[1] LA COUR : Statuant sur l'appel d'un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Benoît Emery), qui, le 30 septembre 2008, prononce le divorce des parties ainsi que diverses ordonnances accessoires;
[2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrit le juge Hilton, et pour les motifs du juge Beauregard :
[3] ACCUEILLE l'appel, pour partie;
[4] INFIRME le jugement de première instance à la seule fin de remplacer les paragraphes [119] (incluant la note infrapaginale 18) et [122] de son dispositif par les paragraphes suivants :
[119] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse la somme de 97 283,69 $18 concernant la dissolution de la société d'acquêts en tenant toutefois en compte que la notaire France Sauvé devra remettre à chacune des parties la somme de 100 436 $ concernant la vente de la propriété de la rue A à ville A.
18. soit la somme de 107 283,69 $ moins un crédit de 10 000 $ concernant la provision pour frais.
[122] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse, rétroactivement à la date de l'institution de la présente action de divorce, une pension alimentaire de 6 250 $ par mois payable au moyen de deux versements mensuels égaux de 3 125 $ chacun payable les premier et quinze de chaque mois.
[5] MODIFIE par ailleurs le paragraphe [123] du jugement de première instance, pour tenir compte de l'entente des parties :
[123] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse, pour le seul bénéfice des enfants X et Y la somme de 1 650 $ par mois, au moyen de deux versements égaux de 825 $ chacun payables les 1er et 15 de chaque mois à compter du 1er octobre 2008 et jusqu'au 30 avril 2010, et ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse, pour le seul bénéfice de l'enfant Y, la somme de 1 579 $ par mois, au moyen de deux versements égaux de 789,50 $ chacun payables les 1er et 15 de chaque mois à compter du 1er mai 2010;
[6] Le tout, sans frais.
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MOTIFS DE LA JUGE BICH |
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[7] Le juge de première instance aurait-il dû, afin d'établir le montant de la pension alimentaire que l'intimé doit payer à l'appelante, considérer ou appliquer les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux? C'est là le cœur du pourvoi, quoique l'appelante soulève également d'autres questions, rattachées notamment au partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts ayant existé entre les parties.
I. Contexte et jugement de première instance
[8] Les faits suivants ressortent du jugement de première instance.
[9] Les parties se sont mariées le 16 août 1980, sous le régime de la société d'acquêts. Elles ont fait vie commune pendant 24 ans, leur union ayant pris fin le 8 septembre 2004.
[10] Les parties ont deux fils, l'aîné, aujourd'hui majeur et autonome[1], né [...] 1987, et le cadet, encore aux études, né le [...] 1993.
[11] Au début du mariage, l'appelante, qui a complété un baccalauréat en commerce, travaille et soutient financièrement l'intimé, détenteur d'un baccalauréat en biochimie, qui entreprend alors des études de médecine, qu'il termine en 1984. Il obtiendra par la suite un doctorat (Ph. D.), en 1987. Les parties et leur fils aîné, en 1989, quittent ville B pour Boston, où l'intimé poursuit des études en [...] pendant que l'appelante obtient un diplôme de Certified Public Accountant. Les parties reviennent à ville B en 1992. L'intimé devient [spécialiste] dans un hôpital [...] de la ville et professeur à la Faculté de médecine de l'Université A.
[12] Alors que leur fils aîné est encore petit, les parties conviennent que l'appelante laissera le travail pour se consacrer entièrement à la famille. Cela semble s'être imposé en raison des importantes contraintes de temps que sa profession impose à l'intimé. Toujours est-il que l'appelante, sans aucun doute, est celle qui, renonçant à sa propre carrière, s'est occupée principalement de l'éducation et du soin des enfants, apportant par ailleurs un soutien conjugal et familial constant à l'intimé, dont la carrière fut — et est toujours — florissante, tant comme médecin que chercheur. En 2002, toutefois, elle est retournée sur le marché du travail, comme comptable (« CGA »), à raison de trois jours par semaine. Elle occupe toujours cet emploi, qui lui procure un salaire de 45 150 $.
[13] Le 23 mars 2005, quelques mois après la séparation des parties, l'appelante intente une action en divorce. Le 16 juin 2005, les parties règlent à l'amiable la question des mesures intérimaires. Leur entente, qui est dûment homologuée, prévoit notamment la garde du fils cadet des parties (l'aîné devant devenir majeur sous peu), les droits d'accès de l'intimé, le versement par celui-ci d'une pension alimentaire de 2 500 $ par mois pour les enfants et de 3 000 $ par mois pour l'appelante elle-même, rétroactivement au 1er avril 2005. Elle prévoit aussi que l'intimé paie une provision pour frais de 10 000 $ à l'appelante, « under reserve of DEFENDANT's right to request its imputation out of the PLAINTIFF's share of the Partnership of Acquests »[2].
[14] Le juge de première instance entend l'affaire les 20, 21, 22, 26 et 27 mai 2008 et rend jugement le 30 septembre 2008. Il prononce le divorce des parties, confie la garde du fils cadet à l'appelante, règle la question des droits d'accès de l'intimé et, fixant les revenus de celui-ci à 363 000 $, lui ordonne de verser à l'appelante, au bénéfice des deux enfants (l'aîné, toujours aux études à cette date, résidant principalement chez sa mère), une pension alimentaire de 1 650 $ par mois. Le juge donne acte par ailleurs de l'engagement de l'intimé de payer les frais de scolarité des enfants. Diverses ordonnances pourvoient en outre au partage (égal) du patrimoine familial (notamment de la résidence familiale, déclarée propriété de l'appelante moyennant un versement de 183 806 $ à l'intimé) et de la société d'acquêts. Enfin, le juge ordonne à l'intimé de payer à l'appelante, rétroactivement à la date de l'action en divorce, une pension alimentaire de 4 750 $ par mois, soit 57 000 $ par an. Notons que les revenus annuels de l'appelante, compte tenu de cette pension et de son salaire de 45 150 $, totaliseront 102 150 $. Par ailleurs, vu le caractère rétroactif de l'ordonnance du juge, des arrérages d'environ 43 000 $ ont dû être payés par l'intimé.
[15] Le juge n'accorde ni prestation compensatoire ni somme globale. Il ordonne enfin que la provision pour frais versée par l'intimé au stade intérimaire, en vertu de l'entente du 16 juin 2005, soit déduite de la part qui revient à l'appelante à la suite de la dissolution de la société d'acquêts.
[16] L'appelante se pourvoit et il ressort de son inscription en appel qu'elle conteste, d'une part, le calcul de la pension alimentaire pour les enfants, et d'autre part, divers aspects des ordonnances relatives au partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts. Elle conteste aussi le jugement au chapitre de la prestation compensatoire ou de la somme globale et, de même, le montant de la pension alimentaire octroyée à son bénéfice. Au total, on compte dix moyens d'appel.
[17] À l'audience, le 20 avril 2010, la Cour a été informée que, la situation des enfants ayant évolué depuis l'institution des procédures en divorce et même depuis le jugement de première instance, les parties s'entendent désormais, conformément aux barèmes applicables, sur la pension que l'intimé doit verser pour le seul enfant à charge dont l'appelante a encore la garde. Le montant de cette pension est de 1 579 $ ou de 1 688 $ selon que l'on retient la conclusion du juge de première instance ou la prétention de l'appelante quant aux revenus de l'intimé. Dans l'un et l'autre cas, il est entendu que cette pension ne couvre pas les frais de scolarité de l'enfant en question, qui fréquente actuellement l'école A. Ces frais de scolarité sont, en sus de la pension, à la seule charge de l'intimé (ainsi que l'indique le paragraphe [124] du dispositif du jugement de première instance). L'arrêt de la Cour comportera une conclusion conforme à l'entente des parties sur le montant de la pension, selon ce qui sera décidé au sujet des revenus annuels de l'intimé, sujet qui sera discuté au paragraphe [82], infra.
II. Analyse
[18] En guise de remarque préliminaire, il convient de noter que l'appelante n'a pas reproduit au dossier d'appel l'intégralité de la preuve présentée au juge de première instance. L'article 507 C.p.c. prescrit que :
507. Les parties exposent dans leurs mémoires l'objet du litige, leurs prétentions et leurs conclusions. Chacune doit joindre à son mémoire une copie des pièces et les extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige. L'appelant doit, de plus, joindre à son mémoire copie des actes de procédure de la contestation liée, du jugement frappé d'appel et, le cas échéant, des notes produites par le juge ou, s'ils ont été donnés oralement, de la transcription ou de la traduction des motifs du jugement. Les mémoires doivent être préparés en la manière prévue par les règles de pratique. Ils peuvent, en tout ou en partie, être préparés et produits sur un support informatique si toutes les parties y consentent et qu'un juge de la Cour d'appel l'autorise. |
507. The parties set out in their factum the subject at issue, their pretensions and conclusions. Each party must attach to his factum a copy of the documents and extracts from the evidence that are necessary to determine the questions at issue. The
appellant must also attach to his factum copy of the proceedings of the
joined issue, the judgment appealed from and, where that is the case, the
notes filed by the judge or, if they were given orally, the transcription or
the translation of the reasons of the judgment. The factums must be prepared in the manner provided by the rules of practice. They may be prepared and filed in computerized form in whole or in part provided it is agreed by all parties and authorized by a judge of the Court of Appeal. |
[Soulignements ajoutés.]
[19] L'article 65 des Règles de la Cour d'appel en matière civile énonce pour sa part que :
65. Les annexes (1) Le mémoire de la partie appelante comporte trois annexes : […] ANNEXE III Elle comprend les seules pièces et dépositions ou les seuls extraits de pièces ou dépositions nécessaires à l'examen de toutes les questions en litige. (2) Les parties peuvent se mettre d'accord sur un exposé conjoint des faits nécessaires à la solution des questions en litige au lieu d'avoir recours à la transcription des dépositions et aux pièces. Cet exposé est alors inséré au début de l'annexe III. (3) La partie intimée ne retient dans les annexes de son mémoire que les éléments nécessaires à l'examen des questions posées, le cas échéant, par son appel incident et qui ne sont pas inclus dans le mémoire de la partie appelante. |
65. Schedules (1) The factum of the appellant shall include three schedules: […] Schedule III It shall include only those exhibits and depositions or extracts therefrom that are necessary for the consideration of all the issues in dispute. (2) The parties may agree on a joint statement of the facts necessary to resolve the issues in dispute, rather than relying on the transcripts of the depositions and the exhibits. The joint statement shall be inserted at the beginning of Schedule III. (3) The schedules to the respondent's factum shall include only those elements that are necessary for the consideration of the issues raised in the incidental appeal, if there is one, and that are not already included in the appellant's factum. |
[Soulignements ajoutés.]
[20] Certains plaideurs, faisant une lecture étroite de ces dispositions, croient qu'il suffit pour s'y conformer de produire les seuls extraits (parfois même des fragments) de la preuve documentaire et testimoniale soutenant le point de vue qu'ils défendent dans leur mémoire. Cette interprétation est incorrecte et n'est pas, malheureusement, sans conséquence sur l'issue de l'appel.
[21] Le plaideur qui se demande ce qu'il doit joindre à son mémoire, au titre de l'annexe III, doit se poser la question suivante : de quoi la Cour a-t-elle besoin pour résoudre adéquatement les questions en litige? Il s'agit donc de répondre à cette question en fonction des besoins de la Cour et non selon la seule perspective de la partie que représente le plaideur. Par exemple, celui qui affirme que le tribunal de première instance a mal évalué l'ensemble de la preuve a tout intérêt à soumettre l'entièreté de celle-ci en annexe à son mémoire. De même, si l'on reproche au tribunal de première instance des erreurs dans l'appréciation du témoignage d'un témoin particulier, il est téméraire de ne reproduire que des extraits de ce témoignage (ce qui peut laisser sous-entendre qu'on cherche à cacher ce que le témoin aurait dit par ailleurs et qui pourrait contredire la thèse qu'on cherche à faire valoir en appel).
[22] La jurisprudence de la Cour sur ce point est constante[3].
[23] Le fardeau de reproduire toute la preuve dont la Cour aura besoin pour résoudre le litige repose en premier lieu sur les épaules de la partie appelante. Si elle ne le fait pas (soit qu'elle ne produise rien ou ne produise que des extraits insuffisants), la partie intimée n'est pas tenue de suppléer au défaut, quoiqu'elle puisse décider de le faire en produisant elle-même le complément de preuve nécessaire[4]. Dans le premier cas, il se pourrait qu'elle obtienne pour cette raison le rejet de l'appel; dans le second cas, elle permettra à la Cour de statuer sur le fond en toute connaissance de cause. Il y a là pour la partie intimée un choix stratégique.
[24] En l'espèce, l'appelante a pris le risque de ne reproduire que certaines portions de la preuve, que l'intimé a choisi de ne pas compléter. Ainsi, plusieurs pièces n'ont pas été reproduites. La totalité du témoignage de l'appelante ne figure pas au dossier d'appel, encore que son avocate ait tenté de remédier pour partie à cette lacune en adressant à la Cour, après l'audience d'appel, une lettre à laquelle était annexée la transcription du contre-interrogatoire de sa cliente, tenu le 20 mai 2008. Cet envoi, auquel s'oppose l'intimé et qui n'a pas été autorisé par la Cour (dont la permission n'a d'ailleurs pas été sollicitée, comme il se devait, par voie de requête), était inapproprié et irrecevable. Cela dit, son contenu n'est pas de nature à influer sur l'issue du pourvoi. Par ailleurs, le témoignage de l'appelante du 26 mai 2008 n'est pas au dossier, ni celui du 27 mai (qui, selon le procès-verbal d'audience, a été fort bref). Il manque également la première partie de l'interrogatoire de l'intimé, le 21 mai 2008 (sauf quelques pages), ainsi que le témoignage d'A... G....
[25] L'appel portant essentiellement sur des questions de fait et la plupart des moyens d'appel étant développés de façon sommaire, sauf celui qui concerne la pension alimentaire à laquelle l'appelante a droit, on comprendra que le caractère incomplet de la preuve reproduite au dossier d'appel signifiera une prudence accrue de la part de la Cour.
[26] Examinons maintenant les neuf moyens que soulève l'appelante et qui demeurent en litige. Je les étudierai dans l'ordre que présente son mémoire initial.
1. Partage inégal du patrimoine familial
[27] L'appelante reproche au juge de première instance de n'avoir pas ordonné le partage inégal du patrimoine familial, en particulier celui de la résidence familiale, qui aurait dû lui être attribuée en totalité. Selon l'appelante, c'eût été là la façon de remédier à la mauvaise foi de l'intimé, qui a tout au cours de l'instance tenté de cacher ses revenus véritables et, généralement, d'induire la Cour supérieure en erreur quant à l'état de ses finances personnelles. « This recurring bad faith made it truly impossible to know what Respondent's real situation was and, because he attempted to mislead the Court and Appellant, it is appropriate that an unequal partition of the family patrimony be granted », écrit-elle au paragraphe 33 de son mémoire initial.
[28] Il faut souligner au passage que la procédure introductive d'instance de l'appelante ne réclame pas le partage inégal du patrimoine, qui n'a pas non plus été demandé en cours d'instruction. Il appert du mémoire de l'intimé[5] que l'idée d'un tel partage aurait été évoquée pour la première fois lors des plaidoiries devant la Cour supérieure, sans doute en raison de la mauvaise foi dont l'intimé aurait, selon l'appelante, fait montre tout au long de l'instance. Quoi qu'il en soit, l'absence d'une demande en ce sens dans la requête introductive ou pendant l'instruction explique vraisemblablement pourquoi le juge n'a pas statué explicitement sur le sujet, encore qu'il ait implicitement rejeté cette suggestion en ordonnant le partage égal du patrimoine familial. On comprend de toute façon que ce ne fut pas là le fer de lance de la plaidoirie de l'appelante. Ce n'est du reste toujours pas le cas en appel, celui-ci étant ciblé principalement sur la question de la pension alimentaire et l'application des Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux, sujet dont il sera question plus loin.
[29] Cela dit, y a-t-il lieu en l'espèce à un partage inégal du patrimoine familial?
[30] L'article 422 C.c.Q. permet de faire exception au principe du partage égal du patrimoine familial, et ce, dans les circonstances suivantes :
422. Le tribunal peut, sur demande, déroger au principe du partage égal et, quant aux gains inscrits en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9) ou de programmes équivalents, décider qu'il n'y aura aucun partage de ces gains, lorsqu'il en résulterait une injustice compte tenu, notamment, de la brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens par l'un des époux ou encore de la mauvaise foi de l'un d'eux. |
422. The court may, on an application, make an exception to the rule of partition into equal shares, and decide that there will be no partition of earnings registered pursuant to the Act respecting the Québec Pension Plan (chapter R-9) or to similar plans where it would result in an injustice considering, in particular, the brevity of the marriage, the waste of certain property by one of the spouses, or the bad faith of one of them. |
[31] Il ressort clairement du jugement que le juge de première instance n'a pas retenu les prétentions de l'appelante quant à l'injustice qui découlerait du partage égal du patrimoine vu la mauvaise foi alléguée de l'intimé. La lecture du dossier d'appel (qui ne reproduit la preuve documentaire que partiellement et qui ne reproduit pas l'intégralité de la preuve testimoniale) ne permet pas de conclure autrement. Il n'y a dans cette preuve rien qui justifie de conclure de manière prépondérante que l'intimé aurait tenté de cacher des sommes ou des biens ou de masquer ses véritables revenus ou qu'il aurait dans ce cadre agi de mauvaise foi.
