Décision

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Ménard c. Gardner

2012 QCCA 1546

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-020802-104

(500-80-013895-090)

 

DATE :

6 SEPTEMBRE 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

ANTOINE MÉNARD

APPELANT - appelant

c.

 

YVES GARDNER, en sa qualité de syndic adjoint de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec

INTIMÉ - intimé

et

COMITÉ DE DISCIPLINE DE L’ASSOCIATION DES COURTIERS ET AGENTS IMMOBILIERS DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE - mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour du Québec, chambre civile, division administrative et d'appel, district de Montréal (l'honorable André Renaud), qui, le 28 mai 2010, a rejeté son appel de deux décisions du comité de discipline mis en cause, l'une du 17 juillet 2008 (culpabilité à deux infractions disciplinaires) et l'autre du 23 avril 2009 (sanction).

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Doyon et Dufresne, la Cour :

[3]           ACCUEILLE l'appel, avec dépens;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour du Québec;

[5]           ACCUEILLE l'appel que l'appelant a interjeté auprès de la Cour du Québec à l'encontre des décisions disciplinaires ci-dessous, avec les débours prévus par l'article 175 du Code des professions;

[6]           CASSE la décision sur culpabilité prononcée par le comité de discipline mis en cause à l'endroit de l'appelant le 17 juillet 2008 (dossier greffe 33-07-1076) ainsi que la décision sur sanction prononcée le 23 avril 2009 (dossier greffe 33-07-1076);

[7]           RENVOIE le dossier au comité de discipline pour que la plainte portée contre l'appelant y soit réentendue et décidée à nouveau, et cela, de surcroît, par des membres autres que ceux qui ont déjà statué sur l'affaire.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

Me Sébastien Dubois

Sébastien Dubois avocat inc.

Pour l'appelant

 

Me Marc Gaucher

Gaucher Tabet

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

26 janvier 2012


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

I.          Contexte et jugement de première instance

[8]           Le 23 novembre 2007, à la suite d'une dénonciation reçue de Ioan Ruxanda et de Roxana Ripa, anciens clients de l'appelant, l'intimé, syndic adjoint de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec[1] (« ACAIQ »), porte plainte contre ce dernier, lui reprochant d'avoir enfreint diverses dispositions des Règles de déontologie de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec[2] (« Règles »), telles qu'en vigueur à l'époque. Voici l'essentiel de cette plainte :

Je, Yves Gardner, en ma qualité de syndic adjoint de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, déclare que :

Antoine Ménard, en tout temps pertinent membre de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, a commis des actes dérogatoires, à savoir :

1.         Le ou vers le 13 juillet 2006, concernant un immeuble sis au 1319-1321 rue Bernie à LaSalle, l'intimé a encouragé le vendeur Ioan Ruxanda à apposer sa signature pour et au nom de sa conjointe, Roxana Mirela Ripa, sur les documents suivants :

a) Promise to purchase PP51448

b) Contre-proposition CP79635

alors que Roxana Mirela Ripa avait refusé de les signer, le tout contrairement aux dispositions des articles 1, 13, 29, 30 et 35 des Règles de déontologie de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec.

2.         Entre le ou vers le 18 juillet et le ou vers le 27 juillet 2006, concernant un immeuble sis au 1319-1321 rue Bernie à LaSalle, l'intimé a transmis ou fait transmettre des lettres de mise en demeure à Ioan Ruxanda et Roxana Mirela Ripa, les enjoignant de donner suite entre autres à la Contre-Proposition CP79635, alors qu'il savait que Roxana Mirela Ripa avait refusé de donner son consentement à celle-ci, le tout contrairement aux dispositions des articles 1, 2, 12 et 13 des Règles de déontologie de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec.

* *

[9]           La preuve reproduite au dossier d'appel révèle ce qui suit des circonstances ayant mené à ces accusations disciplinaires.

[10]        Les époux Ioan Ruxanda et Roxana Ripa sont copropriétaires d'une maison qu'ils désirent vendre. Ils retiennent pour cela les services de l'appelant, courtier en immeubles, et signent, le 27 avril 2006, le contrat de courtage P-2, contrat exclusif d'une durée de trois mois, qui prévoit la mise en vente de l'immeuble au prix initial de 439 000 $, le tout moyennant une commission de 19 000 $ (incluant TPS et TVQ).

[11]        Ce contrat sera modifié dès le 28 avril (c'est-à-dire le lendemain de sa signature), par l'ajout d'une « clause cascade » en vertu de laquelle les clients s'engagent à accepter une offre d'achat au prix de 419 000 $ au cours du premier mois (à défaut d'une offre supérieure) et de 399 000 $ (à défaut d'une offre supérieure) dans les deuxième et troisième mois. Ils s'y engagent également à verser la commission de 19 000 $ (incluant TPS et TVQ) à l'appelant que le prix de vente soit de 419 000 $ ou de 399 000 $

[12]        Le 13 juillet 2006, l'appelant invite M. Ruxanda et Mme Ripa à son bureau en vue de leur présenter une offre d'achat au prix de 375 000 $. Cette offre est conditionnelle à ce que le promettant-acheteur vende la maison dont il est propriétaire à Vancouver, et ce, avant le 31 août 2006. On trouve aussi à cette offre la condition usuelle d'une inspection préalable de la propriété des Ruxanda-Ripa.

[13]        Ces derniers refusent d'abord cette offre. Les versions divergent ensuite.

[14]        Selon Mme Ripa, une vive discussion avec l'appelant s'est ensuivie. Mme Ripa témoigne de ce qu'elle a non seulement rejeté l'offre, mais qu'elle a également refusé de faire une contre-offre. L'appelant se serait acharné à la convaincre, le ton aurait monté et Mme Ripa aurait quitté les lieux après qu'il l'eut insultée. Par la suite, l'appelant aurait, par tromperie, réussi à persuader M. Ruxanda, resté sur place, de signer en son nom et en celui de son épouse une contre-offre au prix de 399 000 $, contre-offre qui fut ultérieurement acceptée par le promettant-acheteur.

[15]        M. Ruxanda, pour sa part, témoigne de ce qu'après la sortie de son épouse, l'appelant l'a encouragé à faire une contre-offre et à signer celle-ci non seulement de son nom, mais aussi de celui de Mme Ripa (« Ruxanda (illisible) pour Ripa Roxana »[3]). M. Ruxanda a compris des explications de l'appelant qu'il n'était pas lié par cette contre-offre, qui mettait plutôt un terme à toute relation avec le promettant-acheteur et montrait, selon les dires de l'appelant, que celui-ci avait bien fait son travail.

[16]        Selon l'appelant, Mme Ripa, qui serait sortie de la pièce à quelques reprises au cours de la discussion, a en effet fini par quitter les lieux, mais sans manifester vraiment son refus de faire une contre-offre. Elle aurait plutôt dit « tout simplement qu'elle voulait réfléchir pour essayer de comprendre le contrat de courtage qu'elle avait signé, qu'à ma demande, elle s'engageait à baisser le prix au mois de juillet »[4]. C'est M. Ruxanda qui aurait alors, après la sortie de Mme Ripa, suggéré de signer la contre-offre au nom de son épouse et à sa place et affirmant qu'« il était pour y expliquer »[5].

[17]        Le comité a entendu d'autres témoins, notamment le promettant-acheteur, dont il appert que l'offre n'était pas sérieuse : d'une part, il n'avait pas les moyens financiers d'acheter l'immeuble; d'autre part, son offre était conditionnelle à la vente d'un immeuble de Vancouver qui ne lui appartenait pas, mais qui était plutôt la propriété de son père.

[18]        Le comité a aussi entendu M. Delli Colli, relation d'affaires et ami de l'appelant, qui aurait assisté à l'entretien entre ce dernier et ses clients. Il confirme que l'appelant a donné maintes explications à ces derniers au sujet des obligations qui leur incombaient. À son souvenir, c'est après que Mme Ripa fut sortie de la pièce pour la troisième fois que « le mari a pris l'initiative de dire : “Je vais signer pour ma femme étant donné qu'elle ne veut pas comprendre ses responsabilités légales, je vais signer pour elle et ce soir, rendu à la maison - ça, si je me souviens - ce soir, rendu à la maison, c'est moi qui vas lui expliquer exactement pourquoi elle aurait dû signer” »[6]. Selon M. Delli Colli, jamais l'appelant n'a-t-il suggéré cette façon de faire ni encouragé M. Ruxanda à agir ainsi.

