioriser un nouvel organisme d’enseignement. À cet égard, il est utile de lire les paragraphes 69 et 70 de la demande :

69. La loi habilitante du Comité lui confère un devoir de réglementer de façon précise les modalités d'accès à la profession et non une discrétion de reconnaître sans autre formalité une institution touchant la formation de sténographes;

70. Le Comité ne peut, sans aller à I‘encontre de sa loi habilitante, reconnaître un organisme sans passer par la voie réglementaire de l'article 140.4 de la Loi sur le Barreau;

3.            Analyse

3.1  Introduction

[17]        La juge Baudouin offre une analyse utile de la démarche du Tribunal en matière d’injonction interlocutoire provisoire dans Municipalité de Saint-Adolphe-d'Howard c. Procureure générale du Québec (Ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques). Elle s’exprime en ces termes :

[14]       L’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire est soumise à un cadre strict et rigoureux puisque l’analyse faite par le Tribunal repose sur une preuve prima facie et incomplète.

[15]       En ce sens, bien que les critères d’émission de l’injonction provisoire soient essentiellement les mêmes que ceux requis pour l’émission d’une injonction interlocutoire, ils seront appliqués strictement par le Tribunal lors de son analyse, puisqu’il s’agit essentiellement d’une mesure exceptionnelle et urgente.

[16]       Aux fins de réussir dans son recours, la Municipalité a un lourd fardeau.

[17]       Outre de convaincre le Tribunal qu’elle satisfait aux trois critères nécessaires à l’émission d’une injonction, soit une apparence de droit, un préjudice sérieux et irréparable et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur, elle doit d’abord franchir l’étape de démontrer une réelle situation d’urgence. Faute de franchir cette première étape, sa demande doit être rejetée.[9]

3.2  Le droit apparent

[18]        Avec égards pour les demandeurs, le droit mis de l’avant par ceux-ci, qu’on aborde sur le thème du droit apparent ou celui de la question sérieuse, est très douteux sinon inexistant.

[19]        L’article 140.4 de la Loi, voulant que le Comité agisse par règlement, est en vigueur depuis 2001 et le Règlement, depuis 2006. Or, à l’article 1 de ce Règlement, on voit que l’attestation est délivrée à la personne qui a réussi l’examen et à l’article 2, on remarque que la personne ayant un DEC et ayant suivi la formation discernée par un organisme reconnu par le Comité est éligible à passer l’examen.

[20]        Rien n’indique que le Comité doit procéder par règlement avant d’approuver un organisme de formation et par ailleurs, la preuve démontre qu’il a déjà approuvé plusieurs organismes qui dispensent une formation.

[21]        Les demandeurs soutiennent que si les étudiants de l’Académie se présentent pour passer les examens, il y aura alors une violation claire d’une loi d’intérêt public, vu les failles tant dans le programme que dans son approbation par le Comité, d’où leur intérêt d’intenter la demande.

[22]        Le dossier ne permet pas à ce stade de conclure que le Comité n’a pas suivi un processus rigoureux en approuvant l’Académie. Le Tribunal ajoute que le dossier comporte des éléments de rancune en relation avec la démarche de Mmes Turcot et Morand de fonder l’Académie. On peut se questionner si les demandeurs et l’École cherchent à protéger leurs intérêts privés, bien que le Tribunal n’ait pas à décider de cette question à ce stade.

[23]        Pourquoi viser uniquement l’Académie et non pas les huit autres organismes dont la formation est reconnue pour passer l’examen?

3.3  L’urgence

[24]        Le critère de l’urgence n’est pas satisfait non plus. De la demande introductive d’instance, on sait que c’est connu depuis mars 2019 que l’Académie est autorisée à donner la formation en sténographie et que ses finissants seront éligibles à passer l’examen.

[25]        De plus, en septembre, M. Bolduc alors président de l’Association, signe une lettre voulant que le permis de l’Académie soit suspendu. Quelle raison avait-il de demander la suspension du permis, autre que pour empêcher les étudiants de l’Académie de passer l’examen?

[26]        Bref, ce n’est pas le fait que l’on fixe les examens en juillet qui rend la situation urgente maintenant. On sait depuis plus d’un an que les étudiants de l’Académie se dirigent vers l’examen.

[27]        Comme dit la juge Baudoin dans Municipalité de Saint-Adolphe-d’Howard c. Procureure générale du Québec (Ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques) :

[20]       Pour satisfaire au critère de l’urgence, la Municipalité doit démontrer non seulement que l’intervention du Tribunal est nécessaire pour empêcher les travaux de déboisement imminents, ce qui correspond à l’urgence intrinsèque de la situation, mais aussi qu’elle a agi avec diligence pour faire valoir ses droits et donc que la situation de fait dans laquelle elle se trouve ne résulte pas de son inaction.[10]

(Référence omise)

[28]        Le Tribunal estime que les demandeurs n’ont pas été diligents dans leur demande.

3.4  La balance des inconvénients

[29]        On peut ajouter que ce manque de diligence joue un rôle dans la balance des inconvénients. Déjà, un groupe d’étudiants de l’Académie est prêt à passer l’examen du Comité. De leur interdire de le faire à ce stade leur causerait un inconvénient majeur alors que si les demandeurs l’avaient fait à la première occasion, on aurait pu possiblement l’éviter.

[30]        Les demandeurs estiment que leur droit est apparent donc qu’il n’y a pas d’inconvénient. Cela dit, de permettre à ces personnes de passer l’examen, vu la conclusion du Tribunal sur le droit du Comité d’approuver l’Académie ne créé pas un inconvénient pour l’intérêt public.

3.5  Le préjudice irréparable

[31]        Il ne semble pas y avoir de transgression d’une loi de l’ordre public et donc il n’y a pas de préjudice irréparable non plus, et surtout pas un qui concerne les demandeurs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]        REJETTE la demande d’injonction des demandeurs à l’étape provisoire;

[33]        AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________, thomas m. davis, j.c.s.

 

Me Guillaume Lavoie

Dusseault Lemay Beauchesne s.e.n.c.r.l.

Avocats des demandeurs

 

Me Tommie Anne Côté

Clyde & Cie Canada s.e.n.c.r.l.

Avocats du défendeur

 

Me Éric Potvin

Paquette & Associés Avocats inc.

Avocats de la mise en cause

Académie de sténographie officielle du Québec (ASOQ) inc.

 

Me Robert Baker

DeBlois Avocats s.e.n.c.r.l.

Avocats de la mise en cause

École de sténographie judiciaire du Québec

 

Date d’audience :

8 juillet 2020

 



[1]     Les motifs ont été remaniés uniquement pour en améliorer la présentation et la compréhension (Kellogg’s Company of Canada c. P.G. du Québec), [1978] C.A. 258, 259-260).

[2]     Pièce CO3.

[3]     Demande introductive d’instance en jugement déclaratoire, contrôle judiciaire et injonction interlocutoire, par. 37.

[4]     RLRQ, c. B-1, r. 13.

[5]     RLRQ, c. B-1.

[6]     Id.

[7]     Pièce P-24.

[8]     Demande introductive d’instance modifiée, par. 23.

[9]     2018 QCCS 78.

[10]    Id.

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