Décision

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Peluso c. Dolmen (1994) inc.

2011 QCCA 1757

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-021697-115

(500-22-178294-115)

 

DATE :

 27 SEPTEMBRE 2011

 

 

L'HONORABLE ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

JOHNNY PELUSO

REQUÉRANT - demandeur

c.

 

DOLMEN (1994) INC.

INTIMÉE - REQUÉRANTE - mise en cause

et

BENOÎT TREMBLAY

MIS EN CAUSE - défendeur

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Par sa requête, l'intimée me demande de déclarer abusive la requête pour permission d'appeler du requérant.  Les conclusions de la requête de l'intimée sont ainsi libellées :

REJETER la requête pour permission d'appeler du requérant Johnny Peluso;

DÉCLARER la requête pour permission d'appeler du requérant Johnny Peluso abusive;

CONDAMNER le requérant Johnny Peluso, ainsi que Me Mark Sumbulian à payer à la mise en cause Dolmen (1994) Inc. la somme de 7000,00$ à titre d'honoraires extrajudiciaires, sauf à parfaire;

CONDAMNER le requérant Johnny Peluso, ainsi que Mark Sumbulian à payer à la mise en cause Dolmen (1994) Inc. la somme de 5 000,00$ à titre de dommages et intérêts.

LE TOUT AVEC DÉPENS TANT EN APPEL QU'EN PREMIÈRE INSTANCE.

[2]           Séance tenante, j'ai rejeté la requête pour permission d'appeler.  Elle visait un jugement de la Cour du Québec qui avait rejeté à son tour la requête en rétractation de jugement du requérant.

[3]           Dans ce jugement sur la rétractation, le juge de la Cour du Québec résume les faits et la trame procédurale de la façon suivante :

[5]           Le 27 janvier 2011, PELUSO signifie à DOLMEN une requête introductive d'instance en désaveu. Préalablement, le procureur de PELUSO transmet au procureur de DOLMEN une copie de la requête l'informant de l'existence du litige.

[6]           Malgré le fait qu'il connaît l'identité du procureur de DOLMEN, le procureur de PELUSO inscrit pour défaut de comparaître le 8 février 2011, soit 12 jours après la signification de la requête introductive d'instance.

[7]           La veille, le 7 février 2011, le procureur de DOLMEN confirmait au procureur de PELUSO qu'il consentait à la remise d'une autre requête en rétractation de ce dernier jusqu'à ce qu'un jugement intervienne relativement à la requête introductive en désaveu. La lettre termine par la mention « nous demeurons donc dans l'attente de vos nouvelles relativement au sort de votre requête en désaveu, […] ».

[8]           Le 2 mars 2011, le procureur de DOLMEN réécrit au procureur de PELUSO pour lui demander de lui transmettre un projet d'échéancier dans le litige portant sur le désaveu. Il apprend, par la suite, que Me Sumbulian avait inscrit pour jugement par défaut et que le dossier était rendu à la rédaction des jugements.

[9]           DOLMEN signifie alors au procureur de PELUSO (Me Sumbulian), par télécopieur, le 7 mars 2011, une requête pour être relevé du défaut de comparaître. À ce moment, Me Sumbulian est à l'extérieur du pays. Il prétend avoir donné instructions à son adjointe de demander une remise de la requête. Celle-ci aurait laissé un message à cet effet sur le cellulaire du procureur de DOLMEN, mais ce dernier nie avoir reçu un tel message.

[10]        La requête pour être relevé du défaut de comparaître est entendue et accueillie le 11 mars 2011. C'est la rétractation de ce jugement que PELUSO recherche par la présente requête.

[11]        Au soutien de sa requête, Me Sumbulian n'invoque qu'un seul motif de droit : « Vu l'absence du procureur soussigné du pays, le demandeur a été empêché de contester la requête en rétractation ».

[12]        PELUSO prétend qu'en raison du jugement permettant la comparution, il a subi « un grave préjudice car il a des moyens valides de contestation de ladite requête ».

