Décision

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Mortreux c. CMC électronique inc.

2012 QCCS 4547

JA 0783

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-051544-099

 

 

 

DATE :

1er octobre 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE CHRISTIANE ALARY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

JEAN-PIERRE MORTREUX

 

            Demandeur

c.

 

CMC ÉLECTRONIQUE INC.

 

et

 

ESTERLINE TECHNOLOGIES CORPORATION

 

            Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

MISE EN CONTEXTE

[1]           Monsieur Jean-Pierre Mortreux (« M. Mortreux ») poursuit CMC Électronique inc. (« CMC ») et Esterline Technologies Corporation (« Esterline ») collectivement (« l'Employeur ») à la suite de son congédiement.

[2]           M. Mortreux était, du 7 septembre 2004 au 26 mai 2009, président et chef de la direction de CMC.

[3]           M. Mortreux réclame solidairement[1] un montant de 1 978 021,33 $, comprenant une indemnité de départ tenant lieu de délai de congé, d'une durée de vingt-quatre mois, ainsi que ses honoraires extrajudiciaires.

[4]           L'Employeur soutient que M. Mortreux a démissionné ou alors qu'il a été congédié pour une cause juste et suffisante.

LES FAITS

            arrivée de m. mortreux chez cmc

[5]           M. Mortreux est diplômé en ingénierie et détient une maîtrise en administration des affaires.

[6]           Il a été président et chef de la direction de Sextant Avionique inc., un groupe aéronautique français. À compter de 1985, il accepte un poste auprès du groupe Thales Avionique Canada inc., une autre entreprise en aéronautique. Il occupe d'abord des postes en France, puis en Floride, entre 1991 et 1996.

[7]           En 1996 M. Mortreux devient président de Thales Avionique Amérique du Nord et il s'installe à Montréal. Vers l'année 2003, Thales lui propose un transfert en Chine ou en France, mais il désire demeurer au Québec puisque sa famille y est bien installée.

[8]           Vers 2004, M. Mortreux est approché par CMC, anciennement connue comme la compagnie Marconi Canada.

[9]           CMC est une entreprise qui développe et vend des produits électroniques de haute technologie pour l'industrie de l'aviation.

[10]        Au cours d'un processus de recrutement qui dure environ 9 mois, M. Mortreux rencontre notamment certains actionnaires de CMC, soit Onex et la Caisse de dépôt et de placements du Québec. Celles-ci lui indiquent que, sur une perspective de 5 ans, elles voudront se départir de l'entreprise. M. Mortreux négocie donc un contrat d'emploi qui prévoit différents scénarios, notamment celui où CMC serait vendue. Le 1er juin 2004, il signe un contrat d'emploi[2]. Il entre en fonction à titre de président et chef de la direction en septembre 2004.

[11]        Dans le cadre de son contrat d'emploi, M. Mortreux s’assure que si l’Employeur le congédie sans cause juste et suffisante[3], il recevra, de façon minimale, dix-huit mois de salaire ainsi que son bonus:

10. Termination of the Employee's Employment:

(…)

(b) By the Corporation:

(i) Termination Without Cause - The Corporation may, without cause, at any time during the term of this Agreement terminate the employment of the Employee as President and Chief Executive Officer of the Corporation in which case the Employee shall be entitled commencing on the date that the Employee's employment is terminated, to:

(A)  Severance in an amount equal to eighteen (18) months Annual Salary plus 1.5 times annualized bonus at target performance under the Employee’s bonus plan in effect at the date of termination, payable in eighteen (18) equal monthly installments, provided that if the Employee breaches the Non-Competition covenant set out in paragraph 13, all payments of Annual Salary and annualized bonus will immediately terminate, without prejudice to the Corporation's other rights to enforce paragraph 13 of this Agreement;

(B)  Have Stock Options which were granted to the Employee prior to termination of his employment but which would otherwise vest (on a pro rata basis) at any time in the following eighteen (18) months to vest immediately and to have all vested Stock Options not yet exercised be exercisable by the Employee within 30 days of the date of termination of the Employee's employment after which time all unexercised options will expire; and

(C) Be paid all Annual Salary accrued to the date of termination plus a bonus pro rated for the portion of the year prior to the date of termination at target performance under the Employee’s bonus plan in effect at the date of termination.

[12]        Le contrat d'emploi prévoit également une indemnité en cas de congédiement pour incapacité[4] :

10. Termination of Employee's Employment

(a) By the Employee

(…)

(ii) Disability - In the event that the Board, excluding, if applicable, the individual, acting reasonably, determines that the Employee is unable, due to illness, disease, mental or physical disability or similar cause, to substantially perform his duties for any consecutive three-month period with no reasonable expectation of recovery within a reasonable period thereafter or for any period of six months (whether or not consecutive) in any consecutive 24-month period (…)

the Corporation may elect to treat the Employee’s employment and this Agreement as having been frustrated, such election being exercisable by providing the Employee notice in writing, as well as the benefits and payments he would have received pursuant to Sections 10. (b) (i) (A), (B) and (C), less the amount of any sick pay, short-term disability and long-term disability payments the Employee is eligible to receive in the 18 month period immediately following the date of termination of his employment.

[13]        Ce contrat d'emploi prévoit que M. Mortreux reçoit une rémunération de base de 470 000 $, plus un bonus. La cible du bonus est d'obtenir 50 % de la rémunération de base. Le bonus peut cependant atteindre jusqu'à 100 % de la rémunération.

[14]        Les principaux collaborateurs de M. Mortreux, chez CMC, sont monsieur Jean-Denis Roy (« M. Roy »), vice-président Ressources humaines et légales et monsieur Greg Yeldon (« M. Yeldon »), vice-président Finance de l'entreprise.

[15]        En 2006, les actionnaires majoritaires de CMC entament le processus de mise en vente de l'entreprise.

            acquisition de cmc par esterline

[16]        Le 13 mars 2007, CMC est acquise par Esterline, une entreprise manufacturière qui dessert le marché de l'aéronautique et de la défense, et dont le siège social est situé à Bellevue, dans l'État de Washington.

[17]        CMC devient une filiale à part entière d'Esterline. Il s'agit d'une acquisition importante, CMC représentant environ 20 % du groupe Esterline.

[18]        M. Mortreux demeure à l'emploi de CMC. Il n'y a aucune modification à son contrat de travail. De mars 2007 à mars 2008, il se rapporte à monsieur Larry Kring (« M. Kring »), chez Esterline.

[19]        Avant l'acquisition, M. Mortreux a entamé des discussions en vue d'une collaboration de CMC avec Dassault Systèmes en France, au sujet du poste de pilotage d'un nouvel avion. Avant même qu'Esterline prenne le contrôle de CMC, M. Kring accompagne M. Mortreux en France pour rencontrer les gens de Dassault.

[20]        De même, M. Kring implique M. Mortreux dans le recrutement du nouveau président d'une filiale européenne d'Esterline, celle de Leach International Europe, basée en France. M. Mortreux comprend que M. Kring désire lui confier certaines responsabilités vis-à-vis cette filiale.

[21]        En mai 2007, M. Mortreux assiste à une réunion des présidents des filiales d'Esterline, à Seattle. M. Kring est très enthousiaste à l'idée de travailler avec M. Mortreux. Il l'invite même à envisager un transfert à Seattle, pour Esterline, mais M. Mortreux désire demeurer au Québec.

[22]        La première année financière de CMC suivant l'acquisition se termine en octobre 2007. En décembre 2007, M. Mortreux obtient l'évaluation de sa performance. M. Kring lui octroie la note « G » qui est la plus haute sur une échelle de A à G. Il obtient également une augmentation de 6 % de son salaire de base qui est porté à 535 000 $.

            année financière 2007-2008

[23]        En janvier 2008, M. Kring indique à M. Mortreux qu'il a l'intention de prendre sa retraite et de réduire ses responsabilités. Il ajoute qu'à compter du printemps 2008, M. Mortreux devra se rapporter à M. Frank Houston (« M. Houston »), chez Esterline.

[24]        En mars 2008, ce dernier indique à M. Mortreux qu'il n'est pas intéressé à continuer les discussions avec Dassault Systèmes. Il estime que CMC n'est pas prête à entreprendre un tel projet de collaboration.

[25]        Il indique également à M. Mortreux qu'il n'aura pas à s'occuper de la filiale européenne de Leach.

[26]        Enfin, il lui mentionne qu'il est d'avis que CMC doit embaucher un « Chief Operating Officer » (« COO »), pour veiller aux affaires internes de l'entreprise. M. Mortreux n'est pas d'accord avec cette décision, mais il s'incline.

[27]        Le 8 août 2008, M. Mortreux propose un candidat à titre de COO, monsieur Chris Lawler (« M. Lawler »), qui est alors vice-président aux Opérations chez CMC. M. Houston rencontre M. Lawler. Selon M. Mortreux, M. Houston est d'accord avec son choix, si bien que M. Mortreux l'annonce immédiatement à M. Lawler. Plus tard au mois d'août 2008, M. Houston indique à M. Mortreux que M. Lawler ne sera pas COO. M. Morteux comprend qu'il doit renoncer à ce candidat.

[28]        Toujours en août 2008, M. Houston indique à M. Mortreux que son salaire est trop élevé et qu'il désire réduire son salaire de base d'environ 35 %.

[29]        M. Mortreux rappelle à M. Houston que son contrat est clair. Il n'est pas prêt à accepter cette réduction. Quoi qu'il en soit, il demande à M. Houston de lui soumettre une proposition écrite.

[30]        Le 21 août 2008 se tient une rencontre à Seattle pour la présentation du plan stratégique d'Esterline. La question de la rémunération de M. Mortreux n'est pas soulevée.

[31]        Vers le 19 septembre 2008, les présidents de toutes les filiales d'Esterline se réunissent à Seattle. La rémunération de M. Mortreux n'y est pas davantage discutée.

[32]        Vers le 22 septembre 2008, M. Houston ainsi que madame Marcia Mason[5] (« Mme Mason »), vice-présidente Ressources humaines d'Esterline, sont de passage à Montréal. Ils viennent présenter aux dirigeants de CMC, dont M. Mortreux, une étude relativement à la rémunération des cadres supérieurs de CMC.

[33]        Cette étude recommande que tous les cadres de CMC obtiennent une augmentation de leur revenu fixe et une réduction de leur bonus. La seule exception concerne le salaire de base de M. Mortreux. L'application du nouveau modèle de rémunération appelée « ESL Proposed Alternative Compensation » conduit à une réduction du salaire de base de M. Mortreux de 35 %.

