[1] L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 8 janvier 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Michel A. Caron), rejetant l'action du demandeur avec dépens.
[2] Pour les motifs des juges Wagner et Pelletier, auxquels souscrit le juge Claude C. Gagnon (ad hoc), LA COUR :
[3] REJETTE l'appel avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE WAGNER |
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[4] L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 8 janvier 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'hon. Michel A. Caron), qui l'a débouté de son recours au montant de 47 400 000 $, avec dépens.
[5] La trame factuelle à l'origine de ce litige est tout aussi exceptionnelle que surprenante et a entraîné une audition de plus de 47 jours en première instance.
REMARQUES PRÉLIMINAIRES
[6] Avant d'aborder l'examen des principaux moyens d'appel, quelques remarques préliminaires s'imposent en raison de certains commentaires et allégations des avocats de l'appelant.
[7] Dans leur plaidoirie écrite, reprise en partie oralement à l'audition, les avocats de l'appelant soutiennent que l'intimé, le procureur général du Canada, a fait preuve de mauvaise foi et d'abus de droit. Ils allèguent aussi que le juge de première instance était l'employé de ce dernier, invitant ainsi la Cour, sans trop de subtilité, à conclure que le juge était également de mauvaise foi et partial.
[8] À plusieurs reprises, tant dans leur mémoire que devant la Cour, ces avocats ont soutenu en des termes peu flatteurs que le juge était incompétent ou tout simplement de mauvaise foi et que, sciemment, dans le cadre de son analyse, il avait fait abstraction de la preuve appuyant les prétentions de l'appelant.
[9] Ce dossier, si délicat soit-il, ne peut justifier des commentaires tels que ceux formulés par les avocats de l'appelant. C'est une chose de soutenir, même avec vigueur, qu'un jugement est erroné ou mal fondé, mais c'en est une autre de formuler des commentaires aussi méprisants et indignes envers le juge.
[10] À titre d'exemple, ces avocats reprochent au juge d'avoir refusé de trancher, au stade préliminaire, la requête en irrecevabilité présentée par les intimés pour rejeter l'action de leur client en raison de la prescription. Ils y voient là un autre signe de mauvaise foi et d'abus de la part du premier juge.
[11] Or, il est acquis qu'un recours ne sera rejeté au stade préliminaire que de manière exceptionnelle. La politique judiciaire, à défaut d'une règle précise, vise à laisser la chance au coureur en permettant au tribunal, au fond, de recevoir et d'apprécier toute la preuve pertinente avant de trancher la question de la prescription. Il s'agit d'un enseignement bien connu des plaideurs que le juge a respecté. Peu importe que ces allégations relèvent d'une méprise des avocats quant à la règle de droit ou qu'elles témoignent d'une intention malicieuse de leur part : dans tous les cas, ces commentaires sont inacceptables et susceptibles de porter atteinte à l'intégrité du système judiciaire.
[12] Ces propos surprennent d'autant que la présentation de la preuve par ces mêmes avocats a elle-même induit la Cour en erreur, particulièrement dans un document intitulé Plan d'argumentation qu'ils ont déposé séance tenante. En effet, à plusieurs reprises, ils y présentent d'une manière pour le moins créative certains extraits de la preuve afin d'appuyer leurs arguments.
[13] À titre d'exemple, ils citent l'extrait suivant du témoignage de l'agent Jack Dop à l'appui de leur prétention selon laquelle ce dernier aurait menti en première instance en affirmant que l'appelant lui avait apporté 3 kg d'héroïne de Thaïlande pour inspection :
The first accused, Alain Olivier, brought three kilograms (3kg) of heroin being taken from Thailand to Mr. Bennett and me for examination. The deal was settled at fourteen thousand U.S. per kilogram (14,000 US/KG) but their price could be negotiated in Thailand? (Vol. 38, Dop at trial October 2, 2007 at page 11923 - lines 21-25 & at page 11924 - lines 1-6).
[14] Toutefois, cet extrait, lorsque mis en contexte, est rédigé en ces termes :
Q- Okay. And also, if we get to page 4 of the same document, Tab 9 of D-41… D-42 Amended, excuse me, halfway down they say:
"They found that the first accused, Alain Olivier, and Michel Beaulieu had conflicts with each other about the heroin. In the said meeting there was a deal to buy heroin at an amount of five kilograms (5 kg) from the first accused, meaning Alain Olivier.
The first accused, Alain Olivier, brought three kilograms (3 kg) of heroin being taken from Thailand to Mr. Bennett and me for examination. The deal was settled at fourteen thousand U.S. per kilogram (14,000 US/KG) but their price could be negotiated in Thailand."
Do you recall saying that?
A- I wouldn't have said anything like that at all, Your Honour.
(je souligne)
[15] Le passage cité par l'appelant ne fait pas partie du témoignage de M. Dop, mais s'inscrit plutôt dans un extrait de la question posée par l'avocat, qui renvoie à des propos qui sont par ailleurs formellement niés par le témoin.
[16] Également, les avocats de l'appelant citent l'extrait suivant pour appuyer leur prétention selon laquelle M. Dop aurait fourni de fausses informations aux autorités thaïlandaises concernant la réception par leur client de 10 000 $ en contrepartie de la transaction d'héroïne:
Q. …Right there were you trying to implicate him that he was supposed to take… ten thousand dollars ($10,000) as a side of the transaction?
A. I was…
Q. Why were you doing that?
A. I was asking to see if he was getting an end from the Thai sources.
Q. Okay. And here he says he's not taking anything. You… did you have any evidence that he was going to get any money whatsoever from the Thais in this thing?
A. I… no, Your Honour, I made that…
[17] Toutefois, en poursuivant la lecture du témoignage, l'extrait cité est incomplet et sa lecture intégrale prend un tout autre sens:
Q. …Right there were you trying to implicate him that he was supposed to take… ten thousand dollars ($10,000) as a side of the transaction?
A. I was…
Q. Why were you doing that?
A. I was asking to see if he was getting an end from the Thai sources.
Q. Okay. And here he says he wasn't getting an end?
A. I didn't expect him to admit that.
Q. Okay. And here he says he's not taking anything. You… did you have any evidence that he was going to get any money whatsoever from the Thais in this thing?
A. I… no, Your Honour, I made that… I made that decision, if I could call it that, based on we had seventy thousand dollars ($70,000.00), it looks like we were now paying sixty (60) to the Thais, but we had then that was coming along. And the conclusion I drew is that that would be for Mr. Olivier. He wanted to stay close to the money. He wanted to count the money.
(je souligne)
[18] Force est de constater que les passages omis par les avocats de l'appelant, soulignés dans l'extrait, changent substantiellement le sens des propos du témoin.
[19] Finalement, les avocats de l'appelant réfèrent à plusieurs extraits de la preuve où les agents de la GRC qualifient leur client de « low life doper » et en font grand cas pour démontrer qu'ils savaient, et ce, dès le début de l'opération, que ce dernier n'était pas un trafiquant d'héroïne de grande envergure, mais un simple « junkie ». Toutefois, il ne semble pas que ce soit le seul sens à donner à cette expression:
Q- Well, "low life doper" is your expression, I'm just taking…
A- My expression…
Q- …from the…
A- Exactly.
Q- … former examination.
A- Exactly. My expression of someone involved in the drug world. I mean, technically, once we had some believe, even at the very beginning, when he claims he can do.. wants to go to Thailand, has been to Columbia, et cetera, once he's in that drug world, as far as my terminology, for the sake of argument, he's a doper, drug trafficker, importer, whatever. And I don't hold him very high in my esteem. They're a menace to society, actually.
Q- And "low life"?
A- If they're a menace to society, that would put them a low life.
Q- So anybody involved in the drug world is a low life?
A- That's…
Q. They're all low life dopers? Is that…
A- If they're involved making their money off drugs, whether they're in a business somewhere making millions of dollars or down at the low end, they're all the same.
Q- It's all low life dopers?
A- They're all low life dopers to me. (…)
[…]
Q- Okay. I'm asking you, did you not… did you or did you not know that he was nothing more than a low-life doper bleeding off his friends?
A- Low-life doper is a terminology regardless of where he's…
Q- And…
A- … from my point… hang on. From my point of view, if you want… I refer to him as a low-life doper. If you are doing tens of thousand of dollars in kilos of narcotics, in my world, you're a low-life doper.
(je souligne)
[20] En conséquence, le fait que les agents de la GRC aient, à de nombreuses reprises, qualifié l'appelant de « low life doper » n'a pas tout à fait l'impact que les avocats de l'appelant tente de lui donner et ne permet pas de tirer les inférences qu'ils avancent.
[21] À l'évidence, et en dépit des ordonnances du tribunal de première instance et de cette Cour, les avocats de l'appelant ont inséré dans leur mémoire des éléments de preuve qui n'avaient pas été autorisés en première instance, ni en appel, à telle enseigne qu'une certaine confusion s'est installée à l'audition sur l'existence réelle des éléments de preuve évoqués.
[22] Il s'agit notamment des transcriptions de certains témoignages rendus dans le cadre des procès R. c. Whellihan[1] et R. c. Cahill[2], deux autres individus arrêtés et accusés dans le cadre de l'opération Déception. Les transcriptions sont reproduites en liasse en annexe du mémoire de l'appelant.
[23] En première instance, l'appelant a présenté des requêtes afin de produire en preuve ces dépositions à titre de témoignage. La requête a été accordée, de consentement, en ce qui a trait aux dépositions de Glen Barry.
[24] Par la suite, les parties ont consenti à la production de certaines pièces. Les transcriptions des dépositions de deux témoins décédés ont été déposées de consentement le 29 octobre 2007. Il en va de même pour les individus qui témoigneront au procès. Pour le reste, force est de constater que la pièce P-51, telle que reproduite au mémoire de l'appelant, ne devait pas s'y trouver.
[25] De plus, les avocats de l'appelant ont préparé un document qui prend la forme d'un index de la documentation déposée en preuve concernant une enquête impliquant la GRC et Alain Olivier, qui a été expressément exclue de la preuve en première instance. Les avocats des appelants ont fait fi de cette décision en joignant ce document à leur mémoire d'appel.
[26] Finalement, l'appelant a reproduit dans son mémoire un document intitulé Subject Reference Guide. Il s'agit essentiellement d'un plan d'argumentation soumis au juge de première instance par ses avocats lors de la plaidoirie du 22 novembre 2007. La production de ce document ne pose pas problème, si ce n'est que les avocats de l'appelant réfèrent dans leur argumentation à des prétentions comme s'il s'agissait d'éléments de preuve, alors que ce n'est pas le cas, bien que le document contienne certains extraits de preuve admis au procès.
[27] Sans exprimer d'opinion quant à la véracité ou à l'admissibilité de ces informations, la technique me paraît maladroite et susceptible d'induire la Cour en erreur. Pourquoi choisir d'y référer plutôt que de diriger le lecteur directement à la preuve au dossier? Ces références sont trop nombreuses pour les énumérer. Qu'il suffise de souligner qu'à elles seules, les cinq premières pages du mémoire de l'appelant en contiennent près d'une quinzaine!
[28] Ainsi, sans que cela ait d'incidence quant à l'analyse des moyens d'appel, l'attitude, les propos et les écrits des avocats de l'appelant doivent être dénoncés puisqu'ils sont de nature à susciter le discrédit du système de justice, en apparente contravention avec les meilleures pratiques devant les tribunaux.
LE CONTEXTE
[29] La trame factuelle de cette affaire est tout sauf banale. Elle a entraîné dans son sillon le décès, tout aussi tragique qu'inutile, d'un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et l'incarcération de l'appelant, en Thaïlande, dans des conditions excessivement pénibles.
