Gesca ltée c. Corporation Sun Media |
2013 QCCS 3689 |
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JP 1884 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-066444-111 |
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DATE : |
5 AOÛT 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
EVA PETRAS, J.C.S. |
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GESCA LTÉE |
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Demanderesse |
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c.
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CORPORATION SUN MEDIA |
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et |
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CANOË INC. |
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et |
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SOPHIE DUROCHER |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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I INTRODUCTION
[1] La demanderesse poursuit les défendeurs pour atteinte à la réputation.
II MISE EN CONTEXTE
[2] La demanderesse Gesca Ltée (« Gesca ») est une entreprise qui œuvre dans le domaine des médias et qui est propriétaire, entre autres, du quotidien La Presse.
[3] La défenderesse Corporation Sun Media œuvre dans le domaine des médias et publie le quotidien Le Journal de Montréal.
[4] La défenderesse Canoë Inc. exploite divers sites internet de nouvelles continues notamment sur les adresses canoë.ca, canoë.qc.ca et toile.com.
[5] La défenderesse Sophie Durocher est une journaliste et chroniqueuse de Sun Media qui publie régulièrement dans le Journal de Montréal une chronique ayant pour titre « Culture et médias », dans la section de ce journal intitulée « Arts et Spectacles ».
[6] Dans son édition du 17 juin 2011, à la page 46 de la section Arts et Spectacles, le Journal de Montréal publie un article intitulé « Les copains d’abord » écrit par la défenderesse Sophie Durocher[1] (l’ « Article »).
[7] Le même jour, l’Article est diffusé sur le site canoë.ca et continue à être diffusé depuis lors[2].
[8] L’Article résulte d’un historique de commentaires et chroniques par madame Durocher.
[9] En effet, depuis quelque temps, madame Durocher publie des articles ou chroniques dans le Journal de Montréal parlant de l’omniprésence (selon elle) des journalistes de La Presse sur les ondes de Radio-Canada. Elle parle aussi d’une entente « secrète » entre Gesca et la Société Radio-Canada (« Radio-Canada »), entente qui vise une certaine collaboration entre ces deux sociétés médiatiques.
[10] Entre autres, madame Durocher commence à utiliser le sobriquet « Radio-Gesca» dans ses articles.
[11] Le 16 juin 2011, La Presse publie un article de Marc Cassivi intitulé « Ce n’est plus un secret »[3]. Les passages clefs sont les suivants :
Ce n’est plus un secret : Catherine Perrin succédera à Christiane Charette à la Première Chaîne de Radio-Canada, en septembre. Ce n’est un secret pour personne : Catherine Perrin est cultivée, brillante, curieuse, pertinente. J’ai secrètement parié un p’tit 20 $ qu’elle aurait le job. Une question de feeling, comme dirait l’autre.
Attendez. En vantant les mérites d’une consoeur de Radio-Canada, viens-je encore de donner des munitions à ceux qui dénoncent les effets pernicieux de l’entente secrète Radio-Canada-Gesca? Misère.
Vous ne le savez pas, puisque c’est un secret bien gardé, mais l’entente secrète Radio-Canada-Gesca, rendue publique par communiqué de presse le 19 janvier 2001 (donc extrêmement secrète), prévoyait une collaboration entre Radio-Canada et Gesca, propriétaire entre autres de La Presse, pour des événements spéciaux et autres promotions, notamment sur l’internet.
L’entente, on ne peut plus secrète, n’est plus en vigueur depuis 2003. Mais le secret demeure : s’il n’y a plus d’entente secrète, y a-t-il donc mésentente secrète? Et pourquoi l’entente secrète est-elle toujours réputée secrète si elle a été rendue publique il y a 10 ans? Mystère.
J’ai beau examiner le tableau de tous les angles possibles, je n’arrive pas à comprendre pourquoi Radio-Canada n’a pas signé une entente secrète avec le Journal de Montréal, propriété de Quebecor - également détenteur de TVA, son principal concurrent -, plutôt qu’avec Gesca. Ce n’est pas logique …
La presse, qui ne s’en cache pas, fait plus que quiconque une place de choix au journalisme d’opinion, contrairement à Radio-Canada, qui pratique de manière plus uniforme un journalisme d’objectivité. Pourquoi diantre Radio-Canada ferait appel à des éditorialistes et chroniqueurs de La Presse pour commenter des actualités que ses propres journalistes ne peuvent commenter avec la même liberté de ton?
Pourquoi Le Devoir, qui a quoi, deux ou trois columnists dans ses pages, n’est pas aussi présent sur les ondes de Radio-Canada que La Presse, qui compte une vingtaine de columnists et au moins quatre fois plus de journalistes? Et pourquoi Richard Martineau, pourtant libre de toute activité professionnelle un dimanche sur deux entre 13 h 24 et 14 h 18, n’a pas sa propre émission à la radio publique?
La situation, je vous ne le cacherai pas, me semble scandaleuse. Aussi, j’en aurais volontiers fait une chronique plus tôt, si ce n’est du fait que 156 autres chroniques ont été écrites à ce sujet bien précis, depuis un an, par certains de mes confrères, valeureux chiens de garde de la démocratie.
Je pense en particulier à Sophie Durocher, qui nous rappelle au moins une fois par semaine, dans différents médias de Quebecor, que trop de journalistes de Gesca sont invités dans des émissions de Radio-Canada. Elle ne s’en vante pas, Sophie, ce n’est pas son genre, mais elle a déjà travaillé à Radio-Canada. En voudrait-elle, très secrètement, à son ancien employeur? Tant de questions sans réponses.
Mardi, en annonçant l’embauche de Catherine Perrin pour le créneau de 9 h, le nouveau patron de la radio française de Radio-Canada, Patrick Beauduin, a insisté sur le fait qu’il y aurait une plus grande « diversité » de points de vue à son émission. S’il faut en comprendre qu’il y aura moins de journalistes de La Presse en ondes, c’est Sophie Durocher qui sera contente. Jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle vient de perdre le tiers de ses sujets de chroniques. Je la plains sincèrement.
On dira que je ne suis pas neutre dans ce débat. C’est vrai. Ce n’est plus un secret, je ne le nierai pas : je suis journaliste à La Presse. Depuis 18 ans. Je suis aussi, quelques mois par année, collaborateur à l’émission C’est juste de la TV, à ARTV, devenue depuis peu la chaîne culturelle de Radio-Canada. Et j’ai été, pendant plus de quatre ans, un collaborateur régulier de l’émission de Christiane Charette à la Première Chaîne.
Je ne m’en cacherai pas davantage : l’entente secrète qui me lie à Radio-Canada est à ce point secrète que je n’en ai jamais vu l’ombre. Je n’en ai même jamais entendu parler. Le mémo top secret qui m’interdit, sans doute par obligation contractuelle, d’émettre la moindre réserve sur une émission de Radio-Canada a dû avoir été envoyé pendant mes vacances.
Je ne l’ai jamais reçu. Aussi, je critique quasi chaque semaine Radio-Canada, souvent durement, sur une chaîne qui appartient à Radio-Canada. Je le fais régulièrement dans La Presse (mardi, encore). Je reste convaincu, même s’il n’y en a pas de preuve tangible, que mes confrères du Journal de Montréal peuvent critiquer aussi librement que moi toute émission de TVA. En secret, évidemment.
Parlant de TVA, je me souviens d’une époque où j’y étais invité pour parler de cinéma ou de phénomènes culturels. C’était avant l’ère Quebecor. Depuis, silence radio. Ai-je déjà été invité à une émission du 98,5 FM? Je n’en ai pas souvenir. En revanche, j’ai croisé récemment Sophie Durocher à l’émission de Christiane Charette.
Comme Patrick Beauduin, un homme brillant pour qui j’ai beaucoup d’estime (je fais bien sûr ces compliments par contrainte contractuelle), je crois que la diversité de points de vue est essentielle dans tout média. La presse en est bien la preuve. Mais je me demande : taper avec une insistance maladive sur le même clou pendant un an, est-ce faire preuve d’un point de vue diversifié?
(Le Tribunal souligne)
[12] Madame Durocher se précipite à écrire, dès le lendemain, sa réponse « Les copains d’abord » et les présentes procédures en sont le résultat.
[13] Gesca allègue que dans l’Article rédigé par Sophie Durocher, publié par Sun Media et diffusé par Canoë sur leur site Web, on retrouve l’allégation fausse, trompeuse et injurieuse voulant qu’en avril 2011, à l’occasion de l’organisation du débat des chefs de la dernière élection fédérale, Radio-Canada aurait tenté de soutirer en faveur de cyberpresse.ca, le site Web des quotidiens de Gesca, et à l‘instigation de cette dernière, le privilège de diffuser gratuitement ce débat.
[14] Il serait utile de reproduire l’Article au complet.
Les copains d’abord
C’est comme deux amants qui continuent de nier qu’ils vivent une liaison torride … alors que toute la ville les a vus se prendre une chambre au motel.
« Il n’y a pas d’entente entre Radio-Canada et Gesca ».
C’est ce que les deux répètent chaque fois qu’on aborde les liens entre le diffuseur PUBLIC (qui doit servir les intérêts de tous les contribuables) et une entreprise PRIVÉE (qui sert uniquement les intérêts de ses propriétaires).
Et pourtant …
Pas plus tard qu’au mois d’avril, on a eu une preuve flagrante que Radio-Canada et Gesca couchent dans le même lit. Et que leur union est bel et bien consommée.
LES VASES COMMUNICANTS
Lors des dernières élections fédérales, avant le débat des chefs, le consortium des radiodiffuseurs (CBC et Radio-Canada, CTV, Global, TVA) s’est réuni à plusieurs reprises. En effet, de nombreux médias veulent avoir accès à la diffusion en direct du débat et il fallait établir une grille tarifaire pour leur vendre ces images.
Des représentants de chaque diffuseur discutaient des demandes des radios, des journaux ou des sites Internet qui voulaient avoir accès à la transmission en direct du débat.
Or, j’ai appris qu’un des représentants de Radio-Canada a demandé si la transmission du débat pouvait être DONNÉE à Cyberpresse, le site Internet des journaux de Gesca!
Autrement dit, le représentant de Radio-Canada négociait au profit de Gesca, comme on le ferait pour aider un ami. Comme s’il était leur porte-parole auprès des autres diffuseurs.
D’après moi, le représentant de Radio-Canada s’était trompé dans ses notes. Il a dû confondre Le débat des chefs et Les Chefs, l’émission de Radio-Canada produite par … La Presse Télé.
UN BEAU CADEAU
Les trois autres réseaux membres du consortium TVA, Global et CTV ont refusé la demande de Radio-Canada.
Vous allez me dire que TVA aurait fait pareil avec les journaux de Quebecor? Eh bien non. Tous les médias qui souhaitaient diffuser les images devaient contacter les représentants du consortium, sans passe-droit pour personne.
