[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 8 janvier 2010 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Danielle Turcotte), qui a rejeté l’action de la demanderesse.
[2] Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent la juge en chef Duval Hesler et le juge Hilton.
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec dépens ;
[4] CASSE le jugement de première instance ;
[5] ACCUEILLE la demande en passation de titre ;
[6] DÉCLARE l’Appelante propriétaire de l’immeuble
DÉSIGNATION
Un immeuble ayant front sur le boulevard Saint-Laurent, en la ville de Montréal, Province de Québec, connu et désigné comme étant le lot numéro UN MILLION HUIT CENT SOIXANTE-SEPT MILLE SIX CENT TRENTE-DEUX (1 867 632) au Cadastre du Québec, bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal.
Avec une bâtisse y érigée portant le numéro civique 6602, dudit boulevard Saint-Laurent, en la ville de Montréal, Province de Québec, H2S 3C6.
Tel que le tout se trouve présentement avec toutes les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes attachées audit immeuble, sans exception ni réserve de la part du vendeur.
L’immeuble est sujet aux droits conférés à Hydro-Québec conformément aux Conditions de services d’électricité approuvées par la Régie de l’énergie, notamment l’autorisation accordée à Hydro-Québec d’installer sans servitude ni même autorisation, à l’endroit qu’elle détermine, des poteaux et autres installations électriques utiles à son réseau dans la mesure où ce réseau dessert aussi l’immeuble.
et ce, en date du 31 mars 2012 ;
[7] DÉCLARE que le présent arrêt vaut titre de propriété pour l’Appelante selon les termes de P-13 ;
[8] ORDONNE au notaire de l’Appelante de retirer dès à présent la somme déposée pour :
- payer les charges prioritaires et hypothécaires contre l’immeuble s’il en est ;
- payer le prix ou le solde du prix de vente à l’Intimée ;
- régler les ajustements habituels en date du 31 mars 2012 ;
[9] ORDONNE à l’Appelante de remettre sans délai à son notaire la somme additionnelle requise, le cas échéant, pour payer le coût des ajustements ;
[10] ORDONNE au notaire de publier le titre de l’Appelante, l’acte de vente ordinaire ou le présent arrêt ;
[11] ORDONNE à l’Intimée de remettre dès à présent à l’Appelante « the following documents in his possession: purchase contract and any other title of ownership, real estate tax receipts, lease, loan and hypothecary security contract, certificate of location… and any documents that may be required for any adjustments to be made at the time of the sale. »
[12] RÉSERVE aux parties le droit de s’adresser à la Cour supérieure par simple requête pour trancher toute difficulté éventuelle en cours d’exécution du présent arrêt ou pour parfaire le titre de l’Appelante.
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[13] L’action en passation de titre de l’Appelante a été rejetée en première instance au motif qu’elle a trop tardé à remplir les formalités essentielles requises pour accueillir une telle demande.
[14] En effet, la juge de première instance (la Juge) considère « déraisonnable » le délai entre l’offre et l’accomplissement de ces formalités, finalement complétées au jour de l’audience sur le fond :
[31] Le Tribunal considère que le délai de deux ans et demi, qui s'est écoulé depuis l'offre conditionnelle et le moment où la demanderesse l'a finalement rendue ferme et finale, est déraisonnable.
[15] Qu’en est-il? Pour trancher, il faut revoir les étapes de cette affaire, plutôt banale au départ.
[16] Au début de mai 2007, l’Intimée met son immeuble en vente. La fiche MLS[1] informe les intéressés que ce « jumelé » de neuf logements génère un revenu potentiel brut de 43 000 $. Les renseignements habituels sont fournis : taxes, évaluation municipale, photo, etc. Le prix demandé est de 499 000 $. On y précise aussi : « visite des lieux avec promesse d’achat acceptée ».
[17] Peu après, l’Appelante fait une offre d’achat au montant de 435 000 $, conditionnelle à l’obtention d’un financement hypothécaire de 325 000 $ :
A4.1 MODALITÉS L’ACHETEUR s’engage à entreprendre de bonne foi, dans les plus brefs délais et à ses frais, toutes les démarches nécessaires pour obtenir un emprunt de 325 000 $, garanti par une hypothèque de Premier rang;
A4.2 ENGAGEMENT L’ACHETEUR s’engage à fournir au VENDEUR, dans les 21 jours suivant l’acceptation des présentes, copie de l’engagement d’un prêteur hypothécaire à lui consentir un tel emprunt. La réception d’un tel engagement dans ce délai aura pour effet de satisfaire pleinement aux conditions énoncées à A4.1 et A4.2.
