Décision

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Crevette du Nord Atlantique inc. c. Conseil de la Première Nation malécite de Viger

2012 QCCA 7

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-006429-085

(250-17-000343-058)

 

DATE :

9 janvier 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

LA CREVETTE DU NORD ATLANTIQUE INC.

APPELANTE/INTIMÉE INCIDENTE - Défenderesse

c.

 

LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION MALÉCITE DE VIGER

INTIMÉ/APPELANT INCIDENT - Demandeur

et

JEAN GENEST, ALINE GAGNÉ-JENNISS ET MARCELLE ALBERT RIOUX

MIS EN CAUSE - Défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 18 juillet 2008 par la Cour supérieure, district de Kamouraska (honorable Claude Henri Gendreau), qui a accueilli en partie la requête introductive d'instance de l'intimé en revendication, en injonction et en dommages-intérêts.

[2]           L'intimé se pourvoit aussi contre le jugement dans un appel incident.

[3]           Pour les motifs de la juge Thibault, auxquels souscrivent les juges Hilton et Léger, LA COUR :

[4]           ACCUEILLE l'appel principal en partie, sans frais, pour annuler à l'égard de l'appelante seulement les condamnations suivantes :

-     420 188,80 $ représentant les comptes à payer accumulés par l'administration de M. Genest ainsi que les intérêts et l'indemnité additionnelle et la déduction de 225 000 $ payés par E. Gagnon et Fils Ltée (paragraphes 225.1 et 225.4 du jugement de première instance);

-     150 000 $ représentant les dommages à la réputation, pour interruption d'affaires et perte d'opportunités (paragraphe 225.3 du jugement de première instance);

-         107 410 $ représentant les honoraires additionnels des vérificateurs Raymond Chabot Grant Thornton (paragraphe 225.2 du jugement de première instance);

-         la condamnation aux frais du séquestre judiciaire (attribués dans les dépens) (paragraphe 230 du jugement de première instance);

-         remplace la conclusion apparaissant au paragraphe 227 du jugement de première instance par la suivante :

[227]     CONDAMNE solidairement toutes les parties à payer à Leclerc Juricomptables la somme de 281 000 $ et ORDONNE qu'entre les parties les défendeurs assument ce montant de 281 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle dans une proportion de 25 % pour La Crevette du Nord Atlantique inc. et de 75 % pour Jean Genest, Aline Gagné-Jenniss et Marcelle Albert Rioux;

[5]           ACCUEILLE en partie l'appel incident, sans frais;

[6]           CONDAMNE l'appelante à payer à l'intimé 261 719 $ avec intérêts et indemnité additionnelle depuis la mise en demeure du 14 juin 2005;

[7]           REJETTE la requête pour amender, sans frais.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

Me Pascal Girard

Gagnon, Girard

Pour l'appelante / intimée incidente

 

Me Paul-Yvan Martin et Me Marie-Paule Boucher

Martin, Camirand

Pour l'intimé / appelant incident

 

Date d’audience :

14 novembre 2011



 

 

MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT

 

 

[8]           L'appelante, La Crevette du Nord Atlantique inc., se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, qui a accueilli en partie la requête introductive d'instance de l'intimé, le Conseil de bande de la Première Nation Malécite de Viger, en revendication, en injonction et en dommages-intérêts. Plus particulièrement, l'appelante et les mis en cause ont été condamnés solidairement à payer à l'intimé :

[225.1]             420 188,80 $ étant les comptes à payer cumulés par l'administration Genest;

[225.2]             107 410$ étant les honoraires additionnels des vérificateurs;

[225.3]             150 000 $ étant les dommages à la réputation, interruption d'affaires et perte d'opportunités;

[225.4]             Le tout avec intérêts et indemnité additionnelle moins le montant de 225 000 $ payé par E. Gagnon et Fils ltée étant imputé aux comptes à payer cumulés (420 188,80 $) et les dommages généraux (150 000 $);

[9]           L'intimé se pourvoit aussi contre le jugement dans un appel incident.

[10]        Pour leur part, les mis en cause n'ont pas interjeté appel du jugement.

1- Les faits

[11]        Les faits sont détaillés dans le jugement de première instance. Je propose de les décrire sommairement maintenant et de les préciser, au besoin, lors du traitement des questions en litige.

[12]        La Première Nation Malécite de Viger (ci-après Première Nation) est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens[1]. Sa principale source de revenus provient de la pêche du crabe et des crevettes. L'intimé est l'organe chargé de l'administration de la Première Nation[2]. Il est constitué de quatre chefs conseillers et d'un Grand chef, tous élus par les membres de la Première Nation.

[13]        L'appelante est une société commerciale spécialisée dans la transformation des produits de la mer, notamment des crevettes, qu'elle achète de pêcheurs. Elle a acheté les crevettes pêchées par la Première Nation lors des saisons de pêche 2001 à 2005.

[14]        M. Genest a occupé le poste de Grand chef de la Première Nation à compter du 15 décembre 2004 jusqu'au 13 septembre 2006. Les mises en cause Aline Gagné-Jenniss et Marcelle Albert Rioux étaient à l'emploi de la Première Nation sous l'administration de M. Genest.

[15]        Le litige résulte d'une crise de nature politique au sein de la bande. J'en trace les grandes lignes. À la suite de la contestation du leadership de la Grande chef Anne Archambault, qui a mené à sa démission le 27 août 2004, des élections complémentaires ont été tenues. Le 18 décembre 2004, M. Genest a été élu au poste de Grand chef de la Première Nation. Dès l'élection de ce dernier, des tensions palpables se sont installées au sein du personnel de la Première Nation en raison de son attitude et de ses agissements.

[16]        Le 8 février 2005, Jean-Claude Paradis, coordonnateur aux pêches pour la Première Nation, avise le représentant de l'appelante qu'il ne lui vendra pas de crevettes pour la saison de pêche 2005. M. Paradis est alors en pourparlers avec une autre société commerciale. Quant au crabe, M. Paradis discute, à la même époque, avec d'autres bandes indiennes du projet d'achat d'une usine de transformation à Sept-Îles (le projet Crabiers du Nord).

[17]        Le 8 mars 2005, M. Paradis est suspendu de ses fonctions par M. Genest, puis congédié le 16 mars. À compter de ce moment, M. Genest s'occupe lui-même de la coordination des diverses activités reliées à la saison de pêche 2005, sans tenir compte de l'avis de l'intimé, en violation de toutes les règles applicables. Les relations de travail avec les employés de la Première Nation s'enveniment. Après un changement des serrures par M. Genest, les employés et les quatre chefs conseillers n'ont plus accès au centre administratif et ils sont remplacés par quelques collaborateurs de M. Genest.

[18]        Le 29 mars 2005, les permis de pêche au crabe et à la crevette sont délivrés par Pêches et Océans Canada. Ils sont signés par M. Genest.

[19]        Le 1er avril 2005 marque le début de la saison de pêche annuelle. M. Genest convient de vendre le crabe à la société commerciale E. Gagnon et Fils Ltée et les crevettes à l'appelante.

[20]        Le 4 avril 2005, l'intimé transmet à l'appelante une mise en demeure dans laquelle il lui demande de payer les crevettes appartenant à la Première Nation directement à cette dernière et non à M. Genest. L'intimé précise dans sa mise en demeure que la Première Nation se chargera de payer elle-même les pêcheurs.

[21]        À la suite de procédures en injonction présentées devant la Cour fédérale par l'intimé et M. Genest, le juge Simon Noël prononce, le 14 avril 2005, une injonction interlocutoire ordonnant aux parties « de respecter le statu quo tel qu'il existait en date du 20 février 2005 et, à cet effet, de rétablir la situation en fonction de cette date et par la suite de passer les résolutions appropriées dans l'intérêt de la Première Nation »[3].

[22]        Le 14 juin 2005, l'intimé transmet une deuxième mise en demeure à l'appelante lui réitérant que tout paiement relatif aux crevettes soit fait à la Première Nation.

[23]        Malgré les mises en demeure et sa connaissance du jugement précité, l'appelante n'a pas payé à la Première Nation la ressource lui appartenant, mais elle a payé les pêcheurs directement, remboursé certains fournisseurs et remis d'autres sommes d'argent à M. Genest.

[24]        Le 7 juillet 2005, une action est initiée par l'intimé contre l'appelante, E. Gagnon et Fils Ltée et les mis en cause. Elle comporte des conclusions en revendication des sommes versées par l'appelante (pour l'achat des crevettes) ainsi que par E. Gagnon et Fils Ltée (pour l'achat du crabe) à M. Genest, en dommages-intérêts et en injonction pour qu'il soit ordonné aux mis en cause de ne plus percevoir les sommes dues à la Première Nation. Avant le procès, les relations entre les parties ont été ponctuées de plusieurs procédures judiciaires devant la Cour fédérale ainsi que devant la Cour supérieure et d'incidents divers (saisies avant jugement, mise sous séquestre, etc.) qu'il n'est pas utile d'énumérer aux fins de l'appel.

[25]        Le 2 février 2006, l'intimé adopte une résolution, signée par les quatre chefs conseillers, pour retirer à M. Genest son pouvoir de représenter la Première Nation. Le 13 février 2006, la majorité des employés réguliers de la Première Nation réintègrent leur travail au centre administratif. Le 13 septembre 2006, l'intimé adopte une résolution pour destituer M. Genest de son poste de Grand chef.

[26]        Le 31 janvier 2007, à l'occasion d'une conférence de gestion présidée par le juge Claude Henri Gendreau, les parties consentent à la nomination d'un expert juricomptable unique. Le procès s'est tenu du 18 au 22 février, du 25 au 29 février et du 3 au 5 mars 2008 à Rivière-du-Loup. Fait à souligner, l'appelante et les mis en cause étaient alors représentés par la même avocate même si leur défense était distincte.

[27]        Entre l'institution de l'action et le procès, soit le 11 avril 2006, l'intimé et la société commerciale E. Gagnon et Fils Ltée ont convenu d'une entente à l'amiable (225 000 $).

2- Le jugement de première instance

[28]        Avant de se pencher sur les demandes de l'intimé, le juge a statué sur deux requêtes présentées de façon préliminaire. La première concerne une fin de non-recevoir proposée par l'appelante pour conclure au rejet de l'action de l'intimé. L'appelante a fait valoir que le comportement abusif de l'intimé constituait un obstacle à l'action, utilisant une formule ressemblant à l'estoppel de la common law. Le juge a rejeté la requête parce qu'il s'est dit d'avis que la preuve n'avait pas établi l'abus, la mauvaise foi ou la conduite répréhensible de la part de l'intimé. Il a exprimé l'avis que la situation résultait d'un conflit très profond entre deux factions au sein de la Première Nation.

[29]        L'appelante a aussi plaidé qu'il y avait absence de lien contractuel entre elle et l'intimé, parce qu'aucune résolution de la Première Nation ne l'avait autorisée à faire affaire avec M. Genest. Le juge a conclu qu'aucun contrat valide n'avait été formé entre l'intimé et l'appelante parce que la Première Nation n'avait pas adopté de résolution à cet effet. Sa conclusion est fondée sur le jugement rendu par la Cour supérieure dans Isolation Sept-Îles inc. c. Bande des Montagnais de Sept-Îles[4]. Selon lui, il s'ensuit que l'action n'a pas un fondement contractuel, mais plutôt extracontractuel. Il estime que l'appelante s'est comportée comme si l'intimé n'existait pas et elle a préféré « obéir aux instructions de Jean Genest, de payer les pêcheurs et certains fournisseurs et de remettre le solde dans les comptes bancaires de Jean Genest et de ses acolytes sachant […] que la ressource était la propriété d'un tiers », la Première Nation.

[30]        Le juge examine ensuite les différents postes de la réclamation de l'intimé.

[31]        Le premier poste concerne les comptes à payer résultant de l'administration de M. Genest. Trois chiffres ont été avancés : 274 548 $ par l'expertise juricomptable, 439 277 $ par la Première Nation et 699 176 $ selon le séquestre. Devant de tels écarts, le juge a demandé une expertise complémentaire. Il a arbitré le montant des comptes à payer à 420 188,90 $ et conclu que les mis en cause et l'appelante devaient en être tenus responsables :

[171]     Comme ce ne fut pas le cas, le Tribunal doit disposer de cette réclamation de 420 188,80 $ selon la preuve faite et il doit se priver des commentaires des juricomptables sur ce sujet.  Le vérificateur a refusé aussi de commenter les chiffres de Roger Lafond pour les mêmes motifs que ceux des juricomptables et le séquestre a réitéré le 3 mars 2008 qu'il n'a que listé les comptes à payer sans les attribuer à qui que ce soit.

[172]     Bref, seul Jean Genest ou quelqu'un de son administration pouvait répondre aux prétentions de Roger Lafond.  Or, non seulement Jean Genest n'a pas contesté ce montant de 420 188,80 $, il n'a pas témoigné sur le partage des responsabilités entre son administration et celle du conseil de bande à partir des comptes à payer listés par le séquestre judiciaire.

