Décision

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COUR SUPÉRIEURE
COUR SUPÉRIEURE

 
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
«Chambre civile»

No: 500-05-031251-976

   

DATE: Le 2 JUILLET 2002
___________________________________________________________________
 

EN PRÉSENCE De: L'HONORABLE JEAN CRÉPEAU, J.C.S.

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ÉRIC LAVOIE
Demandeur
c.

ANDRÉ PERRAS

Et

SOCIÉTÉ NATIONALE D'ASSURANCES
Défendeurs

___________________________________________________________________
 
J U G E M E N T
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1. Le 25 juin 1995, Éric Lavoie s'est infligé de graves blessures en effectuant un plongeon dans la piscine du défendeur. Il s'est infligé une fracture cervicale lorsque sa tête a heurté le fond de la piscine dans cette partie appelée "la pente", soit la section entre la partie profonde et la partie peu profonde de cette piscine de 16 par 32 pieds.

2. Éric Lavoie avait alors 19 ans, mesurait 5'10" et pesait 195 livres. Il demeure paraplégique et confiné à une chaise roulante.

3. Il poursuit les défendeurs pour une somme de 5 000 000 $.

4.

JC1052



Par jugement de cette Cour rendu le 8 décembre 1997, l'instance a été scindée de sorte que le soussigné n'est saisi que de l'aspect responsabilité de l'événement, les dommages devant être évalués seulement lorsque la responsabilité aura été déterminée.

Les faits

5.
Éric Lavoie fréquentait Anne-Marie Perras, la fille du défendeur, depuis près de 2 ans, en 1995. Le jour de la Fête de la St-Jean, Éric accompagné d'autres amis, avaient fêté l'événement et avaient terminé la soirée chez M. Perras. Ils avaient couché dans une tente dans le jardin. Le lendemain matin, le 25 juin, ils avaient déjeuné tard et vu la chaleur, profitaient de la piscine. Aucun alcool ni aucune drogue n'ont été consommés avant que ne survienne l'accident. Les jeunes gens, soit Éric, son amie Marie-Andrée, la soeur d'Éric, la soeur de Marie-Andrée, un ami Bruno Martel et M.Perras se baignaient dans la piscine et tour à tour effectuaient des plongeons pour s'amuser. À un moment donné, alors que M. Perras et M. Bruno Martel se trouvaient dans la piscine, à un endroit où l'eau atteignait environ leur poitrine, ils voient Éric Lavoie effectuer un plongeon qu'ils qualifient de "normal". Mais au lieu de remonter à la surface, Éric Lavoie se frappe la tête sur le fond de la piscine, dans la pente entre les 2 niveaux, à un endroit où il y avait entre 5 et 6 pieds d'eau.

6. En effectuant son plongeon, qu'un expert qualifia de "plongeon à fleur d'eau", Éric Lavoir se heurta la tête au fond, remontant de lui-même mais ses compagnons constatèrent qu'il semblait en difficulté. Il fut maintenu à la surface de l'eau, et la police et l'ambulance furent appelés. Transporté sur une planche dans l'ambulance, on le dirigea à l'hôpital Le Gardeur de Repentigny d'où il fut transféré à l'hôpital Notre-Dame de Montréal.

7. Éric Lavoie n'était pas un néophyte dans l'usage d'une piscine et d'un plongeoir. En effet, ses parents avaient construit une piscine intérieure dans leur résidence à Repentigny. Éric Lavoie s'était baigné et avait plongé dans la piscine de ses parents plusieurs fois par semaine durant approximativement 10 ans. Il ne lui était jamais arrivé d'accident et il n'avait jamais touché le fond. La piscine de ses parents présentait à peu près les mêmes dimensions mais était de configuration différente et, selon les experts, dangereuse.

8. Éric Lavoie admet s'être baigné au moins 10 fois auparavant chez M. Perras. M. Perras de son côté, prétend qu'il s'y est baigné au moins 25 fois. Le jour de l'accident, selon M. Perras, Éric Lavoie avait plongé une bonne dizaine de fois alors qu'Éric Lavoie n'admet avoir plongé que 2 ou 3 fois.

