[1] En appel d'un jugement de la Cour supérieure du district de Bedford (l'honorable Line Samoisette) du 19 avril 2011, qui rejette l'appel d'une décision du syndic à la faillite de la débitrice, Les Entreprises Mière inc., qui rejetait la preuve de réclamation de biens de l'appelante.
[2] Pour les motifs du juge Fournier auxquels souscrivent les juges Forget et Rochon, LA COUR :
[3] REJETTE l'appel;
[4] AVEC DÉPENS.
|
|
MOTIFS DU JUGE FOURNIER |
|
|
[5] En appel d'un jugement de la Cour supérieure rendu le 19 avril 2011 (l'honorable Line Samoisette), district de Bedford, qui rejette l'appel de l'appelante d'une réclamation de biens par le syndic à l'occasion de la faillite de la débitrice.
[6] Le 27 octobre 2009, Les Entreprises Mière inc. (la débitrice) fait cession de ses biens. Elle élevait des bouvillons dans la région de Granby.
[7] L'intimé, Raymond Chabot inc. (le syndic), est nommé syndic de l'actif de la débitrice.
[8] La débitrice est alors endettée de 2 343 314,27 $ auprès de l'intimée, la Banque de Montréal (la banque). Cette créance est garantie par une hypothèque conventionnelle sans dépossession inscrite le 19 février 2008 au R.D.P.R.M portant sur l'universalité des stocks actuels et à venir de la débitrice, y compris ses animaux et ses créances. Le 16 novembre 2009, la banque dépose auprès du syndic une Preuve de réclamation.
[9] L'appelante, la Coopérative de producteurs de bœuf de l'Estrie (la coopérative), est avisée de la faillite. Le 17 novembre 2009, elle dépose à son tour une Preuve de réclamation en vertu de l'article 81 (4) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité[1] où elle réclame la propriété des 149 bovins en possession de la débitrice.
[10] La coopérative prétend être propriétaire des animaux en vertu d'un contrat d'élevage de bovins qu'elle qualifie de sui generis. Selon l'entente, elle finance l'achat de jeunes bovins qui sont achetés par l'éleveur au nom de la coopérative qui en demeure propriétaire jusqu'à ce qu'ils soient prêts pour l'abattage. Lorsque les animaux sont vendus, le prix est versé à la coopérative qui se paie des sommes qui lui sont dues et qui remet, le cas échéant, les surplus à l'éleveur.
[11] Le 30 novembre 2009, le syndic rejette la réclamation de la coopérative. Il motive ainsi sa décision[2] :
Avis est donné que, en ma qualité de syndic de Les Entreprises Mière inc., j'ai rejeté votre réclamation à l'égard de cet actif pour les motifs suivants :
1. La convention sur laquelle se fonde le créancier-réclamant en est une de financement constituant une réserve de propriété sur des animaux acquis et élevés par la débitrice (voir notamment le paragraphe 3.2 et 3.3 de la convention);
2. Aucune réserve de droit de propriété n'a été publiée au Registre des droits personnels et réels mobiliers de sorte que cette réserve n'est pas opposable au Syndic;
3. Sans préjudice à ce qui précède, les biens réclamés appartiennent à la Débitrice, ces biens ayant connu une transformation significative de par leur engraissement et ne sont plus dans le même état et ont une valeur significativement supérieure à celle qu'ils avaient lors de leur acquisitions (sic) par la Débitrice.
(Transcrit tel quel)
[12] Comme la juge de première instance, je crois utile de reproduire la convention[3] pour la bonne compréhension du texte :
« 1. OBJET
Le présent contrat régit les conditions d'élevage des bovins de boucherie acquis par la Coopérative conformément aux dispositions du Cadre d'intervention en financement pour les coopératives de producteurs de bovins de boucherie, ci-après appelé le "Cadre", établi par La Financière agricole du Québec dont copie signée par les parties demeure jointe au présent contrat.
En vertu du présent contrat, la Coopérative pourra, à la demande du Membre, acheter des bovins que le Membre élèvera.