[173]     Le Tribunal, tel que mentionné précédemment, n'a pas de motifs pour mettre de côté les prétentions du séquestre qu'il a reçu des réclamations pour la période antérieure à sa nomination totalisant 699 716,57 $ et le témoignage de Roger Lafond à l'effet que de cette somme 420 188,80 $ doit être imputée à l'administration Genest.  Non seulement ces chiffres ne sont pas contredits, ils ne sont pas commentés par les défendeurs.  Le Tribunal doit y faire droit.

[174]     La responsabilité de ce montant repose sur tous les défendeurs, cette réclamation est directement liée à l'exploitation de la pêche.  E. Gagnon et Fils ltée et Crevette du Nord Atlantique inc., malgré les mises en demeure et les avis reçus, ont préféré payer l'administration Genest plutôt que les propriétaires de la ressource de crabe et de crevette.  Ils doivent en supporter les conséquences sous réserve de l'entente intervenue avec E. Gagnon et Fils ltée.

[Je souligne]

[32]        L'intimé a payé 153 755 $, à titre d'indemnité, à Jean-Claude Paradis et aux autres employés de la Première Nation qui ont été privés de travail, en raison des agissements de M. Genest. Le juge retient que seuls les mis en cause sont responsables du dommage subi par l'intimé à cet égard, car « l'origine de ce conflit n'est pas lié à l'exploitation de la pêche […] mais au style de gestion de Jean Genest et de ses acolytes ».

[33]        L'intimé a réclamé 47 938,55 $ pour les honoraires du séquestre nommé par le ministère des Affaires indiennes et 285 174,46 $ pour ceux du séquestre judiciaire. Le juge conclut que les mis en cause et l'appelante sont responsables de ces honoraires :

[181]     Le séquestre a été nommé par madame la juge Ouellet pour mettre à l'abri les actifs et les revenus de la PNMV suite à la prise de contrôle des bureaux administratifs par Jean Genest et ses acolytes et dans le but de protéger les revenus de la pêche à venir.

[182]     Tous les défendeurs incluant les transformateurs sont à l'origine de cette ordonnance et ils en sont les seuls responsables.  Les frais et la rémunération du séquestre seront inclus dans le mémoire de frais.

[34]        L'intimé a réclamé 244 756 $ pour les honoraires payés aux vérificateurs retenus pour la confection des états financiers pour les années 2005 et 2006. Après analyse des factures, le juge conclut que 107 410 $ sont imputables aux mis en cause et à l'appelante.

[35]        L'intimé a réclamé les honoraires reliés à l'expertise juricomptable, soit 216 000 $ pour la confection du rapport et 62 498, 65 $ pour la préparation du rapport ainsi que pour la présence des experts à la Cour. L'intimé avait avancé les frais de préparation du rapport. Le juge a tranché de la façon suivante :

[196]   Dans ce dossier, la firme Leclerc Juricomptables a été retenue d'un commun accord.  Pour disposer des honoraires des experts, le Tribunal jouit d'une certaine discrétion.  Leur travail a bénéficié à toutes les parties.  Le Tribunal est d'avis qu'envers les juricomptables, leurs honoraires et déboursés sont la responsabilité solidaire de toutes les parties mais, entre elles, ils sont la responsabilité exclusive et solidaire de tous les défendeurs vu leurs fautes extracontractuelles.

[36]        L'intimé a réclamé 500 000 $ pour « dommages à sa réputation, interruption d'affaires et perte d'opportunités ». Le juge de première instance, exerçant sa discrétion, lui a accordé des dommages de 150 000 $, parce que la crise a miné la crédibilité de la Première Nation. Il tient l'appelante et les mis en cause responsables de ces dommages :

[214]     Le Tribunal retient cependant que le conseil de bande, qui est l'organisme de gestion de la PNMV reconnu par la Loi sur les Indiens, n'a pu gérer ses ressources pendant près d'un an, la crise dans son ensemble a créé des tensions mais surtout a miné la crédibilité de la bande.  Usant de sa discrétion judiciaire et en tenant compte qu'il s'agit d'un litige entre deux groupes d'une même bande dont les deux protagonistes les chefs conseillers et le grand chef ont été élus par leurs membres, le Tribunal accorde pour l'ensemble de ces dommages un montant de 150 000 $.

[37]        Selon le juge d'instance, les dommages généraux ainsi que ceux reliés aux comptes à payer accumulés sous l'administration de M. Genest doivent être réduits de 225 000 $ pour tenir compte du montant versé à l'intimé par E. Gagnon et Fils Ltée à l'occasion d'une entente à l'amiable.

[38]        Voici un tableau récapitulatif des sommes octroyées par le juge à l'intimé, dont il a tenu l'appelante et les mis en cause responsables :

Chef de réclamation

Montant

Comptes à payer cumulés sous l'administration de M. Genest

420 188,80 $

Dommages à la réputation, interruption d'affaires et perte d'opportunités

150 000 $

À soustraire : règlement à l'amiable intervenu avec E. Gagnon et Fils Ltée

(225 000 $)

Sous-total :

345 188,80 $

Honoraires additionnels du vérificateur Raymond Chabot Grant Thornton

107 410,00 $

Honoraires des juricomptables

281 000,00 $

Honoraires du séquestre judiciaire

Accordés à titre de dépens

TOTAL (condamnation solidaire avec les mis en cause) :

733 598,80 $

 


3- Les questions en litige

[39]        Dans leur mémoire d'appel, l'appelante et l'intimé, à titre d'appelant incident, posent les onze questions suivantes :

1)       Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l'appelante ne pouvait acheter la crevette de la manière dont elle l'a fait ?

 

2)       Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en tenant l'appelante responsable des dommages à la réputation, interruption d'affaires et perte d'opportunités de l'intimé ?

 

3)       Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l'appelante devait être tenue responsable des comptes à payer qui ont été accumulés durant l'administration de M. Genest ?

 

4)       Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en condamnant l'appelante à payer les honoraires et débours du vérificateur, de l'expertise juricomptable et du séquestre judiciaire ?

 

5)       Le juge de première instance a-t-il omis de se prononcer sur une partie de la demande de l'intimé?

 

6)       L'intimé a-t-il droit au paiement de la somme de 934 165,90 $, correspondant au prix de vente des crevettes pêchées à même ses droits de pêche ?

 

7)       L'intimé a-t-il droit à la totalité de l'indemnité pour frais professionnels encourus pour la confection de la reddition de comptes de M. Genest, l'examen de cette reddition de comptes et la confection et la vérification des états financiers pour les exercices 2005 et 2006 ?

 

8)       Le juge de première instance pouvait-il réduire le montant de la condamnation (pour les comptes à payer cumulés et les dommages) de 225 000 $, représentant le montant versé par E. Gagnon et Fils Ltée à l'occasion d'une entente à l'amiable ?

 

9)       L'appelante doit-elle être tenue responsable des indemnités totalisant 153 755 $ versées par l'intimé aux employés de Première Nation ?

 

10)    L'intimé a-t-il droit au remboursement de la totalité des honoraires et débours du séquestre, ou à ceux qui seront taxés à la suite du jugement final ?

 

11)    Le juge de première instance devait-il statuer sur les saisies avant jugement ?

 

[40]        De plus, à l'audience, l'intimé a présenté une requête pour amender dans laquelle il demande de déclarer bonnes et valables les saisies avant jugement faites en première instance et de lui accorder un honoraire spécial conformément à l'article 15 du Tarif des honoraires judiciaires des avocats[5].

 

4- L'analyse

[41]        Aux fins de l'analyse, il me paraît utile de regrouper certaines questions qui sont connexes et de les traiter sous les rubriques suivantes.

4.1 L'intérêt juridique de l'intimé

[42]        Pour la première fois en appel, l'appelante plaide que l'intimé n'a pas l'intérêt juridique pour réclamer une indemnisation pour la vente des crevettes durant la saison de pêche 2005, puisque cette ressource ne lui appartient pas. Seule la Première Nation, à titre de propriétaire, posséderait un tel intérêt. Le juge d'instance aurait commis une erreur en confondant le patrimoine de l'intimé et celui de la Première Nation, comme si ces deux entités constituaient une même personne.

[43]        Selon l'arrêt rendu par la Cour suprême dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis[6], une bande indienne et un conseil de bande ne possèdent pas la personnalité juridique. En revanche, un jugement rendu par la Cour fédérale[7] reconnaît qu'une bande indienne ou un conseil de bande peut ester en justice malgré l'absence d'une personnalité juridique. Cette capacité implicite découle des droits et obligations confiés à la bande et au conseil par la Loi sur les Indiens. D'ailleurs, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis précité, la Cour suprême précise que l'absence de personnalité juridique d'un conseil de bande ne l'empêche pas d'être considéré comme un employeur aux termes du Code canadien du travail, puisque la Loi sur les Indiens lui a conféré le pouvoir d'embauche.

[44]        L'auteure Macaulay rappelle que l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis a favorisé le développement de modus operandi différents relativement à la capacité d'une bande indienne d'intenter une poursuite en justice en son propre nom :


 

Because of the apparent continuing lack of agreement regarding the status of a Band to sue in its own name, some counsel acting for Bands continue to bring representative actions. Others commence actions in the Band's name, and no question is raised as to the propriety of doing so.

[Références omises][8]

[45]        Le professeur Grammond écrit pour sa part que la jurisprudence majoritaire a clairement penché en faveur de la reconnaissance d'une certaine capacité d'ester en justice pour une bande indienne :

La position généralement adoptée par les tribunaux est plutôt que les bandes indiennes constituent des entités sui generis qui possèdent le pouvoir d'ester en justice dans la mesure où ce pouvoir est accessoire à l'exercice des pouvoirs attribués par la Loi.[9]

[46]        L'appelante reconnaît que la bande et le conseil de bande peuvent ester en justice, mais elle fait valoir que, en l'espèce, seule la Première Nation pouvait agir puisque les réclamations portent sur son patrimoine. L'intimé pouvait-il réclamer les sommes dues à la Première Nation ainsi que les dommages subis par cette dernière ?

[47]        Le conseil de bande est défini ainsi dans la Loi sur les Indiens :

 

2. […] « conseil de la bande »

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

 

[…]

 (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

 

2. […] “council of the band” means

(a) in the case of a band to which section 74 applies, the council established pursuant to that section,

(b) in the case of a band to which section 74 does not apply, the council chosen according to the custom of the band, or, where there is no council, the chief of the band chosen according to the custom of the band;

[…]

74. (1) Whenever he deems it advisable for the good government of a band, the Minister may declare by order that after a day to be named therein the council of the band, consisting of a chief and councillors, shall be selected by elections to be held in accordance with this Act.

 

[48]        Toujours suivant la Loi sur les Indiens, le conseil de bande possède un pouvoir de réglementation en plusieurs matières[10]. Selon le professeur Grammond, le conseil de bande est l'organe chargé par la Loi de l'administration de la bande indienne[11]. C'est donc par le biais des décisions du conseil de bande que cette dernière peut exercer ses droits. À ce sujet, le règlement interne de la Première Nation prévoit que l'intimé a le pouvoir d'ester en justice pour la bande :

3.3 Et pour s'acquitter de ses attributions le conseil dispose des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les Indiens, chap. i.5 et ses règlements d'application à savoir notamment:

3.3.1 Faire des règlements administratifs en vertu des articles 81 et 83 L.I.;

3.3.2 Emprunter de l'argent conformément au Règlement sur les emprunts faits par les conseils de bande, chap. 949, article 2 r.;

3.3.3 Administrer les affaires de la bande, ce qui implique notamment le pouvoir de contracter, le pouvoir d'ester en justice, de signer des ententes de contribution, de faire des règlements de régie interne.[12]

[Je souligne]

[49]        Le permis de pêche, qui permet à la bande de se livrer à des activités de pêche, constitue un actif de la bande et non de son conseil, même si ce dernier a le pouvoir de la représenter[13]. Le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones[14], adopté en vertu de la Loi sur les pêches[15], prévoit qu'un permis de pêche communautaire peut être délivré à toute « organisation autochtone » en vue de l'autoriser à pratiquer la pêche[16], c'est-à-dire une bande indienne, un conseil de bande indienne, un conseil de tribu et une association qui représente une collectivité territoriale autochtone[17].

[50]        Afin de permettre à la Première Nation d'exercer ses droits et puisque l'intimé est considéré comme une « organisation autochtone » au sens de la réglementation applicable, je suis d'avis que, en l'espèce, l'intimé possède la capacité juridique implicite requise pour ester en justice. Le professeur Grammond indique d'ailleurs que les tribunaux, en raison des difficultés occasionnées par la rédaction de la Loi sur les Indiens, ne s'arrêtent pas à cette technicité et admettent notamment une poursuite en dommages dirigée contre une bande indienne ou son conseil[18].

4.2 Le titulaire des droits découlant d'un permis de pêche

[51]        L'appelante prétend qu'elle pouvait négocier l'achat des crevettes en toute légalité avec M. Genest puisque ce dernier était le titulaire du permis de pêche pertinent pour la saison 2005.