Si les journaux de Quebecor voulaient diffuser en direct le débat des chefs sur leur site Internet, ils devaient se mettre en ligne comme tous les autres. Et PAYER le consortium comme tout le monde.
Alors que les gens de Gesca avaient, comme on dit, un ami dans la place. Radio-Canada était prête à faire circuler son contenu entre le consortium et les sites de Gesca, selon le principe de « ce qui est à moi est à toi ».
Et après ça, on veut nous faire croire que ces gens-là ne se parlent pas, qu’ils n’ont pas d’intérêts communs, qu’ils ne sont pas copains-copains?
LES TAPES DANS LE DOS
Si ce n’est pas une entente qui unit Radio-Canada et Gesca, pouvez-vous me dire c’est quoi, alors?
Un accord? Une alliance? Un partenariat? Une association, une coalition, une collaboration, une coopération? Une complicité, une fraternité?
Non, non. Je l’ai! C’est une franche camaraderie! C’est sûrement une franche camaraderie qui fait que Radio-Canada organise un Gala excellence avec La Presse. Que la radio et la télé de Radio-Canada reçoivent tous les lundis la personnalité de la semaine de La Presse. Que Radio-Canada refuse systématiquement d’annoncer dans les journaux de Quebecor, les compétiteurs de Gesca.
C’est dans un esprit de franche camaraderie que l’éditorialiste-en-chef de La Presse est chroniqueur chaque semaine à une des émissions les plus écoutées de la radio de Radio-Canada. Que pour commencer le conflit au Journal de Montréal, la radio de Radio-Canada a invité deux journalistes de La Presse. Et qu’à la dernière émission de Christiane Charette, la moitié des invités étaient des journalistes de La Presse.
Moi, toute cette belle camaraderie, franchement, je trouve ça émouvant.
Surtout que, comme toutes les amitiés, elle est tout à fait désintéressée.
(Le Tribunal souligne)
[15] Le 20 juin 2011, la demanderesse Gesca transmet une mise en demeure[4] à la présidente et éditrice du Journal de Montréal, Lyne Robitaille, à la secrétaire de Canoë Inc., Claudine Tremblay, ainsi qu’à Sophie Durocher afin de leur demander de se rétracter entièrement, avec excuses, de ces propos contenus dans l’Article diffusé le 17 juin 2011 dans le Journal de Montréal et sur le site canoë.ca.
[16] Au surplus, le jour même de la parution de cet Article, le 17 juin 2011, le président du consortium des radiodiffuseurs, Troy Reeb (vice-président de Shaw Media et Global), transmet par courriel au Journal de Montréal le message suivant :
Les allégations publiées dans le Journal de Montréal par la chroniqueuse Sophie Durocher ne sont aucunement fondées. Aucun représentant de Radio-Canada n’a jamais cherché à obtenir l’accès à la transmission des débats ou à offrir quelque autre traitement de faveur à Cyberpresse ou à quelque autre média.
[17] Le 27 juin 2011, les procureurs de Sophie Durocher, du Journal de Montréal et de Canoë Inc., répondent à la mise en demeure de Gesca et ils refusent formellement de donner suite à la demande de rétractation et d’excuses[5].
III QUESTIONS EN LITIGE
[18] Les principales questions en litige sont les suivantes.
a) Est-ce que les défenderesses ont publié des commentaires diffamatoires qui ont porté atteinte à la réputation de Gesca quand elles ont publié l’Article « Les copains d’abord »?
b) Si oui, est-ce que Gesca a droit à des dommages moraux en plus d’une rétractation?
IV POSITION DES PARTIES
A. Position de la demanderesse
[19] Gesca prétend que la diffusion de la fausse allégation contenue dans l’Article, relativement à des démarches qui auraient été entreprises par Radio-Canada, au nom de la demanderesse Gesca, auprès des membres du consortium des télédiffuseurs, est diffamatoire car elle dénigre la demanderesse aux yeux du public et remet en cause son intégrité ainsi que le caractère indépendant de ses activités.
[20] Gesca réclame des dommages moraux de 75 000 $ des défenderesses.
[21] De surcroît et plus important pour elle, la demanderesse réclame des défenderesses qu’elles se rétractent entièrement, avec excuses, des propos contenus dans l’Article diffusé le 17 juin 2011, en publiant un rectificatif dans le Journal de Montréal et sur le site canoë.ca, à la deuxième page de la section « Arts et Spectacles » de ce journal ainsi que sur la page d’ouverture de ce site Internet, dont la visibilité et le format devront être au moins équivalents à ceux de l’Article. Gesca demande à ce que le texte de ce rectificatif et de ces excuses se lise comme suit :
Gesca : Sophie Durocher - Rétractation ordonnée judiciairement
Dans un article paru le 17 juin 2011 sous la signature de notre journaliste Sophie Durocher, le Journal de Montréal a affirmé que la Société Radio-Canada a essayé, pour la part de Gesca Ltée , d’obtenir du consortium des télédiffuseurs du débat des chefs de la dernière campagne électorale fédérale le privilège de diffuser gratuitement ces débats sur le site Cyberpresse.ca, laissant l’impression que c’est Gesca Ltée qui avait investigué cette demande.
Il appert que cette affirmation qui mettait indûment en cause l’intégrité de Gesca, de La Presse et de Cyberpresse.ca était fausse. Le Journal de Montréal, Corporation Sun Media, Canoë.ca et Sophie Durocher s’excusent des inconvénients et préjudices causés par leurs propos.
[22] Gesca demande au Tribunal d’ordonner à la défenderesse Canoë Inc. de diffuser, dans les vingt-quatre (24) heures du jugement, un hyperlien portant le titre du rectificatif et menant au texte intégral de celui-ci sur la page d’ouverture du site de canoë.ca pendant une période d’au moins vingt-quatre (24) heures, et, ensuite, sur canoë.ca pour une période au moins équivalent à celle de la diffusion de l’Article en cause.
B. Position des défenderesses
[23] Les défenderesses contestent toutes les prétentions et réclamations de la demanderesse.
[24] Les défenderesses demandent au Tribunal de :
a) Rejeter la requête introductive d’instance de la demanderesse;
b) Déclarer abusive la requête introductive d’instance de la demanderesse.
[25] Les défenderesses allèguent en défense :
a) L’absence de preuve devant le Tribunal d’un manquement aux normes journalistiques;
b) Le droit de Sophie Durocher à sa liberté d’opinion et d’expression;
c) Elle n’a jamais dit que Radio-Canada avait fait la demande à l’instigation de Gesca;
d) Les propos ne sont pas diffamatoires;
e) Subsidiairement, même si diffamatoires, les propos ne sont pas fautifs;
f) La défenderesse Durocher a suivi la démarche journalistique;
g) Les défenderesses Sun Media et Canoë n’ont commis aucune faute en publiant l’Article contenant un sujet d’intérêt public de très grande importance pour la gouvernance des entreprises de médias et de plus, que Sun Media et Canoë n’ont commis aucune faute étant donné qu’ils ont effectué les vérifications usuelles en supervisant le travail effectué par Sophie Durocher avant la parution de son Article;
h) Le fardeau de la preuve ne favorise pas la demanderesse parce qu’ils ne sont pas en mesure d’établir que les propos de Durocher étaient faux;
i) Absence d’intérêt juridique de Gesca : en tant que société de holding, Gesca n’a aucun intérêt juridique à poursuivre. Elles soulèvent donc l’article 165 (3) du Code de procédure civile (« C.p.c. »)
[26] Finalement, les défenderesses plaident que le recours de la demanderesse est abusif et qu’il s’agit d’une poursuite-bâillon.
V ANALYSE ET DISCUSSION
Le droit
A. Législation
[27] La loi applicable dans la présente cause trouve les sources dans différents articles du Code civil du Québec et de la Charte des droits et libertés de la personne.
i) Charte québécoise
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
[…]
44. Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi.
ii) Code civil du Québec
DE LA JOUISSANCE ET DE L’EXERCICE DES DROITS CIVILS
Art. 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
[…]
Art. 6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
Art. 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
DU RESPECT DE LA RÉPUTATION ET DE LA VIE PRIVÉE
Art. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
153. L'âge de la majorité est fixé à 18 ans.
La personne, jusqu'alors mineure, devient capable d'exercer pleinement tous ses droits civils.
LES PERSONNES MORALES
298. Les personnes morales ont la personnalité juridique.
Elles sont de droit public ou de droit privé.
301. Les personnes morales ont la pleine jouissance des droits civils.
303. Les personnes morales ont la capacité requise pour exercer tous leurs droits, et les dispositions du présent code relatives à l'exercice des droits civils par les personnes physiques leur sont applicables, compte tenu des adaptations nécessaires.
Elles n'ont d'autres incapacités que celles qui résultent de leur nature ou d'une disposition expresse de la loi.
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.
DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[28] Plus spécifiquement, concernant la diffamation écrite dans les journaux, la Loi sur la presse[6] trouve application.
[29] La Loi sur la presse exige certaines formalités avant d’intenter une action en diffamation et les articles pertinents sont les suivants :
2. Toute personne qui se croit lésée par un article publié dans un journal et veut réclamer des dommages-intérêts, doit intenter son action dans les trois mois qui suivent la publication de cet article, ou dans les trois mois qu'elle a eu connaissance de cette publication, pourvu, dans ce dernier cas, que l'action soit intentée dans le délai d'un an du jour de la publication de l'article incriminé.
3. Aucune telle action ne peut être intentée contre le propriétaire du journal, sans que la partie qui se croit lésée, par elle-même ou par procureur, n'en donne avis préalable de trois jours non fériés, au bureau du journal, ou au domicile du propriétaire, de manière à permettre à ce journal de rectifier ou de rétracter l'article incriminé.
[30] Pour intenter les procédures, la demanderesse a respecté les formalités exigées par la Loi sur la presse.
[31] Dans la présente cause, la défenderesse doit donc démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.
[32] Dans Prud’homme c. Prud’homme[7], la Cour suprême du Canada a ainsi résumé l’état du droit en matière de diffamation
[32] Le droit civil québécois ne prévoit pas de recours particulier pour l’atteinte à la réputation. Le fondement du recours en diffamation au Québec se trouve à l’art. 1457 C.c.Q. qui fixe les règles générales applicables en matière de responsabilité civile. Ainsi, dans un recours en diffamation, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité, comme dans le cas de toute autre action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle[8].
[33] Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires. Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables[9]. »
[34] La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective[10] Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. Dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée[11], le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire :
« La forme d’expression du libelle importe peu; c’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ». L’allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d’insinuation ou d’ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ». Il arrive souvent que l’allégation ou l’imputation « soit transmise au lecteur par le biais d’une simple insinuation, d’une phrase interrogative, du rappel d’une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ».