Le Membre devra payer à la Coopérative selon les modalités prévues les sommes qu'il lui doit et qui sont constatées à l'annexe 1, laquelle demeure jointe au présent contrat.
Le Membre pourra, avec l'autorisation préalable de la Coopérative, vendre les bovins au nom de cette dernière mais devra remettre la totalité du prix de vente à la Coopérative qui l'imputera à sa discrétion sur les diverses sommes qui seront dues à la Coopérative par le Membre, la Coopérative s'engageant à remettre au Membre tout excédent.
2. OBLIGATIONS DU MEMBRE
Le Membre s'engage à :
2.1 Respecter son plan d'affaires approuvé par le conseil d'administration de la Coopérative;
2.2. Se procurer auprès de la Coopérative un ou des bons de commande l'autorisant à acquérir des bovins de boucherie au nom de cette dernière;
2.3. Payer à la Coopérative les sommes dues qui sont mentionnées à l'annexe 1, le tout selon les modalités de paiement qui y sont convenues;
2.4., Signer, en garantie des obligations contractées en vertu des présentes, un billet à ordre d'un montant équivalent au total des sommes suivantes:
• le montant du bon de commande;
• les cotisations payables par la Coopérative en vertu des régimes d'assurance-stabilisation des revenus agricoles (ASRA) pour les animaux acquis avec le bon de commande;
• les frais d'identification desdits animaux;
• les intérêts afférents aux animaux acquis avec le bon de commande et payables par la Coopérative en vertu de l'ouverture de crédit contractée aux termes du Cadre, ci-après appelée «l'ouverture de crédit »;
• les frais dus à la Coopérative.
Le Membre autorise la Coopérative à endosser le billet et à le remettre à son prêteur en garantie de l'ouverture de crédit;
2.5. Respecter chacun des termes, engagements et conditions du présent contrat.
Le Membre reconnaît que son défaut de respecter l'un d'eux autorisera la Coopérative à prendre possession immédiate des bovins visés par le présent contrat et élevés par le Membre, et à exercer, sous réserve de tous ses autres droits et recours, ceux que lui confèrent le présent contrat et le billet souscrit pour ainsi exiger le paiement immédiat des sommes qui lui sont dues par le Membre;
2.6. Remettre à la Coopérative, conformément au Cadre, une mise de fonds équivalant à:
• 5 % du montant du billet à ordre pour la production de bovins d'engraissement;
• 10 % du montant du billet à ordre pour la production de vache-veau;
Le Membre autorise la Coopérative à donner cette mise de fonds en garantie de l'ouverture de crédit et à signer pour et en son nom tout acte de garantie ainsi que tout autre document nécessaire ou utile pour y donner plein et entier effet;
2.7. Adhérer au Programme d'analyse des troupeaux de boucherie de Québec (PATBQ) et à tout autre programme recommandé par le MAPAQ pour le secteur bovin;
2.8. Adhérer au Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA) pour une couverture représentant 100 % de sa marge de référence ou à tout programme qui pourrait être adopté en remplacement de ce programme;
2.9. Garder la possession des bovins acquis avec le bon de commande, les loger au(x) adresse(s) ci-après indiquée(s) et ne pas les déménager sans l'autorisation préalable du superviseur de la Coopérative, à moins de situation urgente.
L'(es) adresse(s) où est(sont) logé(s) les bovins est(sont) :
Indiqué sur chaque facture
2.10. Accepter, pour les fins du bon de commande, que la Coopérative débourse pour l'achat des bovins acquis et pesés individuellement sur une balance, une somme pouvant atteindre 100 % de leur valeur au marché.
