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JB-0733 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTREAL |
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N° : |
500-36-003623-058 |
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DATE : |
Le 17 février 2005 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN-GUY BOILARD, J.C.S. |
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JEAN-PHILIPPE MAILHOT |
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Requérant |
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c. |
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SA MAJESTE LA REINE |
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Intimée |
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JUGEMENT |
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(Prononcé oralement)
[1] Le requérant, Jean-Philippe Mailhot, est un jeune homme de 22 ans, étudiant en histoire, présentement inculpé du meurtre au premier degré de sa conjointe décédée des suites de blessures qu'elle a subies avec un couteau.
[2] Le pathologiste a dénombré 34 coups de couteau dont deux seraient mortels. La preuve qui m'a été présentée ce matin, de façon sommaire, révèle ceci. L'accusé a fait la connaissance de sa conjointe au moyen de l'Internet. Il s'agissait d'une jeune femme d'origine norvégienne mais qui vivait au Chili. Après avoir correspondu pendant un certain temps et une visite de l'accusé en Amérique du Sud, la victime et l'accusé se sont mariés et sont venus habiter à Montréal.
[3] Aux dires des parents et de la sœur de l'accusé, la victime présentait certains problèmes de comportement, notamment ses humeurs étaient changeantes. Elle pouvait être joyeuse et peu de temps après, se renfermer dans un mutisme et disparaître dans sa chambre.
[4] Sa mère qui fut contactée par les policiers a révélé qu'elle lui avait parlé la veille du jour de son décès et qu'elle n'avait rien observé d'inusité dans le comportement de sa fille. Il semble également que le père de la victime se soit suicidé alors que la victime était âgée de huit ans. Il semble également que la victime aurait participé d'une certaine façon à un site Internet où l'on faisait, je n'ose pas dire la promotion, mais à tout le moins on faisait état de la mort ou du suicide. Donc, je retiens de ceci que la victime présentait vraisemblablement certains troubles de comportement.
[5] La preuve qui m'est présentée ce matin révèle également que c'est l'accusé qui a communiqué avec les autorités en composant le 911 pour les informer ou du décès ou des blessures graves qui avaient été infligées à la victime.
[6] La preuve mentionne également que l'accusé aurait fait une mise en scène des lieux du crime en donnant à croire qu'il y aurait eu cambriolage. Cette preuve de comportement subséquent à l'offense me semble particulièrement sérieuse puisqu'elle consiste en des images captées par une caméra et la découverte dans un buisson d'un sac contenant des bijoux.
[7] Il y a également une preuve qui provient d'une voisine c'est-à-dire une personne qui logeait au-dessus de l'appartement partagé par l'accusé et sa conjointe et qui décrit ce qu'elle a entendu dans la nuit notamment des cris de souffrance d'une femme. Indéniablement, il n'y avait que deux personnes lors de l'homicide, la victime et l'accusé.
[8] Très certainement, il me semble indéniable que l'accusé d'une façon ou d'une autre a participé à cet homicide. La Couronne prétend qu'elle possède une preuve justifiant l'accusation de meurtre au premier degré. L'accusé, de son côté, soutient que sa participation à l'homicide est plutôt une action contributoire à un suicide plutôt qu'à la commission d'un meurtre. Un jury devra décider.
[9] Du point de vue force probante de la preuve, j'estime que la Couronne possède une preuve circonstancielle sérieuse, preuve circonstancielle que l'on pourrait identifier comme étant la description des événements qui a été faite par la voisine, l'opportunité exclusive que possédait l'accusé de participer à l'homicide et son comportement dans les minutes qui ont suivi l'homicide en tentant de laisser croire qu'il y avait eu cambriolage.
[10] Si, d'autre part, la Couronne réussit à se décharger de son fardeau qui, je le signale tout de suite, est lourd, elle disposera également d'une déclaration extrajudiciaire. Ainsi que je le mentionnais, il y aura vraisemblablement un débat sur l'admissibilité de cette déclaration.
[11] La seule question qu'il me faut résoudre ce matin n'est certainement pas d'évaluer la qualité de la preuve dont dispose le poursuivant; j'ai déjà dit qu'elle était sérieuse. Mon rôle est simplement de décider si l'accusé a réussi à démontrer de façon prépondérante que, dans l'attente d'un verdict du jury, sa détention n'est pas requise, pour l'un ou l'autre des trois motifs énoncés à l'article 515(10) (a) (b)et (c).
