Lefebvre (Syndic de); Tremblay (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326, 2004 CSC 63
Services DaimlerChrysler Canada Inc. Appelante
c.
Jean-François Lebel Intimé
et entre
GMAC Location Limitée Appelante
c.
Raymond Chabot Inc. Intimée
Répertorié : Lefebvre (Syndic de); Tremblay (Syndic de)
Référence neutre : 2004 CSC 63.
Nos du greffe : 29770, 29780.
2004 : 20 avril; 2004 : 28 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie et LeBel.
en appel de la cour d’appel du québec
Faillite et insolvabilité — Bail à long terme — Opposabilité du
droit de propriété du locateur au syndic à la faillite du locataire — Défaut de
publication des droits résultant du bail dans le délai prévu par la loi — Le
locateur à long terme d’un véhicule automobile peut-il opposer son droit de
propriété au syndic à la faillite du locataire, malgré son défaut de publier
ses droits dans le délai prescrit par l’art.
Deux débiteurs louent pour un terme de 36 mois des véhicules
automobiles en vertu de baux mobiliers, dont les droits sont cédés aux
appelantes. Avant la fin des baux, les débiteurs font cession des véhicules et
les intimés sont nommés syndics à la faillite. Les appelantes transmettent aux
syndics une preuve de réclamation afin d’être mises en possession des véhicules
dont elles sont propriétaires. Les syndics refusent les réclamations parce que
la publication des baux au registre des droits personnels et réels mobiliers
n’a pas été faite dans le délai prévu à l’art.
Arrêt : Les pourvois sont accueillis.
Un contrat de bail n’est pas translatif de propriété entre le locataire et le locateur. Le bien loué demeure dans le patrimoine du locateur. Le locataire n’a qu’un statut de détenteur en vertu duquel il doit remettre le bien à la fin du bail. Bien que le droit de propriété du locateur ne découle pas du bail, les règles relatives à la publicité des droits en modulent les effets à l’égard des tiers puisque son opposabilité dépend de sa publication. L’obligation de publication n’a toutefois pas pour effet de transformer le droit de propriété en une simple sûreté. Rien dans le Code civil du Québec ou dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne modifie la nature du droit de propriété du locateur sur la chose louée et les droits qui en découlent vis-à-vis le locataire.
Le statut et les fonctions attribuées au syndic à la suite de l’ouverture d’une faillite ne permettent pas de le considérer comme un tiers habilité à soulever l’inopposabilité des droits du locateur du véhicule automobile, en raison de la violation de l’obligation de publication. La nature du rôle du syndic et sa qualification juridique varient selon la nature de ses interventions. D’une part, le syndic se trouve subrogé au failli dans l’exercice de ses pouvoirs de détention et de disposition des biens dont la saisine lui est attribuée; d’autre part, la loi fait de lui le mandataire légal des créanciers qui liquidera à leur profit les biens qui lui ont été confiés. Ce double aspect ne lui reconnaît pas le statut de tiers par rapport au failli, particulièrement à l’égard de l’ensemble des pouvoirs que lui confère la loi pour préserver et liquider les biens du débiteur. Lors de la prise de contrôle des biens, le syndic n’est saisi que des biens qui se trouvaient dans le patrimoine du débiteur et, sous réserve de pouvoirs spéciaux, il ne possède pas plus de droits à l’égard de ces biens que n’en possédait le débiteur.
En l’espèce, le droit de propriété des appelantes est donc opposable aux syndics et leurs réclamations auraient dû être admises. Les véhicules loués n’ont jamais fait partie des patrimoines des débiteurs. Le syndic, en refusant de remettre les biens, prétendait disposer d’un bien que sa saisine n’incluait pas.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Ouellet (Syndic de),
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1749, 1752, 1756, 1847, 1852, 1890, 2647, 2941.
Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, art. 25, 28.
Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement à la publicité des droits personnels et réels mobiliers et à la constitution d’hypothèques mobilières sans dépossession, L.Q. 1998, ch. 5, art. 6, 7, 8, 24.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, art. 67, 71(2), 81.
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1, art. 150.14.
Doctrine citée
Auger, Jacques, et Albert Bohémier. « Le statut du syndic » (2003), 37 R.J.T. 59.