[32] Tous les arguments de l'appelante sur le sujet relèvent de la pure question de fait. L'intervention de la Cour n'est alors justifiée que si l'on établit que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante dans l'appréciation des faits ou les inférences qu'il en a tirées. Ainsi que le précise la Cour dans l'arrêt P. L. c. Benchetrit[6], sous la plume du juge Morissette :
[24] […] D’où il suit qu’affirmer sans plus de précision qu’une conclusion de fait « est contraire à l’ensemble de la preuve » n’est d’aucune utilité en appel. Et prétendre qu’une chose est « manifeste » ne suffit pas à la rendre telle. À mon avis, c’est dans ce sens que doivent se comprendre les propos du juge Fish quand il écrivait ce qui suit dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général) [renvoi omis] :
… en plus de sa résonance, l'expression « erreur manifeste et dominante » contribue à faire ressortir la nécessité de pouvoir « montrer du doigt » la faille ou l'erreur fondamentale. Pour reprendre les termes employés par le juge Vancise, [traduction] « [l]a cour d'appel doit être certaine que le juge de première instance a commis une erreur et elle doit être en mesure de déterminer avec certitude l'erreur fatale » (Tanel, p. 223, motifs dissidents, mais pas sur ce point).
« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.
[33] La démonstration n'a pas été faite ici d'une erreur de ce genre.
[34] J'ajouterai que les arguments de l'appelante ne répondent par ailleurs pas aux exigences établies par la jurisprudence relative à l'article 422 C.c.Q. Dans M.T. c. J.-Y.T.[7], la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge LeBel, explique ainsi que :
[25] L’approche interprétative nécessaire à l’application de l’art. 422 doit toujours prendre en compte la nature de l’objectif du patrimoine familial, soit la création d’une union économique entre les conjoints. Cette méthode permet de déterminer la nature des circonstances susceptibles de provoquer une injustice au sens de l’art. 422. Ces circonstances doivent se relier à la réalisation ou à l’échec de l’association économique entre les parties. Il faut déterminer si, par leurs actes ou leur comportement durant le mariage, les conjoints ont violé leur obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial :
[traduction] Depuis 1989, le droit commun québécois a réitéré son adhésion au postulat moral — consacré ailleurs au Canada au moyen de la fiducie constructoire (ou fiducie par interprétation) et des régimes législatifs qui s’en inspirent — selon lequel le mariage est une entreprise économique conjointe à laquelle chaque époux doit contribuer de son mieux. L’époux qui n'a pas fourni, en biens ou en services, la contribution requise par la nature même du mariage, a violé l’engagement économique fondamental sur lequel repose le mariage. La conduite est donc pertinente au moment du divorce, mais seulement dans la mesure où elle révèle que l’une des parties au mariage a commis un abus de confiance en ne traitant pas la vie familiale comme un partenariat financier. Le Code civil autorise donc le juge — qui préside une véritable « cour de conscience » civile — à déroger au « partage » égal de la valeur nette du patrimoine familial lorsqu’un époux qui entend bénéficier du partage n’est pas sans reproche, vu son défaut de contribuer à l'entreprise économique conjointe. (Kasirer, p. 572)
[26] On peut s’interroger à ce propos sur le sens de la notion de « mauvaise foi » dans l’énumération de l’art. 422. Encore là, malgré sa très grande flexibilité, ce concept doit s’interpréter dans le contexte général où il est employé. Cette notion conserve un caractère économique. Elle ne renvoie pas à l’appréciation de la valeur morale ou de la qualité de la vie conjugale des époux (Kasirer, p. 590).
[27] La brièveté du mariage que mentionne l’art. 422 a souvent un impact économique direct. La durée de l’union influe sur la création et la consolidation de l’association économique. De même, les actes de dilapidation ou de mauvaise gestion pourront affecter le contenu du patrimoine, sinon son existence même (Droit de la famille — 1953, J.E. 94-552 , SOQUIJ AZ-94011386 (C.A.); M.G. c. A.B., J.E. 2002-1013 , SOQUIJ AZ-50128166 (C.A.), conf. [2001] R.D.F. 556 (C.S.); Droit de la famille — 1395).
[28] Les tribunaux doivent examiner la conduite des parties et l’importance de leur contribution dans la perspective de leur impact économique sur le patrimoine familial, non de leur effet sur le bonheur de la vie commune, bien que les mêmes actions puissent affecter l’ensemble des aspects de l’union conjugale. Lorsqu’on les invoque comme source d’injustice au sens de l’art. 422, les actes préjudiciables ou répréhensibles, ou fautes des conjoints, doivent conserver un lien clair avec le sort du patrimoine familial. Ils doivent présenter en quelque sorte le caractère d’une faute économique (Kasirer, p. 593).
E. Absence de justification d’un partage inégal
[29] Ainsi, les causes d’injustice imputées à un conjoint doivent être analysées dans la perspective de leur impact sur le patrimoine, y compris dans les cas où il s’agit de reproches à propos de la conduite d’un conjoint, qui doivent correspondre à des fautes économiques rattachées à l’exécution des obligations de contribution. Dans cette perspective, l’application de l’art. 422 par la Cour d’appel ne respectait pas les limites imposées par le législateur au pouvoir judiciaire d’ordonner un partage inégal. Cette conclusion ressort de l’étude des motifs retenus par la Cour d’appel pour exclure les droits à pension de l’intimé du partage du patrimoine familial.
[35] L'appelante ne montre pas ici que l'intimé aurait violé son obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial.
2. Déduction de la valeur ajustée d'un don fait par le père de l'appelante conformément à l'article 418 C.c.Q.
[36] L'appelante consacre un seul paragraphe à ce moyen, dont on notera qu'il ne figure pas dans l'inscription en appel, pas plus qu'il ne figurait dans la demande introductive d'instance ou, selon ce qu'on peut en comprendre, dans la proposition de partage du patrimoine familial et des acquêts qu'elle a produite, par l'intermédiaire de son avocate, lors des plaidoiries devant la Cour supérieure[8]. En principe, la Cour ne devrait donc pas considérer ce moyen d'appel, qui n'est pas recevable.
[37] Cela dit, sauf à l'affirmer, l'appelante n'explique aucunement ce en quoi le juge se serait trompé en ne pratiquant pas cette déduction qui correspondrait à la somme que le père de l'appelante aurait investie dans l'achat de la résidence familiale des parties, tenant compte de la plus-value.
[38] Cet investissement aurait été, au mieux, indirect puisque les parties, ainsi que le révèle la pièce P-39, ont (en 1998) acheté la résidence non pas du père, mais bien de la sœur et du beau-frère de l'appelante, qui l'avaient eux-mêmes acquise d'un tiers et l'ont revendue moyennant 1 $ et autres considérations, dont l'assomption de l'hypothèque qui grevait alors l'immeuble. Les parties, il faut le préciser, occupaient déjà la maison depuis 1992 et en payaient tous les frais. Il ne ressort pas de la preuve reproduite au dossier d'appel que ce don indirect du père de l'appelante, s'il s'agit bien d'un don au sens de l'article 418 C.c.Q., lui aurait été destiné exclusivement plutôt qu'au couple[9], la preuve reproduite au dossier d'appel étant pour le reste insuffisante et ne permettant pas de faire droit à cette réclamation, si même elle avait été recevable.
3. Refus du juge de première instance de transférer la moitié des actions de l'intimé dans la société A.
[39] Le juge a-t-il erré en refusant de transférer à l'appelante la moitié des 7 950 000 actions que l'intimé détient dans la société A.[10]? C'est ce que réclamait l'appelante en première instance. Le juge a plutôt choisi d'en diviser la valeur, établie à 79,50 $ (sur la base de 0,00001 $ par action). L'appelante évalue plutôt ces actions à 1 828 500 $ (sur la base de 0,23 $ par action). Elle demande à la Cour d'ordonner à l'intimé de lui transférer la moitié des actions (3 975 000), ou, s'il le préfère, de lui en verser la valeur, sur la base de 0,23 $ par action (914 250 $).
[40] Voici ce qu'écrit le juge à propos du partage de ces actions, qui sont des acquêts de l'intimé :
[31] Le principal élément concerne l'évaluation des actions que le défendeur détient dans sa compagnie vouée à la recherche médicale. La demanderesse plaide que le tribunal devra accorder une valeur de 1 800 000 $ à ses actions. Du même souffle, elle reconnaît toutefois que si le défendeur mettait ses actions en vente, il ne pourrait obtenir cette somme-là. Elle fonde néanmoins sa prétention sur le témoignage d'un représentant de cette compagnie qui a mentionné qu'à la date où il a témoigné au procès, soit le 21 mai 2008, l'action se transigeait à 0,23 $. Puisque le défendeur détient 7 950 000 actions, la valeur serait d'environ 1 800 000 $.
[32] Cela dit, même si cela était possible, la demanderesse ne souhaite pas que la moitié de ses actions lui soient transférées. Elle demande toutefois au tribunal de tenir compte de cette valeur de 1 800 000 $ dans sa décision d'octroyer ou non une somme globale. La demanderesse plaide qu'à son âge, elle est en droit de vivre dans une maison entièrement payée.
[…]
[35] Le défendeur rappelle que la pension alimentaire doit être déterminée en fonction de nombreux critères dont plus particulièrement les moyens et les besoins des parties. Quant à ses propres moyens, le défendeur nie que les actions qu'il détient dans sa compagnie puissent valoir 1 800 000 $. Il rappelle que les parties ont admis que l'évaluation des biens du patrimoine familial doit être déterminée à la date de la séparation soit le 8 septembre 2004.
[36] Or, à cette date, il n'y a aucune preuve que les actions de la compagnie valaient plus que leur valeur nominale de 0,01 $ l'action. Le défendeur souligne que la demanderesse a elle-même produit [renvoi omis] le certificat d'actions de même que la toute première résolution de la [société B] où il est indiqué que le défendeur a remis un chèque de 79,50 $ en paiement de ses 7 950 000 actions à 0,01 $ chacune. Ces mêmes documents révèlent que la compagnie a été créée par cinq actionnaires dont l'Université A. Selon ces documents d'incorporation, le défendeur détient 39,75 % des actions alors que son principal associé en détient 41 %. L'Université A détient 5 % des actions.
[37] Contrairement aux prétentions de la demanderesse, le défendeur plaide que le tribunal ne peut pas tenir compte d'une proposition d'affaires [renvoi omis] du mois d'août 2004 puisqu'il n'y a pas eu de suite à cette proposition et qu'il n'y a jamais eu de transaction. Le défendeur précise que cette proposition comportait de nombreuses conditions qui auraient pu faire échouer la transaction même si les actionnaires avaient voulu y donner suite. Le défendeur réfère notamment aux paragraphes 7, 8, 11, 12 et 14 du document P-44.
[38] Le défendeur ajoute que la demanderesse a elle-même fait entendre un représentant de la compagnie dans sa preuve lequel a révélé que l'entreprise perdait de l'argent depuis trois ans et qu'il n'envisageait pas qu'elle devienne rentable pour au moins cinq autres années. Le défendeur plaide que même s'il voulait lui-même vendre ses actions aujourd'hui, il est très peu probable qu'il puisse trouver un acheteur.
[…]
[101] Quant à la dissolution de la société d'acquêts, le principal différend porte sur la valeur des actions que le défendeur détient dans la [société B] Selon la demanderesse, ces actions ont une valeur marchande d'au moins 1 800 000 $. Elle reconnaît néanmoins qu'il s'agit d'une valeur en date du procès [renvoi omis]. La demanderesse admet aussi qu'il s'agit d'une valeur plutôt théorique puisqu'il est peu probable que le défendeur puisse obtenir un tel montant s'il désirait les vendre.
[102] Le tribunal est d'avis que ces actions n'ont qu'une valeur nominale d'un sou l'action pour un total de 79,50 $. La procureure de la demanderesse a produit un courriel que monsieur A... G... lui a adressé le 16 mai 2008 [renvoi omis] selon lequel la valeur des actions est de 79,50 $. Le tribunal réfère également aux documents corporatifs produits sous la cote P-45. Le tribunal ne peut non plus se fier sur le document produit sous la cote P-44 puisqu'il ne s'agit que d'une proposition qui n'a jamais eu de suite.
[103] Il importe de souligner que le principal actif de la compagnie qui se spécialise en recherche médicale repose sur la connaissance et l'expertise du défendeur. S'il devait vendre et quitter la compagnie, elle perdrait ainsi l'un de ses principaux actifs. De surcroît, le tribunal précise que selon monsieur A... G..., la compagnie est en déficit depuis sa création. La demanderesse n'a donc pas démontré que ces actions avaient quelque valeur. Il est possible qu'un jour ces actions prennent de la valeur mais ceci n'est que spéculation pour l'instant.
[41] Ces extraits comportent deux erreurs qui ne sont ni l'une ni l'autre déterminantes. D'une part, lorsqu'au paragraphe [102] ci-dessus le juge reconnaît une valeur d'« un sou » à chaque action, il s'agit plutôt d'une fraction de sou, et plus exactement de 0,00001 $. L'erreur est ici de l'ordre de la typographie, cependant, vu la valeur totale attribuée par le juge auxdites actions (79,50 $). En effet, les actions ne valent rien ou presque.
[42] D'autre part, contrairement à ce qu'indique le juge au paragraphe [32], l'appelante désire bel et bien que la moitié des actions lui soit transférée, et c'est ce qu'elle a réclamé en première instance. Cela dit, le juge n'aurait pu accorder cette demande, de sorte que l'issue du litige sur ce point reste la même.
[43] En effet, les actions en jeu font partie de la société d'acquêts, sujets au régime de division prévu par l'article 481 C.c.Q. :
481. Le règlement des récompenses effectué, on établit la valeur nette de la masse des acquêts et cette valeur est partagée, par moitié, entre les époux. L'époux titulaire du patrimoine peut payer à son conjoint la part qui lui revient en numéraire ou par dation en paiement. |
481. Once the settlement of compensation has been effected, the net value of the mass of acquests is established and evenly divided between the spouses. The spouse who holds the patrimony may pay the portion due to the other spouse by paying him or her in money or by giving in payment. |
[44] Cette disposition prévoit donc que le partage des acquêts se fait en valeur et non en nature, sauf là où l'un des ex-époux souhaite procéder par dation en paiement, ce qui n'est pas le cas ici. Autrement dit, et comme l'explique le juge LeBel dans Droit de la famille - 3258 (opinion majoritaire)[11] :
Reste le problème de la rédaction de l'ordonnance rendue par la juge Mireault quant à la partie des crédits de rentes comprise dans la société d'acquêts mais non dans le patrimoine familial. L'article 420 C.C.Q. donne au tribunal le pouvoir d'ordonner le partage quant au patrimoine familial. La solution diffère quant à la société d'acquêts. L'article 481 C.C.Q. établit, en effet, le mode de partage de celle-ci. Celui-ci se fait par moitié, l'époux titulaire du patrimoine en question pouvant choisir de payer à son conjoint la part qui lui revient, soit comptant, soit par dation en paiement, le choix lui appartenant dans tous les cas. Le règlement des récompenses effectué, on établit la valeur nette de la masse des acquêts et cette valeur est partagée par moitié entre les époux. L'époux titulaire du patrimoine peut ainsi payer à son conjoint la part qui lui revient en numéraire ou par dation en paiement.
Si l'on s'en tient au Code civil du Québec, il ressort de l'article 481 C.C.Q. qu'on ne procède pas à un partage en nature des biens. On établit plutôt des valeurs et une créance et on pourvoit à son paiement suivant le mode choisi par l'époux titulaire du patrimoine et débiteur de la dette. La Cour supérieure a ainsi émis une ordonnance que n'autorisaient pas expressément les dispositions pertinentes du Code civil du Québec, malgré l'intérêt pratique que présentait cette solution et les difficultés d'exécution du jugement que redoute l'intimée.[12]
[45] Cela seul règle la question. La valeur des actions doit être divisée et, l'intimé ne souhaitant pas procéder à un partage en nature, il ne peut pas y être forcé par le tribunal. Il est donc débiteur envers l'appelante d'une dette égale à la moitié de la valeur des actions, dette payable en argent et dont il ne reste plus qu'à fixer le quantum précis.
[46] Or, sur ce point, il n'y a pas lieu de réformer le jugement de première instance, l'appelante n'ayant montré aucune erreur manifeste et dominante à cet égard. La société en cause a toujours été déficitaire, et ce, assez substantiellement, peu importe que l'on fixe la date du partage (et donc la date d'évaluation des actions) à celle de l'introduction de la demande (principe issu du second alinéa de l'art. 465 C.c.Q.) ou à celle de la cessation de la vie commune (possibilité envisagée par l'art. 466 C.c.Q.) ou même en date du procès, à supposer qu'on puisse envisager cette hypothèse. De ce que l'on peut deviner de la preuve reproduite au dossier d'appel, cette situation n'est pas de nature à changer prochainement. En termes de valeur marchande, les actions ne valent pas grand-chose et c'est ce qu'a constaté le juge, qui a décidé qu'elles ne valaient pas même les 23 cents bien théoriques qu'elles affichent en bourse à la date du procès. Les arguments assez sommaires de l'appelante ne peuvent convaincre du contraire. L'affirmation qu'une proposition d'affaires antérieure à la cessation de la vie commune et antérieure à l'action en divorce a pu avoir un impact sur la valeur des actions ou démontrer ce qu'était cette valeur à l'époque ne peut être retenue, la proposition en question n'ayant pas eu de suite. Il faut aussi considérer que le témoignage de M. A... G..., sur lequel s'appuie le juge, n'est pas reproduit au dossier d'appel. Une intervention, dans ces circonstances, serait pour le moins hasardeuse et n'est de toute façon pas justifiée.