[34]        Au cours du mois d'octobre 2008, M. Houston propose un nouveau candidat à titre de COO. M. Mortreux et ses principaux collaborateurs le reçoivent à Montréal. Ils sont d'avis qu'il n'est pas suffisamment expérimenté. Le candidat se retire de lui-même. À la suggestion de M. Mortreux, un mandat est confié à des chasseurs de têtes. M. Mortreux n'est cependant pas impliqué dans le processus de sélection.

[35]        Le mois d'octobre 2008 correspond à la fin de l'année financière de la compagnie. Après trois premiers trimestres difficiles, les objectifs financiers sont finalement atteints. M. Mortreux en est très satisfait. Il part en vacances à la mi-novembre.

            problèmes de santé de m. mortreux

[36]        Le 16 novembre 2008, M. Mortreux subit un infarctus du myocarde, alors qu'il séjourne à St-Barthélémy. Il est transféré à la Martinique pour y subir une intervention chirurgicale. Il rentre au Canada au début du mois de décembre 2008.

[37]        Son cardiologue, Dr Coutu, lui recommande un arrêt de travail jusqu'au 5 janvier 2009[6].

            1er retour au travail : 5 janvier au 22 janvier 2009

[38]        Le 5 janvier 2009, M. Mortreux revient au travail après son congé de maladie. À son arrivée, il prend connaissance d'une lettre que lui a adressée M. Houston le 20 novembre 2008. Cette lettre contient la proposition de réduction de salaire, dont il lui a parlé[7].

[39]        Le 6 janvier 2009, M. Mortreux indique à M. Houston qu'il entend lui répondre dans une dizaine de jours.

[40]        Le 16 janvier 2009, M. Mortreux envoie une note à M. Houston[8] indiquant qu'il refuse la réduction de son salaire de base de 35 %. Il rappelle les excellents résultats financiers de CMC pour 2008 et le fait que M. Kring lui a accordé l'année précédente une augmentation de 6 % de son salaire de base ainsi qu'un bonus.

[41]        À la même époque, M. Mortreux finalise, au nom de CMC, un prêt avec le gouvernement fédéral de 52 M$ (ISAD/SADI)[9]. De plus, tel qu'il le fait annuellement, il tient une réunion avec tous les employés de l'entreprise. Deux séances ont lieu à Montréal le 20 janvier 2009 et une troisième à Ottawa le lendemain.

[42]        M. Mortreux se rend à Ottawa en voiture. Son épouse est au volant puisque lui-même se sent craintif, depuis sa maladie. Au retour d'Ottawa, M. Mortreux reçoit un appel de M. Houston dans sa voiture. Celui-ci aborde la réponse donnée par M. Mortreux à la proposition de réduction de salaire. M. Mortreux indique être prêt à en discuter.

[43]        Il y a alors une coupure de la ligne téléphonique. M. Houston rappelle et demande à M. Mortreux s'il est prêt à négocier ou non son salaire de base. Celui-ci répond que, même s'il ne s'y sent pas obligé, il est disposé à le faire. La version de M. Houston est différente. Il ne se souvient pas que M. Mortreux se soit montré ouvert à une diminution.

[44]        Selon M. Mortreux, M. Houston lui déclare alors ce qui suit :

·        qu'il devra lui mettre une pression additionnelle, car les résultats financiers de CMC ne sont pas bons;

·        que M. Mortreux doit renoncer à M. Lawler en tant que COO, M. Houston ayant l'intention de lui imposer un candidat;

·        que M. Houston a lui-même subi un infarctus dans le passé et qu'il est revenu plus rapidement que M. Mortreux au travail. Il ajoute qu'après son infarctus, il s'est posé sérieusement la question, à savoir s'il devait reprendre un travail aussi stressant. Il indique à M. Mortreux qu'il comprendrait qu'il se pose les mêmes questions. Il lui demande s'il désire discuter d'un « severance package ». Il ajoute que si M. Mortreux démissionne, il n'aura droit à rien. Il conclut en disant qu'ils pourraient discuter de tout cela autour d'un « drink », lors d'une prochaine rencontre à Seattle.

[45]        Le lendemain, M. Mortreux a rendez-vous avec docteur Michel Charest (« Dr Charest ») pour son bilan de santé annuel. Il s'agit du médecin avec lequel CMC a une entente pour ses employés.

[46]        Les examens médicaux révèlent un problème d'hématurie, soit la présence de sang dans les urines. Dr Charest ordonne un arrêt de travail immédiat[10].

            2e retour au travail : 2 au 9 février 2009

[47]        Le 2 février 2009, contre l'avis de son médecin, M. Mortreux revient au travail.

[48]        Il y reste jusqu'au lundi suivant, soit le 9 février. Ce jour-là, il se rend au travail le matin, mais rentre chez lui dans l'après-midi. Il est constamment au bord des larmes et ne se sent plus capable de travailler. Le lendemain, il reçoit un courriel de M. Houston[11] qui désire savoir si son absence dépassera quelques jours.

            fin de la relation d'emploi

[49]         Le 18 février 2009, M. Mortreux répond[12] à M. Houston que les tests se poursuivent qu'il ne lui est pas possible de donner plus de précisions à ce stade. Cependant, il est clair que son absence ira au-delà de quelques jours.

[50]        Le 23 mars 2009, M. Houston écrit[13] à M. Mortreux. Il désire être mis au courant de l'échéancier concernant son retour au travail.

[51]        Le 30 mars 2009, M. Mortreux reçoit de la part de M. Houston une lettre[14] lui demandant de communiquer directement avec lui de façon hebdomadaire, de lui indiquer la nécessité de poursuivre son congé de maladie et de confirmer quand il pourra rentrer au travail.

[52]        M. Mortreux, qui se sent de moins en moins capable d'affronter la pression, demande à son avocat, Me Bill Hart (« Me Hart »), de répondre à l'Employeur. Celui-ci répond d'abord par téléphone, puis par lettre[15]. Il confirme que M. Mortreux continue à subir des tests et qu'il doit demeurer au repos.

[53]        Le 10 avril 2009, M. Houston requiert à nouveau une communication directe et hebdomadaire de la part de M. Mortreux, à défaut de quoi, il considérera que celui-ci a démissionné en date du 17 avril 2009.

[54]        Le 17 avril 2009, Me Hart répond[16] à M. Houston que M. Mortreux n'a jamais eu l'intention de démissionner.

[55]        Le 21 avril 2009[17], Mme Mason, vice-présidente Ressources humaines d'Esterline, répond à Me Hart et écrit à M. Mortreux. Elle lui annonce qu'à compter du 17 avril 2009, il sera présumé avoir démissionné.

[56]        Le 26 mai 2009, Esterline annonce la démission de M. Mortreux.

[57]        Vers le 30 juin 2009, CMC complète le relevé de fin d’emploi de M. Mortreux en indiquant « départ volontaire »[18].

[58]        La preuve démontre que, dès le 9 février 2009, M. Mortreux présente certains symptômes de dépression, lesquels s'aggravent dans les semaines et les mois qui suivent.

[59]        Le 2 avril 2009, Dr Charest diagnostique un état dépressif « situationnel ». À la mi-mai, M. Mortreux est amorphe, taciturne, a rompu ses communications même avec les membres de sa famille. Dr Charest recommande qu'il consulte un psychologue. À compter du 20 mai 2009, M. Mortreux voit une psychologue sur une base hebdomadaire. Il continue d'ailleurs ces consultations jusqu'à aujourd'hui. 

[60]        Au début du mois de juin 2009, Dr Charest prescrit un antidépresseur. M. Mortreux réagit mal au médicament et doit en cesser l'utilisation. 

[61]        En juillet 2009, Dr Charest remplit le rapport[19] demandé par l'assureur RBC Assurances. Il y note que M. Mortreux souffre d’insomnie, d'épisodes de panique, de troubles de la concentration, de démotivation et d'isolement. De plus, selon Dr Charest, l'un des facteurs qui contribuent à la dépression est le « stress associé au travail et le harcèlement ».

[62]        Le 26 octobre 2009, l’assureur RBC Assurances estime que M. Mortreux est bel et bien invalide et consent à lui verser les prestations d’assurance invalidité longue durée, rétroactivement au 19 juin 2009[20], auxquelles il a droit en vertu de la police d’assurance.

[63]        Le 8 décembre 2009, Dr Charest produit un nouveau rapport[21] pour l’assureur dans lequel il réitère son diagnostic de dépression majeure. Il souligne l'incapacité du patient de se concentrer.

[64]        Le 29 mars 2010, l'assureur fait voir M. Mortreux par un psychiatre, Dr Juan C. Negrete (« le psychiatre de l'assureur »), afin de déterminer si M. Mortreux est toujours invalide.

[65]        Le psychiatre de l'assureur confirme un diagnostic de dépression majeure[22], un an après la fin d'emploi de M. Mortreux. Il souligne la difficulté d'ajuster la médication du patient, compte tenu de ses antécédents cardiaques. Il recommande toutefois certains changements et indique que, dès que des antidépresseurs adéquats auront été introduits, M. Mortreux devrait être en mesure de travailler dans un délai d'environ trois mois.

[66]        Le 3 août 2010, Dr Charest produit un autre rapport[23] pour l’assureur RBC Assurances. Selon lui, il n’y a pas de changement. Il s’agit toujours d’une dépression majeure. M. Mortreux doit continuer d’éviter le stress, car sa résistance est faible. Dr Charest estime qu’il s’agit d’un cas toujours « sévère ».

[67]        Le 27 octobre 2010, le psychiatre mandaté par l'Employeur dans la présente cause, Dr Tremblay (« le psychiatre de l'Employeur ») conclut que le trouble dépressif majeur est en rémission et qu'il peut être consolidé à cette date. Selon lui, il n'y a plus de justification pour poursuivre l'invalidité.

[68]        En mars 2011[24], Dr Charest indique que M. Mortreux commence à s'intéresser à différentes choses. Il indique sous la rubrique « psychiatrique » : « s'améliore! ».

[69]        Au moment du procès, M. Mortreux reçoit toujours des prestations d’invalidité[25], tant en vertu de la police individuelle que de la police collective.

QUESTIONS EN LITIGE

[70]        M. Mortreux a-t-il démissionné?

[71]        Dans la négative, M. Mortreux a-t-il été congédié pour une cause juste et suffisante?

[72]        Dans la négative :

·        quel doit être le délai de congé accordé à M. Mortreux?

·        les prestations d'invalidité doivent-elles être déduites?

·        a-t-il droit à ses honoraires extrajudiciaires?

·        l'exécution provisoire nonobstant appel doit-elle être prononcée?

M. MORTREUX A-T-IL DÉMISSIONNÉ?

[73]        L'Employeur soutient que M. Mortreux a démissionné.