Les mots doivent d’autre part s’interpréter dans leur contexte. Ainsi, « il n’est pas possible d’isoler un passage dans un texte pour s’en plaindre, si l’ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ». À l’inverse, « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l’ensemble d’un texte divulgue un message opposé à la réalité ». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s’interpréter les uns par rapport aux autres. »
[35] Cependant, des propos jugés diffamatoires n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur. Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute. Dans leur traité, La responsabilité civile[12], J.-L. Baudouin et P. Deslauriers précisent, aux p. 301-302, que la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l’une malveillante, l’autre simplement négligente:
La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d’autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d’abandonner résolument l’idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d’un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire.
[36] À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers[13].
[37] Ainsi, en droit civil québécois, la communication d’une information fausse n’est pas nécessairement fautive. À l’inverse, la transmission d’une information véridique peut parfois constituer une faute. On retrouve là une importante différence entre le droit civil et la common law où la fausseté des propos participe du délit de diffamation (tort of defamation). Toutefois, même en droit civil, la véracité des propos peut constituer un moyen de prouver l’absence de faute dans des circonstances où l’intérêt public est en jeu[14].
(Le Tribunal souligne)
[33] Pour être en mesure de décider du bien-fondé de la demande de Gesca, le Tribunal doit examiner tous les faits et circonstances de la cause.
[34] Il faut analyser ou apprécier les faits en fonction d’un critère objectif, celui du citoyen ordinaire.
[35] L’auteure Nicole Vallières, La presse et la diffamation, Wilson & Lafleur, 1985, page 58 écrit ceci, concernant la responsabilité d’un journaliste, en citant l’affaire Claude Larouche c. Jean-Pierre Bonneville :
« Le journaliste, fut-il pamphlétaire et polémiste, ne jouit d’aucune immunité et est, devant la loi, l’égal du plus humble voire du plus illettré des citoyens. Au contraire, en raison de la diffusion rapide de ses écrits et de la propension naturelle à ajouter foi à tout ce qui est publié, le journaliste doit s’attacher à la vérité avec une plus grande rigueur que le citoyen ordinaire. »
(Le Tribunal souligne)
[36] Plus récemment dans la cause Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR[15], la juge Marie Deschamps de la Cour suprême du Canada a réitéré les mêmes principes :
[24] De manière générale, la faute correspond à une conduite qui s’écarte de la norme de comportement qu’adopterait une personne raisonnable (Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, par. 21). Il importe de signaler que le concept de personne raisonnable a un caractère normatif plutôt que descriptif. Il s’agit du comportement qu’une personne informée adopterait dans les circonstances. Malgré toute l’importance accordée par la Charte québécoise à la protection des droits individuels, un comportement attentatoire à un droit qu’elle garantit ne constitue pas nécessairement une faute civile (Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 116; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789 (« Larocque »)). En effet, encore faut-il que l’atteinte constitue une violation de la norme objective prévue par l’art. 1457 C.c.Q. qui est celle du comportement de la personne raisonnable et qu’aucun autre motif ne limite la conclusion concernant la faute, par exemple, l’existence d’une immunité (Larocque et Prud’homme) ou la prise en considération de droits concurrents, comme celui de la liberté d’expression.
[…]
[30] Mes commentaires sur la faute révèlent déjà que le recours à une norme objective n’est pas nouveau. En réalité, le citoyen ordinaire est le pendant, pour le préjudice, de la personne raisonnable auquel le droit a recours pour l’évaluation de la faute. S’ils ont en commun leur caractère objectif, les deux concepts ne se confondent toutefois pas. Le comportement de la personne raisonnable exprime une norme de conduite dont la violation constitue une faute. Le citoyen ordinaire constitue plutôt une incarnation de la société qui reçoit les propos litigieux. C’est donc à travers les yeux de ce citoyen ordinaire, récepteur des propos ou des gestes litigieux, que le préjudice est évalué.
[31] Le juge chargé de l’évaluation de la faute impose à l’auteur des propos le comportement qu’une personne raisonnable aurait eu dans les circonstances. En matière de diffamation, le juge tient compte du droit à la liberté d’expression de l’auteur des propos. Il tolérera même, dans certains cas, que celui-ci ait émis des opinions exagérées. Lorsqu’il évalue le préjudice, le juge tient également compte du fait que le citoyen ordinaire a bien accepté la protection de la liberté d’expression et que, dans certaines circonstances, des propos exagérés peuvent être tenus, mais il doit aussi se demander si le citoyen ordinaire voit diminuer l’estime qu’il porte à la victime. En conséquence, bien qu’il s’agisse d’une norme objective dans les deux cas, il est préférable de conserver deux vocables distincts — personne raisonnable et citoyen ordinaire — parce qu’ils correspondent à des concepts visant deux situations distinctes : l’évaluation du comportement et l’évaluation de l’effet de ce comportement du point de vue de la société. Les questions posées aux deux étapes sont différentes.
[…]
[40] La personne raisonnable agit de manière normalement avisée et diligente. Soucieuse d’autrui, elle prend les précautions nécessaires pour éviter de leur causer des préjudices raisonnablement prévisibles (Ouellet c. Cloutier, [1947] R.C.S. 521, p. 526). Elle respecte les droits fondamentaux — en ce sens, elle ne peut faire abstraction des protections établies par les chartes. Parce qu’elle partage des normes conformes aux valeurs protégées par les chartes, elle prend garde de ne pas causer d’atteintes aux droits d’autrui. »
(Le Tribunal souligne)
[37] Le juge chargé de l’évaluation de la faute doit imposer à l’auteur des propos le comportement qu’une personne raisonnable aurait eu dans les circonstances. En la présente instance, il s’agit d’évaluer si une personne raisonnable, à savoir une journaliste raisonnable, aurait écrit et publié les propos reprochés dans l’Article.
[38] Par la suite, le Tribunal doit évaluer non seulement le comportement des défenderesses et surtout celui de madame Durocher, mais également l’effet de ce comportement du point de vue de la société[16], d’un citoyen ordinaire.
[39] La convention collective du Journal de Montréal aux articles l’article 7.02 et 7.03 a) dit ceci :
7.02 Les parties considèrent essentiel d’assurer et de préserver leur indépendance et s’assureront que les informations et commentaires publiés soient exempts de pressions internes ou externes et ne soient pas influencés par ces dernières.
Dans la rédaction et le choix des informations, aucun fait ne sera exagéré ou intentionnellement omis dans l’intérêt d’une personne, d’un groupe ou d’une institution.
7.03 L’Employeur et le Syndicat conviennent que l’information publiée dans le Journal de Montréal et dans tous ses cahiers et suppléments d’information doit être soumis aux règles suivantes :
a) 1) tout journaliste collectera les nouvelles, rendra compte des faits et, si son mandat lui permet, les commentera dans le respect de la vérité;
2) l’information doit être conforme aux faits et de nature à ne pas tromper le public. Elle doit être exacte et complète, c’est-à-dire que non seulement elle doit être conforme aux faits, mais encore doit-elle comprendre autant que possible tous les éléments essentiels de ces faits. Elle doit être respectueuse du droit des personnes à leur vie privée et du droit des institutions et des personnes à leur réputation, sans préjudice à une information libre et la plus complète possible sur toute question d’intérêt public. Elle doit être libre de toute contrainte extérieure. Elle doit être ouverte au droit du public d’exprimer son opinion sur les sujets d’intérêts public. Elle doit être indépendante de la publicité. Dans le cadre de ce qui précède, les parties conviennent toutefois que l’erreur commise de bonne foi n’entraîne aucune sanction, à moins de négligence.
(Le Tribunal souligne)
[40] Dans le Guide de déontologie des journalistes du Québec produit par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, 1996 et 2010, deux paragraphes sont d’intérêt :
3 (a) Véracité des faits
Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. Ils doivent corriger leurs erreurs avec diligence et de façon appropriée au tort causé.
9. Conflits d’intérêts
Les journalistes doivent éviter les situations de conflits d’intérêts et d’apparence de conflits d’intérêts […]
Il y a conflit d’intérêts lorsque les journalistes, par divers contrats, faveurs et engagements personnels, servent ou peuvent sembler servir des intérêts particuliers, les leurs ou ceux d’autres individus, groupes, syndicats, entreprises, partis politiques, etc. plutôt que ceux de leur public. Le choix des informations rendues publiques par les journalistes doit être guidé par le seul principe de l’intérêt public. Le choix des informations rendues publiques par les journalistes doit être guidé par le seul principe de l’intérêt public. […] Les conflits d’intérêts faussent ou semblent fausser ce choix en venant briser l’indispensable lien de confiance entre les journalistes et leur public.
(Le Tribunal souligne)
[41] La demanderesse allègue que madame Durocher était négligente. De plus, elle était en conflit d’intérêts parce qu’elle voulait absolument se défendre et répondre à l’article de monsieur Cassavi dans La Presse. Son aveuglement l’a mise dans une situation de fausse urgence, elle s’est empressée à publier l’Article dès le lendemain. Elle aurait dû être plus vigilante et prudente, surtout parce qu’elle était dans une position de conflit d’intérêts selon la demanderesse.
L’intérêt d’une personne morale
[42] Les défenderesses soulèvent le manque d’intérêt légal de Gesca de poursuivre, et demandent le rejet de la poursuite sur cette base.
[43] L’article 165 C.p.c. se lit comme suit :
Le défendeur peut opposer l’irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet :
1. […]
2. […]
3. Si le demandeur n’a manifestement pas d’intérêt;
4. […]
[44] La demanderesse a, comme toute autre personne, droit au respect de son nom et de sa réputation.
[45] Les tribunaux québécois ont décidé à maintes reprises qu’une personne morale peut être victime de diffamation et subir un préjudice moral, et que des dommages moraux peuvent être octroyés à une personne morale pour compenser un préjudice moral[17].
[46] Cependant, les dommages moraux octroyés à des personnes morales sont évalués d’une façon différente que pour une personne physique et sont normalement plus modestes, souvent entre 10 000 $ et 25 000 $.
[47] Malgré cette tendance, Gesca demande 75 000 $ en tant que dommages moraux à cause de la gravité, selon Gesca, des propos dans l’Article.
[48] Les défenderesses plaident que Gesca n’a pas d’intérêt légal pour poursuivre parce que l’Article vise Cyberpresse (maintenant appelée Lapresse.ca), le site Internet de la Presse.
[49] Le Tribunal n’est pas d’accord.
[50] En effet, le nom de Gesca apparaît partout à l’Article.
[51] Madame Durocher dit spécifiquement que la demande a été faite pour donner la transmission du débat des chefs à Cyberpresse, « le site Internet des journaux de Gesca ».
[52] Elle dit que Radio-Canada négocie au profit de Gesca.
[53] En effet, dans d’autres articles de madame Durocher ainsi que dans l’Article « Les copains d’abord », madame Durocher réfère parfois à Gesca et parfois à La Presse. C’est madame Durocher qui réfère à « Radio-Gesca ».
