Transflex Canada ltée c. DRC Kaucuk San. Ve Tic., a.s. |
2012 QCCS 3268 |
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JC2027 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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N° : |
505-17-005276-110 |
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DATE : |
17 juillet 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PEPITA G. CAPRIOLO, J.C.S. |
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TRANSFLEX CANADA LTÉE |
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Demanderesse/Intimée |
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c. |
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DRC KAUCUK SAN. VE TIC. A.S. |
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Défenderesse/Requérante |
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JUGEMENT |
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[1] Le tribunal est saisi d'une requête en rejet/exception déclinatoire soulevant plusieurs motifs différents : la chose jugée, la litispendance, l'élection du for et le forum non conveniens.
Les faits
[2] La requête introductive d'instance ré-amendée de Transflex se fonde sur la vente par DRC de tuyaux dont on allègue la défectuosité. Transflex réclame à DRC des dommages intérêts pour perte de profit, entreposage et transport des tuyaux défectueux retournés par les clients de Transflex ainsi que d'autres chefs de dommages. Lors du ré-amendement à sa requête, Transflex a fait état de trois bons de commande à l'origine de la livraison des tuyaux en provenance de DRC.
[3] La requête introductive a été déposée à la Cour supérieure du Québec le 4 mai 2011.
[4] Le 9 novembre 2009, soit plus d'un an et demi plus tôt, DRC prenait une action contre Transflex devant les tribunaux turcs pour le non-paiement du dernier bon de commande. Cette action a été signifiée à Transflex en août 2010 qui a comparu en Turquie pour invoquer l'absence de juridiction du tribunal et pour dénoncer ses moyens de preuve, dont la défectuosité des tuyaux livrés à la suite du dernier bon de commande.
[5] Le tribunal turc a maintenu sa compétence et a rendu son jugement le 20 décembre 2011 en faveur de DRC après avoir entendu les parties au courant de 2010.
La chronologie de la requête introductive
[6] Le 4 mai 2011, il y a eu dépôt de la requête introductive de Transflex au Québec.
[7] Le 26 juillet 2011, DRC comparait sans réserve.
[8] Lors de la présentation de la requête, le 6 octobre 2011, DRC refuse de dénoncer ses moyens préliminaires. À la même date, il y a signature d'une entente sur le déroulement de l'instance qui inclut la dénonciation des moyens préliminaires par la défenderesse avant le 14 octobre.
[9] Le 12 octobre, DRC dépose une requête pour précisions qui sera accueillie le 21 octobre.
[10] Le 30 novembre, lors de l'interrogatoire du demandeur, le procureur de la défenderesse mentionne qu'il soulèvera peut-être un moyen préliminaire en vertu d'un master contract contenant une clause d'élection de for. Il n'y a toujours pas question de litispendance.
[11] Le 17 avril 2012, DRC produit la requête en rejet et dépose quelques jours plus tard un affidavit supplémentaire ainsi qu'une nouvelle pièce.
Les arguments des parties
[12] DRC soulève en premier que le jugement du tribunal turc constitue chose jugée. Dans l'alternative qu'il ne soit pas considéré un jugement final, il y aurait litispendance.
[13] De plus, DRC prétend que les parties sont liées par un master contract qui contient une clause d'élection de for en faveur des tribunaux turcs.
[14] Finalement, DRC maintient que la théorie du forum non conveniens milite à l'encontre des tribunaux québécois en faveur des tribunaux turcs.
[15] Transflex soumet que l'action turque ne contient pas le même objet que l'action entreprise au Québec et que, par conséquent, il ne pourrait y avoir question de chose jugée ou de litispendance.
[16] Le master contract date du 10 mars 2008, soit après l'émission de deux des bons de commande qui font l'objet de l'action prise au Québec. Il ne peut y avoir effet rétroactif à la clause d'élection de for d'autant plus que le master contract contient une clause fixant le 10 mars 2008 comme date de mise en exécution.
[17] Transflex prétend de plus que DRC est forclos de plaider l'absence de compétence de la Cour supérieure ayant accepté cette compétence par ses agissements pendant l'instance.
[18] En ce qui a trait à la question de forum non conveniens, Transflex soutient que les tribunaux québécois sont plus appropriés pour entendre ce débat que les tribunaux turcs.