[13]        De son côté, DOLMEN soutient que l'absence de Me Sumbulian à l'audition de la requête pour permission de comparaître ne tient qu'à sa négligence d'avoir fait défaut de prendre les mesures nécessaires à la réception de procédure et à l'audition de celle-ci pendant son absence. Elle soulève le caractère abusif et frivole de la requête en rétractation et réclame la condamnation de Me Sumbulian au paiement des honoraires extrajudiciaires

 

[4]           Dans son analyse, par laquelle il conclut au rejet de la requête, le juge de la Cour du Québec est sévère à l'égard de la conduite de l'avocat du requérant.  Il écrit notamment ce qui suit :

[17]        Il est pour le moins surprenant qu'un avocat se contente d'un message laissé sur un cellulaire, par son adjointe, pour conclure qu'une requête pour être relevé du défaut de comparaître sera remise à plus d'une semaine alors que le dossier est déjà à la rédaction des jugements. Une telle témérité fait preuve de négligence.

[…]

[21]        Le procureur de PELUSO n'a pris aucune mesure pour assurer un suivi de ses dossiers à la Cour en son absence. Il était prévisible que DOLMEN veuille procéder rapidement à sa requête vu l'état du dossier et la perspective imminente qu'un jugement soit rendu pour défaut de comparaître.

[…]

[25]        En prenant connaissance du guide des meilleures pratiques, préparé par le Barreau de Montréal, on constate que Me Sumbulian n'a pas fait preuve d'une grande courtoisie quand il a inscrit par défaut la 12e journée, malgré qu'il sache que le procureur de DOLMEN occupait dans ce dossier.

 

[26]        Il est également surprenant que l'on demande la rétractation d'un jugement permettant la comparution hors délai compte tenu de l'état de la jurisprudence sur ce point particulièrement quand on inscrit par défaut quelques jours seulement après la signification de la requête introductive d'instance. Ceci étant, même si ces gestes ne font pas preuve d'un grand discernement, le Tribunal n'y voit pas pour autant une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante justifiant de condamner le procureur personnellement.

 

[5]           N'ayant pas décelé d'aspect malveillant dans la conduite de l'avocat malgré les lacunes identifiées dans sa conduite, le juge de la Cour du Québec refuse de le condamner à des dommages, comme le réclamait l'intimée aux termes de l'article 54.1 et suivants C.p.c.

[6]           Par ce jugement, le tribunal a refusé de rétracter le jugement qui relevait l'intimée de son défaut et qui l'autorisait à comparaître dans un dossier où ses intérêts étaient manifestement en jeu.

[7]           Le jugement entrepris était un jugement interlocutoire qui refusait de rétracter un jugement antérieur, également interlocutoire, qui avait autorisé l'intimée à comparaître.

[8]           Il est surprenant pour ne pas dire incongru, en 2011, qu'une partie et son avocat contestent le droit de comparaître à l'autre partie qui a des intérêts légitimes à défendre, surtout si la situation est le résultat d'un comportement déloyal ou à tout le moins inéquitable de celui qui a inscrit par défaut.  Avant d'examiner plus avant cette situation, il convient de déterminer en premier lieu la compétence du juge unique de se saisir d'une requête formulée aux termes de l'article 54.1 et suivants C.p.c.

 

 

ANALYSE

 

 

[9]           La demande en déclaration d'abus et en dommages-intérêts de l'intimée doit être circonscrite à la seule procédure en appel, soit la requête pour permission d'appeler.  Je ne suis saisi d'aucune demande qui vise à remettre en question le jugement de la Cour du Québec qui a refusé de conclure à l'abus de la part de l'avocat du requérant.

[10]        La question en litige se résume à ceci : le juge unique saisi d'une procédure judiciaire qui relève de sa compétence - la requête pour permission d'appeler - peut-il sanctionner l'abus de cette procédure en s'autorisant des articles 54.1 et suivants C.p.c.?

[11]        Le débat porte sur la compétence du juge d'appel siégeant seul.  Cette question ne semble pas avoir été tranchée par notre Cour ou l'un de ses juges.