Accepter, pour les fins du bon de commande, que la Coopérative débourse pour l'achat de bovins dont le poids a été simplement estimé, une somme ne pouvant dépasser 75 % de leur valeur au marché. En pareil cas, le Membre devra fournir la différence entre le prix payé et ce montant équivalant à 75 % de la valeur au marché, et il accepte à l'avance que ces bovins soient la propriété exclusive de la Coopérative;
2.11. Fournir à la Coopérative, dans les quarante-huit (48) heures de leur acquisition, la description des bovins acquis au moyen du bon de commande sur le formulaire annexé aux présentes (annexe 2);
2.12. IdentifIer de façon permanente, dans les quarante-huit (48) heures de leur acquisition, les animaux de la Coopérative acquis avec le bon de commande, au système d'Agri-Traçabilité du Québec et sous toute autre forme d'identification de bovins de boucherie reconnue par La Financière agricole du Québec, par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation et par le prêteur ayant consenti à la Coopérative l'ouverture de crédit;
2.13. Élever les bovins, à ses frais, conformément à des méthodes d'élevage reconnues et sous la surveillance du superviseur;
2.14. Préserver la santé des bovins et, au besoin, faire appel à un vétérinaire à ses frais;
2.15. Aviser immédiatement le superviseur dès qu'un bovin meurt et n'en disposer qu'après constat du superviseur et conformément à sa décision;
2.16. Respecter les exigences du Règlement sur les exploitations agricoles concernant le bilan de phosphore ou, dans le cas où son entreprise était en exploitation au 15 juin 2002 sur un lieu assujetti à ce règlement, détenir et s'engager à respecter un plan d'accompagnement agroenvironnemental établi conformément aux spécifications du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation;
2.17. Ne pas céder ses droits dans le présent contrat, en tout ou en partie, à qui que ce soit sans l'autorisation préalable et écrite de la Coopérative et notamment ne confier à personne d'autre l'élevage ou la garde des bovins, sauf en situation d'urgence;
2.18. Tenir la Coopérative indemne de toute action ou réclamation relative à la garde ou à la vente des bovins;
2.19. Payer pendant la durée du présent contrat, si requis par la Coopérative, les primes d'une police d'assurance de dommages couvrant, à la satisfaction de celle-ci, les animaux acquis en vertu du bon de commande, pour un montant minimum égal à la somme mentionnée à l'Annexe 1 due par le Membre à la Coopérative, sous réserve toutefois de leur valeur assurable maximum. Toute indemnité d'assurance devra être remise à la Coopérative et sera appliquée par cette dernière en réduction des sommes qui lui sont dues par le Membre aux termes du présent contrat. Cette assurance devra également couvrir la responsabilité civile de la Coopérative en ce qui a trait à la garde et à la vente de ces animaux;
2.20. Livrer les bovins à ses frais à la personne et au moment convenus avec le superviseur;
2.21. Permettre aux représentants de la Coopérative, de son prêteur et de La Financière agricole du Québec, lorsqu'ils l'estiment opportun, d'inspecter ses installations et les bovins, d'avoir accès à ses livres et registres et d'en prendre des copies;
2.22. Prendre les arrangements nécessaires afin que le produit de la vente des bovins de la Coopérative lui soit remis sans délai et en totalité;
2.23. N'exiger aucune rémunération ou indemnité autre que celles prévues au paragraphe 3.2.;
2.24. N'exercer aucun droit de rétention sur les bovins et à renoncer à tout droit de rétention auquel il pourrait prétendre.
Le Membre reconnaît en conséquence que la Coopérative, aura le droit de reprendre possession des bovins en tout temps, sans avis, sans mise en demeure et sans formalité de justice.
2.25. Fournir annuellement à la Coopérative ses états financiers.
Le Membre autorise également la Coopérative à communiquer sur demande à La Financière agricole du Québec et à tout prêteur pouvant consentir à la Coopérative une ouverture de crédit en vertu de la Loi sur La Financière agricole du Québec (L.R.Q., chapitre L-0.1) mes (sic) états financiers ainsi que tout document et renseignement que ces derniers pourraient jugés nécessaires ou simplement utiles pour le consentement ou le suivi d'une telle ouverture de crédit.
