Décision

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98011038 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000353-950
(200-05-002037-930)

Le 3 décembre 1997



CORAM: LES HONORABLES LeBEL
MAILHOT
FISH, JJ.C.A.




JEAN-CLAUDE MORIN,

APPELANT - demandeur

c.

MARC MORIN,

INTIMÉ - défendeur

et

OFFICIER DU BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE QUÉBEC,

MIS EN CAUSE - mis en cause

et

MUNICIPALITÉ DE LAC BEAUPORT,

INTERVENANTE




          La Cour, statuant sur le pourvoi de l'appelant Jean-Claude Morin, contre un jugement de la Cour supérieure prononcé à Québec, le 10 mai 1997, par l'honorable Ivan St-Julien, qui rejetait alorsson action en injonction permanente présentée contre l'intimé Marc Morin, voulant interdire à celui-ci toute utilisation du lit d'un lac dans la Municipalité de Lac Beauport,

          Pour les motifs exposés dans l'opinion du juge LeBel, déposée avec le présent jugement, auxquels souscrivent les juges Mailhot et Fish:

          ACCUEILLE en partie le pourvoi;

          MODIFIE le jugement de la Cour supérieure, pour reconnaître à l'appelant Jean-Claude Morin l'exclusivité du droit de pêche dans le lac Morin, situé sur l'immeuble suivant:
«1.- Une parcelle de terrain connue et désignée comme étant partie du lot originaire DEUX CENT VINGT-HUIT (228 ptie) du cadastre officiel de la paroisse de Saint-Dunstan du Lac Beauport, division d'enregistrement de Québec. Bornée vers le sud et le sud-ouest par les lots 228-41 et 228-42 et par une autre partie du lot 228, vers le nord et le nord est par le lot 228-53, par le lot 228 ptie et par les lots 228-36, 228-31, 228-32, 228-28, 228- 39, 228-38, 228-40, 228-29, 228-30, 228-49, 228-35, 228-37 et 228-34, et vers le sud-ouest par le lot 227 ptie;



2.- Une parcelle de terrain connue et désignée comme étant partie du lot originaire DEUX CENT VINGT-SEPT (227 ptie) dudit cadastre. Bornée vers le sud par les lots 227-52, 227-34, 227-31, 227-56, 227-51, 227-32 et par le chemin public (lot 296), vers le sud-ouest et l'ouest par partie du lot 226, par les lots 227-54, 227-29 et 227-71 et par partie du lot 227, vers le nord et le nord-est par le lot 228 ptie, par les lots 227-43, 227-39, 227-72, 227-46, 227-45, 227-44, 227-40, 227-41 et 227-42 et par partie du lot 227;


3.- Une parcelle de terrain connue et désignée comme étant partie du lot originaire DEUX CENT VINGT-SIX (226 ptie) dudit cadastre. Bornée vers le nord-est par le lot 227 ptie et par les lots 226-32 et 226-15, vers le sud, le sud-ouest et l'ouest par les lots 226-31, 226-30, 226-29, 226- 14, 226-27, 226-62, 226-1, 226-60, 226-24, 226-25, 226-20, 226-23, 226-17, 226-18-1m 226-18-2m 226-49 et 226-48, par partie du lot 226, par le chemin public (lot 296), par partie du lot 225, par partie du lot 226 et par les lots 226-42, 226-43, 226-26, 226-44m 226-45m 226-46 et 226-47.»


          
REJETTE, pour le surplus, les autres conclusions de l'appel et CONFIRME le jugement de la Cour supérieure.

          LE TOUT sans frais en appel.
___________________________________

LOUIS LeBEL, J.C.A.


___________________________________

LOUISE MAILHOT, J.C.A.


___________________________________

MORRIS J. FISH, J.C.A.