[74]        Le Tribunal résumera d'abord les principes applicables en matière de démission pour ensuite analyser la preuve.

            notion de démission

[75]        La démission consiste en une rupture du lien d’emploi, sur l’initiative du salarié. Elle comporte d'abord un élément subjectif, en ce que le salarié doit avoir voulu démissionner. Elle comporte ensuite un élément objectif, dans le sens que le comportement du salarié doit venir corroborer, dans les faits, cette intention[26].

[76]        Le salarié doit avoir manifesté, par des actes positifs et sans équivoque, son intention de démissionner[27].

[77]        Le fait qu’un salarié quitte le travail en raison de son état de santé ne peut constituer une démission[28].

[78]        Le fait d’envoyer des certificats médicaux témoigne de la volonté du salarié de conserver l’emploi qu'il occupe[29].

[79]        La jurisprudence reconnaît qu’en cas d’ambiguïté, on ne doit pas conclure qu’un employé a démissionné[30].

[80]        Dès l'infarctus de M. Mortreux, l'Employeur interprète le « silence » de celui-ci comme une manifestation de son intention de démissionner. Le Tribunal révisera donc l'ensemble des communications entre les parties.

révision des faits

[81]        M. Mortreux subit son infarctus le 16 novembre 2008.

[82]        Le 17 novembre 2008, son épouse téléphone à M. Roy, le vice-président Ressources humaines et légales de CMC pour l'en aviser.

[83]        Quelques jours plus tard, alors qu'il est toujours aux soins intensifs, M. Mortreux communique personnellement avec M. Roy afin de lui faire part de la situation. M. Roy est impliqué dans les formalités de rapatriement de M. Mortreux.

[84]        Le 10 décembre 2008, le cardiologue de M. Mortreux, Dr Coutu remplit le formulaire de CMC intitulé « Déclaration du médecin traitant »[31]. Il y est indiqué notamment que le patient  :

·        a subi un infarctus du myocarde;

·        devrait être en état d'invalidité jusqu'au 5 janvier 2009;

·        devra prendre certains médicaments énumérés au formulaire.

[85]        Ce document contient une déclaration de l'employé visant une demande de prestation d'invalidité de courte durée. L'assurance invalidité à court terme est payée entièrement par CMC. Celle-ci verse à ses employés en état d'invalidité, pour les six premiers mois, cent pour cent du salaire.

[86]        Entre le 16 décembre 2008 et le 5 janvier 2009, M. Mortreux et M. Roy ont plusieurs conversations relativement aux dossiers en cours chez CMC.

[87]        Vers le 28 décembre 2008, M. Mortreux s'entretient au téléphone avec M. Houston. La preuve est contradictoire à savoir qui prend l'initiative de cet appel.

[88]        Le 5 janvier 2009, M. Mortreux revient au travail.

[89]        Le 22 janvier, alors que M. Mortreux a rendez-vous avec Dr Charest, le médecin de l'Employeur, pour son bilan de santé annuel, celui-ci découvre un problème d'hématurie de source inconnue. Il signe un certificat médical[32] ordonnant un repos absolu.

[90]        Le certificat médical n'est pas immédiatement envoyé à l'Employeur. Par contre, le jour même, M. Mortreux communique par courriel[33] avec M. Houston afin de l'aviser de la situation. M. Houston accuse réception du courriel le même jour.

[91]        Le lendemain, M. Mortreux appelle M. Yeldon, le vice-président Finance de CMC, pour lui demander de se rendre à sa place à la réunion des présidents, à Seattle.

[92]        Le 26 janvier, M. Mortreux revoit Dr Charest. Le problème d'hématurie est toujours présent. M. Mortreux subit une échographie rénale ainsi que des analyses d'urine et de sang[34].

[93]        La semaine suivante, M. Mortreux voit un urologue, puis subit un examen de la vessie[35]. Au téléphone, M. Mortreux fait part à M. Roy du fait que les tests se poursuivent, à la recherche de la source de l'hématurie.

[94]        Mis au courant de cette communication, M. Houston fait parvenir un courriel à M. Mortreux. Il lui demande de communiquer directement avec lui, en plus de communiquer avec M. Roy, en ce qui concerne son état de santé[36]. Selon M. Houston, le conseil d’administration d’Esterline le presse d’obtenir davantage de renseignements sur son retour au travail.

[95]        M. Mortreux ne répond pas, mais le 2 février 2009, il rentre au travail.

[96]        Tel que déjà mentionné, le 9 février 2009, M. Mortreux quitte pour un nouveau congé de maladie. Dès le lendemain, il reçoit un courriel[37] de M. Houston demandant d'être avisé de la durée prévue de son absence.

[97]        M. Mortreux doit revoir un cardiologue, à la demande de Dr Charest. Celui-ci désire explorer la possibilité de suspendre la prise de certains médicaments pour le cœur, afin de tenter de régler le problème d'hématurie. Dr Coutu n'est pas disponible, mais M. Mortreux obtient un rendez-vous avec Dr Dyrda, à l'Institut de cardiologie de Montréal. Celui-ci est d'avis que M. Mortreux ne doit pas arrêter sa médication[38].

[98]        Le 18 février 2009, M. Mortreux envoie un courriel[39] à M. Houston. Il lui confirme avoir subi des tests à l'Institut de cardiologie et devoir continuer les investigations médicales. Il confirme que son absence dépassera quelques jours. Dans l'intervalle, il doit demeurer au repos complet.

[99]        Le même jour, Mme Mason, vice-présidente Ressources humaines d'Esterline, écrit[40] à M. Mortreux et met en copie MM. Houston et Roy :

Jean-Pierre -- I am very sorry to hear of your continued difficulties. Please try not to worry about CMC, and take the time you need to regain your good health. That effort certainly must be your first priority. Our best wishes are with you, and please keep in touch as your situation develops.

Best, Marcia

[100]     Au procès, M. Houston se dit très satisfait du courriel de M. Mortreux du 18 février, lequel répond à ses attentes en termes de transmission d'informations. C'est l'absence de communications pendant la période qui se situe entre le 18 février 2009 et le 30 mars 2009 qui est principalement reprochée à M. Mortreux.

[101]     La preuve révèle qu'au cours de cette période, M. Mortreux continue ses examens médicaux. Ainsi, il voit différents professionnels de la santé[41] aux dates suivantes, qui sont à la recherche de l'origine de l'hématurie :

DATE

 PROFESSIONNEL DE LA SANTÉ OU EXAMEN

18 février

 Dr Dyrda, cardiologue

26 février

 Dr Coutu, cardiologue

2 mars

 Analyses de laboratoire

20 mars

 Radiologie

27 mars

 Urgentiste

[102]     De façon concurrente, M. Mortreux se sent de plus en plus mal psycholo-giquement. Peu à peu, il s'isole, ne veut plus parler même aux membres de sa famille.

[103]     Le 16 mars 2009, M. Mortreux s'entretient au téléphone avec M. Yeldon et lui indique qu'il doit subir de nouveaux examens médicaux. Le 23 mars 2009, M. Houston écrit[42] à M. Mortreux, ayant appris que celui-ci a parlé au téléphone avec M. Yeldon. Il désire que M. Mortreux communique directement avec lui afin de lui faire part de ses perspectives de retour au travail. Le 26 mars, M. Mortreux doit se rendre à l'urgence, compte tenu de l'aggravation de l'hématurie.

[104]     Selon M. Mortreux, il prend connaissance de la lettre de M. Houston, non pas le jour même de sa réception, mais quelques jours plus tard. Alors qu'il se prépare à répondre, il reçoit une nouvelle lettre[43] de M. Houston, le 30 mars 2009. Par cette lettre, M. Houston demande à M. Mortreux de communiquer directement avec lui, de le tenir au courant de son état de santé de façon hebdomadaire et des possibilités de retour au travail. Il indique que le CEO d'Esterline et son conseil d'administration veulent des nouvelles :

 

 As your manager, I am now asking formally that you submit a note from your doctor, confirming your needs for continued leave and informing us of when you will be able to return to work. I also ask that you provide me with weekly updates with regards to your status. Please begin your updates upon receiving of this letter, and provide the doctor's note within two weeks, sent to me here at Esterline's Bellevue office.

[105]     Il ajoute que des décisions doivent être prises en ce qui concerne CMC, qu'il faut compléter la sélection d'un COO, la formation des unités de travail, etc. Il a besoin de connaître le moment du retour de M. Mortreux pour décider si ces décisions doivent être prises immédiatement ou si elles peuvent attendre son retour.

[106]     M. Mortreux, incapable de faire face à ce qu'il considère une pression de l'Employeur, demande à son avocat, Me Bill Hart (« Me Hart ») de répondre à M. Houston. Le 31 mars 2009, Me Hart discute au téléphone avec M. Houston et Mme Mason.

[107]     Le 2 avril 2009, Me Hart écrit[44] à M. Houston que, depuis son courriel du 18 février 2009, M. Mortreux n'a pas d'autres informations médicales à fournir. Il suit pour le moment les recommandations de son médecin, soit un repos total.

[108]     Me Hart indique dans sa lettre :

(…) During our conversation yesterday, we all agreed that Mr. Mortreux's first priority is his health and, as I mentioned, it is extremely important that he not be called upon to return to work too early nor that he in anyway be required to "run the company from a distance by phone". Mr. Mortreux is the first to regret the uncertainty which this creates, but it is an unfortunate reality which all parties are required to accept.

As for the other matters raised in your letter, please note that:

- you will find enclosed a photocopy of the medical certificate previously provided to the company; and

- the requirement for weekly updates appears somewhat artificial and mechanical and a more meaningful approach would rather take into account the analysis of test results by Mr. Mortreux's attending physician and similar milestones bearing in mind the delays encountered under our Québec medical system, as I mentioned to you. 

(Le Tribunal souligne)

[109]     Ce courriel est accompagné du certificat médical émis antérieurement par Dr Charest, qui stipule 

État cardiovasculaire instable.

Repos absolu jusqu'à nouvel ordre.

[110]     Le 3 avril 2009, Me Hart envoie le nouveau certificat médical[45] obtenu par M. Mortreux de Dr Charest la veille. Ce certificat indique :

Devons prolonger l’invalidité jusqu’à la réévaluation de la mi-mai 2009.

[111]     Le 9 avril 2009, M. Houston insiste à nouveau[46] auprès de M. Mortreux pour que celui-ci fournisse « An adequate medical certificate and weekly updates, that will allow us to manage your absence ». Il demande des certificats médicaux plus détaillés, et ce, avant 17 heures le 17 avril 2009. Il ajoute « Should the information provided not be satisfactory, or if you failed to provide weekly updates, we will then assume you are no longer interested in employment at CMC and we will process your resignation accordingly ».

