R. c. Côté |
2007 QCCS 6503 |
|||||||
JC00B1 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
RICHELIEU |
|||||||
|
||||||||
N° : |
765-01-015583-061 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
30 novembre 2007 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GUY COURNOYER, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
LA REINE |
||||||||
Poursuivante |
||||||||
c. |
||||||||
ARMANDE CÔTÉ |
||||||||
Accusée |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
MOTIFS RÉVISÉS ET RECTIFIÉS[1] D'UN JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 28 NOVEMBRE 2007[2] |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Dans R. c. Teskey[3], la Cour suprême écrit qu'il «est souvent nécessaire, pour assurer l’efficacité du procès, que le juge qui préside celui-ci rende rapidement sa décision sur une question de preuve ou une requête fondée sur la Charte et ne motive ces décisions qu’à une date ultérieure». C'est pour cette raison que ce jugement sommaire a été préparé. Des motifs plus élaborés suivront ultérieurement.
[2] Pour les fins du présent jugement, j'aborde le jugement que je dois rendre en ayant à l'esprit les principes suivants.
[3] En vertu de l'art. 48 de la Loi sur la police[4], les policiers ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et de rechercher les auteurs de crime;
[4] La Cour suprême a d'ailleurs rappelé encore récemment dans Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth[5] que c'est le devoir des policiers d'enquêter sur les crimes.
[5] La Cour suprême a précisé dans l'arrêt R. c Mann[6] que les policiers doivent être «habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu’ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l’ordre»[7].
[6] De plus, la Cour suprême a énoncé ce qui suit dans l'arrêt R. c.Singh :
Ce que la common law reconnaît, c’est le droit d’un individu de garder le silence. Toutefois, cela ne signifie pas que quelqu’un a le droit de ne pas se faire adresser la parole par les autorités de l’État. On ne saurait douter de l’importance que l’interrogatoire revêt dans le travail d’enquête des policiers. On comprendra aisément qu’il serait difficile pour la police d’enquêter sur un crime sans poser de questions aux personnes qui, selon elle, sont susceptibles de lui fournir des renseignements utiles. La personne soupçonnée d’avoir commis le crime à l’origine de l’enquête ne fait pas exception. Du reste, s’il a effectivement commis le crime, le suspect est vraisemblablement la personne ayant le plus de renseignements à fournir au sujet de l’épisode en question. La common law reconnaît donc aussi l’importance de l’interrogatoire policier dans les enquêtes criminelles[8].
[7] Comme l'affirme la Cour suprême, toujours dans l'arrêt Mann, je dois «mettre en balance les droits à la liberté individuelle et au respect à la vie privée d’une part, et l’intérêt de la société à disposer de services efficaces de maintien de l’ordre. Sauf règle de droit à l’effet contraire, les gens sont libres d’agir comme ils l’entendent. En revanche, les policiers (et, d’une manière plus générale, l’État) ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire. La vitalité d’une démocratie ressort de la sagesse manifestée par celle-ci lors des moments critiques où l’action de l’État intersecte et menace d’entraver des libertés individuelles. Le domaine des enquêtes criminelles est incontestablement celui où ces intérêts entrent le plus fréquemment en collision. Les droits garantis par la Charte n’existent pas dans l’abstrait; ils entrent en jeu pratiquement à toutes les étapes de l’intervention policière»[9].
[8] Je le répète «les policiers […] ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire». L'intervention policière a eu lieu le 23 juillet 2006.
[9] J'arrive à la conclusion que 22 ans après l'arrêt Hunter c. Southam[10], 16 ans après l'arrêt Kokesch[11], 11 ans après l'arrêt Silveira[12], 10 ans après l'arrêt Evans[13], 9 ans après l'arrêt Feeney[14], 7 ans après l'arrêt Godoy[15], il est étonnant que les policiers ne se soient pas préoccupés de la nécessité d'obtenir un mandat de perquisition avant de se présenter durant la nuit au 23 ch. Landry le 23 octobre 2006.
[10] Une fouille ou une perquisition sans mandat est présumée abusive.
