JR 0330 |
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TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-53-000177-020 |
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DATE : |
3 Juin 2003 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MICHÈLE RIVET |
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AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Madame Ginette Bouffard Me Julien Savoie |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), ayant son siège social au 360, rue Saint-Jacques ouest, bureau 310, Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de Roland Marchand |
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Partie demanderesse |
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c. |
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Jeanne Vallée, résidant et domiciliée au 12 784, 26e Avenue, Rivière-des-Prairies, Montréal (Québec) H1E 1Z2 |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal des droits de la personne (ci-après «le Tribunal») est saisi d'une demande introductive d'instance par laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après «la Commission») allègue que la partie défenderesse, madame Jeanne Vallée, a compromis le droit de monsieur Roland Marchand à la protection contre toute forme d'exploitation d'une personne âgée en s'appropriant illégalement la presque totalité de ses économies, contrairement à l'article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12, ci-après «la Charte»). Par son comportement, la partie défenderesse a également porté une atteinte discriminatoire au droit de monsieur Marchand à la sauvegarde de sa dignité, contrevenant ainsi aux articles 10 et 4 de la Charte.
[2] La demande introductive d'instance est amendée lors de l'audience pour tenir compte d'une entente hors Cour et d'un règlement monétaire (Pièce D-3) intervenus entre les parties.
[3] La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la défenderesse:
DE VERSER à la victime:
a) Une somme résiduelle de 36 599$ pour dommages matériels;
b) Une somme de 20 000$ à titre de dommages moraux, pour l'atteinte à son droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation et à son droit à la sauvegarde de sa dignité;
c) Une somme de 10 000$ à titre de dommages-intérêts punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle à ses droits;
[4] Elle demande en outre d'ordonner à la défenderesse:
DE CESSER tout contact avec la victime.
LE TOUT avec intérêts depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, le 10 décembre 1998.
[5] La défenderesse nie avoir exploité monsieur Marchand et considère que les sommes d'argent et les divers effets reçus de celui-ci constituaient des cadeaux offerts dans le cadre d'une relation affective qui s'est développée, entre eux, entre décembre 1998 et mai 2001.
1. LES FAITS TELS QUE MIS EN PREUVE
1.1 Mise en contexte
[6] Né en octobre 1918, monsieur Marchand est âgé de 81 ans au moment où débutent les faits en litige. Jusqu'à sa retraite, à l'âge de 63 ans, il a occupé un emploi de douanier. Son entourage considère qu'il est sociable, joyeux et qu'il a le sens de l'humour. Vivant selon ses moyens tout au long de sa vie, il s'est très rarement offert du luxe et il utilisait très peu le crédit. Lors de leur témoignage, ses filles Janice et Johanne l'ont décrit comme un homme prudent, par rapport à ses dépenses, et ayant horreur des dettes.
[7] En 1998, plusieurs événements malheureux vont affecter son autonomie, fragiliser sa situation et lui causer des chocs émotifs autant que physiques. En février, il perd la vue et il est considéré non-voyant à 80%; il ne peut alors plus conduire une automobile. Il éprouve aussi d'autres problèmes de santé, au plan auditif notamment, et il est porteur d'un régulateur cardiaque (pacemaker). Quelques mois plus tard, en mai, il devient veuf après 60 ans de mariage.
[8] À l'automne, se sentant triste et déprimé, il sera amené, sur les conseils de ses filles, à déménager dans un immeuble à logements pour personnes âgées autonomes. Il décide alors de vendre sa maison et il emménage aux Tours Gouin en novembre. Son adaptation à ce nouveau milieu de vie se fait difficilement.
[9] C'est dans cet état d'esprit qu'à la fin de l'année 1998, monsieur Marchand fait la connaissance de madame Jeanne Vallée. Celle-ci travaille comme serveuse au restaurant de l'immeuble des Tours Gouin et elle est alors âgée de 47 ans. Leurs relations sont très suivies et ils passent beaucoup de temps ensemble. Ainsi, ils se voient dès que madame Vallée arrive sur les lieux de travail le matin, de même que lors de ses pauses. Ils prennent des repas ensemble, font des courses dans les centres commerciaux du secteur, visitent des connaissances le soir venu et se parlent par téléphone jusque tard dans la soirée.
[10] Monsieur Marchand deviendra amoureux de madame Vallée et lui proposera même de l'épouser à l'automne 1999. L'entourage, les amies et la famille connaissent leur projet de vie commune; madame Vallée souhaite cependant avoir du temps avant de le concrétiser.
[11] Monsieur Marchand réalisera par ailleurs plusieurs transactions financières dérogeant à ses habitudes au cours de cette relation qui, en septembre 2001, connaîtra un tournant pour le moins inusité. En effet, une ordonnance interdisant à madame Vallée de s'immiscer dans la gestion des biens de monsieur Marchand est alors émise dans le cadre d'un jugement (pièce P-4) concluant à l'inaptitude de celui-ci à prendre soin de sa personne et de ses biens.
[12] Malgré celle-ci, madame Vallée confirme, lors de l'audience, qu'elle et monsieur Marchand sont toujours en contact téléphonique et qu'ils ont eu l'occasion de se rencontrer en présence d'amies. Elle affirme avoir vu les lieux où il vit depuis qu'il a quitté les Tours Gouin, en juin 2002. Elle connaît le prix qu'il paie pour s’y loger, qu'elle considère très exagéré pour un tel endroit, et ce même si les filles de monsieur Marchand ont choisi avec lui l'endroit jugé le plus apte à répondre à ses besoins.
1.2 La situation financière de monsieur Marchand
[13] Le Tribunal considère utile de présenter d'abord un aperçu de l'évolution d'ensemble de la situation de monsieur Marchand pour examiner ensuite certaines transactions particulières.
1.2.1 L'évolution générale de la situation
[14] Johanne et Janice Marchand constatent, à partir de 1999, le comportement inhabituel de leur père dans la gestion de ses finances. C'est également à cette époque que les relations deviennent plus difficiles entre monsieur Marchand et ses enfants, particulièrement Johanne, avec laquelle il a des discussions au sujet de dépenses importantes encourues pour des cadeaux destinés à madame Vallée.
[15] Lors de son témoignage, Johanne Marchand relate aussi des gestes imprudents de la part de son père relativement à son argent liquide. À titre d’exemple, elle raconte que lors d'un séjour à l'hôpital, son père laissait son portefeuille sans surveillance sur un meuble de sa chambre en disant qu’il fallait faire confiance aux gens. Elle considère qu'il est devenu à ce moment d'une confiance trop grande envers les étrangers et qu'il était envers madame Vallée d'une confiance sans limite.
[16] Ces deux témoins ont aussi mentionné que leur père devenait très émotif et se fâchait lorsqu'elles abordaient le sujet de transactions financières qui lui échappaient. Elles ont évité autant que possible de lui infliger l'humiliation et la douleur rattachées à de telles discussions. Johanne Marchand tient beaucoup à conserver une relation affectueuse avec celui qu'elle qualifie de «bon père». Janice Marchand considère pour sa part que la situation d'endettement de son père l'affecte aujourd'hui au point de le rendre malade.
[17] À l’audience, monsieur Luc Samson, comptable agréé, explique l’expertise financière qu’il a réalisée à la demande de la Commission. Il a effectué un relevé de transactions bancaires conciliées à partir de différents comptes détenus par monsieur Marchand et par madame Vallée. L'analyse comptable prend en considération les récents arrangements, survenus entre les parties, qui ont eu pour effet de libérer monsieur Marchand de deux prêts reliés à la résidence de madame Vallée.