[30] La preuve quant aux éléments essentiels du dossier n'est pas contredite. Cela dit, l'appelant demande néanmoins à la Cour de revoir toute la preuve et de conclure à la responsabilité des intimés. Il avance que le premier juge a occulté une partie importante de cette preuve et qu'il s'agit là d'une erreur manifeste et dominante dans l'exercice de sa discrétion.
[31] Je rappelle que le rôle d'une cour d'appel n'est pas de substituer son appréciation de la preuve à celle du juge d'instance, à moins d'identifier une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante. Or, ici, ce n'est pas tant la preuve acceptée par le premier juge qui pose problème, selon l'appelant, mais plutôt celle qu'il aurait omis de considérer.
[32] Une chose est certaine, la preuve ne laisse aucun doute quant au cheminement particulier de l'appelant depuis son adolescence. Il admet lui-même son passé trouble. Il a fait usage de stupéfiants de façon régulière et a vécu dans un état oisif et délinquant toute sa vie. Il soutient cependant qu'il n'est pas le criminel de haut niveau auquel s'intéressaient les autorités policières, que ces dernières ont abusé de la situation et qu'elles auraient dû, conformément à leur propre politique interne, mettre un terme à leur enquête lorsqu'il est devenu évident qu'il n'était que du menu fretin.
[33] Selon l'appelant, les autorités l'ont poussé à se rendre en Thaïlande, sachant fort bien qu'il n'était qu'un toxicomane sans envergure, au risque pour lui de se faire arrêter dans ce pays où, à la connaissance de tous, les conditions d'incarcération sont très difficiles.
[34] Bref, l'appelant admet son affection pour la drogue et concède qu'il s'est bien rendu en Thaïlande pour faciliter le trafic et l'importation d'héroïne, mais plaide qu'il n'avait rien d'un trafiquant d'envergure et qu'il craignait pour sa vie. Il n'aurait jamais autrement collaboré avec les agents doubles de la GRC qui auraient dû abandonner leur mission une fois satisfaits qu'il n'était pas le délinquant d'envergure qu'ils croyaient.
[35] À l'évidence, la crédibilité de l'appelant est mise à mal par le premier juge. Il ne croit pas les raisons invoquées par ce dernier pour expliquer sa collaboration enthousiaste avec les agents de la GRC. Il croyait que ces derniers étaient des membres en règle du crime organisé.
[36] À l'origine, l'opération Déception était vouée à l'infiltration d'un réseau de trafic de stupéfiants et autorisait la GRC à remonter la filière thaïlandaise pour démanteler et arrêter les individus impliqués dans le réseau. Or, la preuve a établi que l'appelant n'était pas un trafiquant d'envergure et que, selon l'interprétation que ce dernier donne à certaines directives internes de la GRC, l'opération aurait dû cesser. Cela aurait évité à la fois l'arrestation de l'appelant en Thaïlande et toutes les conséquences dramatiques qui en ont découlé.
[37] Rien dans ces propos ne saurait traduire une quelconque tolérance à l'égard du trafic et de l'importation d'une drogue comme l'héroïne, fléau dont les dommages directs et collatéraux sont trop souvent ignorés ou banalisés. La lutte contre le trafic et l'importation de stupéfiants, incluant l'infiltration du crime organisé, est un exercice périlleux mais essentiel au maintien de l'ordre et de la paix sociale au pays.
[38] Cependant, si noble soit-elle, cette lutte doit toujours être marquée au coin de la raison, au risque de donner lieu à des dérapages tragiques qui, en l'espèce, ont entraîné la mort inutile d'un agent de la paix et l'incarcération dans des conditions extrêmement pénibles d'un délinquant dont le profil ne justifiait peut-être pas, en rétrospective, l'énergie et les moyens consacrés par les autorités.
[39] Les principaux éléments de cette saga sont bien résumés par le juge de première instance :
[7] Olivier est né le […] 1959; il a obtenu un certificat d'études secondaires à la polyvalente Félix-Leclerc de La Tuque. Son curriculum vitae indique aussi un diplôme de garde forestier et d’arpenteur-géomètre ainsi que des études en musique.
[8] En janvier 1984, Olivier décide de déménager à Vancouver où il travaille durant quelques mois dans le domaine de la construction; il séjourne aussi à Banff et déménage ensuite dans une petite ville du nom de Gibsons, BC, en août 1985.
[9] À cette époque, il partage une maison avec un ami d'enfance, Louis Arguin. Du mois d'août 1985 au mois de février 1986, Olivier ne travaille pas. En février 1986, il décide d'aller travailler en forêt, pour planter des arbres, jusqu'au mois de novembre 1986. C'est Michel Beaulieu (ci-après «Beaulieu») qui le présente à son nouvel employeur.
[10] À l'automne 1986, Olivier entreprend un voyage en Asie; le premier arrêt est à Bangkok où il rejoint son ami Beaulieu. La description du voyage lors du procès révèle que la consommation de drogues était alors le principal intérêt. À cette époque et depuis plusieurs années, le demandeur fume de la marijuana à peu près tous les jours et il consomme de la cocaïne régulièrement. L'expérience de l'héroïne est alors pour lui une révélation : « comme un petit oiseau ».
[11] Durant ce voyage en Asie, héroïne et opium sont à l'agenda. Au début décembre 1986, Beaulieu et Olivier sont à Chiangmai, Thaïlande et un peu avant Noël 1986, Beaulieu a des problèmes avec les policiers locaux; Beaulieu quitte la Thaïlande pour se rendre au Népal à Katmandou où Olivier va le rejoindre quelques jours plus tard. Olivier ne vit pas dans la richesse et ses revenus proviennent principalement de l'assurance-emploi qu'il reçoit au Canada.
[12] À la fin janvier 1987, Beaulieu retourne au Canada grâce à une avance de fonds obtenue du consulat de la Grande-Bretagne. À son tour, Olivier décide de retourner au Canada et fait également une demande auprès du consulat de la Grande-Bretagne afin d'acheter un billet d'avion et d'autres biens. Il revient au Canada le 2 février 1987 transportant avec lui 7 à 10 grammes d'héroïne destinés à sa consommation personnelle, pour tenter d'assurer un sevrage modéré.
[13] Dès les premiers jours de son retour à Gibsons, un de ses amis le présente à Barry qui se décrit comme un pêcheur ayant travaillé à Campbell River, BC. Barry dit avoir alors l'intention de démarrer une société commerciale pour effectuer des voyages de pêche et la location de son bateau.
[14] Après une période difficile causée par la consommation d'héroïne, Olivier reprend le chemin de la forêt en mars 1987 mais la plantation d'arbres ne dure pas longtemps puisqu'il se blesse à l'œil au mois d'avril 1987. Il retourne alors à Gibsons et va résider sur le bateau de Barry.
[15] Barry n'est pas membre de la GRC. C'est un indicateur qui a déjà collaboré avec la GRC quelques années auparavant. Son nom est fictif et auparavant il portait le nom de Jean-Marie Leblanc.
[16] Un certain lien d'amitié se crée entre Barry et Olivier. Barry a d'ailleurs demandé à Olivier de participer dans son entreprise à être mise sur pied et Olivier y a vu un intérêt à long terme.
[17] Olivier confirme qu’à cette époque tout allait pour le mieux y compris la pêche; selon Olivier, Barry et lui consommaient régulièrement de la cocaïne et tous les matins, ils fumaient de la marijuana en prenant un café.
[18] Jusqu'au mois de juillet 1987, Olivier n'est pas connu des policiers.
[19] En mai 1987, Barry communique avec le sergent Barry Bennett de la GRC (ci-après « Bennett »). Barry fait part à Bennett qu’Olivier a des contacts pour acheter de l'héroïne en Asie et importer de la cocaïne de Colombie.
[20] Le 18 juillet 1987, Barry organise la première rencontre entre Olivier et Bennett. Bennett est alors accompagné du sergent Denis Massey (ci-après « Massey ») et dès cette première rencontre, il est question d’importer de l’héroïne. Olivier aurait alors indiqué que son seul contact était un conducteur de tuk-tuk en Thaïlande. Bennett aurait mentionné à Olivier qu’il était dans le marché de la cocaïne, mais voulait importer de l'héroïne. La conversation aurait duré entre six et dix minutes selon Olivier; en tout ils auraient été vingt minutes, dans un endroit public non loin de Gibsons. Barry n'a pas participé à la conversation.
[21] Au procès, Olivier a clairement indiqué que les deux policiers Massey et Bennett lui semblaient être des trafiquants de drogues.
[22] Pour sa part, Bennett décrit cette première rencontre de façon précise, en référant à ses notes écrites. La preuve a révélé que les policiers devaient prendre des notes durant l’opération policière; les notes ont été déposées au dossier de la cour.
[23] Bennett se souvient qu’il s’agissait alors d’une occasion de rencontrer Olivier et une indication d'intérêt aux fins d'une transaction éventuelle. Olivier lui aurait confirmé avoir une source en Thaïlande pour de l’héroïne pure.
[24] En juillet 1987, « Opération Déception » n'est pas encore approuvée par les autorités de la GRC.
[25] Après cette première rencontre, Olivier et Barry font un voyage de pêche au cours duquel Barry aurait clairement confirmé à Olivier que ses amis cherchaient une source d'héroïne. La possibilité pour Olivier d'aller en Thaïlande pour présenter ses amis à une source d'héroïne aurait alors été évoquée par Barry.
[26] Quelques jours plus tard survient un événement très important. Alors qu’Olivier est à la marina, Bennett se présente avec une autre personne et ils partent avec le bateau de Barry pour une excursion dans la région de Nanaimo. Quelques jours plus tard, Bennett revient seul. Olivier découvre alors deux cartouches vides et la présence de sang sur le plancher du bateau. Barry laisse entendre assez clairement à Olivier qu'il y a eu un meurtre. Pour sa part, Bennett explique être parti avec son frère visiter sa famille et être retourné seul deux jours plus tard parce que la mer était trop houleuse.
[27] Si d'une part Olivier soumet au Tribunal qu'il a ressenti une véritable peur, d'autre part les défendeurs, particulièrement Bennett, réfèrent à l'incident comme étant un incident non prévu mais sans conséquence quant au déroulement de l'opération policière. Bennett aurait avisé Barry de ne pas agir ainsi et la preuve révèle que l'incident n'a jamais été discuté entre Olivier et Bennett.
[28] Cet événement est crucial aux yeux d’Olivier qui insiste qu'il s'agit alors du début d'un régime de terreur qui se poursuivra jusqu'à son arrestation en Thaïlande en février 1989.
[29] Bennett rencontrera Olivier une deuxième fois, quelques mois plus tard, en janvier 1988. Entre-temps, à la fin août 1987, Olivier va travailler à Eggmont, BC, mais pour quelques mois seulement, Olivier ayant un nouvel accident de travail (dislocation de l'épaule) au mois de novembre 1987.
[30] Entre août et novembre 1987, Barry visite Olivier chaque semaine et la fin de semaine, Olivier retourne à Gibsons, où il réside sur le bateau de Barry. Durant cette période, Olivier continue de fumer de la marijuana tous les jours, consomme de la cocaïne régulièrement et recommence la consommation d’héroïne.
[31] En septembre 1987, un premier « Operation Plan » est préparé par les policiers. Plusieurs individus sont ciblés dont Olivier. Ce plan interne et secret identifie Olivier comme étant un importateur d'héroïne et de cocaïne et bien que sa date de naissance soit exacte, on y retrouve un numéro d'identification erroné laissant croire qu'il a un casier judiciaire; c'est plutôt son frère jumeau qui avait alors un casier judiciaire.