[52]        Cet argument ne résiste pas à l'analyse. D'abord, il n'est pas cohérent avec la position de l'appelante concernant l'intérêt juridique nécessaire à la poursuite judiciaire. Je rappelle, à cet égard, que l'appelante a plaidé que le droit d'action appartient à la Première Nation à titre de propriétaire de la ressource.

[53]        Ensuite, l'examen des permis de pêche délivrés pour l'année 2005 indique que c'est la Première Nation qui en est détentrice :

Le présent permis est délivré en vertu de la Loi sur les pêches et de l'article 4 du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. L'autorisation de pêcher en vertu du présent permis est valide à partir de la date de délivrance et expirera le 31 DECEMBRE 2005.

Le présent permis confère à la Première Nation Malécites de Viger, sous réserve de la Loi sur les pêches et des règlements connexes, l'autorisation de pêcher conformément aux conditions ci-après mentionnées.

[…]

Espèce

Le présent permis autorise la capture de l'espèce suivante :

> Crevette dans les zones ANTICOSTl, ESTUAIRE ET SEPT-ILES, groupe B.[19]

[54]        Certes, les permis sont signés par M. Genest à l'endroit désigné pour accueillir « la signature du détenteur de permis »[20], mais il est manifeste que cette signature est celle d'un représentant autorisé de la Première Nation et qu'elle ne lui confère aucun droit de propriété.

[55]        Enfin, l'entente de pêche intervenue avec Pêches et Océans Canada, qui vise à déterminer l'accès à la pêche commerciale, n'a pas été conclue avec M. Genest, mais avec la Première Nation elle-même[21]. D'ailleurs, selon le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones précité, ce type de permis ne peut être octroyé qu'à une organisation autochtone.

[56]        Par conséquent, l'appelante est malvenue de soutenir qu'en faisant affaire avec M. Genest, elle a transigé avec le détenteur légitime des permis de pêche.

4.3 Le mandat apparent

[57]        L'appelante avance que le juge a erré en concluant qu'elle n'avait pas valablement contracté avec l'intimé, ou la Première Nation, pour l'achat des crevettes. Le juge a refusé d'appliquer la théorie du mandat apparent à un contrat impliquant une bande indienne. L'appelante prétend que la jurisprudence récente a répudié l'approche formaliste avalisée par le juge. Elle propose que l'obtention d'une résolution formelle de l'intimé, autorisant la conclusion du contrat pour la vente des crevettes appartenant à la Première Nation, ne constituait pas une exigence obligatoire.

[58]        L'article 2(3) de la Loi sur les Indiens prévoit que, pour être valides, les actes du conseil de bande doivent être approuvés par la majorité des conseillers présents lors d'une réunion du conseil :

2. […]

(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

2. […]

(3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

[Je souligne]

[59]        Cette disposition a été commentée par la Cour supérieure dans Isolation Sept-Îles inc. c. Bande des Montagnais de Sept-Îles[22]. Dans cette affaire, une société commerciale oeuvrant dans le domaine de l'isolation poursuivait une bande indienne en exécution d'un contrat conclu avec l'un des membres du conseil de bande, et cela, en l'absence d'une résolution du conseil. Faisant un parallèle avec l'approche de la théorie du mandat apparent en droit municipal, la juge Tourigny écrit :

Il ne semble donc pas faire de doute qu'en matière municipale comme en matière scolaire d'ailleurs les formalités imposées par la loi sont une condition sine qua non à la validité d'un contrat et qu'il ne saurait être question d'appliquer en ces matières la théorie de droit civil relative au mandat apparent.

Peut-on appliquer ces principes aux bandes indiennes? On a, à maintes reprises dans le passé, assimilé le fonctionnement et les pouvoirs du conseil d'une bande indienne et de cette bande à ceux d'un conseil municipal ou scolaire et d'une municipalité ou d'une commission scolaire.

[…]

D'autre part, si les tribunaux ont été unanimes à sanctionner l'inobservance des formalités prévues en matière municipale et scolaire, c'est parce qu'il s'agit là de pouvoirs délégués par le Parlement au bénéfice et dans l'intérêt des citoyens et que ces pouvoirs délégués ne peuvent s'exercer que dans le cadre strict qui leur est imposé par la loi.

Les conseils de bandes indiennes tirent leurs pouvoirs de la même source, et c'est par voie de délégations faites en vertu de la Loi sur les Indiens qu'ils sont habilités à agir dans des cas et selon des modalités qui y sont prévues.

Le paragraphe 2(3) de cette loi indique clairement la nécessité du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée autrement, "un pouvoir conféré au conseil d'une bande est censé ne pas être exercé." De plus, les autorisations prévues aux articles 64 et 66 qui doivent être données par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, pour ce qui est de la dépense des deniers, sont également une formalité essentielle.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal en vient donc à la conclusion que les prescriptions de la Loi sur les Indiens n'ont pas été respectées et que, partant, le conseil de bande ou la bande ne peuvent être recherchés pour le paiement de sommes qu'ils n'ont jamais autorisées.[23]

[60]        Ce sont les principes dégagés dans l'affaire précitée qui ont amené le juge d'instance à affirmer :

[71]            Si nous appliquons les principes de l'affaire Isolation Sept-Iles inc. et les autres jurisprudences qui gravitent autour de cette décision, le conseil de bande ne peut réclamer le prix des crustacés vendus à E. Gagnon et Fils ltée et Crevette du Nord Atlantique inc. sur la base d'une responsabilité contractuelle, il n'y a jamais eu de contrat entre le demandeur et ces transformateurs.

[61]        Ce formalisme a-t-il été assoupli ?

[62]        Certains jugements apportent des nuances. Leur approche, plus libérale, prend appui sur le texte de l'article 2(3) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit implicitement que l'absence de résolution n'est pas toujours fatale. Le texte a, en effet, temporisé la règle par l'ajout des mots « Sauf indication contraire du contexte ». Cela signifie que le contexte peut indiquer, par exemple, que le conseil de bande a ratifié un contrat conclu sans résolution préalable[24].

4.4 Le régime de responsabilité applicable

[63]        En principe, l'appelante ne pouvait acheter les crevettes que de la Première Nation, puisque c'est elle qui était propriétaire de la ressource. Pour être valable, le contrat devait être autorisé par une résolution spécifique de l'intimé. Il est acquis qu'une telle résolution n'a pas été adoptée. Mais, il y a lieu de se demander s'il y a eu ratification du contrat intervenu entre l'appelante et M. Genest.

[64]        Selon l'intimé, l'appelante savait qu'elle ne transigeait pas avec la bonne personne. Une première mise en demeure mettait sérieusement en garde l'appelante et la prévenait du risque qu'elle soit tenue de payer deux fois la ressource si elle payait une personne autre que la Première Nation :

Nous vous avisons par la présente que les paiements pour les crevettes pêchées pour la Première Nation Malécite de Viger doivent être parvenus au bureau administratif par chèque au nom de la Première Nation.

De plus, soyez avisés que le conseil effectuera le versement des payes des pêcheurs via son administration interne.

Aucun paiement ou transfert bancaire à une autre personne directement ou indirectement ne sera toléré. Que ce soit au Grand Chef de la Première Nation ou à d'autres personnes.

Advenant le cas où vous ne respectiez pas ces instructions du conseil, nous ferons en sorte que vous serez tenu responsable des dommages que la Première Nation pourrait subir.[25] 

[Je souligne]

[65]        Il y a deux mises en demeure portant la même date, soit le 4 avril 2005. L'une est signée par deux chefs conseillers et l'autre par les quatre chefs conseillers. Selon la preuve, c'est celle portant deux signatures qui a été portée à l'attention de l'appelante. La connaissance de l'appelante n'est pas pertinente. C'est l'existence de la volonté des quatre chefs à cette date qui importe.

[66]        Le 14 juin 2005, une deuxième mise en demeure est transmise à l'appelante par l'avocat de l'intimé. Il réclame, encore une fois, le paiement des sommes liées à l'achat des crevettes :

Le Conseil vous somme de transmettre toutes sommes provenant de l'achat des prises de crevette déduction faites des salaires des capitaines, des pêcheurs et des fournisseurs, sans délai par chèque tiré à l'ordre du Conseil de bande de la Première Nation Malécite de Viger expédié au centre administratif situé au 112. rue de la Grève à Cacouna.

Aucun paiement ou transfert bancaire dans quelque compte que ce soit à une autre personne directement ou indirectement ne sera toléré que ce soit au Grand Chef de la Première Nation ou à d'autres personnes. Les salaires et/ou avances versés ou à être versées à différentes personnes à la demande de Jean Genest et/ou toute personne sous ses ordres doivent cesser immédiatement.[26]

[67]        Les membres du conseil de bande n'ont donc pas voulu ni requis la nullité du contrat conclu avec l'appelante. Ils n'ont pas, non plus, demandé à l'appelante de cesser de prendre livraison des crevettes. Ils ont plutôt réclamé que cette dernière paye le prix des crevettes à la Première Nation, indépendamment de ce qu'elle avait déjà payé aux mis en cause pour la même ressource.

[68]        Peut-on en déduire que l'intimé a ratifié le contrat avec l'appelante ? Le juge d'instance ne traite pas de cette possibilité.

[69]        Dans la jurisprudence rendue en matière municipale, différentes situations ont amené les tribunaux à conclure que, malgré l'absence d'une résolution formelle du conseil municipal, un contrat conclu avec un tiers est valide s'il est ratifié[27].

[70]        Quelques jugements rendus en matière de droit autochtone traitent également de la question de la ratification. Dans Heron Seismic Services Ltd. v. Muscowpetung Indian Band[28], la Cour d'appel de Saskatchewan a confirmé un jugement de première instance qui, se fondant sur le jugement Isolation Sept-Îles inc. précité, a conclu que, même si une bande avait effectué des paiements partiels pour un contrat, cela n'était pas suffisant pour remplir les prescriptions de l'article 2(3) de la Loi sur les Indiens et que le contrat devait être considéré comme nul.

[71]        Dans Plomberie Octave Roy & Fils inc. c. Conseil des Innus de Pessamit[29], le juge Francoeur de la Cour supérieure a considéré qu'une demande du conseil de bande adressée au « cocontractant » de lui fournir l'ensemble des factures encore dues pour qu'il soit en mesure de lui faire une offre de règlement constituait un geste de ratification.

[72]        Dans Basque c. Bande Indienne de Woodstock[30], la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a estimé qu'un contrat conclu avec un constructeur avait été ratifié par le conseil de bande et était donc valide malgré l'absence de résolution. Cette ratification résultait du fait que le conseil de bande avait fait une demande de subvention auprès du ministère des Affaires indiennes pour le paiement des factures du constructeur. Je précise que, dans cette affaire, le conseil de bande avait antérieurement adopté une résolution mandatant le chef de bande pour négocier avec le constructeur en prévision de la conclusion de ce contrat.

[73]        Dans McDonough v. Maliseet First Nation at Tobique, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a conclu à la ratification d'un contrat par un conseil de bande. La juge Garnett a énuméré les facteurs considérés pour arriver à cette décision :


 

[17] En l'espèce, j'admets la preuve suivante :

1.  Le conseil a autorisé le chef à négocier des contrats avec McDonough.

2.  Le conseil était au courant de l'existence des contrats et ne s'y est pas opposé.

3.  La bande a payé McDonough jusqu'à la fin août 1996, conformément aux modalités du contrat. (Pièce J-1, page 20.)

4.  La bande n'adoptait pas habituellement de Résolutions du conseil de bande (RCB) dans la conduite de ses affaires, sauf lorsque les contrats se rapportaient à des biens réels ou au financement du fédéral.

5.  La bande a mis fin au contrat pour cause de difficultés financières et non en raison du rendement au travail de McDonough.

 

17  In this case there is evidence which I accept that:

1.  the Council authorized the Chief to negotiate contracts with McDonough;

2.  the Council was aware of the existence of the contracts and did not object to them;

3.  the Band paid McDonough to the end of August 1996 in accordance with the contractual terms (Exhibit J-1, page 20);

4.  the Band did not normally pass Band Council Resolutions (BCR's) in conducting its business except when contracts related to land or federal funding;

 

5.  the Band terminated the contract because of financial difficulties not because of McDonough's performance.[31]

 

[74]        En l'espèce, il était difficile, voire impossible, pour l'intimé de renier l'entente intervenue entre M. Genest et l'appelante, compte tenu de l'importance des revenus de la pêche pour le fonctionnement de la Première Nation et de la courte durée de la saison de pêche. C'est sans doute pour cette raison que l'intimé a décidé de continuer à faire affaire avec l'appelante pour la saison 2005 en lui rappelant cependant que les paiements devaient être faits à la Première Nation.

[75]        Les deux mises en demeure constituent ici une ratification du contrat confié à l'appelante. En effet, il faut d'abord reconnaître qu'elles expriment la volonté de la majorité des membres de l'intimé. Il importe aussi de noter qu'elles approuvent la poursuite des activités de l'appelante pour l'approvisionnement des crevettes de la Première Nation. L'intimé n'a pas requis la cessation des activités de l'appelante, bien au contraire. C'est donc la responsabilité contractuelle qui est la source du recours de l'intimé contre l'appelante.