[18] En 1999, monsieur Marchand dispose de revenus d'environ 2 900 $ par mois qui proviennent du fonds de pension accumulé chez son employeur, de rentes gouvernementales et d'intérêts retirés de placements. Ses revenus sont suffisamment élevés pour lui permettre, sans que cela n'affecte ses placements, d'occuper un grand logement dans un immeuble assez luxueux et de prendre presque tous ses repas au restaurant, en plus de lui laisser suffisamment de disponibilités pour ses loisirs.
[19] L'expert comptable de la Commission évalue à 118 000 $ les avoirs de monsieur Marchand en 1998, avant le début de sa relation avec la défenderesse, somme dont il ne reste que 8 390 $ à la fin de la période visée, en décembre 2001. Ceci représente un appauvrissement de l'ordre d'au moins 110 000 $ au cours des 30 mois pendant lesquels sa relation avec la défenderesse a été plus étroite. De plus, durant cette période, les revenus mensuels de pension de monsieur Marchand ont été totalement dépensés sans qu'il soit possible de savoir dans quelle mesure ils ont ou non servi à couvrir ses dépenses. Le témoin expert a aussi identifié des retraits par guichet automatique totalisant 75 000 $ pour cette période de deux ans et demi. Il s'agit, selon lui, d'un niveau de vie très élevé pour cette courte période.
[20] La preuve démontre aussi que c'est à partir de ses fréquentations avec madame Vallée que la gestion des impôts de monsieur Marchand change. Ainsi, sur le relevé d'impôt du ministère du Revenu du Québec produit pour la période écoulée entre le 3 avril 1997 et le 16 août 2001, il apparaît que monsieur Marchand procédait chaque année, depuis au moins 1997, à des remises anticipées (acomptes provisionnels) et que les ajustements étaient acquittés à la fin de chaque année fiscale.
[21] Le 15 décembre 1999, un chèque de 1 700 $ transmis au Ministère est retourné en raison d'un manque de fonds et aucun nouvel acompte provisionnel n'est versé. Des frais de recouvrement et des intérêts s'accumulent. En date du relevé d'impôt d'août 2001 (Pièce P-5), monsieur Marchand a accumulé une dette envers le Ministère du revenu du Québec s'élevant à 14 471,49$.
[22] Du côté de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, la situation pour l'année 2000 montre des similitudes. Monsieur Marchand a un surplus de revenus imprévu de près de 28 000 $. Ce sont des retraits de placements, dont il n'a pas de souvenir précis, qui viennent gonfler ainsi ses revenus. De plus, l'avis de cotisation 2000 (Pièce P-6) indique des intérêts sur des acomptes provisionnels non perçus. À la fin de l'année fiscale 2000, il a accumulé une dette de 7 603 $ envers l'Agence.
[23] En mai 2001, monsieur Marchand s'inquiète très sérieusement du remboursement de ses impôts et se tourne alors vers sa fille Janice, qui constate que la situation financière de son père s'est gravement détériorée. Non seulement a-t-il des sommes élevées d'impôts impayés, mais des placements bancaires ont été encaissés sans qu'il sache ce que cet argent est devenu. En outre, ses cartes de crédit sont utilisées de façon excessive (tableaux 8, 9 et 10 du relevé comptable), contrairement à ses habitudes passées, et de très nombreux retraits par guichet automatique demeurent inexplicables.
[24] De son côté, madame Vallée admet avoir assisté, en 1999, alors qu'elle accompagnait monsieur Marchand, à un entretien à la Caisse populaire au cours duquel on a présenté à celui-ci un document relatif aux placements détenus dans cette institution. Elle dit avoir appris qu'il s'agissait d'une somme totale de 69 000 $.
[25] Elle est contre-interrogée sur des cadeaux reçus au cours d'une période de quelques mois et dont la valeur totalise 53 000 $. Entre autres, elle mentionne une bague à diamant de 9 000 $, que monsieur Marchand lui a offert en décembre 1999, un collier orné de sa pierre de naissance d'une valeur de 3 599 $ et reçu en novembre 2000, et plusieurs autres cadeaux dont un lit solaire payé en partie par ce dernier, des lunettes, de la lingerie, une douillette, des joncs, etc. Plusieurs cadeaux sont d’ailleurs clairement identifiés sur les relevés des cartes de crédit et de magasins détenues par monsieur Marchand qui, selon ses filles, n'avait pas l'habitude d'utiliser ce mode de paiement avant de faire la connaissance de madame Vallée.
[26] Bien qu'elle croyait que les avoirs de monsieur Marchand représentaient une somme de 69 000 $ et qu'elle soit consciente de la valeur des objets reçus pendant cette courte période, madame Vallée déclare ne pas trouver exagérés «ces petits cadeaux» de monsieur Marchand. Au contraire, elle considère qu’elle les méritait car elle s’occupait de lui et faisait gratuitement le ménage de son appartement. Quant aux autres sommes retirées du compte courant de monsieur Marchand, elle affirme ne pas savoir ce qu'il en est advenu, et ce malgré qu'elle passait énormément de temps avec lui. Elle ajoute qu'il ne lui a pas «tout donné».
[27] Monsieur Guy Bérubé, ex-conjoint de madame Vallée, la décrit dans son témoignage comme une personne très fiable, ajoutant qu'elle inspire confiance aux gens et qu'elle est honnête. Elle a longtemps travaillé dans la restauration et a opéré un hôtel avec restaurant, dont elle était copropriétaire avec lui. Elle y assumait aussi la gestion du personnel et des tâches administratives lors de ses absences. Elle était autorisée à effectuer des transactions comptables et financières pour assurer le paiement des salaires, des fournisseurs, etc. Chacun avait ses cartes de crédit et les comptes bancaires étaient séparés. La compagnie opérait avec un autre compte auquel madame Vallée avait également accès. Par la suite, elle a travaillé dans un casse-croûte situé, à Sherbrooke, dans un duplex dont elle était aussi copropriétaire avec un autre associé.
1.2.2 L'ouverture d'une marge de crédit (août 1999)
[28] Monsieur Richard Dumais, gérant à la Banque nationale du Canada, dépose des relevés de comptes qui concordent avec ceux de l'expert comptable de la Commission. Il a rencontré monsieur Marchand, en août 1999, au sujet de l'ouverture d'une marge de crédit (Pièce D-6) de 20 000 $ garantie par les avoirs qu'il avait confiés à cette institution. Il mentionne que la totalité de la marge de crédit est utilisée immédiatement pour faire émettre quatre traites bancaires (Pièce D-7) de 5 000 $ chacune, en date du 27 août 1999, dont trois sont encaissées le jour même et l'autre peu après.
[29] Lors de l'émission des traites, qui constitue une transaction importante, le gérant de la banque a demandé à monsieur Marchand ce qu'il comptait faire de cet argent. Il affirme que son client a répondu vouloir investir dans un restaurant.
1.2.3 L'achat de la résidence en copropriété (novembre 1999)
[30] En novembre 1999, monsieur Marchand et madame Vallée contractent conjointement un prêt hypothécaire de 68 006,25 $ pour l'acquisition d'une maison sise à Rivière-des-Prairies. Les paiements mensuels sont prélevés dans leur compte conjoint.
[31] Interrogée à ce sujet, madame Vallée admet que monsieur Marchand lui a donné, au cours du même mois, une somme de 15 000 $ pour réduire l'hypothèque de la propriété. Toutefois, elle prétend qu'il s'agissait plutôt de 14 000 $ et ajoute: «On ne s'obstinera pas pour 1 000 $». Elle ne considère pas ce geste exagéré dans la mesure où ils projetaient d'y vivre ensemble.