4. Mauvaise foi de l'intimé et application de l'article 471 C.c.Q.
[47] L'article 471 C.c.Q. énonce que :
471. Un époux est privé de sa part dans les acquêts de son conjoint s'il a diverti ou recelé des acquêts, s'il a dilapidé ses acquêts ou s'il les a administrés de mauvaise foi. |
471. A spouse who has misappropriated or concealed acquests, wasted acquests or administered them in bad faith forfeits his or her share of the acquests of the other spouse. |
[48] L'appelante, alléguant la mauvaise foi de son ex-époux, qui aurait tenté de cacher des sommes importantes dans un certain coffret de sûreté, réclame de conserver l'entièreté de ses acquêts : « This would mean that she should not have to share her $110,436 share of the monies held at Notary France Sauvé’s ».[13] Cette somme représente la moitié du fruit de la vente d'un autre immeuble résidentiel propriété et acquêt des parties.
[49] Le jugement ne discute pas expressément de l'article 471 C.c.Q., mais il en ressort que l'option d'un partage égal, conforme au principe usuel, a été préférée. Le jugement ne permet pas d'inférer qu'il y ait eu mauvaise foi de la part de l'intimé ni recel ou tentative de recel (la dilapidation n'étant pas en cause ici). Manifestement, le juge a cru les explications de l'intimé, qu'il relate ainsi au paragraphe [39] du jugement :
[39] Quant au fait qu'une saisie avant jugement pratiquée au nom de la demanderesse a révélé la présence d'une somme d'environ 100 000 $ en argent comptant dans un coffret de sûreté, le défendeur nie avoir voulu cacher cette somme. D'ailleurs, soutient-il, il n'aurait jamais inscrit l'adresse de la résidence familiale s'il avait voulu cacher cette somme à son épouse. Il n'a jamais changé d'adresse auprès de la banque depuis la date de la séparation. Or, il savait pertinemment que la banque pouvait envoyer à cette adresse des informations concernant ce coffret de sûreté.
[50] Le contenu du coffret de sûreté a d'ailleurs, dans l'ensemble, été divisé par le juge, sauf certains éléments ne faisant pas partie des acquêts (voir infra).
[51] À mon avis, la conclusion du juge de première instance, qui est essentiellement de fait et de crédibilité, est justifiée et rien dans les arguments que présente l'appelante ne permet de la réformer.
5. Inclusion dans la société d'acquêts de la créance de l'intimé à l'endroit de son frère
[52] L'appelante soutient que « [t]he trial judge should have ratified Respondent's admission that the $25,000 loaned to his brother was to be shared ».[14]
Q- Dr. K., I have just two (2) questions.
A- Sure.
Q- I understand that what you're asking the Court with regard to the monies which are held in the safety deposit box is that you are prepared to give half of everything that's there, with the exception of the forty-six thousand (46,000), which you said was put in after the separation?
A- Correct, and except the euros.
Q. And except the euros.
A- Right.
Q- But the twenty-five thousand dollars ($25,000) which was paid…
A- Yes, that's fine.
Q- …that's in there?
A- That's fine. [15]
[54] L'intimé accepte donc de partager aussi cette somme, avec le reste de ce qui se trouve dans le coffret (sauf les exceptions mentionnées dans le passage ci-dessus). Or, contrairement à ce que l'appelante semble soutenir, il n'y a pas de contradiction entre le fait de prétendre que la somme a été remboursée et versée dans le coffret et le fait d'accepter de partager cette somme. Il n'y a pas non plus dans cette acceptation la reconnaissance que la créance est toujours impayée (alors que l'intimé affirme justement qu'elle a été remboursée).
[55] Manifestement, et même s'il ne s'en explique guère, le juge n'a pas retenu le point de vue de l'appelante et il a procédé au partage des sommes trouvées dans le coffret de sûreté, sauf les euros que le juge considère appartenir à la mère de l'intimé. Selon le tableau figurant au paragraphe [104] du jugement de première instance, le juge inclut en effet dans les acquêts de l'intimé tous les billets canadiens trouvés dans le coffret (104 400 $, si l'on fait le total des billets dont on trouve l'inventaire à la pièce P-10[16]), qui incluaient la somme provenant du remboursement de la créance de 25 000 $. Par ailleurs, le juge tient compte aussi des 12 356 $ US[17] déposés dans le coffre (ce qui semble toutefois donner lieu à un partage en dollars canadiens, erreur que l'appelante ne soulève pas, ce qui est compréhensible vu le caractère assez minime de la différence dans l'ensemble).
[56] Il semble enfin, signalons-le au passage, que le juge n'a pas déduit de la somme trouvée dans le coffret de sûreté les 46 000 $ que l'intimé prétendait n'être pas un acquêt (voir l'extrait du témoignage de l'intimé reproduit au paragr. [53] supra).
[57] Au total, il n'y a rien à réviser à cet égard et rien dans la preuve soumise par l'appelante qui démontre que le juge aurait commis une erreur justifiant ici l'intervention de la Cour.
6. Dépenses figurant sur la carte de crédit
[58] Au chapitre des dettes faisant partie de la société d'acquêts, le juge inclut dans ses calculs le relevé de compte de la carte de crédit CIBC Aerogold Visa de l'intimé pour la période du 23 août 2004 au 22 septembre 2004[18]. Ce relevé, au montant de 8 857,59 $, comporte un certain nombre d'entrées postérieures au 8 septembre 2004 (date de cessation de la vie commune), totalisant 6 605,88 $.
[59] D'après ce que l'on comprend du jugement, le partage des acquêts s'est fait en date de la cessation de la vie commune, ce que permet l'article 466 C.c.Q. Ni le jugement, ni les mémoires des parties, ni la preuve reproduite au dossier d'appel ne permettent de le conclure avec une certitude absolue, mais c'est l'hypothèse la plus plausible. S'il en avait été autrement, le juge aurait alors tenu compte de l'emprunt contracté par l'appelante en février 2005, avant l'institution de l'action en divorce, ce qu'il n'a pas fait. Les parties ont par ailleurs choisi aux fins du partage du patrimoine familial la date de la cessation de la vie commune. On peut inférer de tout cela qu'elles ont vraisemblablement fait le même choix en ce qui concerne le partage de la société d'acquêts.
[60] Cela étant, le juge n'aurait pas dû tenir compte des entrées de 6 605,88 $ figurant sur le relevé de compte de l'intimé postérieurement au 9 septembre 2004 (incluant un crédit, des intérêts et des frais administratifs). Il y aura lieu de rectifier le jugement de première instance sur ce point, en corrigeant l'entrée figurant dans le tableau du paragraphe [104] du jugement de première instance, en remplaçant le chiffre de 8 857,59 $ (dettes, ligne CIBC Visa) par le chiffre de 2 251,71 $ (soit 8 857,59 - 6 605,88 $).
7. Prestation compensatoire ou somme globale
[61] Assez étonnamment, le juge de première instance ne discute pas des demandes substantielles de l'appelante au chapitre de la prestation compensatoire et de la somme globale (quoiqu'il les mentionne). Il ne les lui accorde pas, cependant, et l'on en conclut qu'il a implicitement donné raison à l'intimé, qui conteste le droit de l'appelante à l'une et l'autre somme.
[62] L'appelante écrit ceci au paragraphe 45 de son mémoire initial :
45. The facts revealed that Appellant will have to pay Respondent approximately $183,806 (a.f., vol. II, p. 598) for his share of the family residence. Despite her share of the partnership of acquests, Appellant testified that were she not to be granted a compensatory allowance or a lump sum amount, she would have to mortgage the home for $181,212 to pay Respondent for his share of the family residence or pay her debts (a.f., vol. II, p. 594), depending on how the matter is viewed. We submit that the trial judge erred when he did not apply any one or a combination of the remedies available to have permitted Appellant to be attributed Respondent's share of the family residence at no cost. In addition to the possibility of having granted an unequal partition of the family patrimony due to Respondent’s bad faith, the trial judge could have applied the principles of compensatory allowance pursuant to the Civil Code or of a lump sum pursuant to the Divorce Act.
[63] Il est intéressant également de considérer les conclusions figurant au mémoire initial de l'appelante. Ces conclusions ne figurent pas, du moins pas en ces termes, dans l'inscription en appel, mais elles sont révélatrices de l'intention de l'appelante :
With regard to the Appellant's request for the unequal division of the family patrimony, compensatory allowance, and or lump sum:
ORDER the unequal division of the family patrimony and allow Appellant to become the sole owner of the family residence without payment to Respondent.
Were this Honourable Court not to order the unequal division of the family patrimony, ORDER Respondent to pay an amount of $200,000 to Appellant or if he prefers ALLOW Respondent to transfer his share of the family residence whether as a compensatory allowance or a lump sum to Appellant.
[64] L'appelante, par sa demande d'une prestation compensatoire ou d'une somme globale, cherche donc à obvier au fait qu'en raison du partage égal du patrimoine familial, elle se trouve, considérant sa volonté de demeurer seule propriétaire de la résidence familiale, à devoir payer à l'intimé la valeur de la part de celui-ci dans cet immeuble.
[65] Il faut dire qu'en pratique, la situation financière dont se plaint l'appelante, qui préférerait ne pas avoir à partager avec l'intimé la valeur de la résidence familiale, découle en partie du fait que, postérieurement à la rupture du mariage, elle s'est fortement endettée, notamment pour payer les honoraires extrajudiciaires de ses avocates successives (honoraires qui s'élèvent à 90 000 $ environ, sans compter les demandes post-audience du juge de première instance et l'appel, selon le paragraphe 28 du mémoire initial). Cet endettement accroît le fardeau que représente pour elle l'obligation de payer à l'intimé la moitié de la valeur de la résidence familiale, dont elle désire rester l'unique propriétaire, ce qui lui fut accordé par le juge de première instance.
[66] L'appelante soutient que ses dettes postséparation sont largement dues à l'insuffisance du soutien alimentaire qu'elle a reçu pendant l'instance en divorce, conformément à l'entente qu'elle a conclue à ce sujet avec l'intimé, le 16 juin 2005, ce qui justifierait sa réclamation au chapitre de la prestation compensatoire ou de la somme globale.
[67] Or, la prestation compensatoire, régie par l'article 427 C.c.Q., et la somme globale permise par la Loi sur le divorce n'ont pas pour objectif de remédier aux « inconvénients » résultant du partage égal du patrimoine familial.
[68] La prestation compensatoire n'a pas de caractère alimentaire et vise à « pallier les injustices engendrées à l'occasion de la réalisation d'un régime matrimonial librement choisi, en permettant la compensation d'un époux ayant enrichi le patrimoine de son conjoint par son apport en biens ou en services »[19] et s'étant appauvri en conséquence[20], ce qui n'est pas le cas ici. En outre, comme notre cour l'a déjà écrit, le droit à la prestation compensatoire s'apprécie à la date de la séparation des parties. Voir B.M. c. A.D.[21] :
[2] Les parties sont séparées et sont en instance de divorce depuis avril 2001. En application des règles dégagées par la Cour suprême du Canada dans M. (M.E.) c. L.(P.) [note infrapaginale omise], l'évaluation du droit à la prestation compensatoire s'effectue à l'époque contemporaine à la séparation des parties puisque l'appelante ne peut prétendre avoir contribué à l'enrichissement de l'intimé subséquemment à cette période. En conséquence, aucun fait particulier de l'espèce ne permet de conclure à la pertinence des états financiers subséquents à la séparation.[22]
[69] L'insuffisance de la pension alimentaire pendant l'instance (s'il en est) n'a donc pas à être réglée par l'octroi d'une prestation compensatoire, mais plutôt par celui d'une pension adéquate (sur laquelle je reviendrai). Quant aux dettes postérieures à la date à laquelle doit être évalué le droit à la prestation compensatoire, dettes qui résulteraient du reste de l'insuffisance de la pension alimentaire, elles ne sauraient en justifier l'octroi.
[70] L'appelante fait aussi valoir qu'à défaut de procéder à la déduction dont il a été question aux paragraphes [36] et [38] supra, déduction prétendument fondée sur l'article 418 C.c.Q., la Cour devrait considérer, aux fins de l'octroi d'une prestation compensatoire, la générosité de la belle-famille de l'intimé, qui lui a permis de vivre à coût modique dans ce qui est devenu la résidence familiale[23]. Cet argument ne saurait être retenu. À supposer en effet que le père de l'appelante ainsi que sa sœur et le mari de celle-ci se soient montrés généreux envers les parties, cela ne saurait constituer la base d'une prestation compensatoire au sens de l'article 427 C.c.Q.
[71] En somme, compte tenu du partage du patrimoine et de la société d'acquêts[24], l'appelante ne fait pas voir ici ce qui justifierait, selon les règles applicables, l'octroi d'une prestation compensatoire.
[72] L'appelante n'établit pas non plus qu'elle aurait droit à une somme globale au sens de la Loi sur le divorce, somme qu'elle réclame ici essentiellement pour contourner les effets du partage du patrimoine familial, et particulièrement de la résidence familiale. La somme globale a une vocation alimentaire[25] et, compte tenu de la façon dont je suggère que la Cour statue sur la question de la pension, la demande de l'appelante à cet égard doit être rejetée.
8. Provision pour frais
[73] La clause 8.3 de l'entente que les parties ont conclue au stade intérimaire stipule que[26] :
8.3 The DEFENDANT shall pay unto PLAINTIFF's Attorney a Provision for Costs in the sum of $10,000.00 payable on the 27th of June 2005, the said Provision for Costs re: its imputation will be determined by the Judge on either provisional measures or the merits of the case under reserve of DEFENDANT's right to request its imputation out of the PLAINTIFF’S share of the Partnership of Acquests;
[Soulignements ajoutés.]
[74] Le juge a choisi d'imputer la provision au partage des acquêts, à la demande de l'intimé :
[107] Un crédit de 10 000 $ est accordé au défendeur concernant le paiement de la provision pour frais, selon l'entente intervenue le 16 juin 2005.
[75] Ce crédit sera déduit par le juge de la somme que l'intimé doit payer à l'appelante pour le partage de la société d'acquêts, ainsi que l'explique la note infrapaginale 18 du jugement, accompagnant le paragraphe [119] du dispositif.
[76] L'appelante n'établit pas qu'il y a lieu d'intervenir et de réformer cette détermination du juge.
9. Pension alimentaire pour l'appelante
a. Remarques préliminaires
[77] Le droit de l'appelante à une pension alimentaire et l'obligation de l'intimé de lui verser une telle pension ne sont pas en litige. Seul l'est le quantum de cette pension, que le juge a fixé, comme on l'a vu précédemment, à 4 750 $ par mois, et ce, rétroactivement à la date d'introduction de l'action en divorce[27].
[78] S'appuyant principalement sur les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux, l'appelante soutient que cette pension est insuffisante, qu'elle l'oblige à s'endetter et qu'elle ne lui permet par ailleurs pas de maintenir, dans des limites raisonnables, le niveau de vie qu'elle avait antérieurement à la rupture de ce qui fut, à tous égards, un mariage traditionnel. Elle réclame en conséquence, comme en première instance[28], une pension mensuelle de 8 500 $.
[79] Le montant ainsi réclamé se trouverait à peu près au milieu de la fourchette résultant de l'application des Lignes directrices facultatives, sur la base d'un calcul reposant sur des revenus annuels de 350 000 $ dans le cas de l'intimé et de 45 150 $ dans le cas de l'appelante. Il importe de souligner ici, en ce qui concerne les revenus de l'intimé, le passage suivant du mémoire supplémentaire de l'appelante :
50. To illustrate the application of the two formulas in the present matter, we are including two new Aliform schedules. They both use an income of $350,000 for the Respondent even though his income is in fact higher. The SSAG are meant to be used on annual incomes up to $350,000 after which the Court is to use its discretion as to quantum. Since the point of this additional factum is to expose and discuss the SSAG, we are restraining our arguments on spousal support to the application of the guidelines and accept that the Court applies the guidelines as if Respondent's income was $350,000. […]
[Soulignements ajoutés.]
[80] Dans la mesure où le quantum de la pension serait fixé en fonction des Lignes directrices facultatives, l'appelante accepte donc que les revenus de l'intimé soient évalués à 350 000 $ et le calcul fait en conséquence. Par contre, si les Lignes directrices facultatives ne devaient pas être considérées, l'appelante souhaiterait alors que le calcul de la pension se fasse en fonction des revenus véritables de l'intimé. Quels sont ces revenus?
[81] En première instance, une partie du débat a porté sur cette question. Le juge a conclu que les revenus annuels de l'intimé totalisaient 363 000 $. En appel, dans son mémoire initial, l'appelante réitère que ces revenus avoisinent plutôt les 400 000 $[29].
[82] Or, rien ne permet de conclure que le juge aurait erré de quelque façon en arrêtant les revenus annuels de l'intimé à 363 000 $. Il ne ressort en effet pas de la preuve que l'intimé aurait caché des revenus ou fait délibérément en sorte de les réduire depuis la séparation, et ce, en vue d'esquiver son obligation alimentaire. C'est d'ailleurs ce que constate le juge au paragraphe [70] de son jugement[30], paragraphe qui se termine par la phrase suivante : « Il y a beaucoup de sous-entendus à ce sujet [celui des revenus de l'intimé] de la part de la demanderesse mais aucune preuve tangible ». Cette observation, au regard du dossier d'appel tel que constitué, est (malheureusement) pleinement justifiée.
[83] Bref, selon qu'on tienne compte ou non des Lignes directrices facultatives, on retiendra, au chapitre des revenus annuels de l'intimé, un montant de 350 000 $ ou de 363 000 $.
[84] Cette mise au point étant faite, il faut maintenant revenir à l'enjeu principal de l'appel, c'est-à-dire la question de l'utilisation des Lignes directrices facultatives aux fins de la fixation de la pension alimentaire due à l'appelante.
b. Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux
[85] Le juge de première instance ne s'est pas penché sur la question de l'application de ces lignes directrices. Celles-ci ont été invoquées par l'avocate de l'appelante lors des plaidoiries et dont la version de janvier 2005 (seule disponible au moment du procès, en mai 2008) lui a apparemment été remise, avec un formulaire de calcul[31]. À l'évidence, ces lignes directrices n'ont pas été considérées dans le processus de fixation de la pension[32] et si elles l'ont été, elles ont manifestement été écartées. L'appelante soutient qu'il s'agit là d'une erreur qui devrait entraîner la réformation du jugement.