[11] Je n'ai pas été convaincu par prépondérance de preuve que les fouilles ou perquisitions n'étaient pas abusives.
[12] J'arrive à la conclusion que les policiers n'ont pas respecté les exigences de l'arrêt R. c. Evans[16] notamment parce que le consentement obtenu de Mme Côté n'était pas conforme aux exigences de l'arrêt R. c. Borden[17].
[13] J'arrive aussi à la conclusion que les principes émis dans l'arrêt R. c. Godoy[18] ne s'appliquaient pas à l'espèce, car il ne s'agissait pas d'un cas d'urgence au sens de cet arrêt et que, même s'il s'étaient appliqués, les policiers sont allés au-delà de ce qui est permis par l'arrêt Godoy, car si cette décision autorise les policiers à «enquêter sur les appels au 911 et notamment d’en trouver l’auteur pour déterminer les raisons de l’appel et apporter l’aide nécessaire. L’autorisation donnée aux agents de police de se trouver dans une propriété privée pour répondre à un appel au 911 s’arrête là. Ils ne sont pas autorisés en plus à fouiller les lieux ni à s’immiscer autrement dans la vie privée ou la propriété de l’occupant»[19].
[14] J'arrive aussi à la conclusion que les agents Tremblay et Mathieu n'ont pas agi d'une manière compatible avec l'affirmation selon laquelle ils voulaient assurer la sécurité des occupants du 23 Landry. Leur témoignage comprend des réticences révélatrices.
[15] Les fouilles à l'intérieur du domicile de Mme Côté et les fouilles périphériques conduites par les agents Tremblay, Mathieu et Fortier sont abusives et contraires à l'art. 8 de la Charte.
[16] Les déclarations obtenues de Mme Côté dans le cadre de cette fouille abusive doivent être exclues en vertu du par. 24(2) de la Charte.
[17] J'estime que Mme Côté était détenue par les policiers à partir de 12 h 26.
[18] Son droit d'être informée des motifs de sa détention en vertu de l'al. 10 a) de la Charte n'a pas été respecté, de même que son droit de consulter un avocat n'a pas été respecté.
[19] Les déclarations obtenues de Mme Côté après cette détention doivent être exclues en vertu du par. 24(2) de la Charte en raison de l'atteinte à l'équité du procès.
[20] VD-11, la déclaration écrite de Mme Côté entre 4 h 10 et 5 h 01 a été obtenue en violation des alinéas 10 a) et 10 b) de la Charte. Elle doit être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte en raison de l'atteinte à l'équité du procès.
[21] La déclaration obtenue de Mme Côté suite à la mise en garde VD-12 par M. Sylvain Bellemare a été obtenue en violation de l'art. 7 et des alinéas 10 a) et 10 b) de la Charte car Mme Côté était détenue et non plus un témoin important. Elle doit être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte en raison de l'atteinte à l'équité du procès.
[22] De plus, j'ai un doute raisonnable sur le caractère libre et volontaire de la déclaration vidéo de Mme Côté (VD-13), en raison de l'ensemble des circonstances, notamment les nombreuses violations des droits constitutionnels de Mme Côté, la durée de la détention de Mme Côté, l'oppression et les encouragements selon la règle de common law.
[23] J'estime aussi que durant cet interrogatoire le droit à l'avocat de Mme Côté et son droit au silence n'ont pas été respectés lors de son interrogatoire par les enquêteurs Bellemare et Samson. Cette déclaration doit être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte en raison de l'atteinte à l'équité du procès.
[24] En raison des violations des droits constitutionnels de Mme Côté, j'estime que l'on doit retrancher les paragraphes 4, 5, et 7 des dénonciations (VD-8, VD-9 et VD-10) pour obtenir le télémandat pour les appels 911 (VD-8B), le télémandat général (VD-9-A) et le télémandat de perquisition (VD-10).
[25] Les conclusions contenues au paragraphe 9 sont impossibles si on retranche les paragraphes 4 à 7 des dénonciations. En l'absence de ces informations, les autorisations judiciaires, VD-9 et VD-10, n'auraient pas été accordées.