[12]        Avant l'entrée en vigueur des dispositions en cause, ma collègue la juge Bich était saisie d'une pareille demande formulée également par une intimée aux termes de l'article 4.1 C.p.c.  Il s'agit de l'affaire Manufacturier Patella inc. c. 9123-7750 Québec inc.[1] où ma collègue écrit :

[7] À l'audience, se fondant sur l'article 4.1 C.p.c., l'intimée a présenté, verbalement, une requête demandant à la soussignée de déclarer dilatoire la démarche d'appel de la requérante.

[8] Cette requête verbale doit elle aussi être rejetée.

[9] D'une part, la soussignée ne peut, par le biais de l'article 4.1 C.p.c., faire ce que l'article 524 C.p.c. réserve à la Cour dans le cas du rejet d'un appel sur le fond.                                                                                                               [Je souligne]

[13]        Trois décennies plus tôt, le juge Vallerand, siégeant seul, en était venu à une conclusion similaire dans Rodrigues c. Banque Nationale du Canada[2] :

Qui plus est encore c'est à la Cour, et à la Cour seule, que l'article 524 donne le pouvoir de rejeter un appel futile et dilatoire.  Le juge qui fait pareille constatation n'a (art. 497) de pourvoir que celui d'ordonner à l'appelant de fournir un cautionnement.  Je ne puis trouver à l'article 511, même jugé équivoque, de dérogation à pareilles et si claires dispositions.

[14]        Dans un arrêt de principe prononcé tôt après l'entrée en vigueur des articles 54.1 et suivants C.p.c., la Cour reconnaissait que les dispositions nouvelles pouvaient s'appliquer au stade de l'appel.  Sans se prononcer de façon formelle, la Cour faisait le lien entre les articles 54.1, 501 et 524 C.p.c. :

[17] En somme, les articles 54.1, 501 et 524 ont la même finalité et le même objet - sanctionner le justiciable dont la procédure est abusive - à la différence près que l'article 54.1 est, avant tout, la réponse législative aux poursuites-bâillons ou d'intimidation, souvent désignées sous l'acronyme anglais de SLAPP.

[18] Quoi qu'il en soit, que la demande soit fondée sur l'article 54.1 ou 501 C.p.c., le requérant a le fardeau d'établir sommairement que le recours est abusif; cette situation est différente de celle qui prévaut dans le cadre de l'article 524 C.p.c. où la Cour doit d'abord rejeter l'appel avant de se prononcer sur le caractère abusif du pouvoir, ce qui signifie une étude approfondie de l'affaire.

[19] Il est inopportun de me prononcer aujourd'hui sur la portée des articles 54.1 et suiv. en appel.  L'on peut certes concevoir des situations où ces dispositions pourraient trouver application devant la Cour.  Ce ne peut cependant être que dans un contexte exceptionnel car le Code de procédure civile contient déjà un ensemble de règles spécifiques à l'appel qui visent à filtrer les pouvoirs abusifs et à sanctionner les parties fautives.  Ces mesures, parce qu'elles sont en vigueur depuis plusieurs années, sont d'application judiciaire courante et constituent maintenant un régime complet, rodé et efficace auquel l'article 54.1 C.p.c. n'apporte rien de neuf.[3]

[15]        Je n'ai retracé qu'un seul jugement d'une juge siégeant seule qui traite précisément de la question dont je suis saisi.  Dans l'affaire M.L. c. Ma.L.[4], ma collègue la juge Dutil écrit :

[1] Les circonstances de l'espèce ne justifient pas que la requête pour sanctionner un abus de procédure au stade de la permission d'appeler soit accordée.

POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

[2]  REJETTE la requête, sans frais vu la nature du litige.

[16]        Bien que la juge Dutil ne traite pas de sa compétence à trancher le litige qui lui était soumis, une certaine doctrine y a lu une reconnaissance implicite de l'applicabilité de l'article 54.1 C.p.c.  Les auteurs Hudon et Pérodeau font les observations suivantes :

Dans l'affaire M.L. c. Ma.L., la juge saisie d'une requête entre autres fondée sur l'article 54.1 C.p.c. afin que soit sanctionné un abus de procédure au stade de la permission d'appeler a rejeté celle-ci au motif que les circonstances en l'espèce ne justifiaient pas que la requête pour sanctionner un abus de procédure au stade de la permission d'appeler soit accordée.  Bien que sommaires, ces motifs permettent de penser que ce sont les circonstances particulières de cette affaire et non la non-applicabilité de l'article 54.1 C.p.c. à l'encontre d'une requête pour permission d'appeler qui ont motivé le rejet de la requête présentée.[5]
                                                                                                               [Je souligne]

[17]        Soit dit avec égards, je suis d'avis que le juge siégeant seul ne possède pas la compétence attribuée aux tribunaux de sanctionner les abus de procédure aux termes des articles 54.1 et suivants C.p.c.  Voici pourquoi.