[32] En décembre 1987, Beaulieu revient à Gibsons. Beaulieu et Olivier décident de retourner à Drummondville pour Noël. Durant cette période, Barry reste en contact avec de nombreuses communications téléphoniques, au cours desquelles Olivier dit avoir reçu des menaces.
[33] Le 15 janvier 1988, Olivier retourne à Vancouver et se tient alors la deuxième rencontre à laquelle participent Bennett, Massey et Barry.
[34] Pour Olivier, on y discute la vente de champignons à Montréal, la possibilité de blanchiment d'argent en relation avec un salon de coiffure et la possibilité d'un voyage en Thaïlande. Olivier se souvient qu'il y a aussi discussion concernant l'importation de plusieurs kilos d'héroïne et que dans une telle éventualité il aurait droit à 10 %. Pour Bennett, la discussion est plus précise. On y discute plutôt la difficulté de vendre les champignons à Montréal et l'importation de 5 à 10 kilos d'héroïne de Thaïlande. Bennett a consigné les faits dans ses notes écrites le lendemain et au procès il a confirmé les discussions concernant l'importation d'héroïne, le contact en Thaïlande, la quantité recherchée (entre 5 et 10 kilos) et la méthode d'importation.
[35]
C'est la première rencontre depuis le mois de juillet 1987 et la
prochaine rencontre n'a lieu qu'au mois de mars 1988. Entre-temps, à son
retour le 15 janvier 1988, Olivier
va résider à Gibsons, chez Barry,
jusqu'à la fin février 1988.
Il déménage ensuite chez Michael Cahill (ci-après « Cahill »), à
Vancouver et de mars à juin 1988, il travaille dans le domaine de la
construction; durant cette période, Olivier
explique qu'il consomme beaucoup : de la marijuana tous les jours, de la
cocaïne trois à quatre fois par semaine et, à l'occasion, un mélange
cocaïne-héroïne.
[36] La rencontre du 24 mars 1988 fait suite à une conversation téléphonique entre Bennett et Olivier, Bennett suggérant une rencontre au Queen Elizabeth Park à Vancouver. D'après Olivier, Massey fait alors pression pour accélérer les démarches eu égard à la transaction rappelant que Massey veut une source d'introduction. Pour sa part, Bennett souligne et indique dans ses notes qu’Olivier ne veut pas partir à cette période de l'année, Olivier suggérant plutôt le mois de septembre. Bennett indique aussi avoir demandé à Olivier de lui suggérer quelqu'un d'autre car son groupe voulait procéder sans délai.
[37] Olivier témoigne qu'à la fin février 1988, avant de déménager à Vancouver, il fait des démarches pour l'obtention d'un passeport. Il est alors en dette envers la Grande-Bretagne à la suite de son voyage en Thaïlande en 1986; il obtient un passeport, mais il aurait perdu ce passeport le jour même de son obtention. En avril 1988, il fait d'autres démarches pour un nouveau passeport; il ne prendra possession d'un nouveau passeport qu'à la fin 1988 après avoir remboursé sa dette envers la Grande-Bretagne.
[38] Au début mai 1988, Barry aurait indiqué à Olivier que Massey pensait le liquider parce que le projet n'avançait pas à un rythme acceptable. Olivier rencontre Massey et Bennett et d'après Olivier, il aurait alors indiqué être prêt à aller en Thaïlande dans un délai de deux ou trois semaines, n'ayant pas de passeport au moment de la rencontre. Les notes de Bennett indiquent que la rencontre a eu lieu sur le trottoir non loin d’où habitait Olivier. Cette rencontre a été enregistrée
[39] Dans les jours et les semaines qui suivent, Bennett et Olivier discutent blanchiment d'argent et importation d'héroïne. Olivier a indiqué au Tribunal qu'il consommait alors beaucoup et n'avait pas d'argent. Le 27 mai 1988, il y a une nouvelle rencontre et elle est aussi enregistrée.
[40] À cette rencontre, Bennett est seul avec Olivier et durant la discussion, Olivier indique qu'il attend alors 1 000 livres de « Thaï weed »; au procès, Bennett indique qu'il laisse parler Olivier.
[41] Le 2 juin 1988, il est question d’entreposer le « Thaï weed » et la discussion se précise concernant la Thaïlande. Olivier fait maintenant référence à une autre source en Thaïlande et on y discute certains détails, dont le prix du billet d'avion.
[42] Le 8 juin 1988, il y a discussion concernant le passeport d’Olivier et ses problèmes de santé (hépatite). Il est aussi question de plusieurs détails concernant le projet en Thaïlande.
[43] Le 21 juin 1988, d'après Bennett, Olivier indique qu'il est encore malade, qu'il doit voir son médecin bientôt et qu'il attend son passeport. Bennett indique qu'il comprend la situation, mais qu'il envisage la possibilité d'utiliser une autre source. Olivier suggère la possibilité d'utiliser une photo pour permettre de conclure la transaction en Thaïlande, mais Bennett ne veut pas. À cette rencontre du 21 juin 1988, Bennett aurait demandé directement à Olivier s'il voulait vraiment faire la transaction et Olivier aurait confirmé son intention.
[44] D'après Olivier, vers le 20 juillet, Barry aurait communiqué avec lui chez son ami Jacques Baron pour lui indiquer qu'une autre source était envisagée et Olivier aurait répondu qu'il était d'accord. À cette époque, Bennett confirme que l'enquête policière pouvait être modifiée et d'ailleurs, durant la même période, d'autres policiers ciblaient Beaulieu et d'autres individus. Le 20 juillet 1988, Bennett était à Montréal relativement à un autre volet de l’opération Déception.
[45] Le 30 août 1988, après deux communications téléphoniques, il y a rencontre en soirée et Olivier aurait alors expliqué que Barry l'empêchait de faire des affaires avec Bennett; Bennett aurait rassuré Olivier en expliquant que Barry ne parlait pas pour son groupe.
[46] Olivier aurait indiqué clairement son intention d'aller en Thaïlande et Bennett aurait alors confirmé vouloir continuer avec lui. Olivier aurait dit à Bennett qu'il avait connaissance des démarches à Montréal avec son ami Beaulieu et Bennett a confirmé qu'effectivement, vu les longs délais, des démarches avaient été entreprises avec Beaulieu pour effectuer la transaction. Bennett aurait même précisé à Olivier qu'il entendait alors aller à Bangkok avec Beaulieu dans un délai de 10 à 12 jours pour acheter 10 kilos d’héroïne, Beaulieu souhaitant acheter un kilo personnellement. Bennett aurait aussi suggéré que tous les intéressés se rencontrent pour discuter d’un plan et travailler ensemble. Olivier n'est cependant pas d'accord avec la version de Bennett.
[47] Quelques semaines plus tard, Olivier décide de retourner au Québec et il s'en va retrouver son ami Beaulieu à Magog. À l'époque, Olivier a de bonnes relations avec Beaulieu et les deux travailleront pour le frère de Beaulieu non loin de Magog. Les deux demeurent au centre-ville de Magog et ils consomment ensemble régulièrement.
[48] Au début octobre 1988, Bennett et le caporal Flanagan (ci-après « Flanagan ») viennent à Magog rencontrer Beaulieu et Olivier. À cette occasion, un autre policier, Luc Vidal, est présenté à Beaulieu.
[49] Selon Olivier, on lui demande alors d'aller chercher un échantillon en Thaïlande avant d'acheter la grosse quantité. Olivier témoigne être bien heureux de la situation, car il irait ainsi en Thaïlande d'une part pour préparer la transaction mais aussi pour « se péter la face ». Selon Olivier, Bennett et son groupe auraient voulu que Beaulieu et lui aillent en Thaïlande, mais finalement Beaulieu n'a pas pu y aller à cause d'autres obligations.
[50] Lors de cette rencontre, il y a des discussions précises sur la façon de procéder en Thaïlande et Olivier aurait informé Bennett de son intention de partir dans un court délai. Il est question d'un échantillon et lors de son témoignage à la cour, Bennett indique qu'il n'avait pas demandé d'échantillon, n'étant d'ailleurs nullement intéressé à un échantillon. Ce fut une réunion importante et peu après, le 4 décembre 1988, Olivier part pour la Thaïlande après avoir obtenu son passeport.
[51] Lors de son témoignage devant le Tribunal, Olivier confirme qu'à l’occasion de ce voyage, il désirait également acheter une certaine quantité d'héroïne pour sa consommation personnelle et celle de Beaulieu. De Bangkok, Olivier se rend rapidement à Chiangmai et après avoir fait les démarches nécessaires pour rencontrer le contact Porn, il rencontre la sœur de Porn de qui il achète entre 50 et 60 grammes d'héroïne. Il prend une courte vacance, consomme tous les jours et revient au Québec à la fin décembre 1988 avec environ 40 grammes d'héroïne en sa possession.
[52] Il remet les 40 grammes d'héroïne à Beaulieu sauf une petite quantité. Après avoir modifié l'héroïne, Beaulieu remet à son tour 18 grammes à Olivier pour sa consommation personnelle. Il y a ensuite certaines conversations téléphoniques entre Olivier et Bennett au cours desquelles Olivier informe Bennett qu'il est de retour au Québec; Olivier aurait confirmé à Bennett qu'il était disposé à effectuer la transaction sans l'aide de Beaulieu.
[53] Le 18 janvier 1989, Bennett est de nouveau à Montréal et communique avec Olivier; le lendemain, il y a rencontre à Magog, Bennett étant alors accompagné du sergent Dop (ci-après « Dop »), de Flanagan, du constable Peach (ci-après « Peach ») et Luc Vidal.
[54] Durant cette rencontre à Magog, un mois avant la transaction en Thaïlande, Olivier explique qu'avant la rencontre, il a consommé un peu pour être bien devant eux. Selon Bennett, Olivier fait rapport de son voyage en Thaïlande et confirme qu'il est prêt à procéder sans l'aide de Beaulieu.
[55] On y discute de nombreux aspects de la transaction soit l'argent nécessaire, le contact en Thaïlande et le prix demandé. Il est convenu que pour 5 kilos, Olivier recevra un demi-kilo d'héroïne. Il est également convenu qu’Olivier partira avant le groupe et lorsque la transaction pourra être confirmée, le groupe Bennett se déplacera en Thaïlande. Le même soir, le groupe se déplace avec Olivier vers Drummondville et Olivier remet un échantillon à Flanagan. Olivier demeure sur place et le groupe quitte les lieux.
[56] Après la rencontre du 19 janvier 1989, Olivier se rend à Montréal où il achète de la drogue. Il emprunte aussi 800 $ à sa mère et retourne à Montréal consommer à nouveau jusqu'au 10 février 1989 date où il quitte Montréal pour se rendre à Vancouver. Selon Olivier, il apporte quelques grammes d'héroïne pour Barry.
[57] Peach et Bennett vont accueillir Olivier à l'aéroport de Vancouver; il y a discussion concernant le billet d'avion qui est remis à Olivier; selon Bennett, le prix du billet est couvert par le prix de la drogue soit environ 6 ou 7 grammes de poudre blanche et un montant supplémentaire de 150 $ est remis à Olivier sur la base du coût du billet soit 1 300 $.
[58] Le lendemain 11 février 1989, Bennett va chercher Olivier tôt le matin, le reconduit à l'aéroport de Vancouver et plus tard en début de soirée Olivier confirme son arrivée à Bangkok.