[18] Rapidement, l’Intimée fait une contre-offre à 475 000 $, que l’Appelante accepte le 11 mai. Les parties sont dès lors liées et le processus de vente peut suivre son cours.
[19] La prochaine étape, telle qu’établie dans l’offre d’achat, est la remise d’une copie des baux par l’Intimée à l’Appelante pour lui permettre, entre autres, de monter son dossier pour négocier son financement de 325 000 $. L’Intimée a trois jours pour ce faire :
3.1 …le VENDEUR devra remettre à l’ACHETEUR copie de tous les baux, ainsi qu’une copie des états financiers ou une liste des dépenses concernant l’IMMEUBLE, dans les 3 jours de l’acceptation des présentes.[…]
[20] Aussi, dès le lendemain 12 mai, l’agent immobilier de l’Intimée écrit à sa cliente pour planifier la remise des baux et la visite des lieux, maintenant autorisée.
[21] Mais là, tout bloque. L’Intimée informe l’Appelante qu’elle ne veut pas vendre son immeuble. Deux jours plus tard, il y a une rencontre qui dure cinq minutes, où l’Intimée réitère catégoriquement que son immeuble n’est plus à vendre.
[22] De fait, le 30 mai, l’Intimée donne instructions à son agent « to remove the immovable from the market ».
[23] Bien sûr, les baux ne sont pas transmis, aucune visite des lieux n’est envisagée et l’Appelante n’entreprend pas de démarches pour le financement.
[24] Après la rencontre de mai, il n’y a aucune communication entre les parties jusqu’en décembre, alors que l’Intimée remet son immeuble en vente, par l’entremise du même agent, au prix de 500 000 $ (1 000 $ de plus qu’en mai).
[25] L’Appelante réagit aussitôt par une mise en demeure exigeant le respect de la promesse déjà acceptée. L’Intimée répond qu’à la suite de la rencontre de mai « votre cliente a tout simplement abandonné son offre », laquelle en conséquence « est devenue nulle et non avenue » et que « toute action de votre part sera vigoureusement contestée ».
[26] L’action en passation de titre est intentée le mois suivant.
[27] Avant d’examiner le déroulement de l’instance, notons que, en mai, l’Intimée n’a aucun motif valable pour refuser d’honorer son engagement de vendre, dûment contracté par l’acceptation de l’offre de l’Appelante.
[28] En première instance, l’Intimée a bien plaidé que le signataire de l’acceptation de l’offre, l’un des deux seuls intéressés dans la société Intimée, n’avait pas l’autorité pour le faire. La Juge a rejeté, avec raison, ce moyen non repris en appel.
[29] D’ailleurs, par sa réponse à la mise en demeure, que l’abandon de l’offre l’a rendue nulle et non avenue, l’Intimée reconnaissait implicitement l’existence d’une offre avant son abandon.
[30] Ce moyen de défense de l’Intimée a eu comme résultat de démontrer sa mauvaise foi comme le souligne la Juge :
[33] C'est toutefois de manière éhontée [que les deux intéressés] ont insisté sur ce point. Ils ont amendé leurs procédures, multiplié les contradictions et les arguments farfelus pour tenter de convaincre le Tribunal que l'un ignorait ce que l'autre faisait.
[31] Revenons à l’action. L’Appelante l’intente sans consigner le prix de 475 000 $, comme le note la Juge :
[8] En janvier 2008, une requête en passation de titre est introduite. Aucune somme d'argent n'est offerte, ni aucune allusion au fait que les fonds sont disponibles et que l'acte de vente est prêt pour signature.
[32] L’étape suivante se situe presque deux ans plus tard, en octobre 2009, un mois avant l’audience sur le fond de l’action, alors que l’Appelante convoque l’Intimée chez le notaire pour signer l’acte de vente et recevoir paiement du prix de vente.
[33] L’Intimée n’obtempère pas et l’Appelante dépose alors le projet d’acte de vente au dossier du tribunal et y consigne le prix de vente, avant l’audience sur le fond.
[34] La Juge divise son analyse en trois chapitres.
