Thundernet Enterprises Inc. c. Rogers |
2010 QCCS 1869 |
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JS1269 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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Nº : |
500-17-052592-097
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DATE : |
5 mai 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MANON SAVARD, J.C.S. |
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THUNDERNET ENTREPRISES INC. |
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Demanderesse |
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c.
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SANDY ROGERS |
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Défenderesse
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JUGEMENT |
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[1] Sandy Rogers (« Rogers »[1]) présente une requête en exception déclinatoire invoquant l'absence de compétence des tribunaux québécois pour entendre le litige.
[2] À titre subsidiaire, elle demande l'application de la règle du forum non conveniens vu l'existence d'une autre autorité judiciaire mieux à même de trancher le litige entre les parties. Elle demande également le rejet de l'action au motif d'absence de fondement juridique et d'abus de procédure.
[3] Thundernet Entrerprises Inc. (« Thundernet ») se spécialise dans le développement et l'exploitation de sites Web.
[4] Ses bureaux sont situés à Montréal.
[5] Thundernet vend également des bannières promotionnelles qui permettent aux utilisateurs de ses sites Web qui en font le choix d'être dirigés vers d'autres sites.
[6] Elle opère plusieurs sites reliés à l'industrie du transport, dont Freightfinder.com, en activité depuis 1998.
[7] Ce site, conçu pour l'entreprise du camionnage, permet aux transporteurs routiers qui en sont membres d'être informés des contrats de camionnage disponibles qu'ils peuvent effectuer contre rémunération.
[8] Un site similaire, du nom de Getloaded.com, est opéré à partir des États-Unis par Getloaded.com LLC, société incorporée en vertu des lois de la Virginie (« Getloaded »). Aucun lien n'existe entre cette compagnie et Thundernet.
[9] Rogers réside en Californie.
[10] En mars 1999, elle signe une entente avec Getloaded, qu'elle affirme avoir conclue à titre de représentante de T & S Group.
[11] Aux termes de cette entente, Rogers reçoit une commission pour tout nouveau membre qu'elle réfère au site Getloaded.com et qui y adhère. Elle reçoit également une commission pour tous les mois où celui-ci maintient son adhésion au site.
[12] En juillet 1999, Rogers place une bannière promotionnelle sur le site Freightfinder.com qui permet aux utilisateurs d'accéder au site Getloaded.com. et d'y devenir membres s'ils le désirent.
[13] Satisfaite des résultats obtenus, Rogers propose à Thundernet une entente similaire (« referral program ») à celle qu'elle possède avec Getloaded.
[14] Afin d'en confirmer les termes, Rogers envoie, pour signature, à Thundernet un contrat dont l'intitulé précise qu'il s'agit des modalités régissant les services d'un représentant marketing de Getloaded.com. (le « Contrat »).
[15] Thundernet signe le Contrat à Montréal le 22 juillet 1999 et le retourne par télécopieur à Rogers, en Californie.
[16] Rogers ne signe pas le Contrat et ne le fait pas approuver par un représentant de Getloaded.
[17] Ainsi, du mois de juillet 1999 au mois de juillet 2008, Thundernet, via des bandes promotionnelles qu'elle place sur le site Freightfinder.com ou sur d'autres sites lui appartenant, dirige des utilisateurs vers le site Getloaded.com dont certains décident d'y adhérer à titre de membres.
[18] Pour tous les nouveaux membres référés par Thundernet, Rogers reçoit une commission de Getloaded et en remet une partie à Thundernet, selon les modalités stipulées au Contrat.
[19] Le paiement des commissions à Thundernet s'effectue mensuellement, par chèque transmis par la poste à son bureau de Montréal. Ces chèques sont tirés sur le compte bancaire de T & S Group, aux États-Unis.
[20] En juillet 2008, Rogers avise Thundernet qu'elle met fin à leur entente puisque sa propre entente avec Getloaded prend fin.
[21] Thundernet communique avec un représentant de Getloaded qui l'informe que, contrairement à la compréhension de Thundernet, Rogers n'était pas autorisée à conclure d'entente au nom de Getloaded et refuse, conséquemment, de reconnaître tout lien de droit avec Thundernet.