[19]        Quoi qu'il en soit des circonstances dans lesquelles elle a été signée, la contre-offre a été présentée au promettant-acheteur, qui l'a acceptée. M. Ruxanda et Mme Ripa ont refusé d'y donner suite. L'appelant a consulté un avocat, explique-t-il dans son témoignage, et il a envoyé ou fait envoyer à ses clients plusieurs mises en demeure afin de les forcer à se conformer à ce qu'il considérait comme leur engagement.

[20]        M. Ruxanda et Mme Ripa se sont plaints du comportement de l'appelant à l'ACAIQ, d'où les accusations disciplinaires reproduites plus haut.

* *

[21]        Le comité de discipline de l'ACAIQ entend l'affaire le 24 avril 2008. L'appelant, signalons-le, n'est pas représenté par avocat, ce qui rend l'audience assez laborieuse, ainsi qu'on peut le constater à la lecture des notes sténographiques.

[22]        Vers le 29 avril 2008, alors que l'affaire est en délibéré, l'appelant sollicite une réouverture d'enquête afin de lui permettre de contre-interroger trois des témoins entendus le 24 avril (à savoir les plaignants et le promettant-acheteur). Il se plaint généralement de ce qu'on ne lui a pas bien expliqué les règles du contre-interrogatoire des témoins du syndic et les droits qui étaient les siens à cet égard; il allègue aussi que, lorsqu'il a tenté, à l'audience du 24 avril 2008, de contre-interroger ces personnes, le comité l'aurait indûment empêché de poser des questions suggestives, alors qu'il a maintenant appris qu'il aurait pu le faire. Il précise :

3)         Le résultat, combien de fois que le Président du comité de discipline m'a interrompu pour me dire d'arrêter de poser des questions subjectives (sic). N'ayant pu contre-interroger correctement les témoins de la poursuite, il n'y a pas eu dans mon cas de procès contradictoire tel que prévu par les Chartes Canadiennes et Québécoises des droits.

[23]        Dans le cadre de la même demande de réouverture d'enquête, l'appelant souhaite également être autorisé à produire trois documents attestant ses qualifications professionnelles et les expliquant[7].

[24]        Le 12 mai 2008, le comité refuse cette demande de réouverture d'enquête pour des raisons qu'on peut résumer ainsi :

-           L'appelant ne pourra pas contre-interroger les témoins qu'il veut appeler (c'est-à-dire les plaignants et leur acheteur), puisqu'il s'agirait alors d'un interrogatoire en chef.

-           Il ne pourrait en conséquence poser de questions suggestives aux plaignants, qui ne sont pas la partie adverse, celle-ci étant plutôt le syndic. Les plaignants n'ont par ailleurs jamais tenté d'éluder les questions posées ni de favoriser une partie; ils n'ont pas non plus fait de déclaration antérieure incompatible avec leur témoignage devant le comité.

-           L'appelant a reçu les explications nécessaires et il a eu « une occasion amplement raisonnable d'interroger et de contre-interroger les témoins qu'il veut maintenant “réentendre” »[8]. Selon le comité, « une réouverture d'enquête n'ajoutera strictement rien à la preuve que le comité a recueillie »[9].

[25]        Sur le fond, le comité rend sa décision le 17 juillet 2008, déclarant l'appelant coupable des deux infractions reprochées, dans chaque cas en violation de l'article 13 des Règles[10] :

13.       Le membre ne doit participer à aucun acte ou pratique, en matière immobilière, qui puisse être illégal ou qui puisse porter préjudice au public ou à la profession.

13.       A member shall not participate in any act or practice in real estate matters which may be illegal or which may cause prejudice to the public or to the profession.

[26]        Le comité retient en effet la version de Mme Ripa et de M. Ruxanda plutôt que celle de l'appelant. Quant au premier chef, il conclut qu'en incitant M. Ruxanda à signer une contre-offre au nom de son épouse, sachant que celle-ci n'y consentait pas, l'appelant a porté préjudice au public et à la profession au sens de l'article 13 des Règles. De même, quant au second chef, le comité conclut que l'appelant a « lamentablement failli »[11] à son obligation de vérification et de conseil et que ses mises en demeure « ne servaient qu'à tenter de corriger cette faille en tentant de faire peur aux vendeurs »[12]. Selon le comité, l'appelant a ainsi agi en représailles contre ses clients[13].

[27]        L'audience sur la sanction suit le 24 février 2009, l'appelant n'y étant toujours pas représenté par avocat. Le 23 avril 2009, le comité de discipline lui impose la peine suivante : 1 500 $ d'amende par chef, suspension du certificat de courtier immobilier agréé pour deux périodes consécutives de 45 jours, interdiction, pendant la période de suspension, d'afficher le titre de « “membre représentant”, “membre directeur ou directeur adjoint” d'un courtier immobilier agréé ». Le comité recommande par ailleurs au conseil d'administration de l'ACAIQ d'imposer à l'appelant, comme condition du renouvellement de son certificat de courtier agréé, deux cours de 45 heures portant respectivement sur la « Loi sur le courtage immobilier et ses règlements » et sur la « rédaction de contrats et documents relatifs à l'immobilier » ou tout autre cours similaire.

* *

[28]        Insatisfait, l'appelant s'adresse à la Cour du Québec, conformément aux articles 136 de la Loi sur le courtage immobilier[14] et 164 du Code des professions[15], tels qu'en vigueur à l'époque. On notera que sa procédure d'appel est ambiguë, laissant entendre par son titre[16] et ses conclusions qu'il n'attaque que la décision sur la sanction, mais soulevant des moyens qui visent aussi la déclaration de culpabilité. La Cour du Québec, sous la plume du juge André Renaud, a d'ailleurs considéré que l'appelant, en réalité, se pourvoyait bien contre les deux décisions du comité[17]. Le juge écrit ce qui suit dans son jugement du 28 mai 2010 :

[29]      Le premier problème qui se pose est celui de la forme de la requête en appel qui semble attaquer seulement la décision sur sanction et non pas celle sur culpabilité.  L'appelant plaide que le fond doit l'emporter sur la forme.

[30]      Nous devons constater que, même si l'appelant n'a pas respecté la forme d'une requête en appel, force est d'admettre que la grande majorité des paragraphes de sa requête en appel touche la décision sur la culpabilité.  Les parties connaissent bien leur dossier; qu'il nous suffise d'énumérer les paragraphes 8 à 22 de la requête pour constater que l'appelant attaquait aussi la décision sur la culpabilité.  D'ailleurs, son mémoire en est le reflet.  Nous étudierons donc ce dossier suivant son but premier et non selon sa forme, qui aurait pu être plus classique.

[29]        Par ce même jugement, le juge rejette par ailleurs l'appel des deux décisions du comité. Appliquant la norme de la décision correcte, il estime d'abord que le comité de discipline avait la compétence voulue pour se pencher sur le second chef de plainte (qui concerne les mises en demeure), compétence que contestait l'appelant. Celui-ci prétendait en effet qu'en adressant des mises en demeure à ses anciens clients, les enjoignant de respecter leur contrat de courtage, de passer titre à la suite de l'acceptation de la contre-proposition d'achat de leur maison et de lui verser sa commission, il ne faisait qu'exercer un droit issu du Code civil du Québec et, même, exécutait tout simplement l'obligation que lui fait ce code d'envoyer pareille mise en demeure avant d'intenter une action en justice. Selon le juge, l'envoi d'une mise en demeure peut, dans certaines circonstances, constituer une faute déontologique et la question de savoir si c'était le cas en l'espèce relevait bel et bien de la compétence du comité de discipline.

[30]        Appliquant ensuite la norme de la décision raisonnable, qu'il estime appropriée aux moyens mixtes de fait et de droit que soulève à cet égard l'appelant, le juge conclut que le comité de discipline a respecté le droit de celui-ci à une défense pleine et entière et qu'il a adéquatement guidé ce dernier lors des audiences sur la culpabilité et la sanction.