[59] Olivier est seul à Bangkok le 12 février 1989 et il fait la fête en arrivant. Il se rend ensuite à Chiangmai et rencontre le chauffeur de tuk-tuk, Porn, en lui indiquant qu'il recherche cette fois 5 kilos d'héroïne.
[60] Durant son séjour à Chiangmai, Olivier demeure dans un « guesthouse ». Le groupe Bennett arrive à Chiangmai le 16 février 1989 et s’installe au Orchid Hotel où on déploie tout l'équipement nécessaire pour enregistrer les conversations à l'intérieur de la chambre d'hôtel.
[61] Le groupe Bennett a apporté environ 70 000 $ US pour effectuer la transaction. Tous sont d'accord qu'il y a eu des problèmes à finaliser la transaction, car d'une part, le groupe Bennett veut finaliser la transaction dans un endroit public alors que Porn et son groupe insistent pour une transaction dans un endroit privé. Olivier fait des démarches pour convaincre l'un et l'autre de faire des compromis; à la première tentative pour conclure la transaction, chez la sœur de Porn, des policiers sont repérés et elle refuse de conclure la transaction. Une autre tentative pour une transaction chez Porn ne fonctionne pas et le lendemain, dimanche, Olivier se rend à l'hôtel rencontrer le groupe Bennett. Une nouvelle transaction s'amorce, mais encore une fois la transaction ne peut être conclue, le groupe Bennett insistant pour finaliser la transaction dans un endroit public.
[62] À ce moment, tout indique que la transaction n'aura pas lieu, mais un peu plus tard en soirée, vers 20 heures, Olivier informe le groupe qu'une nouvelle source accepte de faire une transaction et immédiatement les démarches pour finaliser celle-ci s'amorcent. En tout temps, une équipe de policiers thaïlandais couvre Bennett et son groupe mais à un certain moment, des problèmes de transmission empêchent une communication entre les policiers et Flanagan. La transaction se réalise dans une ruelle et une fois la drogue identifiée par Flanagan, les personnes présentes entendent « Police, Police ».
[63] Olivier est immédiatement arrêté alors que le petit camion où se fait la transaction tente de quitter les lieux. Flanagan prend part à une altercation à l'arrière du camion. C'est à ce moment que Flanagan serait tombé du camion et il décèdera peu après des suites de cette chute. Olivier témoigne cependant qu'il a entendu un coup de feu et que Flanagan n’est pas décédé de sa chute, mais bien d'une balle de revolver. Le rapport d’autopsie du 21 février 1989 confirme cependant qu’il n’y a pas eu de blessure par balle.
[64] Les Thaïlandais qui ont participé à la transaction ainsi qu’Olivier sont arrêtés et vu la quantité d'héroïne, Olivier doit faire face à des accusations très sérieuses en Thaïlande, la preuve révélant que sa condamnation à l’emprisonnement à vie fait suite à des aveux ayant permis d'éviter une condamnation à la peine de mort.
[65] Après huit ans en prison, Olivier est autorisé par le gouvernement thaïlandais à retourner au Canada pour continuer à purger sa peine, ce qu'il fait présentement, étant en libération conditionnelle jusqu'en 2029.
[66] Le Tribunal précise dès lors que les versions sont nettement contradictoires. D'une part, Olivier relate les faits en expliquant à de nombreuses reprises que, durant toute cette période entre juillet 1987 et février 1989, il était constamment terrorisé et manipulé, ayant l'impression qu'en n'acceptant pas de suivre les volontés de ses interlocuteurs, il serait tué. D'autre part, les policiers sont catégoriques et soumettent qu’Olivier a toujours collaboré, réitérant à plusieurs reprises son intérêt à les mettre en contact avec une source en Thaïlande.
(renvois omis)
JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[40] Le juge n'était saisi que de la question de la responsabilité, à l'exclusion de l'évaluation du préjudice, puisque le dossier a fait l'objet d'une scission d'instance.
[41] Au terme d'une audition de 47 jours, suivie d'un délibéré, il conclut ainsi :
1) Le recours de l'appelant introduit en juillet 2000 est prescrit;
2) Les corps policiers impliqués dans l'enquête et l'arrestation de l'appelant n'ont pas commis de faute génératrice de responsabilité dans le cadre de leur enquête.
[42] Il rejette l'action, avec dépens.
MOYENS D'APPEL
[43] L'appelant formule plusieurs moyens d'appel qui, à bien des égards, sont tributaires des deux questions principales suivantes:
1) Le recours est-il prescrit?
2) La GRC a-t-elle commis une faute génératrice de responsabilité?
LA PRESCRIPTION
[44] La preuve révèle que l'appelant a été arrêté en Thaïlande le 19 février 1989 alors que son action en justice est introduite le 7 juillet 2000. Tenant pour acquis que la prescription de trois ans s'applique à ce recours, il eut fallu qu'il prenne action le ou avant le 19 février 1992.
[45] D'entrée de jeu, l'appelant avance que son recours n'est pas prescrit puisqu'il est fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés. Il invoque l'arrêt Prete v. Ontario[3], dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario conclut qu'un délai de prescription prévu par la législation provinciale n'était pas applicable à un recours entrepris en vertu de la Charte.
[46] Cette affaire portait sur le recours en dommages introduit par un individu acquitté d'accusations de meurtre au premier degré, qui plaidait essentiellement que les actes du procureur général de la province, des procureurs de la Couronne et de certains officiers de police étaient abusifs, malicieux et sans fondement. Le juge de première instance a rejeté le recours, qu'il a jugé prescrit en raison de la disposition législative suivante:
11(1) No action, prosecution or other proceeding lies or shall be instituted against any person for an act done in pursuance or execution or intended execution of any statutory or other public duty or authority, or in respect of any alleged neglect or default in the execution of any such duty or authority, unless it is commenced within six months next after the cause of action arose, or, in case of continuance of injury or damage, within six months after the ceasing thereof.[4]
[47] La Cour d'appel d'Ontario souligne que l'objet de la Charte, soit de contrôler les excès des autorités gouvernementales, serait bien mal servi si l'on devait permettre à ce même gouvernement de limiter sa responsabilité en décidant à partir de quel moment il en était libéré et en quelque sorte immunisé d'un recours fondé sur la Charte. Il conclut à l'inapplicabilité du court délai de prescription prévu par la loi ontarienne[5].
[48] Toutefois, l'arrêt Prete a été distingué à plusieurs reprises par les tribunaux canadiens comme étant fonction des particularités de la législation en cause. En effet, il ne s'agissait pas d'un délai général de prescription, mais d'une disposition conférant un traitement préférentiel à l'État en imposant un délai de prescription excessivement court pour les recours dirigés contre lui ou ses représentants.
[49] La jurisprudence sur ce moyen ne suscite pas de controverse. L'arrêt Prete ne doit pas être interprété comme consacrant un principe général d'imprescriptibilité de tout recours fondé sur la Charte. À titre d'exemple, la Cour d'appel de l'Alberta dans Garry v. Canada[6] souligne :
21 Despite Rick Garry's argument, no authority has been shown to say that general limitation periods do not apply to Charter claims. He cites Prete v. R., but it was about interpreting the short limitation period for suing the Crown and public authorities in Ontario. Alberta has no equivalent legislation; the Crown gets no special treatment here. That case is not about general limitation statutes.
(renvois omis, nous soulignons)
[50] De plus, la Cour suprême a décidé dans l'arrêt Ravndahl[7] que les courts délais de prescription prévus dans les lois provinciales devaient s'appliquer aux recours en réparation fondés sur des allégations de violation de droits garantis par la Charte. La règle générale demeure donc que tous les recours en dommages sont sujets au délai général de prescription, et ce, même s'ils sont fondés sur la Charte[8].
[51] Pour cette raison, l'argument est voué à l'échec.
[52] Ensuite, et c'est là son argument le plus sérieux, l'appelant soutient qu'il était dans l'impossibilité d'agir jusqu'à son retour au Canada le 11 juillet 1997.
[53] Il vaut de rappeler qu'il revient à l'appelant de démontrer que le juge a commis une erreur déterminante en cette matière.
[54] L'art. 2904 C.c.Q. est ainsi rédigé :
2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l'impossibilité en fait d'agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d'autres.
[55] Après une révision des faits pertinents et notamment des conditions d'incarcération de l'appelant, le juge conçoit que ce dernier était dans l'impossibilité d'agir jusqu'en 1993 mais conclut que, après cette date, il avait retrouvé tous ses moyens et l'état d'esprit nécessaire pour entreprendre des procédures judiciaires. Le recours intenté en 2000 est donc prescrit.
[56] Le juge constate que même si l'appelant demeure emprisonné en Thaïlande, ses conditions d'incarcération s'améliorent au fil des ans et il démontre son intérêt à entreprendre des procédures judiciaires en consultant des avocats et en contactant des tiers, tels que des journalistes et certains représentants du gouvernement canadien.
[57] Le juge souligne d'ailleurs que l'appelant a formulé trois plaintes de nature disciplinaire entre 1994 et 1995 auprès de la Commission des plaintes du public de la GRC. Il ajoute :
[211] Le fait d’être incarcéré ne suffit pas en soi pour suspendre l’écoulement de la prescription.
[212] En 1989, la prescription était d’un an et avec l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994, le délai de prescription a été fixé à trois ans.
[213] Le Tribunal conclut que les conditions exceptionnelles vécues par Olivier au début de son incarcération peuvent être considérées comme un cas extrême et qu’il y avait alors impossibilité d’agir pour Olivier. Cependant, le changement des conditions de détention après le rejet de l’appel sur la sentence ainsi que les faits, gestes et écrits d’Olivier à partir de 1993 ne permettent pas de conclure qu’il y avait alors une impossibilité d’agir au sens de l’article 2232 C.c.B.C. :
Art. 2232. La prescription court contre toutes personnes, à moins qu’elles ne soient dans quelque exception établie par ce code, ou dans l’impossibilité absolue en droit ou en fait d’agir par elles-mêmes ou en se faisant représenter par d’autres. ….
ni en 1994 au sens de l’article 2904 C.c.Q. :
Art. 2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres.
[214] Même si le Tribunal conclut à une impossibilité d’agir jusqu’en 1993, force est de constater que l’action intentée en juillet 2000 est prescrite.
[58] Il réfère ensuite aux propos du juge Gonthier dans l'arrêt Gauthier c. Beaumont[9] :
Il faut retenir de cette analyse qu’une crainte purement subjective ne peut constituer une cause d’impossibilité d’agir en vertu de l’article 2232 C.c.B.C. tout comme elle ne peut constituer une cause de rescision du contrat (Tancelin, op. cit., à la p. 77). Pour être une cause d’impossibilité d’agir, la crainte doit porter sur un mal objectivement sérieux, exister pendant toute la période d’impossibilité d’agir et être subjectivement déterminante de cette impossibilité d’agir, c’est-à-dire subjectivement telle qu’il soit psychologiquement, sinon physiquement impossible pour la victime d’intenter un recours en justice. Cet ensemble de facteurs assure l’intégrité du régime de prescription, sans donner lieu à des injustices flagrantes.
[59] Il s'agit de l'arrêt de principe sur la notion de crainte comme fondement à l'argument lié à l'impossibilité d'agir aux fins d'interruption du délai de prescription d'un recours. Il est donc utile d'en traiter plus amplement.