9. Éric Lavoie a illustré sur le plan D-14(2) la trajectoire approximative de son plongeon.

10. Ce plan est produit en annexe avec les autres plans produits de part et d'autre.

11. L'on peut constater qu'Éric Lavoie n'a pas plongé en direction de la fosse profonde de la piscine mais en direction du milieu de la pente, tel que le confirment les témoins Perras et Martel.

12. Bruno Martel avait déjà plongé chez les parents d'Éric et n'avait pas touché le fond. Il confirme que le 25 juin, Éric Lavoie a plongé directement vers la partie en pente, sans jamais effectuer la remontée vers la surface que tout plongeur doit effectuer lors d'un plongeon. M. Martel prétend aussi qu'Éric Lavoie n'a pas amorti le choc du contact avec ses bras, qui n'étaient plus tendus vers l'avant de sorte que c'est la tête qui a reçu l'impact avec le fond.

13. Il affirme en effet que le corps d'Éric au moment du choc était perpendiculaire avec le fond de la pente.

14. Éric Lavoie ne peut expliquer la raison de son accident ni pourquoi il a touché le fond. Il ne peut expliquer non plus la sorte de plongeon qu'il effectua. Il admet qu'il ne connaissait pas la longueur ni les dimensions de la piscine du défendeur. Il se baignait une fois par jour chez ses parents dans leur piscine creusée intérieure, et il plongeait une ou deux fois à chaque occasion et ce, depuis l'âge de 9 ans.

Les prétentions des parties

La demande

15.
Les avocats du demandeur prétendent dans leurs procédures et en plaidoirie que la piscine n'était pas de la profondeur requise pour recevoir un tremplin. De plus, la profondeur de la fosse aurait dû être indiquée ainsi que les profondeurs à intervalles réguliers. Enfin, le défendeur aurait dû donner des instructions à Éric Lavoie sur la façon de plonger dans cette piscine.

La défense

16.
La défense prétend que la piscine était construite suivant les règles de l'art par un expert en la matière, soit un certain Gilles Cyr, qui a construit quelques 1 200 piscines, 75 % mesurant 16 x 32 pieds et 95 % avec tremplin. Il suivait des plans fournis par un organisme américain, à savoir le National Spa and Pool Institute.

17. La piscine a été construite à la fin de l'été 1990. Il s'agissait du modèle Montego. Les parois sont en aciers et le fond en béton. Une toile de vinyle recouvre le tout.

18. Il installa le plongeoir de marque Olympus.

19. Le plan utilisé portait deux inscriptions contradictoires:

1. non-diving pool,

2.
NSPI type 1,

16x34

16x32

8 pieds de profond

janvier 1987

20. Or, comme on le constatera plus loin, une piscine type 1 NSPI possède des dimensions suffisantes pour accueillir un tremplin.

21. M. Cyr expliqua qu'il n'avait tout simplement pas en sa possession les dessins pour construire une 16x32 de sorte qu'il utilisa le plan d'une 16x34 qu'il modifia.

Les expertises

22.
Plusieurs experts ont été entendus de part et d'autre. Le résultat de leurs constatations figure au schéma D-14, D-14(1) et D-14(3).

23. Ces schémas ont été préparés par M. Paul-André Roy, ingénieur-physicien des Investigations Techniques de Québec Ltée.

24. M. Roy, dont on verra plus loin les qualifications, a reproduit sur le schéma D-14 le profil de la piscine selon les témoignages des experts.

Premier expert

25.
Bien qu'il ne soit par expert en piscine, M. Gilles Dupont, arpenteur-géomètre, a effectué les relevés que l'arpenteur effectue normalement et produit plusieurs plans. Le plan P-5 date de juin 1997 mais à la veille du procès, l'arpenteur Gilles Dupont le modifia et produisit des plans corrigés sous P-5(A), (B) etc.

