99011263
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-000369-931
(400-05-000204-884)
Le 12 mars 1999
CORAM: LES HONORABLES GENDREAU
NUSS, JJ.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
ALDEI GOGUEN,
APPELANT - (Défendeur-demandeur
reconventionnel)
c.
HYDRO-QUÉBEC,
INTIMÉE - (Demanderesse-défenderesse
reconventionnelle)
et
JEAN-GUY BLANCHET,
Défendeur en garantie
et
SUZANNE GAUTHIER,
et
LOUISE BLANCHET,
Défenderesses en garantie en
reprise d'instance
et
GÉRARD DUFRESNE,
INTERVENANT
et
LE RÉGISTRATEUR DU BUREAU DE LA DIVISION
D'ENREGISTREMENT DE TROIS-RIVIÈRES,
Mis en cause
LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement de la
Cour supérieure, district de Trois-Rivières, rendu par
l'honorable Ovide Laflamme le 20 avril 1993;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
L'appelant Aldei Goguen («Goguen») dans le dossier
200-09-000369-931 prétend que la servitude de passage de la
ligne d'Hydro-Québec, l'intimée, est illégale, ne lui est pas
opposable et, à tout événement, ne lui interdit en rien la
construction de bâtiments sur son emprise. Il plaide aussi que
si la servitude est valide, ses recours devraient lui être
réservés contre Suzanne Gauthier et Louise Blanchet, les
ayants droit de son vendeur, qui auraient fait défaut de lui
dénoncer une servitude passive et non apparente. Enfin, il
conclut de la même manière à une réserve de ses recours contre
l'appelant dans le dossier 200-09-000368-933, Gérard Dufresne («Dufresne»), le notaire qui a reçu son acte d'achat. Même si
deux arrêts seront déposés, une bonne compréhension nécessite
que toute la motivation ne soit faite qu'une seule fois et en
continuité.
- 0 -
Cette affaire est à la fois simple et singulièrement
engagée. Goguen est propriétaire d'un immeuble sur lequel est,
entre autres, construite une ligne de transmission d'Hydro- Québec. Il l'avait acquis de Jean-Guy Blanchet, aujourd'hui
décédé; Gérard Dufresne avait été le notaire instrumentant.
Devant les empiétements de Goguen sur l'assiette de
la servitude - il avait entre autres érigé un garage - Hydro- Québec, dont les nombreuses plaintes sont restées lettres
mortes, a assigné Goguen en injonction permanente pour que
soit ordonné le dégagement de l'assiette de la servitude.
Goguen répliqua par deux procédures.
a) une défense où il a allégué l'invalidité de la
servitude et, subsidiairement, si le droit réel
d'Hydro-Québec est valide, l'acte ne contient aucune disposition prévoyant l'absence d'une
interdiction de construire;
b) un appel en garantie contre Jean-Guy Blanchet, son
vendeur, de qui il a réclamé qu'il prenne son fait
et cause; il n'a cependant inclus aucune allégation
et conclusion en vue d'obtenir de Blanchet une
indemnisation au motif de violation de la garantie
contre l'éviction.
Jean-Guy Blanchet, de son vivant, a refusé d'épouser
la querelle de Goguen, l'acheteur. Mais, à son décès, ses
héritières Suzanne Gauthier et Louise Blanchet ont fait volte- face et produit une défense dans laquelle elles reprenaient
tous les griefs de Goguen pour repousser l'action d'Hydro- Québec. En d'autres mots, elles prirent fait et cause.
Le dossier n'aurait pas été complet sans l'arrivée
du notaire instrumentant Gérard Dufresne qui a déposé au
dossier une intervention agressive pour, lui aussi, appuyer
les prétentions de Goguen. À l'enquête, il révélera d'ailleurs
qu'il avait vérifié les titres de l'acquéreur Goguen, constaté l'existence d'une servitude en faveur de Shawinigan Water and
Power en 1937 renouvelée par Hydro-Québec en 1963 mais décidé
de ne pas l'inclure au contrat puisque, à son avis, cette
servitude était illégale en raison de l'insuffisance de la
description du fonds servant.
Le juge saisi de l'affaire a décidé:
1. que la servitude d'Hydro-Québec était valide
et opposable à Goguen et qu'elle incluait une
interdiction de construire;
2. que la sanction à la violation de Goguen du
droit réel d'Hydro-Québec était une
condamnation à dégager l'assiette de la
servitude à ses frais;
3. que la servitude était apparente; c'est sans
doute pour cela, bien que cela ne soit pas
explicite, qu'il a rejeté l'action en
garantie;
4. que le notaire avait commis une faute
professionnelle et qu'il devait donc, à titre
de dommages, contribuer à 50% du coût du
dégagement du terrain sujet à la servitude.