[35] Le premier : La promesse conditionnelle.
[36] Elle y énonce avec raison que « pour passer titre, l'offre ne peut plus être assujettie à une condition. Elle doit être devenue ferme et finale ».
[37] Ce qui ne serait pas le cas ici :
[18] Or, cela ne s'est jamais produit. Les conditions n'ont pas été accomplies et la demanderesse n'y a pas renoncé.[…]
[38] Le second : Les formalités d’une action en passation de titre n’ont pas été remplies.
[39] Ici la Juge reproche à l’Appelante de ne jamais avoir signé l’acte de vente avant d’exiger que l’Intimée passe chez le notaire pour le signer elle-même.
[40] Le troisième : Le délai raisonnable.
[41] C’est le motif principal de sa décision comme le font voir les premiers paragraphes de ce chapitre :
[25] Même en mettant de côté les arguments précédents, l'action devrait quand même être rejetée car la demanderesse n'a pas agi dans un délai raisonnable.
[26] D'emblée, le Tribunal reconnaît que la défenderesse devait donner accès à sa propriété pour en permettre l'examen par une personne mandatée par la demanderesse. C'est également à tort que la défenderesse n'a pas fourni les documents nécessaires à l'évaluation des revenus locatifs de cette propriété.
[27] Toutefois, alors qu'elle était en droit d'exiger de visiter l'immeuble et d'obtenir les renseignements souhaités, la demanderesse n'a pas mis la défenderesse en demeure. À l'inverse, au moment où elle apprend que Bitton refuse de donner suite à l'engagement pris pour la défenderesse par Elbaz, elle capitule. La demanderesse s'est comportée de manière résignée.
[28] La demanderesse ne se manifeste que sept mois plus tard, lorsqu'elle apprend que l'immeuble est remis en vente. Cependant, sa lettre de mise en demeure est muette quant au prix de vente et à sa capacité de le payer. Aucun acte de vente n'est proposé et encore bien moins signé, évidemment, puisque l'offre est, à ce moment, conditionnelle. Il faudra attendre encore deux ans avant que les formalités de base ne soient accomplies et encore là, seulement en partie.
[29] Les tribunaux ont déjà considéré que la passivité d'une partie est un facteur déterminant dans l'appréciation de sa diligence à se prévaloir de ses droits.
[30] Dans le même esprit, l'honorable Hélène Langlois écrivait :
[49] L'omission par une partie de satisfaire son obligation de passer acte dans un délai raisonnable eu égard aux circonstances, et ce, sans juste cause, est considérée de la nature d'une renonciation aux effets d'une offre ou promesse de vente, libérant l'autre de ses obligations. Durant ce délai, les parties doivent faire preuve de diligence et s'assurer de respecter leurs obligations de façon à faire en sorte que les conditions prévues à une promesse de vente ou d'achat soient remplies. Une partie, en défaut de remplir ses propres obligations en conséquence de la faute de l'autre, ne saurait cependant perdre ses droits en vertu d'une telle promesse.
[50] Quel est ce délai raisonnable ? Les modalités à cet égard prévues à la promesse d'achat ou de vente et le comportement des parties sont, entre autres, indicatifs de leur intention quant à ce délai … »
[31] Le Tribunal considère que le délai de deux ans et demi, qui s'est écoulé depuis l'offre conditionnelle et le moment où la demanderesse l'a finalement rendue ferme et finale, est déraisonnable.
[Références omises]
[42] En commençant par le dernier point, crucial dans cette affaire.
[43] Première question : y a-t-il eu « abandon de son offre d’achat » par l’Appelante pour reprendre l’expression de l’Intimée?
[44] La Juge ne tranche pas vraiment ce point. Aux paragraphes 27 et 28, elle le laisse entendre :
[27] … [l’Appelante] capitule. [Elle] s'est comportée de manière résignée.
[28] [L’Appelante] ne se manifeste que sept mois plus tard, lorsqu'elle apprend que l'immeuble est remis en vente. […]
Mais le seul délai qui emporte sa décision est le délai global de deux ans et demi et non celui de sept mois :
[31] Le Tribunal considère que le délai de deux ans et demi, qui s'est écoulé depuis l'offre conditionnelle et le moment où la demanderesse l'a finalement rendue ferme et finale, est déraisonnable.