26. M. Dupont admettra s'être légèrement trompé quant à la forme du fond de la piscine et quant à la profondeur de la fosse.

27. Sur le plan P-5(B), il indiqua la profondeur de la piscine dans sa partie creuse à 2.1 mètres, soit 8 pieds.

28. Les autres experts la situent à 7 pieds 11 pouces au niveau du drain de fond, soit la partie la plus profonde. Les autres mesures relevées correspondent à peu près à celles des autres experts.

29. Il n'existe aucune norme canadienne ou provinciale déterminant les mesures d'une piscine équipée d'un tremplin de plongée.

30. De façon générale, les constructeurs utilisent la norme du National Spa and Pool Institute et pour le cas qui nous concerne, la norme V datant de 1987 intitulée Standard For Residential Swimming Pools.

31. Cette même norme se divise elle-même en type 0 où aucun équipement de plongée n'est permis.

32. Les types I, II, III, IV et V autorisent l'usage d'un tremplin et la piscine de M. Perras rencontrait les normes du type I.

33. D'après ces normes, la profondeur minimum devait être de 7 pieds 6 pouces, et cette profondeur minimale devait être située à 8 pieds 6 pouces de la paroi de la piscine sous le tremplin.

34. Le tremplin lui-même ne devait pas excéder 6 pieds de longueur, ni être situé à plus de 18 pouces de la surface de l'eau. Quant à la pente joignant la partie profonde à la partie non-profonde, elle doit mesurer environ 14 pieds de longueur et présenter une inclinaison maximum de 18 degrés, et au-delà, une pente plus prononcée est inacceptable. La norme NSPI type I est illustrée sur le plan D-14-1 par le pointillé supérieur rouge.

35. Sur ce même plan D-14-1, ou sur le plan D-14-3, apparaissent les distances entre la partie la plus profonde et la paroi arrière sous le tremplin.

36. Sur le schéma D-14 apparaît aussi la pente de la piscine de M. Graig (M. Lavoie, père d'Éric, a vendu sa résidence à M. Graig en 1994). Il s'agit donc d'un schéma illustrant la piscine du père d'Éric dans laquelle il effectua des plongeons durant près de 10 ans. L'on constate une ligne pleine indiquant la pente de cette piscine. Cette pente a une inclinaison de 24 degrés. Pour un plongeur, l'inclinaison de cette pente la rapproche de la surface de plusieurs pouces et constitue un réel danger. Quant aux autres profils indiqués sur le schéma D-14, il s'agit du profil selon l'arpenteur Dupont en 1996 et en 2001, et celui de l'expert de la défense, M. Vos (D-14-3). L'on constate donc que M. Dupont s'est trompé de mesure pour la partie profonde de la piscine, car il n'indique pas sa forme de bassin pour recevoir le drain de fond qui se situe à l'extrémité de la flèche indiquant la profondeur de 7 pieds 11 pouces.

37. L'on constate en outre par le pointillé rouge, que la norme NSPI est moins avantageuse pour un plongeur puisqu'elle situe la partie la plus profonde non pas au centre du bassin mais au point de rencontre de la partie profonde et de la pente.

Le règlement de zonage de la ville de Repentigny

38.
Avant d'examiner plus en détail les opinions des experts, il est opportun de référer au règlement de zonage 1044 de la ville de Repentigny, où se trouvent la résidence et la piscine du défendeur Perras. Selon le règlement en vigueur en 1966, l'article 4 du règlement 260 énonce à l'article 4 ce qui suit:

"La profondeur de l'eau dans la partie peu profonde d'une piscine doit être comprise entre 2 pieds 6 pouces et 3 pieds 4 pouces. Là où il y a des tremplins, la profondeur de l'eau , à une distance de 7 pieds du mur de la piscine à la partie profonde, devra être au moins 7 pieds.