Analyse
[19] DRC a soulevé la présomption de la chose jugée à l'encontre de l'action de Transflex prise au Québec. Or, le tribunal constate que même s'il y a identité des parties, l'objet des deux actions ainsi que les résultats recherchés sont très différents: en Turquie, DRC réclamait le paiement d'une commande de tuyaux que Transflex disait être défectueux. Il s'agissait d'une action sur compte et ce compte était composé d'un seul bon de commande.
[20] Au Québec, Transflex réclame des dommages subis par elle à cause des défectuosités alléguées à la suite de trois livraisons de tuyaux en vertu de trois bons de commande différents. Il ne peut y avoir litispendance entre ces deux recours ni, par conséquent, chose jugée. Il faut aussi remarquer que DRC n'a apporté aucune preuve de la finalité du jugement turc.
[21] La clause d'élection de for contenue au master contract peut difficilement trouver application à des bons de commande (donc des relations contractuelles) qui ont précédé sa rédaction et signature. DRC a tenté, par l'introduction d'un affidavit et d'un formulaire de confirmation concernant un autre bon de commande, de faire valoir l'existence d'une autre clause d'élection de for. Sans se prononcer sur l'admissibilité fort douteuse de l'affidavit et du formulaire de confirmation, il suffit de souligner le libellé de cette clause:
"In case of conflict arises, arbitral courts are Turkish Courts" (sic)
[22] On ne peut certainement pas conclure à la lecture de cette phrase qu'elle a « un caractère impératif et qu'elle confère une compétence exclusive de manière claire et précise à l'autorité étrangère.[1] »
[23] Finalement, notre jurisprudence a fait état de façon constante que le requérant a une obligation de dénoncer ses moyens préliminaires dans un court laps de temps et que certains de ses gestes peuvent constituer une acceptation de la compétence du tribunal tel que prévu à l'article 3148 C.c.Q :
5° Le défendeur a reconnu leur compétence.
Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d'un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n'ait reconnu la compétence des autorités québécoises.
1991, c. 64, a. 3148 (1994-01-01).
[24] Dans l'affaire Alimport,[2] la Cour suprême du Canada a décidé que le fait pour une compagnie étrangère d'avoir présenté une requête pour précisions l'empêchait de soulever l'absence de compétence du tribunal québécois par la suite :
Il s'agit là [la requête pour précisions] d'un acte de procédure fait sans restrictions et qui implique acceptation de la juridiction, sans parler du long délai qu'on a ensuite laissé couler.[3]
[25] Cette interprétation a été reprise par la Cour d'appel dans Ellipse Fiction c. International Image inc.[4] et, plus récemment, par le juge Jean-Pierre Sénécal de notre cour dans l'affaire Stavropoulos:
La défenderesse a ici reconnu, tout au moins implicitement, la compétence du tribunal québécois. Des ententes sur le déroulement de l'instance ont été signées à trois reprises (…). Il n'a jamais été question d'exception déclinatoire avant que la requête pour rejet soit signifiée le 22 juin, soit quatorze mois après le début de l'instance. Il n'y a eu non plus aucune réserve quant à la compétence, au moment de la comparution ou par la suite. Il y a eu entre les parties de nombreuses procédures, interrogatoire, etc.[5]
[26] Dans le cas qui nous occupe, DRC a aussi comparu sans réserve, a signé un échéancier, a soulevé comme seul moyen préliminaire une requête pour précisions et n'a fait que mentionner la possibilité de soulever un moyen déclinatoire fondé sur une clause d'élection de for que lors de l'interrogatoire du demandeur, le 30 novembre 2011. Ce n'est pourtant que le 17 février 2012, que DRC dépose sa requête en irrecevabilité/ moyen déclinatoire. Les motifs donnés pour justifier ce retard se retrouvent au paragraphe 17 de la requête re amendée :
Delay
Insofar as the timing of this Motion is in issue, the Plaintiff prays to be relieved from any delay in bringing this Motion for the following reasons;
a) the judgment of the Court of Sakarya (Exhibit D-4) was only rendered on December 20, 2011; a request was made in early January for an official translation; the translation was only provided by the Court on February 13, 2012;
b) The Defendant only realized very recently that there was a master contract (the PBSA) covering its dealings with the Plaintiff; for small volume purchases (Plaintiff's prospective purchase volumes qualified as such at the time) Defendant typically did not enter into master contracts, but dealt solely on the basis of purchase orders; therefore the Defendant did not believe, until recently realizing otherwise, that there had been a master contract;
c) As soon as Defendant realized there had been a master contract, wich was by chance happening on it on November 29, 2011, it communicated copy of the PBSA to its Canadian counsel for their opening November 30, 2011; since discovery examination of Plaintiff's representative was scheduled for that same day, counsel were instructed to proceed with the discovery examination, but to make a reserve at the outset in relation to the PBSA and its jurisdiction clause; the said reserve is set out in the transcript of the discovery examination, the relevant pages of which are produced as Exhibit D-8 to this Motion;
d) If the Defendant had realized earlier that there was a master contract, it would have been produced, and this Motion made (as regards the jurisdiction clause), at such earlier time; as it was, the Defendant was proceeding, up until the discovery of the PBSA, on the mistaken assumption that there was no master contract and therefore no jurisdiction clause.