[45] Soit dit avec respect, il me semble qu’il y a là confusion entre deux délais. D’une part, celui alloué à une partie pour remplir sa propre obligation et, d’autre part, celui dont cette même partie dispose pour forcer l’autre à remplir l’obligation que cette dernière refuse à tort d’exécuter.
[46] Ici, on est dans la seconde situation et non dans la première. Il n’y a pas de retard de la part de l’Appelante à remplir sa propre obligation vis-à-vis l’Intimée, c’est cette dernière qui refuse de donner suite à son engagement et ne lui livre pas les baux dans le délai prévu, bloquant tout le processus de la vente.
[47] Dans plusieurs affaires, on voit le bénéficiaire d’une promesse avoir de la difficulté à obtenir son financement et n’y réussir que plusieurs jours et même plusieurs semaines après l’échéance prévue à l’offre. La question se pose alors s’il est trop tard, si le délai prolongé demeure raisonnable par rapport à celui stipulé. Si tel n’est pas le cas, le manque de diligence du bénéficiaire emporte la perte de son droit.
[48] Cette distinction est bien formulée dans la citation au paragraphe 30 du jugement que je reproduis en soulignant :
[30] Dans le même esprit, l'honorable Hélène Langlois écrivait :
[49] L'omission par une partie de satisfaire son obligation de passer acte dans un délai raisonnable eu égard aux circonstances, et ce, sans juste cause, est considérée de la nature d'une renonciation aux effets d'une offre ou promesse de vente, libérant l'autre de ses obligations. […] Une partie, en défaut de remplir ses propres obligations en conséquence de la faute de l'autre, ne saurait cependant perdre ses droits en vertu d'une telle promesse.
[…]»
[49] La question est donc de savoir de quel délai l’Appelante disposait pour prendre action en justice contre l’Intimée.
[50] L’action en passation de titre se prescrit par trois ans. L’Appelante pouvait l’intenter après sept mois.
[51] Ajoutons, même si l’argument n’a pas vraiment été repris en appel, que l’Appelante n’a jamais renoncé à son droit, elle n’a jamais « abandonné » son offre d’achat.
[52] La renonciation à un droit ne se présume pas et c’est l’Intimée qui devait la prouver. Or, après le refus de l’Intimée en mai, aucun geste, aucune parole, aucun écrit de l’Appelante n’est mis en preuve qui puisse fonder l’allégation de renonciation. Au mieux pour soutenir la prétention de l’Intimée, on peut constater que l’Appelante est demeurée passive durant sept mois, tout comme l’Intimée elle-même d’ailleurs. Le délai seul est insuffisant pour prouver renonciation à un droit.
[53] Qu’en est-il du délai retenu par la Juge entre « l’offre conditionnelle et le moment où la demanderesse l’a finalement rendu ferme et finale »?
[54] Rendre l’offre ferme et finale - en renonçant à exiger les baux et une visite des lieux - ne constitue pas une obligation contractuelle de l’Appelante envers l’Intimée à être exécutée dans un délai donné. Le laps de temps écoulé avant de rendre l’offre ferme ne correspond pas à un délai pendant lequel une partie doit fournir une prestation à son cocontractant.
[55] Et en conséquence, on ne peut retenir contre l’Appelante qu’elle ait excédé un délai raisonnable pour remplir une obligation.
[56] La question est plutôt de déterminer si l’Appelante a rendu l’offre ferme et finale en temps utile. Car, comme la Juge le rappelle, avec raison, l’Appelante ne pouvait exiger la passation de titre tant que l’offre d’achat demeurait conditionnelle.
[57] Certes l’Appelante ne pouvait à la fois rechercher une ordonnance du tribunal pour forcer l’Intimée à remplir ses obligations préalables et exiger en même temps l’exécution de l’obligation finale, la passation de titre. Elle se devait de choisir. Soit d’exiger d’abord que l’Intimée exécute ses obligations préalables et alors la passation de titre devait être reportée à plus tard. Soit renoncer à ces prestations préalables et ainsi rendre l’offre ferme ce qui lui permettrait d’exiger immédiatement la passation de titre.
[58] La Juge retient que l’Appelante n’a pas renoncé à exiger l’exécution par l’Intimée de ses obligations préalables. Je ne partage pas cet avis, soit dit avec égards.