* *
[86] Rappelons d'abord ce que sont les Lignes directrices facultatives[33]. Oeuvre des professeurs et spécialistes du droit de la famille Carol Rogerson et Rollie Thompson, respectivement de la Faculté de droit de l'Université de Toronto et de Dalhousie Law School, elles ont été proposées, d'abord sous forme d'ébauche[34], en 2005, puis en version définitive, en juillet 2008[35], afin de mettre, sinon de l'ordre, du moins un peu plus d'harmonie dans la fixation du quantum des pensions alimentaires destinées à l'ex-épouse ou à l'ex-époux, dont l'octroi, largement discrétionnaire, produit des résultats disparates. Il suffit de jeter un coup d'œil à la jurisprudence pour s'en convaincre : les objectifs multiples et parfois contradictoires énoncés par l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, les théories diverses issues des enseignements de la Cour suprême ainsi que l'infinie variété des situations de chaque couple, le tout jumelé à l'appréciation du juge, font en sorte qu'il n'est guère de science, et peut-être même pas beaucoup d'art, dans l'exercice laborieux de fixation du montant des pensions alimentaires pour ex-époux. C'est ainsi que Johanne April, dans un article au titre tout aussi provocant que révélateur (« Pension alimentaire pour époux : quel est ton signe? »), fait ressortir, au terme d'un examen de la jurisprudence, les écarts importants qui existent, à conditions à peu près égales, entre les pensions accordées aux uns et aux autres[36].
[87] Cette disparité est souvent expliquée et même justifiée par l'aspect éminemment personnel et subjectif de la situation de chaque couple. Dans Miglin c. Miglin[37], les juges Bastarache et Arbour écrivent ainsi que :
56 […] Nous remarquons de plus que l’adoption par le législateur d’objectifs larges et parfois concurrents en matière d’aliments entre époux fait contraste avec l’adoption de lignes directrices uniformes sur les pensions alimentaires aux enfants. Le pouvoir discrétionnaire conféré aux juges de première instance quant aux aliments entre époux contraste aussi avec le régime supplétif détaillé en matière d’égalisation des biens matrimoniaux prévu, par exemple, à l’art. 5 de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, et avec le régime impératif du patrimoine familial énoncé aux art. 414 et suiv. du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64. Ce qui est « juste » ne dépend donc pas seulement de la situation objective des parties, mais également de leur idée d’elles-mêmes, de leur mariage et de sa dissolution, de même que de leurs attentes et aspirations pour l’avenir.
[…]
65 Tout d’abord, nous souscrivons au raisonnement de la Cour dans l’arrêt Moge, précité, où la juge L’Heureux-Dubé statue que les objectifs de la Loi sur le divorce en matière d’aliments entre époux visent à assurer un partage équitable des conséquences économiques résultant du mariage et de son échec. En obligeant expressément le tribunal à prendre en considération les objectifs énumérés au par. 15.2(6), la Loi de 1985 s’écarte considérablement de la méthode exclusive des « ressources et besoins » préconisée par l’ancienne loi. Nous constatons toutefois que la prise en compte des avantages ou des inconvénients économiques du mariage ou de son échec pour les époux peut être en contradiction avec la promotion, même dans la mesure du possible seulement, de l’indépendance économique de chacun d’eux (al. 15.2(6)a) et d)). Pour concilier ces objectifs concurrents, il faut reconnaître que le sens de l’expression « partage équitable » n’est pas déterminé dans la Loi et qu’il varie plutôt en fonction des faits propres à chaque mariage. Conscient des nombreuses manières dont les parties structurent leur mariage et plus particulièrement ses aspects économiques, le législateur a rédigé la loi en termes assez larges, de sorte qu’il n’est pas possible d’affirmer que les dispositions relatives aux aliments entre époux ont un contenu fixe étroit. Par contraste avec l’ancienne loi, ces objectifs obligent expressément le tribunal à prendre en considération divers critères sur lesquels repose le droit aux aliments, tout en maintenant l’objectif de promouvoir la capacité des parties à refaire leur vie.
[Soulignements ajoutés.]
[88] Chaque mariage et chaque rupture constituent donc un tout singulier, qui doit être examiné en fonction de ses caractéristiques propres, ce qui signifie nécessairement un vaste pouvoir d'appréciation discrétionnaire de la part du juge chargé d'établir le quantum et la durée de la pension. Est-il possible dès lors de mettre au point une méthode qui, tout en respectant cette réalité fortement individuelle, faciliterait le processus, éviterait les écueils d'une trop grande subjectivité et assurerait une certaine harmonisation, voire même une certaine parité, dans l'exercice de détermination judiciaire de la pension?
[89] C'est à ce problème que les professeurs Rogerson et Thompson ont voulu s'attaquer en confectionnant un outil qui, tout en respectant les règles de droit applicables (règles législatives autant que jurisprudentielles) et en faisant place aux divers éléments factuels pertinents, procurerait une mesure de cohérence et de prévisibilité dans le calcul du quantum des pensions alimentaires destinées aux ex-époux et ex-épouses, sans toutefois sacrifier les nuances d'un processus qui comporte nécessairement une bonne dose d'appréciation discrétionnaire. Le résultat de leurs travaux est indéniablement intéressant, proposant une méthode qui permet d'évaluer, à l'intérieur d'une certaine fourchette, le montant et la durée de la pension alimentaire destinée à l'ex-époux ou à l'ex-épouse, et ce, au stade de la détermination initiale[38]. Il s'agit en quelque sorte de mathématiser l'exercice prévu par l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, et ce, au moyen de paramètres reflétant les différents facteurs et objectifs prévus par les paragraphes 4 et 6 de cette disposition, tels qu'interprétés par la jurisprudence. La formule suggérée diffère selon que des enfants sont issus ou non du mariage et sont encore à charge ou non (voir infra, paragr. [92]).
[90] Il faut préciser que les Lignes directrices facultatives ne sont pas destinées à déterminer le droit d'un ex-époux ou d'une ex-épouse à des aliments. Ce n'est qu'une fois ce droit établi (s'il l'est) qu'elles entrent en jeu, afin de faciliter le calcul du quantum de la pension[39] et, au besoin, sa durée. Comme le précisent les auteurs :
Une simple disparité de revenu, qui pourrait aboutir à un montant de pension alimentaire d’après les Lignes directrices facultatives, ne donne pas automatiquement droit aux aliments. Il faut conclure (ou convenir) que ce droit existe, qu’il soit compensatoire, non compensatoire ou contractuel, avant d’appliquer les formules et les Lignes directrices.[40]
[91] Au chapitre du calcul du montant de la pension, les Lignes directrices reposent sur le concept central du partage des revenus[41], principe qui permettrait de tenir compte à la fois de l'aspect compensatoire et non compensatoire (besoins) de la pension alimentaire pour ex-époux ou ex-épouse[42]. Cette idée du partage des revenus vise entre autres choses à assurer à l'ex-époux ou ex-épouse, dans la mesure du possible, un style de vie post-rupture qui soit comparable à ce qu'il était pendant le mariage (principe avalisé par la Cour suprême dans Boston c. Boston[43], notamment), reflétant ainsi la dimension compensatoire de la pension, tout en tenant compte des besoins et des ressources des ex-époux.
La formule sans pension alimentaire pour enfant s’applique dans les cas où il n’y a pas d’enfant à charge. Pour déterminer le montant et la durée de la pension alimentaire, cette formule se fonde surtout sur la durée du mariage (ou plus précisément sur la durée de la relation, y compris les périodes de cohabitation avant le mariage). Le montant et la durée de la pension alimentaire augmentent en fonction de la durée de la relation. Cette formule est construite à partir de la notion de fusion au fil des années, utile pour réaliser les objectifs compensatoires et non compensatoires de la pension alimentaire quand il n’y a pas d’enfant à charge, reflétant ainsi les grandes tendances du droit actuel.
Selon la formule de base sans pension alimentaire pour enfant :
● le montant de la pension alimentaire pour époux est de 1,5 % à 2 % de l’écart entre les revenus bruts des époux, par année de mariage, jusqu’à concurrence d’une fourchette maximale de 37,5 % à 50 % de l’écart des revenus bruts pour les mariages de 25 ans et plus (la partie supérieure de cette fourchette maximale correspond à l’égalisation des revenus nets des époux — c’est ce qu’on appelle le « plafond du revenu net ».)
● la durée est de 0,5 à 1 année de pension alimentaire par année de mariage; la pension alimentaire devient illimitée (durée non précisée) si le mariage a duré 20 ans ou plus ou si l’âge du bénéficiaire au moment de la séparation et le nombre d’années de mariage font 65 ou plus (c’est ce qu’on appelle la « règle des 65 »).
[…]
La formule avec pension alimentaire pour enfant s’applique dans les cas où il y a des enfants à charge. Le traitement différent des mariages où il y a des enfants à charge ainsi que des obligations alimentaires concomitantes à leur égard se justifie par des considérations théoriques et pratiques et trouve un écho dans la jurisprudence actuelle.
Du point de vue théorique, le mariage comprenant des enfants à charge donne lieu à d’importantes demandes de compensation fondées sur les inconvénients économiques découlant de la responsabilité première du soin des enfants, non seulement pendant le mariage, mais aussi après la séparation. Nous avons cerné cet aspect du principe de compensation comme étant le principe du partenariat parental, car il s’applique lorsqu’il y a des enfants à charge. Cette notion nous a inspirés pour structurer la formule avec pension alimentaire pour enfant. Pour les mariages où il y a des enfants à charge, la durée du mariage n’a pas, comme facteur de fixation de la pension alimentaire, la même importance que la responsabilité du soin des enfants après la séparation.
Du point de vue pratique, la pension alimentaire pour enfant se calcule en premier, en priorité par rapport à la pension alimentaire pour époux. En outre, il faut prendre en compte le traitement fiscal préférentiel des pensions alimentaires pour enfant et pour époux, ce qui complique les calculs. La formule avec pension alimentaire pour enfant doit donc fonctionner avec des calculs informatisés de revenus nets disponibles.
Selon la formule de base avec pension alimentaire pour enfant :
● La pension alimentaire pour époux est un montant qui permet à l’époux bénéficiaire de disposer de 40 % à 46 % du revenu net des époux, après déduction de la pension alimentaire pour enfant (pour désigner le revenu net des époux après déduction de la pension alimentaire pour enfant, nous utilisons l’expression « revenu individuel net disponible » ou « RIND »).
● La durée selon cette formule est plus complexe et plus souple qu’avec la formule sans pension alimentaire pour enfant; les ordonnances sont initialement illimitées (durée non précisée), mais la formule établit également des fourchettes de durée qui visent à structurer la révision et la modification des ordonnances et qui limitent la durée cumulative des montants calculés. Ces limites de durée sont fondées sur la durée du mariage et sur l’âge des enfants.
La formule avec pension alimentaire pour enfant est, en réalité, un regroupement de formules qui tient compte de divers types d’arrangements en matière de garde. Dans des situations de garde partagée et de garde exclusive exercée par chacun des époux, il faut modifier légèrement le calcul du revenu individuel net disponible, car il est un peu plus difficile de déduire les obligations alimentaires pour enfant. Il y a aussi une formule différente, une formule hybride, dans les cas où la pension alimentaire pour époux est versée par le parent qui a la garde. […][44]
[93] Les fourchettes (quantum et durée) calculées en vertu de ces deux formules, qui reposent elles-mêmes sur plusieurs paramètres (dont les revenus des ex-époux[45]), peuvent par ailleurs être pondérées en fonction de divers facteurs marquant des possibilités d'écart (que les auteurs qualifient d’« exceptions ») : situation financière difficile pendant la période d'attribution provisoire de la pension, remboursement des dettes, obligations alimentaires antérieures, maladie et invalidité, exception compensatoire dans le cas de mariages de courte durée sans enfant, besoins spéciaux d'un enfant, etc. Le chapitre 12 des Lignes directrices facultatives est consacré à ces exceptions. Les fourchettes peuvent également être pondérées en fonction du critère de l'indépendance économique, qui est expressément prévu par l'article 15.2, paragr. 6, al. d) de la Loi sur le divorce[46]. Enfin, notons que la situation du Québec fait l'objet du chapitre 15 des lignes directrices : les particularités propres au droit québécois en matière d'obligation alimentaire entre époux[47] et de pension pour enfant sont prises en considération, ainsi que le calcul des revenus, vu, notamment, les régimes de prestations établis dans la province.
[94] L'établissement de fourchettes, pondérées ou non, permet par ailleurs de tenir compte, du moins dans une certaine mesure, de facteurs tels les différences régionales dans les revenus et les coûts de la vie[48].
[95] Ces lignes directrices n'ont pas pour objectif d'exclure le processus d'analyse individualisé qu'exige l'article 15.2 de la Loi sur le divorce ou de s'y substituer : le pouvoir discrétionnaire du juge demeure. Ce pouvoir s'exerce, d'une part, au chapitre de la détermination du droit à une pension et il s'exerce aussi, d'autre part, quand vient le moment de fixer le quantum et la durée de la pension en considération des fourchettes produites par les formules, selon le cas, ou de pondérer ces résultats. Simplement, les Lignes directrices facultatives cherchent à encadrer le processus de détermination de la pension, de manière à en minimiser les effets d'imprévisibilité et d'arbitraire.
[96] Un examen attentif de ces Lignes directrices facultatives montre qu'il s'agit d'un ouvrage soigné et convaincant, qui n'a rien de la recette que l'on applique machinalement. L'instrument est solide, fondé sur un examen exhaustif de la jurisprudence en la matière, créatif. Il offre, sans être trop réducteur, une manière de combiner les facteurs et objectifs de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, et ce, d'une manière que l'on n'aurait peut-être pas cru possible au départ.
[97] Ce n'est pas dire, cependant, que ces Lignes directrices facultatives ne prêtent pas flanc à la critique. Les auteurs eux-mêmes rappellent certaines d'entre elles et tentent d'y répondre[49], notamment quant au problème de l'« utilisation simpliste » de leurs lignes directrices[50], qui réduirait celles-ci à l'application mécanique des seules formules qu'elles proposent, sans autre analyse. On comprend qu'ils n'encouragent pas une telle utilisation.
[98] On peut par ailleurs entretenir, sinon des réserves, du moins des interrogations sur certains des choix faits par les auteurs des Lignes directrices facultatives. Sans faire ici une analyse complète de la question, on notera par exemple que l'idée du partage des revenus, qui paraît résulter d'une vision très traditionnelle du mariage, semble, par moments[51], se transformer en un principe d'égalisation des revenus, ce qui est contestable[52].
[99] De même, les lignes directrices paraissent parfois accorder, dans le cas des mariages sans enfant, une importance indue à la durée de la cohabitation, qui n'est que l'un des facteurs et objectifs de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce. C'est là d'ailleurs une critique qu'on retrouve sous la plume de la juge Carole Julien dans D.S. c. M. Sc.[53]. Les auteurs des Lignes directrices facultatives y répondent en recourant au concept de « fusion au fil des années », expression choisie pour « rendre l'idée selon laquelle à mesure qu'un mariage dure, les époux fusionnent plus en profondeur leur vie économique et non économique, chaque époux prenant d'innombrables décisions pour adapter ses aptitudes personnelles, son comportement et ses moyens financiers à ceux de l'autre époux »[54]. Selon les auteurs, cette idée de fusion au fil des années serait conforme à l'arrêt Moge[55], qui parle du mariage comme d'une « entreprise commune ».
[100] La représentation du mariage comme « association socio-économique » (terme qu'emploie la juge McLachlin — elle n'était pas encore juge en chef — dans Bracklow[56] et les juges LeBel et Deschamps dans Miglin[57]) ressort assez nettement de l'article 15.2, paragr. 6, de la Loi sur le divorce. L'on peut raisonnablement penser en effet que plus le mariage dure, plus l'association est étroite et sa dissolution problématique. Que la durée du mariage soit le facteur dominant de la formule sans pension alimentaire pour enfant n'est donc pas aussi simpliste qu'il peut y paraître, puisque cette variable permet d'intégrer implicitement la plupart des facteurs pertinents, dans le cadre des objectifs prévus par les sous-paragraphes 6a), c) et même d) de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce.
[101] Le postulat de la fusion au fil des années, cependant, ne se vérifie pas dans tous les cas d'union sans enfant, pas plus que ne se vérifie, surtout dans le cas de mariages brefs ou non traditionnels, le postulat voulant que l'écart des revenus entre ex-époux soit le fruit du seul mariage et de sa rupture ou que le niveau de vie postrupture doive être maintenu sans autre considération. L'association socio-économique existe à des degrés variables, elle n'est pas nécessairement source de dépendance pour l'un des ex-époux, et, s'il y a dépendance, elle sera, aujourd'hui plus souvent qu'autrefois, mutuelle. D'un autre côté, cette question, vraisemblablement, devrait se régler d'abord au stade de la détermination du droit à une pension alimentaire : s'il n'y a pas de dépendance, s'il n'y a pas de besoin au regard des différents facteurs pertinents, la seule disparité des revenus ne suffira pas à fonder le droit à une pension. Mais à partir du moment où le tribunal statue que l'un des époux a droit à une pension alimentaire, les paramètres de la formule sans pension alimentaire pour enfant ne paraissent pas inadéquats, sans compter qu'ils n'excluent pas la possibilité de fixer un terme à la pension.