4.5 La qualification de la faute de l'appelante

[76]        L'intimé prétend que le juge d'instance a omis de déclarer que la faute de l'appelante consistait à avoir posé des gestes qui ont permis la prise de contrôle de la Première Nation par M. Genest, ce qui a eu pour effet d'empêcher l'intimé d'exercer sa fonction.

[77]        Selon l'appréciation de la preuve retenue par le juge d'instance, l'intimé n'a pas établi que l'appelante a collaboré à la prise de contrôle de la Première Nation par M. Genest. L'appelante a sans doute été négligente, notamment en ne requérant pas d'avis juridique lorsqu'elle a reçu les mises en demeure et les jugements de la Cour fédérale, avant de décider de sa conduite subséquente. Néanmoins, cette insouciance ou ce manque de rigueur n'ont pas été considérés par le juge de première instance comme un acte de collaboration active de l'appelante avec l'administration de M. Genest, dans le but de permettre à ce dernier de prendre le contrôle des activités de la Première Nation. Le juge conclut que l'appelante s'est conduite comme si le Conseil de bande n'existait pas. L'intimé n'a pas établi que cette conclusion du juge repose sur une erreur manifeste et dominante dans l'appréciation de la preuve.

[78]        La faute de l'appelante consiste à avoir versé le prix des crevettes à M. Genest plutôt qu'à la Première Nation qui en était propriétaire, malgré les mises en demeure de l'intimé. L'appelante a donc contrevenu à l'article 1557 C.c.Q. Son paiement n'a pas été libératoire, sauf pour la partie dont la Première Nation a profité :

 

1557. Le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui.

S'il est fait à un tiers, il est valable si le créancier le ratifie; à défaut de ratification, il ne vaut que dans la mesure où le créancier en a profité .[32]

 

1557. Payment shall be made to the creditor or to the person authorized to receive it for him.

Payment made to a third person is valid if the creditor ratifies it; if it is not ratified, the payment is valid only to the extent that it benefits the creditor.

 

4.6 La responsabilité de l'appelante pour les dommages à la réputation, l'interruption des affaires et la perte d'opportunités

[79]        Je rappelle que le juge de première instance a condamné l'appelante et les mis en cause à 150 000 $ pour ce chef de réclamation.

[80]        L'appelante avance que le juge n'explique pas les raisons qui lui ont permis de retenir sa responsabilité, ce qui est contraire à l'article 417 C.p.c. De plus, elle fait valoir que la preuve n'a pas établi l'existence de faits qui démontrent qu'elle a causé un dommage à la réputation de l'intimé, qu'elle a provoqué une interruption d'affaires, ou encore, une perte d'opportunités.

[81]        L'appelante plaide que, non seulement elle n'a pas diffamé l'intimé, mais, au contraire, elle a contribué à maintenir sa réputation en payant plusieurs salariés et fournisseurs au nom de la Première Nation.

[82]        De plus, l'appelante fait valoir que le montant retenu par le juge dépasse largement la fourchette des dommages moraux pour atteinte à la réputation généralement octroyés pour une personne morale, qui oscille entre 10 000 $ et 25 000 $.

[83]        Enfin, pour être condamnée pour la perte d'opportunités et l'interruption des affaires, l'appelante plaide qu'il aurait fallu connaître la perte réellement encourue par l'intimé, ce qui n'a pas été prouvé en première instance.

[84]        Le reproche de l'appelante concerne le lien de causalité entre sa faute, soit le paiement des crevettes à M. Genest plutôt qu'à la Première Nation, et les dommages pour l'atteinte à la réputation, l'interruption des affaires et la perte d'opportunités que l'intimé réclame. Le juge a accordé 150 000 $ pour les raisons suivantes :

[210]      Les documents comptables pour l'année financière se terminant le 31 mars 2006 ne sont donc pas complets ni conformes puisque les états financiers de la PNMV ne sont ni consolidés et la mission d'examen pour l'une des filiales n'a pas été préparée.  Ni le MAINC, ni un banquier, ni toute personne qui analyse la situation financière de la PNMV ne peut avoir une vue globale et totale de la situation.

[211]      Les défendeurs n'ont pas poussé plus loin leur investigation sur ce sujet de telle sorte que nous ignorons pourquoi le travail de vérification n'a pas été complété dans son entier bien que nous sachions que Société de développement Wulustuk inc. a joué un certain rôle lors de la crise.  Mais lequel?  Dans le présent dossier, nous ne sommes pas en présence d'un groupe de personnes qui s'accapare sans autorisation de la ressource maritime d'un tiers mais d'un conflit majeur entre deux factions d'une même bande indienne qui se font une lutte de pouvoir depuis fort longtemps et il aurait été opportun de connaître toute la situation financière de la PNMV au 31 mars 2006.

[212]      Pour le projet Crabiers du Nord, nous savons que tous les documents légaux et corporatifs devaient être signés avant l'ouverture de la pêche le 1er avril 2005 mais nous ignorons si cette entreprise a été mise sur pied par les autres communautés autochtones et si elle a été rentable.

[213]      L'achat de bateaux neufs, l'acquisition de nouveaux permis de pêche, le projet récréotouristique sont des projets et la partie demanderesse ne peut évaluer ses dommages.  Pierre Nicolas confirme qu'il ne peut évaluer les dommages suite au dévoilement prématuré du projet récréotouristique mais il avance des millions de perte. Il aurait fallu faire une preuve plus complète car rien ne démontre que ce projet ne peut plus se réaliser.

[214]      Le Tribunal retient cependant que le conseil de bande, qui est l'organisme de gestion de la PNMV reconnu par la Loi sur les Indiens, n'a pu gérer ses ressources pendant près d'un an, la crise dans son ensemble a créé des tensions mais surtout à miner la crédibilité de la bande.  Usant de sa discrétion judiciaire et en tenant compte qu'il s'agit d'un litige entre deux groupes d'une même bande dont les deux protagonistes les chefs conseillers et le grand chef ont été élus par leurs membres, le Tribunal accorde pour l'ensemble de ces dommages un montant de 150 000 $.

[215]      En résumé, les défendeurs doivent payer au demandeur les montants suivants :

[…]

5.         150 000 $ pour dommages à la réputation, interruption d'affaires et  perte d'opportunités.

[Je souligne]

[85]        À la lecture de ce passage, il faut convenir avec l'appelante que le juge d'instance n'explique pas les raisons pour lesquelles il retient sa responsabilité relativement à ce chef de dommages. Les commentaires généraux du juge quant à sa faute donnent néanmoins un certain éclairage :

[83]            Crevette du Nord s'est conduite comme si le conseil de bande n'existait pas.  Il ne pouvait ignorer que le demandeur avait décidé, à la fin de la saison 2004, de reprendre toute la gestion de la pêche à la crevette.  Or, il a préféré obéir aux instructions de Jean Genest, de payer les pêcheurs et certains fournisseurs et de remettre le solde dans les comptes bancaires de Jean Genest et de ses acolytes sachant, faut-il le rappeler, que la ressource était la propriété d'un tiers, la PNMV.

[86]        Les dommages accordés sont-ils directement liés à la faute de l'appelante ? Il est bien établi dans la jurisprudence que l'appréciation de l'existence du lien de causalité est une question de fait et que seule une erreur manifeste et dominante peut justifier l'intervention de la Cour :

104    L’attribution d’une faute comporte l’application à un ensemble de faits des normes de comportement prescrites par des règles de droit.  Cela en fait évidemment une question mixte de droit et de fait.  Par contre, dans la détermination de la causalité, on examine si quelque chose s’est produit entre la faute et le préjudice subi qui puisse établir un lien entre les deux.  Ce lien doit être juridiquement important au niveau de la preuve, mais il ne s’agit pas moins d’une question de fait.[33]

[87]        Le Code civil du Québec prévoit les règles concernant l'indemnisation du préjudice :

1607. Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.

[…]

1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et qu'il est susceptible d'être évalué.

[…]

1613. En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution

[Je souligne]

1607. The creditor is entitled to damages for bodily, moral or material injury which is an immediate and direct consequence of the debtor's default.

[…]

1611. The damages due to the creditor compensate for the amount of the loss he has sustained and the profit of which he has been deprived.

Future injury which is certain and able to be assessed is taken into account in awarding damages.

[…]

1613. In contractual matters, the debtor is liable only for damages that were foreseen or foreseeable at the time the obligation was contracted, where the failure to perform the obligation does not proceed from intentional or gross fault on his part; even then, the damages include only what is an immediate and direct consequence of the nonperformance.

 

[88]        Le dommage doit donc être direct, immédiat, prévisible et certain pour être indemnisé. Les auteurs Baudouin et Deslauriers indiquent qu'en se prononçant sur cette question le tribunal se trouve en quelque sorte à déterminer l'existence d'un lien causal entre la faute et le dommage[34]. Les auteurs décrivent le lien de causalité qui doit exister pour qu'on puisse identifier le dommage immédiat et direct de la façon suivante :

1-1293 -Analyse - L'article 1607 C.c. prévoit que le débiteur n'est tenu que des dommages qui constituent une suite immédiate et directe de l'inexécution. Le législateur a simplement voulu affirmer ainsi la nécessité d'un lien de causalité étroit entre la faute et le dommage et éviter que le débiteur ne soit tenu des conséquences et des effets éloignés de sa faute en éliminant le « dommage par ricochet ». Seul donc le préjudice qui résulte directement de l'inexécution de l'obligation peut être compensé. […]

[89]        En ce qui concerne la prévisibilité de dommage, les auteurs ajoutent :

1-1295 -Analyse - La condition de prévisibilité des dommages en matière contractuelle se fonde sur la volonté présumée des parties. Celles-ci, ayant pu, lors de la formation du contrat, fixer exactement le contenu de leur engagement, étaient également en mesure de prévoir l'étendue des conséquences d'une inexécution future. Elle confirme indirectement le principe de la responsabilité basée sur la faute et non simplement sur le risque. La prévisibilité doit donc s'apprécier au jour où le contrat a été conclu et par application d'un critère abstrait : quels sont les dommages qu'un contractant raisonnablement prudent et diligent pouvait prévoir dans les circonstances ? Il est normal que l'indemnisation ne puisse fluctuer considérablement selon les facteurs extérieurs, c'est-à-dire les événements et les changements de situation postérieurs à la conclusion de l'engagement, dont les parties ne pouvaient envisager la survenance et sur lesquels elles n'ont aucune prise. […][35]

[90]        Le fait que l'appelante a commis une faute, en payant les crevettes à M. Genest plutôt qu'à l'intimé, n'entraîne pas qu'elle est responsable de tous les maux engendrés par le conflit opposant l'intimé et M. Genest. Pour reprendre les termes du juge d'instance : « [d]ans le présent dossier, nous ne sommes pas en présence d'un groupe de personnes qui s'accapare sans autorisation de la ressource maritime d'un tiers mais d'un conflit majeur entre deux factions d'une même bande indienne qui se font une lutte de pouvoir depuis fort longtemps […] »[36].

[91]        Le juge retient tout de même la responsabilité de l'appelante puisque « la crise dans son ensemble a créé des tensions mais surtout a miné la crédibilité de la bande »[37]. À mon avis et avec les plus grands égards pour le juge d'instance, il a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l'appelante était responsable du dommage subi par l'intimé à sa réputation, pour l'interruption des affaires et pour perte d'opportunités. Le dommage subi par l'intimé n'a pas ce lien direct avec la faute de l'appelante comme l'exigent le Code civil du Québec, la doctrine et la jurisprudence.

[92]        En effet, c'est la mauvaise administration de M. Genest ainsi que le conflit entre deux factions de la Première Nation qui ont terni la réputation de celle-ci et non le fait que l'appelante a effectué son paiement à la mauvaise personne. Pour reprendre les propos des auteurs Baudouin et Deslauriers, le préjudice qu'a subi l'intimé n'est pas la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Cela est d'autant plus vrai que le conflit a duré près d'un an et la saison de pêche quelques mois seulement. Sans une gestion défaillante des affaires de la Première Nation sous l'administration de M. Genest et sans le conflit entre deux groupes, la faute de l'appelante n'aurait pu, à elle seule, causer le préjudice.

[93]        Comme l'indique le juge Robert dans Chouinard c. Robbins, il faut rechercher un rapport intime entre la faute et le dommage pour déterminer la causalité :

[33]           Il me paraît clair que la recherche de la causalité adéquate (et non immédiate) consiste à séparer la cause véritable des simples circonstances ou occasions du dommage.[38]

[94]        La conclusion aurait pu être différente si l'intimé avait prouvé la concertation et les manigances entre les mis en cause et l'appelante pour nuire à l'intimé que ce soit en ternissant sa réputation ou en l'empêchant de conclure de nouvelles affaires. L'appelante aurait de ce fait participé à la faute des mis en cause et ainsi contribué à la prise de contrôle illégale de la Première Nation par M. Genest, tel que l'allègue l'intimé. Or, il n'en est rien. Le juge d'instance insiste d'ailleurs dans ses motifs pour dire que le litige concerne d'abord et avant tout deux factions rivales de la même bande.