[59] Il est vrai que deux conclusions de l’action en demandaient l’exécution :
ORDONNER à la défenderesse de donner accès à l’immeuble à la demanderesse afin que celle-ci puisse effectuer une inspection des lieux;
ORDONNER à la défenderesse de remettre à la demanderesse une copie de tous les baux de l’immeuble, copie des clés et original du certificat de localisation et ce, dans les cinq (5) jours du jugement à intervenir;
[60] L’Appelante s’en est toutefois formellement désistée à l’audience, après avoir expressément mentionné lors de sa déposition qu’elle était prête à prendre l’immeuble tel quel, sans l’avoir visité.
[61] D’ailleurs, si les deux conclusions n’avaient pas été retirées, la Juge aurait dû les accorder car l’Intimée n’avait pas le droit de refuser d’exécuter ses obligations préalables ni en mai 2007 au lendemain de l’acceptation de l’offre, ni lors de la signification de l’action en janvier 2008, ni au jour de l’audience. Bien sûr, en accueillant cette demande, la Juge aurait considéré prématurée la demande en passation de titre.
[62] En outre, l’examen du projet de l’acte de vente notarié déposé au dossier du tribunal ne comporte aucune condition, il reflète une offre ferme, sans condition. On y lit que l’Intimée vend à l’Appelante « l’immeuble… avec une bâtisse y érigée… tel que le tout se trouve présentement… » Et encore « que la vente est faite pour le prix de 475 000 $ que le vendeur reconnaît avoir reçu de l’acquéreur, dont quittance totale et finale ».
[63] Ce qui nous amène au dernier moyen que l’Intimée invoque dans sa défense à l’action en passation de titre : « la demanderesse n’a jamais obtenu le financement pour la transaction avant le mois d’octobre 2009 ».
[64] Bien que ce fait soit vrai, il n’a pas pour autant fait perdre à l’Appelante son droit à la passation de titre.
[65] La Juge a souligné avec justesse « que les tribunaux ont, au fil des ans, fait preuve d’une plus grande souplesse à l’égard des pré-requis en la matière ». Ils ont éliminé le formalisme qui avait pour effet de permettre au débiteur récalcitrant de réussir à se libérer en définitive de son engagement de vendre, le temps jouant en sa faveur.
[66] À l’audience, la Juge constate l’existence du contrat, l’obligation de vendre de l’Intimée et son refus de mauvaise foi de s’exécuter. À partir de là, elle se doit d’accueillir la passation de titre si l’état du dossier lui assure que l’Appelante, acquéreuse, est prête et en mesure de remplir ses propres obligations vis-à-vis la vendeuse, dont la principale, le paiement du prix.
[67] Le moment crucial est celui où le tribunal tranche et non celui où l’action est prise, pour forcer le promettant vendeur à respecter son obligation. Si, au lendemain de l’action, l’Intimée reconnaît son obligation de vendre, remet les baux et permet la visite des lieux, alors l’Appelante a 21 jours pour trouver son financement et faire en sorte que l’acte de vente soit signé dans le mois suivant.
[68] Il est presque ironique d’entendre l’Intimée invoquer des délais, pour être libérée de son obligation de vendre, qu’elle-même, sans l’ombre d’un droit, a occasionnés.
[69] Notons aussi que tout le temps du procès, jusqu’au jugement, l’Intimée conserve son immeuble et en perçoit les loyers. Il n’est ni utile ni équitable d’obliger l’Appelante à supporter le coût en intérêt d’une consignation dont le but est d’assurer la disponibilité du prix de vente le jour où un juge aura à trancher s’il ordonne de procéder à la vente. Aussi, la promesse d’achat prévoit que « …l’Acheteur convient de payer entièrement [le prix d’achat] lors de la signature de l’acte de vente, … » et en toute logique, que « l’Acheteur sera propriétaire à compter de la signature de l’acte de vente ».
[70] Et l’Appelante ne demandait pas en première instance, ni ne demande aujourd’hui en appel, d’être déclarée propriétaire de l’immeuble rétroactivement au jour où l’acte de vente aurait dû être signé si le vendeur avait respecté ses obligations.