Cantin Cumyn, Madeleine. Traité de droit civil : L’administration du bien d’autrui, sous la direction de Paul-A. Crépeau. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2000.
Lafond, Pierre-Claude.
Lamontagne, Denys-Claude, avec la collaboration de Pierre Duchaine. La publicité des droits, 3e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2001.
Macdonald, Roderick A. « Faut-il s’assurer qu’on appelle un chat un chat? Observations sur la méthodologie législative à travers l’énumération limitative des sûretés, “la présomption d’hypothèque” et le principe de “l’essence de l’opération” », dans Mélanges Germain Brière. Montréal : Wilson & Lafleur, 1993, 527.
Payette, Louis. Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 2e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2001.
Québec. Ministère de la Justice. Commentaires du ministre de la Justice — Le Code civil du Québec : Un mouvement de société, t. II. Québec : Publications du Québec, 1993.
Québec. Office de révision du Code civil. Rapport sur le Code civil du Québec, vol. II, Commentaires, t. 1. Québec : Éditeur officiel du Québec, 1978.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec,
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2003] J.Q. no 2305 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [2001] J.Q. no 3446 (QL). Pourvoi accueilli.
Yves Lacroix et Gary Makila, pour l’appelante Services DaimlerChrysler Canada Inc.
Hugues La Rue, pour l’appelante GMAC Location Limitée.
Martin P. Jutras, pour l’intimé Jean-François Lebel.
Personne n’a comparu pour l’intimée Raymond Chabot Inc.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1
Les deux pourvois soulèvent un problème
semblable : le locateur à long terme d’un véhicule automobile peut-il opposer
son droit de propriété au syndic à la faillite du locataire, malgré son défaut
de publier ses droits au Registre des droits personnels et réels mobiliers («
RDPRM ») dans le délai prescrit par le Code civil du Québec, L.Q. 1991,
ch. 64? Ces appels ont été entendus en même temps qu’une troisième affaire qui
porte sur un contrat de vente à tempérament et qui soulève la question de
l’opposabilité de la réserve de propriété du vendeur au syndic à la faillite de
l’acquéreur (Ouellet (Syndic de),
2 Dans les deux cas qui nous intéressent, la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec ont conclu que le droit de propriété du locateur n’était pas opposable au syndic, faute de publication en temps utile. Pour les raisons que j’expose plus loin, je suis d’opinion que ce droit de propriété justifie la revendication entre les mains du syndic et lui est opposable. À mon avis, dans le contexte des faits de ces affaires, le syndic ne peut être considéré comme un tiers à l’égard des appelantes, qui peuvent exercer valablement les droits de suite et de revendication que leur confère leur qualité de propriétaires des biens loués. J’accueillerais en conséquence ces deux pourvois, afin de faire droit aux conclusions en revendication des appelantes.
II. L’origine des litiges
A. Services DaimlerChrysler Canada Inc.
3
Dans ce dossier, Alfred Lefebvre a loué un
véhicule Dodge Dakota d’un concessionnaire automobile, la compagnie Jules
Baillot et Fils Ltée. Le bail mobilier d’une durée de 36 mois est intervenu le
19 avril 1999. À la même date, le concessionnaire a cédé le contrat de bail à
l’appelante qui est maintenant connue sous le nom de Services DaimlerChrysler
Canada Inc. (« DaimlerChrysler »). Au moment de la conclusion du
bail, l’art.
4
En effet, Alfred Lefebvre fait cession de ses
biens le 1er novembre 2000, alors qu’il est toujours locataire du
véhicule Dodge Dakota et l’intimé, Jean-François Lebel, est nommé
syndic. Le 24 novembre 2000, DaimlerChrysler lui transmet une preuve de
réclamation, selon l’art.
5 Le 5 décembre 2000, le syndic informe DaimlerChrysler qu’il conteste sa réclamation. Selon lui, le contrat lui est inopposable, parce que publié tardivement. En conséquence, il refuse de remettre le véhicule à DaimlerChrysler. Celle-ci dépose alors devant la Cour supérieure du Québec une requête en appel de cette décision. Dans cette procédure, elle demande que soient reconnues la validité de son droit de propriété et son opposabilité au syndic.