[54] Oui, Gesca est la compagnie holding pour La Presse et Cyberpresse (Lapresse.ca), mais c’est Gesca elle-même qui est visée par les commentaires de la défenderesse Durocher. Gesca englobe La Presse et le site Web Cyberpresse.ca (maintenant Lapresse.ca). C’est Gesca qui est l’âme dirigeante de La Presse et Cyberpresse.ca pour madame Durocher et c’est cela qui ressort de l’Article.
[55] Gesca a un intérêt juridique suffisant en l’espèce. Dans le contexte, elle est la personne morale appropriée pour poursuivre en diffamation parce que l’Article touche la réputation de Gesca elle-même.
[56] Le Tribunal n’accueillera donc pas la requête en rejet formulée en vertu de l’article 165 (3) C.p.c.
Les témoignages
Témoignages en demande
Monsieur Éric Trottier
[57] Le premier témoin entendu par le Tribunal est monsieur Éric Trottier, vice-président à l’information et éditeur adjoint de La Presse. Il est intéressant de noter que monsieur Trottier est considéré comme un employé de Gesca et est payé par Gesca.
[58] Monsieur Trottier dit qu’il était choqué et fâché en lisant l’Article parce qu’il savait que ce qui a été allégué était faux.
[59] Il savait que ni Gesca ni La Presse n’avait jamais demandé la faveur d’obtenir la diffusion en direct du débat des chefs et encore moins gratuitement. Il croit que la crédibilité de Gesca et de La Presse a été attaquée.
[60] Monsieur Trottier explique qu’en lisant le texte, il était clair pour lui que madame Durocher inférait qu’il existait un genre de complot entre Radio-Canada et Gesca et que c’était Gesca qui avait fait la demande auprès de Radio-Canada.
[61] Monsieur Trottier dit qu’il n’a pas reçu de commentaires négatifs du public après la publication de l’Article.
[62] Par contre, plusieurs journalistes de La Presse l’ont questionné pour savoir si les faits rapportés dans l’Article étaient vrais.
[63] Monsieur Trottier explique qu’il avait tout de suite fait des vérifications auprès des hauts dirigeants de La Presse ainsi que des chefs de division, incluant le directeur à Ottawa.
[64] Toutes les personnes consultées ont confirmé qu’aucune demande n’a été faite par Gesca ou La Presse à Radio-Canada à cet effet.
[65] Par la suite, il a fait des vérifications auprès des directeurs principaux de l’information de Radio-Canada. Il a parlé, entre autres, à messieurs Alain Saulnier et Pierre Tourangeau, également témoins.
[66] Toutes les personnes qu’il a consultées à Radio-Canada lui ont confirmé qu’elles n’ont jamais fait de demande au consortium pour donner le droit de transmission du débat des chefs à Cyberpresse.
[67] Monsieur Trottier explique que la réputation de Gesca et de La Presse est fondée sur sa crédibilité, intégrité, honneur et indépendance.
[68] Monsieur Trottier confirme qu’il y a une bonne relation et une collaboration ponctuelle entre Gesa et Radio-Canada. Il explique davantage que La Presse et Gesca ont des ententes avec tous les autres médias à Montréal pour collaborer à différentes émissions, programmes, événements, ou produits.
[69] Il témoigne sur la fameuse « entente secrète ».
[70] Il explique qu’il y avait une entente entre Radio-Canada et La Presse[18] (l’« Entente ») à compter de novembre 2000, pour unir les efforts de La Presse et de la Radio et la Télévision française de Radio-Canada de façon à créer des synergies et à augmenter, par une action complémentaire, leur impact dans l’environnement médiatique actuel. Cette collaboration visait la promotion croisée et l’Internet.
[71] Cette Entente a commencé le 1er novembre 2000 pour une durée illimitée et chaque partie avait le droit de mettre fin à l’Entente en donnant à l’autre partie un préavis écrit de 30 jours à cet effet[19].
[72] Le paragraphe 12 de l’Entente spécifie que « l’Entente pourra s’étendre à toute compagnie ou entité appartenant au Groupe Gesca Ltée, à ses principales affiliées ou sociétés liées, avec l’approbation préalable des deux parties.»
[73] Un communiqué de presse conjoint a été émis par Radio-Canada et La Presse le 19 janvier 2001[20] pour confirmer qu’ils ont convenu d’unir leurs efforts dans certains domaines de leurs activités respectives, principalement l’Internet, les événements spéciaux et la promotion, de manière à profiter des synergies émanant de leur action complémentaire.
[74] Monsieur Trottier explique que l’Entente a pris fin en octobre 2003.
[75] En effet, monsieur André Beaudet, responsable des communications à Radio-Canada, a envoyé un courriel à d’autres employés de Radio-Canada, confirmant la fin de l’Entente, mais disant que La Presse et Radio-Canada ont décidé de ne pas annoncer officiellement et publiquement la fin de l’Entente, étant donné que cette Entente ne comportait aucune échéance précise et parce que des collaborations ponctuelles pour différents événements ou produits conjoints sont devenues la norme, par exemple, Les Conférences, le Gala et autres[21].
[76] Aucun témoin ne pouvait établir une date exacte de la fin de l’Entente, mais le Tribunal a suffisamment de preuve pour accepter qu’à la fin octobre 2003, l’Entente n’était plus en vigueur.
[77] Monsieur Trottier explique qu’étant donné que Radio-Canada est le plus grand télédiffuseur au Québec, il y a plusieurs ententes ponctuelles avec Radio-Canada toutes les années.
[78] Le témoin explique que La Presse/Gesca a aussi des ententes avec Télé-Radio, Canal Vie, Astral, Cogeco, RDS, Canal D et Canal Évasion pour la coproduction de différents événements ou produits.
Monsieur Troy Reeb
[79] Monsieur Troy Reeb, le Senior Vice President News and Station Operations for Global News / Shaw Media a témoigné par visioconférence.
[80] Monsieur Reeb était le président du consortium des médias de télévision à l’époque en question.
[81] Il explique que le consortium est une organisation ou association ad hoc d’un groupe de médias qui ont décidé de se réunir et partager ensemble les coûts de la couverture télévisée des débats des chefs lors des élections fédérales et que cela était encore le cas en 2011.
[82] Les membres du consortium étaient Global, CTV, Radio-Canada, CBC et TVA.
[83] Pour discuter de la couverture du débat des chefs lors des élections en 2011, les membres se sont réunis à cinq reprises, à Ottawa ou Toronto, et une dizaine de fois par des conférences téléphoniques.
[84] Monsieur Reeb a assisté à toutes les réunions.
[85] Les réunions se déroulaient exclusivement en anglais.
[86] Monsieur Reeb explique qu’il a reçu l’Article par l’entremise de monsieur Marco Dubé qui oeuvrait en communication à Radio-Canada.
[87] Après avoir reçu une traduction de l’Article, il a dit qu’il était d’accord avec monsieur Dubé, à savoir que l’Article était faux et qu’il fallait envoyer une réponse.
[88] Il explique que même les filiales des membres du consortium, incluant leurs sites Web, n’avaient pas le droit de télédiffuser les débats en direct sans être approuvés et sans payer pour ce droit.
[89] Monsieur Reeb a immédiatement demandé à son assistant, monsieur Barry Wilson, d’envoyer une lettre aux rédacteurs du Journal de Montréal, niant les allégations dans l’Article. La réponse de monsieur Reeb est envoyée le 17 juin 2011 par monsieur Barry Wilson à monsieur Dany Doucet, le rédacteur du Journal de Montréal[22].
[90] Monsieur Reeb explique, par contre, qu’il n’a retracé aucune copie à son bureau et que monsieur Wilson avait quitté son emploi un an avant la date du procès. Il a reçu une copie de sa réponse du procureur de Shaw Media le 13 janvier 2013, grâce à leur département IT, qui a réussi à la retracer dans leurs archives.
[91] Une lettre du procureur de Shaw Media envoyée à La Presse Ltée et Gesca Ltée en date du 15 janvier 2013 a confirmé que monsieur Wilson avait envoyé la réponse de monsieur Reeb par courriel à monsieur Doucet à 16 h 46 le 17 juin 2011[23].
[92] Monsieur Reeb confirme que les allégations publiées dans le Journal de Montréal par la chroniqueuse Sophie Durocher ne sont aucunement fondées et qu’aucun représentant de Radio-Canada n’a jamais cherché à obtenir l’accès à la transmission des débats des chefs ou à offrir quelque autre traitement de faveur à Cyberpresse ou à quelque autre média.
[93] Monsieur Reeb confirme que pour la part de Gesca et La Presse, c’était normalement monsieur Saulnier ou monsieur Tourangeau qui était présent aux réunions du consortium et souvent les deux.
[94] Il confirme également que de temps en temps, il y avait des discussions en français entre les membres francophones.
Monsieur Alain Saulnier
[95] Monsieur Alain Saulnier était le directeur général de l’information (service intégré de Radio-Canada) de 2006 à mars 2012.
[96] Il était à l’emploi de Radio-Canada d’une façon ou d’une autre à compter de 1982. Il enseigne actuellement le journalisme à l’Université de Montréal.
[97] C’est monsieur Saulnier qui était mandaté pour représenter Radio-Canada au consortium de 2006 jusqu’en 2011-2012.
[98] Il explique que l’objectif du consortium est de rentabiliser les opérations et la diffusion des débats. Le consortium fixe les grilles tarifaires pour la vente des droits de télédiffusion. Les grilles tarifaires établissent les prix à payer par les tiers non membres du consortium. Il faut approuver chaque tiers et le prix à payer selon la grille tarifaire applicable.
[99] Il était accompagné au consortium de monsieur Pierre Tourangeau, qui était responsable des nouvelles et collection d’information.
[100] Le débat des chefs a eu lieu le 12 avril 2011 et la dernière entente pour le débat et le format du débat a été finalisée le 1er avril 2011, lors d’une réunion par téléconférence.
[101] C’est lors de cette réunion que la demande par Radio-Canada pour la part de Gesca (Cyberpresse) a supposément été faite.
[102] Monsieur Saulnier confirme qu’il avait assisté à toutes les réunions et qu’il était donc présent à la réunion du 1er avril avec monsieur Tourangeau.
[103] Monsieur Saulnier explique qu’à l’époque de mars/avril 2011, le site Internet Cyberpresse.ca est devenu le plus gros compétiteur du site Internet Radio-Canada.ca.
[104] Selon lui, l’Article était faux pour plusieurs raisons. Il explique que c’était totalement contre la politique et philosophie de Radio-Canada de donner des avantages de ce genre à des concurrents avec qui ils étaient en compétition féroce.
[105] Il dit que l’Article l’a agacé également parce qu’il était présent au consortium et que ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.