[32] Un second prêt de 14 000 $ est contracté en juin 2000. Cette somme servira à l'amélioration de la maison. Les mensualités de remboursement de ce second prêt sont aussi prélevées dans le compte conjoint. Simultanément, un emprunt personnel d'un même montant est contracté par madame Vallée pour des aménagements apportés à la résidence. Une balayeuse centrale sera également acquise, dont les mensualités d'entretien sont prélevées sur la carte de magasin Sears de monsieur Marchand (tableau 8 du relevé comptable).
[33] Malgré tous les investissements effectués pour la résidence entre 1999 et 2001, monsieur Marchand n'y habitera cependant jamais. Au mois de mai de l'année 2001, à la suite d'évaluations médicales concluant à son inaptitude, il déménage dans un autre logement situé, dans les Tours Gouin, dans une section destinée à l'hébergement de personnes en perte d'autonomie. L'année suivante, il quitte ce complexe immobilier pour un autre logement offrant les mêmes services ainsi que des activités sociales en plus.
[34] Sa fille Janice a mentionné, au cours de son témoignage, que monsieur Marchand ne croyait pas qu'il était copropriétaire de la maison de madame Vallée. Pour l'en convaincre, elle a dû lui montrer les documents officiels. De même, dans son témoignage sur lequel nous reviendrons ultérieurement, le Dre Pascale Demers a corroboré le fait que monsieur Marchand ne croyait pas être copropriétaire de la maison de son amie.
1.2.4L'acquisition d'une automobile (février 2000)
[35] Monsieur Marchand, qui n'avait jamais acheté une voiture neuve pour lui-même et sa famille, acquiert pour madame Vallée, au début de l'année 2000, une Volkswagen Cabriolet neuve. Tel qu'établi par l'expert-comptable Luc Samson, il a assumé, en février de cette même année, des frais totalisant 35 027,12 $ à l'égard de ce véhicule.
[36] Madame Lise Picard, une amie et voisine de madame Vallée qui était aussi l'un de ses témoins, a mentionné avoir dit à celle-ci lorsqu'elle lui a montré son nouveau véhicule: «T’es folle, t'es malade…[…] qu'est-ce que t'as fait là?», jugeant cet achat extravagant. Elle affirme que madame Vallée lui a répondu «Qu'est-ce que tu veux que je fasse, il me l'a donnée.» Elles en ont discuté et madame Picard a mentionné que madame Vallée se justifiait en disant qu'elle méritait ce cadeau.
[37] Bien qu'il ait consenti des sommes élevées pour l'acquisition de cette automobile, monsieur Marchand n'en profitera pas beaucoup. Madame Vallée confirme en être l'unique propriétaire. Elle explique qu'ils avaient convenu que ce véhicule serait essentiellement consacré à son usage personnel, ainsi qu'à des déplacements avec monsieur Marchand puisqu'il ne pouvait plus conduire. Elle déclare l'avoir sorti seulement trois fois pour les déplacements de monsieur Marchand, l'automobile étant demeurée dans le garage de sa résidence car madame Vallée préférait ne pas l'utiliser l'hiver. Elle possédait à ce moment une autre voiture, moins récente, qu'elle juge «très suffisante pour visiter les personnes âgées».
1.3 La capacité de monsieur Marchand à prendre soin de sa personne et à gérer ses biens
[38] Au cours de la période en litige, monsieur Marchand est évalué à plusieurs reprises par des intervenants du réseau de la santé afin d'établir son aptitude à gérer ses biens et à prendre soin de sa personne. Diverses procédures judiciaires sont également initiées à ce sujet.
1.3.1La preuve de la demande
[39] Le 7 juin 1999, monsieur Marchand émet des procurations bancaires (Pièce D-4) sur son compte courant en faveur de ses filles Janice et Johanne. Au mois d'août suivant, il rédige en faveur de sa fille Janice, par acte notarié, un premier mandat en prévision d'inaptitude au sujet de la gestion de ses biens et de la protection de sa personne. Le 26 août, à la suite de discussions houleuses à propos de cadeaux achetés pour madame Vallée, il annule cependant la procuration détenue par Johanne.
[40] En mai 2001, monsieur Marchand rédige un nouveau mandat en prévision d'inaptitude devant le notaire. Il y confirme Janice Marchand comme principale mandataire et ajoute le nom de madame Jeanne Vallée comme mandataire substitut.
[41] Le 29 du même mois, à la suite d’une chute dans son appartement, il est conduit à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont où il est évalué par l’équipe de gériatrie dont fait partie Dre Louise Savoie.
[42] Le 8 juin, cette dernière rédige un rapport (Pièce P-2) indiquant que monsieur Marchand ne peut que partiellement prendre soin de lui-même et administrer ses biens. Ses conclusions sont les suivantes:
Déficit cognitif léger associé à une vision très pauvre (début de démence probable). Diminution de sa capacité à gérer les biens, déficit de mémoire récente/légère désorientation/léger trouble de jugement et vulnérabilité.
[43] Au cours de la même période, madame Janice Marchand décide de faire homologuer le mandat que son père lui a confié en prévision de son inaptitude. Monsieur Marchand est alors examiné par une travailleuse sociale, madame Liliane Gaul.
[44] L‘évaluation psychosociale (Pièce P-3) effectuée par celle-ci est en date du 13 juin 2001. Madame Gaul y résume les antécédents psychosociaux de monsieur Marchand, puis fait état de sa situation actuelle aux plans de sa santé et de la gestion de ses biens. Elle note les changements de comportement de monsieur Marchand face à ses dépenses et ses revirements dans ses décisions de consulter un avocat au sujet de ses transactions financières. Elle rapporte aussi certaines observations contenues dans le rapport d'une ergothérapeute, madame Morneau, ayant évalué monsieur lors de son séjour à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, soit son incapacité à faire des chèques, son besoin de consignes précises pour effectuer des paiements et son manque d'autocritique face à ses transactions financières.
[45] Madame Gaul conclut comme suit :
À cause du diagnostic médical de détérioration des capacités cognitives de Monsieur, à cause de l’état de ses finances actuelles, à cause surtout de sa très grande vulnérabilité, nous croyons pertinent de faire homologuer son mandat.
Quant aux personnes susceptibles de bien le représenter, nous croyons que Monsieur est demeuré constant dans le choix de sa fille, Madame Janice Marchand. Elle nous a semblé soucieuse et respectueuse du bien-être de son père.
Quant au choix de la mandataire substitut [madame Vallée], nous croyons que la présence de cette dernière dans la vie de monsieur est à l’origine de sa situation d’endettement. Elle ne nous a pas paru collaborer à l’éclaircissement des sommes disparues au compte de Monsieur. Dans ce contexte, nous ne recommandons pas sa participation pour représenter les intérêts de Monsieur Marchand.
[46] Le 18 septembre de la même année, un jugement de la Cour supérieure (Pièce P-4) déclare monsieur Marchand inapte à gérer ses biens, homologue le mandat d'inaptitude et confie en exclusivité à madame Janice Marchand le soin de voir au bien-être de son père et à la saine gestion de ses biens. Rappelons que ledit jugement comporte aussi une ordonnance interdisant à madame Vallée de s'immiscer dans la gestion des biens de monsieur Marchand.