B. GMAC Location Limitée
6
Dans cette affaire, le 28 septembre 1998, Martin
Tremblay loue une automobile de marque Cavalier d’un concessionnaire
automobile, Marlin Chevrolet-Oldsmobile Inc., pour un terme de 36 mois. Le
même jour, le concessionnaire cède le contrat à l’appelante, GMAC Location
Limitée (« GMAC »). La publication des droits créés par ce bail n’a lieu
que le 9 janvier 2001. Le 13 décembre 2000, le locataire reçoit un avis de
reprise de possession suivant l’art.
7 Invoquant le défaut de publication en temps utile au RDPRM, le syndic réplique par un avis de contestation de la preuve de réclamation, dans lequel il prétend que les droits de GMAC ne lui sont pas opposables. Le 17 janvier 2001, GMAC signifie une requête en appel devant la Cour supérieure, en vue de faire reconnaître ses droits de propriétaire du véhicule et d’en reprendre possession. Pendant le cours de cet appel, les parties s’entendent pour faire vendre le véhicule et entiercer le produit de la vente.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure
(1) DaimlerChrysler
8
La juge Trudel entend la requête en appel de
DaimlerChrysler. Au départ, elle concède à celle-ci que le droit de propriété
du locateur ne constitue pas à proprement parler un droit résultant du bail.
Les principaux droits créés sont le droit du locateur de recevoir le loyer et
celui du locataire d’utiliser le véhicule. Toutefois, s’appuyant sur l’arrêt Giffen
(Re),
(2) GMAC
9
GMAC ne réussit pas mieux que DaimlerChrysler
devant la Cour supérieure. Le juge Boisvert reconnaît certes que le droit de
propriété de GMAC ne résulte pas du contrat de location. Cependant, s’appuyant
sur l’arrêt Giffen, il conclut que, depuis l’entrée en vigueur de
l’art.
B. Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Dussault et Thibault)
10
Une même formation de la Cour d’appel du Québec
a entendu les appels de DaimlerChrysler et de GMAC. Dans ces deux dossiers, la
Cour d’appel a déposé des motifs communs et conclu, à la majorité, au rejet des
prétentions des propriétaires des biens, déclarant leurs droits inopposables au
syndic de faillite :
11
Les opinions des juges majoritaires confirment
un courant de jurisprudence qui s’est établi à la Cour d’appel du Québec,
depuis les arrêts Massouris (Syndic de),
12
La juge Thibault admet que les règles classiques
du droit civil reconnaissent le droit du propriétaire d’un bien meuble de le
revendiquer à son possesseur, sans plus de formalités. Toutefois, dans le cas
de la location à long terme ou des ventes à tempérament de véhicules routiers,
elle s’appuie sur les arrêts Massouris et Mervis, pour conclure
que le législateur québécois a voulu modifier ces règles traditionnelles. Dans
ces cas, pour éviter la constitution de sûretés occultes, il a imposé une
obligation de publication et il a voulu traiter la réserve de propriété
stipulée, à son avis, dans le bail comme une sûreté. Quant aux baux de
véhicules à long terme, le texte de l’art.
13 L’opinion du juge Beauregard exprime un désaccord fondamental avec les motifs de ses collègues. À son avis, d’abord, des distinctions s’imposent avec l’arrêt Giffen. Contrairement au Code civil du Québec, la législation de la Colombie-Britannique prévoyait en effet que le bail d’un véhicule d’une durée de plus d’un an était assimilé à une sûreté et, qu’en cas de non-publication, il devait être traité comme une sûreté imparfaite. D’après lui, les dispositions relatives à la publication des baux à long terme et des ventes à tempérament ne modifient pas les principes fondamentaux du droit civil et, en particulier, la distinction essentielle entre le droit de propriété, d’une part, et les sûretés, d’autre part. Le droit de propriété n’a pas à être publié. S’il n’est pas opposable à certains tiers acquéreurs identifiés par le Code civil du Québec, le syndic de faillite n’est pas l’un d’eux. La faillite ne lui confère pas plus de droits à l’égard du propriétaire du bien que le failli n’en possédait et il ne peut s’opposer à la revendication par les appelantes, donc le juge Beauregard aurait accueilli les pourvois et reconnu les droits.