[71] Déjà en 1993, dans l’affaire Bettan c. 146207 Canada inc.[2], sous la plume du juge Baudouin, la Cour rappelait l’importance relative des formalités de l’action en passation de titre :
La jurisprudence de notre Cour me paraît maintenant bien fixée. En principe, l’acte notarié proposé pour signature doit être conforme à l’intention des parties et donc respecter rigoureusement l’entente originale. En effet, le jugement en passation de titre est l’équivalent de la signature de la partie défaillante. Il ne peut donc faire en sorte de contraindre celle-ci à un marché qui n’est pas celui qu’elle a effectivement conclu [références omises].
Toutefois, ce principe général n’est pas d’interprétation stricte, rigoriste et byzantine. Le respect de la parole donnée et l’exécution de bonne foi des engagements pris doivent l’emporter sur le formalisme. […]
[72] En 1997, dans l’affaire Houlachi c. Bray[3], la Cour s’appuyant sur l’arrêt Bettan confirmait la même hiérarchie des principes :
Essentially, the trial judge found that appellants had acted in bad faith throughout, disregarding their legal obligations and seeking to resiliate, without valid cause, their binding contract with respondents.
[…]
In Bettan, speaking for the Court, Baudouin J.A., citing Thouin, supra stated that in preserving the requirement of tender and deposit, “on ne doit pas tomber, pour autant, dans un formalisme désuet et injustifié”.
Earlier, in Provenzano, giving the reasons of the majority, Justice Baudouin reviewed the underlying principles in these terms:
Le demandeur, dans l'action en passation de titre, doit se soumettre à un certain nombre de conditions strictes. L'une d'elles est précisément d'offrir pour signature une proposition d'acte reflétant à la convention des parties. La raison en est que la vente est un contrat synallagmatique comportant des obligations réciproques à la charge de chacun des contractants. L'un d'eux ne peut donc forcer l'autre à exécuter les siennes sans offrir au moins de remplir celles qui lui incombent. C'est une explication particulière de l'exception d'inexécution (exceptio non adimpleti contractus). L'acheteur ne saurait donc exiger la signature du vendeur s'il n'offre pas une convention respectant l'entente des parties et s'il ne montre pas qu'il est prêt à exécuter sa part du marché en consignant le prix.
On retrouve en jurisprudence de nombreuses illustrations de ce principe. Ainsi, un acheteur ne peut être contraint de signer un acte de vente qui contient des conditions qui ne sont pas dans l'entente originale.
Par contre, notre droit des contrats est soumis à un autre grand principe qui est le respect de la parole donnée et l'exécution de bonne foi des engagements. Un contractant ne peut refuser de respecter ses obligations en invoquant un simple prétexte ou tenter de se soustraire aux conséquences d'un contrat valablement conclu par de simples arguties.
Une recherche dans notre jurisprudence sur la question m'a révélé que les tribunaux se sont montrés souples et ont toujours refusé de privilégier l'exigence de la stricte conformité de l'acte proposé aux dépens de l'équité et de la bonne foi.
[Soulignements du juge Fish]
[…]
The governing principle on an action in conveyance of title is that courts must ensure performance by the parties to a binding offer of their respective and reciprocal obligations. This requires, on the part of the suing purchaser, an evident intent and demonstrable capacity to respect the conditions of the offer —and, in particular, the conditions agreed to for payment of the price.
[…]
In these circumstances, I would hold that the law did not subject respondents to the "obsolete formality" of paying for the property when the action was filed — years before the corresponding obligation of appellants, the transfer of title to the property, could be compelled by court order.
While dispensing with this formality, however, I would take care to preserve by other means the substantive protection it was initially designed to secure.
As a plain matter of justice, purchasers in good faith should not be prevented by anachronistic rules from exercising their proper legal recourse against recalcitrant vendors who refuse without valid cause to proceed with the sale; nor should vendors in good faith be exposed to vexatious proceedings by purchasers who, when bound to do so, are unwilling or unable to sign a deed and pay for the property in accordance with the terms of the offer.
The trial judge was thus bound, in my respectful view, to make certain that title to the property did not pass from appellants to respondents as a result of his judgment until respondents had paid for it in accordance with the terms of the deed.