ME JEAN-GUY LEBEL
(Beauvais, Truchon)
pour l'appelant

ME SIMON HÉBERT
(Charest et associés)
pour l'intimé

ME JACQUES TREMBLAY
(Pothier, Delisle)
pour l'intervenante

DATE D'AUDITION: 11 novembre 1997
COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000353-950
(200-05-002037-930)





CORAM: LES HONORABLES LeBEL
MAILHOT
FISH, JJ.C.A.






JEAN-CLAUDE MORIN,

APPELANT - demandeur

c.

MARC MORIN,

INTIMÉ - défendeur

et

OFFICIER DU BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE QUÉBEC,

MIS EN CAUSE - mis en cause

et

MUNICIPALITÉ DE LAC BEAUPORT,

INTERVENANTE




OPINION DU JUGE LeBEL

          L'appelant Jean-Claude Morin se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure prononcé à Québec, le 10 mai 1995, par l'honorable Ivan St-Julien. Celui-ci rejetait alors l'action de l'appelant en injonction permanente, présentée contre l'intimé Marc Morin. Propriétaire du lit d'un lac dans la Municipalité de Lac Beauport, il voulait en interdire toute utilisation à Marc Morin. L'appelant demande à notre Cour de casser le jugement de la Cour supérieure, d'accueillir l'action et de faire reconnaître que, comme propriétaire du lit du lac, il a droit d'empêcher les riverains d'y accéder.

          La question posée par ce pourvoi n'a jamais été, jusqu'à présent, portée aussi clairement devant notre Cour. Il s'agit de déterminer les droits des propriétaires riverains à l'égard d'un lac non navigable et non flottable, alimenté par l'eau courante de rivières et de sources. Pour saisir correctement la nature de ce problème, il faudra rappeler les faits à l'origine du litige et résumer les motifs et les conclusions du jugement de première instance.

L'ORIGINE DU LITIGE

          En 1955, l'appelant Jean-Claude Morin avait acheté plusieurs terres boisées ou marécageuses, dans la Municipalité de Lac Beauport. Deux rivières, la rivière Jaune et la rivière Morneau,et l'eau d'une source souterraine traversaient les propriétés acquises. Pour aménager un lac, Morin déboisa les lots acquis et entreprit d'endiguer les cours d'eau. Après la construction d'un petit barrage, il édifia, en 1957-1958, une digue au confluent des rivières. Après cette construction, le lac Morin se remplit graduellement. Les parties reconnaissent que ce lac, comme les rivières qui l'alimentent, n'est ni navigable ni flottable.

          Ces travaux d'aménagement terminés, l'appelant lotit les terrains situés autour du lac Morin. Il céda ces immeubles à une compagnie connue d'abord comme "Le Royaume du Lac Morin" et, plus tard, désignée comme "Domaine du Lac Morin". Cette entreprise vendit une vingtaine de terrains à des particuliers.

          Parallèlement à l'exécution de ce plan de lotissement, la Municipalité de Lac Beauport construisit un chemin de ceinture pour contourner le lac et desservir les propriétés qui s'y trouvaient. Elle imposa une taxe de secteur pour le remboursement de l'emprunt nécessaire à ces travaux. Cette taxe demeurant impayée par la compagnie à l'égard d'un certain nombre de lots, une vente en justice eut lieu. Au cours de celle-ci, la Municipalité se porta acquéreur de soixante-douze terrains. Jean-Claude Morin resta propriétaire du lit du lac. Par ailleurs, en 1983, après y avoir effectué des modifications pour l'élargir et construire un pont, la Municipalité avait acquis la propriété du barrage. Plus tard,l'intervenante vendit graduellement les terrains achetés lors de la vente en justice.

          Le 30 juin 1992, la Municipalité céda à l'intimé un terrain comprenant les lots 226-49 et 226-18-2 du cadastre de la Paroisse de St-Dunstan-de-Lac-Beauport. Ce lot était situé devant le lac. La clause 8 du contrat de vente prévoyait que la municipalité s'engageait à fournir un accès à celui-ci, sans préciser sa situation:

«Le vendeur s'engage à fournir à l'acquéreur et à ses ayants droit un accès à un terrain en bordure du Lac Morin à un endroit à être déterminé.»