[31]        En particulier, le juge est d'avis que le comité n'a pas bafoué les droits de l'appelant en refusant de rouvrir l'enquête postérieurement à l'audience sur la culpabilité. Après avoir cité un long extrait de la décision du 12 mai 2008, il écrit :

[49]      Nous croyons que le Comité avait raison de ne pas poursuivre cette enquête qui avait été faite et qui n'apporterait rien de plus au litige.

[32]        Le juge ajoute que, de toute façon, l'appelant ne peut pas se plaindre devant lui de la décision que le comité a ainsi rendue le 12 mai 2008. En effet, cette décision est visée par l'article 164, premier alinéa, paragr. 2, du Code des professions. Elle ne peut donc être portée en appel que sur permission, et ce, dans les 30 jours de son prononcé. L'appelant ne s'étant pas conformé à cette exigence en temps utile, il est forclos de plaider tout moyen rattaché à ladite décision.

[33]        Sur le fond, appliquant la norme de la décision raisonnable, le juge est d'avis que toute l'affaire repose sur l'évaluation de la preuve présentée au comité de discipline et sur la crédibilité des témoins entendus par celui-ci. Or, statue-t-il, le comité n'a commis aucune erreur d'appréciation qui justifierait de casser sa décision sur la culpabilité.

[34]        Finalement, le juge estime que la sanction imposée à l'appelant n'est pas non plus déraisonnable. Le comité a appliqué les critères usuels en pareille matière et on ne saurait lui reprocher quoi que soit à ce propos.

II.         Appel et moyens d'appel

[35]        L'appelant se pourvoit. Par l'intermédiaire, cette fois, d'un avocat, il reprend pour l'essentiel devant la Cour les moyens qu'il a présentés au juge de première instance. Son mémoire est peu détaillé, la portion « argumentation » ne comptant que six pages et quelques lignes.

[36]        À l'audience, son avocat insiste, d'une part, sur le caractère extrêmement vague de la norme de conduite prescrite par l'article 13 des Règles et, d'autre part, sur l'illégalité du second chef de plainte disciplinaire (qui concerne les mises en demeure). Sur ce dernier point, il réitère que l'envoi d'une mise en demeure ne saurait constituer une faute déontologique, s'agissant d'une exigence que le Code civil du Québec impose à celui qui entend poursuivre son cocontractant. Il aurait également fallu que le comité de discipline considère la bonne foi de l'appelant au moment de l'envoi des mises en demeure, bonne foi qu'il a ignorée et dont il a même empêché l'appelant de faire la preuve, en lui interdisant de produire une certaine pièce. Il s'agit de la pièce I-2, qui consiste en la note d'une préposée de l'ACAIQ résumant sa conversation du 31 juillet 2006 avec l'appelant, au sujet des plaignants. La préposée y donnerait raison à l'appelant. Compte tenu du conseil ainsi dispensé par un représentant de l'ACAIQ elle-même, on ne saurait faire grief à l'appelant d'avoir envoyé ses mises en demeure.

[37]        En outre, quant au premier chef disciplinaire, l'avocat de l'appelant fait valoir qu'il s'agirait d'un chef technique, qui ne peut peser lourd dans la balance puisque les plaignants ont eux-mêmes manqué à leur obligation de coopérer et ne pouvaient refuser de faire une contre-offre conforme à la clause cascade de leur contrat de courtage.

[38]        Sur la question de la justice naturelle, l'avocat de l'appelant, à l'audience, s'en est remis à son mémoire, qui traite ainsi de la question :

51.       En effet, une lecture attentive de tous les passages de l'audition devant le Comité qui ont été soulignés en appel devant la Cour du Québec permet de conclure que l'appelant n'a pas eu droit à un procès impartial et contradictoire, le tout tel qu'il sera démontré devant la Cour d'appel;

63.       À la lecture de la transcription des auditions sur culpabilité et sur sanction, il est clair que l'Appelant était dépassé par la technicalité du processus, et le Procureur de l'intimé en a d'ailleurs outrageusement profité, et que le Comité a fermé les yeux, se rendant même complaisant face à un tel déséquilibre entre les parties;

64.       Le Comité a non seulement brimé les droits de l'Appelant tel que décrit plus haut, mais a en plus laissé passer par négligence, nous l'espérons, les chances de l'Appelant aux contre-interrogatoires, à titre d'exemple;

[39]        À la suite des observations de l'avocat de l'appelant, la Cour a demandé à l'avocat de l'intimé de plaider sur la seule question de savoir si l'audience tenue par le comité de discipline sur la culpabilité de l'appelant aux deux chefs d'infraction reprochés avait été équitable et conforme aux règles de la justice naturelle.

[40]        L'affaire présentant quelques difficultés, la Cour a requis des parties qu'elles produisent un mémoire supplémentaire de 10 pages sur ce seul sujet, leur offrant par ailleurs la possibilité d'une seconde audience, sur demande.

[41]        L'appelant a produit son mémoire supplémentaire le 27 février 2012 et l'intimé a fait de même le 26 mars. Les parties n'ont pas requis d'audience dans le délai de 15 jours prévu pour ce faire et la cause a été mise en délibéré à compter du 11 avril 2012.

III.        Analyse

[42]        La seule question sérieuse que soulève le pourvoi est celle du caractère équitable ou non de l'audience tenue devant le comité de discipline, le 24 avril 2008, audience qui portait sur la culpabilité de l'appelant aux accusations mentionnées plus haut. Plus exactement, le comité a-t-il empêché l'appelant de faire sa preuve? Dans l'affirmative, il aurait manqué à la règle audi alteram partem et agi contrairement aux exigences de la justice naturelle.

[43]        J'aborderai donc ce sujet en premier lieu, ne réservant que quelques commentaires aux autres moyens d'appel.

A.        Respect des règles de justice naturelle

[44]        Dans un premier temps, l'intimé affirme que l'appelant est forclos de plaider la violation des règles de la justice naturelle, faute d'avoir invoqué le manquement devant le comité lui-même; dans un second temps, il fait valoir que le comité, de toute façon, a respecté ces règles.

1.         L'appelant est-il forclos de plaider ce moyen?

[45]        L'intimé fonde son argument de forclusion sur diverses décisions, dont l'arrêt de la Cour dans Compagnie de taxi Laurentides inc. c. Commission des transports du Québec[18], celui de la Cour d'appel fédérale dans Bérubé c. Canada[19] et celui de la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor[20]. Il aurait fallu, soutient-il, que le manquement allégué soit « invoqué dès le départ devant l'instance administrative […] »[21].

[46]        Dans les circonstances, cette prétention est mal fondée.

[47]        Dans Compagnie de taxi Laurentides inc., l'appelante, une société, reprochait à la Commission des transports d'avoir permis à l'audience la preuve de fautes que ne dénonçait pas l'avis de convocation et d'avoir fondé sa décision sur certaines des fautes en question. La Cour, sous la plume du juge Forget, rejette cette prétention pour diverses raisons dont l'absence de préjudice, notant cependant au passage que l'appelante était représentée par avocat lors de l'audience devant la Commission et que cet avocat ne s'était jamais plaint de la situation, n'avait pas requis d'ajournement afin de répondre à ces nouveaux reproches et n'avait pas exigé de faire une preuve additionnelle. Qui plus est, l'avocat n'avait pas non plus soulevé le problème devant le Tribunal administratif du Québec, auquel il s'était adressé en appel de la décision de la Commission des transports. C'est ce qui, manifestement, induit le juge Forget à écrire que si la société « prétendait avoir été victime de manquements à l'équité procédurale, elle ne pouvait garder ces moyens en réserve pour les faire valoir plus tard devant le tribunal de droit commun » (paragr. 53).

 

[48]        Le contexte de l'affaire Compagnie de taxi Laurentides inc., comme on le voit, est bien différent de celui qui nous occupe : l'appelant, ici, n'était pas représenté par avocat et on ne peut pas lui reprocher de n'avoir pas soulevé en temps utile la question du manquement à l'équité procédurale, question qui motivait d'ailleurs en bonne partie sa demande de réouverture d'enquête et qu'il a invoquée explicitement devant la Cour du Québec, premier palier d'appel.