[102] Le concept de partenariat parental, qui domine l'établissement de la pension alimentaire pour l'ex-époux ou ex-épouse, lorsqu'il y a un ou des enfants à charge, est particulièrement intéressant et approprié, mais suscite également la réflexion, notamment parce qu'il semble exclure l'analyse besoins/ressources des époux lorsqu'il y a des enfants à charge. Or, l'article 15.2, paragr. 4, de la Loi sur le divorce en commande l'examen même lorsqu'il y a des enfants (même si le poids de ce facteur peut différer de celui qu'on lui accorde en l'absence d'enfant).
[103] On peut donc retenir pour l'essentiel que les Lignes directrices facultatives ne sont pas parfaites (leurs auteurs n'ont du reste pas cette prétention) et que, sur certains points, elles sont assurément de nature à soulever sinon la controverse, du moins la discussion. Elles offrent néanmoins plus qu'une simple mécanique : elles sont nuancées, tiennent compte des différences qui existent entre les situations des uns et des autres, n'ignorent pas le pouvoir discrétionnaire du juge et ont l'avantage de permettre une certaine prévisibilité et une certaine uniformité dans la détermination du montant des pensions. Elles facilitent aussi, le cas échéant, la quantification de la fonction compensatoire de la pension, dont la « mise en chiffres » n'est pas aisée. Dans l'ensemble, elles visent à favoriser une mesure d'égalité dans le traitement des justiciables tout en respectant le caractère particulier de la situation de chacun, mariant ainsi parité et individualisation.
[104] Les lignes directrices en matière de pension alimentaire pour enfants, sans être une panacée, ont fait leur preuve[58]. Des lignes directrices en matière de pensions alimentaires pour ex-époux, qui ne sont pas non plus une panacée, présentent le même genre d'avantages. Les premières, bien sûr, sont obligatoires et les secondes ne le sont pas. Cela n'empêche pas que, toutes facultatives qu'elles soient, les Lignes directrices facultatives constituent un outil de travail bien fait, commode et pratique. Les tribunaux de plusieurs provinces en sont d'ailleurs venus à cette conclusion, et même les moins enthousiastes reconnaissent leur utilité. La doctrine, dans l'ensemble, y paraît assez favorable[59]. Ainsi que l'écrit le professeur Goubau, elles « ne remplacent ni la loi ni l'autorité des tribunaux, mais elles pourraient bien faciliter l'application de la première et l'exercice de la seconde »[60].
[105] Quelle doit être, au sein de l'ordre juridique, la place d'un tel outil?
[106] Les auteurs Payne et Payne écrivent que :
By way of an overview of the case law, the following opinions are tendered:
(i) Absent statutory or regulatory adoption, the Guidelines are informal and advisory. Blind adherence to the ranges established by the formulas under the Guidelines is not endorsed by the authors of the report, nor by the courts. In the opinion of the majority of courts that have considered the Guidelines, the prescribed formulas provide a useful supplementary tool to assist the court in determining the amount and duration of spousal support orders after the evidence has been reviewed in light of the statutory and judicial criteria governing such orders which are elucidated in Moge v. Moge [renvoi omis] and Bracklow v. Bracklow. [renvoi omis]
(ii) Even if the formulas in the Guidelines can be used as a starting point, as proposed by Professors Rogerson and Thompson [renvoi omis] and endorsed by Sullivan J. in McCulloch v. Bawtinheimer, [renvoi omis] and by Heeney J. in Hesketh v. Hesketh, [renvoi omis] but opposed by Trussler J. in V.S. v. A.K., [renvoi omis] they are no substitute for a factual analysis of evidence and a legal analysis of the factors and objectives that are prescribed as relevant by the governing statute and relevant case law. [renvoi omis]
(iii) On the breakdown or dissolution of long-term marriages in which the wife has assumed the primary homemaking and child caregiving roles, income splitting under the Spousal Support Advisory Guidelines substantially accords with Moge v. Moge, wherein L’Heureux-Dubé J. observed that “[a]s marriage should be regarded as a joint endeavour, the longer the relationship endures, the closer the economic union, the greater will be the presumptive claim to equal standards of living upon its dissolution.” [renvoi omis]
(iv) Although Professors Rogerson and Thompson perceive an interdependence between the amount and duration of spousal support orders, especially under the Without Child Support Formula, [renvoi omis] courts use the Guidelines more frequently when addressing the amount of support to be ordered than in addressing the duration of the order.
(v) The Guidelines are inapplicable until an entitlement to spousal support is established. [renvoi omis] In exceptional circumstances, the Guidelines may operate to negate any entitlement to spousal support. [renvoi omis]
(vi) Given the informal, voluntary, and advisory status of the Guidelines, courts are disinclined to apply the proposed formulas as the sole or primary determinant of the amount and duration of spousal support orders. Courts have, nevertheless, accepted the Guidelines as providing an appropriate benchmark for the judicial determination of spousal support orders, whether made pursuant to the Divorce Act or provincial legislation. [renvoi omis]
(vii) Since computer software on the Spousal Support Advisory Guidelines has become available, their application as benchmarks or crosschecks has been more frequent. Lawyers and judges are cautioned against attempting to apply the prescribed With Child Support Formula under the Spousal Support Advisory Guidelines without recourse to available computer software.
(viii) Although they have not gained universal acceptance as a “crosscheck,” “benchmark,” “litmus test,” or starting point in the judicial assessment of the amount and duration of spousal support orders, many judges now appear to have established a comfort level with the formulas and principles presented by Professors Rogerson and Thompson. It is becoming increasingly frequent for courts to look beyond the prescribed formula by examining the underlying principles set out in the Rogerson/Thompson report.
(ix) Some previous judicial reservations about applying the Spousal Support Advisory Guidelines because they are a “work in progress” have been laid to rest since the Department of Justice, Canada released a final version of the Rogerson/Thompson report in 2008. However, that version introduces no major substantive changes. The differing responses of Canadian appellate courts to the Spousal Support Advisory Guidelines will, therefore, continue until such time as the Supreme Court of Canada addresses the issue.[61]
[107] C'est donc d'une place restreinte qu'il est question, du moins sur le plan juridique.
[108] Il n'est pas nécessaire, en effet, d'insister sur le caractère facultatif des lignes directrices élaborées par les professeurs Rogerson et Thompson, qui le reconnaissent du reste, et ce, à plusieurs reprises, en termes on ne peut plus clairs[62].
[109] Comme le remarquait notre cour dans G.V. c. C.G.[63], les lignes directrices, et plus précisément les formules qu'elles proposent, ne sont pas une recette dispensant le juge de procéder à l'analyse individualisée que dicte l'article 15.2 de la Loi sur le divorce[64]. Ces lignes directrices demeurent un instrument d'appoint, qui ne remplace — ni ne peut remplacer, puisqu'il n'est pas loi — cette analyse.
[110] Non seulement ces lignes directrices ne sont pas loi, mais elles n'ont pas non plus, il va sans dire, le poids d'une preuve d'expert, même si elles sont le fruit du travail d'experts en la matière, travail fondé sur une vaste étude empirique de la jurisprudence, étude menée sur plusieurs années. Elles sont cependant assimilables à cette source non formelle du droit qu'est la doctrine : elles peuvent inspirer, on peut s'y rallier, elles peuvent permettre de vérifier ou de soutenir une conclusion, mais elles ne sont pas, en elles-mêmes, déterminantes. Le juge peut les consulter comme il consulterait des ouvrages ou encore des jugements antérieurs, qui, sans le lier, le renseignent sur les pratiques ou les fourchettes retenues dans des cas semblables.
[111] En somme, ces lignes directrices sont un instrument d'appoint, qui procure aux juges (et aux parties) un instrument leur permettant d'accomplir plus aisément la lourde tâche qui leur incombe en matière de fixation du quantum de la pension alimentaire due à l'ex-époux ou à l'ex-épouse (étant entendu — et il n'est pas inutile de le répéter — que la question du droit à une pension alimentaire n'est pas visée par les lignes directrices et doit en principe être réglée avant de recourir à celles-ci). Autrement dit, ces Lignes directrices peuvent aider les juges (et les parties) à mettre en chiffres les grands principes de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce et les enseignements de la Cour suprême à ce sujet.
[112] Dans G.V. c. C.G.[65], arrêt dans lequel certains ont lu que tout usage des Lignes directrices facultatives devait être prohibé, la Cour se prononçant sur l'ébauche des lignes directrices facultatives (version janvier 2005), écrivait ce qui suit sous la plume du juge Forget :
[107] Je l'ai déjà mentionné, la juge de première instance prend appui sur le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire W. c. W. [note infrapaginale omise]. La juge Martinson écrit :
[25] In my view the Advisory Guidelines formulas are consistent with the law in British Colombia as I have described it. As I have explained, the idea of rough equivalency of standards of living is a part of British Colombia law and is supported by the Supreme Court of Canada jurisprudence.
[…]
[27] The Advisory Guidelines are advisory only and are guidelines in the true sense of that word. There is no intention to legislate them. I agree with the authors, Professors Rogerson and Thompson, that they provide one useful tool to lawyers, to people who need a resolution to spousal support issues, and to decision makers. In the decision making context they need not be proven but can be used as part of the legal argument.
[28] I also agree with other judges who have said that the Advisory Guidelines are an important step towards rationalizing and bringing some uniformity to the computation of spousal support. See Simmonds v. Simmonds 2005 NLUFC 10 (CanLII), 2005 NLUFC 10 and Friess v. Friess, 2005 SKQB 248 (CanLII), 2005 SKQB 248.
[29] The Advisory Guidelines can provide a crosscheck against the assessment made under existing law. See Carr v. Carr, [2005] A.J. No. 391 (Alta Q.B.); Kerr v. Kerr, [2005] O.J. 1966 (Ont. Sup. Crt. Of Justice) (QL); Modry v. Modry, [2005] A.J. No 442 (Alta Q.B.) (QL); and Anderson v. Anderson, 2005 NSSC 94 (CanLII), 2005 NSSC 94.
[108] Dans Yemchuk c. Yemchuk [note infrapaginale omise], également citée par la juge de première instance, la juge Prowse de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique semble partager ce point de vue :
[64] It should also be stressed that the Advisory Guidelines are intended to reflect the current law, rather than to change it. They were drafted by the authors after extensive analyses of the authorities regarding spousal support across the country, particularly the Moge and Bracklow decisions and those following thereafter. As recently as July 2005, in the recent decision of W. v. W., 2005 BCSC 1010 (CanLII), 2005 BCSC 1010, [2005] B.C.J. No. 1481 (QL), Madam Justice Martinson reviewed numerous decisions in British Columbia following Moge and Bracklow and stated 9 (at para. 25) that in her view, the Advisory Guidelines were in accordance with those authorities. While decisions can undoubtedly be found in which the result would not accord with the Advisory Guidelines, I am satisfied that their intention and general effect is to build upon the law as it exists, rather than to present an entirely new approach to the issue of spousal support. For that reason, like Madame Justice Martinson and many other judges, I have no hesitation in viewing the Advisory Guidelines as a useful tool to assist judges in assessing the quantum and duration of spousal support. They do not operate to displace the courts' reliance on decided authorities (to the extent that relevant authorities are forthcoming) but to supplement them. In that regard, they do not constitute evidence, but are properly considered as part of counsels' submissions.
[65] The Advisory Guidelines set out two basic formulas for the determination of spousal support: the "without child support formula" and the "with child support formula". Since Mr. And Ms. Yemchuk have no dependent children, the "without child support formula" is the relevant formula in this case. […]
[109] La Cour d'appel de Colombie-Britannique est revenue sur cette question dans deux affaires subséquentes Tedham c. Tedham [note infrapaginale omise] et Kopelow c. Warkentin [note infrapaginale omise]. Dans cette dernière affaire, la Cour écrit :
[75] This Court has recognized the Spousal Support Advisory Guidelines: A Draft Proposal, (Ottawa, Dept. of Justice: 2005), as "a useful tool to assist judges in assessing the quantum and duration of spousal support": Yemchuk v. Yemchuk, 2005 BCCA 406 (CanLII), 2005 BCCA 406 at para. 64, and Tedham v. Tedham, 2005 BCCA 502 (CanLII), 2005 BCCA 502 at para. 75. Applying the Guidelines' "With Children" formula to the facts of this case results in a recommended rang of $3,037 to $4,015 in monthly spousal support.
[110] Dans une récente communication au Colloque des cours d'appel du Canada [note infrapaginale omise], les auteurs de ces Lignes directrices facultatives, les professeurs Thompson et Rogerson, ont présenté une revue des décisions rendues au cours des 14 derniers mois dans lesquelles les juges ont utilisé cet outil ou y ont fait référence. En plus des 3 décisions de la Cour d'appel de Colombie-Britannique mentionnées précédemment, les professeurs Thompson et Rogerson énumèrent plus de 100 décisions de juges d'instance.
[111] Au Québec, les professeurs Thompson et Rogerson mentionnent le jugement dans la présente affaire qui semble le seul à avoir fait une application de ces Lignes directrices facultatives. Deux autres décisions de la Cour supérieure du Québec sont incluses dans cette liste, mais une vérification de ces dossiers permet de constater qu'il s'agit d'une simple référence à ces Lignes directrices facultatives.
[112] Dans l'affaire M.-A. C. c. S.H. [note infrapaginale omise], le juge André Wery - il n'était pas encore juge en chef adjoint - détermine la pension alimentaire suivant la « méthode usuelle » avant de faire mention de ces Lignes directrices facultatives; il écrit:
[69] En effet, le revenu net disponible de monsieur C… se situera aux environs de 28 380 $ par année. Une pension alimentaire de 830 $ par mois pour madame représenterait un déboursé d'environ 500 $ par mois pour monsieur puisque, comme on le sait, cette pension alimentaire est déductible pour lui. Or, comme on l'a vu, monsieur C… verse déjà une pension alimentaire de 300 $ à madame depuis le jugement intérimaire du juge de Grandpré du mois de juin 2004 et il versait, jusqu'au […] dernier, une somme de 225 $ (nets) par mois pour l'hébergement de sa fille Sa… E… Il ne paye plus un loyer de 680 $ par mois depuis janvier 2005 puisqu'il vit, depuis cette date, avec sa nouvelle conjointe qui assume seule le loyer. Par conséquent, une pension alimentaire pour madame de 830 $ par mois (qui lui coûte 500 $) ne représenterait pas un changement significatif pour lui, tout en correspondant à une pension alimentaire qui se situe au seuil supérieur de la fourchette préconisée par les Lignes directrices facultatives.
[113] L'autre décision de la Cour supérieure répertoriée par les professeurs Thompson et Rogerson est celle de la juge Diane Marcelin dans l'affaire E. J. C. c. N. L. B. [note infrapaginale omise]. Ce jugement a été prononcé par défaut en l'absence du défendeur qui n'avait pas comparu. On peut lire au procès-verbal, qui comporte des motifs sommaires, le paragraphe suivant :
Taking into account the revenue of monsieur, the alimony for the children, the need of madame and the federal guidelines for spousal support, the Tribunal comes to the conclusion that a monthly alimony of $1,050.00 is needed for madame (sic);
[114] En contrepartie, deux jugements de la Cour supérieure qui ont échappé à l'attention des professeurs Thompson et Rogerson remettent fortement en cause l'utilisation de ces Lignes directrices facultatives. Dans l'affaire D.S. c. M. Sc. [note infrapaginale omise] la juge Carole Julien écrit :
[37] Monsieur plaide les lignes directrices fédérales suggérées pour la fixation de la pension alimentaire entre les ex-conjoints. Quelques décisions de notre Cour y réfèrent.
[38] Avec respect, le Tribunal estime que l’application de règles directrices facultatives introduit un contexte d’incertitude pour les plaideurs dans le domaine sensible du droit familial. Il y a un risque important d’encourager des litiges plutôt que leur résolution par entente mutuelle. À moins que les deux parties soient d’accord avec l’application de ces règles, celle qui voudra s’en prévaloir sera tentée de se rendre à procès dans l’espoir que le Tribunal décide de les appliquer plutôt que de procéder à l’analyse prévue par la loi.
[39] L’état actuel du droit à l’égard du soutien alimentaire entre les ex-époux exige une évaluation globale des objectifs et facteurs prévus aux articles 15.2 (4) et (6) de la Loi sur le divorce. Il en est de même de la modification postérieure du soutien alimentaire contenue aux mesures accessoires au divorce (art. 17 (4.1) et (7)).
[40] À la différence des lignes directrices fédérales facultatives, la loi et la jurisprudence pertinentes n’accordent aucun poids prépondérant à aucun de ces objectifs et facteurs. Or, les lignes directrices privilégient le critère lié à la durée du mariage, l’un de ceux mentionnés à la loi.
[41] Le recours aux lignes directrices fédérales facultatives peut être tentant pour obvier à l’analyse exigeante et délicate de l’ensemble des critères de la loi dans le contexte global et particulier de chaque cas. Il constituerait alors un raccourci inacceptable parce que contraire à la loi.
[42] Enfin, le recours à ces lignes directrices pour corroborer les résultats obtenus au terme de l’analyse globale prévue par la loi est pernicieux. Il accorde une crédibilité illégitime à une analyse fondée sur un critère prédominant pour corroborer une analyse fondée sur plusieurs critères dont aucun n’est prédominant.
[43] La similarité des résultats n’est alors, au mieux, qu’accidentelle et, au pire, suspecte. Les plaideurs peuvent être tentés de faire coïncider les résultats de ces deux analyses. Ils accordent ainsi un statut égal à des règles suggérées par comparaison avec la loi. Or, seule la loi exprime la volonté du législateur.
[44] En l’espèce, le Tribunal écarte l’application des règles facultatives plaidées par Monsieur et procède à l’analyse prévue par la loi.
[115] Dans l'affaire B.D. c. S.D.U. [note infrapaginale omise], le juge Claude Henri Gendreau écrit dans le même sens :
[15] La défenderesse plaide «les lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux».