          À cette époque, l'appelant Jean-Claude Morin était demeuré propriétaire des parties des lots 226, 227 et 228, qui correspondaient au lit du Lac Morin. Bien qu'il l'ait prétendu dans ses procédures et dans son argumentation, aucun élément de preuve n'établit qu'il soit resté propriétaire d'une bande de terrain autour du lac, entre celui-ci et les lots vendus par la Municipalité.
          Après son achat, l'intimé Marc Morin commença la construction d'une résidence. Il entreprit aussi de couper des arbres, d'aménager le terrain et de construire un quai flottant, conformément aux exigences de la Municipalité sur la protection desrives et de l'environnement. Une fois ces aménagements terminés, il s'est baigné à l'occasion et promené en chaloupe sur le lac.
          L'appelant considérait que, propriétaire du lit, il avait seul droit à l'usage du lac. Après de vives algarades, au cours desquelles il somma l'intimé de cesser toute forme "d'empiétement" sur sa propriété, le Lac Morin, il lui fit envoyer une mise en demeure. Enfin, le 14 juillet 1996, il déposa une requête en injonction interlocutoire et une déclaration en injonction permanente. Après l'institution de ces procédures, la municipalité intervint, prit le fait et cause de son acheteur Marc Morin et le défendit contre les prétentions de l'appelant. Elle plaida que Marc Morin, comme riverain du lac, jouissait d'un droit d'accès au lac et d'utilisation sportive et récréative de ses eaux.

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

          La Cour supérieure rejeta la demande d'injonction, de même qu'un recours reconventionnel de l'intimé, en ordonnant cependant à l'appelant de lui rembourser les honoraires d'expertise de l'intimé. Le premier juge semble avoir traité cette affaire principalement comme une question de droit à l'usage d'une eau courante, navigable et flottable. En conséquence, chose commune suivant l'article 913 C.c.Q., non susceptible d'appropriation privée, elle pouvait être utilisée librement par l'intimé, comme il le faisait, pour fins récréatives ou de loisirs.

LE POURVOI

          L'argumentation de l'appelant part d'un constat d'erreur dans le jugement de première instance. Bien que concédant que l'eau courante du lac Morin ne soit pas susceptible d'appropriation, elle rappelle que le lac Morin n'était ni navigable ni flottable. Sur ce point, l'intervenante ne conteste pas qu'une erreur ait été commise dans le jugement de première instance et ne prétend pas que le lac soit navigable ou flottable.
          L'appelant ajoute que le lit du ac Morin pouvait faire l'objet d'un droit de propriété indépendant de celui des terrains environnants, mais que de plus, il aurait conservé la propriété d'une portion de terrain ceinturant le lac sur une largeur de cinq à dix pieds sur l'équivalent des rives du lac. Tel qu'indiqué précédemment, la preuve n'appuie pas cette prétention, qui n'a pas été reprise dans l'argumentation présentée à l'audience.
          L'appelant soutient que l'intimé, même comme riverain, ne détiendrait aucun droit d'accès ou d'exploitation récréative du lac. Bien qu'alimenté par des cours d'eau, un lac pourrait acquérir un caractère de propriété privée. En effet, le droit de propriété du lit, portant sur le sol et l'espace qui le surplombe, emporterait ainsi, par une sorte d'accession, la propriété de l'eau du lac ou un droit exclusif à son usage. Seule la reconnaissanced'un droit de la nature d'une servitude permettrait à un tiers d'accéder à un tel lac et d'utiliser ses eaux. L'appelant plaide aussi que la limite des terrains acquis par l'appelant correspondrait à la limite des parties de lots formant le lit du lac. En passant au-delà de cette limite, l'intimé Marc Morin empiéterait sur la propriété de l'appelant. Ainsi, en l'absence de servitude, il ne saurait ni accéder au lac ni l'utiliser.