[49]        Dans l'affaire Bérubé, l'appelant, qui avait agi sans avocat, reprochait au juge de la Cour canadienne de l'impôt de lui avoir refusé « la possibilité de poursuivre son témoignage et de rappeler la vérificatrice pour la contre-interroger à nouveau » (paragr. 3). Or, ainsi que le souligne la Cour d'appel fédérale :

[4]        En aucun temps l'appelant n'a demandé au juge du procès l'autorisation de rouvrir l'enquête pour procéder à un deuxième contre-interrogatoire du témoin. On ne peut donc reprocher au juge d'avoir refusé d'accéder à un désir non exprimé de l'appelant et qu'il ne pouvait connaître.

[5]        La transcription révèle plutôt chez l'appelant, qui se représentait seul, une certaine confusion entre les étapes bien différentes de la plaidoirie et du dépôt de la preuve, étapes que précisément l'équité procédurale requiert de ne pas confondre. Comme le disait cette Cour dans l'affaire Wagg c. R., 2003 CAF 303 , il y a des risques découlant d'un manque d'expérience ou de formation à se représenter seul dans une contestation judiciaire. Mais il s'agit d'un risque que le plaideur accepte avec les conséquences fâcheuses qui peuvent en découler et qu'on ne saurait imputer au juge du procès.

[50]        Là encore, la situation de l'espèce se distingue de celle-là, puisqu'on doit constater que, lors de l'audience devant le comité de discipline, l'appelant a justement demandé et tenté à plusieurs reprises de faire ce que le comité lui aurait défendu. On ne peut l'empêcher d'alléguer maintenant (comme il l'a fait du reste devant la Cour du Québec) qu'en agissant ainsi le comité a enfreint les règles de la justice naturelle.

[51]        L'intimé renvoie aussi à l'arrêt de la Cour suprême dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor. Les appelants dans cette affaire contestaient la partialité institutionnelle du Tribunal canadien des droits de la personne, tel qu'il existait à l'époque. Ils avaient invoqué ce moyen pour la première fois devant la Cour d'appel fédérale, huit ans après la décision du Tribunal et sans l'avoir jamais soulevé devant la Cour fédérale, division de première instance, à laquelle ils s'étaient d'abord adressés. La Cour d'appel fédérale avait en conséquence considéré que ce défaut d'agir constituait une renonciation. Les quatre juges majoritaires de la Cour suprême, sous la plume du juge en chef Dickson, avalisent cette façon de voir. Les trois juges minoritaires, sous la plume de la juge McLachlin, telle qu'elle était alors, précisent cependant ce qui suit :

Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles l'omission de soulever la partialité au départ ne constitue pas une renonciation implicite (par exemple lorsque, comme en l'espèce, la partie intéressée n'est pas représentée par un avocat à l'audience initiale). Il n'est toutefois pas nécessaire aux fins de la présente instance de préciser un moment où la partialité doit être soulevée, car les faits me convainquent que les appelants n'ont pas fait l'allégation « à la première occasion ». […][22]

[52]        On ne peut rien reprocher de ce genre à l'appelant dans la présente affaire, lui qui a, dès le premier palier d'appel, allégué manquement aux règles de la justice naturelle. On doit remarquer aussi que la nature de son grief n'est pas analogue à ce dont il était question dans Taylor . Il s'agissait dans cette affaire de partialité institutionnelle, motif qui se rattachait à la constitution même du tribunal devant lequel étaient assignés les justiciables et qui préexistait, en quelque sorte, n'étant pas né du comportement du tribunal à l'audience. En l'espèce, ce n'est pas de partialité institutionnelle ou même personnelle dont il est question, mais bien d'une situation née en cours d'audience devant le comité de discipline et en raison de la manière dont celui-ci a alors traité l'appelant.

[53]        Bref, on ne peut pas conclure que l'appelant a renoncé à faire valoir le moyen qu'il avance maintenant ou qu'il est forclos de le plaider. Je précise qu'on ne peut pas non plus conclure qu'il a renoncé à ce moyen parce qu'il n'a pas fait appel en temps utile du refus du comité de rouvrir l'enquête pour lui permettre de contre-interroger ses clients, entre autres.

[54]        Examinons maintenant le fond de la question.

2.         Le comité a-t-il enfreint les règles de justice naturelle?

[55]        La question du respect des règles de justice naturelle, et notamment de la règle audi alteram partem, appelle traditionnellement l'application de la norme de la décision correcte, s'agissant ici de garanties constitutionnelles et quasi constitutionnelles qui sont au cœur de l'intégrité du système de justice - celui de la justice administrative en l'occurrence - et qui affectent la compétence du décideur. En ce sens, voir : Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature)[23], McDonald c. Arshinoff & Cie ltée[24], Murphy c. Chambre de la sécurité financière[25]. Cela dit, respecter la règle audi alteram partem - puisque c'est de cela qu'il s'agit ici - et garantir au justiciable le droit de présenter une défense pleine et entière ne signifie pas qu'on doive imposer aux organismes administratifs un code de conduite en tous points identique à celui des cours de justice et les assujettir à l'ensemble des règles de preuve et de procédure en usage devant les tribunaux judiciaires. On doit au contraire leur reconnaître une latitude certaine en la matière[26], la règle audi alteram partem pouvant en pratique se décliner de diverses façons. La souplesse est donc de mise dans la mesure où l'esprit de cette règle fondamentale est respecté[27]. Comme le rappelle la Cour suprême dans Moreau-Bérubé :

75        L’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi (voir Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 ; Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 , p. 653; Baker, précité, par. 20; Therrien, précité, par. 81).  Ces règles comportent l’obligation d’agir équitablement, notamment d'accorder aux parties le droit d’être entendu (la règle audi alteram partem).  Cette obligation a une nature et une étendue « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (le juge L’Heureux-Dubé dans Baker, précité, par. 21).  En l’espèce, il faut interpréter généreusement la portée du droit d’être entendu puisque le processus administratif du Conseil de la magistrature ressemble au processus judiciaire habituel (voir Knight, précité, p. 683); la décision du Conseil est sans appel (voir D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 1, p. 7-66 et 7-67); et les enjeux de l’audience sont très graves pour l’intimée (voir Kane c. Conseil d'administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105 , p. 1113).[28]

[56]        S'agissant ici d'un comité de discipline dont l'action peut avoir des conséquences importantes sur le droit d'un individu de gagner sa vie et s'agissant en outre d'un comité dont le fonctionnement se veut quasi judiciaire et contradictoire, ainsi qu'on le constate à la lecture des dispositions législatives qui le régissent[29] et de la jurisprudence en la matière, il faut interpréter généreusement le droit d'être entendu (et ce, même si la décision de ce comité peut faire l'objet d'un appel à la Cour du Québec).

[57]        Le comité de discipline a-t-il respecté ici le droit de l'appelant à une audition équitable et à la présentation d'une défense pleine et entière?

[58]        On doit d'abord constater que l'audience devant le comité ne s'est pas déroulée sans heurts. Une partie de ceux-ci viennent du fait que l'appelant ne se présente pas sous un jour particulièrement sympathique, connaît mal les règles applicables au cheminement d'une telle audience et à l'administration de la preuve, ne comprend pas toujours les explications qu'on lui donne et insiste sur des choses qui ne paraissent pas particulièrement pertinentes. Or, ainsi que le signalent notre cour dans Deschênes c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne[30] ainsi qu'Azar c. Concordia University[31] et la Cour d'appel fédérale dans Bérubé, précité, celui qui choisit d'agir sans avocat doit en assumer les inconvénients et ne peut ordinairement pas se plaindre des conséquences de sa méconnaissance du droit, incluant les règles de preuve et de procédure, du moins lorsqu'il a reçu l'aide que le tribunal doit lui apporter.

[59]        Car, en effet, le principe de la responsabilité du justiciable qui n'est pas représenté par avocat est tempéré par le devoir d'assistance qui incombe alors au tribunal devant lequel il comparaît. Celui-ci, en effet, doit en pareil cas assister le justiciable en lui fournissant certaines explications sur le processus et les manières de faire. Le tribunal, il va sans dire, n'a pas à jouer auprès du justiciable le rôle que jouerait l'avocat, il n'a pas à le conseiller et ne peut le favoriser; il ne peut alléger son fardeau de preuve, le dispenser de ses obligations ou faire le travail à sa place; il n'a pas non plus à lui donner un cours de droit substantif ou de procédure. Son intervention consiste simplement à l'instruire de l'essentiel, à le guider de manière générale, et ce, lorsque le besoin s'en fait sentir (l'intensité de ce devoir d'assistance peut donc varier, car tous les justiciables ne sont pas également démunis devant la justice et prétendre le contraire serait faire injure à leur intelligence).