Le fond de la piscine où l'on plonge peut être plat ou en forme de coupe ou en forme d'une pyramide tronquée renversée à partir du point de transition avec la partie peu profonde…"

39.
Ce règlement a été amendé en novembre 1990 et est entré en vigueur le 11 décembre 1990, soit quelques mois après la construction de la piscine de M. Perras. Il établit à l'article 3.20.2 ceci:

"La profondeur de l'eau dans la partie peu profonde d'une piscine doit être comprise entre 76 cm et 1mètre. Là où il y a des tremplins, la profondeur de l'eau, à une distance de 2 mètres du mur de la piscine à la partie profonde, doit être au moins de 2,1 mètres.

(N.D.L.R.:

2 mètres = 6,56 pieds

2,1 mètres = 6,88 pieds")

40.
Ces normes minimales du règlement de zonage de la ville de Repentigny sont donc inférieures aux mesures réelles de la piscine de M. Perras, qui respecte donc ces normes.

41. L'expert de la demande, M.Herbert Flewwelling. M. Flewwelling est ingénieur. Il est spécialisé en plongeon olympique et fut entraîneur d'équipe de plongeon olympique depuis 1969.

42. Il a témoigné à plusieurs reprises dans des causes impliquant des accidents de piscine.

43. Il est allé sur les lieux et, avec l'aide de son fils, il a pris un vidéo illustrant divers plongeons dans la piscine Perras et dans une piscine olympique. Le plongeur était son fils, également un professionnel du plongeon. David Flewwelling cependant a refusé de plonger tête première et toute la démonstration filmée le montre en plongeant les pieds les premiers. En effectuant ces plongeons, David Flewwelling voulait démontrer qu'un plongeur atteignait le milieu de la pente, mais dans aucun cas il ne toucha le fond car la poussée d'Archimède faisait remonter son corps vers la surface.

44. Les conclusions du rapport de Herbert Flewwelling sont faussées car il s'est basé sur des mesures de la piscine inexactes. Il se base dans les faits, pour affirmer qu'un plongeur toucherait le fond au milieu de la pente, en établissant l'angle de cette dernière à 30 degrés, ce qui est presque le double de l'inclinaison de la pente de la piscine de M. Perras. Il s'est trompé aussi sur la hauteur du tremplin par rapport à la surface de l'eau et conclut qu'une piscine dont la profondeur serait inférieure à 10 pieds ne devrait pas recevoir un équipement de plongée.

45. Il conclut dans son rapport que les dimensions de la piscine de M. Perras en profondeur, longueur et inclinaison ne devraient pas permettre l'installation d'un tremplin et que cette situation constituait un piège pour le plongeur.

46. Malgré ses compétences, le tribunal ne peut considérer les conclusions de cet expert qui concernent des piscines conçues pour des plongeurs amateurs mais qui se destinent à des compétitions olympiques et internationales.

47. M. Flewwelling ne tient pas compte non plus de la norme NSPI et n'y fait aucune référence.

Experts de la défense

M. Eddie Vos

48.
M. Vos est aussi ingénieur, diplômé de Concordia. Depuis 1985, il agit comme expert dans toutes sortes de domaines reliés à l'incendie, à la construction, aux explosions et aux accidents de diverse nature. Il a assisté aux essais de M. Flewwelling à la piscine de M. Perras. Il a effectué des mesures plus précises que celles de M. Dupont. Ces mesures apparaissent au plan D-14-3.

49. Par son rapport et son témoignage, il a effectué la comparaison entre la piscine de M. Perras et la norme NSPI type I. Il a effectué des mesures plus précises que celles de M. Dupont. Il a ainsi constaté que la profondeur maximum de l'eau est de 7 pieds 11 pouces et qu'une aire dans la partie profonde de 5x8 pieds présente une profondeur de 7 pieds 8 pouces. Il a préparé un schéma comparatif entre la piscine de M. Perras et les normes NSPI pour conclure que la fosse de la piscine de M. Perras est plus profonde que la norme NSPI et que la pente de la section comprise entre les deux niveaux est d'un degré inférieur à celui de la norme NSPI.