          L'intimé n'a pas participé activement aux débats devant la Cour. Il s'en est remis aux moyens défendus par la municipalité intervenante. Celle-ci a défendu la thèse d'un droit d'accès au Lac Morin en faveur des propriétaires riverains. Selon son argumentation, le statut de riverain d'un plan d'eau privé, mais alimenté par des eaux courantes, confère un droit d'accès, de circulation et d'utilisation récréative ou sportive. Celui-ci se fonde sur le statut de bien commun de l'eau courante. Une preuve non contredite confirme d'ailleurs que ce lac demeure une eau courante, qui trouve sa source dans un bassin hydrographique, où l'on retrouve trois cours d'eau. Le niveau de ce plan d'eau varie suivant les saisons et les précipitations. On ne saurait donc le traiter comme un lac artificiel, mais plutôt lui reconnaître le statut juridique d'une eau courante et analyser les droits des riverains sur cette base.

LA QUESTION EN LITIGE
          Cet appel pose une question qui n'a jamais été explicitement résolue par notre Cour, c'est-à-dire l'existence et l'étendue des droits d'accès des riverains à des eaux courantes, lacs ou rivières, non navigables ni flottables. Elle se distingue du problème de l'accès à des lacs ou étangs artificiels étudié par la Cour dans des arrêts comme Rondeau c. Association des propriétaires de Place des Buissons Inc., [1995] R.D.I. 161 , et Plourde c. Plante, [1986] R.D.I. 299 .

          Certes, cette question des droits des riverains n'est pas en soi nouvelle, comme le confirme la lecture du rapport Le Droit québécois de l'eau (Le droit québécois de l'eau, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal, Étude rédigée sous la direction de Me Guy Lord, 1977, vol. 1 et 2, Ministère des Ressources naturelles du Québec). Cette étude entendait examiner, entre autres, l'état de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence pour déterminer entre autres l'étendue des droits du public ou des riverains sur des cours d'eau. De façon générale, le rapport avait conclu que les occupants des rives, qu'ils soient propriétaires ou locataires, pouvaient prétendre exercer des droits riverains. La propriété du lit de lacs ou de rivières non navigables ni flottables n'entraînerait pas nécessairement la propriété des rives ou le droit exclusif à leur usage, non plus qu'un droit d'accès à celles-ci (voir G. Lord, Le droit québécois de l'eau, vol. 1, p. 150).
          Cette conclusion s'appuyait en partie sur un commentaire en obiter du juge Rinfret, de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Garneau c. Diotte [1927] R.C.S. 261 . L'appelante Garneau se prétendait propriétaire du lit d'un lac, qui n'aurait été ni navigable ni flottable, mais ne possédait aucun terrain autour de celui-ci. L'intimée Diotte avait hérité d'une propriété en bordure du lac, comprenant des droits de grève, de chasse, de pêche et d'accès. Le juge Rinfret avait écrit que le lit et les rives du lac pouvaient faire l'objet de droits de propriété distincts. Il ajoutait que le droit de propriété du lit n'emportait pas celui des rives non plus qu'un droit d'accès exclusif à ces dernières, abstraction faite de l'octroi d'une servitude:

«Un lac non navigable et non flottable comme celui- ci, seul et considéré comme entité distincte de ses rives, peut faire partie du domaine privé d'un particulier; il peut être l'objet d'un droit de propriété indépendant des terrains qui l'environnent; mais cela n'emporte pas par le fait même la propriété ou l'usage des grèves, non plus que le droit d'accès. Même si le propriétaire peut se prévaloir de la servitude résultant de l'enclave, il ne pourra exiger un passage qu'à "la charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut causer" (art. 540 C.C.). C'est dire que l'appelante ne peut, en vertu d'un contrat qui la déclare propriétaire du seul lac Guindon, nier aux riverains le droit de grève ou le droit d'accès. C'est plutôt la proposition contraire qui serait vraie.» (opinion du juge Rinfret, pp. 263-264)


          À partir de cette opinion, on pouvait conclure de l'arrêt Diotte qu'une propriété limitée aux rives d'un lac ne niait pasl'existence d'un droit d'accès au plan d'eau. Le rapport Lord avait d'ailleurs reconnu que les riverains possédaient un droit d'accès inhérent à leur qualité même. Il s'exerçait de façon large à l'égard des lacs ou des rivières, navigables et flottables ou non, et comprenait nécessairement un droit d'entrée et de sortie (G. Lord, op. cit., vol. 1, pp. 153 à 161).