[73] Et en toute logique, la Cour permettait le dépôt du prix de vente postérieurement à l’arrêt :
b) ORDERS plaintiffs to make the required deposit within thirty days from the date of this judgment and to serve upon defendants and all impleaded parties, within seven days of making the deposit, a certified copy of the receipt issued by the Court;
c) DECLARES that plaintiffs, failing deposit of the amount mentioned within the delay granted or within such further delay as this (Superior) Court, upon motion served on defendants and filed within thirty days of the present judgment, may fix, shall be deemed to have renounced their claim to the property in virtue of the present judgment;
[74] En 2010, dans l’affaire Habitation Germat inc. c. Glove[4], la Cour après avoir constaté que le vendeur « a résilié unilatéralement et sans droit le contrat préliminaire » et qu’il est « en défaut de signer l’acte de vente » ordonne la passation de titre. Et ce, malgré l’absence de consignation du prix de vente lors de la prise de l’action :
[87] Quant à la suffisance de la consignation effectuée seulement à la suite de la présentation par les appelants d'une requête en irrecevabilité et du jugement sur cette requête du juge Béliveau, le 27 juillet 2005, je suis d'avis que ce jugement a, à cet égard, l'autorité de la chose jugée.
[88] La requête en irrecevabilité était fondée sur les allégations suivantes :
6. En aucun temps, les demandeurs ne démontrent la disponibilité des fonds nécessaires pour pourvoir au paiement du prix de vente;
7. En aucun temps, les demandeurs n'offrent à la défenderesse Habitations Germat Inc. de payer le prix de vente de l'immeuble;
8. En aucun temps, les demandeurs ne consignent au dossier de la cour, ou auprès d'une société de fiducie, le montant du prix de vente;
[89] Elle contenait donc déjà les mêmes griefs qui sont de nouveau plaidés devant nous. Elle demandait le rejet de l'action pour les mêmes motifs qu'elle soulève de nouveau devant nous et la radiation de l'avis de préinscription au Bureau de la publicité des droits.
[90] Le juge Béliveau, saisi d'une telle requête, avait la compétence de permettre aux appelants de remédier à leur défaut plutôt que de rejeter l'action, qui aurait pu être immédiatement réintentée. La jurisprudence est maintenant claire que la finalité de cette formalité préalable est d'assurer que le prix d'achat convenu de l'immeuble sera disponible pour le vendeur lors du jugement final accueillant le recours en passation de titre*. Le juge Béliveau ne se prononce pas sur le fond de la requête, mais accorde un délai jusqu'au 9 août 2005 pour permettre aux intimés de consigner un montant de 314 900 $, ce qui fut fait. Les appelants ne contestent pas la suffisance du montant à ce moment et ont même convenu avec les intimés que la somme soit déposée en fidéicommis et non consignée à la Cour.
__________
* Houlachi c. Bray, J.E. 97-2114 (C.A.).
[75] En 2011, la Cour[5] a cassé un jugement où, en cours d’audience sur le fond, le juge n’a accordé au promettant acheteur que moins de 24 heures pour déposer 570 000 $.
[76] En résumé, un juge doit d’abord trancher s’il existe un contrat entre les parties et si l’une refuse à tort de s’exécuter (Houlachi, cité ci-dessus) :
Par contre, notre droit des contrats est soumis à un autre grand principe qui est le respect de la parole donnée et l'exécution de bonne foi des engagements. Un contractant ne peut refuser de respecter ses obligations en invoquant un simple prétexte ou tenter de se soustraire aux conséquences d'un contrat valablement conclu par de simples arguties.
[77] Si c’est le cas, il doit favoriser l’exécution du contrat en s’assurant bien sûr que le vendeur sera payé et que le contrat de vente est conforme à la promesse. Ici la souplesse s’impose, je dirais même la créativité.
[78] C’est dans le même esprit qu’il faut aborder l’absence de signature de l’Appelante sur le projet d’acte de vente déposé au dossier. Sa décision d’acheter est ferme, constante et sans équivoque. Elle est prête à signer. Si ce point avait eu quelque importance pour l’Intimée, il faudrait s’y arrêter. Mais tel n’est pas le cas, l’Intimée refuse de vendre et ses représentants auraient refusé de signer l’acte même préalablement signé par l’Appelante. Voir Hamakiotis c. Argyrakis[6], sur l’importance relative de cette formalité en pareilles circonstances.
[79] À l’audience, l’Intimée a plaidé que l’absence de formalité pourrait entraîner des abus. L’absence de dépôt obligatoire du prix de vente dès la prise de l’action pourrait faire en sorte qu’un promettant acheteur, sans droit véritable, pourrait « geler » l’immeuble du vendeur pour deux à trois ans.