[18]        Cela tient à trois éléments : (1) la compétence d'une cour d'appel; (2) les textes législatifs; (3) le rôle dévolu au juge siégeant seul.

[19]        La Cour d'appel est une cour statutaire.  Le droit d'appel n'existe que si une loi le prévoit expressément.  Contrairement aux cours supérieures de justice dont les juges sont nommés en vertu de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867[6], une cour d'appel n'a pas de compétence inhérente.  Ces principes fondamentaux sont rappelés de façon constante par la Cour suprême du Canada.  Dans Kourtessis c. M.N.R.[7], le juge La Forest écrit :

Les appels ne sont qu'une création de la loi écrite;  voir l'arrêt R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764 , à la p. 1773.  Une cour d'appel ne possède pas de compétence inhérente.  De nos jours toutefois, on a parfois tendance à oublier ce principe fondamental.  Les appels devant les cours d'appel et la Cour suprême du Canada sont devenus si courants que l'on s'attend généralement à ce qu'il existe un moyen quelconque d'en appeler de la décision d'un tribunal de première instance.  Toutefois, il demeure qu'il n'existe pas de droit d'appel sur une question sauf si le législateur compétent l'a prévu.[8]

[20]        Plus récemment, la Cour suprême du Canada a réitéré cette règle juridique dans R. c. Smith[9].  À nouveau, en 2005, la Cour suprême a affirmé :

L'appel étant une création de la loi, le choix de politique législative et non judiciaire doit primer[10]

[21]        Dans la mesure où un texte écrit prévoit un droit d'appel, la Cour exerce ses fonctions et joue le rôle que décrit le juge Louis LeBel dans l'arrêt Droit de la famille - 564 :

Notre Cour exerce des fonctions définies par le Code de procédure civile et la Loi sur les tribunaux judiciaires, et des compétences particulières qui lui sont conférées par la législation fédérale, comme les lois sur le divorce. Son rôle caractéristique est généralement celui d’une cour de second niveau, comme première juridiction d’appel à l’égard d’un dossier déjà constitué, plaidé et décidé en première instance. Elle intervient pour examiner et, le cas échéant, pour réformer les décisions des tribunaux de première instance. Elle ne se prononce pas dans l’abstrait. Elle ne donne pas d’avis préalable, hors du cadre particulier des renvois ordonnés par le lieutenant-gouverneur en conseil, en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d’appel.[11]

[22]        Règle générale, la Cour d'appel exerce sa compétence en formation de trois juges (art. 513 al. 1 C.p.c.).  Toutefois, la loi reconnaît qu'un juge de la Cour d'appel siégeant seul a compétence sur certaines matières.  Tout comme celle de la Cour et peut-être encore plus, la compétence du juge unique est fortement balisée par les textes législatifs.  Ceci tient à la fois à la nature du droit d'appel et à la fois au caractère d'exception de la fonction du juge seul au sein d'une cour qui exerce sa compétence en formation.  Cette approche fait l'objet d'un large consensus à la Cour et se traduit par une lecture serrée des textes législatifs.  L'arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc.[12] en est un exemple.  La Cour était appelée à trancher la question de la compétence du juge unique de prononcer des ordonnances de sauvegarde aux termes de modifications législatives récentes et à la vue particulièrement de l'article 46 C.p.cAprès avoir rappelé qu'en règle générale la Cour siège en formation de trois, la Cour dit:

 