          Il faut cependant retenir que cette étude a été profondément influencée par la doctrine et la jurisprudence relatives à l'accès à des cours d'eau ou à des lacs navigables et flottables. La solution retenue découlait en grande partie du droit public relatif aux cours d'eau navigables ou flottables, qui reconnaissait un droit large de circulation et de flottage sur les rivières, en faveur des riverains. Elle s'expliquait aussi par un régime de propriété, où, parfois, le droit du riverain s'étendait jusqu'au fil de l'eau, jusqu'au milieu du lit, ou comprenait la totalité de celui-ci, en raison des termes des concessions foncières originales.

          Ainsi, certains jugements cités au soutien de la thèse du droit d'accès et de circulation des riverains visaient des cours d'eau navigables et flottables, ou des concessions en vertu desquelles le propriétaire riverain entraînait celle du lit du cours d'eau (voir, par exemple, Atkinson c. Beaudouin, [1928] 44 B.R. 424; Servantes de Jésus-Marie c. Hawkesbury Lumber Co., [1922]R.L.N.S. 307; Tanguay c. Cie canadienne d'éclairage électrique, [1907] B.R. 48; McLaren c. Attorney General of Quebec, [1914] A.C. 258; Chauret c. Pilon, [1907] 31 C.S. 165; R. Dussault et L. Borgeat, Traité de droit administratif, t. 2, 2e éd., P.U.L., Québec, 1986, p. 120).

          De plus, cette conclusion quant aux droits des riverains ne faisait pas l'unanimité dans la doctrine, un auteur comme Bouffard distinguant les eaux navigables et flottables de celles qui ne l'étaient pas, pour déterminer les droits des riverains. Dans le cas d'un lac privé non navigable ni flottable appartenant à un tiers, le riverain ne posséderait aucun droit d'accès, à moins d'en avoir obtenu la concession expresse. Le lac demeurerait privé, même lorsque des cours d'eau l'alimentaient (voir Bouffard, Traité du domaine, Le Soleil, Québec, 1921, pp. 121-122).

          Dans des études sur le régime relatif aux rivières, le juge André Taschereau admettait l'existence de droits d'accès et de sortie des riverains sur toutes les rivières de la province, navigables ou non. Il restreignait toutefois la portée de ses conclusions en ajoutant que ses observations ne visaient que l'eau courante comme telle et que l'on devait distinguer les lacs des véritables rivières (voir A. Taschereau, "Droit relatif aux rivières", (1941) 1 R. du N. 333, p. 351; A. Taschereau, "Lesrivières de la province de Québec", (1964) 10 McGill L.J. 203, p. 213).

          Enfin, certains arrêts parfois invoqués pour justifier les droits des propriétaires riverains dégagent certes un principe d'accès et d'utilisation visant l'ensemble des rivières, navigables ou non. Cependant, leur portée juridique peut être limitée par la nature de la question soumise aux tribunaux dans chacun des cas. Ainsi, dans Bell c. La Corporation de la cité de Québec, [1887] R.C.S. 677, [1889] 14 A.C. 612, le Conseil privé, confirmant la Cour suprême du Canada, avait reconnu aux propriétaires riverains d'un cours d'eau navigable ou non un droit d'accès ou de sortie qui lui est propre. Toutefois, on doit retenir en l'espèce que la présence du pont dont il se plaignait affectait non pas l'accès de l'appelant Bell à la rivière, mais bien la navigation, qui n'était pas en litige, puisque la rivière St-Charles, près de Québec, n'était pas navigable à la hauteur de sa propriété.