[112]     Le 17 avril 2009[47], Me Hart exige que M. Houston cesse immédiatement « toute intimidation, toute menace et tout harcèlement ». Il souligne notamment que M. Mortreux n'a aucune intention de démissionner. Me Hart écrit[48] également à M. Cremin, président et CEO d'Esterline, afin de le mettre au courant de la teneur de la dernière lettre de M. Houston.

[113]     Le 21 avril 2009[49], Mme Mason écrit à Me Hart. Elle nie toute forme de harcèlement, d'abus ou de menaces quelconques. Selon elle, seul M. Mortreux est fautif, n'ayant pas fourni l'information médicale adéquate, tel que requis :

We now acknowledge that your client has no intention of communicating with Mr. Houston or providing us with medical information that could justify his absence. Mr. Mortreux’s continued silence and his lack of cooperation make it plain he is either insubordinate or has constructively resigned from CMC. In either case, his employment with CMC has ended by his own choice as of Friday, April 17, 2009.

[114]     À la même date, Mme Mason écrit[50] directement à M. Mortreux, chez lui, l'informant que, compte tenu de « son silence » et son « manque de coopération », il sera considéré avoir démissionné volontairement le 17 avril 2009 :

Accordingly, this is to inform you that in light of your continued silence and lack of cooperation with our request for adequate medical information, we will process your termination from CMC effective April 17, 2009. We will treat it as a voluntary resignation in accordance with your conduct.

[115]     Cette lettre se termine par ce qui suit :

Throughout your extended leave, our primary desire was that you recover your health. That remains our wish for you. We also wish you had chosen to work with us rather than to avoid us and cut us off. We don’t understand why and are left knowing only the obvious fact that you do not want to continue working for Esterline. We regret that things have ended this way.

[116]     Le 24 avril 2009[51], Me Hart répond à Mme Mason réitérant le fait que M. Mortreux n'a pas démissionné et que rien dans son comportement ne doit être interprété comme tel.

[117]     Le 14 mai 2009[52], Me Hart fait parvenir à Mme Mason un nouveau certificat médical complété par Dr Charest portant la date du 11 mai 2009, indiquant que M. Mortreux est inapte à toutes activités et qu'il sera réévalué le 9 juin 2009.

[118]     À la mi-mai, Dr Charest détecte un état dépressif de plus en plus manifeste qui rend M. Mortreux inapte à retourner au travail. Il lui recommande de voir un psychologue et lui prescrit des antidépresseurs. À la même époque, M. Mortreux apprend que l'hématurie est due à des pierres aux reins, qui sont finalement expulsées.

[119]     Le 26 mai 2009, une note de service[53] est adressée à tous les employés de CMC, ainsi qu’à tous les présidents et dirigeants des compagnies formant le groupe Esterline. Cette note indique que M. Mortreux a démissionné :

We all have been waiting to hear when Jean-Pierre Mortreux would return from medical leave. We are disappointed to announce that we recently learned he has chosen not to return to work at CMC. We had hoped the news would be otherwise. In the meantime, Greg Yeldon, CMC’s Chief Financial Officer, will function as acting President, and I will continue to make frequent visits until a new President is in place.

(Le Tribunal souligne)

[120]     En date du 27 mai 2009, l'Employeur, par l’entremise de ses avocats, fait parvenir aux avocats de M. Mortreux une lettre[54] indiquant que les dirigeants d'Esterline ont annoncé aux employés de CMC le départ de M. Mortreux, mais qu'ils se sont abstenus d'en révéler le véritable motif, soit un congédiement pour cause d'insubordination :

Consequently, please be advised that our client has announced your client’s departure from CMC today (copy of such announcement is enclosed). Our client has opted not to announce your client’s departure as termination for cause on the grounds of insubordination, out of professional respect for Mr. Mortreux.

(Le Tribunal souligne)

[121]     Le 17 juin 2009, Me Hart envoie à Mme Mason un nouveau certificat médical[55] daté du 9 juin 2009 indiquant que M. Mortreux est toujours inapte à toutes activités et qu'il sera réévalué à la mi-juillet.

[122]     Vers le 30 juin 2009, CMC complète le relevé de fin d’emploi de M. Mortreux en indiquant « départ volontaire »[56].

[123]     Dr Charest revoit M. Mortreux les 30 juin, 9 et 22 juillet. M. Mortreux souffre d'une dépression majeure.

            conclusion quant à l'absence de démission

[124]     Le Tribunal est d'avis que les communications de M. Mortreux avec son Employeur ne démontrent pas une intention de démissionner. Le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas eu « silence » de la part de M. Mortreux comme le soutient l'Employeur. Le Tribunal y reviendra plus en détail dans la partie relative au congédiement.

[125]     M. Mortreux est revenu au travail une première fois, six semaines après son infarctus, soit le 5 janvier 2009. Selon le vice-président Ressources humaines de CMC, M. Roy, M. Mortreux voulait revenir avant Noël. M. Roy a dû insister pour que son congé soit de plus longue durée.

[126]     Dès son retour, il tient la réunion annuelle avec les employés de Montréal et d'Ottawa, comme il a l'habitude de le faire.

[127]     Il finalise également les démarches relatives à l'obtention d'un prêt de 53 M$ du gouvernement fédéral (SADI) à CMC.

[128]     Ces gestes sont révélateurs de sa volonté de continuer d'exercer pleinement ses fonctions.

[129]     Après un second arrêt de travail entre le 22 janvier 2009 et le 2 février 2009, il revient travailler, malgré les recommandations contraires de son médecin.

[130]     À nouveau, cette attitude est totalement incompatible avec celle d'un employé qui chercherait à démissionner.

[131]     Après son départ du 9 février 2009, M. Mortreux écrit à M. Houston pour lui expliquer qu'il continue ses examens médicaux et que son absence dépassera quelques jours. S'il ne prend pas l'initiative de se rapporter par la suite, c'est que la situation demeure inchangée et que les tests continuent.

[132]     Devant la demande de M. Houston que M. Mortreux communique directement avec lui sur une base hebdomadaire, ce dernier demande à son avocat de prendre la relève.

[133]     Dès que M. Houston soulève, dans une lettre[57], que M. Mortreux semble vouloir démissionner, son avocat répond qu'il n'en est rien, ce qu'il réitère dans une lettre[58] subséquente.

[134]     Le Tribunal est d'avis que la preuve ne révèle nullement que M. Mortreux a démissionné. Le Tribunal est convaincu que M. Mortreux n'a jamais eu cette intention. De plus, la façon dont il a agi n'est pas compatible avec l'intention de démissionner.

[135]     Enfin, la position ambiguë de l'Employeur quant au motif de départ de M. Mortreux, qui oscille entre démission et congédiement pour cause juste et suffisante enlève de la crédibilité à la thèse de la démission.

M. MORTREUX A-T-IL ÉTÉ CONGÉDIÉ POUR UNE CAUSE JUSTE ET SUFFISANTE?

            principes applicables

[136]     Un contrat de travail peut être résilié par l'Employeur, sans préavis, en présence d'un motif sérieux[59] :

2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail. 

[137]     Un Employeur est justifié de mettre fin à l'emploi d'un employé, en présence d'une conduite grave de sa part[60]. Le fardeau de démontrer l'existence d'une cause juste et suffisante de congédiement appartient à l'Employeur[61].

[138]     La justesse et la suffisance des motifs de congédiement sont une question de fait, laissée à l'appréciation du tribunal[62].

[139]     Tout employé a évidemment le droit de s'absenter pour cause de maladie.

[140]     En principe, l'état de santé d'un individu relève de sa vie privée, droit garanti par l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[63]. En signant un contrat de travail, l'employé abdique cependant en partie le droit à cette protection. Ainsi, l'Employeur a le droit d'obtenir de l'information de la part de l'employé qui s'absente pour des raisons de santé[64].

[141]     Ce droit ne doit cependant pas être utilisé de manière abusive ou déraisonnable[65].

[142]     Seules les informations indispensables, en fonction de l'entreprise et des tâches en cause, peuvent être exigées par l'Employeur[66].

[143]     L'Employeur peut raisonnablement exiger que le certificat médical indique le diagnostic, le pronostic, les détails pertinents concernant la nature des traitements prodigués et la durée prévue de l'absence[67].

[144]     Le salarié a l'obligation d'aviser sans tarder son Employeur de toute évolution dans son état de santé[68].

[145]     En l'espèce, l'Employeur plaide que M. Mortreux a fait preuve de manque de loyauté et d'insubordination 1) en étant ambigu sur son état de santé et sur ses perspectives de retour au travail, 2) en ne rapportant pas l'information de façon plus régulière et surtout, 3) en ne communiquant pas directement avec M. Houston, et ce, dès qu'il s'absente pour la première fois.

[146]     L'obligation de loyauté de l'employé est codifiée à l'article 2088 C.c.Q. :

2088. Le salarié, outre qu'il est tenu d'exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information à caractère confidentiel qu'il obtient dans l'exécution ou à l'occasion de son travail.

Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui.

[147]     L'Employeur souligne que l'employé qui occupe un poste élevé dans la hiérarchie de l'entreprise a le devoir d'agir avec une probité absolue[69]. L'employé qui assume des fonctions de direction est tenu à une obligation plus lourde[70].

[148]     Par ailleurs, il y a insubordination lorsque le salarié refuse d'obéir à un ordre ou une directive claire et raisonnable de l'Employeur[71].

            analyse

[149]     Le Tribunal est d'avis que la conduite de M. Mortreux ne constitue pas un motif sérieux de congédiement et que celui-ci n'a pas fait preuve d'insubordination.

            L'information fournie était suffisante

[150]     Le Tribunal est satisfait que M. Mortreux a communiqué à l'Employeur toute l'information qu'il possédait, concernant son état de santé.

[151]     M. Mortreux n'a jamais omis de répondre aux demandes directes de M. Houston.

[152]     La communication d'informations a été faite soit personnellement, soit par l'intermédiaire de son épouse ou de son avocat.

[153]     L'information a été transmise soit directement à M. Houston, soit aux collaborateurs de M. Mortreux chez CMC, MM. Roy et Yeldon. Le Tribunal est d'avis que l'Employeur aurait dû tenir compte des communications que M. Mortreux a eues avec les cadres de l'entreprise, puisque cette information était relayée à M. Houston.

[154]     L'Employeur désirait de l'information plus précise et plus régulière de la part de M. Mortreux :

·        dates des rendez-vous médicaux;

·        nature de la condition médicale l'empêchant de travailler à temps plein;

·        date prévue de retour au travail et de guérison complète;

·        la nature des activités prohibées pendant son absence et les raisons qui l'empêchent d'exercer ses activités.