[16] Ces lignes directrices ne statuent pas sur le droit à une pension alimentaire mais sur le montant qui devrait être versé advenant que le Tribunal fasse droit à cette demande.
[17] Selon cette proposition, le demandeur devrait payer à la défenderesse une pension alimentaire mensuelle entre 837,63 $ et 1 116,83 $.
[18] Le Tribunal est d'avis qu'il ne doit pas se référer à ces lignes directrices.
[19] Tel que le souligne le document soumis «il s'agit d'une proposition que devra être mise à l'essai, testée, débattue et commentée pour qu'on puisse y apporter d'autres révisions (…) Elles ne découlent pas d'une loi fédérale. Elles n'ont pas de caractère officiel et ne sont utilisées qu'à des fins de consultation.»
[20] Quels que soient les domaines du droit, le Tribunal n'est pas un banc d'essai ou un laboratoire de recherche. Il a pour mission d'appliquer la loi dans toute sa rigueur.
[116] Le dossier tel que constitué et les brèves plaidoiries des avocates sur cet aspect ne permettent pas, à mon avis, de prononcer un arrêt de principe sur l'utilisation des Lignes directrices facultatives. D'ailleurs, comment énoncer des « principes » sur l'utilisation d'un simple « outil » à usage « facultatif »?
[117] Il n'en reste pas moins que la mise en garde des juges Julien et Gendreau me paraît importante. On ne nous a pas fait la démonstration que les critiques formulées par la juge Julien étaient erronées. D'ailleurs, les professeurs Thompson et Rogerson eux-mêmes et les arrêts de la Cour d'appel de Colombie-Britannique précisent que le juge n'est pas dispensé de procéder à la tâche exigeante à laquelle la juge L'Heureux-Dubé nous convie dans l'arrêt Moge [note infrapaginale omise] :
Cet exercice exige une analyse complexe, voire difficile dans bien des cas. On pourrait bien sûr faire la même remarque au sujet de l'évaluation des dommages en matière de contrats ou en matière de responsabilité délictuelle. Cette complexité ne dégage toutefois pas les juges de l'obligation d'entendre la preuve pertinente et d'assurer l'application entière de la loi. Il n'existe pas de recette magique ni de grille toute faite sur lesquelles se fonder, puisque les familles et les relations familiales sont loin d'être simples. […]
[118] Comme le souligne la juge Julien, il est fort tentant de s'en remettre à une « recette » qui apporterait une réponse « mathématique » au lieu de procéder à la difficile analyse préconisée par la Loi sur le divorce et par les enseignements de la Cour suprême auxquels j'ai référé précédemment.
[119] La Cour d'appel de Colombie-Britannique n'a d'ailleurs jamais préconisé une application automatique de ces Lignes directrices facultatives dans les trois arrêts précités. Dans chacune de ces affaires, la Cour procède à une analyse détaillée des critères prévus à l'article 15 de la Loi sur le divorce [note infrapaginale omise] et renvoie aux arrêts Moge [note infrapaginale omise] et Bracklow [note infrapaginale omise]. La juge Prowse, dans l'arrêt Yemchuk [note infrapaginale omise], écrit :
An important point to make at the outset of this discussion is that the proposed Advisory Guidelines are just that - proposed advisory guidelines.
[p. 16, paragr. 62]
[120] La juge de première instance ne pouvait se dispenser de l'analyse de la situation des parties puisque, pour reprendre les propos précités de la juge L'Heureux-Dubé, il n'existe pas « de recette magique ni de grille toute faite » pour régler ces questions. Avec égards, la juge de première instance n'a pas évité ce piège.
[113] La Cour ne rejetait donc pas l'usage des Lignes directrices facultatives, même si elle exprimait certaines réserves à leur endroit et recommandait la prudence, rappelant que cet instrument ne peut à lui seul tenir lieu de l'analyse que doit faire le tribunal en vertu de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce.
[114] Dans une affaire similaire à l'arrêt G.V. c. C.G. sur le plan factuel, la Cour d'appel de l'Alberta a décidé dans le même sens, elle aussi en fonction des Lignes directrices facultatives de 2005. Ainsi, dans Sawatzky v. Sawatzky[66], elle écrit que :
13 The use of the Spousal Support Guidelines is central to this appeal. As was recently pointed out by the Ontario Court of Appeal in Fisher v. Fisher, [2008] O.J. No. 38, 2008 ONCA 11, at para. 94, the Spousal Support Guidelines were drafted by family law professors, Carol Rogerson and Rollie Thompson with the objective to:
... [B]ring certainty and predictability to spousal support awards under the Divorce Act. For this purpose, they employ an income-sharing model of support, that if proven viable, will reduce the need to rely on the labour-intensive, and thus expensive, budget-based evidence employed in a typical case. In this way, the Guidelines aspire to reduce the expense of litigation of spousal support by promoting resolution for the average case.
14 In Yemchuk v. Yemchuk (2005), 16 R.F.L. (6th) 430 at para. 64 (B.C. C.A.), Prowse J.A. characterized the Guidelines as a "useful tool." However, they do not apply in all cases and, as the Court points out in Fisher at para. 96, they cannot "be used as a software tool or a formula that calculates a specific amount of support for a set period of time. They must be considered in context and applied in their entirety, including the specific consideration of any applicable variables and, where necessary, restructuring."
15 As the Quebec Court of Appeal has pointed out in G.V. c. C.G., [2006] J.Q. no. 5231 (C.A.) while it is tempting to resort to a recipe for a mathematical formula instead of going to the difficult analysis in the Divorce Act, this approach should not be adopted since, as stated in Moge, [1992] 3 S.C.R. 813 there is no "magic recipe" or a grid for determining spousal support.
16 As this Court has already noted in Lust v. Lust, [2007] A.J. No. 654, 2007 ABCA 202 , the Advisory Spousal Support Guidelines are not mandatory and do not have the force of law. They are a useful tool. While they are instructive as to one route to proper exercise of discretion in arriving at an award, they do not and should not fully fetter a trial judge's discretion.
17 While we recognize that the Guidelines were not intended to impose a radically new approach and were instead intended to suggest a range of both amounts and duration of spousal supports that reflects the current law, they cannot be used as a formula or a software tool. We agree with the New Brunswick Court of Appeal that they are best used as a useful "cross-check" or "starting point" for spousal support that "will help in the long run to bring consistency and predictability to spousal support awards", encourage settlement and allow parties to "anticipate their support responsibilities at the time of separation": S.C. v. J.C., [2006] N.B.J. No. 186, at para. 5, leave to appeal to SCC refused [2006] S.C.C.A. No. 246. However, they do not and cannot take the place of analysis of the relevant provisions of the Divorce Act.
18 The Chambers Judge's reasons do not indicate that he considered the factors set out in s. 15.2. Instead he appears to have utilized the guidelines as a formula. For example, at the beginning of the hearing he stated "I will probably need some help with the spousal guidelines at the end of the day as far as plugging the right numbers into the right column". There is no indication either in the transcript or in his written memorandum of decision that he utilized anything other than the Guidelines to determine the quantum of spousal support. In our view this is an error of principle and in doing so, he fettered his discretion. We cannot be satisfied that he would have come to the same conclusion respecting quantum of support had he analysed the s. 15.2 factors. The issue of quantum of support payable on an interim basis must be reconsidered by the Court of Queen's Bench.
[115] De son côté, dans Fisher v. Fisher[67], la Cour d'appel de l'Ontario, sous la plume de la juge Lang, commente ainsi les Lignes directrices facultatives (toujours dans leur version 2005) :
93 Since it is clear that the Guidelines were put to the trial court [renvoi omis], the appellant argues that the trial judge erred in failing to take them into account in determining the quantum of support. In fairness to the trial judge, at the time of trial, the Guidelines were released only one year earlier and were not yet the subject of widespread commentary.
94 The Guidelines were drafted under the aegis of the federal Department of Justice by the highly-regarded family law professors, Carol Rogerson and Rollie Thompson. The objective of the Guidelines is to bring certainty and predictability to spousal support awards under the Divorce Act. For this purpose, they employ an income-sharing model of support, that if proven viable, will reduce the need to rely on the labour-intensive, and thus expensive, budget-based evidence employed in a typical case. In this way, in a manner quite different from the Child Support Guidelines ("CSGs"), the Guidelines aspire to reduce the expense of litigation of spousal support by promoting resolution for the average case.
95 In the seminal case of Yemchuk v. Yemchuk (2005), 16 R.F.L. (6th) 430 at para. 64 (B.C.C.A.), Prowse J.A. aptly characterized the Guidelines as a "useful tool." [renvoi omis] She recognized that, unlike the CSGs, the Guidelines are neither legislated nor binding; they are only advisory. The parties, their lawyers, and the courts are not required to employ them. As well, the Guidelines continue to evolve; they are a "work in progress" subject to revision. Those revisions, as with the Guidelines themselves, will follow after broad consultation by the authors with a wide range of interested constituents.
96 Importantly, the Guidelines do not apply in many cases. They specifically do not apply at all in certain enumerated circumstances, including where spouses earn above $350,000 [renvoi omis] or below $20,000. Furthermore, they only apply to initial orders for support and not to variation orders. They are thus prospective in application. They do not apply in cases where a prior agreement provides for support and, obviously, in cases where the requisite entitlement has not been established. They will not help in atypical cases. [renvoi omis] As well, there will be regional variations, as well as rural and urban variations, that may be seen to merit divergent results based on variations in cost of living or otherwise. Importantly, in all cases, the reasonableness of an award produced by the Guidelines must be balanced in light of the circumstances of the individual case, including the particular financial history of the parties during the marriage and their likely future circumstances.
97 Accordingly, the Guidelines cannot be used as a software tool or a formula that calculates a specific amount of support for a set period of time. They must be considered in context and applied in their entirety, including the specific consideration of any applicable variables and, where necessary, restructuring.
98 Importantly, the Guidelines do not impose a radically new approach. Instead, they suggest a range of both amount and duration of support that reflects the current law. Because they purport to represent a distillation of current case law, they are comparable to counsel's submissions about an appropriate range of support based on applicable jurisprudence. However, if the Guidelines suggest a range that conflicts with applicable authorities, the authorities will prevail.
99 Counsel on this appeal advise that in London, where this support order was made, the Guidelines are widely used by the bar as a starting point for the purpose of assessing an appropriate level of spousal support, or for checking the validity of a proposed settlement. This is consistent with the finding of Professors Rogerson and Thompson set out in "The Advisory Guidelines 31 Months Later", which provides an extensive review of how the Guidelines have been applied in courts across Canada.
100 Other appellate courts [renvoi omis] have accepted the Guidelines as a "cross-check" or "starting point" for spousal support that "will help in the long run to bring consistency and predictability to spousal support awards", encourage settlement and allow parties to "anticipate their support responsibilities at the time of separation." [renvoi omis]
101 However, Quebec courts have not been as accepting of the application of the Guidelines, mainly on the basis that an "individual analysis" is required in assessing spousal support, as opposed to the adoption of a "mathematical formula" [renvoi omis]. This concern is satisfied by the structure of these reasons, which first address the quantum of support in the traditional manner, and then assess the reasonableness of that support against the range drawn from the Guidelines. Nonetheless, I am optimistic that, with experience, the Guidelines will become accepted as a reliable tool for resolution of many cases, subject always to the important caveat that due consideration be given to the parties' individual circumstances.
[…]
[116] Ces arrêts, comme celui que la Cour a prononcé en 2006 dans G.V. c. C.G., indiquent la direction à suivre : les Lignes directrices facultatives sont un outil fort utile, mais qui n'est pas obligatoire et qui ne peut se substituer à l'analyse prévue par l'article 15.2 de la Loi sur le divorce. On peut toutefois, à l'instar de la juge Lang ci-dessus, anticiper qu'avec le temps et l'expérience, elles se révéleront un « reliable tool for resolution of many cases », sans négliger les circonstances propres aux parties.
[117] Il faut
par ailleurs souligner que les Lignes directrices actuelles, qui datent
de juillet 2008, remédient à certaines des carences notées dans la version 2005
(sur laquelle se prononçaient les trois arrêts ci-dessus) : autrement dit,
l'outil est meilleur, il a été largement testé dans plusieurs provinces
canadiennes et l'on a franchi l'étape exploratoire. Ce n'est pas dire que la prudence
ne soit plus de mise ni qu'on doive s'y fier aveuglément, pas plus du reste
qu'on ne se fierait aveuglément à l'opinion d'un auteur ou à l'étude qu'il a
faite sur tel ou tel sujet. En outre, ces lignes directrices ne neutralisent
pas le pouvoir discrétionnaire que la Loi sur le divorce confère au juge
d'instance, pouvoir qui lui permet de façonner une solution à la mesure de la
situation des parties. La question de la pension alimentaire pour
ex-époux demeure en effet doublement discrétionnaire : discrétionnaire
quant à la détermination du droit à la pension et, le cas échéant,
discrétionnaire quant à la détermination du quantum de celle-ci. Cette double
détermination demeure un exercice particularisé, qui suppose la prise en compte
et la pondération de l'ensemble des éléments qu'énonce l'article 15.2 de
la Loi sur le divorce. Néanmoins, discrétionnaire ne veut pas dire
arbitraire, et l'on ne voit pas pourquoi les tribunaux québécois devraient se
priver de la possibilité de recourir, au stade de la fixation du quantum de la
pension, aux Lignes directrices facultatives.
[118] Cela dit, en tout respect, je ne souscris pas à l'opinion exprimée dans Redpath v. Redpath[68], où parlant de la norme d'intervention applicable, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (province où les lignes directrices sont abondamment utilisées), sous la plume de la juge Newbury, écrit que :
[42] Cases such as Hickey, however, were decided prior to the introduction of the Advisory guidelines. Now that they are available to provide what is effectively a “range” within which the awards in most cases of this kind should fall, it may be that if a particular award is substantially lower or higher that the range and there are no exceptional circumstances to explain the anomaly, the standard of review should be reformulated to permit appellate intervention. In the case at bar, I find that although the trial judge obviously considered the appropriate factors and did not misapprehend the evidence, the figure of $3,500 per month reached by him is simply too low in light of the Guideline range of $4,542 and $5,510 per month. Mr. Redpath will in future continue to enjoy an affluent lifestyle, and can afford for Ms. Redpath to do so as well. With the help of the Guidelines, I would fix her spousal support at $5,000 per month. In recognition of the young ages of the youngest children and the wife's need for training, I would also order that the award should be reviewable after five years rather than three. I would allow the appeal of the spousal maintenance award to that extent.
[Soulignement ajouté.]
[119] La Cour d'appel de l'Ontario a semblé souscrire à cette approche dans l'arrêt Fisher, précité, paragr. 102 et 103.
[120] C'est un point de vue auquel je ne peux adhérer, considérant que les Lignes directrices facultatives n'énoncent aucune règle de droit et ne sont pas contraignantes.
[121] On observera d'ailleurs que dans un arrêt plus récent, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, sous la plume de la juge Huddart, signale elle-même que :
28 In my view, the appellant overstates the power of the Spousal Support Advisory Guidelines in her circumstances when she argues the chambers judge was required to apply them unless she justified not doing so. While it is preferable for a court to organize its analysis by reference to the Guidelines as well as the statutory requirements and authorities applying them, neither the Divorce Act nor the authorities require justification for deviation from them. The appellant's proposition does apply to the Child Support Guidelines because of the requirements in s. 17(6.1) and 17(6.3) of the Act to apply the Guidelines and to give reasons for deviating from them where deviation is permitted. Nowhere in the Divorce Act are there comparable provisions requiring compliance with the Spousal Support Advisory Guidelines or reasons for deviating from them. As their name indicates, they are advisory and without statutory effect. That said, they provide helpful advice and this Court has been clear that their advice must be taken seriously and that best practice would include an explanation of any deviation from them.[69]
[Soulignement ajouté.]
[122] À mon avis, ce ne peut être, en soi, une erreur de droit que de ne pas considérer les Lignes directrices facultatives : si le juge procède à une analyse conforme à l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, le résultat auquel il arrivera méritera la déférence usuelle. Comme l'écrivait la Cour d'appel de l'Alberta dans Taylor v. Taylor[70] :
51 We do not agree with the appellant's argument that the trial judge erred in law by not averting to the Spousal Support Advisory Guidelines. The Guidelines do not enjoy the force of law and, while they are a useful tool in a judge's determination of spousal maintenance, there remains more than one route available to trial judges in arriving at an appropriate result.
[123] Ce serait de surcroît une erreur de droit ou de principe que de statuer sur une réclamation alimentaire en fonction des seuls formulaires issus des Lignes directrices facultatives[71] et sans procéder à une analyse conforme à l'article 15.2 de la Loi sur le divorce (à moins que les parties ne soient d'accord pour procéder sur la seule base des formulaires en question et, même là, il faudrait s'assurer, comme dans le cas de toute entente entre les parties, que la loi est respectée, exercice qui peut cependant être bref).
[124] On sait par ailleurs que, côté faits, une cour d'appel n'intervient pas à moins d'une erreur manifeste et dominante. On sait aussi qu'en matière alimentaire, le seuil d'intervention est particulièrement élevé, vu le caractère surdiscrétionnaire de l'exercice prévu par la Loi sur le divorce : c'est ce que rappelle notamment la Cour suprême dans l'arrêt Hickey c. Hickey[72]. L'existence des Lignes directrices facultatives ne change rien à cette norme d'intervention.