50. Il conclut que l'installation de la piscine de M. Perras répond aux exigences de la version applicable du standard NSPI publié aux Etats-Unis quant aux profondeurs, aux distances entre le tremplin et la région de transition de la partie profonde à la partie non profonde, quant à la pente maximale et quant à la longueur et hauteur du tremplin qui mesure exactement 5 pieds 11 pouces.

51. Il note un seul défaut sans aucun rapport avec l'accident d'Éric Lavoie, à savoir la profondeur de la piscine immédiatement sous le tremplin, avant d'atteindre la partie profonde qui mesure 4,5 pieds au lieu de 6 pieds, tel que l'illustre d'ailleurs le plan D-14-3. Or, cette déficience de profondeur pourrait avoir une incidence pour un plongeur qui effectue un plongeon inversé. Or, Éric Lavoie n'effectuait pas de plongeon inversé mais un plongeon à fleur d'eau en direction de la partie peu profonde.

52. Dans un second rapport le 6 janvier 1998, M. Vos analyse la piscine du père d'Éric Lavoie, appartenant maintenant à M. David Graig. Il s'y est rendu et a constaté qu'elle était vide et, en quelque sorte, abandonnée par son nouveau propriétaire, ce qui lui a permis de constater plus facilement ses dimensions.

53. Ainsi,

"La face inclinée, joignant la partie plus profonde à la partie moins profonde est trop proche du tremplin d'approximativement 1 pied.

Cette même face inclinée est trop à pic, ayant un pente de 24,4 degrés.

La pente inclinée est trop courte d'environ 4 pieds.

La partie la plus creuse a une profondeur de 4 pouces inférieure à la piscine de M. Perras.

Le périmètre de plongée est insuffisant dans la partie moins profonde à cause du déplacement latéral de la piscine."

54.
Il conclut que selon la norme américaine, la piscine de M. Graig est trop petite et présente face au plongeur une pente trop courte et trop à pic et pas assez creuse pour être munie d'un tremplin.

55. M. Vos a produit, enfin, un dernier rapport le 24 novembre 1998, où il analyse les mesures de l'arpenteur Dupont en rapport avec la norme NSPI.

56. De façon générale, les distinctions ont été commentées précédemment.

57. Il conclut aussi dans son rapport que la piscine de M. Perras répond ou excède les exigences des normes américaines (volontaires) quant à la forme, la profondeur et la pente minimale à l'endroit où l'accident aurait eu lieu.

58. La piscine en question est nettement plus sécuritaire que la piscine de type 0 de la maison de M. Lavoie, où il a résidé depuis l'âge de 9 ans et où se trouvait un tremplin malgré les dimensions insuffisantes de ladite piscine.

M. Paul André Roy, ingénieur-physicien

59.
M. Roy est diplômé en génie électrique de l'Université Laval et pratique dans le domaine de l'expertise depuis 1969. Il a effectué des analyses techniques de collisions de véhicules automobiles, (400 dossiers) ainsi que des analyses et recherche de causes de bris mécaniques, d'incendie et d'accidents divers impliquant des équipements sportifs. Il a témoigné avoir effectué des expertises depuis 1971 dans plus de 150 cas de blessures corporelles dont une quinzaine de plongeons dans des piscines creusées et hors terre.

60. Il a analysé le rapport de M. Flewwelling et assisté aux essais chez M. Perras. Il a effectué des relevés comparatifs des mesures prises par M. Dupont, l'arpenteur, par M. Vos et selon les normes NSPI.

61. Il souligne qu'il n'existe aucune norme canadienne, même si en 1997, un projet avait été préparé par un organisme de normalisation et qui n'a jamais eu de suite. Il remarque que dans ce projet de norme, l'on pourrait installer un tremplin à moins de 20 pouces au-dessus d'une piscine creusée dont la fosse aurait une profondeur minimale de 7 pieds 6 pouces. M. Roy analyse aussi la norme NSPI 1987 qu'il n'avait retracée qu'en projet et qui est conforme à celle déposée au procès sous la cote D-3 et datée du 1er janvier 1989.