3. ENGAGEMENTS DE LA COOPÉRATIVE
La Coopérative s'engage à:
3.1. Assurer à son nom à l'ASRA les bovins qui peuvent l'être, conserver copie de ces inscriptions dans ses dossiers et en payer les cotisations;
3.2. Remettre au Membre les recettes provenant de la vente des bovins qu'il produit dans le cadre du présent contrat, de même que les compensations de l'ASRA payées afférentes à ceux-ci, le cas échéant, dès que tous les ajustements sont terminés, déduction faite toutefois de tout somme due par le Membre à la Coopérative;
3.3. Transférer le cas échéant au Membre la propriété des bovins non vendus lorsque ce dernier aura payé les sommes dues en vertu du présent contrat ainsi que toute autre somme qu'il pourrait par ailleurs devoir à la Coopérative;
3.4. Remettre au Membre le résidu des sommes visées au paragraphe 2.6 au plus tôt trois (3) mois après que celui-ci aura acquitté toutes ses obligations envers la Coopérative, à la condition qu'elle ne soit pas en défaut de l'ouverture de crédit ou de tout autre prêt aux termes duquel ces sommes auraient été données en garantie.
4. DISPOSITIONS DIVERSES
4.1. Un représentant de la Coopérative peut pénétrer sur les lieux où sont gardés les bovins pour en prendre possession si :
4.1.1. le Membre ne se conforme pas aux méthodes d'élevage et de finition généralement reconnues;
4.1.2. le Membre enfreint une clause ou disposition du contrat ou du Cadre.
4.2. Nonobstant l'article
4.3. La Coopérative et le Membre reconnaissent avoir reçu une copie du Cadre, en avoir pris connaissance et accepter d'en respecter chacune de ses conditions et obligations comme si elles faisaient partie intégrante des présentes;
4.4. Le présent contrat et le Cadre comprennent l'ensemble des obligations qui lient les parties, Le présent contrat ne peut être modifié que par écrit;
4.5. Le présent contrat lie les parties, leurs successeurs et ayants droit;
4.6. Le présent contrat est régi par les lois du Québec;
4.7. La Coopérative et le Membre conviennent que si l'une des dispositions contenues dans le présent contrat était annulée ou déclarée illégale, seule la disposition ainsi déclarée nulle ou illégale est réputée non écrite et le présent contrat demeure en vigueur. »
(Transcrit tel quel)
[13] La coopérative permet ainsi à ses membres, producteurs de bovins, comme la débitrice, d'accroître leur troupeau et leur production à l'aide de ce financement.
[14] Le membre fait d'abord une demande de crédit et, lorsqu'il veut acheter un bovin à l'aide de ce financement, il se procure un bon de commande auprès de la coopérative. Elle paie le vendeur de bovins à même le crédit disponible au membre. Lorsque les bêtes élevées avec le soutien de la coopérative atteignent un certain poids, elles sont vendues à l'abattoir. Le produit de cette vente est d'abord versé à La Financière agricole, ensuite une somme est versée à la coopérative qui se rembourse le financement accordé au producteur et les frais de gestion engagés. Enfin, s'il en est, le surplus est versé au producteur.
[15] Le membre s'engage, notamment par cette entente, à respecter un plan d'affaires approuvé par la coopérative (clause 2.1), à lui signer un billet à ordre (clause 2.4), à adhérer à certains programmes demandés par La Financière agricole (clause 2.7 et 2.8) et à élever les bovins sous la surveillance de la coopérative (clause 2.13). Cette dernière conserve le droit de reprendre possession des bovins en tout temps (clause 2.24). Elle doit remettre au membre les recettes provenant de la vente des bovins qu'il produit, déduction faite de toute somme qui lui est due (clause 3.2).
[16] Ce Contrat de production de bovins de boucherie n'est pas publié.
[17] L'objectif général du Cadre d'intervention en financement pour les coopératives de producteurs de bovins de boucherie est :
[…] de favoriser la production des bovins de boucherie au Québec en appuyant les coopératives existantes au moyen d'une ouverture de crédit. » (clause 2).