[47] En mars 2002, en raison d’une procédure judiciaire intentée, par monsieur Marchand, afin de contester l'homologation du mandat en faveur de sa fille Janice, une nouvelle évaluation est réalisée par madame Francine Saucier, bachelière en travail social. Celle-ci rencontre préalablement monsieur Marchand, ses deux filles Janice et Johanne, ainsi que madame Vallée.
[48] Madame Saucier affirme dans son témoignage qu'à cette occasion, monsieur Marchand lui indique avoir été très fragile à la suite de son déménagement aux Tours Gouin. Puis il lui mentionne avoir toujours eu horreur des dettes et ne pas comprendre ce qui l'a mené à cette «crise de dépenses». Dans son rapport daté du 11 mars, madame Saucier cite ces paroles de monsieur Marchand: «Mon amie dit que je me fais avoir par mes enfants. […] Ma blonde dit que mes filles rient de moi».
[49] Elle y mentionne aussi que monsieur Marchand ne la reconnaît pas d'une fois à l'autre et qu'il ne vérifie ni son identité, ni l'objet de sa visite. Elle note qu'il se montrerait anormalement confiant envers tout étranger qui l'aborde amicalement et s'intéresse à lui, ce qui en fait un homme vulnérable.
[50] Madame Saucier y rapporte aussi certains propos de monsieur Marchand qui s’avèrent révélateurs au sujet de ses dépenses:
Finalement, quand nous abordons la question monétaire, monsieur se déclare impulsif et vulnérable. Il admet avoir fait des choses inusitées et avoir largement dépassé son budget. Il se dit bonasse… Il déclare: «Je suis hypersensible, tout le monde prend avantage sur moi».
Quand nous lui avons demandé si madame Vallée lui a déjà suggéré de freiner ses dépenses et de limiter ses cadeaux, il répond qu'elle ne l'a jamais fait et qu'elle acceptait tout avec plaisir.
[51] Elle conclut comme suit:
Compte tenu des précédentes évaluations médicale et psychosociale (Dr Louise Savoie et Liliane Gaul, T.S.),
Compte tenu que la Cour supérieure a autorisé l’homologation du mandat d'inaptitude,
Compte tenu des faits précédemment décrits suite aux entrevues récentes avec les gens concernés,
Nous considérons que monsieur Marchand présente une inaptitude marquée et irréversible. Comme en font foi les faits liés à la gestion très inadéquate de ses biens ainsi que ses propos peu réalistes et régulièrement contradictoires à l’égard de sa liaison avec Madame Vallée versus ses liens avec ses filles, nous situons principalement son inaptitude au niveau de son jugement, de la compréhension, du contact à la réalité (sic). Sa mémoire récente et sa faculté à (sic) gérer ses biens sont aussi très altérées.
[52] À la lumière du rapport de madame Gaul, madame Saucier précise à l'audience que monsieur Marchand a vraisemblablement présenté cette condition à partir de 1999.
[53] À la demande des filles de monsieur Marchand, Dre Pascale Demers, neuropsychologue, procède aussi, en mars 2002, à l'évaluation des capacités mentales de monsieur Marchand. Elle lui administre alors une série de neuf tests et communique par téléphone avec différentes personnes de son entourage.
[54] Concernant ses dépenses, monsieur Marchand dira au Dre Demers: «Mon cœur a dépassé ma pensée». Il ajoute ne pas savoir pourquoi il a ces dettes et ne croit pas être copropriétaire de la maison de madame Vallée.
[55] Dans son rapport en date du 15 mars 2002, le Dre Demers conclut comme suit:
Le profil neuropsychologique que nous retrouvons à cet examen est tout à fait compatible avec un diagnostic de léger syndrome démentiel de type Alzheimer probable. Monsieur Marchand est atteint de ce syndrome démentiel dégénératif depuis au moins 18 mois et il prend d’ailleurs Aricept pour cette condition. Si le syndrome démentiel (atteinte globale des fonctions mentales supérieures) est léger, le trouble de la mémoire récente est quant à lui d’intensité modérée. Il faut savoir qu’il n’y a pas nécessairement une désintégration homogène des fonctions mentales dans la maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi ce patient conserve encore une bonne intégrité du langage, du calcul et des praxies. Or, la capacité attentionnelle est réduite et la description des traits de personnalité pré-morbide, faite lors des témoignages de deux des filles, laisse croire qu’il y a aussi une modification de la personnalité. De plus, monsieur Marchand a une auto-critique inadéquate de ses capacités cognitives. Son jugement en ce qui a trait à sa situation financière et familiale est perturbée (sic) notamment parce que sa mémoire est fugitive et qu’il est vraisemblablement insécure sur le plan affectif. Je ne crois pas qu'il soit en mesure de bien comprendre ou de planifier des activités, financières en l’occurrence, puisque les informations qu’il recueille sont encodées de façon instable et qu’il fait preuve d’un moins bon contrôle de son comportement. Dans ce contexte, j'estime qu'il est vulnérable et que le régime de protection devrait être maintenu. (Nos soulignés).
[56] Appelée à préciser certains aspects de son rapport lors de l'audience, le Dre Demers mentionne y avoir indiqué que la maladie d'Alzheimer avait débuté, chez monsieur Marchand, au moins 18 mois plus tôt, et ce, en tenant notamment compte d'une lettre dans laquelle le Dr Rémillard indiquait avoir rencontré le patient en mars 2001, alors que ses troubles de mémoire avaient débuté un an plus tôt.
[57] Ayant assisté au témoignage de monsieur Marchand à l'audience, elle n'a pas été surprise par son état actuel, qui correspond selon elle à l'évolution normale de cette maladie. Elle a alors affirmé que celle-ci s’était plutôt installée chez lui au moins quatre à cinq ans avant l'audition, ce qui nous ramène en 1998-1999:
Ces gens deviennent plus vulnérables, plus insécures et plus dépendants […] et cela les rend évidemment vulnérables. Dans ce cas-ci […], à ce jour […], le jugement est perturbé et on peut croire que la maladie s'est installée depuis au moins quatre à cinq ans.
[58] Le 16 mai 2002, le juge Perry Meyer de la Cour supérieure rejette, séance tenante, la requête visant à faire reconnaître monsieur Marchand comme étant apte à gérer ses biens (Pièce P-7).
1.3.2 La preuve de la défense
[59] De son côté, madame Vallée a consulté différents experts du réseau de la santé en compagnie de monsieur Marchand.
[60] En mars 2001, ils rencontrent le Dr Tuan-Khai Hoang, qui leur conseille de consulter le Dr Guy Rémillard, neurologue.
[61] Seul témoin expert de la défense, le Dr Rémillard mentionne que lors de sa consultation avec monsieur Marchand en présence de madame Vallée, celle-ci lui a indiqué que la mémoire de ce dernier diminuait davantage depuis la dernière année et qu'il oubliait des sujets de conversation. Dans une lettre (Pièce D-3) adressée au Dr Hoang, le Dr Rémillard mentionne ne pas avoir poursuivi l'investigation plus à fond puisqu'il a administré à monsieur Marchand un test de Folstein («mini-mental») dont le résultat était rassurant. Il ne croit pas avoir eu plus qu'un bref appel téléphonique avec une des filles de monsieur Marchand.
[62] En octobre de la même année, le Dr Rémillard voit à nouveau monsieur Marchand et lui recommande une rencontre avec le Dr Jean-Robert Turcotte, psychiatre. À la suite d'examens cliniques, celui-ci constate, dans une lettre datée du 29 novembre 2001 (Pièce D-1)[1], que monsieur Marchand est apte à prendre des décisions au sujet de ses biens et de sa personne.