[125] À moins que le législateur fédéral ne rende l'usage de ces lignes directrices obligatoire, il est difficile de voir comment l'on pourrait aller plus loin. On peut concéder que ces lignes directrices sont utiles, qu'elles ont toutes les vertus décrites plus haut, qu'elles peuvent servir de guide et qu'elles favorisent une détermination moins arbitraire du montant des pensions entre ex-époux. Mais tous ces arguments, aussi excellents soient-ils — et ils le sont —, devraient sans doute convaincre le législateur de les adopter et d'en imposer l'usage. Tant que cela n'est pas fait, cependant, les tribunaux ne peuvent, en droit, être liés par elles ni obligés, dans l'application de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, d'en faire usage.
[126] L'intégration des Lignes directrices facultatives au processus de détermination des pensions alimentaires pour époux est donc un exercice délicat, comme on le voit, encore que le fait d'y recourir puisse être considéré comme une bonne pratique. On peut en cela s'inspirer de l'expérience des autres provinces canadiennes, ou du moins de celles chez qui l'usage des Lignes directrices facultatives fait partie de l'ordinaire ou est plus répandu qu'au Québec.
[127] Les justiciables et les plaideurs sont libres d'utiliser ces Lignes directrices facultatives, que ce soit aux fins des négociations qu'ils souhaitent entreprendre en vue d'un règlement amiable ou aux fins d'étayer la demande de pension alimentaire adressée à un tribunal. Si les parties s'entendent à ce sujet, le débat en sera raccourci d'autant. Si elles ne s'entendent pas, il ne suffira pas, normalement, à la partie qui souhaite leur application de soumettre au tribunal le formulaire approprié, sans autre preuve. L'utilisation des lignes directrices peut certes contribuer à réduire l'ampleur du débat judiciaire, mais ne se substitue pas à celui-ci. Lorsqu'une partie désire recourir à ces lignes directrices, il serait d'ailleurs préférable qu'elle l'annonce dans ses procédures, plutôt que d'attendre les plaidoiries, puisque leur application pourrait inciter l'autre partie à faire une preuve en conséquence. Bien que, juridiquement parlant, les Lignes directrices facultatives aient un effet assimilable à celui de la doctrine, qui n'a habituellement pas à être invoquée à ce stade précoce de l'instance, elles peuvent tout de même affecter l'orientation du débat sur les faits et il serait donc utile, voire nécessaire, de les alléguer au plus tôt.
[128] Si les parties, ou l'une d'entre elles, invoquent les Lignes directrices facultatives et fournissent tout ce qui est nécessaire à leur application (y compris les formulaires et les calculs), le tribunal pourra les considérer, mais la preuve (à moins qu'il y ait accord des parties ou admission à ce sujet) doit lui permettre de vérifier les paramètres pertinents. En outre, il ne peut se contenter de s'en remettre aux formulaires sans examiner la preuve et s'assurer que ce qu'on lui propose coïncide avec sa perception et son analyse de l'ensemble des objectifs et facteurs de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce. Comme le dit la Cour d'appel de l'Alberta dans Rockall v. Rockall[73], où le juge avait attribué une somme supérieure à celle qui résultait des lignes directrices :
18 The fact that the support awarded arguably exceeds that recommended under the Spousal Support Guidelines is irrelevant. Those guidelines do not have the force of law. In any event, a trial judge cannot rely on the recommendations generated under them when his or her own proper analysis requires a different conclusion.
[Soulignement ajouté.]
[129] À l'inverse, si les parties ne soulèvent pas les Lignes directrices facultatives, le juge n'est pas tenu de les considérer[74] ni ne devrait le faire.
[130] En définitive, il faut souligner que ce sont les juges de première instance qui sont les mieux placés pour jauger de l'utilité des Lignes directrices facultatives et de l'usage qu'il convient d'en faire dans chaque cas particulier : ce sont eux qui sont plongés quotidiennement dans le tourbillon des réclamations alimentaires, ce sont eux qui connaissent le mieux le niveau des pensions accordées, ce sont eux aussi qui sont le mieux à même d'observer les disparités dans l'octroi de celles-ci et ce sont eux enfin qui, saisis d'une demande fondée sur les Lignes directrices facultatives, peuvent au premier chef vérifier la concordance entre la réclamation ainsi faite et la preuve qui leur est présentée, le tout dans le cadre des paramètres fixés par l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, puis choisir de les utiliser ou pas ou de s'en écarter.
[131] Depuis le jugement de la Cour dans G.V. c. C.G.[75], en juin 2006, quelques juges, d'ailleurs, ont renvoyé à ces lignes, certains comme instrument d'appoint ou de vérification[76], certains pour les écarter ou les distinguer[77], habituellement en s'en expliquant. Ces jugements n'ayant pas été portés en appel, il ne convient pas de se prononcer sur leur bien-fondé, mais l'on peut au moins dire qu'a priori, l'usage qui a été fait — ou pas — de ces règles paraît d'une part adéquat et d'autre part justifié. On notera cependant qu'un de ces jugements (Droit de la famille — 08805[78]) décide qu'il ne doit pas appliquer les lignes directrices, pas même comme outil d'appoint, se rangeant ainsi à l'avis exprimé en 2005 dans B.D. c. S. Du.[79], jugement qui portait sur l'ébauche de 2005. À mon avis, ce point de vue (à savoir qu'il est inapproprié de renvoyer aux lignes directrices) n'est plus de mise.
c. Pension alimentaire en l'espèce
[132] Rappelons d'abord que le droit de l'appelante à une pension alimentaire n'est pas contesté. Seul est en jeu le montant de cette pension.
[133] Le jugement de première instance ne traite pas des Lignes directrices facultatives, bien qu'elles aient été invoquées en cours de plaidoirie par l'avocate de l'appelante. On ne peut voir là une erreur de droit de nature à entraîner la réformation du jugement.
[134] Néanmoins, j'estime qu'il y a tout de même lieu pour la Cour d'intervenir et de modifier à la hausse le montant de la pension accordée à l'appelante.
[135] Le juge de première instance expose correctement les règles applicables, notamment par renvoi à l'article 15.2 de la Loi sur le divorce et à l'arrêt Moge c. Moge, précité. De même, le juge a raison de conclure que le mariage a les caractéristiques d'un mariage traditionnel (sujet examiné aux paragr. [57] à [66]), l'appelante ayant consacré la plus grande partie de son temps aux enfants et à la vie familiale. Il a raison enfin de décider qu'« [à] la lumière de ce qui précède, il ne fait aucun doute que les conséquences économiques du mariage pour la demanderesse commandent le paiement d'une pension alimentaire par le défendeur » (paragr. [67]). Au chapitre de la détermination du montant de cette pension, le juge s'en remet cependant à une analyse axée principalement sur les besoins respectifs des parties et leurs revenus :
[68] La demanderesse réclame une pension alimentaire de 8 500 $ par mois alors que le défendeur estime que le paiement d'une somme mensuelle de 3 500 $ serait en conformité avec les dispositions de la loi.
[69] Parmi les facteurs à considérer, le tribunal doit tenir compte des ressources et des besoins des parties.
[70] Le revenu annuel du défendeur est de 363 000 $. Même s'il est vrai que les revenus que le défendeur tire de l'Hôpital A ont diminué, il n'y a aucune preuve que cette diminution est volontaire et faite dans le but de nuire à la demanderesse. De même, il n'y a aucune preuve que le défendeur pourrait aisément gagner 60 000 $ de plus par année. D'ailleurs, le tribunal observe que la position de la demanderesse à ce sujet est quelque peu contradictoire puisqu'elle a toujours reproché au défendeur d'avoir été absent du domicile alors qu'aujourd'hui, elle plaide qu'il devrait augmenter sa capacité de gain en travaillant davantage. Il y a beaucoup de sous-entendus à ce sujet de la part de la demanderesse mais aucune preuve tangible.
[71] Dans son état de revenus et dépenses, le défendeur fait état de dépenses et de dettes très importantes. Même si le tribunal a examiné et analysé attentivement tous les items qui y sont décrits, il serait aussi fastidieux qu'inutile de les reprendre en détail. Le tribunal limitera ses commentaires sur les faits suivants.
[72] En examinant la liste des dépenses du défendeur, le tribunal observe que celui-ci tente visiblement de conserver le même niveau de vie qu'il avait avant la séparation. Il peut le faire mais non au détriment de la demanderesse ni des enfants. À cet égard, le tribunal souligne que le défendeur consacre plus de 14 000 $ par année [renvoi omis] pour l'usage de son automobile.
[73] Le tribunal observe également que le défendeur consacre plus de 55 000 $ par année [renvoi omis] pour se loger.
[74] Le tribunal note aussi à l'annexe 2 de son état de revenus et dépenses, que le défendeur indique une dette de 233 600 $ qui est due à son père, C... K....
[75] L'examen de l'état des revenus et dépenses de la demanderesse révèle qu'elle gagne 45 150 $ par année.
[76] L'examen de ses dépenses révèle qu'elle a inclus des sommes qui sont déjà comptabilisées dans la pension alimentaire des enfants. Elle y a également inscrit une somme de 1 200 $ par mois représentant le versement mensuel d'un éventuel prêt hypothécaire advenant que le tribunal lui attribue la pleine propriété de la résidence familiale eu égard au montant qu'elle serait appelée à payer au défendeur dans le cadre du partage du patrimoine familial. La demanderesse tente visiblement elle aussi de maintenir le même niveau de vie qu'elle avait pendant le mariage, ce qui n'est pas toujours évident après une rupture.
[77] En somme, après avoir considéré les facteurs énoncés à la Loi sur le divorce tels qu'interprétés par la jurisprudence et après avoir examiné attentivement la preuve documentaire soumise de même que les témoignages des parties, le tribunal conclut que la demanderesse a droit à une pension alimentaire de 4 750 $ par mois et ce, de façon rétroactive à la date de l'institution de la présente action de divorce.
[136] Il est difficile de voir comment cette analyse essentiellement budgétaire tient compte, concrètement, de la dimension compensatoire préconisée par la Cour suprême dans les arrêts Moge et Bracklow et que rappelle récemment la Cour dans Droit de la famille — 10829[80], dimension qui s'imposait ici vu la situation maritale des parties. C'est par la combinaison des approches qu'on peut ici, compte tenu de la nature du mariage et de sa durée, intégrer tout ensemble les objectifs du paragraphe 6 et les facteurs du paragraphe 4 de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce[81].
[137] Le juge de première instance n'a en effet pas erré en parlant du mariage somme toute traditionnel qui a uni les parties pendant 24 ans, un mariage dans le cadre duquel l'appelante s'est consacrée à la famille et aux enfants, sa vie professionnelle — et en vérité sa vie tout court — ayant été « entièrement tributaire »[82] des choix et priorités de l'intimé. Ce n'est pas faire reproche à ce dernier que de dire que les exigences de ses propres activités professionnelles requéraient ce type d'arrangement, auquel il a consenti : c'était là le type de partenariat économique le liant à l'appelante, son associée dans leur projet de vie commun. L'appelante s'occupait de la totalité des aspects domestiques, éducatifs, etc. de la famille et assumait le gros de la charge des enfants, situation qui a continué après la rupture[83]. De son côté, l'intimé, qui pouvait ainsi se concentrer sur sa carrière, carrière remarquable d'ailleurs, pourvoyait financièrement à un niveau de vie qu'on peut qualifier de luxueux, avec la perspective d'une retraite très confortable.
[138] Des conséquences économiques importantes se rattachent à une telle union et à son échec, conséquences qui doivent être réparties entre les ex-conjoints, tout comme doivent être compensées les contraintes imposées à l'appelante en raison de ce qu'elle a continué d'être responsable des enfants après la séparation des parties[84]. Ces conséquences ne sont pas vraiment atténuées par le fait que l'appelante occupe un emploi qui lui procure un salaire de 45 150 $. Comme on le sait, elle a recommencé à travailler, à temps partiel, en 2002, mais son éloignement du marché du travail pendant de nombreuses années n'en a pas moins nui à sa capacité de générer des revenus. Son emploi actuel est le résultat d'une conjoncture singulière et anormalement favorable. Si elle était licenciée, hypothèse qui ne peut être exclue, sa situation serait difficile. De toute façon, son salaire actuel (de huit fois inférieur à celui de l'intimé[85]) ne lui permet ni d'assurer l'ensemble de ses besoins et obligations ni de faire face à sa retraite, le tout en considération du niveau de vie dont elle a joui tout au long du mariage.
[139] Précisons que, pour ce qui est de la retraite, les REER partagés par les parties ne sont pas très élevés. Le partage du fonds de retraite de l'intimé auprès de l'Université A s'y ajoute, mais l'appelante, évidemment, n'aura pas droit aux contributions postséparation qui enrichiront considérablement ce régime. Le partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts, par ailleurs, n'est pas de nature à générer des revenus très importants et, en l'occurrence, il génère même une dette dont l'appelante doit s'acquitter, sauf à vendre l'ex-résidence familiale, ce qui constitue, vu son âge, un handicap à l'atteinte de la sécurité financière qui aurait vraisemblablement été sienne n'eût été la rupture du mariage.
[140] La pension dont le jugement de première instance ordonne le paiement n'est pas chiche, mais elle ne tient pas suffisamment compte des éléments ci-dessus, sous-estimant la dimension compensatoire pertinente ici. Or, c'est l'ensemble de la situation qu'il faut examiner, globalement. Par ailleurs, l'intimé, sans radicalement baisser son niveau de vie ou entraver sa capacité de pourvoir à sa retraite de manière satisfaisante, a les moyens de payer une pension plus substantielle (ses revenus sont de 363 000 $).
[141] Quel montant convient ici?
[142] À mon avis, une pension de 6 250 $ par mois (75 000 $ par année) permettrait d'inclure et de respecter l'ensemble des facteurs et objectifs prévus par l'article 15.2, paragr. 4 et 6, de la Loi sur le divorce, y compris en diminuant éventuellement la dépendance de l'appelante envers l'intimé. Certes, le niveau de vie respectif des parties ne pourra pas être exactement ce qu'il était avant la rupture (la séparation entraînant une multiplication de certains coûts), mais, compte tenu de l'impact fiscal, ce montant, qui tient compte des ressources et des besoins respectifs des parties, de leurs fonctions au cours du mariage et de la durée de celui-ci, paraît équitable et paraît répartir adéquatement entre les parties les conséquences économiques du mariage et de son échec.
[143] Ce montant est inférieur à la fourchette calculée par l'appelante en vertu de la formule avec pension alimentaire pour enfants prévue par les Lignes directrices facultatives (sur la base de revenus de 350 000 $ attribués à l'intimé). Il ne convient cependant pas d'appliquer ici cette formule, puisque l'appelante n'a pas (et il aurait fallu qu'elle le fasse en première instance) fourni tout ce qui paraît nécessaire au calcul des revenus individuels nets disponibles au sens des Lignes directrices facultatives[86]. Du moins ne le savons-nous pas et il n'est pas possible, à partir du dossier d'appel tel que constitué, d'en faire la vérification. Par ailleurs, compte tenu de ce qui figure au dossier d'appel, même la partie inférieure de la fourchette résultant de l'application de la formule paraît, au regard des commentaires faits par le juge, surestimer les besoins de l'appelante et mésestimer ceux de l'intimé. Entre autres choses, celui-ci, outre la pension qu'il paie pour les enfants (et continuera de payer pour le plus jeune à compter de la date de l'arrêt), paie aussi leurs frais de scolarité (ce qui représente une dépense substantielle dans le cas du cadet, qui fréquentait encore, à la date du jugement dont appel, une coûteuse école privée, et ce, avec l'accord de l'appelante). Il est vrai que la situation, à la date de l'audience d'appel, a changé (l'aîné des garçons ayant obtenu son baccalauréat universitaire et ayant déménagé dans un logement acheté par son père), mais les frais de scolarité demeurent entièrement à la charge de l'intimé, conformément à l'engagement avalisé par le juge de première instance, ce qui a un effet significatif sur ses revenus disponibles.
III. Conclusion
[144] Je propose en conséquence d'accueillir l'appel, mais pour partie seulement, d'infirmer le jugement de première instance au chapitre de la pension alimentaire payable à l'appelante et d'augmenter à 6 250 $ par mois le montant de cette pension. Il y aura lieu de rectifier le calcul du partage des acquêts, pour en expurger les dettes encourues par l'intimé postérieurement à la séparation des parties. Enfin, la pension alimentaire pour enfants sera fixée en fonction de l'entente des parties. Dans les circonstances, il n'y aura pas lieu d'accorder de dépens.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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Motifs du juge Beauregard |
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[145] J'ai pris connaissance du texte de la juge Bich.
[146] Je souscris aux motifs et conclusions de ma collègue concernant les huit premiers moyens de l'appelante.
[147] Je partage aussi son avis selon lequel la pension mensuelle de 4 750 $ (57 000 $ par année) déterminée par la Cour supérieure est insuffisante.
[148] Puisque les Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux n'ont pas force de loi, qu'en conséquence le juge n'avait pas l'obligation d'en tenir compte et qu'il n'en a pas tenu compte, je n'ai pas poussé très loin ma réflexion à leur sujet et n'exprime aucun avis quant aux avantages et inconvénients qui résulteraient de leur application.
[149] Si l'on accepte la conclusion du juge selon laquelle les revenus respectifs des parties sont de 363 000 $ pour l'intimé et de 45 150 $ pour l'appelante et si l'on tient compte des impôts, de ce que les parties doivent payer pour les enfants, des frais de scolarité payables par l'intimé[87], du coût net de l'achat d'un REER par l'intimé et du coût net d'un REER auquel l'appelante se doit et doit à l'intimé de contribuer, la pension mensuelle de 4 750 $ ajoutée au salaire de l'appelante fait que celle-ci dispose pour vivre d'environ 4 800 $ par mois ou de 57 600 $ par année, alors que l'intimé, pour les mêmes périodes, dispose d'environ 10 830 $ et de 130 000 $.