62. En analysant les relevés techniques de Messieurs Dupont et Vos, et les comparant avec la norme NSPI type I, il affirme que le profil de la piscine de M. Perras a une enveloppe d'eau légèrement supérieure à l'enveloppe d'eau minimale d'une piscine de type I, et ce, dans la région de la fosse et de la remontée entre la fosse et la partie moins profonde, soit dans la zone où s'est produit l'accident de M. Lavoie.

63. En ce sens, la piscine de M. Perras pouvait être dotée d'un tremplin dont la hauteur au-dessus de l'eau devait être égale ou inférieure à 20 pouces, comme c'était le cas (18 pouces chez M. Perras).

64. M. Roy a aussi effectué l'analyse des calculs de M. Flewwelling pour conclure que le degré de remontée de la pente illustré sur ses schémas à l'Appendice I est plus prononcé (24 %) que la pente réelle de 18 % que la piscine de M. Perras. Il souligne aussi que M. Flewwelling a utilisé, pour fins de ses calculs, une pente de 30 %, ce qui fosse complètement la comparaison avec norme NSPI dont il ne fait aucun cas.

65. Après avoir analysé les essais de M. Flewwelling auxquels il a assisté et enregistrés sur vidéo, M. Roy s'exprime ainsi:

"Autrement dit, les essais effectués le 11 octobre 1998, démontrent à leur face même qu'on peut plonger sans danger dans la piscine de M. Perras lorsqu'on fait un plongeon normal, c'est-à-dire un plongeon qui n'est pas de type olympique ou de compétition, car il s'agit d'une piscine de type résidentiel."

66.
Il conclut que la piscine résidentielle de M. Perras respecte les dimensions minimales d'une piscine de type I de la norme américaine NSPI V et qu'elle pouvait être dotée d'un tremplin dont la hauteur ne dépassait pas 20 pouces au-dessus de l'eau, ce qui était le cas.

67. Ajoutons que la norme NSPI V établit qu'un tremplin ne doit pas dépasser 6 pieds pour une piscine de type I. Comme on l'a vu, le tremplin de la piscine de M.Perras mesure 5 pieds 11 pouces.

Madame Guylaine Messier

68.
Mme Messier détient un baccalauréat en sciences de l'enseignement de l'éducation physique de l'Université de Montréal, et une maîtrise en nutrition (1981-1984). Elle est spécialisée en sécurité aquatique, sauvetage et premiers soins. Moniteur à la Société canadienne de la Croix Rouge, formateur d'instructeurs, sauveteur national option piscine, instructeur en réanimation cardio-pulmonaire etc. Elle a agi comme témoin-expert dans diverses causes reliées à la sécurité aquatique et est consultante pour le ministère de l'Éducation du Québec relativement à la réforme du programme d'éducation physique.

69. Mme Messier a analysé les rapports produits au dossier et a témoigné sur les règles élémentaires du plongeon d'un tremplin. Elle remarque qu'Éric Lavoie connaissait la position de base pour plonger, les mains devant, et placer la tête entre les bras. Il connaissait le principe de l'envol, la poussée des jambes ainsi que la position pour pénétrer dans l'eau. Elle conclut qu'il tentait au moment de l'accident un plongeon à fleur d'eau qui permet d'aller plus loin mais moins profondément, plutôt qu'un plongeon avant qui consiste à se diriger vers le fond de la partie profonde.

70. De l'analyse des témoignages, Mme Messier conclut que le demandeur n'a pas dirigé son plongeon vers la partie la plus profonde de la piscine, ce qui lui aurait permis de modifier sa trajectoire, comme il l'a vraisemblablement fait lors de la quarantaine de plongeons effectués auparavant puisqu'il n'a jamais touché le fond lors de ses précédents plongeons. Elle conclut qu'Éric Lavoie a été distrait.