          Par ailleurs, dans l'arrêt Pion c. North Shore Railway Co., [1888] 14 R.C.S. 677, [1889] 14 A.C. 612, le Conseil privé confirma bien les droits d'accès des propriétaires riverains. Il le fit cependant dans un débat relatif à l'utilisation des cours d'eau navigables et flottables (voir également Buchanan c. The Queen, [1897] 5 Ex. C.R. 391; The King c. Duncan, [1914] 17 Ex. C.r. 433;Tétrault c. Harbour Commissioners of Montreal, [1929] 47 B.R. 163 (A.C.)).

          Même s'ils ne portent pas directement sur le problème porté devant nous, certains jugements sur cette question comportent une analyse plus fine du contenu des droits des riverains. Il faut signaler particulièrement un jugement de la Cour supérieure dans l'affaire Drouin c. Ville de Dorval, C.S. (Montréal), no 364, 954, confirmé en appel (Ville de Dorval c. Drouin, [1957] B.R. 838 ). Le juge François Caron reconnaissait alors des droits étendus aux riverains: droit d'utilisation de l'eau pour l'utilité économique personnelle, pour des fins commerciales ou industrielles, mais aussi pour les agréments de la vie, pour les activités sportives ou récréatives. Ces droits découleraient de la qualité même de riverain:

«La nature des choses même semblerait indiquer que le propriétaire riverain, ou même l'occupant riverain, a un avantage ou une jouissance que ceux qui restent dans les terres n'ont pas, uniquement à cause de leur situation. Qu'on donne le nom qu'on veuille à cette jouissance et qu'on l'appelle usufruit pour lui donner une couleur légale, rien n'est changé dans la situation des choses. Celui qui reste sur le bord de l'eau peut y entrer et en sortir à volonté. Ainsi peuvent faire tous les membres de sa famille et ses invités. Il peut y abreuver son bétail. On peut se servir de cette eau pour le blanchissage. Dans certains cas, on peut la boire, s'en servir pour la cuisine. Pour les agréments de la vie, on peut s'y baigner, se servir du lit ou de la rive pour des quais ou pour des embarcations. On peut commercialiser cette eau et la grève en même temps, la grève propriété
privée contiguë à la grève publique. Même la pêche de la rive est quelque chose de plus que la pêche en général. Enfin, mille avantages peuvent être tirés de la qualité de riverain. D'autres peuvent jouir de certains d'entre eux, mais il ne sont pas à leur portée aussi immédiate. Tout ceci semble découler uniquement de la situation et de la nature des choses sans recourir à des textes légaux, même s'il n'y a pas de législation particulière déterminant quels sont les droits spéciaux attachés à la qualité de riverain dans la province de Québec.» (jugement du juge Caron, cité dans Monette c. Mathieu, [1950] C.S. 259, p. 261)

          Il paraît acquis, à l'égard des cours d'eau navigables et flottables, que la qualité de riverain confère des droits étendus: utilisation pour fins économiques de l'eau, sous réserve des droits des autres utilisateurs, navigation, circulation, activités sportives ou de loisirs, etc. (voir G. Lord, op. cit., vol. 1, pp. 157, 162, 166, 181 à 198, vol. 2, pp. 906 à 926). Comme on l'a vu, la jurisprudence restait plus incertaine quant aux plans d'eau non navigables. Dans la première édition de son Traité de droit administratif, t. 1, P.U.L., Québec, 1974, pp. 524-525) le juge Dussault allait toutefois plus loin et reconnaissait des droits utiles aux riverains sur toutes les catégories de cours d'eau bordant un terrain, sans égards à la propriété du lit, puisqu'ils bénéficieraient en quelque sorte d'une servitude générale de circulation grevant tous les cours d'eau (au même effet, voir Mignault, Droit civil canadien, t. 2, p. 461). Mignault semblait cependant viser plutôt l'activité de flottage de bois, d'uneimportance économique critique, à l'époque où il écrivait, et ne décrivait guère le contenu de ce droit de circulation.