[150] Il est certain qu'avec 57 600 $ net par année, personne ne peut prétendre être dans le besoin. Mais, comme le juge l'a noté, il ne s'agissait pas ici de seulement combler les besoins de l'appelante; il s'agissait également de compenser celle-ci pour le préjudice économique que lui ont causé le mariage et son échec. Avec égards, je suis d'avis que, dans son application de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce, le juge n'a pas, au bout du compte, donné assez de poids aux paragraphes 6 b) et 6 c).
[151] Compte tenu de l'histoire de ce couple que le juge a admirablement résumée (l'appelante a mis sa carrière en veilleuse durant plusieurs années au profit de l'intimé ) et du passage ci-après de l'arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813 , (paragr. 84 et 85) que le juge a lui-même cité, il me semble que l'appelante sort grande perdante du mariage et de son échec :
[…] Le mariage devant être considéré comme une entreprise commune, plus longue est la durée de la relation et plus grande est l'union économique entre les parties, plus forte sera la présomption d'égalité du niveau de vie des deux conjoints après sa dissolution (voir Rogerson, "Judicial Interpretation of the Spousal and Child Support Provisions of the Divorce Act", 1985 (Part I), loc cit., aux pp. 174 et 175).
Bref, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les tribunaux doivent être conscients de la grande diversité des facteurs comme des décisions prises dans l'intérêt de la famille durant le mariage qui ont pour effet de désavantager un conjoint ou d'avantager l'autre au moment de sa dissolution. À mon avis, c'est là ce que la Loi prescrit, rien de plus, rien de moins.
[152] En tenant compte des mêmes éléments que ceux du deuxième avant dernier paragraphe ci-haut, on constate qu'avec une pension de 75 000 $ par année l'appelante disposerait d'environ 69 000 $, alors que l'intimé jouirait annuellement d'environ 116 000 $, ce qui est plus équitable. Si l'intimé a réussi sa vie professionnelle et s'il a aujourd'hui le bonheur d'avoir deux garçons, tout en ayant été au départ dépendant pécuniairement de l'appelante et par la suite (et toujours lors du jugement) dépendant encore de celle-ci pour le soin des enfants, il le doit à l'appelante qui a maintenant aussi le droit de cueillir les fruits de la réussite en compensation de ceux auxquels elle a renoncé.
[153] Je conclus comme ma collègue.
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MARC BEAUREGARD, J.C.A. |
[1] Ce qu'il n'était pas encore à la date du jugement de première instance.
[2] Clause 8.3 de l'entente du 16 juin 2005, reproduite dans le jugement d'homologation du même jour.
[3] Pour un seul exemple, voir : Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915 , J.E. 2007-1325 , paragr. 27 et s.
[4] Voir : Mignacca c. Provigo inc., J.E. 2004-1777 (C.A.). Voir aussi : Hilger c. Pépinière Dominique Savio ltée, 2006 QCCA 17 , J.E. 2006-251 , paragr. 14 et 15; Paré c. Paré, 2007 QCCA 517 , J.E. 2007-830 .
[5] Mémoire de l'intimé, paragr. 9.
[6] 2010 QCCA 1505 , [2010] R.J.Q. 1853 .
[7] [2008] 2 R.C.S. 781 .
[8] Voir le document intitulé « Family Patrimony, Partnership of Acquests, Partition of Partnership of Acquests etc. ».
[9] Voir : Droit de la famille — 10589, 2010 QCCA 493 , J.E. 2010-609 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2010-08-12), 33709), paragr. 9 et 28.
[10] Ces actions précédemment détenues dans [la société B] ont été transférées dans [la société A] en mai 2005, de la manière qu'explique l'intimé dans son témoignage du 22 mai 2008.
[11] [1999] R.J.Q. 643 (C.A., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 1999-09-02, 27264), p. 650.
[12] Voir aussi : Michel Tétrault, Droit de la famille, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 532-533.
[13] Mémoire initial de l’appelante, paragr. 41 in fine.
[14] Mémoire initial de l’appelante, paragr. 43 in fine.
[15] 26 mai 2008, annexes du mémoire de l'appelante, p. 589/3 in fine et 4.
[16] Rapport de l’huissier qui a procédé à l'ouverture du coffret de sûreté, pièce P-10.
[17] L'avocat de l'intimé, au procès, a soulevé une erreur à ce sujet. En réalité, il y aurait eu un peu plus que 12 356 $ US, l’huissier ayant mal calculé la somme, qui serait plutôt (si le décompte des billets est exact) de 12 460 $ US. En appel, personne ne soulève cette erreur, qui est insignifiante.
[18] Voir pièce P-14.
[19] Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259 , p. 1276.
[20] Voir : Lacroix c. Valois, précité, note 19; M. (M.E.) c. L. (P.), [1992] 1 R.C.S. 183 ; G.L. c. N.F. [2004] R.D.F. 489 (C.A.), paragr. 71 et s.; Droit de la famille — 08971, 2008 QCCA 834 , J.E. 2008-1006 , paragr. 24. Voir également : Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau, Le droit de la famille au Québec, 5e éd., Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 2005, p. 141 in fine et s.; Michel Tétrault, op. cit., note 12, p. 666 à 672.
[21] 2006 QCCA 607 , B.E. 2006BE-553 .
[22] Dans le même sens, voir : Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau, op. cit., note 20, p. 149 in fine et 150.
[23] Voir le paragr. 47 du mémoire initial de l'appelante.
[24] Voir : Michel Tétrault, op. cit., note 12, p. 696-697 et jurisprudence y citée.
[25] Voir les arrêts cités à la note 19 supra. Voir aussi Droit de la famille — 071416, 2007 QCCA 776 , J.E. 2007-1233 , paragr. 3, qui souligne que c'est une erreur de droit que d'octroyer une somme globale en raison du déséquilibre du patrimoine des parties.
[26] Entente du 16 juin 2005, homologuée le même jour.
[27] Jugement de première instance, paragr. [122].
[28] La requête introductive d'instance, datée du 22 mars 2005, réclamait une pension de 6 710,01 $ par mois (paragr. [16]), somme qui fut augmentée à 8 500 $ par suite d'un amendement verbal, noté au procès-verbal de l'audience du 20 mai 2008.
[29] Mémoire initial de l'appelante, paragr. 96 et 97.
[30] Jugement de première instance, paragr. [70].
[31] « With Child Support Formula - Advisory Guidelines - Spousal Support », document # 29 IF et IG, MA, p. 596-597.
[32] La seule mention qui en est faite se trouve dans la Liste des autorités jointe au jugement, sous la rubrique « Doctrine » (voir jugement de première instance, p. 24).
[33] On trouve une synthèse de la version 2005 de ces lignes directrices dans l'ouvrage suivant : Michel Tétrault, Droit de la famille, 3e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., p. 826-851. L'ouvrage suivant consacre plusieurs chapitres aux lignes directrices (y inclus la version 2008), jurisprudence à l'appui : MacDonald & Partners LLP, Canadian Divorce Law and Practice, looseleaf ed., Toronto, Carswell, 1986, chapters 11-20, p. G11-1 à ART2-117. Voir aussi : James G. McLeod and Alfred A. Mamo, Annual Review of Family Law — 2010, Toronto, Carswell, 2010, p. 438-446.
[34] Une ébauche substantielle, il faut le dire, comptant 140 pages.
[35] La version 2008 des Lignes directrices facultatives est accompagnée d'un guide d'utilisation : Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux : guide d'utilisation amélioré pour la version définitive, mars 2010.
[36] Johanne April, « Pension alimentaire pour époux : quel est ton signe? », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, 1.
[37] [2003] 1 R.C.S. 303 .
[38] Lignes directrices facultatives, juillet 2008, p. 33. Le chapitre 14 examine la question de la modification ou de la révision de la pension : de manière générale, les Lignes directrices facultatives s'appliquent « avant tout », écrivent les auteurs, dans le cas d'une ordonnance initiale, mais peuvent, dans certaines situations présentées par ce chapitre, s'appliquer en cas de modification ou de révision (notamment, le cas où les enfants à charge cessent de l'être).
[39] Lignes directrices facultatives, juillet 2008, p. 31 et p. 40 à 45 (chapitre 4).
[40] Ibid., p. 31.
[41] Voir notamment aux p. 29-30.
[42] Voir notamment les arrêts Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813 , et Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420 .
[43] [2001] 2 R.C.S. 413 , notamment paragr. 59 (j. Major, pour la majorité) et 106 (j. Lebel, pour les dissidents). C'est un principe dont l'application comporte maintes nuances, cependant, comme le montre l'exposé que fait de la question le professeur Goubau dans : Dominique Goubau, « Les aliments », dans Droit de la famille québécois, vol. 2, éd. à feuilles mobiles, Brossard, Publications CCH ltée, 1991, p. 5,558 à 5,559-4. Voir aussi l'examen que la Cour fait de la question dans L.S. c. A.C., 2006 QCCA 888 , [2006] R.J.Q. 1574 , paragr. 63 à 69. Voir également : Droit de la famille — 111085, 2011 QCCA 760 , J.E. 2011-758 , paragr. 12 et 17-18 (il s'agissait dans ce cas de la demande d'annuler la pension octroyée précédemment, mais le principe est transposable à l'ordonnance initiale).
[44] Lignes directrices facultatives, juillet 2008, p. 34 à 36. Le chapitre 7 des Lignes directrices facultatives est consacré à l'explication de la formule sans pension pour enfants et aux raisons des choix mathématiques qui y ont été faits. Le chapitre 8 fait de même en ce qui concerne la formule avec pension pour enfants.
[45] Le chapitre 6 des Lignes directrices facultatives est consacré à la question de l'établissement des revenus des parties, et plus exactement de leurs revenus individuels nets disponibles. Voir aussi la section 12.6.3, p. 149, ainsi que le Guide d'utilisation, p. 25 et s., en rapport avec la prohibition de la « double ponction » (arrêt Boston c. Boston, précité).
[46] Sur la place qu'occupe l'indépendance économique dans le processus de détermination du droit à la pension et du quantum de celle-ci, on rappellera notamment les arrêts Moge c. Moge, précité, note 42, et, plus récemment, Leskun c. Leskun, [2006] 1 R.C.S. 920 . Le chapitre 13 des Lignes directrices facultatives est consacré à cette question.
[47] Y compris sur la question de savoir si la durée de la cohabitation des époux avant le mariage peut être prise en considération, en particulier aux fins de la formule sans pension alimentaire pour enfant, les auteurs indiquent qu'au Québec, vu l'absence de droit aux aliments entre conjoints de fait, « certains juges ne tiennent donc pas compte des périodes de cohabitation avant le mariage, alors que d'autres les prennent en considération » (p. 177). Sur ce point, cependant, voir : Droit de la famille — 08169, 2008 QCCA 200 , J.E. 2008-414 , où le juge Morissette, pour la Cour, exprime l'avis qu'en application de l'art. 15.2, paragr. 4a), de la Loi sur le divorce, « un tribunal peut tenir compte, comme le fit la Cour suprême dans l’arrêt Bracklow, de la durée de cohabitation des époux pendant la période qui a précédé celle où il y a eu mariage », cet aspect devant « s’apprécier selon les circonstances particulières de l’espèce » (paragr. 26; voir aussi le paragr. 25).
Quoi qu'il en soit, la question pourrait peut-être évoluer avec le jugement que rendra la Cour suprême en appel de l'arrêt Droit de la famille — 102866, [2010] R.J.Q. 2259 (C.A., requête pour autorisation d'appel accueillie le 24 mars 2011, dossier n° 33990).
[48] Voir la section 2.2.3 des Lignes directrices facultatives, p. 17.
[49] Lignes directrices facultatives, juillet 2008, p. 23 et s.
[50] Voir section 2.5.5, p. 28.
[51] Cela ressort assez clairement de certains des passages où les Lignes directrices facultatives expliquent le choix des pourcentages associés aux deux formules. Dans le cas de la formule sans pension alimentaire pour enfant, voir notamment à la p. 64. Dans le cas de la formule avec pension alimentaire pour enfant, voir p. 89-90.
[52] Voir à ce sujet : Dominique Goubau, loc. cit., note 43, p. 5,545; Julien D. Payne and Marilyn A. Payne, Canadian Family Law, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2008, p. 269.
[53] 2006 QCCS 334 , J.E. 2006-514 , paragr. 40.
[54] Lignes directrices facultatives, p. 60.
[55] Moge c. Moge, précité, note 42, p. 870, passage reproduit dans les Lignes directrices facultatives, p. 60.
[56] Bracklow c. Bracklow, précité, note 42, paragr. 49.
[57] [2003] 1 R.C.S. 303 , paragr. 196. Les juges LeBel et Deschamps sont dissidents, mais pas sur ce point.
[58] Même si elles ne sont pas sans faille : voir le récent jugement de la Cour supérieure, dans Droit de la famille — 111526, [2011] R.J.Q. 907 , au sujet des barèmes fédéraux et des barèmes québécois en la matière.
[59] Voir par exemple : Dominique Goubau, loc. cit., note 43, p. 5,533-10, 5,533-11 et 5,533-14; Julien D. Payne and Marilyn A. Payne, Canadian Family Law, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2008, p. 325.
[60] Dominique Goubau, loc. cit., note 43, p. 5,533-14.
[61] Julien D. Payne and Marilyn A. Payne, op. cit., note 59, p. 349-351.
[62] Lignes directrices facultatives, juillet 2005, p. 1-2, 15 et 30.
[63] [2006] R.J.Q. 1519 (C.A.).
[64] Ibid., paragr. 118.
[65] Précité, note 63.
[66] 2008 ABCA 355 , 302 D.L.R. (4th) 516 .
[67] 2008 ONCA 11, 88 O.R. (3d) 241.
[68] 2006 BCCA 338 , 33 R.F.L. (6th) 91 .
[69] Beninger v. Beninger, 2009 BCCA 458 , 77 R.F.L. (6th) 56 .
[70] 2009 ABCA 354 , 312 D.L.R. (4th) 448 .
[71] G.V. c. C.G., précité, note 63, paragr. 120; Sawatzky v. Sawatzky, précité, note 66, paragr. 18.
[72] Hickey c. Hickey, [1999] 2 R.C.S. 518 , paragr. 10 à 12.
[73] 2010 ABCA 278 , 90 R.F.L. (6th) 317 .
[74] Voir par exemple : Jessop v. Wright, 2008 ONCA 673, 56 r.f.l. (6th) 29, paragr. 9 :
In arriving at the appropriate amount of support, the motion judge did not apply the Spousal Support Advisory Guidelines to these incomes. However, ranges under the Guidelines were not provided to the motions judge. In these circumstances, there can be no error in failing to apply the guidelines : see Fisher v. Fisher (2008), 88 O.R. (3d) 241 (Ont. C.A.).
[75] Précité, note 63.
[76] Voir par exemple : Droit de la famille — 103343, 2010 QCCS 6120 , où la juge applique (encore qu'on en soit au stade des mesures provisoires) la formule avec pension alimentaire pour enfant comme outil d'appoint (la requérante ayant d'ailleurs diminué sa demande en conséquence), après analyse de la situation des parties; Droit de la famille — 101504, 2010 QCCS 2953 , où la juge, saisie d'une affaire où l'époux réside au Québec et l'épouse en Ontario, mentionne au passage qu'elle « doit appliquer les dispositions de la Loi sur le divorce, ce qui inclut l'application des règles fédérales sur la fixation des pensions alimentaires pour enfant et la considération des lignes directrices facultatives en matière de pension alimentaire entre époux » (paragr. 44), précisant plus loin qu'elle s'inspirera de ces lignes directrices facultatives (paragr. 49), son analyse de la situation répondant par ailleurs aux exigences de l'article 15.2 de la Loi sur le divorce; Droit de la famille — 101242, 2010 QCCS 3334 , où, au stade des mesures provisoires, la juge considère les lignes directrices facultatives « [m]ême si elles ne lient pas le Tribunal » (paragr. 49), sans se dispenser de faire l'analyse requise à ce stade; Droit de la famille — 0926, 2009 QCCS 50 , où le juge recourt, comme outil d'appoint, aux lignes directrices facultatives; Droit de la famille —082734, 2008 QCCS 5129 , où le juge renvoie accessoirement aux lignes directrices facultatives dans le cadre d'une demande d'annulation de la pension alimentaire versée à l'ex-épouse, demande qu'il refuse (l'analyse, sur le fond, est succincte, mais l'affaire ne requérait vraisemblablement pas plus).
[77] Voir par exemple : Droit de la famille — 11415, 2011 QCCS 732 , où le juge, après avoir procédé à l'analyse de la situation des parties au regard de l'art. 15.2 de la Loi sur le divorce, accorde une pension inférieure à celle qui aurait été calculée en fonction des lignes directrices applicables et s'en explique brièvement.
[78] 2008 QCCS 1355 (qui était saisi d'une demande invoquant, entre autres choses, les lignes directrices facultatives, version 2005).
[79] 2006 QCCS 1033 .
[80] 2010 QCCA 713 , [2010] R.D.F. 201 .
[81] Ibid., notamment au paragr. 27 et 32-33.
[82] Jugement de première instance, paragr. [62].
[83] Encore qu'en date de l'audience d'appel, le fils aîné ne soit plus un enfant à charge.
[84] Le cadet, né le [...] 1993 et âgé de 14 ans à la date du jugement de première instance, était encore au secondaire; l'aîné, né le [...] 1987 et âgé de 21 ans à la même date, poursuivait des études universitaires à temps plein.
[85] Jugement de première instance, paragr. [66].
[86] Voir en particulier ce qui concerne l'ajout des prestations gouvernementales et crédits remboursables pour enfants, Lignes directrices facultatives, juillet 2008, p. 178.
[87] Les parties désirant engager des frais de scolarité de 22 000 $, leurs revenus nets disponibles respectifs sont proportionnellement réduits d'autant.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.