[95]        Le moyen d'appel doit être accueilli.

[96]        Il y a lieu de modifier le dispositif du jugement entrepris pour retrancher cette condamnation contre l'appelante.


4.7 La responsabilité de l'appelante pour les comptes accumulés pendant l'administration de M. Genest

[97]        Comme je l'ai déjà indiqué, le juge de première instance a tenu l'appelante responsable des comptes à payer accumulés sous l'administration de M. Genest (420 189 $) que l'intimé doit acquitter, dit-il, pour maintenir la réputation et les relations d'affaires de la Première Nation.

[98]        À titre d'argument principal, l'appelante plaide que, dans ses procédures, l'intimé n'a jamais requis sa condamnation au paiement des comptes à payer qui auraient pu être accumulés durant l'administration de M. Genest. Dans les conclusions de la requête introductive d'instance, ce chef de réclamation ne visait que M. Genest. Ce n'est que dans un tableau des réclamations, déposé le jour précédant les plaidoiries, que ce poste apparaît sous le nom de l'appelante, sans qu'aucun amendement n'ait été requis par l'intimé ni permis par le juge.

[99]        De manière subsidiaire, l'appelante soutient qu'il y a absence de lien de causalité entre le dommage subi par l'intimé et la faute qu'elle aurait commise, s'il en est. Elle ne peut pas être tenue responsable des engagements qui auraient été contractés par M. Genest sur lesquels elle n'avait aucun contrôle et dont elle ignorait l'existence.

[100]     Il appert de la dernière requête introductive d'instance amendée de l'intimé[39] que l'appelante n'était pas visée par le chef de réclamation concernant les comptes à payer accumulés pendant l'administration de M. Genest. Seul ce dernier l'était.

[101]     Le juge condamne néanmoins l'appelante à payer à l'intimé une somme de 420 188,80 $ solidairement avec les mis en cause, ce montant représentant les comptes à payer accumulés par l'administration de M. Genest. Il s'explique ainsi :

[174]      La responsabilité de ce montant repose sur tous les défendeurs, cette réclamation est directement liée à l'exploitation de la pêche.  E. Gagnon et Fils ltée et Crevette du Nord Atlantique inc., malgré les mises en demeure et les avis reçus, ont préféré payer l'administration Genest plutôt que les propriétaires de la ressource de crabe et de crevette.  Ils doivent en supporter les conséquences sous réserve de l'entente intervenue avec E. Gagnon et Fils ltée.

[Je souligne]

[102]     Préalablement à ses commentaires sur les dommages réclamés par l'intimé à ce chapitre, le juge indique qu'un tableau des réclamations a été produit par l'avocat de l'intimé et qu'il a été annexé au jugement dont appel. Ce tableau a été déposé le 3 mars 2008, soit la journée précédant les plaidoiries. L'avocat de l'intimé l'a présenté comme un tableau synthèse :

Me PAUL-YVAN MARTIN

procureur du demandeur :

Et l'autre chose que je voulais peut-être vous remettre maintenant, avant la pause, c'est que la difficulté qu'on a eue là-dedans, c'est de concilier les montants qui ont été assumés par le séquestre puis qui font l'objet d'une réclamation avec les montants qui sont indiqués dans la demande, c'est-à-dire dans la requête introductive d'instance. Il y a une énumération de montants et le défi, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de double réclamation. Et c'est pour ça qu'il y a eu une valse-hésitation entre tout le monde, parce qu'on n'avait pas la certitude... Et ça apparaît... C'est assez compliqué, parce que chaque montant qui est dans la réclamation résulte d'un état et les montants qui sont dans le document que le séquestre vous a produit, dans certains cas, c'est aussi des états, des sommations. Et là, il fallait être sûr qu'il n'y avait pas de double réclamation. Alors, je peux peut-être vous remettre, avant la pause, les documents en question.

[…]

Oui. Bien, dans un premier temps, il y a notre requête introductive d'instance avec les numéros d'articles et la réclamation... chaque montant réclamé.[40]

[103]     Le jour suivant, soit le 4 mars 2008, l'avocat de l'intimé a ajouté les commentaires suivants :

Me PAUL-YVAN MARTIN :

Oui, mais il y a eu des petites corrections, parce que le montant des charges partagées entre les deux parties, c'est-à-dire entre le Conseil de bande et l'administration de monsieur Genest, ayant un peu changé suite au réexamen par tous les experts hier, il a fallu changer le total réclamé. Et j'ai aussi, dans le tableau que je vous ai remis, préparé le résultat total. Juste pour vous expliquer, j'ai indiqué les sous-totaux, premièrement, les sous-totaux pour chaque groupe de défendeurs. Donc, c'est deux millions huit cent mille... huit cent deux mille (2 802 000 $), en fait, pour l'ensemble des défendeurs. Après ça, il y a trois cent vingt-huit mille... trois cent vingt-neuf mille(329 000 $) pour les défendeurs Genest, Jenniss et Rioux, et cinquante-cinq mille (55 000 $) pour le défendeur Jean Genest. Maintenant, si on fait le cumul, parce qu'ils sont solidaires, ce que ça nous donne, c'est, donc, deux millions huit cent mille (2 800 000 $) pour l'ensemble. Dans le cas de monsieur Genest, Jenniss et Rioux, eux autres, ça monte à trois millions (3 000 000 $), il faut faire le total de deux millions huit cent mille (2 800 000 $) plus trois cent vingt-huit mille (328 000 $). Et dans le cas de Jean Genest, il faut faire le total des trois chiffres, c'est-à-dire deux millions huit cent mille (2 800 000 $) plus trois cent vingt-huit (328 000 $) plus cinquante-cinq mille (55 000 $), ça fait trois millions deux cent mille (3 200 000 $). Ça fait que ça, c'est l'obligation fiduciaire, à notre avis... excusez, l'obligation solidaire, à notre avis, de chacune des parties.[41]

[Je souligne]

[104]     Dans ce tableau, les dettes accumulées sous l'administration de M. Genest sont imputées à l'appelante et aux mis en cause[42] :

Paragr.

Description

Crevettes du Nord inc., J Genest, A Jenniss, M Rioux

Solidairement

J Genest, A Jenniss, M Rioux

 

Solidairement

Jean Genest

108 (C,D)

60 (M à R)

106 (E)

- Engagements et obligations contractées par l'administration Genest, excluant les engagements ceux payés par lui (Montant établis par le séquestre Michel Landry c.a., à P-72 amendée)

- Ces engagements incluent le montant des retenues à la source sur les salaires de l'Administration Genest (60 M à R), que le séquestre a du payer malgré l'absence de consentement du conseil de bande.

420 189 $

 

 

[reproduction intégrale]

[105]     Le montant réclamé est donc passé de 483 344 $, selon la requête introductive d'instance amendée du 15 novembre 2007, à 420 189 $. L'intimé avait d'ailleurs indiqué dans sa requête du 15 novembre 2007 que la somme réclamée était à parfaire. Une deuxième constatation s'impose : les comptes accumulés à payer n'étaient plus réclamés uniquement à M. Genest, mais ils l'étaient également à l'appelante et aux mises en cause Jenniss et Rioux solidairement.

[106]     Cette modification nécessitait un amendement à la requête introductive d'instance. Sans amendement, il faut conclure que le juge a jugé ultra petita. Pour pallier cette lacune, l'intimé allègue que le tableau doit être considéré comme un amendement à sa requête introductive d'instance. Il a tort.

[107]     En effet, tel qu'il appert du procès-verbal d'audience du 3 mars 2008[43] et de la lecture des notes sténographiques, il n'est pas possible de soutenir qu'il s'agissait d'un amendement formel à l'action de l'intimé. Au contraire, le tableau des réclamations a plutôt été présenté comme un outil de travail pour aider le juge d'instance dans la rédaction de son jugement. Par conséquent, il ne visait pas à modifier la requête introductive d'instance et il ne peut pas être considéré comme une demande formelle d'amendement.

[108]     Même si le tableau avait pu être considéré comme une demande implicite de permission d'amender, j'estime que le juge n'aurait pas pu l'accorder, en l'espèce. L'amendement d'un acte de procédure est permis en tout temps avant jugement « en autant que l'amendement n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire »[44]. Dans Gestion immobilière André Ledoux inc. c. Laplante, la Cour rappelait que :

Un élément essentiel de cet intérêt de la justice est la préservation de l'équilibre des droits des parties.  Dans l'espèce, l'amendement soumis le matin de l'instruction seulement laisserait les intimés dans une position difficile pour se défendre.[45] 

[Je souligne]

[109]     Le fait de reconnaître en appel, qu'il y a eu amendement implicite à ce stade du procès, juste au moment des plaidoiries sans aucune mention que l'intimé corrigeait son tir, aurait comme effet de briser l'équilibre entre les parties puisque l'appelante n'a pas pu faire valoir ses moyens de défense relativement à ces allégations.

[110]     De manière subsidiaire, je suis d'avis que, même si l'amendement avait été requis et autorisé, l'appelante n'aurait pas pu être tenue responsable des comptes accumulés sous l'administration de M. Genest.

[111]     Ces dommages n'ont pas ce caractère direct, immédiat et prévisible exigé par le Code civil du Québec. La cause du dommage subi par l'intimé au chapitre des comptes accumulés réside dans la gestion déficiente de M. Genest. Si ce dernier avait géré avec diligence et savoir-faire les biens de la Première Nation, aucun dommage n'aurait été encouru. Le dommage n'est pas la conséquence directe et logique de la faute de l'appelante.

[112]     Par conséquent, ce moyen d'appel doit être accueilli.

[113]     Il y a lieu de modifier le dispositif du jugement entrepris pour retrancher cette condamnation contre l'appelante.

4.8 La responsabilité pour les honoraires et les débours du vérificateur, de la juricomptable et du séquestre judiciaire

[114]     L'appelante plaide qu'elle ne peut pas être condamnée aux honoraires du vérificateur, de la juricomptable et du séquestre judiciaire.

[115]     D'abord, quant au vérificateur, elle soutient qu'il a été engagé afin de préparer la reddition de comptes de l'administration de M. Genest, à l'égard de laquelle elle n'a aucune responsabilité. D'ailleurs, les frais relatifs à la préparation des états financiers de 2004-2005 ne peuvent lui être opposables puisque la saison de pêche a débuté le 1er avril 2005.

[116]     Il en serait de même pour les honoraires de la juricomptable. Ceux-ci, écrit l'appelante, ont été rendus nécessaires en raison de la complexité de la reconstitution de la comptabilité de l'administration de M. Genest et des paiements que ce dernier a faits en numéraire. Les versements effectués par l'appelante étaient connus et ils ont nécessité un travail peu important de la part de la juricomptable.

[117]     L'appelante plaide que le séquestre judiciaire, en tant que mesure provisionnelle, ne profite qu'aux éventuels propriétaires du bien. En conséquence, rien ne justifie la condamnation d'un tiers à payer les coûts liés à l'administration de biens que ce dernier ne revendique pas. Dans ce contexte, le juge aurait erré en condamnant l'appelante aux dépens liés au séquestre judiciaire. Même si la Cour concluait qu'elle en est responsable, l'appelante propose que le débat quant à la hauteur de ces honoraires doit se faire au moment de la taxation du mémoire de frais et non au stade de l'appel.

[118]     Quant à l'intimé, il plaide que le juge a commis une erreur en ne condamnant pas l'appelante à lui payer 64 795 $ déboursés pour confectionner les redditions de comptes de M. Genest.

[119]     Je propose d'analyser ces moyens d'appel sous les quatre rubriques suivantes.

4.8.1 Les honoraires du vérificateur

[120]     Le juge a condamné l'appelante et les mis en cause au paiement des coûts excédentaires de vérification pour la confection des états financiers 2004-2005 et 2005-2006 de la Première Nation. Il a retranché de la somme initialement réclamée (244 756 $) le coût moyen des honoraires payés pour les années 2002-2003 et 2003-2004 pour condamner ceux-ci à 107 410 $.

[121]     Comme je l'ai déjà écrit, l'appelante allègue que ce dommage n'a pas de lien de causalité avec sa faute puisqu'il résulte de la mauvaise gestion et de la comptabilité inadéquate de M. Genest.

[122]     La confection des états financiers de la Première Nation pour 2004-2005 et 2005-2006 a été confiée à Raymond Chabot Grant Thornton par la juge Ouellet dans le cadre d'une requête pour injonction interlocutoire et nomination de séquestre[46]. Dans ce même jugement, la juge Ouellet a donné acte à un engagement de l'appelante de fournir à Raymond Chabot Grant Thornton les pièces justificatives nécessaires à la vérification.

[123]     Pour reprendre les principes exposés ci-devant relativement au caractère direct du dommage et au lien causal, le dommage susceptible d'indemnisation est celui qui est « la conséquence logique, directe et immédiate de la faute »[47]. Il faut donc se demander si, en payant M. Genest plutôt que la Première Nation, l'appelante a lui causé un préjudice et si celui-ci a entraîné des coûts excédentaires pour la fabrication de ses états financiers pour les années 2004-2005 et 2005-2006.