[12] D'ores et déjà, je pense que l'on peut éliminer les alinéas (a) et (b). Sans qu'il l'ait dit de façon aussi brutale, je pense bien que monsieur Bouthillier ne soutiendra pas que la détention de l'accusé est requise pour assurer sa présence à la Cour (motif (a)) ou encore pour la protection et la sécurité du public (motif (b)). Le débat tourne autour de l'application de l'alinéa (c). La détention de l'accusé est-elle nécessaire pour maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice compte tenu de l'accusation, des circonstances de sa commission et de la qualité de la preuve dont dispose le poursuivant?
[13] Bien sûr, il y aura des situations où, malgré la présomption d'innocence et toutes les garanties constitutionnelles auxquelles on peut penser, un accusé devra demeurer détenu jusqu'à ce qu'il y ait une détermination, par un jury ou un autre juge du fait, de sa culpabilité.
[14] Cependant, ainsi que semble l'indiquer la jurisprudence canadienne à l'heure actuelle, ces circonstances seront exceptionnelles. Je me réfère notamment à une décision récente de R. vs Thomson (Ont.S.C.J.) (2004) 21 C.R.(6) page 209:
«It is only in rare and exceptional cases that an accused should be detained without bail where she is likely to attend her trial and there is no danger to the public. In those rare and exceptional cases, there should be some demonstrable reason for the detention in addition to establishing that the alleged offence is serious and merits lengthy incarceration.» (par. 5)
…
«These principles arise from the presumption of innocence, the requirement that the Crown prove its case beyond a reasonable doubt, and the right of an accused to trial before punishment. They are fundamental to our freedom and to the rule of law, and are reflected in the guarantee in s.11(e) of the Charter that no one shall be denied reasonable bail without just cause. These principles are not displaced by a rhetorical appeal to public opinion.» (par. 9)
[15] Un meurtre restera toujours un crime grave et dans bien des cas, sinon la majorité, un crime horrible. L'horreur du crime peut être accentuée s'il survient dans un contexte de dépendance ou d'exercice de force ou de bris de confiance et c'est ce qui arrive généralement dans les homicides entre conjoints. Rares sont les maris qui sont victimes d'assassinat de la part de leur conjointe mais fréquemment c'est l'inverse.
[16] Malgré toute l'horreur que peut inspirer un meurtre qui survient entre conjoints, il faut nécessairement qu'il y ait une détermination de culpabilité après qu'il y aura eu présentation d'une preuve lors d'un procès public. Et tant et aussi longtemps qu'un verdict n'aura pas été prononcé, malgré toute l'horreur que le crime peut inspirer, ceci ne peut en soi et de façon automatique empêcher une personne de jouir momentanément et partiellement d'une forme quelconque de liberté.
[17] Soutenir le contraire, je pense, c'est en quelque sorte suggérer que l'horreur du crime reproché justifie une forme quelconque de punition avant verdict et ceci, je pense, est contraire à nos valeurs sociales et aux choix de société que nous avons faits.
[18] C'est la raison pour laquelle la requête est accueillie. L'accusé est remis en liberté après qu'il aura contracté un engagement avec la garantie offerte par son père au moyen d'un dépôt de $25,000.00.
[19] L'accusé devra, une fois remis en liberté, habiter chez ses parents au 4751 rue Joseph-Rodier, appartement 207 à Montréal et il devra obtenir préalablement l'autorisation de la Cour avant de changer d'adresse.
[20] L'accusé devra immédiatement remettre son passeport au greffier de la Cour et il lui est ordonné de ne faire aucune démarche pour en obtenir un autre que ce soit des autorités canadiennes ou d'autres autorités étrangères.
[21] L'accusé est astreint à un couvre-feu. Il devra être à la résidence de ses parents de 7h00 le soir à 7h00 le matin. Il y aura exception pour des raisons médicales ou de pratique religieuse et ses études ou son travail.
[22] Je n'ai pas l'intention d'imposer d'autres conditions.
[23] L'engagement de l'accusé assorti de la garantie offerte par son père au moyen d'un dépôt de $25,000.00.
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__________________________________ JEAN-GUY BOILARD, J.C.S. |
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Me Christian Desrosiers |
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Pour le requérant |
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Me Louis Bouthillier |
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Pour l'intimée |
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Date d’audience : |
Le 17 février 2005 |
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