[60]        Cela dit - et, en vérité, cela va sans dire -, le tribunal, dans l'accomplissement de ce devoir d'assistance limité, doit bien sûr se garder d'induire le justiciable en erreur. Sans agir comme le protecteur du justiciable non représenté, il doit aussi, dans la mesure du possible, s'assurer que la partie adverse, si elle est elle-même représentée par avocat, ne profite pas indûment de cet avantage.

[61]        Or, la lecture des notes sténographiques de l'audience sur la culpabilité montre que, si le bât blesse, c'est, il faut le constater à regret, dans le fait que le comité, à quelques moments cruciaux de l'affaire, a restreint au-delà de ce qui était acceptable dans le contexte le droit de l'appelant au contre-interrogatoire et même à l'interrogatoire de ses anciens clients et l'a empêché de faire une preuve destinée à contredire la version de ces derniers.

[62]        Bien sûr, je ne crois pas que le comité ait sciemment fait obstacle à l'exercice des droits de l'appelant. La lecture de l'ensemble des notes sténographiques révèle cependant une certaine impatience du comité devant les maladresses de l'appelant, impatience qui parait s'être aussi nourrie des objections nombreuses de l'intimé. L'avocat de celui-ci a en effet privilégié une application rigoriste des règles de preuve et de procédure, comme si l'affaire avait été instruite par la Cour supérieure (et sans même l'indulgence que les avocats s'accordent parfois mutuellement devant cette instance). Le comité a fait sienne cette attitude et semble par ailleurs avoir craint que les choses traînent en longueur s'il laissait faire l'appelant. Mais qu'il l'ait voulu ou non, le résultat est le même et l'appelant a été privé d'une défense pleine et entière aux accusations portées contre lui, plus précisément au regard du premier chef.

[63]        L'erreur en question tient principalement à la manière dont le comité a permis ou, plus exactement, n'a pas permis à l'appelant de contre-interroger, puis d'interroger ses anciens clients lors de l'audience, en coupant court, péremptoirement, à ses questions. Le comité a également eu une conduite critiquable lors de l'interrogatoire de M. Paul McKenna, témoin de l'appelant.

[64]        Le droit d'interroger et tout autant de contre-interroger un témoin, il n'est pas nécessaire de le rappeler, est une composante essentielle de la justice naturelle en contexte judiciaire ou quasi judiciaire. En matière de faits et de crédibilité, le droit au contre-interrogatoire s'impose particulièrement, comme un élément du droit d'être entendu[32]. Ce n'est donc qu'avec prudence qu'une instance disciplinaire peut restreindre ce droit. Voyons ce qu'il en est ici.

[65]        Lorsque l'appelant pose sa première question à Mme Ripa (qui vient d'être interrogée en chef par l'avocat du syndic), lui demandant si elle reconnaît la clause cascade du contrat de courtage, l'avocat de l'intimé fait aussitôt valoir que « le document parle par lui-même de toute façon » et que « madame a reconnu sa signature tout à l'heure ». L'objection est accueillie par le président du comité sans même qu'il soit donné à l'appelant l'occasion de s'expliquer. L'échange suivant a lieu quelques secondes plus tard :

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

L'autre chose, la raison pourquoi que…  le lendemain, parce que le 27 avril, le contrat de courtage avait été signé.

LE PRÉSIDENT :

Vous ne devez pas témoigner, monsieur Ménard, vous devez poser des questions.[33]

[66]        La remarque du président est assez curieuse dans la mesure où, le contrat ayant été déposé et Mme Ripa ayant déjà reconnu, durant l'interrogatoire en chef, l'avoir signé le 27 avril[34], on ne voit pas bien en quoi l'appelant aurait témoigné en faisant allusion à ce fait.

[67]        Le contre-interrogatoire se poursuit, l'appelant posant quelques questions assez malhabiles à la suite desquelles le président du comité lui explique qu'il ne doit pas témoigner lui-même en s'adressant au témoin[35].

[68]        Un peu plus tard, l'appelant exhibe la mise en demeure que son avocat a envoyée à Mme Ripa et à M. Ruxanda et demande au président du comité : « Est-ce que madame Ruxanda peut dire si elle a reçu ça de mon avocat? Est-ce que je peux poser la question-là?[36] ». Le président du comité lui répond qu'il doit montrer la lettre au témoin pour savoir si elle l'a reçue. Le témoin répond sur ces entrefaites (sans que l'appelant ait lui-même posé la question) qu'elle ne l'a pas reçue, réponse que personne ne semble remarquer si l'on en juge par ce qui suit. L'avocat de l'intimé s'oppose alors à la question au motif que le document n'est pas signé. Plutôt que de rejeter cette objection manifestement mal fondée (aucune règle n'empêchant de demander à un témoin s'il a reçu un document; le témoin peut très bien reconnaître le document et admettre l'avoir reçu, d'autant que, en l'espèce, il ne fait à ce stade pas de doute que la mise en demeure a été envoyée), le président du comité déclare qu'il serait préférable que ce soit l'avocat qui a rédigé la mise en demeure qui la produise, tout en signalant que « ça ne se veut pas un conseil, ce n'est que pour vous guider »[37]. L'appelant insiste pour produire la lettre en question et le président du comité indique alors :

LE PRÉSIDENT :

Là, pour le moment, il y a une objection de l'avocat. Vous nous avez expliqué que maître Lagacé sera ici cet après-midi. Donc, on pense, nous que ce serait mieux que lui la produise plutôt que la faire produire par le témoin qui n'est peut-être pas le bon témoin pour produire ça.[38]

[69]        Mme Ripa commence alors à dire quelque chose (« Il m'a demandé… ») et le président du comité lui rappelle alors qu'elle ne doit pas parler tant que l'objection n'est pas tranchée. Il ajoute immédiatement : « Avez-vous d'autres questions, monsieur Ménard », ce à quoi ce dernier répond  : « Juste un instant… Non, c'est beau »[39].

[70]        Suit le témoignage en chef de M. Ruxanda, assez court et peu détaillé sur les circonstances qui l'ont amené à signer la contre-proposition. L'appelant commence alors son contre-interrogatoire en posant à son ancien client la question qu'il a posée précédemment à Mme Ripa, à propos de la clause cascade du contrat de courtage. L'avocat de l'intimé formule la même objection, que le président du comité accueille aussitôt. Voici la suite :

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Q.        Monsieur Ruxanda, dans la pièce P-4 [il s'agit de la contre-offre litigieuse], lorsque vous avez proposé de signer pour votre épouse, est-ce que ce n'est pas parce que je vous ai fait allusion à l'article 11.1 de la promesse d'achat à l'effet que ni l'acheteur ni le vendeur ne doit commettre un acte volontaire pour empêcher la réalisation du mandat ou de la promesse d'achat?

Me LUC PELLETIER :

Je m'objecte à la question telle que posée, monsieur le président. Monsieur Ménard…

LE PRÉSIDENT :

La preuve jusqu'ici ne démontre pas que c'est monsieur Ruxanda qui a proposé, comme vous dites, de signer pour sa femme. C'est la preuve jusqu'ici, alors l'objection est bien fondée.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Ça va aller à ma preuve à moi?

Le président :

Vous allez témoigner là-dessus.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

O.k. J'ai terminé.[40]

[71]        La question de l'appelant était mal formulée et l'on comprend que l'avocat s'y soit opposé. Mais le président du comité ne pouvait pas simplement accueillir l'objection et indiquer à l'appelant qu'il aurait l'occasion de témoigner lui-même sur le sujet, laissant ainsi entendre qu'il ne pouvait pas poser de questions à ce propos à M. Ruxanda. Or, cela n'était pas le cas : l'appelant aurait certainement pu demander à M. Ruxanda qui avait réellement suggéré de signer la contre-proposition au nom de Mme Ripa et tenter d'ébranler sa crédibilité à ce sujet. Il aurait même pu faire cela d'une manière suggestive. Sans doute un avocat aurait-il compris qu'il lui fallait tout simplement reformuler sa question en plusieurs sous-questions. C'est ce que le président du comité aurait dû expliquer à l'appelant, car, de toute évidence, c'était là un aspect essentiel de l'affaire.