WHEREFORE, Defendant prays:
a) insofar as necessary for relief from any delay in bringing this Motion, and;
b) for dismissal of the Plaintiff's action/Introductory Motion;
The whole with costs.
[27] Or ces motifs ne tiennent pas la route : DRC savait depuis 2009 qu'elle avait intenté une action contre Transflex en Turquie. Si elle croyait vraiment que cette action avait le même objet que celle prise par Transflex deux ans plus tard au Québec, elle aurait pu demander la suspension des procédures en vertu de l'article 3137 C.c.Q. dès réception de la requête introductive d'instance. Elle a choisi de se taire jusqu'à ce qu'elle ne reçoive un jugement en sa faveur.
[28] Il en est de même pour le master contract et la clause d'élection.
[29] La requérante prétend n'avoir appris l'existence de ce contrat qu'en novembre 2011. Il se peut fort bien que le procureur de la requérante ne l'ait appris qu'à ce moment, mais la requérante, ayant signé le document, ne peut utiliser cet argument pour justifier son retard à l'invoquer.
[30] Or, ce contrat avait été signé le 10 mars 2008. Il contient une clause d'élection du for et du droit applicable. Cependant, deux des bons de commande qui font l'objet de la requête introductive d'instance ont été signés avant cette date. Comme nous l'avons déjà souligné, il est pour le moins douteux que les clauses puissent s'appliquer à ces deux bons.
[31] De toute façon, même si le contrat pouvait être interprété de façon à y inclure les deux premiers bons de commande, la requérante, l'ayant signé en 2008, aurait dû en soulever l'existence à titre de moyen préliminaire avant le 17 février 2012, d'autant plus, qu'elle essaie aujourd'hui, par le biais d'un affidavit supplémentaire, de bonifier cette preuve en prétendant que toutes les confirmations de commandes de DRC contenaient une clause d'élection. Si, comme elle le prétend, DRC avait toujours utilisé cette formulation, elle aurait dû connaître l'existence de ce moyen d'exception. Sa requête est donc tardive et ce moyen peut être réputé avoir été abandonné par les procédures entreprises depuis juin 2011.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE LA Re-amended Motion to dismiss (res judicata alternatively lis pendens), alternatively to dismiss for declaratory exception (jurisdiction clause, alternatively forum non conveniens);
AVEC DÉPENS.
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__________________________________ PEPITA G. CAPRIOLO, J.C.S |
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Me Antoine Bigenwald |
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Fraticelli Provost, S.E.N.C. |
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Procureur de la Demanderesse/Intimée |
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Me Nicholas J. Spillane |
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Brisset Bishop, S.E.N.C. |
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Procureur de la Défenderesse/Requérante |
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Date d’audience : |
15 juin 2012 |
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[1] GreCon Dimter inc c. J.R. Normand inc, [2005] 2 R.C.S. 401 , par.27.
[2] Alimport (Empresa Cubana Importadora de Alimentos) c. Victoria Transport Ltd., [1977] 2 R.C.S. 858 .
[3] Ibid, p 863.
[4] [1997] n° AZ-98011067 (C.A.).
[5] Stavropoulos-Heliotis c. Olympic Airways, s.a., 2006 QCCS 4782 , par. 22.
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