[18] La juge de première instance résume[4] ainsi les positions des parties devant elle :
L'appelante : (l'appelante Coopérative)
[24] La coopérative allègue être propriétaire des bouvillons conformément au Contrat. Elle soutient que la décision du syndic à l'égard de sa preuve de réclamation est donc mal fondée.
[25] La coopérative maintient que le Contrat intervenu avec la débitrice en est un d'engraissement ou d'élevage de la nature sui generis, qui n'a pas à être publié.
Le syndic : (l'intimé Syndic)
[26] Le syndic allègue qu'il s'agit d'un contrat de prêt et que celui-ci, n'ayant pas été publié, ne lui est pas opposable.
[27] Il fait valoir que le contrat sui generis n'est pas une garantie valable au sens du Code civil du Québec. Il ajoute que même si cela était le cas, le contrat ne lui serait pas davantage opposable parce qu'il s'agit d'un acte simulé.
[28] Subsidiairement, le syndic plaide que compte tenu des importantes transformations de l'animal entre son achat et l'abattage, ce sont les règles de l'accession qui s'appliquent et que la débitrice est propriétaire des bêtes.
L'intervenante : (l'intimée Banque de Montréal)
[29] La Banque de Montréal allègue être la seule créancière garantie en vertu des contrats de financement et des sûretés qui lui ont été consenties par la débitrice. Elle soutient que les biens visés par la preuve de réclamation appartiennent à la débitrice.
[30] Selon la Banque de Montréal, le Contrat est une entente de financement par laquelle la coopérative se réserve le droit de propriété des bovins. Or, la coopérative n'ayant pas publié l'acte au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) suivant les modalités prévues dans la loi, ce Contrat ne lui est pas opposable.
[31] Elle avance qu'une garantie dans un contrat sui generis n'est pas une garantie valable au Québec. Elle fait valoir au surplus que le Contrat s'apparente à un contrat de vente à tempérament et que n'ayant pas été publié, il ne lui est pas opposable.
[19] Depuis la faillite de la débitrice, le syndic a pris en charge le troupeau de bovins, l'a placé chez un producteur et s'est assuré que les animaux soient vendus en temps opportun. Le produit de cette vente se trouve maintenant dans un compte en fidéicommis.
[20] La juge de première instance résume ainsi le litige lorsqu'elle écrit au paragraphe 22 de son jugement[5] :
[22] C'est le contrat de production de bovins entre la coopérative et la débitrice qui est au centre du présent litige. Il s'agit d'en déterminer la nature et s'il doit être publié.
[21] D'abord, elle décide qu'il s'agit non pas d'un contrat innommé d'élevage et d'engraissement, mais bien d'un contrat de financement avec réserve de droit de propriété sur les bovins.
[22] Elle estime que le contrat est ambigu et a recours aux règles d'interprétation prévues au Code civil du Québec afin de le qualifier[6]. Elle considère qu'il faut rechercher l'intention des parties et ne pas se restreindre à l'étude des termes du contrat[7].
[23] La juge de première instance procède à l'analyse de la relation contractuelle qui prévaut entre la débitrice et la coopérative. Elle regarde le processus du financement qui permet au producteur « de grossir son troupeau »; elle examine les témoignages et le comportement des parties au contrat pour conclure que leur relation est avant tout celle d'un prêteur face à un emprunteur[8].
[24] Ensuite, elle détermine que ce contrat de financement, avec réserve de propriété, doit être publié pour être opposable aux tiers.
[25] Elle ne traite pas l'argument subsidiaire portant sur l'accession mobilière[9].
III. ANALYSE
[26] La juge de première instance a bien identifié la question en litige, il s'agit de décider si le Contrat de production de bovins de boucherie comme l'ont intitulé les parties est un contrat sui generis, comme le soumet la coopérative, ou s'il agit en fait d'une forme de sûreté à la garantie du remboursement des sommes avancées par la débitrice.
[27] S'il s'agit d'une sûreté qui prend la forme d'une réserve de propriété, le défaut de publication est fatal à la position de la coopérative.