[63] Notons toutefois qu'à l'audience, tous les experts venus témoigner se sont entendus pour dire que l'ensemble global des résultats aux différents tests, examens et entrevues de même que les changements de comportement constatés par l'entourage permettent d'identifier les manifestations habituelles de la maladie d'Alzheimer, pour ensuite conclure à un tel diagnostic. Tel est autant l'avis du Dre Pascale Demers, témoin expert de la Commission, que de celui de la défense, Dr Guy Rémillard.
[64] Madame Vallée a elle-même constaté les limites de monsieur Marchand et un manque d'autonomie à ce point grave qu'elle a admis avoir retenu les services d'une amie pour ne pas le laisser seul à la maison lorsqu'il venait y passer la journée en son absence. C'est en ce sens que témoigne madame Chantal Vachon, une amie de madame Vallée qui, à sa demande, acceptait à l'occasion d'aller «garder» monsieur Marchand à la maison de Rivière-des-Prairies: «Quand je le gardais à la maison de Jeanne […] il voulait l'appeler à peu près 500 fois par journée quand elle était au travail».
[65] Certains témoins ont par ailleurs fait état du grand attachement de monsieur Marchand à l'endroit de madame Vallée. Madame Lise Picard, qui voyait le couple de trois à cinq fois par semaine, décrit en ces termes ce que cette relation représentait pour monsieur Marchand: «Cela lui a donné le goût de revivre, un regain, parce qu'il avait confiance en elle. […] C'était comme un enfant qui rencontrait enfin quelqu'un qui a soin de lui».
[66] Appelé à témoigner, monsieur Marchand entend difficilement les questions. Il est confus et ne se souvient pas du motif de la présente audition. Il croit à nouveau se trouver en présence d'un tribunal qui va décider de son aptitude ou non à prendre soin de sa personne et à gérer ses biens. Il se rappelle difficilement son adresse actuelle et il tente de prendre conseil auprès de ses filles pour se souvenir des faits sur lesquels il est interrogé. Il aspire à une plus grande paix et parle de marches tranquilles dans la campagne.
2. LE DROIT APPLICABLE
2.1 Les instruments internationaux et régionaux
[67] Rappelons ici certains principes applicables en droit international et régional des droits de la personne, notamment pour souligner le contexte plus large dans lequel se situent plusieurs des garanties énoncées dans la Charte. Ajoutons que ces instruments constituent une source de réflexion et d’inspiration d'autant plus utile que nos gouvernements et dirigeants ont souvent participé à l'élaboration de ces textes et, le cas échéant, sanctionné leur adhésion à ceux-ci par une ratification.
[68] Aussi, la protection accordée par la Charte québécoise à toute personne âgée ou handicapée à l'encontre de toute forme d'exploitation doit-elle s'apprécier au regard de dispositions comparables adoptées par la communauté internationale[2] qui, à maintes occasions, a réitéré sa volonté d'offrir aux personnes âgées un ensemble de mesures sociales susceptibles d'assurer la sécurité et la protection plus particulièrement requises par leur condition.
[69] C'est l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme[3] qui, dès 1948, reconnaissait le droit de toute personne à la sécurité en cas, notamment, «de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté».
[70] Le 16 décembre 1991, l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait par ailleurs les Principes des Nations Unies pour les personnes âgées[4] qui constituent la phase subséquente du Plan international d'action sur le vieillissement adopté, en 1982, lors de la première Assemblée mondiale sur le vieillissement. Au nombre des principes que les États sont plus particulièrement encouragés à mettre en oeuvredans leurs programmes nationaux, mentionnons tout particulièrement ceux qui suivent:
17. Les personnes âgées devraient avoir la possibilité de vivre dans la dignité et la sécurité sans être exploitées ni soumises à des sévices physiques ou mentaux.
18. Les personnes âgées devraient être traitées avec justice, quels que soient leur âge, leur sexe, leur race ou leur origine ethnique, leurs handicaps ou autres caractéristiques, et être appréciées indépendamment de leur contribution économique.
[71] En 2002, les États membres de la Deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement, dont le Canada, ont adopté le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement[5], ainsi qu'une Déclaration politique dans laquelle les représentants prennent l’engagement suivant:
Dans la perspective de ce plan d’action, nous nous sommes engagés à agir à tous les niveaux, notamment national et international, selon trois orientations prioritaires: les personnes âgées et le développement, la promotion de la santé et du bien être jusque dans le troisième âge; et la création d’environnements porteurs et favorables[6].
[72] En droit régional européen auquel nous référons ici à titre de droit comparé, mentionnons d'abord l'article 25 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne[7]:
25. L'Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle.
[73] Pour sa part, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté différentes recommandations relatives aux droits des personnes âgées. Au nombre de celles-ci, mentionnons d'abord la Recommandation relative à la dépendance[8], adoptée en 1998, qui comporte en annexe une définition intéressante de ce phénomène et de ses liens avec l'âge:
La dépendance est un état dans lequel se trouvent des personnes qui, pour des raisons liées au manque ou à la perte d'autonomie physique, psychique ou intellectuelle, ont besoin d'une assistance et/ou d'aides importantes afin d'accomplir les actes courants de la vie.
Toutes les sections de la population peuvent se trouver affectées par la dépendance, et pas uniquement les personnes âgées, même si les situations de dépendance tendent à s'accroître avec l'âge et si, au grand âge, elle a des spécificités liées à l'augmentation des causes et en particulier à la multimorbidité associée.
[74] Quant à la Recommandation concernant les personnes âgées[9], elle énonce entre autres expressément leur droit à la protection contre l'exploitation:
Les personnes âgées doivent pouvoir vivre en sécurité, partout où elles sont, sans crainte d'être exploitées ou de faire l'objet d'abus physiques ou mentaux.
[…]
Les personnes âgées ont droit à la dignité humaine au même titre que les autres membres de la société et ont, par conséquent, les mêmes droits et devoirs: elles doivent en particulier conserver leur droit à l'autodétermination et opérer leurs choix de façon appropriée, en tenant compte des différentes étapes du vieillissement.
[…]
Les droits des individus de plus en plus vulnérables doivent être particulièrement préservés.
2.2 Le droit québécois
[75] En droit québécois, l’article premier de la Charte prévoit que tout être humain a droit à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. L’article 4 énonce par ailleurs que toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
[76] En ce qui concerne plus spécifiquement les personnes âgées ou handicapées, la Charte prévoit expressément, à l’article 48, une protection contre toute forme d'exploitation:
48. Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation.
Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
[77] Par son libellé, cette disposition évoque sa parenté étroite avec les dispositions d'instruments internationaux et régionaux. Qui plus est, elle constitue aussi une manifestation concrète de la volonté du législateur québécois d'incorporer dans notre droit positif une protection effective en faveur de personnes dont l'âge est susceptible d'alimenter la vulnérabilité. Comme l'écrivait à ce propos Me Jennifer Stoddart:
Conceptuellement, l’exploitation se situe donc au cœur des obligations internationales de l’État d’assurer la protection et l’épanouissement des citoyens particulièrement vulnérables et au centre d’un faisceau de lois internes dans le domaine des droits civils et sociaux, comme celles qui régissent la protection des consommateurs et des personnes incapables ou l’administration des soins de santé.[10]
[78] Dans l’affaire Brzozowski, le Tribunal indiquait que l'expression «personne âgée» de l'article 48 n'a aucune connotation autre que de signifier «personne d'un âge plus avancé»[11]. Le Tribunal définissait comme suit l’expression «personne âgée» dans l’affaire Gagné[12]:
En définitive, bien que le terme «personne âgée» ne soit pas défini dans la Charte, l'expression doit s'entendre des personnes que l'âge a rendues vulnérables et qui peuvent s'inscrire dans un rapport de dépendance, qu'elle soit physique, économique, affective ou psychologique, au même titre que toutes les exploitations interdites par la Charte.