[155]     La preuve révèle cependant que M. Mortreux allait d'examens médicaux en examens médicaux et que les professionnels de la santé étaient incapables de poser un diagnostic, ni d'indiquer quand il pourrait retourner au travail.

[156]     Certes, les certificats médicaux qu'il a obtenus ne sont pas exhaustifs. Au procès, Dr Charest indique que, selon lui, ils sont standards. Il ajoute qu'à l'époque où ils ont été préparés, il « nage en pleine noirceur » quant à l'état de santé de M. Mortreux.

[157]     Pour Mme Mason, l'intervention de Me Hart constitue le signe le plus clair que M. Mortreux refuse de communiquer avec son Employeur et fait preuve d'une insubordination flagrante.

[158]     Elle indique s'être sentie insultée par les propos de Me Hart qui, selon elle, accuse faussement l'Employeur de harcèlement.

[159]     La première lettre envoyée à l'Employeur par Me Hart[72], le 2 avril 2009, ne fait que rétablir les faits. Le Tribunal ne comprend pas que Mme Mason qualifie de « distorted » cette version des faits.

[160]     M. Houston explique son insistance à demander davantage de renseignements, compte tenu de la pression exercée sur lui par le conseil d’administration d'Esterline. Or, selon le témoignage de M. Cremin, le CEO d'Esterline, tout ce dont il a besoin c'est de savoir si M. Mortreux est en état de travailler, et quand[73].

[161]     L'Employeur ne peut exiger du salarié que l'information nécessaire pour poursuivre les activités de l'entreprise.

[162]     La preuve démontre que les communications directes avec M. Houston étaient source d'anxiété pour M. Mortreux et c'est pourquoi il a finalement demandé à Me Hart de prendre la relève. Certes, cela s'explique en partie par l'état de dépression progressive de M. Mortreux, à l'époque en question.

[163]     Mais il y a plus. Certains gestes de l'Employeur pouvaient laisser croire à M. Mortreux que son départ était désiré.

            L'Employeur semblait vouloir le départ de M. Mortreux

            Décisions administratives

[164]     Il y a d'abord les décisions administratives de M. Houston qui prennent une direction opposée à celles de son prédécesseur, M. Kring.

[165]     Ainsi, dès les premiers contacts avec M. Mortreux, M. Houston lui annonce qu'il ne sera plus impliqué dans la filiale française de Leach. De plus, M. Houston met de côté le projet avec Dassault. Enfin, M. Houston impose à M. Mortreux la création d'un poste de COO et manifeste clairement que M. Mortreux ne pourra pas choisir le candidat.

[166]     Au sujet de Leach, M. Houston explique que suite à l'acquisition de plusieurs compagnies entre 1997 et 2007, il doit regrouper celles-ci en plates-formes. L'une des possibilités consiste à combiner sur la même plate-forme les activités de la filiale française Leach et celles de CMC. Il opte cependant pour une solution différente, qui lui semble plus adéquate.

[167]     Quant à la décision de mettre de côté le projet de collaboration avec Dassault, M. Houston indique qu'au moment où il entre en fonction, CMC a du retard dans la recherche et le développement d'un projet en particulier. Il est d'avis que CMC n'aura pas les ressources pour travailler, en plus, sur le projet de Dassault.

[168]     Enfin, M. Houston est d'avis que M. Mortreux doit se concentrer sur l'orientation et le développement des affaires de CMC. Il veut le dégager des préoccupations de l'interne en retenant les services d'un COO.

[169]     Bien que les explications de M. Houston semblent rationnelles, elles ne semblent pas avoir été expliquées à M. Mortreux. Pour lui, ces décisions envoient un message d'insatisfaction quant à son travail.

            Diminution du salaire de base

[170]     Quant à la proposition de réduction de salaire, elle ébranle dès le départ M. Mortreux. De manière fort légitime, il se demande pourquoi on lui a accordé une augmentation de son salaire de base de 6 % l'année précédente, pour ensuite lui demander que ce même salaire de base soit réduit de 35 %. De plus, cela semble peu compatible avec la note « G » qui lui a été attribuée par son supérieur.

[171]     Plus les discussions avancent, plus la proposition de baisse de salaire est interprétée par M. Mortreux, comme une invitation à quitter l'entreprise.

[172]     Après la rencontre avec M. Houston et Mme Mason où ceux-ci exposent les principes de la nouvelle formule de rémunération, M. Roy se souvient d'en avoir discuté avec MM. Yeldon et Mortreux. Pour reprendre les paroles de M. Roy, lorsqu'on annonce une réduction de salaire au président, « ça annonce des changements ».

[173]     La proposition écrite est transmise à M. Mortreux le 20 novembre 2008, soit 4 jours après son infarctus. Bien qu'elle soit accompagnée d'un mot de M. Houston, déplorant le « bad timing », elle est quand même envoyée à M. Mortreux alors que celui-ci vient de subir un traumatisme important.

[174]     M. Roy intercepte cette lettre, par hasard. Il évite de justesse qu'elle ne soit envoyée à M. Mortreux chez lui. Il prend l'initiative de la conserver dans son bureau jusqu'au retour de son supérieur. Comme il le déclare, « il veut éviter d'avoir un mort sur la conscience ».

[175]     La conversation téléphonique du 21 janvier 2009, entre M. Houston et M. Mortreux, au retour d'Ottawa, va beaucoup plus loin. M. Houston suggère même de discuter d'une indemnité de départ avec M. Mortreux.

[176]     M. Houston explique qu'il ne voulait pas de confrontation avec M  Mortreux, lors de cette conversation. Il voulait par contre lui donner l'heure juste quant à ce qui se passait chez Esterline. La situation économique aux États-Unis était mauvaise et, dans certaines unités d'affaires, il y avait des licenciements. M. Houston voulait que M. Mortreux comprenne que les exigences d'Esterline seraient de plus en plus grandes et qu'il y aurait de la pression sur ses épaules.

[177]     L'impression laissée à M. Mortreux est cependant que son départ était souhaité.

[178]     Lorsque M. Mortreux fait part de sa conversation avec M. Houston à M. Roy, celui-ci est abasourdi.

[179]     M. Houston et Mme Mason ont expliqué pourquoi ils ont entrepris de négocier la réduction du salaire de base de M. Mortreux.

[180]     Dès le moment de l'acquisition de CMC par Esterline, Mme Mason prend connaissance des conditions de rémunération de M. Mortreux. Elle demande à une firme privée un sondage sur les salaires des cadres occupant des fonctions comparables à celles de M. Mortreux. Elle constate que le salaire de M. Mortreux est largement supérieur au salaire de la majorité d'entre eux.

[181]     Elle n'intervient cependant pas pour empêcher M. Kring d'accorder une augmentation de salaire de 6 % à M. Mortreux et n'est pas impliquée dans la décision de lui accorder la note « G ». Elle justifie ces décisions en disant qu'Esterline désirait communiquer un message « d'encouragement et de bienvenue » à M. Mortreux.

[182]     L'Employeur n'a cependant pas évalué l'impact qu'un changement radical de position pourrait avoir sur la perception du salarié.

[183]     Dès l'automne 2008, Mme Mason a l'impression que M. Mortreux tente de retarder la discussion sur sa révision salariale.

[184]     L'Employeur est indisposé du fait que M. Mortreux est réticent à négocier la baisse de son salaire. Pourtant, celui-ci bénéficie d'un contrat en bonne et due forme que rien ne l'oblige à remettre en question.

[185]     Selon Mme Mason, le « long term incentive » aurait pu faire en sorte que M. Mortreux obtienne une rémunération encore plus intéressante que celle que lui accordait son contrat de travail. Elle laisse cependant de côté le fait que ce mode de rémunération soit plus risqué.

[186]     Quand on ajoute à la demande de réduction de salaire, la suggestion de M. Houston de négocier une indemnité de départ pour M. Mortreux, il n'est pas étonnant que celui-ci ait été inquiet pour son avenir chez CMC.

            M. Houston soutenait que les résultats financiers de CMC n'étaient pas bons

[187]     M. Houston explique notamment son insistance à vouloir obtenir des détails précis sur le retour de M. Mortreux, parce qu'il est insatisfait des résultats financiers de 2008 et qu'il est inquiet pour ceux de 2009. M. Mortreux interprète ces critiques comme des reproches injustes à son égard.

[188]     La preuve révèle d'ailleurs :

·        que le budget de prise de commandes était de 248 M$, alors que les résultats atteignent 346M $. Ce montant comprend notamment une commande provenant d'Arabie Saoudite, la plus importante dans l'histoire de CMC;

·        que les inventaires accumulés sont de 1 M$ inférieurs à ce qui avait été planifié;

·        que des profits de 3,9M$ ont été réalisés, alors qu'une perte de 7 M$ était prévue.

[189]     Lors d'une présentation de ces résultats financiers à des tiers, le président d'Esterline, M. Cremin, qualifie cette performance de « home run ». M. Mortreux réfère quant à lui au « hockey stick », reprenant ainsi l'image du bâton de hockey qui, reproduit sur un graphique, montre une remontée importante en fin de parcours.

[190]     De plus, en février 2009, M. Houston accorde à M. Mortreux, la cote « D », alors que l'année précédente, M. Kring lui a octroyé la cote « G », soit la meilleure. M. Roy, vice-président Ressources humaines de CMC est « interloqué » lorsqu'il apprend cela. Le budget a pourtant été atteint. Tous les objectifs ont été dépassés, et ce, même si CMC n'a pas encore obtenu le prêt qu'elle attend du gouvernement fédéral.

[191]     M. Roy explique que traditionnellement chez CMC, la performance est réalisée en toute fin d'année. L'année 2008 n'échappe pas à la règle. Les résultats des trois premiers trimestres ne sont pas fantastiques alors que celui du quatrième trimestre est exceptionnel. Il ajoute que les résultats financiers de CMC ne sont pas vus de la même façon par ses dirigeants, Mme Mason et M. Houston.

[192]     M. Houston justifie son insatisfaction par le fait que, bien que les objectifs aient été atteints, ceux-ci sont bien en deçà des projections qui avaient été annoncées par CMC, avant l'achat par Esterline.

[193]     Il réfère à la présentation faite par M. Mortreux, au nom de CMC, avant l'acquisition et des prévisions de profits[74] soumises.

[194]     Le Tribunal note que ces prévisions ne sont pas davantage atteintes l'année précédente. Cela n'empêche pas M. Kring d'être visiblement très satisfait de la performance de M. Mortreux.