14 Par la suite, les appelantes ont été autorisées à se pourvoir devant notre Cour. Dans l’affaire GMAC, le syndic intimé n’a pas participé au débat devant notre Cour, s’en remettant à la justice. Dans le dossier DaimlerChrysler, l’intimé a contesté activement l’appel sous tous ses aspects.
IV. Dispositions législatives pertinentes
15 Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
1852. Les droits résultant du bail peuvent être publiés.
Sont toutefois soumis à la publicité les droits résultant du bail d’une durée de plus d’un an portant sur un véhicule routier ou un autre bien meuble déterminés par règlement, ou sur tout bien meuble requis pour le service ou l’exploitation d’une entreprise, sous réserve, en ce dernier cas, des exclusions prévues par règlement; l’opposabilité de ces droits est acquise à compter du bail s’ils sont publiés dans les quinze jours. Le bail qui prévoit une période de location d’un an ou moins est réputé d’une durée de plus d’un an lorsque, par l’effet d’une clause de renouvellement, de reconduction ou d’une autre convention de même effet, cette période peut être portée à plus d’un an.
La cession des droits résultant du bail est admise ou soumise à la publicité, selon que ces droits sont eux-mêmes admis ou soumis à la publicité.
2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet.
Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu’ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi.
V. Analyse
A. Les questions en litige
16
Les dossiers que nous étudions soulèvent des
problèmes d’interaction entre le droit civil québécois et la législation fédérale
sur la faillite et l’insolvabilité. Il nous faut examiner la qualification
juridique de certains droits réels mobiliers créés en vertu du Code civil du
Québec ainsi que le rôle et les pouvoirs du syndic de faillite à l’égard de
leur exercice. Cette partie de l’analyse nous oblige à revenir sur
l’interprétation des dispositions du Code civil du Québec,
notamment de l’art.
B. Les prétentions des parties
17
Les appelantes défendent une position commune
dans ces pourvois. Leurs moyens se résument en quelques propositions. Tout
d’abord, la conclusion d’un contrat de location à long terme ne réduit pas le
droit de propriété du locateur à une simple sûreté. Le droit du locateur
demeure un droit de propriété, qui ne résulte pas du bail, au sens de l’art.
18 Selon l’intimé dans le dossier DaimlerChrysler, les principes qui se dégagent de l’arrêt Giffen s’appliquent. Comme en Colombie-Britannique, le législateur québécois a imposé la publication comme une condition nécessaire de l’opposabilité des droits aux tiers, parmi lesquels se trouve le syndic à la faillite du locataire. À son avis, la décision prise par la Cour d’appel d’assimiler le bail et les droits qu’il reconnaît ou crée à une sûreté assujettie à la publication correspond aux exigences de la vie commerciale et à l’intention du législateur. Celui-ci édicte clairement l’obligation de publication comme condition de l’opposabilité du bail aux tiers.
C. Le contexte législatif : la réforme du droit des sûretés lors de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec
19 La discussion des thèses défendues par les parties exige au préalable de brèves remarques sur l’aménagement du droit des sûretés en droit civil québécois, à la suite de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, en 1994. En parallèle, un rappel de quelques notions fondamentales de droit des biens paraît utile pour définir la nature des problèmes en cause, qualifier correctement les droits des parties et apprécier la validité des solutions proposées pour résoudre les difficultés que posent ces dossiers.
20
L’entrée en vigueur du Code civil du Québec a
marqué une étape importante dans l’évolution du droit des sûretés réelles du
Québec (L. Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec (2e
éd. 2001)). Le législateur a alors réorganisé cette partie du droit civil. Il
l’a désormais structurée principalement autour d’un type de sûreté,
l’hypothèque, applicable aux biens mobiliers ou immobiliers, bien qu’il ait
aussi reconnu un autre type de droit, la priorité, pour protéger certains types
de créances, comme le prévoit l’art.