[124]     À mon avis, le juge ne pouvait pas condamner l'appelante au paiement des honoraires relatifs à la confection des états financiers pour la période du 1er avril 2004 au 31 mars 2005, la faute de l'appelante étant postérieure à cette date[48]. L'appelante ne peut donc pas être tenue responsable de l'absence de système et de tenue comptable pour cette période.

[125]     Quant aux états financiers pour 2005-2006, dont la confection a occasionné des coûts excédentaires pour l'intimé de l'ordre de 62 300 $[49], il s'agit d'un dommage indirect. Les coûts excédentaires ne sont pas la conséquence logique de la faute de l'appelante, mais ils sont plutôt attribuables au système de comptabilité déficient de M. Genest. À ce sujet, l'experte juricomptable a noté dans son rapport plusieurs types de transactions problématiques qu'elle a retracées afin de pouvoir déterminer les recettes et débours durant l'administration de M. Genest :

- les transactions hors comptes bancaires, notamment en argent comptant;

- l'absence de pièces justificatives pour plusieurs dépenses;

- les transferts bancaires entre plusieurs comptes au nom des mis en cause.

[126]     Comme l'indiquent les auteurs Baudouin et Deslauriers, un tribunal doit « séparer la cause véritable des simples circonstances ou occasions du dommage »[50]. En l'espèce, le paiement par l'appelante du prix des crevettes à M. Genest a peut-être été une occasion du dommage, mais il n'en est pas la cause.

[127]     Par conséquent, je suis d'avis que ce ne sont pas les paiements effectués par l'appelante qui sont la cause des coûts excédentaires de confection et de vérification des états financiers de l'intimé, mais bien la mauvaise gestion financière et comptable de M. Genest. D'ailleurs, si M. Genest n'avait pas administré les affaires de la Première Nation de façon impropre, les paiements fautifs faits par l'appelante auraient eu une incidence peu significative sur les honoraires des comptables.

4.8.2 Les frais reliés à l'expertise juricomptable

[128]     Toutes les parties ont consenti à la nomination d'un expert juricomptable unique à l'occasion d'une conférence de gestion d'instance devant le juge d'instance[51]. Près de deux mois plus tard, la firme Leclerc Juricomptables a été choisie d'un commun accord par les parties. Conformément à l'article 422 C.p.c., l'expert conserve, pour le recouvrement des frais qui lui sont dus, un recours solidaire contre toutes les parties en cause.

[129]     Le principe qui prévaut en la matière veut que la partie qui succombe soit condamnée aux frais d'expertise, puisque ceux-ci font partie des dépens[52] :

 

477. La partie qui succombe supporte les dépens, frais du sténographe compris, à moins que, par décision motivée, le tribunal ne les mitige, ne les compense ou n'en ordonne autrement.

Le tribunal peut également, par décision motivée, mitiger les dépens relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties, notamment lorsqu'il estime que l'expertise était inutile, que les frais sont déraisonnables ou qu'un seul expert aurait suffi.

[…][53]

477. The losing party must pay all costs, including the costs of the stenographer, unless by decision giving reasons the court reduces or compensates them, or orders otherwise.

As well, the court may, by a decision giving reasons, reduce the costs relating to experts' appraisals requested by the parties, particularly if, in the opinion of the court, there was no need for the appraisal, the costs are unreasonable or a single expert's appraisal would have been sufficient.

[…]

 


[130]     Il est possible, comme l'indique cette disposition, de mitiger les frais d'expertise. Cette décision d'un juge de première instance est discrétionnaire, tel que l'a mentionné cette Cour à de multiples reprises[54]. Dans un arrêt de la Cour suprême, le juge LeBel a affirmé que le caractère discrétionnaire d'une décision relative à l'adjudication des dépens n'empêche pas que celle-ci soit susceptible de révision en appel selon les circonstances :

43    Comme je l’ai fait remarquer dans R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297 , 2002 CSC 12 , toutefois, les décisions discrétionnaires ne sont pas entièrement à l’abri de tout contrôle (par. 118).  Une cour d’appel peut et doit intervenir lorsqu’elle estime que le juge de première instance s’est fondé sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ou a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits.  Comme la Cour l’a dit dans Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801 , p. 814-815, les conditions d’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge constituent des critères juridiques et leur définition, tout comme leur non-application ou leur mauvaise application, pose des questions de droit susceptibles de révision en appel[55].

[Je souligne]

[131]     Le juge d'instance aurait dû user de sa discrétion pour mitiger les frais d'expertise, par exemple, en faisant supporter à chaque partie un certain pourcentage des coûts reliés à celle-ci. Vu le contexte dans lequel les services de l'experte juricomptable ont été retenus dans ce dossier, il y a lieu d'intervenir. Une partie significative de l'expertise visait à déterminer comment les biens de la Première Nation avaient été gérés durant l'administration de M. Genest. L'experte juricomptable a également eu à chiffrer les revenus de pêche ainsi que les paiements effectués par l'appelante au profit de la Première Nation aux pêcheurs ou à ses fournisseurs[56], mais ce travail a été relativement simple par rapport à celui requis pour faire la lumière sur l'administration de M. Genest.

[132]     Je suis d'avis que l'appelante devra supporter 25 % des frais reliés à l'expertise juricomptable, ce qui correspond à la portion du travail nécessité par ses agissements.


4.8.3 Les honoraires du séquestre judiciaire

[133]     Les honoraires du séquestre judiciaire ont été accordés par le juge d'instance à titre de dépens pour les raisons suivantes :

[178]      Le demandeur réclame 47 938,55 $ pour le séquestre administrateur nommé par le MAINC et 285 174,46 $ en remboursement des honoraires à titre de séquestre judiciaire.

[179]      La première réclamation au montant de 47 938,55 $ est rejetée.  Au mois de juillet 2006, le MAINC décide de nommer un séquestre et il retient les services de la même personne nommée par madame la juge Ouellet en janvier 2006.  Sur ce sujet, Nathalie Caron s'exprime ainsi :

« Le ministère des Affaires indiennes a conclu, en juillet 2006, avec monsieur Landry, un second mandat de séquestre, un séquestre administrateur, que moi j'ai pas du tout rapport là-dedans.

Je n'ai jamais vu les factures ou les choses qu'ils ont fait ensemble là.  C'est un mandat entre le séquestre et le ministère des Affaires indiennes. »

[180]      Pour les honoraires à titre de séquestre judiciaire, l'article 750 C.p.c. prévoit que «les frais et la rémunération du séquestre sont taxés par le greffier; ils sont dus solidairement par les parties, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement».

[181]      Le séquestre a été nommé par madame la juge Ouellet pour mettre à l'abri les actifs et les revenus de la PNMV suite à la prise de contrôle des bureaux administratifs par Jean Genest et ses acolytes et dans le but de protéger les revenus de la pêche à venir.

[182]      Tous les défendeurs incluant les transformateurs sont à l'origine de cette ordonnance et ils en sont les seuls responsables.  Les frais et la rémunération du séquestre seront inclus dans le mémoire de frais.

[134]     L'appelante précise que le séquestre judiciaire a été nommé pour protéger les biens de la Première Nation durant l'instance. Elle propose que seules les parties qui revendiquent ces biens peuvent être condamnées au paiement des frais qui y sont reliés. La mise sous séquestre des biens de la Première Nation a été ordonnée par la juge Ouellet, le 11 janvier 2006, à la suite d'une requête de l'intimé[57].

[135]     Les dispositions pertinentes du Code de procédure civile sont les suivantes :

 

742. Le tribunal peut, d'office ou sur demande, ordonner le séquestre d'un bien, lorsqu'il estime que la conservation des droits des parties l'exige.

Le séquestre peut être ordonné par un juge de première instance lorsque la cause a été portée en appel.

[…]

750. Les frais et la rémunération du séquestre sont taxés par le greffier; ils sont dus solidairement par les parties à la contestation, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement.

[Je souligne]

742. The court may of its own motion, or on application, order the sequestration of property when it considers that the protection of the rights of the parties so requires.

Sequestration may be ordered by a trial judge when the case is in appeal.

[…]

750. The costs and the remuneration of the sequestrator are taxed by the clerk; they are due jointly and severally by the parties to the contestation, unless the court otherwise orders.

 

[136]     Le Code civil du Québec définit cette institution de la façon suivante :

2305. Le séquestre est le dépôt par lequel des personnes remettent un bien qu'elles se disputent entre les mains d'une autre personne de leur choix qui s'oblige à ne le restituer qu'à celle qui y aura droit, une fois la contestation terminée.[58]

2305. Sequestration is the deposit by which persons place property over which they are in dispute in the hands of another person chosen by them, who binds himself to restore it, once the issue is decided, to the person who will then be entitled to it.

 

[137]     La nature de cette mesure provisionnelle a été expliquée par le juge LeBel dans l'arrêt Sénécal c. Reid :

Le séquestre joue un rôle de protection temporaire et limitée des intérêts d'une partie pendant une instance. Il est souvent plus approprié lorsqu'un litige est engagé au sujet de biens comme dans cette cause, que des mesures plus draconiennes telles que l'injonction ou la saisie avant jugement surtout lorsqu'il s'agit d'assurer la continuation d'une entreprise active, tout en préservant des droits que l'on prétend en danger.[59]

[138]     Dans un autre arrêt de la Cour, on distingue le séquestre judiciaire de la saisie avant jugement en mettant l'accent sur le fait que le séquestre est une mesure de conservation en attendant une décision de justice en l'attribution du droit de propriété :

C'est ici, à mon avis, que le séquestre judiciaire se distingue nettement de la saisie avant jugement. Cette dernière (art. 733 C.p.c.) répond à la crainte que le recouvrement de la créance ne soit mis en péril. Le séquestre, lui, porte sur le cas où la conservation des droits des parties l'exige (art. 742 C.p.c.). Je renvoie, à cet égard, à la décision de la Cour supérieure dans Entrepôts Frigorifiques Martineau inc. c. Entrepôts Frigorifiques Laberge inc., [1976] C.S. 1351 , et à l'opinion de l'honorable Paul-Étienne Bernier.

Une autre distinction importante entre ces deux recours est que la saisie avant jugement est strictement réservée au demandeur (art. 733 C.p.c.) alors que le séquestre peut, en principe, être demandé par toute personne et même être ordonné d'office par le tribunal. En l'espèce, la saisie avant jugement n'aurait donc pu être accordée à l'intimée, qui n'est qu'une simple intervenante.

Le séquestre se distingue aussi de la saisie revendication, par laquelle le propriétaire attitré cherche à reprendre la maîtrise d'un bien dont il a été illégalement dépossédé et qui est détenu sans droit par un autre. Le séquestre n'est qu'une simple mesure de conservation et de mise à l'abri temporaire, en attendant une décision de justice sur l'attribution du droit de propriété.[60]

[Je souligne]

[139]     Le professeur Ferland est, lui aussi, d'avis que le séquestre judiciaire est une mesure provisionnelle utile dans le cadre d'un litige portant sur la propriété d'un bien :

Cette ordonnance est rendue dans le cadre d'un litige portant sur la propriété d'un bien. En effet, selon le droit substantiel, le séquestre est le dépôt par lequel des personnes remettent un bien qu'elles se disputent entre les mains d'une autre personne qui s'oblige à ne le restituer qu'à celle qui y aura droit, une fois la contestation terminée (art. 2305 , 2309 C.c.Q.).

[…]

La mesure provisionnelle qu'est le séquestre judiciaire s'insère, répétons-le, dans un litige portant sur la propriété d'un bien. Par exemple, le tribunal ordonnera le séquestre d'un bien à la suite de l'administration d'une preuve de mauvaise gestion ou d'irrégularités commises par une partie au litige eu égard à ce bien.[61]

[Je souligne]

[140]     Quant à la répartition des frais du séquestre judiciaire, le professeur Ferland indique ceci :

Les frais et la rémunération du séquestre sont taxés par le greffier; ils sont dus solidairement par les parties à la contestation, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement (art. 750 C.p.c.). […] Selon les tribunaux, le terme « parties à la contestation » n'englobe que celles qui avaient un intérêt dans le bien en litige.[62] 

[Je souligne]

[141]     Quelques jugements de la Cour supérieure ont, par ailleurs, indiqué que l'expression « parties à la contestation » réfère aux parties qui ont un intérêt dans la chose sous séquestre, par exemple, les créanciers ayant une garantie sur le bien[63] ou une personne ayant en sa possession un bien mis sous séquestre[64].