            Le paiement du bonus de rétention n'est pas une initiative d'Esterline

[195]     Lors de l'acquisition de CMC par Esterline, M. Mortreux a reçu un « bonus de rétention » de près de 5 M$. L'Employeur a tenté de convaincre le Tribunal que ce paiement démontrait bien son intention de ne pas se départir des services de M. Mortreux.

[196]     Or, la preuve démontre plutôt que M. Mortreux avait négocié, avec CMC Electronic Holdings Inc., une entente en vertu de laquelle il recevrait, tout comme certains autres cadres, un « bonus de rétention » si CMC était vendue à une compagnie autre que la Société générale de financement du Québec[75].

[197]     Cette somme a été payée à même le prix de vente de CMC, selon le témoignage de Mme Mason. Il ne s'agit en aucune façon d'une initiative d'Esterline. Mme Mason admet qu'Esterline n'a eu aucune implication dans la rédaction de ce contrat.

            Aucune contre-expertise médicale n'a été demandée par l'Employeur

[198]     L'Employeur n'a pas demandé que M. Mortreux soit vu par un médecin indépendant autre que les médecins traitants de M. Mortreux.

[199]     M. Houston explique qu'il ne demande pas d'expertise médicale indépendante parce qu'il croit les médecins traitants de M. Mortreux lorsqu'ils affirment que celui-ci est réellement malade. Il est cependant d'avis qu'il ne reçoit pas suffisamment d'information de leur part.

[200]     Dr Charest, qui est le médecin que l'Employeur met à la disposition du salarié, déclare que jamais l'Employeur ne s'est adressé directement à lui afin d'obtenir des informations médicales supplémentaires. Quoi qu'il en soit, entre février et mars 2009, il n'est pas en mesure de dire quand M. Mortreux pourra retourner au travail.

[201]     M. Houston et Mme Mason ajoutent qu'ils se sentaient mal à l'aise de demander une autre expertise médicale, compte tenu de tous les examens que M. Mortreux subissait déjà. Cela semble pourtant un moindre mal, comparé à la sanction ultime du congédiement!

[202]     Par ailleurs, l'Employeur souligne qu'il n'est pas au courant des difficultés d'ordre psychologique que vit M. Mortreux, au moment où il le congédie. Il plaide que le Tribunal doit se baser sur les données que l'Employeur possédait à l'époque pour juger de la justesse de sa décision.

[203]     Le Tribunal constate que jusqu'à son congédiement, l'impossibilité de M. Mortreux de travailler relève davantage de son état de santé physique que de son état mental. C'est principalement la présence de l'hématurie inexpliquée qui empêche M. Mortreux de travailler.

[204]     De plus, l'état psychologique de M. Mortreux semble être notamment lié à l'infarctus subi.

[205]     Le 29 mars 2010, M. Mortreux est vu par le psychiatre de l'assureur. Celui-ci doit déterminer si M. Mortreux est toujours invalide. L'expertise est datée du 1er avril 2010. Il rapporte notamment que les symptômes affectant M. Mortreux, sont en partie causés par la médication reliée à ses problèmes cardiaques :

The treating physician made a diagnosis of major depression and identified psychological harassment at work as an Axis IV factor.

(…)

Although he was clearly experiencing affective and cognitive disturbances typical of an anxious and depressive state, it would appear that some of his symptoms were also the side effect of the cardio-vascular medication he was on. Indeed, Mr Mortreux reports that when the anti-hypertensive Norvasc was added to the other two blood pressure medications he was taking he felt « completely flattened, with no energy at all »; it is therefore likely that such medication contributes to the asthenia and psychomotor slowness he has been reporting.

(Le Tribunal souligne)

[206]     Le 26 octobre 2012, l'Employeur mandate Dr Martin Tremblay (le « psychiatre de l'Employeur ») afin d'obtenir une expertise psychiatrique[76], principalement dans le but de déterminer à partir de quel moment M. Mortreux serait redevenu apte à retourner au travail. Cependant, dans son expertise, le psychiatre de l'Employeur se prononce également sur la capacité de M. Mortreux de communiquer directement avec son Employeur, au printemps 2009. Il écrit :

 

Entre février et mai 2009, rien n'empêchait M. Mortreux de fournir une certification médicale claire pour justifier son absence et informer son Employeur de la durée prévue par son médecin. D'ailleurs, il m'explique que d'après lui il a fait ce type de démarche. Cela sera à vérifier par vous.

[207]     Le Tribunal constate qu'au moment de se prononcer sur cette question, un an et demi s'est écoulé depuis les faits. De plus, le médecin n'a pas en main l'ensemble des données. Il ne connaît pas, notamment, l'historique des relations entre M. Mortreux et M. Houston.

[208]     Par ailleurs, le psychiatre de l'Employeur confirme qu'environ 20 % des gens qui subissent un infarctus font également une dépression. Il explique que le fait de subir un infarctus multiplie par quatre la possibilité de souffrir d'une dépression.

[209]     Mme Mason admet que l'idée d'un impact psychologique suite à l'infarctus, lui est venue à l'esprit. Elle connaît les statistiques à cet égard. Elle admet qu'avant la maladie de M. Mortreux, les communications avec lui sont normales et régulières.

[210]     Le psychiatre de l'Employeur confirme également que la présence d'hématurie a de quoi inquiéter. Il peut s'agir d'un symptôme associé à différents cancers. Conjugué avec l'infarctus, il explique que M. Mortreux subissait un stress majeur. Or, ces éléments sont connus par l'Employeur au moment du congédiement.

[211]     Compte tenu de tous les faits que l'Employeur connaissait et de ceux dont il pouvait se douter, le Tribunal est d'avis qu'il a eu tort de congédier M. Mortreux, et ce, sans même demander une contre-expertise médicale.

[212]     Il n'était pas fondé pour l'Employeur, en présence d'un employé qui est sans conteste malade, qui répond dans la mesure où il le peut à toutes les demandes de l'Employeur, de procéder à un congédiement.

QUEL DOIT ÊTRE LE DÉLAI DE CONGÉ ACCORDÉ À M. MORTREUX?

 

[213]     M. Mortreux ayant été congédié sans cause juste et suffisante, il a droit à une indemnité tenant lieu de délai de congé.

            délai de congé raisonnable

[214]     Le Code civil du Québec énonce qu'une partie à un contrat à durée indéterminée a droit à un délai de congé raisonnable en cas de congédiement :

2091 C.c.Q.

Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.

(Le Tribunal souligne)

[215]     Dans l'arrêt Aksich c. Canadian Pacific Railway[77], la juge Bich rappelle certaines règles découlant de cet article.

[216]     L'Employeur qui se prévaut de l'article 2091 C.c.Q. peut choisir de ne pas donner le délai de congé, mais de mettre plutôt fin au contrat de façon immédiate tout en versant au salarié une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable. Si l'Employeur met fin au contrat sans donner l'indemnité équivalente, l'employé peut obtenir celle-ci en justice, sous réserve de l'obligation de mitigation[78].

[217]     L'article 2092 C.c.Q ajoute que le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a « d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit » :

2092 C.c.Q.

Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.

(Le Tribunal souligne)

[218]     Cela signifie notamment que si le délai de congé prévu dans un contrat d'emploi est insuffisant pour réparer le préjudice subi par le salarié, il pourra être ajusté, selon les faits particuliers du dossier, tels qu'ils se présentent au moment du congédiement[79].

[219]     Puisque l'article 2091 C.c.Q. accorde à tout salarié ainsi qu'à l'Employeur le droit de résilier le contrat unilatéralement et sans motif, il ne s'agit pas, en accordant l'indemnité tenant lieu de délai de congé, de réparer le préjudice qui découle de la terminaison du contrat de travail. Les dommages que peut réclamer le salarié sont limités à la rémunération qu'il aurait reçue pendant la durée du délai de congé applicable[80].

 

[220]     La juge Bich rappelle que les règles relatives à l'abus de droit s'appliquent en matière de rupture du contrat de travail. Si l'Employeur abuse de la faculté de résiliation de l'article 2091 C.c.Q., le salarié peut alors réclamer, de façon distincte, la réparation du préjudice résultant de cet abus[81].

[221]     Il en est ainsi lorsque l'exercice du droit de congédier s'accompagne d'un comportement vexatoire, malicieux, empreint de mauvaise foi ou simplement d'une conduite abusive[82].

[222]     L'abus par l'Employeur de la faculté de résiliation unilatérale au contrat de travail, notamment en s'entêtant à refuser un délai de congé, peut donner ouverture à des dommages moraux et non à la prolongation du délai de congé[83].

[223]     Le Tribunal note cependant que M. Mortreux ne réclame pas de dommages moraux de l'Employeur, suite à son congédiement.

[224]     Le contrat de travail de M. Mortreux prévoit l'octroi d'une indemnité en cas de congédiement sans cause. Celle-ci équivaut à un délai de congé de dix-huit mois :

Paragraphe 10. (b)(i) :

(b)        By the Corporation

(i)   Termination Without Cause - The Corporation may, without cause, at any time during the term of this Agreement terminate the employment of the Employee as President and Chief Executive Officer of the Corporation in which case the Employee shall be entitled commencing on the date that the Employee’s employment is terminated, to:

(A)    Severance in an amount equal to eighteen (18) months Annual Salary plus 1.5 times annualized bonus at target performance under the Employee’s bonus plan in effect at the date of termination, payable in eighteen (18) equal monthly instalments, provided that if the Employee breaches the Non-Competition covenant set out in paragraph 13, all payments of Annual Salary and annualized bonus will immediately terminate, without prejudice to the Corporation’s other rights to enforce paragraph 13 of this Agreement.

(B)    Have Stock Options which were granted to the Employee prior to termination of his employment but which would otherwise vest (on a pro rata basis) at any time in the following 18 months to vest immediately and to have all vested Stock Options not yet exercised be exercisable by the Employee within 30 days of the date of termination of the Employee’s employment after which time all unexercised options will expire; and

(C)    Be paid all Annual Salary accrued to the date of termination plus a bonus pro rated for the portion of the year prior to the date of termination at target performance under the Employee’s bonus plan in effect at the date of termination.

(Le Tribunal souligne)

[225]     M. Mortreux est âgé de 53 ans au moment de son congédiement. Il occupe chez CMC le poste de président et chef de la direction. Son dossier d’emploi est exemplaire.

[226]     M. Mortreux soulève qu'il a droit, à une indemnité équivalente à six mois supplémentaires aux dix-huit mois prévus à son contrat, soit à vingt-quatre mois de délai de congé. Il soutient que ce délai de congé n'a rien d'exceptionnel dans le cas d'un dirigeant de haut niveau.