[60] Dans l'arrêt Gauthier[10], le recours de ce dernier est introduit le 3 mai 1988. Il cherche à obtenir réparation pour des sévices infligés par les policiers qui ont procédé à son arrestation au cours de la nuit du 1er mars 1982. Il soumet que, malgré le temps écoulé, son recours n'est pas prescrit car il était jusqu'au mois de mars 1988 dans l'impossibilité absolue en fait d'agir, en raison de la crainte qu'il éprouvait pour sa vie et celle des siens, inspirée par les actions des policiers Beaumont et Thireault.
[61] Le juge Gonthier, pour la majorité, mentionne d’entrée de jeu que l'impossibilité d'agir est généralement interprétée de manière étroite, objective, assimilée à la force majeure et doit être absolue pour constituer une cause d'interruption de prescription. Il rappelle ensuite le principe selon lequel l'impossibilité d'agir qui résulte de la faute du débiteur a pour effet de suspendre la prescription. Il semble donc logique que, en matière extracontractuelle, la crainte causée par la faute du défendeur ait le même effet.
[62] Toutefois, la seule existence d'une crainte purement subjective dans l'esprit de la victime ne constitue pas en soi une cause d'impossibilité d'agir. Pour conclure ainsi, la crainte doit satisfaire un double critère, à la fois objectif et subjectif:
[…] la crainte doit porter sur un mal objectivement sérieux, exister durant toute la période d'impossibilité d'agir et être subjectivement déterminante de cette impossibilité d'agir, c'est-à-dire subjectivement telle qu'il soit psychologiquement, sinon physiquement, impossible pour la victime d'intenter un recours en justice. Cet ensemble de facteurs assure l'intégrité du régime de prescription, sans donner lieu à des injustices flagrantes.[11]
[63] Autrement dit, le tribunal doit, dans un premier temps, déterminer le caractère objectivement sérieux de la crainte. Dans un second temps, l'évaluation porte sur l'aspect subjectif, c'est-à-dire que la victime doit démontrer que la crainte était déterminante tout au long de la période pendant laquelle l'impossibilité d'agir est invoquée. La crainte était-elle de nature à priver la victime de son libre arbitre et de la volonté d'ester en justice? La crainte doit également découler de la faute du défendeur.
[64] Le juge Gonthier est d'avis que la preuve non contredite, particulièrement les témoignages des deux experts-psychiatres, démontre que le double critère applicable à la crainte comme cause d'impossibilité d'agir est satisfait. Le pourvoi est donc accueilli, l'action n'est pas prescrite.
[65] Cet arrêt apporte un assouplissement dans l’évaluation des circonstances qui entraînent une impossibilité d'agir et marque le passage d'une analyse purement objective vers un processus centré sur la victime et donc, par définition, plus subjectif. Autrement dit, la Cour suprême assouplit la notion en adoptant une analyse relative, fondée sur les circonstances particulières de chaque affaire. Cette ouverture ne signifie toutefois pas que l'impossibilité d'agir doit bénéficier d'une application illimitée. En effet, la suspension de la prescription demeure une exception et celui qui la soulève doit apporter une preuve convaincante pour l'appuyer.
[66] La prudence est de mise puisque toute crainte ne se traduit pas nécessairement par une impossibilité d'agir. En effet, le comportement de la victime peut démontrer son absence de crainte, notamment si elle a déjà démontré sa détermination à faire valoir ses droits en introduisant, par exemple, d'autres procédures ou d'autres démarches devant d'autres instances[12]. De plus, il semble que l'allégation d'impossibilité psychologique d’agir doit être appuyée par une preuve d'expert[13]. À titre d'exemple, l'argument a été rejeté dans une affaire où la partie demanderesse alléguait le syndrome de la femme battue mais avait omis de présenter une preuve d'expert à cet effet[14].
[67] La jurisprudence subséquente a reconnu que d'autres motifs que la crainte peuvent justifier l'impossibilité psychologique d'agir. Le traumatisme psychologique qui rend la victime incapable d'établir un lien entre la faute et le préjudice qui en découle en est un bon exemple. Ce motif est habituellement invoqué dans des affaires d'abus sexuel ou d'inceste[15].
[68] La Cour a depuis repris le principe dans l'arrêt Catudal c. Borduas (J.C. c. D.B.)[16]. Le juge Chamberland, pour la majorité, formule une mise en garde contre l'élargissement démesuré de la notion d'impossibilité d'agir comme cause de suspension de la prescription[17].
[69] Il reconnaît néanmoins la nécessité d'admettre, dans certains cas, l'impossibilité de nature psychologique de la victime de prendre action dans les délais requis. Le fardeau de preuve repose toutefois sur le demandeur qui doit établir cet état selon la balance des probabilités. Il souligne que les circonstances de cette affaire se distinguaient de celles de l'arrêt Gauthier sur plusieurs points. D'abord, les experts ne s'entendaient pas sur le diagnostic de la maladie qui affligeait la victime. De plus, la preuve révélait que cette dernière n'éprouvait aucune crainte envers le défendeur. Finalement, le délai écoulé entre les événements et l'introduction du recours était de 23 ans, soit une période beaucoup plus longue que le délai de 6 ans dans l'arrêt Gauthier.
[70] Le juge Chamberland souligne également que la victime avait introduit diverses procédures contre le défendeur au fil des ans, principalement en ce qui concerne leurs enfants et leurs biens communs. En conclusion, l'ensemble des faits rendait invraisemblable la théorie de l'impossibilité d'agir de la demanderesse en raison de la domination prétendument exercée par le défendeur.
[71] Cette décision illustre le lourd fardeau dont doit s'acquitter celui qui allègue avoir été dans l'impossibilité psychologique d'agir. De plus, une chose demeure certaine, peu importe la source de l'impossibilité, elle doit avoir privé la victime de son libre arbitre, de sorte que celle-ci n'a pas volontairement renoncé à l'exercice de son droit.
[72] Soulignons aussi que l'impossibilité d'agir est une question de fait ou, à tout le moins, de fait et de droit, avec comme corollaire que le tribunal d'appel doit faire preuve de déférence envers les conclusions du juge de première instance[18]. Qu'en est-il ici?
[73] Je constate que l'appelant n'a pas reproduit plusieurs des pièces pertinentes relatives aux démarches qu'il a entreprises après le changement de ses conditions d'incarcération. Les documents manquants proviennent en grande partie de la preuve soumise par le procureur général en première instance et il s'agit, dans certains cas, de pièces qui font l'objet d'une référence expresse dans le jugement.
[74] Les intimés n'ont pas manqué de soulever cette omission, avançant qu'elle rend impossible la révision du jugement entrepris et justifie le rejet de l'appel. L'appelant a finalement réagi le 30 août 2011, alors que l'audition du dossier s'annonçait moins d'un mois plus tard.
[75] Dans sa requête pour production de documents, l'appelant demandait à la Cour d'ordonner à l'intimé, le procureur général du Canada, de produire les pièces qu'il jugeait nécessaires à l'examen du pourvoi alléguant son impécuniosité personnelle ainsi que le déséquilibre important entre les ressources financières des parties. De l'avis de l'appelant, le procureur général du Canada bénéficie non seulement de ressources financières illimitées, mais a aussi un devoir légal et moral de fournir ces informations à la Cour.
[76] Subsidiairement, l'appelant demandait à la Cour d'ordonner à l'intimé d'identifier, parmi les documents manquants, ceux qu'il jugeait réellement nécessaires à l'étude du pourvoi. Ensuite, il demandait à la Cour de déterminer, parmi les pièces identifiées par l'intimé, celles qui lui sont réellement indispensables. Finalement, il demandait de bénéficier d'un délai de quinze jours pour les produire au dossier de la Cour.
[77] Lors de l'audition de sa requête, l'appelant abandonnait ses conclusions, mais insistait pour être autorisé à produire les pièces afin d'éviter que son pourvoi ne soit rejeté pour ce seul motif. La Cour a fait droit à la demande et a permis à l'appelant de produire ces pièces au dossier au plus tard le 22 septembre 2011.
[78] Il s'agit notamment de la documentation relative aux trois plaintes déposées par l'appelant de 1994 à 1995 devant la Commission des plaintes du public de la GRC, un organisme indépendant chargé d'examiner les plaintes déposées au sujet de la conduite des membres de la GRC de façon équitable et objective.
[79] Également, la requête visait le dossier consulaire de l'appelant à Bangkok, qui contient des copies de nombreuses communications de ce dernier avec les autorités canadiennes. En plus des documents relatifs à ses plaintes à la Commission des plaintes du public de la GRC, on y trouve de nombreuses lettres envoyées par l'appelant ainsi que plusieurs réponses qu'il a reçues alors qu'il était incarcéré. Il appert qu'il a communiqué notamment avec le Secrétaire d'état aux affaires extérieures, l'Ambassade canadienne en Thaïlande, le ministère des Affaires étrangères ainsi qu'avec le Solliciteur général du Canada.
[80] La proposition de l'appelant selon laquelle il a été dans l'impossibilité d'agir jusqu'à son retour au Canada s'articule autour de deux motifs principaux, soit les conditions d'incarcération qui ne lui permettaient pas d'entreprendre son recours judiciaire ainsi que la crainte qu'un tel recours mette en péril la possibilité pour lui de revenir au pays.
[81] Or, la preuve révèle que ces deux motifs ne l'ont pas empêché d'entreprendre des recours disciplinaires contre les membres de la GRC, de s'entretenir avec un avocat et de donner des entrevues à des représentants des médias.
[82] En somme, la preuve documentaire ne soutient pas sa proposition.
[83] L'appelant n'a pas non plus produit de rapport d'expertise attestant son état psychologique durant la période pertinente.
[84] Le 1er mars 1990, deux enquêteurs se rendent à la prison de Bam Bat en Thaïlande pour rencontrer l'appelant dans le cadre d'une enquête demandée par le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC. À ce moment, il exprime une certaine réserve à discuter des agissements de la GRC :
N.P. McEwen And you don't want to discuss anything about what you heard really happened…ah…
Alain Olivier 'Cause what's really happen, I'm telling you, I know it!
N.P. McEwen You do know that?
Alain Olivier Yeah! But if I talk about it, for sure I'd put myself in deep, deep trouble.
[85] L'examen de la preuve révèle que cette retenue s'estompe par la suite. L'appelant se manifeste pour une première fois à la Commission dans une lettre datée du mois de juin 1994. Dans cette première plainte, il adresse les reproches suivants à la GRC :
1) Members have violated Mr. Olivier's constitutional rights;
2) Members failed to follow existing Ministerial directives;
3) Members have failed to seek Mr. Olivier's extradition from Thailand;
4) Members conducted an unauthorized operation overseas;
5) Members abandoned Mr. Olivier in Thailand;
6) Members coerced and manipulated Mr. Olivier;
7) A member allowed a civilian agent to "run loose" and out of control through "Operation Deception"
[86] L'appelant se dit insatisfait du résultat de l'enquête menée à l'initiative du président de la Commission. Il ajoute que cela fait longtemps qu'il pense formuler sa plainte, mais qu'il en a été découragé:
[…] the people whom were helping me or better say, pretended to help me in regard of my case at the time in Canada had advised me otherwise, not to do so. Unfortunately, for me that is, all these people whom were helping me out back then have all for some reasons which are still unclear to me, "back off" from my case and from helping me. Obviously something wrong's happened. Either my whole case is and was simply too big, complexe and sensitive for them to handle or they were told by someone, whoever this might be, to "back off" and stay away from my case. Ah! Well…
(nous soulignons)
[87] Il formule une seconde plainte dans une lettre datée du 21 novembre 1994. Il y allègue notamment que la GRC a menti et tenté de cacher les véritables circonstances du décès de l'agent Derek Flanagan. Il indique aussi son intention que cette affaire ne soit pas passée sous silence:
Considering all the information on hand, including corroborating statements from Chiang Mai Hospital's officials, etc., it's I believe reasonable to say that I can very well prove the matter raised today in this letter. And which furthermore I'll see to have exposed publicly and a matter that I want to see being clarified, that I'll indeed clarified in front of a Canadian court upon my return to Canada, doesn't matter how long this'll take for me to get there. As I'll sooner or later get back to Canada.