[106] Il explique que si une demande avait été faite, comme allégué à l’Article, c’est monsieur Saulnier, le représentant officiel au consortium pour Radio-Canada, qui aurait fait cette demande. Il affirme au Tribunal qu’il ne l’a jamais fait.
[107] Questionné concernant le message laissé par madame Durocher le 16 juin 2011, lui demandant de la rappeler, il explique que sa politique est de rediriger des journalistes au service de communication à Radio-Canada, à savoir monsieur Marc Pichette.
[108] Le témoignage de monsieur Saulnier est confirmé par un échange de courriels entre différents dirigeants de Radio-Canada le 27 avril 2011[24].
[109] Cet échange confirme que Radio-Canada s’opposait véhémentement à ce que Cyberpresse puisse avoir accès à la webdiffusion du débat des chefs parce qu’elle est la principale concurrente de Radio-Canada.
[110] Il serait donc encore plus illogique de donner à Cyberpresse.ca le droit de télédiffuser le débat gratuitement.
Monsieur Pierre Tourangeau
[111] Monsieur Pierre Tourangeau, occupe actuellement le poste d’Ombudsman des services français de Radio-Canada, et ce, depuis novembre 2011. Avant cette date, il était le premier directeur des nouvelles et actualités du service d’information à Radio-Canada.
[112] Il confirme que les deux représentants au consortium pour Radio-Canada étaient monsieur Saulnier et lui-même.
[113] Essentiellement, il confirme le témoignage de monsieur Saulnier. Il dit qu’il a peut-être manqué une réunion du consortium vers la fin.
[114] Il explique que l’organisation et la télédiffusion du débat des chefs coûte cher, qu’il fallait obtenir des partenaires pour réduire les coûts, la raison d’être au consortium. La façon de partager encore plus les dépenses était de vendre les droits de télédiffusion à d’autres médias aux prix établis selon la grille tarifaire.
[115] C’est monsieur Reeb qui obtenait les demandes et après consultation avec les membres du consortium, la décision était prise soit d’accepter ou de refuser.
[116] Il explique que monsieur Saulnier et lui-même ont spécifiquement dit aux membres du consortium qu’ils ne voulaient pas vendre le droit de télédiffuser le débat des chefs à Cyberpresse parce que Cyberpresse était leur principal concurrent.
[117] Lorsqu’il a lu l’Article de la défenderesse Durocher, le matin du 17 juin, il n’a pas été très surpris parce que cela faisait partie des commentaires habituels de madame Durocher et du Journal de Montréal concernant les relations entre Radio-Canada et Gesca.
[118] Par contre, il était surpris et fâché parce que l’allégation concernant la diffusion du débat était totalement fausse. Il affirme, lui aussi, que Radio-Canada n’a jamais demandé, à qui que ce soit au consortium, pour vendre le droit de télédiffuser le débat à Cyberpresse et encore moins « donner » ces droits à Cyberpresse gratuitement.
[119] Il confirme que monsieur Trottier était très fâché après avoir lu l’article.
[120] Finalement, il dit qu’il ne se souvient pas d’avoir reçu l’appel de la défenderesse Durocher, mais que la politique habituelle à l’interne chez Radio-Canada est de référer ce genre d’appel, par des journalistes, au service de relation publique de Radio-Canada.
Monsieur Marc Pichette
[121] Monsieur Marc Pichette, est directeur des relations publiques de la promotion et du partenariat à Radio-Canada.
[122] Il confirme avoir reçu une copie de la réponse officielle du président du consortium, monsieur Reeb, envoyée au Journal de Montréal le 17 juin 2011[25], de son collègue monsieur Marco Dubé vers 16 h 46, vendredi le 17 juin 2011.
Résultats des témoignages en demande
[123] Les témoins ont témoigné d’une façon franche, ouverte et crédible. Lorsqu’ils ne se souvenaient pas des faits ou ne se rappelaient pas des dates exactes, ils le disaient. Le Tribunal n’a aucune hésitation à accepter ces témoignages comme véridiques.
[124] Selon une preuve prépondérante, le Tribunal conclut que personne de Radio-Canada n’avait demandé au consortium à ce que Gesca/La Presse/Cyberpresse.ca puisse avoir le droit de télédiffuser sur leur site Web le débat des chefs.
[125] Le consortium a été créé pour partager les coûts énormes de la préparation et la télédiffusion des débats des chefs avant les élections.
[126] Il serait donc illogique de penser qu’un des partenaires aurait voulu offrir le droit de télédiffuser ces débats à un compétiteur.
[127] Il serait encore plus illogique de penser qu’un des membres du consortium aurait voulu donner quelque droit que ce soit gratuitement à un autre média et surtout à leur compétiteur principal.
[128] Le Tribunal conclut également que Gesca n’a pas demandé à Radio-Canada d’intervenir auprès du consortium pour obtenir cette faveur.
Témoignages en défense
Monsieur Dany Doucet
[129] Le premier témoin entendu par le Tribunal en défense était monsieur Dany Doucet, le rédacteur en chef du Journal et Montréal et vice-président de l’information de Sun Media / Quebecor.
[130] Monsieur Doucet a témoigné uniquement sur le fait qu’il n‘a jamais reçu le courriel de monsieur Reeb du 17 juin 2011[26].
[131] La preuve a révélé que l’adresse courriel utilisée par monsieur Barry Wilson pour envoyer la réponse officielle de monsieur Reeb à l’article de madame Durocher est une adresse courriel que monsieur Doucet n’utilisait pas et qui n’a pas été publiée comme l’adresse courriel officielle de monsieur Doucet.
[132] Par contre, la preuve a aussi révélé que cette adresse courriel fonctionne.
[133] Le Tribunal ne peut que conclure que monsieur Doucet n’a pas vu la réponse de monsieur Reeb parce qu’il n’utilisait pas cette adresse courriel.
[134] Cependant, tout ce débat, à savoir est-ce que oui ou non, il a reçu le courriel, est non pertinent pour les fins du présent litige et n’a pas d’impact sur la question que le Tribunal doit trancher.
Monsieur Marc Gilbert
[135] Un témoin important pour les défenderesses était monsieur Marc Gilbert. Monsieur Marc Gilbert est journaliste depuis 40 ans. La plupart du temps, il travaillait à Radio-Canada. Il était directeur de service d’information à Radio-Canada avant de quitter. Il travaille depuis six ans à TVA.
[136] Monsieur Gilbert confirme avoir assisté à quatre ou cinq débats des chefs, au fil des années, à titre de producteur à Radio-Canada ou à TVA.
[137] En 2011, il est devenu le représentant de TVA au consortium, et ce, après la première réunion. Il confirme qu’il y avait une conférence téléphonique du consortium le 1er avril 2011.
[138] Monsieur Gilbert avait gardé des notes de onze lignes très laconiques, écrites à la main, de la conférence téléphonique tenue le 1er avril 2011[27].
[139] Il se réfère à la cinquième ligne où il a marqué : « Web durant le débat ». Selon monsieur Gilbert cela voulait dire que quelqu’un de Radio-Canada avait posé la question : « Est-ce que c’est possible de donner à Cyberpresse.ca la diffusion des débats? » Selon lui, c’était soit monsieur Saulnier ou monsieur Tourangeau ou monsieur Woods, le réalisateur de Radio-Canada et producteur des débats en français. Il ne se souvient pas qui, parmi ces trois personnes, avait fait la demande, mais il pensait que c’était peut-être Pierre Tourangeau.
[140] Il se rappelle que la question était posée en anglais de la façon suivante : « Can we give that program to La Presse on their Web Site? » Il dit que monsieur Mark Bulguch de CBC Toronto (la même entité que Radio-Canada), a répondu: « No. We only give the « diffusion » to members. » Monsieur Gilbert se dit avoir été surpris parce que cela n’a jamais été discuté avant et que cela aurait été un problème pour TVA qui avait également un site Web, qui n’avait pas le droit de diffuser.
[141] Monsieur Gilbert dit avoir été surpris d’entendre cette demande parce qu’il savait que La Presse était un compétiteur de Radio-Canada.
[142] Monsieur Gilbert explique qu’à la fin de la conférence téléphonique, il est allé voir deux rédacteurs en chef de TVA, messieurs Serge Fortin et Paul Larocque ainsi que deux ou trois autres personnes et qu’il a passé en revue les points soulevés lors de la conférence téléphonique.
[143] Il leur a mentionné la demande de Radio-Canada de permettre au réseau Web de La Presse de diffuser le débat des chefs.
[144] Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Gilbert ne se souvenait pas des discussions concernant les tarifs parce qu’il n’était pas présent à toutes les réunions, mais il était à toutes les réunions lorsque cela visait TVA.
[145] En regardant les notes prises par monsieur Gilbert lors de ces réunions, les seules notes avec une date en haut de la page, étaient celles du 1er avril 2011.
[146] Malgré le fait qu’il a été surpris lorsqu’il a entendu la demande de Radio-Canada, il n’écrit que : « Web durant le débat ». Il écrit la note en français même si la question a été posée en anglais. De surcroît, les autres dix lignes de ses notes étaient en anglais, chose un peu curieuse. Il ne mentionne pas Radio-Canada ni La Presse ni Cyberpresse.
[147] Même si monsieur Gilbert a répété les paroles, selon lui, de Radio-Canada : « Can we give that program to La Presse on this Web Site? », il explique au Tribunal qu’il n’a jamais dit à messieurs Serge Fortin et Paul Larocque ou aux autres personnes de TVA présentes, que Radio-Canada voulait dire donner gratuitement.
[148] Monsieur Gilbert raconte que monsieur Fortin a réagi vivement et qu’à l’époque, monsieur Fortin détestait La Presse. Il explique qu’il y avait beaucoup d’animosité entre monsieur Serge Fortin et La Presse à cause d’une poursuite entre TVA et La Presse.
[149] Le souvenir de monsieur Gilbert concernant la téléconférence était que monsieur Reeb n’a pas réagi à la demande, mais que la seule personne qui a répondu à la question c’était Mark Bulguch de CBC.
[150] Finalement, monsieur Gilbert, toujours en contre-interrogatoire, répond qu’il est possible que la discussion concernant le droit de Cyberpresse de télédiffuser les débats, aurait pu avoir lieu quand le président monsieur Reeb s’est absenté pour quelques minutes ou durant une pause lors des discussions informelles parmi les membres du consortium. Il ne se souvient pas qui a posé la question et qui a répondu, mais il dit que ça venait de Radio-Canada. Par contre, il ne se souvient pas si c’était vraiment une demande ou tout simplement une question d’information.
[151] Il dit avoir parlé à madame Durocher uniquement après la parution de son Article. Il se rappelle avoir dit à madame Durocher que ce qu’elle avait écrit c’était correct.
[152] Il confirme que madame Durocher lui a laissé un message le 16 juin, mais qu’il l’avait rappelée le 17 juin après la parution de l’Article.