          Ainsi, un bilan rapide de l'état du droit sur la question en litige permet de constater qu'il ne règle pas explicitement le problème sous étude. On peut toutefois en dégager qu'il semblait reconnaître au moins l'existence d'un droit d'accès et de circulation générale relié aux activités de navigation et de flottage. Il faut alors reprendre le problème en tenant compte de la législation actuelle et de son application à des activités rattachées à l'utilisation de plans d'eau non navigables ou flottables. La question critique devient ici la reconnaissance d'un droit d'usage pour des activités récréatives et sportives.

          Cet examen devra retenir deux principes que consacrent maintenant les articles 913, 920 et 981 C.c.Q. L'article 913 C.c.Q. reconnaît le statut de l'eau comme bien commun. Les articles 920 et 981 C.c.Q. reconnaissent en conséquence le droit commun de l'utilisation. L'article 913 C.c.Q. classe l'eau dans les biens communs, non susceptibles d'appropriation. Bien qu'elle puisse être utilisée, elle ne saurait être appropriée de façon strictement privative:

«Art. 913. Certaines choses ne sont pas susceptibles d'appropriation; leur usage, commun à
tous, est régi par les lois d'intérêt général et, à certains égards, par le présent code.

L'air et l'eau qui ne sont pas destinés à l'utilité publique sont toutefois susceptibles d'appropriation s'ils sont recueillis et mis en récipient.»


          L'article 920 C.c.Q. détermine le cadre général des droits d'accès aux cours d'eau et aux lacs, ainsi que celui-ci. On peut les exercer à condition d'être en mesure d'accéder légalement aux plans d'eau:

«Art. 920. Toute personne peut circuler sur les cours d'eau et les lacs, à la condition de pouvoir y accéder légalement, de ne pas porter atteinte aux droits des propriétaires riverains, de ne pas prendre pied sur les berges et de respecter les conditions d'utilisation de l'eau.»


          Enfin, l'article 981 C.c.Q. reconnaît le principe du droit d'utilisation de cette ressource pour chacun, ainsi que ses limites fondamentales, qui veulent assurer la préservation du même droit en faveur des autres utilisateurs. L'usage en est autorisé, mais les possibilités d'appropriation au détriment d'autrui fortement restreintes:
«Art. 981. Le propriétaire riverain peut, pour ses besoins, se servir d'un lac, de la source tête d'un cours d'eau ou de tout autre cours d'eau qui borde ou traverse son fonds. À la sortie du fonds, il doit rendre ces eaux à leur cours ordinaire, sans modification importante de la qualité et de la quantité de l'eau.


Il ne peut, par son usage, empêcher l'exercice des mêmes droits par les autres personnes qui utilisent ces eaux.»


          Ces dispositions ne distinguent pas suivant le caractère de navigabilité de l'eau. Celle-ci demeure, en principe, un bien commun, qu'elle coule dans une rivière navigable ou dans un lac non flottable. Malgré le caractère de bien commun de cette ressource, la thèse de l'appelant impliquerait indirectement la reconnaissance de l'accession à une propriété temporaire de l'eau comme conséquence de celle du lit d'un lac privé. L'accumulation de l'eau au-dessus du fonds accorderait à son propriétaire des droits plus étendus que ceux des riverains, si étendus qu'il les excluraient.

          L'appelant Morin, propriétaire du lit du lac, se trouve, en principe, dans la même position que les riverains quant à l'usage des eaux qui s'y trouvent, sous réserve, comme on le verra plus loin, de l'exercice des droits de pêche. On ne lui conteste pas le droit de circuler sur son lac, d'y naviguer, d'y nager et d'en faire tous les usages récréatifs ou sportifs que permettent les lieux. Peut-il toutefois les interdire aux riverains?