[22] Le 9 mars 2009, Thundernet obtient un jugement par défaut de la Cour du Québec contre Getloaded en paiement des commissions pour les mois d'août à octobre 2008, représentant un montant de 52 735 $.
[23] Thundernet ne fait pas exécuter son jugement contre Getloaded.
[24] Le 3 septembre 2009, Thundernet signifie à Rogers une requête introductive d'instance lui réclamant des dommages et intérêts de 164 959,21 $. Ce montant représente les commissions auxquelles Thundernet soutient avoir droit aux termes du Contrat pour la période d’août 2008 à juillet 2009.
[25] C'est à l'encontre de cette requête introductive d'instance, telle qu'amendée, que Rogers soulève les moyens dont le Tribunal est saisi.
[26] La Cour supérieure a-t-elle compétence pour entendre le présent litige?
[27] Si oui, la Cour supérieure doit-elle néanmoins décliner compétence au motif qu'une autre autorité judiciaire serait mieux à même de trancher le litige?
[28] L'action doit-elle être rejetée au motif d'absence de fondement juridique et d'abus de procédure?
[29] Puisque Rogers réside en Californie, la question de la compétence internationale du tribunal se pose.
[30] Il revient à Thundernet d'alléguer et de prouver les faits qui permettent d'établir la compétence du tribunal[2].
[31] En l'espèce, il s'agit d'une action à caractère patrimonial puisque Thundernet ne réclame que des compensations pécuniaires, soit le paiement des commissions qu'elle considère lui être dues.
[32] Cette action est donc régie par l'article 3148 C.c.Q. :
3148. Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :
1- Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec;
2- Le défendeur est une personne morale qui n'est pas domiciliée au Québec mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec;
3- Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable y est produit ou l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée;
4- Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l'occasion d'un rapport de droit déterminé;
5- Le défendeur a reconnu leur compétence.
[33] Un seul des facteurs énumérés à cet article est suffisant pour justifier la compétence des tribunaux du Québec[3].
[34] Rogers n'a ni domicile, ni résidence au Québec.
[35] Le Contrat allégué par Thundernet au soutien de sa réclamation ne prévoit pas que les parties ont soumis leurs litiges à naître entre elles à la compétence des autorités québécoises. Rogers conteste d'ailleurs cette compétence.
[36] Il ne reste donc que les critères de compétence prévus au paragraphe 3 du premier alinéa de l'article 3148 C.c.Q. :
§ une faute a été commise au Québec;
§ un préjudice y a été subi;
§ un fait dommageable s'y est produit; ou
§ l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée.
[37] Les conditions mentionnées à ce paragraphe sont distinctes; l'existence d'une seule d'entre elles suffit donc à donner compétence aux autorités québécoises[4].
[38] Thundernet ne prétend pas qu'une faute aurait été commise au Québec ni qu'un fait dommageable s'y serait produit.
[39] Thundernet allègue plutôt avoir conclu le Contrat avec Rogers, laquelle agissait soit en tant que représentante de Getloaded, soit à titre personnel.
[40] Or, selon Thundernet, les obligations découlant du Contrat, i.e la sollicitation de nouveaux membres et l'obligation de payer les commissions, devaient être exécutées au Québec.
[41] Rogers nie être liée par le Contrat puisqu’elle ne l'a pas signé et que Getloaded ne l'a pas approuvé conformément à l'exigence à cet effet qui y est stipulée. Elle reconnaît cependant l'existence d'une entente verbale avec Thundernet, qu'elle aurait conclu à titre de représentante de T & S Group. Cette entente ne la lierait donc pas personnellement, mais lierait T & S Group et Thundernet.
[42] Même en retenant la thèse la plus favorable à Thundernet, soit que les parties sont liées par le Contrat, Thundernet n'a pas établi les faits qui donnent compétence aux autorités québécoises.