[153] Monsieur Gilbert ne se souvient pas si madame Durocher lui a dit, dans son message, qu’il fallait la rappeler parce que c’était urgent.
[154] Madame Durocher ne lui a pas divulgué les sources des informations publiées dans son Article.
[155] Finalement, il confirme, en contre-interrogatoire, que possiblement la question a été posée durant une pause et que la discussion a duré un maximum de 15 à 20 secondes.
[156] Malgré le fait que monsieur Gilbert avait dit à madame Durocher « Pour moi tout est correct », il a confirmé, en contre-interrogatoire, qu’il y avait des éléments faux dans l’Article.
[157] C’était faux que les trois autres réseaux membres du consortium TVA, Global, et CTV ont refusé la demande de Radio-Canada. Selon le témoignage de monsieur Gilbert, c’est uniquement monsieur Mark Bulguch de CBC qui avait répondu.
[158] Contrairement à ce que madame Durocher a écrit dans son Article, monsieur Gilbert a confirmé que Radio-Canada n’a pas négocié pour la part de Gesca ou Cyberpresse. Il a dit que le mot « négocier » était incorrect, imprécis et tendancieux. Il n’y n’avait qu’une simple question de Radio-Canada et une simple réponse de CBC Toronto.
Témoignage de la défenderesse Sophie Durocher
[159] Madame Durocher possède 25 ans d’expérience dans le monde des médias québécois. Elle a débuté sa carrière à La Presse et avait travaillé également pour Radio-Canada.
[160] Elle écrit sa chronique d’opinion culture et médias tous les lundis, mercredis et vendredis dans le Journal de Montréal et de Québec.
[161] Madame Durocher explique qu’elle était au courant de l’Entente entre Gesca et Radio-Canada, mais qu’elle a appris le contenu de l’Entente uniquement en avril 2008, lorsque le journaliste Patrick Bourgeois a obtenu une copie de l’Entente en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et a publié le texte sur le Web.
[162] Elle a expliqué que cet aspect est important pour elle et qu’elle avait écrit plusieurs articles concernant les relations entre Gesca et Radio-Canada.
[163] C’est dans son article du 7 mai 2010 intitulé « Ici Radio-Gesca »[28] qu’elle utilise pour la première fois le sobriquet « Radio-Gesca ».
[164] Madame Durocher explique avoir inventé cette expression à cause de la grande présence des journalistes de La Presse sur différentes émissions à Radio-Canada.
[165] Selon elle, il y a une omniprésence de journalistes de Gesca sur les émissions de Radio-Canada et elle est préoccupée par ce fait.
[166] Madame Durocher raconte qu’après avoir, selon elle, « lancé une petite bombe » en parlant de « Radio-Gesca », elle a eu des reproches par certains journalistes qui l’ont critiquée en disant qu’elle était en conflit d’intérêts même si elle est pigiste, son client principal est Quebecor.
[167] Madame Durocher répond que la relation entre Gesca et Radio-Canada est incestueuse et son devoir comme journaliste est d’informer le public qui a droit à l’information, donc que c’est d’intérêt public.
[168] Elle est fière de ses articles et de cette expression « Radio-Gesca » et mentionne dans quelques-uns de ses articles que c’est elle qui avait inventé cette expression.
[169] Madame Durocher témoigne qu’elle a bien lu l’article de Marc Cassivi à La Presse publié le 16 juin 2011[29].
[170] Elle explique que selon elle, plusieurs commentaires écrits par monsieur Cassivi dans cet article étaient faux. Elle prétend qu’il est faux de dire que l’Entente a été rendue publique en 2001 parce que le contenu de l’Entente au complet n’a jamais été publié à cette époque.
[171] Elle prétend qu’elle ne savait pas que l’Entente n’était plus en vigueur depuis 2003 parce que cela n’a jamais été confirmé formellement ou officiellement.
[172] Elle allègue que les commentaires de monsieur Cassivi, à l’effet qu’un tiers de ses sujets de chronique traite de Radio-Gesca et des relations étroites entre Radio-Canada et Gesca ne sont pas exacts.
[173] Elle dit que monsieur Cassivi ne l’avait pas croisée récemment à l’émission de Christiane Charette.
[174] Elle s’oppose au dernier paragraphe de l’article dans lequel il dit que : « Taper avec une insistance maladive sur le même clou pendant un an, est-ce faire preuve d’un point de vue diversifié? »
[175] Elle explique qu’elle voulait remettre « les pendules à l’heure », donc, elle a contacté ses sources pour écrire une réponse à l’article de monsieur Cassivi.
[176] Cependant, elle admet qu’elle avait l’information concernant la supposée demande de Radio-Canada au consortium pour la part de Gesca au moins depuis quelques semaines, que ses sources lui ont communiqué cette information.
[177] Elle explique qu’elle parle de sources au pluriel pour protéger sa ou ses sources.
[178] Chose certaine, ce n’est pas monsieur Marc Gilbert, selon le témoignage même de monsieur Gilbert.
[179] Elle explique les démarches journalistiques qu’elle avait faites, comme suit.
[180] D’abord, le 16 juin 2011, elle contacte ses sources d’information et ensuite, elle appelle aux bureaux de monsieur Pierre Tourangeau et monsieur Alain Saulnier à Radio-Canada. Elle parle à leurs secrétaires.
[181] Elle explique au Tribunal qu’elle avait informé leurs secrétaires qu’elle était journaliste chroniqueuse au Journal de Montréal, qu’elle allait écrire un texte sur le consortium et que c’était urgent de parler avec l’un ou l’autre parce qu’elle allait publier le lendemain.
[182] Elle explique que tôt le matin, la secrétaire de monsieur Tourangeau l’appelle pour lui dire que monsieur Tourangeau n’a pas de commentaire et qu’il la réfère à monsieur Saulnier.
[183] Elle explique que monsieur Saulnier n’a l’a jamais rappelée.
[184] Elle a donc écrit son texte et elle a communiqué, encore une fois, avec ses sources pour confirmer si le texte était correct et elle envoie le texte à madame Coudé-Lord, son vis-à-vis au Journal de Montréal.
[185] À 5 h 40 le matin du 17 juin, la troisième version est envoyée. Le texte est approuvé par son superviseur.
[186] Son Article est publié et diffusé par les autres défenderesses.
[187] En défendant son Article, elle dit ne pas avoir écrit que Radio-Canada avait fait la demande « à l’instigation de Gesca », tel qu’il est allégué dans les procédures de Gesca.
[188] De plus, elle dit que le mot « gratuitement » n’appert pas dans son texte, tel qu’il est allégué dans les procédures de Gesca.
[189] Elle s’oppose également au terme « acharnement » utilisé contre elle dans la mise en demeure envoyée aux défenderesses. Elle explique qu’elle fait un travail journalistique rigoureux et qu’elle écrit dans l’intérêt public, mais ça ne veut pas dire qu’elle démontre de l’acharnement.
[190] Son seul souci est le droit du public à l’information.
[191] Selon madame Durocher, le seul but des présentes procédures c’est pour la faire taire, que Gesca veut qu’elle cesse d’écrire concernant Radio-Canada et Gesca.
[192] Elle prétend que la requête introductive d’instance est abusive et qu’elle a été ébranlée autant par la mise en demeure que par l’action intentée contre elle et les autres défenderesses.
[193] Elle explique comment elle se sentait quand elle a lu l’échange de courriels entre messieurs Éric Trottier et Mario Girard de La Presse, dans lesquels monsieur Girard utilise certains propos insultants à son égard et parle de la poursuivre[30].
[194] Il faut noter que ces courriels ont été reçus par la défenderesse suite aux engagements pris lors de l’interrogatoire de monsieur Éric Trottier après défense, et les propos étaient échangés entre collègues et non pour être diffusés en public.
[195] La réaction de madame Durocher était tout à fait naturelle, comme d’ailleurs la réaction de monsieur Girard après avoir lu l’Article.
[196] Madame Durocher dit qu’elle ne se laissera pas influencer par la peur ou l’intimidation et qu’elle continuera à faire son travail de façon rigoureuse.
[197] En contre-interrogatoire, madame Durocher confirme qu’elle n’est pas membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui est un organisme ou un regroupement de journalistes sur une base volontaire.
[198] Par contre, madame Durocher explique qu’elle a déjà vu le Guide de déontologie des journalistes du Québec[31].
[199] Elle confirme que les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations.
[200] Madame Durocher confirme qu’éviter des conflits d’intérêts[32] est également une norme applicable aux journalistes.
[201] Après avoir dit ceci, madame Durocher explique que c’est ironique mais elle n’est pas membre de la Fédération des journalistes du Québec parce qu’elle estime que la Fédération est elle-même en conflit parce que deux des principaux commanditaires de la Fédération sont Gesca et Radio-Canada.
[202] Elle explique que Quebecor n’est pas un commanditaire et que Quebecor ne participe pas, non plus, au Conseil de La Presse.
[203] Madame Durocher, en contre-interrogatoire toujours, explique qu’elle n’a pas parlé ni même appelé monsieur Reeb, le président du consortium, avant d’écrire et de publier son article.
[204] Madame Durocher confirme qu’elle reçoit ses chèques de paie de Sun Media lorsqu’elle travaille pour le Journal de Montréal et que la majorité de ses clients pour qui elle écrit appartient à Quebecor.
[205] Quebecor est le concurrent principal de Gesca, et elle était au courant de ce fait lorsqu’elle a écrit son Article.
[206] Questionnée sur son insistance de continuer à parler d’une « Entente secrète », madame Durocher répond que c’est parce que même si Gesca nie l’existence, il y a des apparences, selon elle, d’une entente toujours existante et qu’il n’y a aucune preuve que l’Entente a pris fin, toujours selon elle.
[207] En effet, malgré une mise en demeure envoyée au Journal de Montréal, le 11 avril 2008[33], dans un autre contexte, par les procureurs de La Presse Ltée qui confirme que l’Entente a pris fin en 2003, madame Durocher croit qu’il y a toujours une entente quelconque parce que personne ne connaît l’ampleur de chaque entente ponctuelle entre Radio-Canada, un diffuseur publique et Gesca, une entreprise privée.
[208] Par contre, madame Durocher confirme qu’elle n’a jamais essayé d’obtenir, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, copie de quelque entente que ce soit entre Gesca / La Presse et Radio-Canada.
[209] Elle insiste sur le fait qu’elle n’a pas répondu aux attaques personnelles, contre elle, de l’article de Marc Cassivi le 16 juin 2011.
[210] Par contre, le Tribunal note qu’elle a travaillé toute la journée du 16 juin pour écrire et publier une réponse avec des « faits » qu’elle connaissait depuis quelques semaines.