[8] Ainsi, l'autorisation de pourvoi d'un jugement interlocutoire est attribuée à un juge de la Cour. Cela signifie qu'il peut, à compter du moment où il est saisi de la requête et jusqu'au jugement qu'il prononcera, assumer tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de cette compétence, y compris, lorsque cela s'avérera nécessaire, l'émission d'une ordonnance visant à sauvegarder les droits des parties pendant la durée de son délibéré. Toutefois, dès qu'il a statué et décidé du sort des procédures selon l'article 511 C.p.c., il devient functus officio.  Il ne peut donc s’autoriser de la permission qu’il vient d’accorder pour ensuite se saisir d’une autre requête à moins que la loi ne pourvoie expressément à sa compétence à statuer sur ce deuxième remède […]; l'article 46 ne confère que des pouvoirs auxiliaires, accessoires ou complémentaires à l'exercice de la compétence …

[9] …le texte de l’article 46 C.p.c. ne crée pas une nouvelle compétence, mais décrit plutôt la portée ou l’étendue de la compétence déjà définie.[13]

[23]        Cet enseignement au sujet de l'article 46 C.p.c. m'apparaît s'appliquer d'autant plus dans le cadre de l'article 54.1 C.p.c. qui prévoit que :

54.1.  Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.

[24]        Contrairement à l'article 46 C.p.c. qui accorde « aux tribunaux » et « aux juges » certains pouvoirs, l'article 54.1 C.p.c. ne mentionne que « les tribunaux ».  Si, à la vue du texte de l'article 46 C.p.c., notre Cour n'a pas reconnu la compétence au juge unique pour l'émission d'une ordonnance de sauvegarde, je conçois difficilement, à partir du texte de l'article 54.1 C.p.c., que nous pourrions reconnaître une compétence à ce même juge unique pour sanctionner les abus de procédure.

[25]        Le pouvoir d'autoriser les appels est l'une des fonctions les plus importantes confiées au juge unique.  Son rôle consiste à tamiser les demandes de permission d'appeler à l'aide de critères propres à la discrétion judiciaire : « lorsque la question en est une qui mérite d'être soumise à la Cour » (art. 26 C.p.c.) ou « lorsque les fins de la justice requièrent… » (art. 511 C.p.c.) pour ne citer que ceux-là.

[26]        Ce rôle de filtre du juge unique l'amènera de façon inéluctable à rejeter toute demande de permission d'appeler qui constituerait une forme d'abus de procédure.  Une fois cette fonction accomplie, le juge unique a épuisé sa compétence et je ne décèle pas dans l'article 54.1 C.p.c. une assise juridique pour lui en conférer une nouvelle, qui viserait à sanctionner l'abus de procédure.

[27]        Dans ces circonstances, la partie qui se dit victime d'un abus de procédure n'est pas sans recours.  Elle peut s'adresser aux tribunaux de première instance, compétents dans le cadre d'une action en responsabilité civile, pour obtenir une compensation adéquate, le cas échéant.

[28]        Pour ces motifs, la requête est rejetée sans frais, vu les circonstances.

 

 

 

 

 ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

Me Mark Sumbulian

Pour le requérant

 

Me Jean-François Mallette

Prévost, Fortin, d'Aoust

Pour l'intimée - requérante

 

Benoît Tremblay, absent

 

 

Date d’audience :

 7 juin 2011

 



[1]     2007 QCCA 354 .

[2]     [1984] R.D.J. 454 , 455 (C.A.).

[3]     Simard c. Larouche, 2010 QCCA 63 , J.E. 2010-251 (C.A.).

[4]     2009 QCCA 1579 .

[5]     Marc-Alexandre Hudon et Frédéric Pérodeau, «La prévention de l'utilisation abusive des tribunaux (art. 54.1 et s. du Code de procédure civile)», dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents et tendances en procédure civile, vol. 320, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 241.

[6]     Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., (R.-U.)., c. 3.

[7]     Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53 .

[8]     Ibid., p. 69-70.

[9]     [2004] 1 R.C.S. 385 .

[10]    H. L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401 , paragr. 181.

[11]    Droit de la famille - 564, [1988] R.J.Q 2697 (C.A.), p. 2701.

[12]    9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc., J.E. 2003-2270 (C.A.).

[13]    Ibid., paragr. 8-9.

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