[28] Pour qualifier un contrat, il faut : « déterminer, tantôt le but qui a présidé à la convention, tantôt - en fait, le plus souvent - la prestation essentielle au cœur de l'entente[10] ». La qualification de la nature juridique du contrat appartient au juge[11] :
L'opération qui consiste à qualifier un contrat dépend exclusivement du juge. Ce dernier n'est pas lié par le titre que les parties donnent à leur convention ou par le vocabulaire qu'elles utilisent dans ses clauses, ni par le formulaire de contrat auxquels elles recourent.
(Références omises)
[29] Pour qualifier un contrat, le juge peut s'inspirer de la méthode d'interprétation des contrats prévue au Code civil du Québec[12] :
Art. 1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.
Art. 1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
[30]
La juge était fondée à rechercher la commune intention des parties au
moment de la formation du contrat (art.
a) Pour le membre (la débitrice), de payer les sommes dues mentionnées à l'annexe 1 (clause 2.3) : 325 000 $ pour l'achat de bovins, 20 000 $ pour les intérêts estimés et 5 000 $ pour les autres frais à la coopérative; et d'élever les bovins, à ses frais, conformément à des méthodes d'élevage reconnues et sous la surveillance du superviseur de la coopérative (clause 2.12);
b) Pour la coopérative, de payer les achats de bovins de ses membres (clause 6.4.5 du Cadre), donc de fournir les avances nécessaires à ces fins.
[31] Si on s'arrête au texte du contrat, les bovins appartiennent à la coopérative. Entre les parties donc, le contrat produit ses effets de la même manière qu'un contrat de vente à tempérament où la vente est sous condition résolutoire en cas de défaut de l'acheteur de payer le prix. Le droit de propriété du débiteur est sous condition suspensive jusqu'à parfait paiement.
[32] La juge de première instance devait donc chercher l'intention véritable des parties dans « les circonstances entourant la conclusion du contrat, dans les relations contractuelles entre les parties, leur comportement ainsi que les pratiques courantes »[13].
[33] La coopérative est propriétaire des animaux et en même temps elle continue d'être créancière des sommes avancées pour leur achat. Cette particularité qui découle du contrat, soit le double chapeau que porte la coopérative, mène à la nécessité de qualifier le contrat.
[34] Ma collègue, la juge Bich, citant la doctrine dans l'arrêt Sobeys[14], écrit :
[52] Comme l'écrivent les auteurs Pineau et Gaudet, il reste que :
Le principe posé par l'article
[53] Ainsi, dans la mesure où une partie réussit à prouver que la volonté réelle des parties ou, si l'on préfère, leur véritable et commune intention, est autre que celle qu'exprime ou paraît exprimer le texte du contrat, c'est alors cette volonté, cette intention, qui doit prévaloir.
(Je souligne)
(Références omises)
[35] Il est donc possible de rechercher l'intention des parties même lorsque, en apparence, le contrat semble clair. Pour les intimés, plusieurs éléments de preuve tendent à démontrer que les termes du contrat ne traduisent pas sa réalité.
[36] Tout d'abord, la mention « stock - animaux - C.O.O.P.» est portée aux actifs des états financiers de la débitrice. Aussi, on comprend qu'elle est endettée auprès de la coopérative de 352 833 $, créance garantie par les « stocks - animaux - C.O.O.P. ». Ainsi, aux états financiers, les bovins sont décrits comme propriété de la débitrice et apparaissent comme grevés en faveur de la coopérative. Ces états financiers sont envoyés à la coopérative chaque année.
[37] Ensuite, le relevé CIDREQ de la coopérative décrit son activité économique comme étant de « Gérer les prêts accordés aux producteurs de bovins de boucherie ».
[38] La coopérative tient un « relevé de prêt » comme registre de ses relations avec la débitrice. Un autre document indique aussi les intérêts estimés. La débitrice a aussi signé un billet à ordre au bénéfice de la coopérative. Ces documents confirment qu'il s'agit d'une opération de financement.