71. En somme, M. Lavoie s'est mal dirigé dans son plongeon et a omis de remonter vers la surface. Il a aussi omis de garder ses bras en avant. Mme Messier en profite pour critiquer le rapport de M. Flewwelling qui compare un plongeur expert avec un plongeur moyen tel le demandeur. Elle remarque que les recommandations de M. Flewwelling proviennent des recommandations de la Fédération Internationale de Natation Amateur et n'ont aucun rapport avec la situation présente. Les recommandations touchent des tremplins de 1 à 10 mètres de hauteur et non pas un tremplin de la hauteur de celui de M. Perras.

72. Elle souligne enfin que le Règlement du Québec sur la sécurité dans les bains publics(1)
exige une profondeur de 8,8 pieds pour un tremplin. Alors, se demande Mme Messier, d'où vient la recommandation de 10 pieds de M. Flewwelling?

73.
Notons évidemment que la recommandation du règlement québécois ne concerne que les piscines publiques et non les piscines privées.

74. Mme Messier conclut que M. Lavoie était de niveau moyen-avancé en termes de connaissances et d'habilités en matière de plongeon.

Conclusions

75.
La prépondérance de la preuve par experts établit que la piscine de M. Perras respecte les normes minimales connues, soit particulièrement la norme NSPI V. En l'absence de normes canadiennes ou québécoises, cette norme sert de guide et cette référence constitue un outil comparable fiable pour déterminer si une piscine est sécuritaire ou non.

76. De plus, l'opinion de M. Flewwelling doit être rejetée parce qu'elle n'est basée sur aucune norme guide et résulte uniquement de calculs théoriques effectués par l'expert en vue de satisfaire le mandat reçu.

77. Les normes utilisées par M. Flewwelling s'adressent d'ailleurs à des plongeurs du type olympique sans rapport avec la piscine résidentielle de M. Perras.

78. Éric Lavoie a subi un accident malheureux qui n'est pas dû à la faute du défendeur. En effet, la piscine de M. Perras ne présentait pas de défauts qui soient en relation avec l'accident de M. Lavoie.

79. De plus, M. Lavoie avait plongé durant près de 10 ans dans une piscine que l'on pourrait aisément qualifier de dangereuse, soit la piscine chez son père dont la pente de 24 % pouvait constituer une sorte de mur entre la section profonde et la section peu profonde. De plus, cette pente commençait là où généralement l'on retrouve le drain de fond, de sorte que la partie profonde de la piscine était de dimensions inférieures à toutes normes. Cette piscine de M. Lavoie, père, n'aurait jamais dû être équipée d'un tremplin. Pourtant, Éric Lavoie y a plongé des centaines de fois sans se blesser.

80. Le tribunal doit conclure malheureusement qu'Éric Lavoie a eu une distraction dans l'accomplissement de son plongeon et s'est dirigé vers le fond plutôt que de remonter à la surface, comme il l'a toujours fait. Il a négligé de garder ses bras allongés vers l'avant, ce qui aurait certainement amorti le choc au fond.

81. L'accident d'Éric Lavoie ne peut malheureusement être attribué qu'à sa propre distraction ou à une erreur technique de sa part, mais n'a nullement été causé par une déficience de la piscine et de ses dimensions.

82. Le tribunal se voit donc dans l'obligation de rejeter l'action, mais sans frais, le demandeur étant de toute façon sans emploi et soutenu par l'État.

POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL:

REJETTE l'action du demandeur.

Sans frais.
 
 
  ________________________________
JEAN CRÉPEAU, J.C.S.
 
Droit: Responsabilité civile
Date de l'audition: Le 3 au 13 décembre 2001

Me Donald Michelin
Me Barry Stein
Me Martine Riendeau
STEIN & STEIN
Procureurs du demandeur

Me Yves Forget
Me Kim Sheppard
MARCHAND MAGNAN MÉLANCON FORGET
Procureur des défendeurs

[N.D.L.É.: Les annexes ne sont pas reproduites en l'espèce, veuillez télécharger le format Word accessible au début de cette page.]

1. Règlement du Québec sur la sécurité dans les bains publics, L.R.Q. C.S.3, art. 39


AVIS :
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