[26] L'autorisation judiciaire visant l'appel au 911 soulève des questions totalement différentes en raison de l'attente minimale ou inexistante à la vie privée de Mme Côté. Cette autorisation judiciaire aurait été accordée.
[27] J'estime que les éléments suivants doivent être exclus en vertu du par. 24(2) de la Charte : (1) les constatations effectuées par les patrouilleurs avant l'obtention d'un télémandat général et d'un télémandat de perquisition; (2) la preuve obtenue lors de l'exécution du mandat général; (3) la preuve saisie lors de l'exécution du mandat de perquisition.
[28] Les violations de la Charte relatives aux fouilles sont extrêmement sérieuses. Les policiers ne peuvent être considérés de bonne foi au sens où cette notion a été définie dans les arrêts Wise[20], Kokesch[21], Feeney[22] et Mann[23].
[29] Finalement, j'estime que si je mets «en balance l’intérêt de l’État à découvrir la vérité d’une part et l’intégrité du système judiciaire d’autre part», la protection de l'intégrité du système judiciaire tel que j'interprète les arrêts Silveira et Feeney exige l'exclusion de la preuve. Toute autre mesure sera insuffisante.
[30] Je suis tout à fait conscient que «[p]lus l'infraction est grave, plus la probabilité est grande que l'exclusion des éléments de preuve soit susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, particulièrement s'ils sont essentiels à une déclaration de culpabilité»[24].
[31] Toutefois, c'est l'utilisation des éléments de preuve qui discréditerait l'administration de la justice. Dans une société libre et démocratique fondée sur la primauté du droit, le mépris flagrant et systématique des droits constitutionnels de Mme Côté n'exige rien de moins que l'exclusion de la preuve.
[32] Il est regrettable qu'en 2007, un tribunal soit encore forcé de rendre une telle décision alors que le respect de principes simples et élémentaires entourant les enquêtes criminelles aurait possiblement, peut-être même probablement, permis en l'espèce, le cheminement efficace de l'enquête d'une manière constitutionnellement acceptable.
|
||
|
__________________________________ GUY COURNOYER, J.C.S. |
|
|
||
Pierre Goulet |
||
Procureur de la poursuivante |
||
Bureau des substituts du procureur général |
||
|
||
Karine Guay |
||
Carole Gladu |
||
Procureures de l'accusé |
||
|
||
Dates d’audience : |
19, 20, 21, 22, 23, novembre 2007 |
|
Date du jugement |
28 novembre 2007 |
|
Date des motifs revisés |
30 novembre 2007 |
|
[1] Kellogg 's Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258 , aux pp. 259-260.
[2] Demande de transcription des motifs du jugement reçue le 29 novembre 2007.
Transmis aux parties le 30 novembre 2007.
[3] 2007 CSC 25 .
[4] L.R.Q., c. P-13.1.
[5] 2007 CSC 41 .
[6] [2004] 3 R.C.S. 59 .
[7] Ibid, par. 16.
[8] 2007 CSC 48 .
[9] [2004] 3 R.C.S. 59 , les paragraphes 15 et 16.
[10] [1984] 2 R.C.S. 145 .
[11] [1990] 3 R.C.S. 3 .
[12] [1995] 2 R.C.S. 297 .
[13] [1996] 1 R.C.S. 8 .
[14] [1997] 2 R.C.S. 13 .
[15] [1999] 1 R.C.S. 311 .
[16] [1996] 1 R.C.S. 8 .
[17] [1994] 3 R.C.S. 145 .
[18] [1999] 1 R.C.S. 311 .
[19] Ibid, par. 22
[20] [1992] 1 R.C.S. 527 , à la p. 544.
[21] [1990] 3 R.C.S. 3 , à la p. 32.
[22] [1997] 2 R.C.S. 13 , les paragraphes 73 et 74.
[23] [2004] 3 R.C.S. 59 , par. 55.
[24] [1993] 3 R.C.S. 223 , à la p. 261.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.