21
Cette distinction entre sûreté et droit de
propriété constitue d’ailleurs toujours un élément fondamental de la
classification des droits réels en droit des biens dans le Code civil du
Québec. Droit réel fondamental, conférant en principe la maîtrise
juridique complète d’un bien, le droit de propriété se distingue des droits
réels accessoires que sont les sûretés telles que l’hypothèque. Un auteur
qualifie ces dernières de « droits réels de garantie », portant sur la valeur
pécuniaire plus que sur la matérialité d’une chose, destinés à compléter un
autre droit, en le garantissant ou en assurant le paiement d’une créance
(P.-C. Lafond,
22
Dans ce contexte, parallèlement à la réforme du
droit des sûretés, la codification de 1994 apportait des modifications
importantes au régime de la publicité des droits. Tout en révisant
substantiellement les règles gouvernant la publicité foncière, le législateur
prévoyait la création du RDPRM. L’établissement de ce registre voulait
porter remède à des vices sérieux du régime antérieur, marqué par la diversité
et le caractère souvent occulte des sûretés, à cause de l’absence d’un
mécanisme général de publication, qui le rendait dangereux pour la sécurité
juridique des transactions relatives à de nombreuses catégories de biens
meubles. Un objectif fondamental de la mise sur pied de cette institution
était de rendre publiques les sûretés créées sur des biens meubles selon les
règles du nouveau Code civil du Québec. (Voir D.-C. Lamontagne,
avec la collaboration de P. Duchaine, La publicité des droits (3e éd.
2001), p. 301.) Comme dans le cas de la publicité foncière, ainsi que le
prévoit l’art.
23
Lors de son entrée en vigueur en 1994, le Code
civil du Québec n’imposait pas encore l’obligation de publier au RDPRM les
droits découlant des baux à long terme de véhicules routiers. Cette obligation
n’a été introduite qu’en 1998, par une modification apportée à l’art.
D. La situation juridique du locataire à l’égard du locateur
24
Le contrat examiné en l’espèce demeure un
contrat de bail. Selon ses règles fondamentales, ce contrat n’est pas
translatif de propriété entre le locataire et le locateur. Il ne laisse au
preneur qu’un statut de détenteur et d’utilisateur à titre précaire, en vertu
duquel il doit remettre le bien à la fin du bail, comme le prévoit
l’art.
25
La majorité de la Cour d’appel a conclu que
cette requalification s’imposait et qu’en conséquence, le défaut de publication
pouvait être soulevé par le syndic, qui devait être considéré comme un tiers
pour l’application de l’art.
26 Cette interprétation tend à réintroduire dans le droit des sûretés réelles du Québec un concept rejeté par le législateur au moment de la codification de 1994, celui de la présomption d’hypothèque. On peut aussi penser que cette approche correspond à une volonté d’identifier l’essence de l’opération réalisée et de requalifier l’opération en conséquence. Au point de vue économique, il est fort probable que les différentes méthodes employées par les commerçants de véhicules moteurs — location à long terme, crédit-bail ou vente à tempérament — représentent toutes des techniques destinées à atteindre un même objectif : trouver un client, lui obtenir le crédit nécessaire à l’opération, mettre le véhicule à sa disposition, tout en protégeant l’intérêt du fournisseur de crédit. Cependant, avant de mettre de côté toutes les catégories juridiques pertinentes, encore faut-il s’arrêter à la teneur des contrats intervenus et à leur situation dans les classifications des contrats établies par le Code civil du Québec et utilisées par les parties.
27 Dans le contexte de ces transactions, il faut se garder de mettre de côté les catégories fondamentales du droit des biens et de négliger la nature des droits créés par le régime établi par le type de contrat nommé intervenu à l’égard des biens en question, en l’occurrence, le louage. Contrairement aux propositions de l’Office de révision du Code civil, aucune disposition du Code civil du Québec ne transforme le droit de propriété du bailleur en une hypothèque ni ne lui interdit de mettre un véhicule automobile dans le commerce, en employant l’instrument juridique du bail, qui lui laisse la propriété du bien. En vertu d’une telle convention, l’automobile demeure dans le patrimoine du locateur, le locataire n’ayant que le droit de l’utiliser conformément aux dispositions du bail et des lois applicables. Il faut alors analyser la situation juridique à partir du constat que le bailleur conserve toujours en l’espèce un droit de propriété, dont le législateur peut toutefois choisir de moduler les effets à l’égard des tiers et des syndics de faillite. Cela soulève le problème de la portée de l’obligation de publier les droits résultant du bail sur le droit de propriété et l’efficacité de ce dernier.
E. L’obligation de publication des droits
28
Dans l’étude de l’obligation de publication, il
importe de tenir compte au départ du principe fondamental du régime de
publicité des droits du Québec. Tel que l’énonce l’art.