[142]     Dans Poudrier c. Motel Carrefour de l’Est Inc., le juge Lesage de la Cour supérieure a indiqué que le fait qu'une partie a été convoquée à la requête pour la nomination du séquestre ne signifie pas qu'elle doit être, de ce seul fait, considérée comme une partie à la contestation :

Les règles régissant le séquestre [art. 742 à 750 C.P.) présupposent que les parties ont un intérêt dans la chose sous séquestre. L’article 667 C.P., prévoyant la mise sous séquestre d’un immeuble saisi, présume de l’intérêt commun du débiteur qui a la possession de l’immeuble et du créancier. L’opposante, n’ayant pas de titre dans l’immeuble, n’est pas une partie à la contestation de cet immeuble au sens de l’article 750 C.P., indépendamment du fait qu’elle ait été ou non convoquée sur la requête en nomination de séquestre.[65]

[143]     En l'espèce, le jugement de nomination du séquestre rendu par la juge Ouellet comporte des conclusions visant à forcer l'appelante à effectuer les derniers paiements au séquestre. Contrairement à l'affaire Tartaglino précitée, l'appelante n'avait aucun intérêt dans la chose mise sous séquestre et aucun de ses biens n'a été mis sous séquestre. À mon avis, le juge lui-même a cerné le cœur de la contestation en l'espèce :

[181]      Le séquestre a été nommé par madame la juge Ouellet pour mettre à l'abri les actifs et les revenus de la PNMV suite à la prise de contrôle des bureaux administratifs par Jean Genest et ses acolytes et dans le but de protéger les revenus de la pêche à venir.

[Je souligne]

[144]     Il devait déterminer qui, de l'intimé ou de M. Genest, pouvait administrer la Première Nation. C'est cette question qui a donné lieu à la nomination d'un séquestre puisque la propriété d'un bien ou encore le contrôle de celui-ci était en cause.

[145]     Par conséquent, l'argument de l'appelante au sujet des honoraires du séquestre judiciaire est bien fondé. De plus, le débat concernant la hauteur des honoraires du séquestre doit se tenir lors de la taxation des frais, le juge ayant choisi de les adjuger dans les dépens, tel que le prévoit la règle :

750. Les frais et la rémunération du séquestre sont taxés par le greffier; ils sont dus solidairement par les parties à la contestation, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement.[66]

[Je souligne]

750. The costs and the remuneration of the sequestrator are taxed by the clerk; they are due jointly and severally by the parties to the contestation, unless the court otherwise orders.

 

4.8.4 Les honoraires reliés à la confection des redditions de comptes de M. Genest

[146]     L'intimé réclame sous ce chef 64 795 $, représentant les coûts associés à la reddition de comptes effectuée par la firme TMR (25 600 $ - pièce P-50) et celle effectuée par la firme Deloitte (39 195 $ - pièce P-105).

[147]     Le juge a rejeté la réclamation apparaissant à la pièce P-50, soit les honoraires de la firme TMR (25 600 $), puisque ces honoraires avaient été, de l'accord des parties, assumés par l'intimé par le biais d'une subvention du ministère des Affaires indiennes. Le juge n'a pas commis, à cet égard, une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[148]     Quant à la facture de la firme Deloitte relative à la troisième reddition de comptes, elle apparaît à la pièce P-105, mais elle ne figure pas au tableau des réclamations produit par l'intimé. Le juge n'en traite donc pas dans son jugement. Il appert, à la lumière de la requête introductive d'instance et de ce tableau, que l'intimé n'a jamais réclamé ce montant.

[149]     De plus, l'ensemble de cette réclamation, comme celle reliée à la confection des états financiers par Raymond Chabot Grant Thornton, ne constitue pas un dommage directement lié à la faute de l'appelante.

*     *     *

[150]     En conclusion, il y a lieu d'accueillir en partie le moyen d'appel de l'appelante pour annuler sa condamnation au paiement des honoraires des vérificateurs ainsi que du séquestre judiciaire et pour réduire sa condamnation à 25 % des frais de l'expertise juricomptable.

4.9 Le droit de l'intimé au paiement du prix des crevettes livrées à l'appelante

[151]     L'intimé soutient que, indépendamment du régime de responsabilité applicable, il a subi le même dommage. Si la relation entre l'appelante et la Première Nation est de nature contractuelle, il plaide qu'il a droit au prix de vente des crevettes, soit 934 165,90 $, puisque l'appelante a fait défaut de lui payer le prix du produit qu'elle lui a livré. Si la faute de l'appelante est plutôt de nature extracontractuelle, l'intimé propose qu'il a subi un préjudice de 934 165,90 $ pour avoir été privé de ce revenu.

[152]     J'ai déjà conclu que l'appelante, en effectuant le paiement à M. Genest plutôt qu'à la Première Nation, a commis une faute de nature contractuelle. Le dommage causé par cette faute doit cependant être modulé par la règle de l'article 1557 C.c.Q. qui prévoit qu'un paiement fait à un tiers non autorisé n'est pas libératoire pour le créancier. Aux fins de commodité, je reproduis de nouveau cette disposition :

1557. Le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui.

S'il est fait à un tiers, il est valable si le créancier le ratifie; à défaut de ratification, il ne vaut que dans la mesure où le créancier en a profité . [67]

 

1557. Payment shall be made to the creditor or to the person authorized to receive it for him.

Payment made to a third person is valid if the creditor ratifies it; if it is not ratified, the payment is valid only to the extent that it benefits the creditor.

 

[153]     L'intimé a ratifié le contrat intervenu avec l'appelante, mais il n'a pas ratifié « les paiements » faits par l'appelante à M. Genest. L'intimé a mis l'appelante en garde à plusieurs reprises qu'elle pourrait être tenue de lui verser à nouveau le prix des crevettes. Cette dernière, par insouciance et négligence, a néanmoins poursuivi les versements à M. Genest.

[154]     L'intimé n'a cependant pas droit au montant total réclamé sous ce chef de réclamation. Tel que le prévoit l'article 1557 C.c.Q. précité, le paiement fait à un tiers non autorisé est opposable au créancier dans la mesure où celui-ci en a profité. Selon le professeur Karim, cette exception vise à éviter l'enrichissement injustifié du créancier au détriment du débiteur[68]. Ainsi, dans la mesure où il profite du paiement fait à un tiers, le créancier ne peut réclamer une deuxième fois ce paiement.

[155]     En l'espèce, la Première Nation a profité d'une partie du paiement. L'appelante a, en effet, acquitté pour elle des montants dus auprès de fournisseurs et des pêcheurs, montants que la Première Nation avait intérêt à acquitter. Selon le rapport de l'experte juricomptable, l'appelante a obtenu des crevettes de la Première Nation pour un prix de 934 165 $. Une somme moindre a cependant été remise à M. Genest en raison de paiements faits par l'appelante aux pêcheurs à titre de salaire, à des fournisseurs, au séquestre, etc. Voici un tableau récapitulatif des transactions pertinentes[69] :

 

Débours

 

Recettes

 

Amalécite I

 

452 730 $

Amalécite II

 

481 435 $

Sous-total :

 

934 165 $

 

 

 

Montants déboursés par CNA selon les rapports de pêche

Salaires

366 815 $

 

Frais pour plan conjoint et dépassement de poids

13 307 $

Paiements aux fournisseurs

268 570 $

648 692 $

Dépenses supplémentaires assumées par CNA

17 527 $

 

Montant remis au séquestre

6 227 $

 

TOTAL (remis à J. Genest) :

261 719 $

[156]     Le juge retient que M. Genest n'a pas détourné les revenus de la Première Nation. Il a utilisé ces sommes dans le cours de son administration. La Première Nation a-t-elle nécessairement profité des 261 719 $ remis par l'appelante à M. Genest ? L'intimé plaide que ce n'est pas le cas. Je suis d'accord avec lui. Il faut, en effet, reconnaître que certaines dépenses effectuées par M. Genest sont questionnables et auraient dû être évitées (par exemple, 75 064 $ ont été versés en guise de salaire aux employés engagés par M. Genest et 120 184 $ ont été versés en honoraires durant l'administration de M. Genest).

[157]     Le moyen de l'intimé doit être accueilli en partie. L'appelante sera condamnée à payer à l'intimé 261 719 $, soit la somme qu'elle a réellement remise à M. Genest, un tiers non autorisé à recevoir paiement pour la Première Nation.

4.10 Le bien-fondé de la réduction de 225 000 $

[158]     L'intimé soutient que le juge a commis une erreur en déduisant des dommages accordés pour comptes à payer cumulés et dommages généraux les 225 000 $ versés par E. Gagnon et Fils Ltée à l'occasion d'une entente à l'amiable intervenue durant l'instance. Je rappelle que cette société commerciale a acheté le crabe pêché par la Première Nation durant la saison de pêche 2005.

[159]     Dans la requête introductive d'instance initiale, E. Gagnon et Fils Ltée était poursuivie au même titre que l'appelante. L'intimé lui réclamait alors les sommes suivantes :

-  le produit des ventes des captures de crabes pour un montant minimal de 325 596,39 $;

-  500 000 $ en dommages « pour préjudice subi en raison de l'interruption de ses affaires, la perte d'opportunité d'affaires, des dommages à sa réputation auprès de ses partenaires d'affaires et inconvénient »[70].

[160]     Je précise que E. Gagnon et Fils Ltée n’était pas poursuivie pour les dommages reliés aux comptes à payer cumulés durant l'administration de M. Genest.

[161]     Le 11 avril 2006, E. Gagnon et Fils Ltée et l'intimé concluent un règlement dans les termes suivants :

Cher confrère,

Cher monsieur,

Notre cliente, E. Gagnon & Fils Ltée, nous autorise à vous confirmer qu'elle accepte de payer, selon les conditions ci-après, une somme totale de deux cent vingt-cinq mille dollars (225 000 $) en acquittement du capital, des intérêts, des frais et tout autre dommage et déboursé auxquels la Première Nation Malécite pouvait prétendre contre elle suite aux événements et relations commerciales évoqués dans le dossier 250-17-000343-058 des dossiers du greffe de la Cour Supérieure du Québec, district de Kamouraska.

[…]

En contrepartie du paiement de ces sommes, la Première Nation Malécite de Viger, par résolution valide de son Conseil accordera à notre cliente, ses administrateurs, ses dirigeants, ses actionnaires et autres représentants une quittance complète, générale et finale de toutes sommes auxquelles elle prétendait, prétend ou aurait pu prétendre suite aux événements évoqués ci-haut. [71]

[Je souligne]

[162]     Le règlement intervenu vise toutes les sommes réclamées par l'intimé, ce qui inclut nécessairement les dommages à la réputation, pour interruption des affaires et pertes d'opportunités. Comme il n'y a pas ici de responsabilité de l'appelante pour les comptes à payer accumulés par l'administration de M. Genest et les dommages à la réputation, la somme versée en règlement par E. Gagnon et Fils Ltée n'a aucun impact sur les sommes dues par l'appelante à ce titre et elle n'aurait pas dû être déduite de celles-ci.

4.11 La responsabilité de l'appelante pour les 153 755 $ versés aux employés

[163]     L'intimé allègue que le juge a commis une erreur en refusant de condamner l'appelante à ce poste de dommage de façon solidaire avec les mis en cause. Il soutient que, sans la faute de l'appelante, M. Genest n'aurait pas pu engager son propre personnel. Par conséquent, l'appelante serait responsable du paiement des sommes versées par la Première Nation à ses employés en règlement des poursuites pour congédiement illégal intentées par ceux-ci.

[164]     Le juge a refusé de condamner l'appelante au paiement de l'indemnité versée aux employés de la Première Nation à la suite du conflit pour les raisons suivantes :

[175]      Selon la pièce P-60-4, le conseil de bande a versé des indemnités totalisant 153 755 $ à Jean-Claude Paradis et aux employés de bureau qui ont déposé des plaintes pour avoir été privés de travail sous l'administration Genest.

[176]      Le demandeur a fait la preuve, sous le sceau de la confidentialité, des montants versés à chacune de ces personnes mais sans plus.  Les défendeurs se sont abstenus de toutes contre-preuves de telle sorte que nous ignorons si ces montants tiennent compte des indemnités de subsistance qui ont été versées à certains d'entre eux, des prestations d'assurance emploi qu'ils ont pu percevoir.  Nous ignorons également la rémunération de chacune de ces personnes et la durée de l'indemnité.  Le Tribunal doit cependant faire droit à cette demande dont le montant n'a été ni commenté ni contesté.

[177]      Ces mises à pied ont été effectuées sous l'administration Genest et la responsabilité doit être imputée à son administration soit à Jean Genest, Aline Gagné-Jenniss et Marcelle Albert-Rioux car ce conflit de travail est survenu à l'arrivée de Jean Genest au poste de grand chef.  Dès le 6 janvier 2005, les employés signaient une pétition contre le grand chef.  L'origine de ce conflit n'est donc pas lié à l'exploitation illégale de la pêche par l'ensemble des défendeurs mais au style de gestion de Jean Genest et de ses acolytes.

[165]     L'intimé prétend que si l'appelante n'avait pas commis la faute reprochée, les dommages auraient été considérablement moindres. Je suis d'avis que le raisonnement relatif au lien de causalité concernant les dommages généraux ainsi que les frais de vérification des états financiers doit également s'appliquer ici. Les dommages causés par le conflit de travail qui a sévi durant l'administration de M. Genest ne peuvent pas être considérés comme « la conséquence logique, directe et immédiate de la faute »[72] de l'appelante.