[72]        Plus tard, l'appelant, dans le cadre de sa propre preuve, fait témoigner Paul McKenna, inspecteur en bâtiment qui a accompagné l'acheteur lors des tentatives de visite de la maison des Ruxanda-Ripa, postérieurement à l'acceptation de la contre-offre. Après quelques remarques introductives, l'appelant demande à M. McKenna ce qu'il a observé lors de ses visites chez les plaignants. L'avocat de l'intimé s'oppose à la question. Voici son objection et l'échange qui suit (et qui est assez représentatif du ton général de l'audience) :

Me LUC PELLETIER :

Je m'objecte à la question, monsieur le président. Là, on est rendu à des faits qui ont lieu lors de l'inspection alors que les chefs d'infraction, on parle du 13 juillet 2006 puis on parle de mises en demeure qui ont été envoyées. Je ne vois pas en quoi on est rendu à l'inspection. Je pense que c'est clair qu'il y a eu deux tentatives d'inspection qui n'ont pas réussi et je pense qu'avec ça, on en a suffisamment.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Est-ce que je peux m'objecter à ce qu'il vient de dire? Parce que le 20 juillet…

LE PRÉSIDENT :

C'est déjà une objection. Alors, vous avez le droit de vous expliquer sur l'objection.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Je m'explique sur l'objection parce que le 20 juillet, c'était la date qui était fixée…

LE PRÉSIDENT :

C'est pas ça s'expliquer sur une objection. Maître Pelletier dit que ça n'a pas de pertinence, parce que ça n'a pas rapport à la cause. C'est là-dessus qu'on veut vous écouter.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Ç'a compétence à la cause. Ç'a compétence à la cause parce que je suis accusé d'un chef d'accusation puis c'est pas vrai du tout.

 

LE PRÉSIDENT :

Monsieur Ménard, prenez la plainte. Vous l'avez pas devant vous la plainte?

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Oui, j'ai la plainte. La plainte, c'est d'avoir…

LE PRÉSIDENT :

S'il vous plaît, prenez la plainte. L'avez-vous, là?

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Oui, oui, je l'ai la plainte.

LE PRÉSIDENT :

Où est-elle?

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Elle est ici la plainte.

LE PRÉSIDENT :

Alors, si vous lisez la plainte, il y a deux chefs.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Il y a deux chefs, ben oui.

LE PRÉSIDENT :

Ça va? Alors, le premier chef, on vous accuse d'avoir encouragé le vendeur à signer pour sa femme.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

C'est ça.

LE PRÉSIDENT :

Puis dans le deuxième chef, on vous accuse d'avoir transmis des mises en demeure pour les forcer à donner suite. C'est ça qu'on a à examiner, nous.

 

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Oui, oui, d'accord.

LE PRÉSIDENT :

Tout le reste, c'est l'aspect civil, ça.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Oui, mais qui qui dit que j'ai encouragé, qui qui a dit ça?

LE PRÉSIDENT :

Bien ce matin, on a eu…

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

C'est qui, c'est madame Ruxanda qui a dit ça?

LE PRÉSIDENT :

On a eu deux témoins, ce matin, qui ont témoigné là-dessus, c'est tout ce qu'on a pour le moment.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Lui [M. McKenna], c'est un témoin pour vous montrer le comportement de madame Ruxanda.

LE PRÉSIDENT :

Mais monsieur McKenna était-il présent le 13 juillet sur ce dont on vous accuse?

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Non, il était pas présent.

LE PRÉSIDENT :

Il n'était pas présent, alors il peut témoigner.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Mais il peut dire le comportement de cette madame-là.

 

LE PRÉSIDENT :

Non, c'est votre témoin, ça, monsieur Ménard.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Ben, c'est lui, il peut dire le comportement quand qu'il y a eu deux inspections.

LE PRÉSIDENT :

Non. Non, pas en interrogatoire principal. En interrogatoire principal, vous êtes en train de présenter une défense.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Là, vous dites que c'est dans ma plaidoirie, ça?

LE PRÉSIDENT :

Vous m'écoutez pas, là, vous préparez votre réponse avant que j'aie fini de parler. Vous êtes en train de préparer votre défense à la plainte.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Est-ce que c'est dans l'étape de la plaidoirie? Parce que moi, je suis ce petit livre-là.

LE PRÉSIDENT :

Alors, la plaidoirie, ça va venir après les témoins.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

C'est ça, c'est à ce moment-là qu'il faut que je dise ça? Qu'il nous raconte les faits qu'il a vécus, c'est dans la plaidoirie?

LE PRÉSIDENT :

Non. De toute façon, l'objection est maintenue. Tous ces éléments-là, que monsieur McKenna ait fait une inspection ou qu'il n'ait pas fait d'inspection, ça n'a pas rapport. C'est pas un tribunal civil ici, c'est un tribunal disciplinaire.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Mais par contre, si le plaignant, madame Ruxanada, prétend que j'ai encouragé son mari…

LE PRÉSIDENT :

C'est pas le plaignant, ça, madame Ruxanda, c'est monsieur Gardner.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

C'est monsieur Gardner qui est le plaignant mais lui, il a fait une enquête.

LE PRÉSIDENT :

Oui.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Puis, son enquête s'est basé sur un plaignant qui est le consommateur.

LE PRÉSIDENT :

C'est ça. Et la plainte qui est contre vous, ce n'est pas sur les inspections ou ce qui se passait autour, c'est ce sur qui s'est passé le 13 juillet.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Oui, mais qu'est-ce qui s'est passé, c'est une interprétation que Gardner a du consommateur que moi, j'ai encouragé.

LE PRÉSIDENT :

Ça, ce sera à nous à décider ça. J'aimerais vous faire remarquer qu'on vous appelle monsieur, on parle de monsieur tout le temps, alors quand vous dites « Gardner », ça fait peut-être un peu moins courtois.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Monsieur Gardner, monsieur Gardner. Je m'excuse, monsieur Gardner.

LE PRÉSIDENT :

Alors, vous comprenez que ce qui est devant nous…

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Pouvez-vous juste me dire à quel moment je vais pouvoir demander à monsieur McKenna, à quel moment…

 

LE PRÉSIDENT :

Là, c'est le moment.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

J'ai demandé : quel est le comportement de cette madame-là?

LE PRÉSIDENT :

Ça, cette question-là, vous ne pouvez pas la demander parce que ça n'a pas de rapport avec la plainte.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Aucunement, durant toute l'audition, j'ai pas le droit de demander ça à monsieur McKenna?

LE PRÉSIDENT :

Non, parce que c'est pas le bon témoin pour ça.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

C'est qui le bon témoin pour ça? C'est juste moi qui est témoin.

Le président :

Bon bien, alors vous pourrez témoigner là-dessus.

[…][41]

[73]        S'ensuit une intervention plutôt ironique d'un des membres du comité, à la suite de quoi le président reprend la parole :

Le président :

Alors, l'objection a été maintenue, vous ne pouvez pas poser ces questions-là. Prochaine question.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

J'ai terminé, monsieur, merci. J'ai terminé avec, on peut le libérer.[42]

[74]        Ce qu'on observe de ce long échange, c'est que l'on ne saura pas, en définitive, ce que recherchait l'appelant en posant sa question à M. McKenna. Toutes les interventions du président du comité, dès le moment de la formulation de l'objection de l'intimé, ont pour but d'expliquer à l'appelant que cette objection est bien fondée. Jamais il ne s'enquiert des raisons sous-jacentes à la question, jamais il ne cherche à voir ce que peut bien vouloir dire l'appelant, à qui il ne laisse aucune marge de manœuvre, s'affairant plutôt à lui montrer ce en quoi sa question n'est pas pertinente. On comprend que l'appelant se soit démonté et ait préféré passer à un autre témoin.