[43] Selon le Contrat, Rogers s'est engagée à payer à Thundernet les commissions qui y sont prévues pour tout nouveau membre référé à Getloaded.com.
[44] Thundernet utilisait des bannières promotionnelles produites et installées sur son site Freightfinder.com, à partir de son bureau de Montréal, le tout avec l'accord de Rogers.
[45] Par contre, rien ne l'obligeait à procéder de la sorte.
[46] Le Contrat est en effet silencieux quant aux méthodes et au lieu d'exécution de la sollicitation. Il ne prévoit que les modalités de calcul des commissions, pendant qu'il est en vigueur et à son expiration.
[47] Thundernet reconnaît d'ailleurs que Rogers lui laissait carte blanche quant à l'exécution de ses prestations.
[48] Or, le seul fait que Thundernet ait sollicité à partir de bannières promotionnelles produites et installées sur son site à partir de son bureau de Montréal, sans par ailleurs y être obligée, ne suffit pas à donner compétence aux tribunaux québécois.
[49] La Cour d'appel écrit à ce sujet :
[14] L'obligation de l'intimée était de vérifier les dossiers d'impôt de l'appelante, d'identifier tout montant payé en trop, d'identifier tout montant payé par erreur, d'identifier tout crédit non réclamé et de réclamer ces montants auprès de l'ADRC. Le fait que l'intimée a effectué certaines vérifications au Québec ne peut donner compétence aux tribunaux québécois, d'autant plus que ces vérifications n'étaient pas prévues par l'entente. Suivant l'arrêt D.D.H. Aviation Inc. c. Fox, il faut que l'entente prévoie expressément que l'obligation doit être exécutée au Québec :
26. None of the allegations in the Declaration provide a basis for the conclusion
that one of the obligations of the Agreement was to be performed in Quebec.
Although it is mentioned that the Challenger Aircraft were to be refurbished, it is
not alleged that it was part of the Agreement that they were to be refurbished in
Quebec. Neither is it alleged that arising from the Agreement Fox had a duty to
perform in Quebec with respect to the refurbishing. As it turned out, only two of
the eight Aircraft were brought to Dorval for that purpose, after the purchase, and
apparently, according to Fox, after the date that the consulting fee should have
been paid.
27. The crucial point is that there is no basis for concluding from the allegations
in the Declaration, that according to Fox's Agreement with Appellants, he had an
obligation to perform in Quebec. The allegation that Fox assisted with the
refurbishing process does not confer jurisdiction on the Superior Court. In order
to confer jurisdiction, there has to exist an obligation to perform in Quebec which
arises from the Agreement.
28. Indeed, if a duty on Fox to attend in Dorval (or elsewhere in Quebec) and
perform services here, arises from that Agreement, his actual performance of the
services might well be irrelevant, because it is the place where the obligation is to
be executed which is determinative for the purpose of establishing jurisdiction
rather than the mere fact of his physical presence. As a corollary, even if Fox
performed services in Quebec, if he had no obligation to do so arising from the
Agreement, then no jurisdiction is conferred on the Superior Court by article 3148 (3) C.C.Q.[5]
(références omises et nos soulignements)
[50] En principe, le lieu d'exécution du contrat n'est pas attributif de compétence, ce fait n'étant pertinent qu'en regard de la détermination de la juridiction la mieux à même de trancher le litige[6].
[51] Thundernet soutient également que l'obligation de payer les commissions devait être exécutée au Québec. Elle ajoute que depuis près de 10 ans, le paiement des commissions s'est toujours effectué à Montréal. Les chèques étaient envoyés des États-Unis, mais reçus et encaissés à Montréal.
[52] Thundernet ne remet pas en question le principe selon lequel le défaut pour un débiteur de payer au Québec ne suffit pas à asseoir la compétence internationale du tribunal vis-à-vis une personne qui n'y a ni résidence ni établissement[7].