(nous soulignons)
[88] Cette démarche n'a pas entraîné d'enquête additionnelle et l'appelant a demandé la révision de cette décision en date du 5 janvier 1996. Entre-temps, il formule une troisième plainte dans une lettre du 20 décembre 1995.
[89] Ces démarches démontrent la compréhension de l'appelant des enjeux ainsi que sa capacité de communiquer avec l'extérieur. Elles ne démontrent pas non plus l'existence d'une crainte de s'aliéner les autorités compétentes. D'ailleurs, ces recours de nature disciplinaire ne sont pas la seule indication de sa ferme intention de faire valoir ses droits.
[90] À cet égard, il vaut de souligner que le dossier consulaire de l'appelant à Bangkok, tel que produit, est incomplet. Le document déposé en première instance comprenait deux volumes, alors que l'appelant n'en reproduit que le premier en annexe de son mémoire.
[91] En conséquence, une pièce importante a été retirée du dossier, soit une lettre adressée par l'appelant à l'ambassadeur du Canada en Thaïlande le 26 août 1995 et dont le juge Caron cite des extraits :
Page 1
[…] Although I wanted and was looking forward to write you for quite sometime already, I didn’t since I was still in the process of gathering we might say certain new items to my file and records, this in relation and for my case against the Canadian Government and Embassy, and the RCMP as well, mostly against the latter. As a way to bring and add up even more credibility and strength to my case and accusations. It is not that my whole case against all the concerned parties was not already fool proof and strong enough to be subjected and sustain scrutiny and examination and overcome every conceivable obstacles that might come up and have to be dealt with. No, since and as I have already had everything on hand in term of evidences witnesses and testimonies to support and corroborate all my points and sayings. Cause all this I have since longtime.»
[…]
Page 8
Although I’ve sent these informations to my attorney, Mr. Brian H. Greenspan in Toronto, with special instructions to wait before taking any course of actions until further notice from me, as well as to go for it in the events that something was to happen to me.
[…]
Page 9
Having spent all my years in here behind the walls studying all and every conceivable Laws, Policies and Procedures related to my case as well as my Rights as Canadian Citizen as prescribed in and under our Constitution and charter of rights and freedoms, I do know what I’m saying and talking about and foremost I do know for a fact what I have on hand. And be assured that my case will be conducted with surgical precision Mr. Ambassador and that the truth will be told and heard by my peers in front of that Canadian Court.»
[92] L'intimé a produit un exemplaire de cette lettre. L'appelant y allègue, en sus des nombreux actes dérogatoires prétendument posés par la GRC à son égard, un cover up concernant les circonstances du décès de l'agent Derek Flanagan. Cette allégation revient à de nombreuses reprises dans ses communications avec les autorités canadiennes.
[93] Dans cette même lettre, il expose en ces termes les enjeux qui découlent de cette affaire :
Other consequences and repercussions will be to have indeed
# 1) One of the biggest SCANDAL ever to happen, involving our Government, Embassy and RCMP and Thaïland included.
#2) Court cases for all concerned people and parties with I dare to say "No Chance" whatsoever for all to win. As well as Litigation and Law suits and Civil Suits Etc.
#3) Abomination and resignation of a whole lot of people at the Highest Level of our Government and RCMP and others.
#4) Careers and Pensions down the drain for many, as well as possible Jail terms for some individuals.
#5) Reshuffling of our whole Honorable Institution (RCMP).
#6) Restructuration of Government policies and procedures on RCMP's operation, conduct and actions. (Implementation)
#7) Etc., etc., etc.
Am I now getting your attention and making my points Mr Ambassador?
[94] La lecture du document dans son intégralité confirme ce que laissent entendre les extraits cités par le juge de première instance : les propos sont ceux d'un individu qui comprend bien les enjeux et qui veut faire valoir ses droits.
[95] L'appelant était non seulement en mesure de faire valoir son point de vue, mais pouvait également retenir les services d'un avocat.
[96] Même incarcéré, l'appelant ne s'en cache pas. Il racontera son histoire à tous ceux qui veulent bien l'écouter et souhaitent que justice soit rendue :
[…] It'll sure be nice to see things such as the RCMP & Glen Barry Boat incident (murder scenario) to be published, won't it? And so will be to see and have the RCMP and Glen Barry face me in a court of justice.
[97] Il mentionne ouvertement dans ses communications adressées aux autorités canadiennes son intention d'intenter des recours. À titre d'exemple, dans une lettre adressée à H.G. Pardy le 8 octobre 1995, l'appelant tient les propos suivants :
Since and as the Consular Operation Division in Ottawa is and has to be at all time responsible and accountable for any of its employee's actions and conduct, you and your office will be the ones in the end who'll have the task to explain and answer for whatever was illegally as well as unduely done. Thuis please keep that in mind. […]
[…]
Since I couldn't get an appropriate answer following my august 26/95 letter to the Ambassador, that leaves me now with no other choice than to follow my own agenda and to take proper course of actions. Which one I do trust, you'll shortly hear about, if you haven't already. As a result of what Ottawa and the Embassy here will find themselves in a most unpleasant and embarrassing position to say the least.
[98] Les avocats de l'appelant reprochent essentiellement au juge d'avoir omis d'évaluer le caractère objectivement odieux des conditions de détention à la prison thaïlandaise et d'avoir limité son analyse à l'aspect subjectif de la crainte. Suivant ce raisonnement, le juge se devait de conclure, à l'examen de la preuve, que dans de telles conditions l'appelant craignait nécessairement que toute tentative d'intenter un recours contre le gouvernement canadien ne mette en péril ses chances d'être rapatrié au Canada dans les meilleurs délais.
[99] C'est bien là où le bât blesse. Les enseignements de la Cour suprême ne souffrent d'aucune ambiguïté : l'évaluation de la crainte comme cause d'impossibilité d'agir passe par un double critère, dont les volets objectif et subjectif sont complémentaires. Il est nécessaire, mais non suffisant, de démontrer l'existence de circonstances objectivement de nature à donner lieu à une crainte susceptible d'empêcher une personne d'intenter son recours en temps utile.
[100] Le second volet du test est tout aussi important. Celui qui allègue l'impossibilité d'agir doit démontrer que, subjectivement, la situation a causé chez lui un sentiment de crainte qui l'a privé de son libre arbitre et de la volonté d'agir en justice. Autrement dit, il sera nécessaire, lorsque l'impossibilité d'agir ne résulte pas de la seule contrainte physique, d'établir que la personne n'était pas subjectivement en mesure d'exercer ses droits.
[101] Les conditions d'incarcération de l'appelant en Thaïlande, malgré une certaine amélioration à compter de 1993, sont demeurées difficiles. Rien dans mes propos ne saurait traduire la volonté de minimiser le caractère exceptionnel de la situation ni les souffrances occasionnées à l'appelant durant toute sa période d'incarcération.
[102] Toutefois, la preuve ne démontre pas que cela a entraîné chez l'appelant, subjectivement, un sentiment de crainte qui l'aurait empêché d'agir, le privant de son libre arbitre ou de la volonté nécessaire pour faire valoir ses droits. Au contraire, il a manifesté, sans relâche, son intention de dénoncer les actes de la GRC et d'obtenir réparation pour les injustices qu'il a subies.
[103] Les embûches étaient certes nombreuses. Cela dit, et même si les conditions pour l'exercice de ses droits n'étaient pas optimales, la prétention de l'appelant selon laquelle l'exercice de son recours judiciaire risquait de mettre en péril les possibilités d'un rapatriement au Canada n'a pas été établie par prépondérance de preuve.
[104] Bref, j'estime, en dépit des circonstances bien particulières de son incarcération et des mauvais traitements qu'il a subis, que l'appelant n'a pas satisfait son fardeau de démontrer qu'il était dans l'impossibilité d'agir jusqu'au 7 juillet 1997, soit trois ans avant l'institution de sa demande en justice.
DÉLAI DE PRESCRIPTION DE 6 ANS SELON L'ART. 32 DE LA LOI SUR LA RESPONSABILITÉ CIVILE DE L'ÉTAT ET LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
[105] Le même sort échoit à l'argument subsidiaire de l'appelant, selon lequel le délai de prescription applicable n'est pas de trois ans mais plutôt celui de six ans prévu à l'art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif[19] est ainsi rédigé :
32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.
[106] Je souligne que cet argument est soulevé pour la première fois en appel et n'a pas été débattu devant le premier juge. Pour déterminer s'il y a lieu d'appliquer le délai de prescription de six ans prévu à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif[20] plutôt que le délai de droit commun de trois ans du Code civil du Québec, il faut se questionner sur la signification de l'expression « fait générateur qui survient ailleurs que dans une province » ou en anglais « cause of action arising otherwise than in a province ».
[107] Essentiellement, pour que le délai de prescription prévu dans la législation provinciale s'applique en l'espèce, tous les éléments du fait générateur doivent être survenus dans une même province. Autrement dit, le dommage et le fait à l'origine du dommage doivent s'être produits dans cette province[21], avec pour corollaire que si ce n'est pas le cas, il y a lieu d'appliquer le délai de prescription de six ans.
[108] La Cour fédérale a entériné cette interprétation dans la décision Villeneuve c. Canada[22], qui met en cause le recours intenté par un ancien militaire contre la Couronne pour obtenir compensation de dommages résultant du syndrome de stress post-traumatique subi durant son service militaire. Bien que le recours puisse être rejeté pour d'autres motifs, la Cour examine la question du délai de prescription applicable à une telle action :
45 Les procureurs des deux parties ont pris la position en l'instance que la prescription triennale de l'article 2925 du Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64 s'applique en l'instance, par le biais de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité de l'état, lequel se lit comme suit : […]
46 Tel que mentionné dans Bernath, et selon la détermination faite par la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Maritime Group (Canada) Inc., [1995] 3 C.F. 124 , pour que les règles provinciales relatives à la prescription s'appliquent, il faut que tous les éléments relatifs à la cause d'actions (y compris, la "faute", le dommage et le lien de causalité) se soient produits dans cette même province.
47 Dans Bernath j'ai conclu, au paragraphe [73] que :
"Puisque les préjudice pour lesquels réparation est demandée ont tous, que ce soit directement ou indirectement, un lien avec les événements survenus en Haïti en septembre 1997, il m'apparaît impossible de conclure qu'il soit évident et manifeste que toute la ou les causes d'action alléguées ne puissent bénéficier de la prescription de six ans. Il ne me semble de plus pas approprié, sans entendre la preuve, de tenter de départager entre les différents éléments de faute, de dommage et de liens de causalité possibles s'il en est qui forment une cause d'action distincte localisée uniquement au Québec, et à laquelle la prescription trinnale s'appliquerait de façon manifeste."
48 De la même façon, et malgré les représentations des parties, je ne peux simplement pas, pour les fins de la détermination du régime de prescription applicable, écarter le fait que le syndrome de stress post-traumatique duquel se plaint le demandeur et qui forme la base ultime de tous les dommages réclamés, fut causé par ou à l'occasion de sa participation à la Guerre du Golfe. Cet élément de premier plan s'étant produit ailleurs qu'au Québec, il m'apparaît impossible de déterminer, pour les fins d'une requête en rejet, que toute ou partie de la réclamation du demandeur puisse manifestement être régie par la prescription du Code civil du Québec.