[79] Outre l'âge avancé, qui est en soi une source générale de vulnérabilité, les maladies et les pertes associées au vieillissement en constituent des sources spécifiques. Par ailleurs, plus une personne est vulnérable, plus elle dépend, aux plans physique, mental ou émotif, de son entourage et de son environnement. Cette dépendance constitue à son tour un facteur de vulnérabilité ou accroît la vulnérabilité préexistante en créant une source de pouvoir pour la personne dont la personne âgée dépend[13].
[80] Tel que déjà établi par le Tribunal[14], l'exploitation au sens de la Charte vise toute situation de vulnérabilité et de dépendance d'une personne face à une autre qui en profite de manière abusive. Aussi, l'exploitation inclut-elle les trois éléments suivants: «1) une mise à profit; 2) d'une position de force; 3) au détriment d'intérêts plus vulnérables»[15].
[81] Comme l’indique la Charte, cette protection vise à sanctionner toute forme d'exploitation, ce qui inclut non seulement sa dimension économique, financière ou matérielle, mais également l'exploitation physique, psychologique, sociale ou morale.
[82] Ses diverses manifestations peuvent par ailleurs survenir autant dans des milieux institutionnels, où la personne vulnérable est dépendante des soins et services qu’elle reçoit[16], que dans le contexte de rapports familiaux dans lesquels la personne vulnérable est tributaire des agissements d’un proche qui peut s’avérer incompétent ou mal intentionné[17].
3. L'APPLICATION DES PRINCIPES AUX FAITS DE L'ESPÈCE
[83] La question ici en litige est de savoir si monsieur Marchand est une personne âgée ayant subi de l’exploitation au sens de la Charte, et ce, plus particulièrement au plan financier. Ce faisant, le Tribunal doit notamment apprécier les explications de madame Jeanne Vallée qui invoque, pour sa défense, que ce dernier lui faisait des cadeaux dont la valeur n'était pas exagérée compte tenu de la nature de leur relation.
[84] Le Tribunal ne croit pas nécessaire de discuter longuement de la question de savoir si monsieur Roland Marchand est une «personne âgée» au sens de l’article 48 de la Charte car au moment où les événements en litige ont débuté, il avait 81 ans. Il était donc, selon le sens commun associé à ce terme, une personne âgée.
[85] La preuve révèle sans aucun doute que monsieur Marchand est actuellement incapable de gérer ses biens. En effet, alors qu’il témoignait à l'audience, le Tribunal a pu constater qu'il était confus et incapable de saisir l'objet du procès.
[86] En ce qui concerne plus particulièrement la condition de monsieur Marchand entre la fin de 1998 et le moment des premières évaluations médicales réalisées au cours de l'année 2001, le Tribunal note d'abord certains événements difficiles ayant précédé de peu la période en litige.
[87] Ainsi, dès le mois de février 1998, ses problèmes de vision s'aggravent, entraînant la perte de son permis de conduire et, du coup, une diminution marquée de son autonomie dans ses déplacements. Quelques mois plus tard, son épouse décède après 60 années de vie commune. Porteur d’un régulateur cardiaque, il éprouve par la suite des problèmes auditifs importants. Il vend sa maison à l'automne, pour emménager aux Tours Gouin, ce qui nécessitera une adaptation significative à son nouveau milieu de vie au cours de laquelle il développe rapidement une relation intime avec madame Vallée.
[88] Bien qu'il ne soit pas possible de retracer avec une précision parfaite le moment où les pertes cognitives associées à la maladie d'Alzheimer ont débuté chez monsieur Marchand, rappelons qu'en juin 2001, lors de la première évaluation médicale de monsieur Marchand réalisée par le Dre Louise Savoie, celle-ci note entre autres un déficit cognitif léger, une diminution de sa capacité à gérer ses biens, un léger trouble de jugement, ainsi que de la vulnérabilité.
[89] Quant aux évaluations psychosociales de mesdames Liliane Gaul et Francine Saucier, respectivement réalisées en juin 2001 et en mars 2002, elles insistent tout particulièrement sur la vulnérabilité de monsieur Marchand.
[90] Le Tribunal accorde une importance toute particulière à l'opinion du Dre Pascale Demers. En effet, à la différence d'autres professionnels du réseau de la santé qui ont évalué monsieur Marchand, cette dernière a procédé à une investigation approfondie en lui administrant notamment différents tests et en communiquant avec différentes personnes de son entourage. Or après avoir noté dans son rapport, en mars 2002, que monsieur Marchand «est atteint de ce syndrome démentiel dégénératif depuis au moins 18 mois», le Dre Demers a précisé lors de son témoignage que la maladie s'était installée chez lui au moins quatre à cinq ans plus tôt.
[91] L'opinion nuancée du Dre Demers indique aussi que cette maladie dégénérative n'entraîne pas une désintégration homogène des fonctions mentales, certaines habiletés (telles celles reliées au langage) pouvant être affectées plus tardivement que d'autres.
[92] Compte tenu de l’ensemble de la preuve médicale ainsi que des événements (limitations aux plans visuel, auditif et cardiaque; deuil; nouveau milieu de vie) vécus par monsieur Marchand, le Tribunal conclut qu'il était bel et bien dans un état de vulnérabilité au cours des quelque 30 mois de sa relation plus étroite avec madame Vallée.
[93] La preuve révèle en outre que madame Vallée était consciente des limitations et des pertes graduelles de monsieur Marchand puisqu'à compter de mars 2001, elle a elle-même consulté différents médecins à propos de son état de santé. Elle demandait aussi à l’une de ses amies de le «garder» lorsqu’il venait à sa résidence en son absence.
[94] De l'avis du Tribunal, les cadeaux au prix exorbitant de monsieur Marchand et l'importance de sa participation financière à l'achat et à la rénovation d'une résidence dont il ne reconnaissait même pas être l'un des co-propriétaires auraient dû inciter madame Vallée à davantage apprécier et prendre en compte sa grande vulnérabilité.
[95] Dans ce contexte, il est donc pour le moins paradoxal de constater qu'au moment même où les capacités cognitives de monsieur Marchand se détériorent graduellement, selon un pronostic typique de la maladie d'Alzheimer[18], les documents comptables soumis en preuve démontrent un cheminement étonnamment complexe de différentes transactions.
[96] Il en est ainsi des transactions financières entourant l'acquisition de la résidence et de l'automobile, et de la dispersion par des voies multiples de sommes importantes provenant des placements de monsieur Marchand. Ces façons de faire indiquent des intentions planifiées, réfléchies et volontaires de conclure des transactions pourtant simples en utilisant des voies inattendues et des moyens inutilement diversifiés. Tout cela porte aussi à croire qu'en raison de sa condition, monsieur Marchand ne pouvait en être l'unique instigateur.
[97] Que penser également du fait que monsieur Marchand ait retiré de son compte, par guichet automatique, plus de 75 000 $ sur une période relativement courte de 30 mois, et ce, sans que l’on puisse expliquer comment il a dépensé cette somme d’argent et alors que madame Vallée a affirmé savoir qu’il se rendait très souvent à la banque pour y effectuer des retraits au guichet?