[166]     Le juge d'instance a conclu que le paiement des indemnités était dû au conflit de travail créé par l'administration de M. Genest et donc qu'il ne constituait pas un dommage directement relié à la faute de l'appelante. L'intimé n'a pas démontré que le juge d'instance a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que le lien de causalité entre la faute de l'appelante et le dommage de l'intimé n'avait pas été établi. Un tel dommage constitue un dommage par ricochet et il ne donne pas lieu à une réparation.

[167]     Par conséquent, le moyen d'appel de l'intimé ne peut être retenu.

4.12 La requête pour amender

[168]     Lors de l'audience devant la Cour, l'intimé a présenté une requête pour amender qui comporte deux volets. Il a, séance tenante, renoncé à celui visant à faire déclarer bonnes et valables les saisies avant jugement. Le deuxième volet de la requête de l'intimé vise à demander à la Cour d'accorder à son avocat l'honoraire spécial selon l'article 15 du Tarif des honoraires judiciaires des avocats[73] :

 

15.   La Cour peut, sur demande ou d'office, accorder un honoraire spécial, en plus de tous autres honoraires, dans une cause importante.

 

15.  The Court may, upon request or of its own initiative, grant a special fee, in addition to all other fees, in an important case.

 

[169]     Dans JTI MacDonald Corporation c. Canada (Procureur général)[74], la Cour rappelle les facteurs objectifs et les critères d'appréciation de l'importance d'une cause. À la lumière de ces facteurs et critères appliqués au présent appel, je suis d'avis que la cause n'est pas une cause importante au sens du Tarif. Il s'agit ici d'un litige de nature privée qui a impliqué des questions de droit connues et des questions de fait usuelles. L'intimé n'a certes pas eu la tâche facile, en l'espèce. Il a dû composer avec M. Genest, un individu peu scrupuleux, qui n'a pas hésité à prendre sans droit le contrôle de l'administration de la Première Nation et à dilapider ses biens. Les agissements de M. Genest ont entraîné des recours devant la Cour fédérale ainsi que de nombreux incidents devant la Cour supérieure. De plus, la façon dont M. Genest a administré les affaires de la Première Nation, notamment en payant en numéraire des dépenses non appuyées de pièces justificatives a rendu plus ardue la reconstitution des diverses opérations effectuées et nécessité le recours à des experts. Mais l'ensemble de ces faits ne fait pas du présent dossier une cause importante en raison de sa nature même, de l'importance de questions de droit, de la complexité des faits et du travail requis des avocats.

4.13 Les conclusions

[170]     Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel principal en partie sans frais pour annuler à l'égard de l'appelante seulement les condamnations suivantes :

-   420 188,80 $ représentant les comptes à payer accumulés par l'administration de M. Genest ainsi que les intérêts et l'indemnité additionnelle et la déduction de 225 000 $ payés par E. Gagnon et Fils Ltée (paragraphes 225.1 et 225.4 du jugement de première instance);

-   150 000 $ représentant les dommages à la réputation, pour interruption d'affaires et perte d'opportunités (paragraphe 225.3 du jugement de première instance);

-   107 410 $ représentant les honoraires additionnels des vérificateurs Raymond Chabot Grant Thornton (paragraphe 225.2 du jugement de première instance).

[171]     Je propose également d'infirmer la conclusion condamnant l'appelante aux frais du séquestre judiciaire (attribués dans les dépens) (paragraphe 229 du jugement de première instance);

[172]     Je suggère enfin de remplacer la conclusion apparaissant au paragraphe 227 du jugement de première instance par la suivante :

[227]     CONDAMNE solidairement toutes les parties à payer à Leclerc Juricomptables la somme de 281 000 $ et ORDONNE qu'entre les parties les défendeurs assument ce montant de 281 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle dans une proportion de 25 % pour La Crevette du Nord Atlantique inc. et de 75 % pour Jean Genest, Aline Gagné-Jenniss et Marcelle Albert Rioux;

[173]     Quant à l'appel incident, je propose de l'accueillir en partie sans frais et de condamner l'appelante à payer à l'intimé 261 719 $ avec intérêts et indemnité additionnelle depuis la mise en demeure du 14 juin 2005;

[174]     Je propose de rejeter la requête pour amender, sans frais.

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 



[1]     L.R.C. (1985), c. I-5.

[2]     Voir les articles 74 et suivants de la Loi sur les Indiens, ibid.

[3]     Ordonnances d'injonction prononcées par le juge Simon Noël de la Cour fédérale (T-518-05), le 14 avril 2005.

[4]     [1987] R.J.Q. 2063 (C.S.).

[5]     R.R.Q. 1981, c. B-1, r. 22.

[6]     [1982] 2 R.C.S. 72 , 75.

[7]     Bande indienne de Montana c. Canada,   [1998] 2 C.F. 3 , paragr. 20 à 26.

[8]     Mary Locke Macaulay, Aboriginal & Treaty Rights Practice, loose-leaf edition, Toronto, Thomson Carswell, 2007, p.1-11.

[9]     Sébastien Grammond, Aménager la coexistence : les peuples autochtones et le droit canadien, Belgique, Bruylant et Éditions Yvon Blais, 2003, p. 321.

[10]    Articles 81 et suivants de la Loi sur les Indiens, supra, note 1.

[11]    S. Grammond, supra, note 9, p. 284.

[12]    Règlement de régie interne de 1991, pièce P-1.

[13]    Permis de pêche communautaire autochtone 2005, pièce P-8.

[14]    DORS/93-332.

[15]    L.R.C. (1985), c. F-14.

[16]    Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, supra, note 14, art. 4 (1).

[17]    Ibid., art. 2.

[18]    S. Grammond, supra, note 9, p. 322.

[19]    Permis de pêche communautaire autochtone 2005, supra, note 13.

[20]    Ibid.

[21]    Entente de pêche, 15 février 2000, pièce D-126.1.

[22]    Supra, note 4.

[23]    Ibid., p. 2067 et 2068. Au même effet, voir In Leonard v. Gottfriedson (1980), 21 B.C.L.R. 326 (B.C.S.C.).

[24]    Plomberie Octave Roy & Fils inc. c. Conseil des innus de Pessamit, 2010 QCCS 6065 , paragr. 22; Wilson and Somerville Ltd. v. Canada (Attorney General) (1999), 49 B.L.R. (2d) 272, paragr. 24  (C. Ont. Div. Gén).

[25]    Mises en demeure du 4 avril 2006 à la Crevette du Nord Atlantique Inc. (en liasse), pièce P-13.

[26]    Lettre du 14 juin 2005 du procureur du Conseil de bande à M. Gaétan Denis, président de la Crevette du Nord, pièce D-51.

[27]    L'existence d'une résolution du conseil de ville prévoyant un paiement partiel au cocontractant : Mole Construction inc. c. LaSalle (Ville de), J.E. 96-1635 (C.A.); Centre de téléphone mobile (Québec) inc. c. Marieville (Ville de), 2006 QCCS 1179 ;

L'acceptation d'une subvention gouvernementale ne pouvant être obtenue que si le contrat était conclu : Brisson c. Hawkesbury (Ville), [1992] O.J. no. 2388 (QL) (Ont. C.A.); Ste-Rose de Watford (Corp. municipale de) c. Labbé, J.E. 88-707 (C.A.);

L'existence d'une résolution faisant référence au contrat avec le tiers, malgré l'absence de résolution pour attribuer ce contrat ou le reconnaître : Poulin c. Saint-Georges (Ville), [1994] R.J.Q. 1840 (C.A.).

[28]    (1991), 86 D.L.R. (4th) 767 (C.A. Sask.) confirmant Heron Seismic Services Ltd. v. Muscowpetung Indian Band (1990), 74 D.L.R. (4th) 308 (B.R. Sask.).

[29]    Supra, note 24.

[30]    (1996), 175 N.B.R. (2d) 241, paragr. 10 et 11 (C.A. N.-B.).

[31] McDonough c. Première nation Malécite de Tobique, [2001] A. N.-B. no. 49, paragr. 17 (Q.L.). 

 

[32]    Art. 1557 C.c.Q. Ajoutons que l'article 1559 C.c.Q., prévoyant que le paiement fait de bonne foi au créancier apparent est valable, n'est pas applicable ici compte tenu de l'inapplicabilité de la théorie du mandat apparent.

[33]    St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15 , [2002] 1 R.C.S. 491 , paragr. 104. Voir également paragr. 98. Pour des applications récentes de ce principe par la Cour voir Simard c. Larouche, 2011 QCCA 911 , paragr. 72 et 73; M.H. c. Axa Assurances inc., 2009 QCCA 2358 , paragr. 18.

[34]    Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, vol. 1, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007. Voir également Vincent Karim, Les obligations, vol. 2, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 651.

[35]    J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, ibid., p. 1063 et 1066-1067, nº 1-1293 et 1-1295. Pour une application jurisprudentielle par cette Cour voir Société d'habitation du Québec c. Leduc, 2008 QCCA 2065 .

[36]    Jugement dont appel, paragr. 211.

[37]    Ibid., paragr. 214.

[38]    Chouinard c. Robbins, [2002] R.J.Q. 60 , paragr. 33 (C.A.).

[39]    Requête introductive d'instance réamendée en revendication, en injonction et en dommages, 15 novembre 2007.

[40]    Discussion, 3 mars 2008.

[41]    Discussion, 4 mars 2008.

[42]    Jugement dont appel, « Tableau des réclamations des demandeurs ».

[43]    Procès-verbal, 3 mars 2008.

[44]    Article 199 (1) C.p.c.

[45]    Gestion immobilière André Ledoux inc. c. Laplante, [1996] R.D.J. 507 , 511 (C.A.).

[46]    Jugement sur requête pour injonction interlocutoire et nomination de séquestre (Ouellet, J.), 11 janvier 2006.

[47]    J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, supra, note 34, p. 624 et 625, nº 1-622.

[48]    L'appelante a effectué son premier paiement pour la crevette au mis en cause Genest le 4 avril 2005 : Divulgation de la défenderesse La Crevette du Nord Atlantique selon les engagements contractés le 15 décembre 2005, datée du 19 mai 2006, pièce P-37.

[49]    Jugement dont appel, paragr. 189.

[50]    J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, supra, note 34, p. 628 et 629, nº 1-626.

[51]    Jugement à la suite d'une conférence de gestion tenue au palais de justice de Rivière-du-Loup du 30 janvier 2007 (Gendreau, J.), 31 janvier 2007.

[52]    Maison Simons inc. c. Lizotte, 2010 QCCA 2126 , paragr. 40 à 46.

[53]    Article 477 C.p.c.

[54]    Groulx c. Habitation unique Pilacan inc., 2007 QCCA 1292 , paragr. 93; Abdelnour c. Banque HSBC, autrefois Banque Hongkong du Canada, 2006 QCCA 1348 , paragr. 42; BMW Canada inc. c. Automobiles Jalbert inc., 2006 QCCA 1068 , paragr. 249.

[55]    Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71 , [2003] 3 R.C.S. 371 , paragr. 43. Voir également Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2 , [2007] 1 R.C.S. 38 , paragr. 49; Y.L. c. Yv.V., 2010 QCCA 808 , paragr. 42.

[56]    Rapport d'expert préparé par Leclerc Juricomptables Inc., une société du groupe Navigant Consulting, le 14 décembre 2007.

[57]    Jugement sur requête pour injonction interlocutoire et nomination de séquestre (Ouellet, J.), 11 janvier 2006, supra, note 46.

[58]    Cette disposition est applicable en l'espèce même si le séquestre est de type judiciaire plutôt que conventionnel : « Le séquestre est soumis à toutes les obligations qui résultent du séquestre conventionnel, à moins que le tribunal n'en décide autrement. » (art. 745 C.p.c.).

[59]    Sénécal c. Reid, [1984] C.A. 643 , 646.

[60]    Giroux c. Fondation Paul A. Fournier, [1996] R.D.J. 339 , 344 (C.A.).

[61]    Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 422 et 423.

[62]    Ibid., p. 428.

[63]    Poudrier c. Motel Carrefour de l’Est Inc., J.E. 86-716 (C.S.).

[64]    Tartaglino c. Tartaglino, 2011 QCCS 2072 .

[65]    Poudrier c. Motel Carrefour de l’Est Inc., supra, note 63.

[66]    Article 750 C.p.c.

[67]    Voir également Lafrenière c. Sun Life du Canada, compagnie d'assurance-vie, 2006 QCCA 214 , paragr. 41.

[68]    V. Karim, supra, note 34, p. 319.

[69]    Ce tableau a été fait à partir de différentes sections du rapport de l'experte juricomptable.

[70]    Requête introductive d'instance, 7 juillet 2005, M.A., vol. 1, p. 303. Mentionnons qu'entre cette requête et le règlement survenu avec E. Gagnon et Fils Ltée, un amendement à la requête a été apporté par l'intimé, mais ne concernait pas ces chefs de réclamations : Requête introductive d'instance réamendée en revendication, en injonction et en dommages, 12 décembre 2006.

[71]    Documents de règlement du litige avec la défenderesse E. Gagnon et Fils Ltée, pièce P-43.

[72]    J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, supra, note 34, p. 624 et 625, nº 1-622.

[73]    Supra, note 5.

[74]    2009 QCCA 110 .

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