(je souligne)
[109] C'est donc dire que le délai de prescription de six ans édicté à l'article 32 s'applique à l'égard des actions dont tous les éléments de la cause d'action ne se sont pas produits dans la même province.
[110] En l'espèce, cela signifie que le recours intenté par l'appelant serait soumis au délai de prescription de six ans de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif[23]. À la lumière particulièrement des enseignements de la Cour fédérale dans l'arrêt Villeneuve, il faut conclure que ce qui forme la base du recours, soit l'incarcération de l'appelant en Thaïlande dans les conditions que l'on connaît, s'est produit ailleurs qu'au Québec.
[111] Outre le fait que cet argument a été soulevé pour la première fois dans le mémoire de l'appelant produit devant la Cour, je crois qu'il ne lui est d'aucun secours. En effet, même en appliquant le délai de prescription de six ans, le recours est prescrit. Voici pourquoi.
[112] L'appelant a entrepris son recours le 7 juillet 2000. Or, le juge de première instance a conclu après analyse de la preuve que l'appelant n'était plus empêché d'agir à compter de 1993, en raison principalement du changement dans ses conditions de détention. C'est aussi en 1992 que l'appel sur sentence a été rejeté et qu'il a cessé de craindre la possibilité d'être condamné à la peine de mort. C'est ce changement, ainsi que les gestes et les écrits de ce dernier à compter de 1993 qui de l'avis du juge Caron démontrent qu'il n'était plus empêché d'agir à compter de ce moment.
[113] L'appelant explique lui-même dans son témoignage que c'est à cette époque, à la suite de la décision de la Cour d'appel sur la sentence et au changement de ses conditions de détention, qu'il a été « capable de se prendre en mains ».
[114] Le 28 juillet 1993, il écrit une lettre à la Commission canadienne des droits de la personne, où il tient des propos peu flatteurs envers la GRC et plus généralement envers le gouvernement canadien. Il laisse aussi entendre qu'il est en contact avec l'extérieur et qu'il a l'intention d'intenter des recours :
But what I'll write and tell you today is the part of the story that you as so many others in Canada haven't heard of. This due to the fact, that for some reasons, the RCMP and the Canadian government have, as much as they could possibly do it in any way, kept all this as secret as possible. Yes, this whole story or actually a great part of it has been kept secret so to speak. Just as it has been the case with the RCMP Public Complaints Commission's Investigator following my arrest and Operation Deception. Which investigation was a matter of public interest, but which one for some reasons, once again was prevented to be publicized. But all this, for now on, will change, as I've decided to go public with this whole matter and this whole story. An in which matter the Canadian Human Rights Commission will be mentionned. This due to the fact that the Canadian Human Rights Commission will possibly have to play a role in all of this and in what I'm planning on doing and getting done shortly. I've simply thought to let you know.
As I said previously, if I'm writing you this letter today, which one I'll have copies made of for the reporters and newspapers back home, it's in an attempt to get and to bring your attention into this case and matter. And also, most of all to possibly get your help and support. If I'm asking you for your help and support it's due to the fact that it's not only my opinion, but also the opinion of many others in Canada and some others here whose had a look at my case and story, that my Rights as a Canadian citizen, those given to us in our Charter of Human Rights and Freedoms, have been violated by the RCMP, during their operation. In which one I've been involved and brought over here as a result of the RCMP's actions and conduct.
[115] La conclusion du juge de première instance selon laquelle l'impossibilité d'agir de l'appelant a pris fin en 1993 trouve donc appui dans la preuve. S'il fallait fixer une date plus précise à compter de laquelle le délai de prescription commençait à courir, la date du 28 juillet 1993 s'applique d'emblée.
[116] Même en appliquant le délai de prescription de six ans, l'action devait être entreprise au plus tard le 29 juillet 1999. Le 7 juillet 2000, le recours de l'appelant était prescrit.
[117] Finalement, l'appelant soutient que la défense de prescription ne pouvait justifier le rejet de son action par défaut contre Glen Barry. Certes, le tribunal ne peut suppléer d'office au moyen résultant de la prescription[24]. Toutefois, lorsqu'il est question de recours qui découlent des mêmes faits et donc de la même source de droit, il suffit que l'une des parties à l'instance invoque la prescription du recours pour que le tribunal puisse la soulever à l'égard de tous[25].
[118] En l'espèce, le moyen résultant de la prescription du recours de l'appelant a été soulevé par le procureur général. Le juge de première instance pouvait donc l'opposer d'office au recours de l'appelant dirigé contre Glen Barry, et ce, même si ce dernier n'est pas intervenu, personnellement ou en étant représenté, pour faire valoir cet argument.
[119] En raison de mes conclusions sur la question de la prescription, il est inutile de trancher la question de responsabilité.
[120] Puisque les conclusions du juge ne souffrent pas d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait manifeste et dominante, je propose de rejeter l'appel avec dépens.
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RICHARD WAGNER, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE PELLETIER |
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[121] J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue, le juge Wagner, qui conclut au rejet de l’appel. Je me rallie à sa conclusion, tout en me permettant d’ajouter les commentaires qui suivent.
[122] D’une durée de plus de 40 jours, le procès en première instance a été le théâtre d’une volumineuse preuve testimoniale et documentaire. La facture du jugement entrepris témoigne à elle seule du soin mis par le juge à analyser et à apprécier les dépositions et les documents produits.
[123] Ce litige soulève principalement des questions de fait et des questions mélangées de droit et de fait. En quelques lignes, je crois utile de rappeler la façon dont le juge les a tranchées.
[124] Le juge écrit:
[67] Olivier et ses procureurs plaident que Barry et les policiers de la GRC l’ont manipulé en vue de l’amener en Thaïlande pour qu’il soit trouvé coupable et condamné à mort. Olivier maintient vigoureusement qu’il a été piégé par la GRC et que ses faits, gestes, et propos font suite à des menaces reçues et à une crainte de mourir s’il n’acquiesçait pas aux volontés de ses interlocuteurs. […]. [Citation omise]
[125] Cette thèse est la pierre angulaire des procédures entreprises par Monsieur Olivier, et elle fait l'objet d'une vigoureuse contestation de la part du Procureur général du Canada. Pour en apprécier la justesse, le juge a procédé à l'analyse de plusieurs sous-questions. Il s’exprime ainsi :
[68] Dans son analyse, au chapitre de la crédibilité, le Tribunal référera principalement à la preuve de certains faits dont :
¾ le meurtre en Jamaïque;
¾ le scénario de meurtre sur le bateau de Barry;
¾ la relation entre Olivier, Barry et les policiers de la GRC;
¾ le meurtre allégué du sergent Massey;
¾ les faits, gestes et propos tenus par Olivier.
[126] Après avoir procédé à l’examen minutieux de tous et chacun des éléments ci-dessus, le juge conclut :
[124] Les faits et gestes d’Olivier tout au long de l’opération policière n’ont pas été posés sous l’emprise de menaces et de la crainte. Le Tribunal ne croit pas qu’Olivier ait menti continuellement pour faire croire aux policiers qu’il semblait intéressé au projet envisagé, sans l’être vraiment.
[…]
[129] Par ailleurs, le Tribunal accepte que la motivation des policiers était la recherche d’une source et puisque Olivier disait ouvertement être capable de faire le contact avec une source en Thaïlande pour acheter 5 kilos d’héroïne, l’intérêt pour cibler Olivier était réel. En outre, Bennett et d’autres policiers ont écouté Olivier et ils ont pu constater les liens entre Olivier et d’autres cibles notamment Michael Cahill, Laurent Massé, Richard Bernier ainsi que Michel Beaulieu.
[131] Il est toujours possible dix-huit ans après le fait de soulever des erreurs, des imprécisions ou des abstentions mais le Tribunal n’accepte pas les insinuations de la partie demanderesse selon lesquelles les policiers ont volontairement voulu cacher la vérité en modifiant les notes prises au cours de l’enquête et dans le cas du défendeur Dop, en alléguant que celui-ci a arraché des pages de son cahier de notes; il s’agit d’insinuations non prouvées. Ainsi, en examinant le cahier original des notes de Dop, si d’une part on peut constater une imperfection de la reliure au début du livre, le Tribunal n’y voit pas la preuve d’un geste malhonnête.
[132] Le Tribunal n’accepte pas l’interprétation des faits suggérée par Olivier.
[127] Le juge a ciblé neuf questions découlant des prétentions de Monsieur Olivier. Pour analyser les huit premières d'entre elles, il s'est notamment servi de la grille d’analyse dégagée dans l’arrêt Mack c. Sa Majesté La Reine[26] et à laquelle les deux parties se sont référées. Voici quelles sont ses déterminations :
[128] Après analyse des faits, le juge répond :
[140] Les policiers n’ont pas commis une faute en ciblant Olivier au mois de juillet 1987 en préparation de l’opération policière.
[129] À ce sujet, il tire la conclusion que :
[145] Il y a eu erreur eu égard au casier judiciaire mais ce n’est pas une faute causale.
[130] Au vu de la preuve, le juge apporte la réponse suivante :
[150] Les témoignages rendus par des connaissances de Barry et d’Olivier à Gibsons notamment Louis Arguin et les jugements dans les dossiers Cahill et Whellihan50 permettent de croire que Barry a outrepassé à l’occasion le propre rôle qu’il s’était donné; par ailleurs, tenant compte des témoignages rendus lors du présent procès par les policiers, le Tribunal conclut qu’il y a eu supervision adéquate. Le Tribunal souligne à nouveau que Barry n’a pas témoigné.
__________
50 R. vs Michael Barr Whellihan, Supreme Court of British Columbia, CC891643, July 13, 1990.
[131] À ce propos, le juge tire le constat que :
[157] […] Cependant, la preuve a révélé que dès le début et même avant le début de l’opération Déception, Olivier a été ciblé parce qu’il était un conduit possible à une source d’héroïne en Thaïlande. Si d’une part il est exact qu’il n’était pas à cette époque un importateur majeur d’héroïne, d’autre part, Olivier a toujours référé à une source d’héroïne en Thaïlande même si cette source n’était pas clairement identifiée. Il s’agissait toujours d’une source permettant d’acheter plusieurs kilos d’héroïne et la transaction finale est effectivement un achat d’environ deux kilos d’héroïne.
[158] L’importation d’héroïne au Canada est un crime très grave et la preuve a révélé qu’à au moins deux occasions, avec des quantités toutefois limitées, Olivier est entré au Canada, la première fois avec de l’héroïne brune (février 1987) et la deuxième fois avec de l’héroïne blanche (décembre 1988).
[159] L’opération Déception a duré environ 18 mois et durant cette période, de nombreux individus ont été ciblés à Vancouver et à Montréal. Il importe également de souligner que les policiers ne se sont pas acharnés sur Olivier. Ainsi, à la fin de l’été 1988, les policiers étaient convaincus que Beaulieu était plus important qu’Olivier et que Beaulieu les mènerait à la source. Les policiers ont même dit à Olivier :
« On n’aura plus besoin de toi, on a trouvé une autre source ».
[160] Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu provocation policière.
[Citations omises]
[132] De l'avis du juge :
[168] La transmission d’une note diplomatique entre deux gouvernements est une démarche très importante et le Tribunal conclut que le gouvernement du Canada a fait des démarches adéquates pour rapatrier Olivier.