[98] En fait, au cours de la période plus étroite de leur relation, entre décembre 1998 et mai 2001, monsieur Marchand effectue des dépenses et des transactions financières, contraires à ses habitudes, qui auront pour effet de transférer la plupart de ses avoirs entre les mains de madame Vallée. C'est ainsi que le patrimoine personnel de madame Vallée augmente de façon importante alors que, de son côté, monsieur Marchand épuise les économies de toute sa vie, allant même jusqu'à accumuler des dettes.
[99] Le Tribunal considère qu'une personne raisonnable placée dans la même situation et qui entretient de surcroît une relation intime avec un être cher n'adopterait pas un comportement destiné à l'encourager et l'inciterait encore moins à effectuer des dépenses exorbitantes à son bénéfice. Une personne raisonnable prendrait plutôt différentes mesures visant à pallier la prise de décisions pour le moins irréfléchies afin de s’assurer qu'une personne vulnérable aux plans physique, mental et psychologique ne dilapide pas ses avoirs.
[100] En l'espèce, le Tribunal ne peut que constater la facilité, voire la complaisance avec laquelle madame Vallée a «reçu» l'ensemble des cadeaux offerts par monsieur Marchand, dont l’achat et la rénovation d’une résidence pour un montant total d’au moins 53 000 $, allant même jusqu'à se justifier auprès de madame Lise Picard qui s'étonnait qu'elle accepte en cadeau une automobile de quelque 30 000 $.
[101] Dans son rapport d'évaluation psychosociale, la travailleuse Liliane Gaul a pris la peine de noter que madame Vallée semblait à l'origine de la situation d'endettement de monsieur Marchand, ainsi que son absence de collaboration aux vérifications effectuées pour identifier les sommes disparues de son patrimoine. La seconde évaluation de cette nature, réalisée par Francine Saucier, mentionne en fait «qu'elle acceptait tout avec plaisir» plutôt que d'aider monsieur Marchand à freiner des dépenses qu'il estimait faire de manière impulsive.
[102] La preuve démontre aussi que madame Vallée a cherché à attiser les conflits entre monsieur Marchand et ses filles en lui disant qu’elles riaient de lui et «qu'il se faisait avoir par elles». De l'avis du Tribunal, elle a aussi semé la discorde en étant l'instigatrice de procédures judiciaires contestant l'homologation, par la Cour supérieure, du mandat d’inaptitude rédigé par monsieur Marchand en faveur de sa fille Janice.
[103] Compte tenu de ces divers éléments, il apparaît au Tribunal que madame Vallée a exploité monsieur Marchand alors qu’il se trouvait dans une situation de vulnérabilité et de dépendance. Le Tribunal conclut également que ce faisant, la défenderesse a aussi gravement porté atteinte, et ce de manière discriminatoire, au droit de monsieur Marchand à la sauvegarde de sa dignité. Celui-ci a en conséquence «le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte»[19].
4. LES DOMMAGES
[104] Dans la demande introductive d’instance déposée au greffe du Tribunal en juin 2002, la Commission réclamait 82 884,00 $ à titre de dommages matériels. La Commission a toutefois révisé ce montant à la baisse au début de l’audience, notamment pour tenir compte d’un règlement aux termes duquel madame Vallée a accepté de rembourser à monsieur Marchand une somme 20 000 $ en considération de sa participation à l’acquisition de la résidence.
[105] Pour établir le quantum des dommages matériels réclamés, la Commission a déposé un document, intitulé «Tableau des dommages réduits», qui tient lieu d’amendement de la demande introductive d’instance et chiffre le montant des dommages matériels demandés à 36 599,00 $.
[106] Le Tribunal prend acte de cet amendement ainsi que d'une note, sur le même document, dans laquelle la Commission renonce à réclamer certaines sommes pour l’achat de joncs, d’un lit solaire et autres biens ayant profité à madame Vallée, pour un montant total de 1 694,65 $.
[107] Compte tenu des conclusions relatives à l'exploitation financière de monsieur Marchand par madame Vallée, le Tribunal accorde la totalité des 36 599,00 $ réclamés à titre de dommages matériels. Le Tribunal note par ailleurs que monsieur Marchand a également subi d’autres dommages matériels, au plan fiscal notamment, non réclamés par la Commission.
[108] La Commission demande en outre 20 000 $ pour les dommages moraux subis par monsieur Marchand.
[109] Dans un jugement tout récent[20], la Cour d'appel qualifiait en des termes fort éloquents la nature particulière du préjudice moral et de la souffrance dont il afflige un individu. Ces propos de la juge Rayle, qui s'exprime ici au nom de la Cour, trouvent à notre avis un écho tout à fait particulier dans la présente affaire:
Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.[21]
[110] En l'espèce, l'exploitation dont monsieur Marchand a été l'objet l'a conduit à une situation financière déplorable, voire à un endettement qu'il avait cherché à éviter tout au long de sa vie. Les témoignages de certains professionnels de la santé qui l'ont évalué, particulièrement madame Saucier et le Dre Demers, concordent sur le fait que monsieur Marchand détestait les dettes et sur sa peine lorsqu'il s'est retrouvé dans pareille situation. Il a aussi été gravement perturbé par les interventions du Ministère du revenu du Québec et de l'Agence des douanes et du revenu du Canada.
[111] Au fil des diverses manœuvres de madame Vallée, monsieur Marchand a aussi été placé dans une situation qui l’obligeait ni plus ni moins à choisir entre, d'une part, l'affection et les liens de confiance qui l'unissaient depuis toujours à ses filles Janice et Johanne et, d'autre part, l'engouement ressenti pour sa nouvelle amie et leur relation. Dans ce climat de discorde, il s'est trouvé au centre de controverses qui ont même entraîné des procédures judiciaires et qui ont, plus généralement, perturbé davantage son équilibre mental déjà fragilisé par sa maladie.
[112] Le Tribunal note ici le contexte très particulier dans lequel l'exploitation s'est développée. Au fil de la preuve soumise, il a été à même de constater l'investissement considérable de monsieur Marchand aux plans affectif et émotif, cette attitude de sa part ayant été particulièrement alimentée par les projets de vie commune que madame Vallée lui faisait miroiter. Or aucun de ses rêves ne s'est concrétisé et il demeure même, aujourd'hui encore, dans un état de dépendance affective que les actes de la défenderesse ont rendu d'autant plus douloureux.
[113] Considérant que l'exploitation exercée par la défenderesse a grandement affecté la sérénité à laquelle monsieur Marchand aspirait, et compte tenu des séquelles avec lesquelles il doit maintenant composer pour combattre la souffrance qui continue de l'habiter, le Tribunal accorde également la totalité des 20 000 $ réclamés par la Commission à titre de dommages moraux.
[114] La Commission demande aussi que des dommages-intérêts punitifs de 10 000 $ soient versés à monsieur Marchand en raison du caractère intentionnel de l'atteinte portée à ses droits.
[115] Dans l’affaire Hôpital St-Ferdinand[22], la Cour suprême du Canada écrivait:
[I]l y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.[23]
[116] Dans la présente affaire, le Tribunal ne peut que conclure que les agissements de madame Vallée l’ont été «en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables» de sa conduite. À ce titre, l'aveuglement volontaire dont elle a fait preuve en acceptant de manière aussi complaisante les nombreux cadeaux de monsieur Marchand et en ne cherchant jamais à l'inciter à poser des gestes plus raisonnables constitue plus qu’une négligence. Mentionnons, au même effet, son absence totale de remords lors de l'audience où elle a fait preuve d'un manque de scrupule qui répugne à la justice en affirmant qu’elle méritait bien ces «petits cadeaux». Enfin, en raison de l'ampleur même de l'appauvrissement de monsieur Marchand auquel madame Vallée a contribué, et ce pour son bénéfice strictement personnel, le Tribunal conclut qu'elle avait bel et bien l'intention de l'exploiter.