          L'article 920 C.c.Q. reconnaît un droit de circulation sur les eaux. Ce droit de circulation est large et non restrictif. Il ne se limite pas, par ses termes mêmes, à la circulation en bateau. Quand on nage dans un lac, en un sens peut-être étendu, on y circule. Ce fut sans doute l'un des premiers modes d'utilisation des cours d'eau par l'humanité. À cet égard, l'interprétation proposée par un auteur de l'article 920 C.c.Q., qui permettrait la circulation en bateau, mais non des activités comme la natation, impose des restrictions indues aux droits des riverains, que n'exige pas l'article en question, non plus que l'équilibre de droits entre riverains et propriétaires du lit (voir D.C. Lamontagne, Biens et propriété, 2e éd., Les Éditions Yvon Blais, Montréal, 1995, pp. 156-157, nos 209 et ss.). Le droit d'accès à des plans d'eau, qui ne comprendrait pas la possibilité d'usages sportifs ou récréatifs, resterait un droit vide et sans signification.

          En définitive, l'analyse la plus exacte des droits des propriétaires riverains semble se dégager des quelques commentaires du juge Rinfret, cités plus haut, dans l'arrêt Garneau c. Diotte. Les propriétaires riverains d'un lac possèdent un droit d'accès et d'usage du plan d'eau. Ce droit est privé de sens s'il ne comprend pas le droit de poser les actes qui correspondent à l'utilisation récréative normale d'un cours d'eau, comme la natation, le canotage et l'installation d'un quai flottant.

          En l'absence de démonstration que l'appelant Jean-Claude Morin ait conservé une lisière en bordure du lac, la propriété deMarc Morin jouxte un plan d'eau dont les niveaux sont susceptibles de varier. Les droits de l'intimé ne sauraient varier suivant la pluviométrie ou le rythme d'évacuation des eaux au barrage. Comme on a établi un plan d'eau, la notion d'une limite terrestre, défendue par l'appelant pour fixer les droits des parties, devient difficilement applicable. Si le plan d'eau faisait l'objet d'une appropriation privative, son extension comporterait un empiétement périodique sur la propriété de Marc Morin. À l'inverse, à chaque fois qu'il se retirerait au-delà de la ligne séparative des eaux, Marc Morin risquerait de commettre un empiétement. La nature même de l'aménagement effectué par l'appelant, pour la création de son développement immobilier, exclut cette solution, qui ne saurait constituer la base de l'organisation des rapports juridiques entre les riverains et le propriétaire du lit. Ceux-ci ont été établis selon les contraintes d'un voisinage avec un plan d'eau, à tout le moins à ce niveau, que le Code civil du Bas-Canada qualifiait d'"ordinaire" (art. 422 C.c.B.-C.).

          On doit ainsi reconnaître à l'intimé Marc Morin, comme le propose l'intervenante, la Municipalité de Lac Beauport, un droit d'accès et d'utilisation sportive ou récréative du lac. Le jugement devrait cependant recevoir une modification quant à la question des droits de pêche. Sous réserve des situations où se posent des problèmes de titres autochtones, comme ceux qu'a examinés la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Côté [1996] 3 R.C.S. 139 et R. c. Adams [1996] 3 R.C.S. 101 , le droit de pêche a généralement été traité par le droit foncier québécois, comme un accessoire de la propriété du fonds de terrain. Dans les eaux non navigables ou flottables, il est considéré comme un droit réel, appartenant au propriétaire du lit, quoique dissociable de la propriété de celui-ci (voir Lord, op. cit., vol. 1, pp. 199 à 201; voir aussi R. Dussault et L. Borgeat, 2e éd., précité, p. 131). On doit alors reconnaître à l'appelant l'exclusivité de son droit de pêche, les autres conclusions du jugement de première instance étant par ailleurs confirmées.

          Pour ces motifs, je suggère donc d'accueillir en partie le pourvoi, mais sans frais, à la seule fin de modifier le jugement de première instance, pour reconnaître à l'appelant Jean-Claude Morin l'exclusivité du droit de pêche dans le lac Morin, le tout sans frais en appel.


LOUIS LeBEL, J.C.A.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.