[39] De plus, Mme Maryse Savage, la secrétaire-trésorière de la coopérative, qualifie de « financement » le rôle de la coopérative lorsqu'elle décrit la relation avec la débitrice. Elle dit : « Nous autres, on les finance puis eux autres les engraissent puis ils les revendent à l'abattoir ». Elle ajoute que la coopérative ne fait que du financement et elle qualifie le contrat de production de contrat de prêt qui fonctionne comme une marge de crédit. De plus, elle explique que ce n'est que lorsque toutes les sommes dues à la coopérative par le membre sont payées que la propriété des bovins lui est transférée.
[40] Son témoignage confirme que la propriété des bovins est accessoire au financement puisque le transfert de propriété se fait lorsque le titre conféré à la débitrice devient sans objet alors qu'aucune somme ne reste due.
[41] Le témoignage du président de la coopérative va dans le même sens. Le texte même du contrat indique qu'il y a transfert de propriété lorsque la créance est remboursée.
[42]
La débitrice, au vu de tous, est titulaire des attributs du droit de
propriété. L'article
947. La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.
Elle est susceptible de modalités et de démembrements.
[43]
L'article
949. Les fruits et revenus du bien appartiennent au propriétaire, qui supporte les frais qu'il a engagés pour les produire.
[44] En l'espèce, la débitrice a l'usage du bien. Elle a aussi le droit d'en disposer dans les conditions prévues au contrat.
[45] Aussi, malgré les termes du contrat qui définissent la coopérative comme propriétaire, les veaux qui naissent d'un animal acheté au moyen des avances consenties par la coopérative appartiennent à la débitrice. Il s'agit d'un attribut du droit de propriété.
[46] Comment la coopérative peut-elle en même temps être créancière de la marge de crédit avancée pour l'achat des animaux et propriétaire des animaux autrement que dans un cadre de garantie?
[47] Si la coopérative est propriétaire des animaux achetés par la débitrice, elle ne peut simultanément conserver la créance personnelle qu'elle a à l'égard de la débitrice.
[48] L'existence et la survie de la créance font voir le caractère suspendu de son droit de propriété dont la seule raison d'être est la garantie de l'obligation personnelle de la débitrice.
[49] Autrement dit, si, comme elle le prétend, la débitrice est propriétaire des animaux selon les termes de la convention, alors la débitrice ne lui doit rien. Par contre, si l'obligation personnelle existe et que la propriété des animaux n'est réservée à la coopérative que jusqu'à parfait paiement, à l'évidence même, il s'agit d'une garantie.
[50] C'est à bon droit que la juge de première instance qualifie l'entente de contrat de financement avec réserve de propriété[15].
[51] Toute l'opération n'a de raison d'être que dans le cadre d'un financement dont elle n'est que l'accessoire. Si ce n'était du financement et que la coopérative était véritablement propriétaire, il s'agirait d'un simple contrat de service assez semblable à celui qui, par exemple, lie un automobiliste au garagiste à qui il confie sa voiture pour réparation. Ce qui distingue le contrat de production de bovins d'un simple contrat de service est en lien direct avec la sécurité du prêt consenti à la débitrice.
Ce contrat devait-il être publié pour être opposable aux tiers ?
[52] Ayant conclu que le contrat créait une sûreté sous forme de réserve de propriété, il m'apparaît que, pour être opposable aux tiers, il fallait le publier.
[53] La juge de première instance ne commet pas d'erreur en situant le cadre juridique de la question.
[54]
Les causes légitimes de préférence parmi les créanciers ne peuvent
prendre que deux formes (article
2961.1. L'inscription de réserves de propriété, de facultés de rachat ou de leur cession consenties entre des personnes qui exploitent une entreprise, lorsqu'elle porte sur l'universalité des biens meubles d'une même nature susceptibles d'être l'objet de ventes ou de cessions entre ces personnes dans le cours de leurs activités, conserve au vendeur ou au cessionnaire tous ses droits, non seulement sur ces biens, mais aussi sur tous les biens de même nature qui font l'objet, entre ces mêmes personnes, de réserves, de facultés ou de cessions consenties postérieurement à l'inscription. Toutefois, ces réserves, facultés ou cessions ne sont pas opposables au tiers qui acquiert l'un de ces biens dans le cours des activités de l'entreprise de son vendeur.