[117] En conséquence, le Tribunal considère que la somme de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs est tout à fait justifiée.
5. INTERDICTION D'ENTRER EN COMMNICATION AVEC MONSIEUR MARCHAND
[118] Dans sa demande introductive d’instance, la Commission demande au Tribunal d’ordonner à madame Jeanne Vallée de cesser tout contact avec monsieur Marchand.
[119] La preuve a en effet démontré que malgré l'ordonnance de la Cour supérieure, en date du 18 septembre 2001, lui interdisant de s'immiscer dans les affaires de monsieur Marchand, madame Vallée a continué d'avoir des contacts et des échanges téléphoniques avec ce dernier jusqu'à la date de l'audience.
[120] Par ailleurs, il y a tout lieu de croire que les contacts et les propos de madame Vallée entretiennent le dilemme qui déchire monsieur Marchand et ne cessent de nourrir son profond attachement à celle-ci, ce qui est susceptible de nuire à son bien-être en plus d’indisposer sérieusement ses filles qui désirent s’occuper de leur père sans entrave.
[121] Compte tenu des circonstances propres au présent dossier et de l’article 49 de la Charte selon lequel «une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte», le Tribunal fait droit à cette demande de la Commission.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE la demande introductive d’instance telle qu'amendée;
ORDONNE à la partie défenderesse, madame Jeanne Vallée, de verser à monsieur Roland Marchand une somme de soixante six mille cinq cent quatre-vingt-dix-neuf dollars (66 599,00 $) répartie comme suit:
- une somme de 36 599 $ à titre de dommages matériels;
- une somme de 20 000 $ à titre de dommages moraux;
- une somme de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
ORDONNE à la partie défenderesse, madame Jeanne Vallée, DE CESSER tout contact avec la victime, monsieur Roland Marchand;
LE TOUT, avec les intérêts depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, le 26 mars 2002, au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), ainsi que le permet l'article 1619 C.c.Q., et les dépens.
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__________________________________ MICHÈLE RIVET, PRÉSIDENTE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE
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Me Maurice Drapeau |
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Commission des droits de la personne |
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et des droits de la jeunesse |
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360, rue Saint-Jacques ouest, 3e étage |
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Montréal (Québec) H2Y 1P5 |
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Me Élaine Bissonnette |
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3892, rue Monselet |
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Montréal (Québec) H2Y 2C1 |
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Dates d’audience : |
Les 7, 8 et 9 janvier 2003 à Montréal. |
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AUTORITÉS DE LA PARTIE DEMANDERESSE
telles que citées par la partie demanderesse
Commission des droits de la personne du Québec, Rapport de consultation et recommandations, L'exploitation des personnes âgées: vers un filet de protection resserré, Québec, octobre 2001.
Jurisprudence
Bédard c. Bédard, REJB 1998-09502 (C.S.).
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Joseph Monty) c. Jean-Paul Gagné et Jeannine Cloutier, TDP Joliette no 705-53-000017-023, 16 décembre 2002, j. Rivet.
Commission des droits de la personne du Québec c. Coutu, [1995] R.J.Q. 1628 . (T.D.P.Q.)
Commission des droits de la personne du Québec c. Brzozowski, [1994] R.J.Q. 1447 . (T.D.P.Q.) (1996).
Curateur c. SNE de l'Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 .
Guaiani en sa qualité de liquidatrice de la succession de feu Liberato Guaiani c. Guaiani, REJB 12998-06880 (C.S.).
Lafortune c. Bourque, REJB 2000-18711 (C.S.)
Longtin, c. Plouffe, REJB 2001-26297 (C.S.)
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Fiset, (1998) 4 C.H.R.R. D/61 (T.D.P.Q.).
AUTORITÉS DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE
autres que celles citées par les parties
Autres documents
Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G., 3e session, 1ère partie, résolution
217A (III), p. 71, Doc. N.U., A/810 (1948).
Principes des Nations Unies pour les personnes âgées, A.G., résolution 46/91 du 16/12/91.
Recommandation relative à la dépendance, Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, 641e réunion des Délégués des Ministres, Recommandation R(98)9.
Recommandation concernant les personnes âgées, Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, 518e réunion des Délégués des Ministres, Recommandation R (94) 9.
Plan d'action international de Madrid sur le vieillissement, Rapport de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement (Madrid, 8-12 avril 2002) (23 mai 2002).
Doctrine
Jennifer Stoddart, «L’exploitation au sens de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne», dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, L'exploitation des personnes âgées: vers un filet de protection resserré. Rapport de consultation et recommandations, Octobre 2001.
Jurisprudence
Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal Inc. et al., C.A. Montréal #500-09-011219-011, 24 mars 2003, jj. Gendreau, Dussault et Rayle.
McKinney c. Université de Guelph, [l990] 3 R.C.S. 229.
[1] En liasse, correspondance et rapports des Drs Rémillard et Turcotte.
[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Monty) c. Gagné, T.D.P.Q. Joliette, 705-53-000017-23, 16 décembre 2002, j. Rivet (règlement hors Cour à la suite d'une permission d'appeler accordée par la Cour d'appel); Commission des droits de la personne du Québec c. Brzozowski, [1994] R.J.Q. 1447 (T.D.P.Q.).
[3] A.G., 3e session, 1ère partie, résolution 217A (III), p. 71, Doc. N.U., A/810 (1948).
[4] A.G., résolution 46/91 du 16/12/91.
[5] Rapport de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement (Madrid, 8-12 avril 2002) A/CONF.197/9 (23
mai 2002).
[6] Id.
[7] [2000] J.O.C. 364/01.
[8] Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, 641e réunion des Délégués des Ministres, Recommandation R(98)9.
[9] Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, 518e réunion des Délégués des Ministres, Recommandation R (94) 9.
[10] Jennifer Stoddart, «L’exploitation au sens de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne», dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 155.
[11] Précitée, 1471 (j. Rivet). Cette précision apportée par le Tribunal fait aussi écho aux commentaires du juge Claire L'Heureux-Dubé (dissidente, mais non sur ce point) dans l'affaire McKinney c. Université de Guelph, [l990] 3 R.C.S. 229.
[12] Précitée, par. 90 et 91.
[13]Le Tribunal souscrit ici aux constats contenus à ce sujet dans le rapport produit, par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, au terme d'une vaste consultation publique: L'exploitation des personnes âgées: vers un filet de protection resserré. Rapport de consultation et recommandations, Octobre 2001, pp. 9-10.
[14]Affaire Gagné, précitée, par. 83.
[15] Affaire Brzozowski, précitée, 1471 (j. Rivet).
[16]À titre d'exemples, voir les affaires Brzozowski, précitée, et Commission des droits de la personne c. Coutu, [l995] R.J.Q. 1628 (T.D.P.Q).
[17] Voir à titre d’exemples les affaires Gagné, précitée,et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Fiset, (1999) 34 C.H.R.R. D/61 (T.D.P.Q).
[18] Moins d'un an après la fin de la période en litige, la travailleuse sociale Francine Saucier mentionne, dans son rapport, une inaptitude «marquée et irréversible» chez monsieur Marchand.
[19] Article 49 de la Charte.
[20] Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal Inc. et al., C.A. Montréal #500-09-011219-011, 24 mars 2003, jj. Gendreau, Dussault et Rayle.
[21] Id., par. 63.
[22] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St - Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 .
[23] Id., 262 (j. L'Heureux-Dubé).
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