2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet.
Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu’ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi.
29 Le droit de propriété du locateur ne découle pas du bail. Il préexiste en quelque sorte à celui-ci. Cependant, les règles relatives à la publicité des droits modulent ses effets à l’égard des tiers. L’opposabilité de ces droits aux tiers dépend de leur publication, qui est devenue obligatoire. L’inexécution de l’obligation de publication peut alors entraîner effectivement des transferts de propriété fondés sur l’apparence juridique créée par la détention, en rendant impossible la revendication du bien entre les mains des tiers. De ces conséquences possibles de la mise en œuvre du régime de publicité des droits, on ne saurait déduire le principe que la publicité crée le droit de propriété du bailleur ni qu’elle soit nécessaire à son existence. Elle n’est requise que pour protéger ce droit à l’égard des tiers, ce qui est le propre de la notion d’opposabilité.
30
Certes, le législateur peut intervenir plus
profondément dans les rapports juridiques des parties ou des intéressés, pour
requalifier les droits établis par les contrats ou pour donner une portée plus
radicale aux conséquences du défaut de publication. Un exemple d’une
intervention législative de ce type se trouve à l’art.
31 Dans le cas du bail à long terme, on ne retrouve rien dans le Code civil du Québec ni dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui modifie la nature du droit de propriété du locateur sur la chose louée et les droits qui en découlent vis-à-vis le locataire. Il conserve son statut et ses droits de propriétaire à l’égard du locataire. Celui-ci reste un détenteur à titre précaire, à l’égard duquel le bailleur peut exercer, entre autres, son droit de reprendre le bien à la fin du bail, lors de sa résiliation ou dans les cas prévus par le contrat ou par la loi. Il faut maintenant examiner si le statut et les fonctions attribuées au syndic à la suite de l’ouverture d’une faillite permettent de le considérer comme un tiers habilité à soulever l’inopposabilité des droits du locateur du véhicule automobile, en raison de la violation de l’obligation de publication. Cette question soulève encore une fois les difficultés causées par les ambiguïtés du statut du syndic en droit de la faillite et de l’insolvabilité et par la nécessité d’adapter le droit fédéral de l’insolvabilité à deux systèmes juridiques modernes, mais différents par leurs méthodes, leur vocabulaire et, parfois, leurs classifications fondamentales.
F. La position du syndic de faillite
32 Dans la logique de sa qualification des droits du locateur, la Cour d’appel du Québec a assimilé le syndic de faillite à un tiers et lui a permis de soulever une défense d’inopposabilité pour conserver le bien et en disposer au bénéfice des créanciers du débiteur. Cette conclusion repose sur une conception trop réductrice du rôle diversifié du syndic, de la dualité de ses statuts lors de l’ouverture de la faillite, ainsi que de la nature de la cession des biens du failli qui lui est faite et de la saisine qu’il en détient en conséquence.
33
Le vocabulaire utilisé par la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité invite un juriste de formation civiliste à
conclure trop vite et à voir dans la cession que provoque la mise en faillite
un transfert de propriété à un tiers. Le paragraphe
34
Le contenu juridique de la fonction du syndic ne
se laisse pas définir aisément. Je reconnais que le concept de cessionnaire a
été employé dans des jugements qui inspirent depuis longtemps la jurisprudence
des cours du Québec, notamment celui du juge Bernier, alors de la Cour
supérieure, dans l’affaire Civano Construction Inc. c. Crédit M.-G. Inc.,
[1962] C.S. 45
. (Voir aussi Kowalski c. Trust Général du Canada,
35
Le concept strict de propriété rend mal compte
de la nature des fonctions du syndic et des droits qu’il exerce sur les biens à
la suite de l’ouverture de la faillite. D’abord, ses droits ne s’exercent que
par rapport à un patrimoine dont le contenu est défini légalement par l’art.
36
De toute manière, le recours à la notion de
dévolution dans la version française du par.
37
Lors de la prise de contrôle ou saisine de
l’universalité de biens définie par l’art.