[227]     L'article 2091 C.c.Q. indique différents critères à considérer dans l'évaluation du caractère raisonnable du délai de congé : nature de l'emploi, circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et durée de la prestation de travail. La jurisprudence ajoute que la nature et l'importance des fonctions, l'âge du salarié, le nombre d'années de service, les circonstances pertinentes relatives à la conclusion du contrat d'emploi, l'existence ou l'inexistence de motifs de congédiement, la difficulté pour l'employé de trouver un emploi comparable, peuvent également être considérés[84].

[228]     L'évaluation du caractère raisonnable du délai de congé est une question de fait. Elle doit tenir compte de toutes les circonstances[85].

[229]     La recherche d'un nouvel emploi présente des défis additionnels dans une situation où le salarié est malade ou en période de convalescence. L'état de santé du salarié au moment de son congédiement constitue donc un facteur pertinent dans l'évaluation du délai de congé qui doit lui être alloué[86].

[230]     Les délais de congé accordés par les tribunaux varient selon les circonstances, mais la limite supérieure se situe à vingt-quatre mois[87].

[231]     L'indemnité de dix-huit mois prévue au contrat d'emploi de M. Mortreux a été négociée librement par M. Mortreux, lors de son embauche chez CMC.

[232]     À l'époque, M. Mortreux est pleinement conscient que les actionnaires entendent vendre l'entreprise dans les prochaines années et qu'il est possible que le nouvel acquéreur mette fin à son contrat d'emploi. M. Mortreux est alors représenté par avocat. La négociation s'échelonne sur plusieurs mois.

[233]     Certes, le Tribunal est en présence d'un salarié occupant de hautes foncions. De plus, les emplois comparables ne courent pas les rues. Cependant, ces éléments sont connus au moment où M. Mortreux conclut son contrat d'emploi. Or, il juge qu'un délai de congé de dix-huit mois est raisonnable[88].

[234]     M. Mortreux invoque que son état de santé ne lui permet pas de chercher un emploi et de travailler, au moment de son congédiement. Il s'agirait donc d'une circonstance spéciale justifiant d'augmenter la durée du délai de congé négociée.

[235]     Le Tribunal note que le même délai de congé de dix-huit mois avait été convenu entre les parties en cas d'invalidité[89]. Indépendamment de la légalité d'une telle clause, force est de constater que même dans ces circonstances, un délai de dix-huit mois avait été jugé suffisant.

[236]     Au moment de son congédiement, M. Mortreux travaille au sein de l’entreprise depuis environ 5 ans.

[237]     Le Tribunal note que dans les décisions soumises à son attention, où un délai de congé de vingt-quatre mois a été accordé, les employés avaient respectivement travaillé plus de quinze ans chez le même Employeur[90]. On a également tenu compte, dans certaines de ces affaires, du fait que l'Employeur s'était engagé formellement à assurer la sécurité d'emploi d'un employé[91] ou avait fait des représentations en ce sens au moment de l'embauche[92]. Ce n'est pas le cas de M. Mortreux.

[238]     Un délai de congé de dix-huit mois entre dans l'ordre de grandeur de ce qui peut être accordé lorsque l'employé congédié occupe un poste dans la haute direction d'une organisation[93].

[239]     Le Tribunal est d'avis que ce délai de congé de dix-huit mois est raisonnable.

[240]     Aux termes du contrat d'emploi, l'indemnité tenant lieu de délai de congé correspond aux montants suivants :

 

Art. 10. (b) (i) (A)

18 months Annual Salary:

535 002,00 $ X 18 = 802 503,00 $

             12

 

1,5 X annualized bonus at target performance under the Employer's bonus plan in effect at the date of termination[94].

1,5 X (50 % X 535 002 $) = 401 251,50 $

Art. 10. (b) (i) (C)

Annual salary accrued at the date of termination

0

Bonus pro rated for the portion of the year prior to the date of termination at target performance under the Employer's bonus plan in effect at the date of termination[95].

Date de fin d'emploi : 27 mai 2009

Nombre de mois courus depuis le début de l'année financière, débutant le 1er novembre 2008 : 6 mois

50 % X 535 002 $ = 267 501 $

267 501 $ X 6 = 1 605 006 $

1 605 006 $ - 267 501 $ = 133 750 $

TOTAL

1 337 504,50 $

obligation de mitigation

[241]     M. Mortreux a été congédié le 27 mai 2009. Le délai de congé de dix-huit mois se termine le 27 novembre 2010.

[242]     En principe, le salarié qui est congédié a l'obligation de rechercher activement un nouvel emploi afin de minimiser ses dommages[96]. Il s'agit de l'obligation de mitigation prévue à l'article 1479 C.c.Q.

[243]     L'Employeur peut toutefois convenir que l'employé ne sera pas soumis à cette obligation de mitigation pendant le délai de congé prévu au contrat de travail. C'est ce que la juge Bich qualifie « d'avantage lié à l'emploi » faisant partie des termes du contrat de travail[97].

[244]     Dans la présente affaire, le contrat de travail prévoit qu'en cas de congédiement sans cause, M. Mortreux a droit à une indemnité tenant lieu de délai de congé de dix-huit mois. Cette somme lui est payable à raison de dix-huit versements. Il est toutefois prévu que ces versements seront interrompus si l'employé contrevient à la clause de non-concurrence prévue à l'article 13 du contrat de travail.

[245]     À contrario, il faut comprendre que si M. Mortreux travaille et gagne un revenu pendant la période de délai de congé de dix-huit mois, sans contrevenir à la clause de non-concurrence de l'article 13 du contrat de travail, il conserve son indemnité de délai de congé.

[246]     Le Tribunal est d'avis que l'Employeur a conféré à M. Mortreux un avantage de non-mitigation et que celui-ci n'avait pas à rechercher activement un travail pendant le délai de congé de dix-huit mois.

LES PRESTATIONS D'INVALIDITÉ DOIVENT-ELLES ÊTRE DÉDUITES?

[247]     À compter du 27 mai 2009, M. Mortreux a reçu des prestations d'invalidité qui totalisent 367 000 $[98]. L'Employeur soutient qu'elles doivent être déduites de l'indemnité tenant lieu de délai de congé.

[248]     Dans l'arrêt Sylvester c. Colombie-Britannique[99], la Cour suprême établit le principe suivant lequel la déductibilité ou non des prestations d'invalidité reçues par un employé, au cours de la période visée par le préavis, dépend des modalités du contrat d'emploi et de l'intention des parties[100].

[249]     La clause du contrat de travail de M. Mortreux qui prévoit la terminaison sans cause, n'indique pas que les prestations d'invalidité reçues doivent être déduites. En comparaison, dans le cas de terminaison du contrat d'emploi pour cause d'invalidité, il est stipulé que toute prestation reçue doit être déduite[101].

[250]     Si l'Employeur avait voulu que le même principe s'applique dans les deux cas, il l'aurait spécifié. Puisque dans la présente cause, l'Employeur a choisi de ne pas se prévaloir de la clause de terminaison d'emploi pour cause d'invalidité, c'est donc l'autre clause qui s'applique et les prestations d'invalidité n'ont pas à être déduites.

[251]     De plus, la preuve prépondérante démontre que l'attitude de l'Employeur est partiellement responsable de l'état dépressif dont souffre M. Mortreux.

[252]     Son témoignage, selon lequel la conduite de l'Employeur a créé chez lui un état de tension et d'angoisse important, est clair. Cet état a été aggravé par l'obligation d'intenter des procédures judiciaires.

[253]     Dr Charest inscrit dans le dossier du patient, le 30 juin 2009 :

Comportement de la compagnie contribue à augmenter l'angoisse du patient. (Véritable harcèlement).

[254]     Quant à Dr Tremblay, l'expert psychiatre retenu par l'Employeur, il est d'avis que la dépression de M. Mortreux est attribuable principalement à l'infarctus et à l'absence de cause claire à l'hématurie. Il admet toutefois qu'à un niveau moindre, s'ajoute comme facteur de risque pour développer un trouble dépressif, le sentiment d'injustice et de non-reconnaissance par rapport à son travail et aux efforts fournis que M. Mortreux a développé par rapport à son Employeur.

[255]     Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis que de permettre à l'Employeur de déduire les prestations d'invalidité versées reviendrait à l'autoriser à invoquer sa propre turpitude[102].

[256]     Le Tribunal est donc d'avis de ne pas déduire les prestations d'invalidité versées à M. Mortreux.

M. MORTREUX A-T-IL DROIT À SES HONORAIRES EXTRA JUDICIAIRES?

[257]     M. Mortreux réclame de l'Employeur le remboursement de ses honoraires extra judiciaires.

[258]     Conformément aux principes élaborés par la Cour d'appel dans l'arrêt Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée[103], seul l'abus du droit d'ester en justice peut être sanctionné par l'octroi de dommages équivalent aux honoraires extra judiciaires d'une partie.

[259]     Tel que l'écrit le juge Rochon dans Viel :

[74] Avant d'examiner plus avant cette question, il importe de distinguer et de définir l'abus de droit sur le fond du litige (l'abus sur le fond) de l'abus du droit d'ester en justice. L'abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires. L'abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle ou extracontractuelle. Il a pour effet de qualifier cette faute. La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi. Au moment où l'abus sur le fond se cristallise, il n'y a aucune procédure judiciaire d'entreprise. C'est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s'adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d'un droit ou une juste réparation.

[75] À l'opposé, l'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire. C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense. Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire. Ce ne sont que des exemples. 

[260]     Le rejet des prétentions d'une partie ne signifie pas qu'il y ait abus d'ester en justice[104].

[261]     Tel que le soulignent les juges Pelletier et Dufresne dans l'arrêt Hébert c. Centre hospitalier affilié universitaire de Québec-Hôpital de l'Enfant-Jésus[105], l'abus d'ester en justice est souvent associé à la mauvaise foi. Tel est le cas lorsqu'une partie intente une action ou défend à celle-ci, avec l'intention de nuire à l'adversaire plutôt que de faire valoir ses prétentions.

[262]     Le fait de retrouver des indices de témérité peut également révéler l'existence d'un abus d'ester en justice. Selon le juge Dalphond[106], il y a témérité dans les cas suivants :

[46] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ». 

(Le Tribunal souligne)

[263]     Dans la présente affaire, l'Employeur a d'abord soutenu que M. Mortreux avait démissionné. Il a ensuite plaidé que M. Mortreux avait fait preuve d'une insubordination justifiant son congédiement.

[264]     Bien que la thèse de l'Employeur ait été fragile, le Tribunal ne peut affirmer qu'elle ne présentait aucune chance raisonnable de succès. La défense de l'Employeur était fondée sur une vaste succession d'évènements et d'échanges dont l'analyse aurait pu conduire à différentes conclusions.