[75]        Avec égards, le comité, en agissant ainsi, ne s'est pas déchargé de son devoir d'assister convenablement l'appelant, statuant sur l'objection sans entendre celui-ci (alors que la question n'est pas manifestement illégale), sans lui donner le moindre lest et sans chercher à comprendre ce qui le motivait. Il ne suffit pas, comme le fait l'intimé, de dire qu'un tribunal n'a pas à « s'instituer le tuteur, le conseiller juridique ou le facilitateur de la partie qui choisit de se représenter seule »[43], car, si cela est vrai, il ne faut quand même pas qu'un tribunal mette indûment des bâtons dans les roues de la partie. La décision du comité sur l'objection, en l'espèce, était prématurée; elle a été rendue sans que l'appelant ait pu s'expliquer et sans qu'on le laisse s'expliquer, ce qui l'a privé en outre de faire une preuve sur laquelle il comptait en vue de sa plaidoirie. Peut-être l'appelant s'engageait-il dans un cul-de-sac, mais peut-être pas et le comité a fait obstacle à la démonstration, se privant lui-même de la possibilité d'y trouver des éléments d'intérêt.

[76]        Par la suite, l'appelant appelle M. Ruxanda comme témoin. Le président du comité s'empresse de lui indiquer que, s'agissant d'un interrogatoire en chef, des questions suggestives ne pourront pas être posées. L'appelant demande alors au témoin d'expliquer sa compréhension de la clause cascade du contrat de courtage. Comme il l'a fait lorsque l'appelant cherchait à poser cette même question aux plaignants en contre-interrogatoire, précédemment, l'avocat de l'intimé fait une objection qu'il retire cependant après un commentaire du président. Le témoin répond. Par la suite, l'appelant lui demande la raison pour laquelle il a signé la contre-proposition au nom de son épouse. Voici l'échange :

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

[…]

Q.           Dans la pièce P-9, pouvez-vous me dire pourquoi vous avez signé pour votre femme? Est-ce que c'est une question suggestive, ça? Pourquoi vous avez signé pour votre femme?

R.           J'ai signé que… moi, j'ai déjà répondu à matin.

LE PRÉSIDENT :

C'est ça et le Comité a bien entendu votre réponse.

LE TÉMOIN :

Je répète?

LE PRÉSIDENT :

Faites-vous une objection?

Me LUC PELLETIER :

Je vois pas l'utilité, oui, je m'objecte. Je voulais laisser passer mais si on est pour répéter tout ce qui s'est dit ce matin, on va sortir d'ici à…

LE PRÉSIDENT :

Objection maintenue. Prochaine question.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Moi, je le sais la réponse pourquoi, j'aurais aimé qu'il dise pourquoi qu'il a signé pour sa femme. Ça faisait une heure et demie qu'on était ensemble…

Me LUC PELLETIER :

Je m'objecte.

LE PRÉSIDENT :

Vous êtes en train de témoigner.

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Bon, j'ai plus rien à dire à monsieur Ruxanda.

Me LUC PELLETIER :

Pas de question.

LE PRÉSIDENT :

Merci, monsieur.

 

Me LUC PELLETIER :

Est-ce que vous libérez le témoin?

M. ANTOINE MÉNARD :

Ben oui, je peux le libérer.[44]

[77]        Il appert donc que seul l'avocat de l'intimé a pu poser au plaignant Ruxanda la question de savoir pourquoi il avait signé la contre-proposition au nom de son épouse. Comme on l'a vu précédemment, l'appelant n'a pas pu lui poser la question lors du contre-interrogatoire et, lorsqu'il l'interroge dans le cadre de sa propre preuve, on lui signale qu'il ne peut pas non plus aborder le sujet. À l'évidence, il y a ici quelque chose qui cloche.

[78]        Mme Ripa est alors rappelée à la barre des témoins, toujours à la demande de l'appelant, qui veut savoir si elle connaît la raison pour laquelle son mari a signé la contre-proposition pour elle :

M. ANTOINE MÉNARD :

Q.        Dans la pièce P-9, pouvez-vous dire pourquoi votre mari a signé pour vous?

Me LUC PELLETIER :

Je m'objecte, monsieur le président.

LE PRÉSIDENT :

C'est flagrant, là, c'est sûrement pas le bon témoin. Pourquoi une autre personne a posé tel geste…

M. ANTOINE MÉNARD, intimé :

Elle a assisté, elle était là. Un instant. J'ai une autre pièce à déposer. Malheureusement, j'ai pas fait de copie. Ce sera la pièce…[45]

[79]        Avec égards, là encore, pourquoi avoir interdit à Mme Ripa de répondre à la question? Peut-être connaissait-elle les raisons ayant amené son mari à signer pour elle, peut-être aurait-elle pu rapporter les explications données par celui-ci au sujet de la signature de la contre-proposition, ce qui aurait pu permettre, peut-être, de confronter M. Ruxanda (qui peut, soulignons-le au passage, être assimilé à la partie adverse) aux déclarations qu'il aurait faites à son épouse. Peut-être le questionnement aurait-il mené à un aveu. On imagine assez bien, vu son comportement au cours de l'audience, que l'avocat de l'intimé aurait soulevé le problème du ouï-dire, mais un comité compétent aurait pu gérer la chose, sachant faire la distinction entre ce qui relève du ouï-dire et ce qui n'en relève pas et connaissant les exceptions à l'interdit de principe.

[80]        L'appelant n'aura pas plus de succès avec ses autres questions à Mme Ripa, de sorte qu'après quelques minutes, il libérera le témoin. Il en fera entendre un autre par la suite (il échouera à faire entendre le syndic, qu'il voulait, sans droit, interroger sur divers aspects de l'enquête), avant de témoigner lui-même dans le sens que l'on a vu précédemment.

[81]        Il ressort de tout cela que l'appelant n'a jamais véritablement eu l'occasion, que ce soit en interrogatoire ou en contre-interrogatoire, de questionner ses anciens clients sur la signature de la contre-proposition. Il y a là une anomalie, vu qu'il s'agit de l'élément crucial du premier chef d'accusation porté contre l'appelant. On peut bien penser qu'en fin de compte, les réponses à toutes ces questions n'auraient pas favorisé la thèse de l'appelant, mais on ne pouvait pas l'empêcher de tenter au moins de poser aux plaignants des questions qui avaient pour objectif de miner leur crédibilité ou d'asseoir la sienne. On l'a même empêché de tenter de faire une preuve relative à des faits postérieurs qui auraient pu éclairer la conduite des plaignants en qualifiant prématurément (voire précipitamment) ces faits de non pertinents, alors que l'on n'avait pas la moindre idée de ce qu'il entendait démontrer.

[82]        En définitive, la conclusion s'impose : en raison de l'attitude rigide du comité, de ses décisions erronées et de ses explications insuffisantes et parfois malavisées, l'appelant n'a pas vraiment eu l'occasion d'interroger ni de contre-interroger les plaignants (sans parler du témoin McKenna), ce qui, dans les circonstances, vicie le processus.

[83]        Dire cela, bien sûr, n'est pas dire que toute erreur d'un tribunal administratif dans la conduite d'une audience ou l'accomplissement du devoir limité d'assister un justiciable non représenté enfreindra la justice naturelle. Mais si ces erreurs ont un impact sur l'équité du processus[46], comme c'est ici le cas, il y a alors une contravention qui doit entraîner la cassation de la décision.

[84]        Nous n'avons pas à spéculer sur ce qu'auraient pu dire ou ne pas dire les plaignants ou le témoin McKenna en réponse aux questions de l'appelant ni sur la manière dont le comité aurait alors évalué la crédibilité de ce dernier. Le fait est que le comité a procédé à cet exercice d'appréciation sans avoir permis à l'appelant de faire toute sa preuve et, notamment, de tenter d'attaquer la crédibilité des plaignants, enfreignant ainsi la règle audi alteram partem et minant l'équité de toute la procédure. Comme l'explique le juge Lamer dans Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque[47] :

            En second lieu, et de façon plus fondamentale, les règles de justice naturelle consacrent certaines garanties au chapitre de la procédure, et c'est la négation de ces garanties procédurales qui justifie l'intervention des tribunaux supérieurs.  L'application de ces règles ne doit par conséquent pas dépendre de spéculations sur ce qu'aurait été la décision au fond n'eût été la négation des droits des intéressés.  Je partage à cet égard l'opinion du juge Le Dain qui affirmait, dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 , à la p. 661:

... la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente.  Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit.

[85]        J'estime que cette entorse à la justice naturelle affecte non seulement les conclusions du comité sur la culpabilité de l'appelant au premier chef d'accusation, mais aussi ses conclusions sur le second, qui s'inscrit dans un contexte découlant de la culpabilité à la première infraction. Il en va de même des conclusions sur la sanction.