[211] Malgré l’insistance de madame Durocher à l’effet qu’elle n’a pas répondu à l’article de monsieur Cassivi pour se défendre et pour corriger des commentaires qu’elle a catégorisés comme étant faux, le Tribunal croit que c’est effectivement le désir de se défendre qui a guidé et poussé madame Durocher, la journée du 16 et le matin du 17 juin 2011. Elle avait perdu son objectivité.
[212] Parce que madame Durocher voulait à tout prix répondre à monsieur Cassivi le lendemain, elle n’a pas fait les vérifications rigoureuses nécessaires pour confirmer les faits. Elle n’a pas jugé bon d’attendre avant de publier.
[213] Elle n’a pas parlé avec monsieur Gilbert.
[214] Elle n’a appelé personne à La Presse ou Gesca.
[215] Elle n’a pas parlé à monsieur Tourangeau ni à monsieur Saulnier.
[216] Elle n’a pas essayé d’appeler quelqu’un d’autre à Radio-Canada qui aurait été en position de lui confirmer la vérité.
[217] Elle n’a pas appelé monsieur Reeb ou un autre membre du consortium.
[218] Elle n’a pas confirmé avec une seule personne qui était présente lors de la réunion du consortium le 1er avril 2011.
[219] Madame Durocher a pris le risque de publier son article sans parler à personne chez Gesca ni Radio-Canada et sans parler à monsieur Gilbert qui aurait pu, au moins, corriger certains aspects importants de son article.
[220] Madame Durocher savait ou aurait dû savoir que c’était un risque d’erreur trop élevé. Elle n’a pas respecté les normes journalistiques qu’elle a confirmées elle-même.
[221] Elle n’avait pas une preuve flagrante que les « faits » qu’elle voulait rapporter étaient véridiques. Elle n’a pas fait la vérification rigoureuse nécessaire qu’un journaliste raisonnable et prudent doit faire avant de publier.
[222] Les défenderesses argumentent que la Cour n’a pas de connaissance judiciaire des normes journalistiques applicables à la détermination du comportement raisonnable requis par l’article 1457 C.c.Q. et aucune preuve par un expert dans le domaine n’a été produite. Cependant, les défenderesses, elles-mêmes, prétendent que les normes journalistiques usuelles ont été respectées par madame Durocher avant la publication de l’Article, sans produire aucune preuve par un expert à cet effet.
[223] À la lecture des jugements dans le domaine de diffamation journalistique, il est évident que les journalistes sont tenus à accomplir leur devoir avec la rigueur d’un journaliste raisonnable.
[224] Madame Durocher a confirmé, elle-même, les normes journalistiques importantes à suivre. Elle avait cru important d’essayer d’obtenir de la corroboration des propos de monsieur Gilbert rapportés par un tiers. Elle savait qu’un journaliste prudent avait besoin d’une corroboration.
[225] Il n’y avait aucune urgence pour publier l’Article le lendemain.
[226] Malheureusement, madame Durocher n’a pas eu la patience d’attendre au lendemain pour essayer de parler avec quelqu’un de Radio-Canada. Elle n’a pas parlé à monsieur Gilbert. Elle n’a pas essayé d’appeler quelqu’un à La Presse ou Gesca. Elle n’a jamais appelé le président du consortium. Elle s’est fiée à du ouï-dire, ses sources.
[227] Le Tribunal peut comprendre les sentiments qui ont poussé madame Durocher à revenir à l’attaque sans délai, mais un journaliste avec autant d’expérience que madame Durocher aurait dû être plus prudent.
[228] En effet, le Tribunal estime que madame Durocher a agi d’une façon négligente et peut-être avec une certaine malice ou mépris envers Gesca et La Presse et Radio-Canada.
[229] Par contre, le Tribunal ne croit pas que madame Durocher était de mauvaise foi. Elle a cru ce qu’elle avait écrit parce que ses sources lui ont dit et confirmé ces « faits » et elle a cru ses sources.
[230] Le Tribunal, après avoir entendu tous les témoins et surtout les témoins faisant partie de la conférence téléphonique avec les membres du consortium, le 1er avril 2011, a conclu que Radio-Canada n’a jamais cherché à obtenir le droit pour Cyberpresse de diffuser le débat des chefs et encore moins gratuitement.
[231] Aucune demande n’a été faite au consortium afin de permettre à Cyberpresse de diffuser le débat des chefs.
[232] Forcément, il n’y a jamais eu de refus par TVA, Global et CTV.
[233] Concernant le témoignage de monsieur Gilbert, le Tribunal croit qu’il s’agit plutôt, comme le disait monsieur Gilbert, lui-même, d’une discussion informelle entre les représentants de la même entité (Radio-Canada et CBC), que monsieur Gilbert a mal entendu ou mal interprétée.
[234] Il se peut que la discussion visait le traitement des sites Web des médias en général.
[235] Le Tribunal croit que madame Durocher s’est laissé influencer par l’article de Marc Cassivi à un tel point qu’elle a pris le risque de ne pas suivre une conduite prudente et réfléchie.
[236] Les défenderesses argumentent que madame Durocher est une chroniqueuse et en tant que chroniqueuse, elle a le droit d’exprimer son opinion, même erronée.
[237] Le Tribunal n’est pas d’accord.
Analyse des passages clefs de l’Article
[238] Qu’est-ce qu’un citoyen ordinaire comprendrait, en lisant cet Article?
[239] Le Tribunal doit se demander si un citoyen ordinaire, qui prend connaissance de l’Article au complet, estimerait que les propos tenus par cette dernière, pris dans leur ensemble, déconsidèrent la réputation de Gesca.
[240] Tel qu’établit par la jurisprudence, les mots doivent s’interpréter dans leur contexte. Il faut apprécier l’impression créée par l’Article au complet surtout les deux sections de l’Article intitulé : « Les Vases Communicants » et « Un beau cadeau ».
[241] Il ressort clairement d’une façon non équivoque du témoignage de tous les témoins, incluant monsieur Gilbert, que Radio-Canada n’a pas négocié au profit de Gesca pour obtenir le privilège pour le site Web Cyberpresse.ca de diffuser gratuitement le débat des chefs.
[242] De plus, selon une preuve prépondérante, aucune demande n’a été faite par Radio-Canada (ou un représentant de Radio-Canada) au consortium de soutirer ce privilège de diffuser les débats des chefs pour la part de Cyberpresse.
[243] Il n’y a eu aucun refus des trois autres réseaux membres du consortium, à savoir TVA, Global et CTV.
[244] Le Tribunal est d’avis qu’un lecteur ordinaire comprendra que Radio-Canada avait demandé à ce que Cyberpresse, « site Internet des journaux de Gesca » puisse recevoir le droit de diffuser le débat des chefs gratuitement. C’est la façon logique de comprendre le sens du mot « DONNÉE ».
[245] De surcroît, au premier paragraphe dans la section « Les Vases Communicants », madame Durocher explique que le consortium a établi une grille tarifaire pour vendre les images du débat aux autres médias qui voulaient avoir accès à la transmission en direct du débat. La juxtaposition de « vendre » avec « DONNÉE » n’a pas été faite sans raison.
[246] Le Tribunal n’a aucune hésitation à dire que lorsque madame Durocher parle dans son Article que Radio-Canada a demandé « si la transmission du débat pouvait être DONNÉE à Cyberpresse », elle voulait dire gratuitement. Autrement, elle ne l’aurait pas écrit en majuscule surtout après avoir parlé que le consortium s’organisait pour vendre l’accès au débat.
[247] La conclusion logique est qu’une journaliste chroniqueuse d’expérience comme madame Durocher savait très bien l’impression qu’elle créait en écrivant comme elle l’avait fait.
[248] Les autres passages disant que Radio-Canada négociait au profit de Gesca, comme s’il était porte-parole de Gesca, encouragent un lecteur à croire fort probablement que Gesca avait fait la demande à Radio-Canada d’agir et de négocier pour sa part et soutiennent implicitement l’idée de gratuité.
[249] Le citoyen ordinaire sera porté à penser qu’il y a un complot entre Radio-Canada et Gesca pour obtenir un avantage gratuitement, avantage qu’aucun autre média n’avait.
[250] L’impression que l’Article laisse dans la pensée d’un citoyen ordinaire c’est qu’il y a quelque chose de louche et d’irrégulier, qu’il y a quelque chose de reprochable dans la conduite de Gesca et Radio-Canada, après tout, comme le dit l’Article, « Radio-Canada et Gesca couchent dans le même lit, que leur union est bel et bien consommée », qu’ils sont « copains-copains », que Radio-Canada était prête à faire circuler son contenu entre le consortium et les sites de Gesca, selon le principe de « ce qui est à moi est à toi ».
[251] L’image que l’Article aurait pu créer pour le citoyen ordinaire c’est que Gesca a un certain contrôle sur Radio-Canada pour demander des faveurs ou que Radio-Canada est tellement sous le contrôle de Gesca qu’elle demande des faveurs pour Gesca. C’est cela qui ressort de l’Article « Les copains d’abord. » Plus grave encore, c’est que l’article donne l’impression que Gesca essaie d’obtenir des faveurs sans payer le prix que tous les autres médias sont obligés de payer.
[252] Le Tribunal en vient à la conclusion que les propos de madame Durocher dans l’Article « Les copains d’abord » concernant la diffusion du débat sont diffamatoires et ont porté atteinte à la réputation de Gesca.
[253] L’Article entache l’intégrité et l’indépendance non seulement de Gesca et La Presse mais également de Radio-Canada. L’indépendance et l’intégrité des journalistes et des médias sont des valeurs fondamentales en notre société.
[254] Madame Durocher a commis une faute en n’agissant pas comme une journaliste prudente et expérimentée[34].
[255] Les défenderesses soumettent que les propos de madame Durocher ne sont pas diffamatoires parce que des faits relatés illustrent la thèse soutenue par madame Durocher de l’existence d’une relation étroite entre Gesca et Radio-Canada.
[256] Cependant, la question en litige n’est pas de savoir si une bonne relation ou une relation étroite de collaboration existe entre Gesca et Radio-Canada.
[257] Les défenderesses soutiennent que Sun Media et Canoë n’ont commis aucune faute en publiant l’article parce que l’article contenait un sujet d’intérêt public d’importance pour la gouvernance des entreprises de médias généralement, et plus particulièrement les entreprises médiatiques publiques.
[258] Cet argument n’aide pas Sun Media et Canoë en l’espèce.
[259] Sun Media et Canoë ont commis une faute en publiant l’Article. Dans le contexte de la concurrence existante entre Gesca et Sun Media et Canoë, on ne demande pas pourquoi elles ont publié l’Article comme tel et sans délai.
[260] La prépondérance de la preuve est en faveur de la demanderesse et le Tribunal accueille la demande de Gesca.
Dommages
[261] Gesca réclame 75 000 $ en tant que dommages moraux, mais confirme que la conclusion la plus importante pour elle est d’obtenir la rétractation.