[53] En outre, le fait que la perte pécuniaire de Thundernet soit comptabilisée à Montréal ne constitue pas un préjudice qui autorise l'exercice de la compétence internationale des tribunaux québécois :
[7] Pour emprunter à la formulation du juge Marc Beauregard de la Cour dans Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regéner Inc., [2001] R.J.Q. 966 , paragr. [10] (C.A.), si Richelieu Projects avait raison, la compétence des tribunaux au Québec serait automatique dans le cas où le demandeur est un résident du Québec et les autres chefs de compétence visés à l'article 3148 C.c.Q. seraient inutiles. Le fait que la perte pécuniaire sera probablement comptabilisée à Montréal n'est pas un facteur attributif de compétence au sens du paragraphe 3148 (3) C.c.Q. (Foster c. Kaycan Ltd., J.E. 2002-163 (C.A.)).[8]
[54] Thundernet soutient plutôt que l'obligation de paiement au Québec découle du Contrat et qu'à ce titre, elle suffit pour établir la compétence internationale du tribunal.
[55] Au contraire, le Contrat est silencieux quant au lieu du paiement des commissions.
[56] Le droit supplétif énoncé à l'article 1566 C.c.Q. ne crée pas davantage d'obligations d'effectuer le paiement au domicile du créancier :
1566. Le paiement se fait au lieu désigné expressément ou implicitement par les parties.
Si le lieu n'est pas ainsi désigné, le paiement se fait au domicile du débiteur, à moins que ce qui est dû ne soit un bien individualisé, auquel cas le paiement se fait au lieu où le bien se trouvait lorsque l'obligation est née.
[57] Conséquemment, Rogers n'était pas obligée, aux termes du Contrat, d'effectuer le paiement des commissions au Québec.
[58] Comme mentionné précédemment, le fait que Rogers ait payé Thundernet à Montréal, sans par ailleurs y être obligée, ne suffit pas à donner compétence aux tribunaux québécois.
[59] L'article 3148 (3) C.c.Q. ne trouve donc pas application en l'espèce.
[60] Dans ces circonstances, le moyen déclinatoire est bien fondé.
[61] La doctrine du forum non conveniens invoquée par Rogers ne peut s'appliquer en l'espèce, le Tribunal n'ayant pas compétence.
[62] De même, le Tribunal ne peut se prononcer sur l'argument soulevé par Rogers selon lequel la requête introductive d'instance est non fondée en droit et constitue un abus de procédure puisqu'il n'a pas compétence pour entendre le litige.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la requête en exception déclinatoire de la défenderesse Sandy Rogers;
REJETTE la requête introductive d'instance de la demanderesse Thundernet Entreprises Inc.;
AVEC DÉPENS. |
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__________________________________ MANON SAVARD J.C.S. |
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Me Phillip Smoke |
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Procureur de la demanderesse |
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Me Jeremy Wisniewski |
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HEENAN BLAIKIE |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
1er avril 2010 |
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[1] Afin d'alléger le texte et non par discourtoisie, le Tribunal identifiera la défenderesse par son nom de famille.
[2] Republik Bank Ltd. c. FireCash Ltd. et Surefire Commerce inc., J.E. 2004-818 (C.A.), par. 23.
[3] Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205 , par. 42; Hoteles Decameron Jamaica Ltd. c. D'Amours, 2007 QCCA 418 , par. 22 et 25.
[4] Sterling Combustion inc. c. Roco Industrie inc., 2005 QCCA 662 , par. 8.
[5] Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Conseils taxes inc., 2005 QCCA 888 .
[6] Id., par. 18.
[7] Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regenair inc., [2001] R.J.Q. 966 (C.A.), par. 9 et 10 des motifs du juge Beauregard (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2002-02-14)), 28677; Foster c. Kaycan Ltd., J.E. 2002-163 (C.A.); Banque de Montréal c. Hydro Aluminium Wells Inc., J.E. 2004-679 (C.A.), par. 29; Richelieu Projects Inc. c. Western Rail Inc., 2006 QCCA 840 , par. 7; Forest Fibers inc. c. Newport CH International l.l.c., 2009 QCCS 1749, par. 31 à 33.
[8] Richelieu Projects Inc. c. Western Rail Inc., préc. note 7.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.