Devant nous, Goguen s'est pourvu. Il reprend contre
Hydro-Québec les mêmes arguments qu'il avait soumis à la Cour
supérieure. Quant aux représentantes du vendeur, il veut que
nous déclarions qu'il était justifié de les appeler en garantie, réservions ses recours contre elles et «adjug(ions)
en conséquence sur les dépens». Vis-à-vis le notaire, il
cherche une réserve de ses droits. Son appel porte le numéro
200-09-000369-931 des dossiers de la Cour.
Puisque les deux appels soulèvent les mêmes griefs
contre Hydro-Québec, cette première question sera d'abord
traitée. Par la suite, les particularités de chaque pourvoi
seront étudiées séparément.
La servitude d'Hydro-Québec
__________Les prétentions des appelants Goguen et Dufresne
sont erronées. Le juge a correctement décidé que le fonds
servant était suffisamment décrit pour permettre une
identification du droit réel. La description de 1937 par
tenants et aboutissants et la preuve de la date de la
construction en 1937 et de l'exercice de la servitude pendant
les cinquante années qui ont précédé la procédure, ont
entièrement fixé l'assiette du droit réel. De plus, l'avis
cadastral de 1963, dix-sept ans avant l'achat par Goguen,
précisait la description technique du fonds servant. Cet avis n'a pas créé de droit mais précisé la description du fonds sur
lequel la servitude s'exerçait depuis un quart de siècle. Il
a été déposé, enregistré et noté en marge de la servitude de
1937. Il n'a jamais été contesté ni directement ni
indirectement au cours des 30 dernières années et pas
davantage dans les procédures dont nous sommes saisis.
Quant à la portée de la servitude, elle ne peut pas
être interprétée autrement qu'incluant une interdiction de
construire. En effet, ce droit était constitué pour autoriser
la société de distribution d'électricité à y ériger sur tout
et n'importe où sur sa superficie des tours, des supports, des
tiges «et autres supports pour les fils [...] et des attaches
et autres accessoires nécessaires pour ladite ligne de
transmission, à y inspecter et y faire des additions,
changements et renouvellements et à y ériger, émonder ou
enlever, en tout temps, tous les arbres, branches, arbrisseaux
et arbustes qui peuvent se trouver sur ladite lisière de
terre...». Toutes ces activités autorisées et tous les droits
consentis ne peuvent être exercés pleinement qu'en l'absence
de constructions autres que celles de la société.
Goguen plaide enfin qu'il ne devrait pas démolir une
annexe à sa résidence au motif que cet ajout, bien qu'érigé
dans l'emprise de la servitude, n'empêche pas Hydro-Québec de
jouir pleinement de son droit réel. Cette prétention ne
résiste pas à l'analyse. Il est clair que l'interdiction de
construire vise toute l'assiette du droit et qu'Hydro-Québec
peut en exiger le dégagement.
Cette partie du jugement attaqué doit donc être
confirmée.
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Les particularités propres à l'appel no 200-09-000369-931
Cet appel vise aussi les défenderesses en garantie
Suzanne Gauthier et Louise Blanchet et, dans une moindre
mesure, l'intervenant Dufresne.
Le juge avait rejeté le «recours en garantie» sans
doute parce que son seul objet consistait à forcer Suzanne
Gauthier et Louise Blanchet à prendre fait et cause pour
Goguen, ce qu'elles ont fait. En appel, Goguen a modifié son tir et plaidé que le vendeur Blanchet avait violé son
obligation de dénoncer la servitude d'Hydro-Québec. Toutefois,
conscient de sa volte-face, Goguen limite ses conclusions
devant nous à déclarer «que l'action en garantie était
justifiée, eu égard à l'article
1520 C.c.B.C.» et il nous «prie
[...] de réserver tous ses recours contre les défenderesses en
garantie [...] en cas de jugement défavorable» (m.a. p. 21).
Il n'appartient pas à la Cour de donner un avis
juridique. La réserve des recours est inutile: une partie a
des droits ou n'en a pas et la réserve que pourrait en faire
un tribunal n'y change rien.