[86]        L'affaire devra donc être reprise à nouveau devant le comité de discipline. Pour éviter tout embarras et toute apparence de partialité, il conviendra que le comité soit constitué de membres autres que ceux qui ont déjà statué sur le dossier[48].

B.        Autres moyens d'appel

[87]        L'appelant a fait valoir d'autres moyens d'appel, comme on l'a vu, sur lesquels il n'y a pas lieu de statuer, sinon pour un commentaire qui permettra d'éviter la reprise du débat sur la compétence du comité à se saisir du second chef d'accusation.

[88]        S'il est vrai que l'arrêt Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc.[49] établit que les décisions du comité de discipline de l'intimé doivent en principe être examinées selon la norme de la décision raisonnable, il est vrai également qu'en matière de compétence au sens strict (vires), c'est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée, ainsi que le rappelle la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[50]. Qu'en est-il ici?

[89]        Tel qu'indiqué plus haut, l'appelant soutient que le comité de discipline ne pouvait se saisir du second chef d'infraction, au sujet des mises en demeure, le fait reproché constituant l'exercice d'un droit — et même d'une obligation — prévu par le Code civil du Québec. Selon l'appelant, seul peut statuer sur l'opportunité de ces mises en demeure le tribunal appelé à se prononcer sur l'action en justice intentée contre ses anciens clients en vue de récupérer la commission qui lui est due. Décider autrement serait risquer des jugements contradictoires. Par conséquent, à l'égard de ce second chef, les décisions du comité de discipline sur la culpabilité et la sanction sont ultra vires et nulles.

[90]        À l'instar du juge de première instance, qui s'en explique aux paragraphes 31 à 39 de son jugement, je suis d'avis que le comité pouvait se saisir de la question de savoir si, en l'occurrence, l'envoi des mises en demeure constituait ou pas une faute déontologique.

[91]        L'envoi d'une mise en demeure est sans doute une exigence formulée par le Code civil du Québec et un droit qui s'exerce préalablement à une action en justice, mais rien n'empêche qu'un tel envoi mette aussi en jeu certains principes déontologiques. La véritable question qui se pose ici est la suivante : l'appelant a-t-il abusé de son droit ou utilisé celui-ci à mauvais escient en agissant comme il l'a fait, commettant ainsi une faute déontologique? Le comité de discipline avait toute compétence pour décider du caractère abusif ou injustifié des mises en demeure et trancher la question de savoir si, dans les circonstances, leur envoi pouvait enfreindre l'article 13 des Règles.

[92]        Vu ma conclusion sur la justice naturelle, il n'y a pas lieu, bien sûr, de statuer sur le caractère raisonnable ou déraisonnable des décisions du comité sur la culpabilité et la sanction, pas plus qu'il n'y a lieu de se demander si l'appelant peut être déclaré coupable du premier chef d'accusation même dans l'hypothèse où l'on retiendrait sa version des faits quant aux circonstances de la signature de la contre-proposition (ce qu'il reviendra au comité de discipline de décider, le cas échéant).

* *

 

 

 

[93]        Pour ces raisons, je suggère d'accueillir l'appel, d'infirmer le jugement de la Cour du Québec, de casser les décisions du comité de discipline et, sur les deux chefs d'accusation portés contre l'appelant, de renvoyer l'affaire devant ce comité, qui devra toutefois être composé de membres autres que ceux qui ont déjà statué.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     Aujourd'hui « Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec ». Voir : Loi sur le courtage immobilier, L.R.Q., c. C-73.2, (L.Q. 2008, c. 9, entrée en vigueur le 1er mai 2010), art. 31 et s.

[2]     R.R.Q., c. C-73.1, r. 5.

[3]     Pièce P-9. On peut raisonnablement supposer que le mot illisible est le prénom de M. Ruxanda (Ioan).

[4]     Témoignage de l'appelant, 24 avril 2008, p. 185 des notes sténographiques.

[5]     Id. Voir aussi la p. 186 des notes sténographiques.

[6]     Témoignage de M. Elvio Delli Colli, 24 avril 2008, p. 172 des notes sténographiques. Voir aussi, dans le même sens général, la p. 175 des notes sténographiques.

[7]     On notera que le 25 avril 2008, c'est-à-dire dès le lendemain de l'audience, l'appelant a voulu produire les documents en question. Il fait allusion à cette démarche dans sa lettre du 29 avril.

[8]     Décision du 12 mai 2008, paragr. 19.

[9]     Id.

[10]    Le comité « prononce la suspension conditionnelle des procédures en regard des autres articles cités dans les chefs 1 et 2 de la plainte » (décision du comité de discipline, 17 juillet 2008, p. 10 in fine).

[11]    Décision du comité de discipline, 17 juillet 2008, paragr. 80.

[12]    Ibid., paragr. 81.

[13]    Ibid., paragr. 78.

[14]    L.R.Q., c. C-73.1.

[15]    L.R.Q., c. C-26.

[16]    « Requête en appel d'une décision sur sanction du comité de discipline de l'association des courtiers et agents immobiliers du Québec (article 136 Loi sur le courtage immobilier) ».

[17]    Jugement de la Cour du Québec, 28 mai 2010, paragr. 29 et 30.

[18]    [2009] R.J.Q. 655 .

[19]    2006 CAF 166.

[20]    [1990] 3 R.C.S. 892 .

[21]    Exposé additionnel de l'intimé, paragr. 3.

[22]    Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, précité, note 20, p. 972.

[23]    [2002] 1 R.C.S. 249 , paragr. 74 et s.

[24]    [2007] R.J.Q. 903 (C.A.).

[25]    2010 QCCA 1079 , J.E. 2010-1087 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2011-01-27, 33860).

[26]    Voir en ce sens : Cascades Conversion inc. c. Yergeau, 2006 QCCA 464 , [2005] C.L.P. 1739 , paragr. 33 et s.

[27]    Voir par exemple : Murphy c. Chambre de la sécurité financière, précité, note 25, paragr. 43.

[28]    Voir aussi : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 .

[29]    Voir les articles 126 à 161 du Code des professions, applicables au comité en vertu de l'article 135 de la Loi sur le courtage immobilier, telles que ces lois étaient en vigueur à l'époque.

[30]    2010 QCCA 2137 , [2010] R.J.D.T. 1076 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2011-06-16, 34081).

[31]    2008 QCCA 936 , B.E. 2008BE-699 , paragr. 13 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2008-10-23, 32730).

[32]    Voir à ce sujet : Yves Ouellette, Les tribunaux administratifs au Canada. Procédure et preuve, Montréal, Les Éditions Thémis inc., 1997, p. 358; Patrice Garant, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2010, p. 667 et s.; David Phillip Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, Toronto, Carswell, 2009, p. 301 et s., notamment à la p. 302.

[33]    Notes sténographiques de l'audience du 24 avril 2008, p. 34.

[34]    Ibid., p. 9 à 12 et 14.

[35]    Ibid., p. 38.

[36]    Id.

[37]    Ibid., p. 41.

[38]    Ibid., p. 41-42.

[39]    Ibid., p. 42.

[40]    Ibid., p. 56-57.

[41]    Notes sténographiques de l'audience du 24 avril 2008, p. 109 à 116.

[42]    Ibid., p. 117.

[43]    Exposé additionnel de l'intimé, paragr. 30.

[44]    Notes sténographiques de l'audience du 24 avril 2008, p. 151-152.

[45]    Ibid., p. 156.

[46]    Voir à ce sujet : Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471 , à la p. 491.

[47]    Précité, note 46, p. 493.

[48]    Voir par analogie : Montréal (Ville de) (arrondissement Côte-St-Luc—Hampstead—Montréal-Ouest) c. Syndicat canadien des cols bleus regroupés de Montréal, 2006 QCCA 412 , J.E. 2006-746 , paragr. 67; Syndicat des professeures et professeurs du Collège Édouard-Montpetit c. Collège Édouard-Montpetit, 2011 QCCA 561 , J.E. 2011-661 , paragr. 8; Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, précité, note 46, p. 493-494.

[49]    [2008] 2 R.C.S. 195 .

[50]    [2008] 1 R.C.S. 190 , paragr. 36, 50 et 59.

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