[262] La preuve a révélé que ni Gesca ni La Presse n’ont reçu aucun commentaire négatif du public après la publication de l’Article.
[263] Monsieur Trottier a confirmé que Gesca n’a reçu aucun commentaire négatif du public après la parution de l’Article. Cela veut dire qu’aucun lecteur n’a été suffisamment excité par l’Article pour vouloir écrire un commentaire ou poser des questions à Gesca.
[264] Mais l’Article porte atteinte à la réputation de Gesca et Radio-Canada. Ce n’est pas parce Gesca n’a reçu aucun commentaire négatif du public que l’on peut présumer que l’image de Gesca n’a pas été ternie, que son intégrité et indépendance n’ont pas été attaqués.
[265] En se référant aux jugements concernant la diffamation d’une personne morale, le Tribunal en vient à la conclusion qu’un montant approprié pour des dommages moraux dans la présente cause est 10 000 $, compte tenu de toutes les circonstances.
[266] Le Tribunal condamnera donc les défenderesses conjointement et solidairement à payer la somme de 10 000 $ en tant que dommages moraux.
[267] De surcroît, le Tribunal juge qu’il faut d’ordonner la rétractation avec excuses de l’Article, tel que demandé par Gesca. Il est important de corriger l’impression erronée projetée par l’Article.
[268] Compte tenu des conclusions du Tribunal, la prétention des défenderesses à l’effet que la poursuite en diffamation est un abus de procédure (en vertu de l’article 54.1 C.p.c.), n’est pas justifiée.
[269] Le Tribunal estime que Gesca n’a pas intenté des procédures pour limiter la liberté d’expression des défenderesses dans le contexte d’un débat public.
[270] Gesca ne demande pas aux défenderesses de se taire et de ne plus parler d’une collaboration ou d’une relation quelconque entre Radio-Canada et Gesca. Gesca ne demande pas à ce que les défenderesses cessent d’écrire ou de publier des commentaires sur « Radio-Gesca » si elles le désirent.
[271] Le but de la poursuite n’est pas pour bâillonner la liberté de presse.
[272] Gesca cherche plutôt à responsabiliser les défenderesses à faire les vérifications qui s’imposent avant de se lancer à écrire ou à publier des propos qui sont non seulement inexacts ou faux, mais qui portent atteinte à sa réputation.
[273] Le fait que Gesca avait réclamé 75 000 $ en dommages moraux ne rend pas non plus les procédures de Gesca abusives. Quantifier des dommages moraux n’est pas une science exacte.
Objection quant à la production de différentes ententes entre Gesca et Radio-Canada
[274] À la fin de l’audition, le procureur des défenderesses a demandé au Tribunal de reconsidérer l’objection que le Tribunal a accueillie à l’effet de ne pas permettre la production de toute une série d’ententes de Gesca avec Radio-Canada.
[275] Ces ententes ponctuelles visent la promotion croisée, la création ou la mise en marché des nouveaux produits médiatiques, l’Internet, et certaines émissions ou productions spéciales.
[276] Le Tribunal a maintenu l’objection en disant qu’il y a déjà une admission quant à une bonne relation et une bonne collaboration entre Gesca et Radio-Canada dans différents projets et productions, et ce, d’une façon assez régulière et même annuelle.
[277] Plusieurs exemples d’ententes ponctuelles ou annuelles ont été décrits par les témoins.
[278] Le Tribunal a jugé que la production des ententes n’est pas pertinente et n’aidera pas le Tribunal.
[279] Permettre la production ne respectera pas la règle de la proportionnalité (art. 4.2 C.p.c.) et n’aidera pas au bon déroulement de l’instance (art. 4.1 C.p.c.).
[280] Le Tribunal refuse de rouvrir ce débat et ajoute que donner accès à toutes les ententes possibles et ponctuées entre Radio-Canada et Gesca serait inutile.
[281] Que ce soient 5, 10, 15 ou 25 ententes par année pour des productions, coproductions ou des collaborations dans des productions, émissions ou galas, cela ne change pas la fausseté des propos tenus par madame Durocher dans son Article par rapport au droit de diffuser le débats des chefs en avril 2011.
[282] L’existence d’une relation et d’une collaboration ponctuelle et continuelle entre Gesca et Radio-Canada n’est pas niée. Ce n’est pas la question en jeu, en l’espèce, et n’est pas la partie problématique de l’Article.
[283] Le Tribunal a été obligé d’examiner les questions suivantes. Est-ce que Radio-Canada a demandé de donner à Gesca/Cyberpresse le droit de télédiffuser en direct une émission aussi importante que les débats des chefs lors des élections, et ce, gratuitement? Est-ce que l’Article a créé l’impression qu’il y avait une certaine manipulation ou instigation de la part de Gesca? Est-ce que le ton de l’Article, les propos et insinuations utilisés ont porté atteinte à la réputation de Gesca?
[284] L’enjeu, en l’espèce, n’est pas non plus de savoir s’il y a ou s’il y avait une « entente secrète » entre Radio-Canada et Gesca, ni de savoir le nombre d’ententes ponctuelles pour la production ou promotion de produits, d’événements, de spectacles.
[285] Le vrai enjeu dans la présente cause c’est d’examiner la question de la demande, supposément faite par Radio-Canada agissant comme si elle était la porte parole de Gesca, d’obtenir le droit de télédiffuser les débats des chefs, et ce, sans payer le tarif prévu. C’est la nécessité de faire des vérifications appropriées avant d’écrire et de publier les « faits ».
[286] Le Tribunal maintient la décision de refuser la production de la série d’ententes entre Gesca (ou les filiales ou entités appartenant à Gesca) et Radio-Canada.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[287] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance;
[288] CONDAMNE les défenderesses à payer, conjointement et solidairement, la somme de 10 000 $ en tant que dommages moraux à la demanderesse avec intérêts plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la date de signification de la requête introductive d’instance;
[289] ORDONNE aux défenderesses Corporation Sun Media et Canoë.ca de retirer l’Article « Les copains d’abord » du site Internet de canoë.ca dans les quarante-huit (48) heures du présent jugement;
[290] ORDONNE aux défenderesses Corporation Sun Media et Canoë.ca de publier le premier vendredi suivant la date à laquelle le présent jugement deviendra exécutoire dans le Journal de Montréal en deuxième page de la section « Arts et Spectacles », avec une visibilité et un format au moins équivalents à celui de l’article en cause, un rectificatif et des excuses se lisant comme suit, en mentionnant que le Tribunal lui a ordonné de le faire par le présent jugement :
Gesca : Sophie Durocher - Rétractation ordonnée judiciairement
Dans un article paru le 17 juin 2011 sous la signature de notre journaliste Sophie Durocher, le Journal de Montréal a affirmé que la Société Radio-Canada a essayé, pour la part de Gesca Ltée, d’obtenir du consortium des télédiffuseurs du débat des chefs de la dernière campagne électorale fédérale le privilège de diffuser gratuitement ces débats sur le site Cyberpresse.ca, laissant l’impression que c’est Gesca Ltée qui avait investigué cette demande.
Il appert que cette affirmation qui mettait indûment en cause l’intégrité de Gesca, de La Presse et de Cyberpresse.ca était fausse. Le Journal de Montréal, Corporation Sun Media, Canoë.ca et Sophie Durocher s’excusent des inconvénients et préjudices causés par leurs propos.
[291] ORDONNE à la défenderesse Canoë Inc. de diffuser, dans les quarante-huit (48) heures du jugement, un hyperlien portant le titre du rectificatif et menant au texte intégral de celui-ci sur la page d’ouverture du site de canoë.ca pendant une période d’au moins quarante-huit (48) heures, et, ensuite, sur canoë.ca pour une période au moins équivalent à celle de la diffusion de l’Article en cause.
[292] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ EVA PETRAS, J.C.S. |
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Me Raymond Doray |
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Me Bernard Larocque |
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LAVERY, DE BILLY |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Jacques Jeansonne |
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Me Marie France Tozzi |
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JEANSONNE AVOCATS, INC. |
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Procureurs des défenderesses |
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Dates d’audience : Date prise en délibéré : |
21, 22, 23, 24 et 25 janvier 2013 30 janvier 2013
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce P-2, version internet de l’article « Les copains d’abord ».
[3] Pièce D-13.
[4] Pièce P-3.
[5] Pièce P-4.
[6] Loi sur la presse, L.R.Q., c. P-19.
[7] [2002] 4 R.C.S. 663; 2002 CSC 85.
[8] Voir N. Vallières, La presse et la diffamation (1985), p. 43; Houde c. Benoit, [1943] B.R. 713, p. 720; Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., 1994 CanLII 5883 (QCCA), [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), p. 1818.
[9] Radio Sept-Îles, précité, p.1818.
[10] Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, 2002 CanLII 8266 (QCCA), [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.).
[11] [1998] R.J.Q. 204 (C.S.), p. 211.
[12] La responsabilité civile, 5e éd., 1998.
[13] Voir J. Pineau et M. Ouellette, Théorie de la responsabilité civile, 2e éd., 1980, p. 63-64.
[14] Voir les propos de Vallières, op. cit., p. 10, approuvés par la Cour d’appel du Québec dans Radio Sept-Îles, précité, p. 1819.
[15] 2011 CSC 9, 2011, 1 R.C.S. 214.
[16] Id.
[17] Sunrise Tradex Corporation c. Tri-Caddi International inc., 2011 QCCA 2064, par. 42 à 44; Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, par. 84; Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, 2006 QCCA 1554, par. 73 à 75; Voltec ltée c. CJMF FM ltée, AZ-50145796, 25 septembre 2002 (C.A.), par, 79, 80; Société de manutention de métaux liquides ALSIFEMG ltée c. Novelis inc., 2011 QCCS 4927, par. 107-108; GIFRIC c. Corporation Sun Media (Journal de Québec), 2009 QCCS 4148, par. 277 à 281; Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
[18] Pièce D-1.
[19] Article 4 de la pièce D-1.
[20] Pièce D-2.
[21] Pièce D-21.
[22] Pièce P-13, texte déjà cité au complet dans le présent jugement.
[23] Pièce P-13, partie 2.
[24] Pièce P-7.
[25] Pièce P-15.
[26] Pièces P-13, P-15 et D-24 à la deuxième page.
[27] Pièce D-26.
[28] Pièce D-8.
[29] Pièce D-13.
[30] Pièce D-18, onglet 3.
[31] Pièce P-19.
[32] Voir l’article 9 du Guide de déontologie des journalistes du Québec, déjà cité dans ce jugement.
[33] Pièce D-5.
[34] Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., 1994 CanLII 5883(QCCA), par. 14 à 24; Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 32 à 38, 40, 45 et 83; Néron c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 R.C.S. 95, par. 56; Grant c. Torstar Corp., [2009] 3 R.C.S. 640, par. 47.
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