En fait, ce que Goguen recherche, c'est une décision
«préliminaire» qui lui conférerait un jugement déclarant que
son vendeur a violé son obligation de garantie contre
l'éviction partielle et lui permettrait de demander, par une
nouvelle action en Cour supérieure, la réparation appropriée,
son droit étant déjà consacré.
En l'espèce, cela est irrégulier car le débat en
Cour supérieure n'a pas été fait contre Suzanne Gauthier et Louise Blanchet au regard de leurs obligations vis-à-vis
Goguen. Celui-ci voulait leur appui à sa thèse contre Hydro- Québec et l'a obtenu. Peut-être cette attitude des deux
défenderesses en garantie pourrait être un facteur pertinent
dans une éventuelle action en application de l'article
1520
C.c.B.C. mais cela est un autre débat sur lequel nous ne nous
prononçons pas.
En somme, le juge a bien compris comment les
parties, et en particulier Goguen, ont conduit leur affaire et
le rejet de l'action en garantie ne fut dicté que par ses
conclusions sur la validité de la servitude et non parce que
le vendeur Blanchet aurait violé son obligation de garantie
contre l'éviction, une question qu'il ne s'est pas posée parce
que les parties ne l'ont pas invité à le faire. Il serait donc
injuste aujourd'hui de faire en appel un débat qui n'a pas eu
lieu en Cour supérieure.
Par ailleurs, les défendeurs en garantie n'avaient
pas demandé de frais contre Goguen et le juge en a accordés.
Il y a lieu de corriger cette conclusion.
Enfin Goguen demande qu'on lui réserve ses droits
contre le notaire instrumentant Dufresne. Il est clair que
Goguen n'avait aucune allégation ni conclusion contre le
notaire Dufresne qui n'est intervenu au débat que pour
soutenir la validité de la servitude. Sa responsabilité
professionnelle, sur laquelle le juge se prononce, n'a pas
fait l'objet de quelque débat. Aussi, toute cette partie des
conclusions de la décision de la Cour supérieure est prononcée
«ultra petita» et doit être réformée. D'ailleurs, le notaire
a porté le jugement en appel (dossier 200-09-000368-933).
Sur la réserve des recours demandée par Goguen,
cette conclusion est inutile. Si Goguen prétend à des droits
contre le notaire, il les fera valoir.
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L'appel no 200-09-000368-933
Cet appel est celui du notaire condamné à indemniser
Goguen. Cette partie de la décision est ultra petita comme il
a été dit précédemment. Aussi, si les deux dernières conclusions du jugement attaqué doivent être rayées, cela ne
signifie en rien que la Cour exprime une opinion sur les
relations juridiques entre Goguen et Dufresne qui restent à
être examinées et tranchées.
Pour ces motifs:
ACCUEILLE pour partie l'appel mais sans frais vu le
succès mitigé et
MODIFIE le jugement de la Cour supérieure
pour retirer la condamnation aux dépens en faveur des
défenderesses en garantie et préciser que l'appelant aura un
délai de douze mois pour enlever ses bâtiments qui empiètent
sur la servitude, de sorte que les première, troisième,
quatrième et cinquième conclusions du jugement dont appel se
liront désormais ainsi:
ACCUEILLE l'action de la demanderesse;
REJETTE les défenses des défenderesses en
garantie en reprise d'instance, avec
dépens;
REJETTE le recours en garantie du
défendeur principal;
ORDONNE au défendeur principal d'enlever
à ses frais les constructions se trouvant
sur l'emprise de la servitude qui a été
consentie à la demanderesse sur une
partie du lot 216, de la paroisse de
Trois-Rivières, et lui ENJOINT de ne plus
ériger quelque construction ou structure,
sur, au-dessus et au-dessous desdits
fonds servants, dans un délai d'un an à
compter du 12 mars 1999; et à défaut,
PERMET à la demanderesse de procéder
elle-même à l'enlèvement de l'immeuble et
d'en facturer le coût au défendeur, avec
dépens.
Quant aux deuxième, sixième et septième conclusions,
il en sera disposé dans le pourvoi no 200-09-000368-933.
PAUL-ARTHUR GENDREAU, J.C.A.
JOSEPH R. NUSS, J.C.A.
RENE LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
_______________
Me Richard Lambert (Lambert, Hamelin)
Pour l'appelant
Me Dominique Piché (Marchand, Lemieux)
Pour l'intimée
Me Jean-Éric Guindon (Heenan, Blaikie)
Pour le défendeur en garantie et les
défenderesse en garantie en reprise
d'instance
Date de l'audition:
9 mars 1999