[265]     L'Employeur a obtenu de son expert psychiatre, un rapport selon lequel M. Mortreux était en mesure de communiquer avec l'Employeur, à l'époque où on lui reproche de ne pas l'avoir fait.

[266]     Le fait que l'Employeur se soit mépris sur l'étendue de ses droits ne constitue pas, de l'avis du Tribunal, un abus d'ester en justice. 

[267]     Par ailleurs, le dossier ne révèle pas qu'il y ait eu, de la part de l'Employeur, multiplication de procédures.

[268]     Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la réclamation pour honoraires extrajudiciaires.

LE TRIBUNAL DOIT-IL ORDONNER L'EXÉCUTION PROVISOIRE DU JUGEMENT, NONOBSTANT APPEL?

[269]     M. Mortreux demande au Tribunal de prononcer l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel.

[270]     L'article 547 C.p.c. prévoit que l'exécution provisoire peut être prononcée, notamment pour quelque raison jugée suffisante :

547. Il y a lieu à exécution provisoire malgré l'appel dans tous les cas suivants, à moins que, par décision motivée, le tribunal ne suspende cette exécution:

(…)

De plus, le tribunal peut, sur demande, ordonner l'exécution provisoire dans les cas d'urgence exceptionnelle ou pour quelque autre raison jugée suffisante notamment lorsque le fait de porter l'affaire en appel risque de causer un préjudice sérieux ou irréparable, pour la totalité ou pour une partie seulement du jugement.

Dans les cas prévus au présent article, le tribunal peut, sur demande, subordonner l'exécution provisoire à la constitution d'une caution.

(Le Tribunal souligne)

[271]     Lorsque la demande est fondée sur cet alinéa de l'article 547 C.p.c., l'exécution provisoire constitue l'exception et non la règle. Il appartient à celui qui demande au tribunal d'exercer ce pouvoir discrétionnaire de faire la démonstration de l'existence de raisons suffisantes justifiant d'y faire droit[107].

[272]     Le Tribunal peut considérer qu'il existe une raison jugée suffisante lorsque l'attitude passée d'une partie laisse craindre la possibilité d'un appel dilatoire[108], dans le but d'épuiser l'adversaire[109].

[273]     Compte tenu notamment de la décision du Tribunal quant à l'absence d'abus d'ester en justice, le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas en présence de semblables circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[274]     CONDAMNE les défenderesses solidairement à payer au demandeur la somme de 1 337 504,50 $ avec intérêt au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.C.Q. à compter du 26 mai 2009;

[275]     LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

CHRISTIANE ALARY, j.c.s.

 

Me Dominique Ménard

HEENAN BLAIKIE

Avocate du demandeur

 

Me Antoine Aylwin

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Avocat des défenderesses

 

 

Dates d’audience :

21-22-23-26-27-28-29-30 mars 2012

 



[1]     CMC et Esterline sont poursuivis solidairement. CMC est une filiale à part entière d'Esterline. Le contrat d'emploi de M. Mortreux est conclu avec CMC. La preuve démontre toutefois que le supérieur de M. Mortreux était un employé d'Esterline. Cette dernière n'a, d'aucune façon, soulevé que seule CMC devrait être tenue responsable à titre d'Employeur.

[2]     Pièce P-1.

[3]     Id., art. 10 (b) (i) (A) (B) (C).

[4]     Id., art. 10 (a) (ii).

[5]     Au moment du procès, Mme Mason porte le patronyme de Greenberg.

[6]     Pièce D-14.

[7]     Pièces P-2 et P-3.

[8]     Pièce P-5.

[9]     Pièce P-4. L'initiative stratégique pour l'aérospatiale et la défense (ISAD) est gérée par l'Office des technologies industrielles, un organisme de service spécial d'Industrie Canada qui a le mandat de favoriser la recherche et le développement de pointe menés par les industries canadiennes.

[10]    Pièce P-6.

[11]    Pièce P-10.

[12]    Pièce P-11.

[13]    Pièce P-13.

[14]    Pièce P-14.

[15]    Pièce P-15.

[16]    Pièce P-18.

[17]    Pièce P-20.

[18]    Pièce P-25.

[19]    Pièce P-49.

[20]    Pièce D-27.

[21]    Pièce P-49.

[22]    Pièce P-33.

[23]    Pièce P-49.

[24]    Pièce P-44.

[25]    Pièce P-50.

[26]    Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2e éd., par N.-A. BÉLIVEAU avec la collab. de Marc Ouellet, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 554.

[27]    George AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, feuilles mobiles, à jour en décembre 2010, p. 18-90.

[28]    Sirois c. Peinture Micca inc., [2004] R.J.D.T. 504 (C.S.), (appel rejeté sur requête, C.A., 14-03-2005, no 500-09-014623-045).

[29]    Trudel c. Dale-Parizeau inc., J.E. 98-2162 (C.S.).

[30]   Commission des normes du travail c. 2331-3547 Québec inc., D.T.E. 99T-907 (C.Q.).

[31]    Pièce D-14.

[32]    Pièce P-15, voir certificat annexé à la lettre de Me Hart du 2 avril 2009.

[33]    Pièce P-6.

[34]    Pièces P-36 et P-44.

[35]    Id.

[36]    Pièce P-9.

[37]    Pièce P-10.

[38]    Pièce P-44.

[39]    Pièce P-11.

[40]    Pièce P-12.

[41]    Pièce P-36.

[42]    Pièce P-13.

[43]    Pièce P-14.

[44]    Pièce P-15.

[45]    Pièce P-16.

[46]    Pièce P-17.

[47]    Pièce P-18.

[48]    Pièce P-19.

[49]    Pièce P-20.

[50]    Pièce P-21.

[51]    Pièce P-22.

[52]    Pièce P-23.

[53]    Pièce P-24.

[54]    Pièce P-24.

[55]    Pièce P-26.

[56]    Pièce P-25.

[57]    Pièce P-17.

[58]    Pièce P-22.

[59]    Art. 2094., C.c.Q.

[60]    Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 128-129.

[61]    Id.

[62]    G. AUDET, préc., note 27.

[63]    L.R.Q., c. C-12.

[64]    Linda BERNIER et al., Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e éd. vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, feuilles mobiles, à jour en 2012-1, p. II / 1-53.

[65]    Id.

[66]    Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 57 et Caisse populaire St-Stanislas de Montréal, [1999] R.J.D.T. 350 (T.A.).

[67]    L. BERNIER, préc., note 64, p. II / 1-54.

[68]    Contrecoeur (Ville de) et Syndicat des employés municipaux de Contrecoeur (C.S.N.), D.T.E. 2003T-292.

[69]    N.-A. BÉLIVEAU, préc., note 26, p. 642.

[70]    R. P. GAGNON, préc., note 60, p. 83; G. AUDET, préc., note 27, p. 4-27.

[71]    N.-A. BÉLIVEAU, préc., note 26.

[72]    Pièce P-15.

[73]    Interrogatoire hors cour de M. Cremin, 4 octobre 2010, pages 199, 207, 237, 238, 249 et 251.

[74]    Pièce D-17.

[75]    Pièce D-28.

[76]    Pièce D-21.

[77]    2006 QCCA 931.

[78]    Id., par. 118.

[79]    Id, par. 120.

[80]    Id.

[81]    Id., par. 121.

[82]    Id., par. 122.

[83]    Id., par. 162; Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329.

[84]    Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, J.E. 94-1199 (C.A.); R. P. GAGNON, préc., note 60, p. 131-132.

[85]    Groupe DMR inc. c. Benoît, 2006, QCCA 1357.

[86]    Moody c. Telus Communications Inc., 2003 BCSC 471; Musitechnic Services éducatifs inc. c. Ben-Hamadi, J.E. 2004-1577 (C.A.).

[87]    Préc., note 77.

[88]    Dostie c. Dostie, J.E. 2003- 1149 (C.S.).

[89]    Voir paragraphe 12 de ce jugement.

[90]    Préc., note 77; Préc., note 85; Encres d'imprimerie Schmidt ltée/Schmidt Printing Inks Ltd. c. Agence de ventes Bill Sayer inc./Bill Sayer Sales Agency Inc, J.E. 2004-849 (C.A.) ; 149244 Canada Inc. c. Selick 1994 RJQ 2822 (C.A.).

[91]    149244 Canada Inc. c. Selick, préc., note 90.

[92]    Précité, note 77.

[93]    Ben-Hamadi c. Musitechnic Services éducatifs inc., J.E. 2003-431 (C.S.).

[94]    Pièce D-4.

[95]    Pièce D-4.

[96]    Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Dominic ROUX, Jean-Pierre VILLAGGI, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2010, p. 1494. V-46.

[97]    Précité, note 77; Pierre E. MOREAU, « Application de l’article 1479 C.c.Q. en droit de l’emploi québécois : l’obligation de mitigation des dommages », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, L’ABC des cessations d’emploi et des indemnités de départ, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 168; Préc., note 77, par. 136 et suiv.; Massé c. Laboratoires Choisy ltée, J.E. 99-1998 (C.S.).

[98]    Pièce D-27.

[99]    Sylvester c. Colombie-Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315; Musitechnic Services éducatifs inc. c. Ben-Hamadi, J.E. 2004-1577 (C.A.).

[100]   Au Québec, la jurisprudence majoritaire soustrait les prestations d'assurance invalidité reçues durant la période de délai de congé lorsque l'employeur paie entièrement les primes. Il en va autrement lorsque l'employé les paie en entier. Dans la présente affaire, cet argument n'a pas été soulevé et la preuve ne révèle pas qui de l'employeur ou de l'employé a payé les primes.

[101]   Pièce P-1, clause 10 (a) (ii).

[102]   Desgagné-Bolduc c. Provigo Distribution inc., 2007 QCCS 3224; Bédard c. Minolta Business Equipment (Canada) Ltd., Minolta Québec, 2008 QCCA 1662 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, (C.S. Can., 2009-03-12).

[103]   [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).

[104]   Hébert c. Centre hospitalier affilié universitaire de Québec ― Hôpital de l'Enfant-Jésus, 2011 QCCA 1521 (requête en prolongation de délai accueillie et requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2012-04-26).

[105]   Id.

[106]   Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915.

[107]   Association des employeurs maritimes c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée., [1995] R.D.J. 157 (C.A.); Lebeuf c. Groupe S.N.C.-Lavalin inc., [1995] R.D.J. 366 (C.A.).

[108]   9078-0669 Québec inc. c. Gravel, [2001] R.J.Q. 2908 (C.S.).

[109]   Guertin c. Richelieu (Ville de), J.E. 2006 (C.S.).

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