38 Toutefois, sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et, souvent, en vertu de lois provinciales diverses, le syndic se voit confier des pouvoirs spéciaux qui lui permettent d’intervenir pour reconstituer le patrimoine du débiteur tel qu’il était ou tel qu’il aurait dû être ou pour protéger l’actif de la faillite contre des droits indûment réclamés ou exercés à son endroit. Une telle situation se présente dans le cas des recours en annulation de paiements préférentiels ou de transferts irréguliers de biens du failli ou dans la contestation de sûretés illégalement accordées ou qui n’ont pas été parfaites conformément à la loi.
39 Cependant, l’existence de ces pouvoirs et la nature du statut qu’elle confère au syndic ne l’autorisent pas à liquider un bien qui ne se trouvait pas dans le patrimoine du failli. Dans le présent appel, une situation de cette nature s’est créée. Les véhicules loués par les appelantes n’ont jamais fait partie des patrimoines des débiteurs. Puisque les droits des locateurs ne peuvent être considérés comme de simples droits de créance, garantis par des sûretés réelles, le syndic, en refusant de remettre les biens, prétendait disposer d’un bien que sa saisine n’incluait pas.
40 À cette étape de l’étude des dossiers, quelques commentaires apparaissent nécessaires à propos de l’arrêt Giffen dont la Cour d’appel estimait les principes déterminants en l’espèce. En l’interprétant ainsi, elle a donné à cet arrêt une portée qu’il n’avait pas, car elle a omis de prendre en compte le contexte législatif établi par la législation provinciale de la Colombie-Britannique, qui définissait les droits respectifs du locateur à long terme d’un véhicule automobile et du syndic à la faillite du locataire. En effet, dans l’affaire Giffen, la Personal Property Security Act, S.B.C. 1989, ch. 36, prévoyait au sous-al. 20b)(i) que le bail d’automobile non publié conformément aux exigences de la loi n’était pas opposable au syndic. La loi provinciale définissait elle-même alors la nature des droits respectifs du locateur et du syndic. Elle permettait à ce dernier de s’opposer à la revendication du bailleur et de liquider le bien pour le bénéfice des créanciers. Ainsi que le faisait observer le juge Iacobucci, le sous-al. 20b)(i) de la Personal Property Security Act conférait alors au syndic un intérêt supérieur à celui du failli, qui lui permettait de disposer du bien (par. 50). Comme on l’a vu plus haut, le Code civil du Québec n’a pas donné un effet semblable au défaut de publication des droits résultant du bail. Dans ce contexte, l’arrêt Giffen ne justifiait pas la solution retenue par la Cour d’appel. Au contraire, cet arrêt confirmait les règles établies au sujet de la composition du patrimoine du failli. La réclamation des appelantes aurait dû être admise. Leur appel paraît en conséquence bien fondé.
G. Les dépens
41 Les circonstances de ces affaires justifient une dérogation aux règles usuelles sur l’attribution de dépens. Dans le pourvoi de GMAC, je n’accorderais pas de dépens, l’intimée n’ayant pas participé à l’appel. Dans le pourvoi de DaimlerChrysler, il y aurait lieu d’accorder les dépens à l’intimé sur la base avocat-client. En effet, l’appelante a porté devant notre Cour une question d’intérêt qui la préoccupait davantage que le sort particulier de ce dossier. Par ailleurs, la participation de l’intimé et de ses avocats a été utile à l’examen des problèmes soulevés par cette affaire et il serait injuste de faire supporter à l’intimé la totalité des dépenses engagées dans l’intérêt général du développement du droit, au-delà de son intérêt restreint dans la gestion d’une faillite d’importance modeste.
VI. Conclusion
42 Pour ces motifs, j’accueillerais les pourvois et je ferais droit à la réclamation des appelantes. Puisque dans GMAC, la voiture a été vendue, l’appelante a droit au produit de la vente. Les pourvois devraient être accueillis sans dépens dans le dossier GMAC et avec dépens sur la base avocat-client en faveur de l’intimé dans le dossier DaimlerChrysler.
Pourvois accueillis.
Procureurs de l’appelante Services DaimlerChrysler Canada Inc. : Fasken Martineau DuMoulin, Québec.
Procureurs de l’appelante GMAC Location Limitée : Pothier Delisle, Sainte-Foy, Québec.
Procureur de l’intimé Jean-François Lebel : Martin P. Jutras, Westmount, Québec.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.