L'inscription vaut pour une période de 10 ans; elle peut néanmoins valoir pour une période plus longue si elle est renouvelée.
Ces règles sont également applicables à l'inscription de droits de propriété résultant de crédits-bails, de droits résultant de baux de plus d'un an ou de leur cession consentis entre des personnes qui exploitent une entreprise, lorsque l'inscription porte sur une universalité de biens meubles d'une même nature susceptibles d'être l'objet de tels contrats entre ces personnes dans le cours de leurs activités.
(Je souligne)
[55] La juge ne commet pas d'erreur lorsqu'elle écrit[18] :
[65] La réserve de propriété de la coopérative n'ayant pas été publiée, le tribunal est d'avis que le Contrat n'est pas opposable au syndic.
[56] D'ailleurs, cette conclusion est conforme à la position que notre Cour a prise dans Paquet c. Tremblay[19]. S'appuyant sur deux arrêts de la Cour suprême[20], le juge Forget écrit :
[29] Dans les arrêts Ouellet et Lefebvre, le juge LeBel écrit très clairement que la modification apportée à la définition de « créancier garanti » mènerait à une conclusion tout à fait différente si les faits étaient survenus après la modification, ce qui est le cas en l'espèce :
· Dans Ouellet
Cette conclusion s’impose
dans l’état du droit applicable au litige. Depuis, cependant, il convient de
noter que des modifications législatives apportées à la Loi sur la faillite
et l’insolvabilité auraient conduit à un résultat différent, si elles avaient
été applicables à la présente affaire. En effet, les modifications
apportées à la définition du « créancier garanti » dans cette loi fédérale par
les art.
· Dans Lefebvre
Dans des modifications apportées à la définition du « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, édictées par la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, le Parlement fédéral a assimilé les droits d’un vendeur en vertu d’un contrat de vente conditionnelle ou à tempérament, ou d’un acquéreur à réméré, à ceux d’un créancier garanti (art. 25 et 28). Cette loi les assujettit ainsi à l’obligation de publication. Le droit de propriété devient alors un rapport de créance, protégé par une sûreté assujettie à une obligation de publication.
(Je souligne)
(Références omises)
[57] Donc, privée du droit à la réalisation de sa sûreté, la coopérative devient créancière ordinaire et sa réclamation doit être portée et traitée comme telle.
[58] Vu ma conclusion sur l'inopposabilité du droit de propriété de la coopérative, il est inutile de traiter de l'argument subsidiaire sur l'accession mobilière.
[59] Je propose de rejeter l'appel avec dépens.
|
|
|
|
JACQUES R. FOURNIER, J.C.A. |
[1] L.R.C. (1985), ch. B.-3.
[2]
Entreprises Mière inc. (Syndic de),
[3]
Entreprises Mière inc. (Syndic de),
[4]
Entreprises Mière inc. (Syndic de),
[5] Ibid., paragr. 22.
[6] Ibid., paragr. 39.
[7] Ibid., paragr. 40.
[8] Ibid., paragr. 43-57.
[9] Ibid., paragr. 66.
[10]
Didier Lluelles et Benoît Moore,
[11] D. Lluelles et B. Moore, supra, note 8, nº 1735, p. 919.
[12]
Promutuel Drummond, société mutuelle d'assurance générale c. Gestions
centre du Québec inc.,
[13] Jugement dont appel, paragr. 43.
[14]
Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy,
[15] Jugement dont appel, paragr. 58.
[16]
Ibid., paragr. 62 ; Voir aussi : Boisclair (Syndic de),
[17] Jugement dont appel, paragr. 63.
[18] Ibid., paragr. 65.
[19]
[20]
Ouellet (Syndic de)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.