[80] L’argument a du vrai, mais il ne me convainc pas d’accepter un abus parce qu’un autre pourrait survenir. Quelle que soit la règle, il y en aura toujours qui tenteront de la contourner, par mauvaise volonté ou mauvaise foi.
[81] Mais surtout, il faut noter que si la jurisprudence a écarté le formalisme d’antan, parallèlement la loi a donné aux juges des pouvoirs accrus pour contrer les abus, et ce, dès le début d’une instance. Ce sont les ordonnances de sauvegarde et aussi et surtout les nombreux moyens prévus au chapitre « Du pouvoir de sanctionner les abus de la procédure » qui peuvent même être mis en œuvre si le juge estime « qu’il paraît y avoir abus ».
[82] La Cour s’est assurée que le prix de vente est aujourd’hui disponible et que le projet d’acte de vente au dossier (P-13) est conforme à la promesse. Aussi, la passation de titre sera-t-elle déclarée pour être effective dans un court délai.
[83] Bien sûr, l’Intimée pourra acquiescer à jugement dans ce délai et les parties convenir de procéder par un acte notarié ordinaire.
[84] Pour ces motifs, je suis d’avis de rendre un arrêt dans les termes suivants :
ACCUEILLIR l’appel, avec dépens ;
CASSER le jugement de première instance ;
ACCUEILLIR la demande en passation de titre ;
DÉCLARER l’Appelante propriétaire de l’immeuble
DÉSIGNATION
Un immeuble ayant front sur le boulevard Saint-Laurent, en la ville de Montréal, Province de Québec, connu et désigné comme étant le lot numéro UN MILLION HUIT CENT SOIXANTE-SEPT MILLE SIX CENT TRENTE-DEUX (1 867 632) au Cadastre du Québec, bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal.
Avec une bâtisse y érigée portant le numéro civique 6602, dudit boulevard Saint-Laurent, en la ville de Montréal, Province de Québec, H2S 3C6.
Tel que le tout se trouve présentement avec toutes les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes attachées audit immeuble, sans exception ni réserve de la part du vendeur.
L’immeuble est sujet aux droits conférés à Hydro-Québec conformément aux Conditions de services d’électricité approuvées par la Régie de l’énergie, notamment l’autorisation accordée à Hydro-Québec d’installer sans servitude ni même autorisation, à l’endroit qu’elle détermine, des poteaux et autres installations électriques utiles à son réseau dans la mesure où ce réseau dessert aussi l’immeuble.
et ce, en date du 31 mars 2012 ;
DÉCLARER que le présent arrêt vaut titre de propriété pour l’Appelante selon les termes de P-13 ;
ORDONNER au notaire de l’Appelante de retirer dès à présent la somme déposée pour :
- payer les charges prioritaires et hypothécaires contre l’immeuble s’il en est ;
- payer le prix ou le solde du prix de vente à l’Intimée ;
- régler les ajustements habituels en date du 31 mars 2012 ;
ORDONNER à l’Appelante de remettre sans délai à son notaire la somme additionnelle requise, le cas échéant, pour payer le coût des ajustements ;
ORDONNER au notaire de publier le titre de l’Appelante, l’acte de vente ordinaire ou le présent arrêt ;
ORDONNER à l’Intimée de remettre dès à présent à l’Appelante « the following documents in his possession: purchase contract and any other title of ownership, real estate tax receipts, lease, loan and hypothecary security contract, certificate of location … and any documents that may be required for any adjustments to be made at the time of the sale. »
RÉSERVER aux parties le droit de s’adresser à la Cour supérieure par simple requête pour trancher toute difficulté éventuelle en cours d’exécution du présent arrêt ou pour parfaire le titre de l’Appelante.
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
[1] Service d’Inscription Multiple (MLS).
[2] 1993 CanLII 3533 (QC C.A.).
[3] Georges Houlachi c. Christopher Bray, C.A. 500-09-001875-954, honorables Vallerand, Fish, Robert, le 31 octobre 1997, 1997 CanLII 10151 (QC C.A.), J.E. 97-2114 (C.A.).
[4] 2010 QCCA 611 , J.E. 2010-705 .
[5] Hamel c. Mono-Lino inc., [2011] J.Q. no. 12601, 2011 QCCA 1641.
[6] 2006 QCCS 2896 , J.E. 2006-1395 .
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