[133] Selon le juge, une réponse négative s'impose :
[174] Dans le présent dossier, une lettre d’entente a été signée par Barry et cette lettre prévoit:
« 1. This letter of acknowledgment is neither a contract of employment nor a contract for any other purpose between me and the Royal Canadian Mounted Police […]
4. As a fee for my services the Royal Canadian Mounted Police shall, at the conclusion of my involvement in this investigation, provide me with a cash payment […]. »
[175] À l’examen de ce document signé le 1er mars 1988 à Gibsons et du rôle tenu par Barry durant l’opération policière, rien ne permet de considérer Barry comme un préposé de la GRC. La relation est tout au plus de la nature d’un contrat de services.
[176] La responsabilité civile de Barry n’est pas retenue et le Tribunal a déjà indiqué qu’il n’y avait pas eu faute dans la sélection et la supervision de Barry. [Citation omise]
[134] Le juge estime que les rapports ne lient pas la Cour supérieure, d'autant que la preuve administrée devant la Commission diffère de celle faite devant lui :
[178] Au cours de l’enquête de la Commission, il y a eu rencontre avec Olivier, alors incarcéré en Thaïlande mais la Commission n’a pas rencontré les policiers Bennett, Massey, Dop et Girdlestone. Les enquêteurs ont cependant rencontré le surintendant Pouliot et le commissaire adjoint Palmer, qui ont aussi témoigné au procès.
[179] La présente cause n’est pas une enquête publique sur les agissements de la GRC; c’est une action en responsabilité civile et la preuve présentée est différente de celle retenue par l’enquête de la Commission. Au cours du procès, les parties et plusieurs témoins qui n’ont pas été entendus devant la Commission ont été interrogés et contre-interrogés. Il y a une distinction importante et le Tribunal a voulu l’indiquer.
[135] De l'avis du juge, la GRC n'a pas manqué à ses obligations et, par ses gestes, n'a pas porté atteinte aux droits fondamentaux de Monsieur Olivier:
[183] Le témoin expert Gar Pardy a expliqué les relations entre le Canada et la Thaïlande, particulièrement pour les crimes liés à la drogue :
« 17. The assignment of a RCMP liaison officer to the embassy in Bangkok in 1976 and the entering into force of the Treaty on Mutual Legal Assistance should be considered as significant factors in the importance the government of Canada attached to cooperation with Thailand on drug matters. Canada has long regarded the fight against illegal drug trafficking and use as requiring close cooperation with producer countries and the assignment of the liaison officer and the negotiation of a Mutual Legal Assistance Treaty are practical manifestations of that policy. See Annex 1 for details on Canada’s Drug Strategy. »
[184] Ainsi, en poursuivant l’opération policière en Thaïlande avec l’autorisation des autorités thaïlandaises, la GRC n’a pas commis une faute civile.
[185] Enfin, il n’y a pas atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la Charte des droits et libertés de la personne, car les gestes d’Olivier ne résultent pas d’une provocation policière.
[136] En appel, Monsieur Olivier réitère sa thèse fondamentale et reprend d'une façon ou d'une autre les questions débattues devant le juge en première instance. De sa propre analyse des faits, il tire notamment l'inférence que les intimés auraient violé ses droits garantis par les chartes. Ses critiques reposent principalement sur la thèse de la partialité du juge, un état d'esprit condamnable qui aurait conduit ce dernier à interpréter l’ensemble de la preuve et chacune des questions en litige de façon erronée et à son détriment.
[137] J’ouvre ici une parenthèse pour indiquer que je partage entièrement l’indignation du juge Wagner au sujet des commentaires nettement inappropriés formulés par les avocats de l’appelant à l’endroit du juge, de même que leur usage d’un langage excessif. Certes, les déterminations faites en première instance ne correspondent pas à la version des faits qu'ils ont proposée, mais il n'en ressort pas pour autant que le juge était biaisé. À l'appui de leurs insinuations, les avocats de Monsieur Olivier ont même plaidé que le juge était l'employé de l'intimé Procureur général du Canada. J'estime nécessaire de dénoncer une pareille façon de faire. Voici une affirmation qui tend directement à miner la confiance du public envers le système judiciaire, alors qu'elle ne repose sur aucun fait spécifique au dossier ni sur aucun élément de commune renommée. Au contraire, l'indépendance judiciaire et la séparation des pouvoirs constituent l'un des piliers de la démocratie au Canada et, à juste titre, le pays en tire fierté sur la scène internationale.
[138] Cela dit, on ne compte plus les arrêts de la Cour suprême et de notre cour qui décrient l'approche consistant à reprendre en appel l'analyse de l’ensemble de la preuve dans la recherche d’une interprétation globale différente[27]. Pour s’attaquer à une conclusion de fait ou à une inférence tirée de la preuve, une partie appelante doit pouvoir isoler cette conclusion ou cette inférence et pointer du doigt l’erreur flagrante qui l’entache. À ce propos, je ne saurais mieux dire que mon collègue Morissette qui, dans Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades[28], tenait les propos suivants :
[54] L’appel, rappelons-le encore une fois, n’est pas une occasion de refaire le procès.
[55] Lorsqu’une preuve de quelque complexité prête à interprétation et requiert de la part du juge de première instance l’appréciation individuelle puis globale de multiples éléments, dont certains sont divergents ou contradictoires, il ne suffit pas de sélectionner aux fins du pourvoi tout ce qui aurait pu être interprété différemment, à l’exclusion de tout le reste, afin de réitérer une thèse déjà tenue pour non fondée par le juge qui a entendu le procès. Une erreur dans la détermination d’un fait litigieux n’est manifeste que si son caractère évident ou flagrant se dégage avec netteté du ré-examen de la partie pertinente de la preuve et qu’une conclusion différente sur ce fait litigieux s’impose dès lors à l’esprit. Une erreur n’est déterminante que si elle prive le jugement entrepris d’une assise nécessaire en fait, faussant ainsi le dispositif de la décision rendue en première instance et commandant réformation de ce dispositif pour cette raison. Cette question pourtant importante en appel n’est nulle part abordée par les appelants privés conventionnés pour qui, semble-t-il, toutes les erreurs ou prétentions d’erreur se valent. Il leur revenait d’identifier spécifiquement et de circonscrire dans leur mémoire ce en quoi le jugement souffrait d’une telle faiblesse et ils ne l’ont pas fait.
[139] Dans le cas à l’étude, Monsieur Olivier ne me convainc nullement que les déterminations du juge et les inférences qu’il a tirées n’ont pas d’assise dans la preuve. Ce n'est pas parce que certains éléments non retenus en première instance pourraient favoriser des conclusions différentes, que celles retenues par le juge deviennent de ce fait déraisonnables; il faut que la méprise du juge s’impose à l’esprit et qu’elle rende nécessaire la réformation du dispositif. Or, à mon avis, aucun des moyens d’appel proposés ne satisfait cette exigence.
[140] Ces considérations suffisent, à mon avis, à entraîner le rejet du pourvoi. J’ajouterai cependant quelques commentaires concernant la neuvième question traitée par le juge, celle de la prescription.
[141] Dans la foulée de ce que lui plaidait Monsieur Olivier en première instance, le juge a retenu que l’action instituée en juillet 2000 était assujettie à la prescription de trois ans prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec[29]. Il écrit à ce sujet :
[189] Olivier allègue que la prescription a été suspendue jusqu’à son retour au Canada le 14 juillet 1997 et que son action intentée le 7 juillet 2000 n’est donc pas prescrite.
[…]
[212] En 1989, la prescription était d’un an et avec l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994, le délai de prescription a été fixé à trois ans.
[142] En appel, Monsieur Olivier avance maintenant que la prescription applicable relève de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif [ci-après la «Loi»][30], laquelle fixe à six ans le délai pour agir en justice. Le législateur s’exprime dans les termes que voici :
32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.
[143] Je suis d'avis que le nouvel argument de Monsieur Olivier est fondé. À l'instar du juge Wagner et pour les raisons qu'il expose, j'estime que le délai devant recevoir application est celui que fixe la loi fédérale. Les faits générateurs sont survenus en divers endroits au Canada et à l'étranger, rendant ainsi inapplicables les délais établis par les lois provinciales[31].
[144] Toutefois, non seulement le texte de la Loi emporte-t-il la conséquence de fixer à six ans le délai de prescription, mais, à première vue, il a aussi pour effet de mettre de côté les règles du droit provincial portant sur la suspension de cette prescription. Il en découle une difficulté juridique additionnelle en raison du silence de la Loi quant au concept même de suspension de prescription.
[145] Je ne puis me convaincre que l'absence de règles signifierait que rien ne peut faire obstacle à la progression inexorable du temps conduisant, à son terme, à la prescription extinctive. À titre supplétif, il faut, à mon avis, recourir au droit commun, comme nous y invite d'ailleurs la Loi d'interprétation[32]:
Tradition bijuridique et application du droit provincial
8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tout deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.
2001, ch. 4, art. 8.
[146] Je signale au passage que Monsieur Olivier pouvait introduire sa poursuite en Cour fédérale de première instance ou dans une cour supérieure possédant une juridiction concurrente à celle de la Cour fédérale en fonction des faits générateurs invoqués[33]. Sans opposition de la part de l’une ou l’autre des parties défenderesses, il a choisi d'intenter ses procédures en Cour supérieure de la province de Québec. La preuve révèle que certains des faits générateurs invoqués se seraient produits ici justifiant ainsi, à première vue, la compétence concurrente de la Cour supérieure du Québec.
[147] En première instance, Monsieur Olivier n’a invoqué ni prouvé aucune règle de droit applicable à l’espèce autre que celles découlant du Code civil du Québec, et ce, sans égard à l'existence de faits générateurs survenus ailleurs qu'au Québec. Dans ce contexte, et dans la mesure où il aurait fallu y recourir, j'estime que la règle prescrite par l'article 2809 C.c.Q. pouvait recevoir application:
2809 C.c.Q.: Le tribunal peut prendre connaissance d'office du droit des autres provinces ou territoires du Canada et du droit d'un État étranger, pourvu qu'il ait été allégué. Il peut aussi demander que la preuve en soit faite, laquelle peut l'être, entre autres, par le témoignage d'un expert ou par la production d'un certificat établi par un jurisconsulte.
[148] Pour ces raisons, je m’accorde avec le juge Wagner pour me référer aux règles qui régissent les cas de suspension de prescription au Québec. Tout comme lui, cependant, je suis d’avis qu'elles ne permettent pas, à elles seules, de réformer la conclusion de fait du juge Caron selon laquelle l'impossibilité d'agir a disparu en 1993.
[149] De l’avis de ce dernier, Monsieur Olivier était objectivement incapable d’agir en justice en raison des contraintes physiques qui lui étaient imposées dans sa prison thaïlandaise. Il a cependant retenu que la preuve administrée devant lui avait établi que l’obstacle matériel avait disparu à partir de 1993, alors que ses conditions de détention ont été allégées.
[150] Siégeant en première instance et analysant l’affaire sous l’angle de l’incapacité matérielle d’agir, je ne suis pas certain que je serais parvenu à une conclusion semblable. Il ne m’appartient cependant pas de substituer mon appréciation de la preuve à celle du juge de première instance, faute d’une erreur manifeste et dominante. Les arguments avancés par Monsieur Olivier ne me convainquent pas que le juge, qui a eu l'avantage de voir et d’entendre les témoins, se serait manifestement trompé à cet égard.
[151] Après avoir relevé des éléments de preuve démontrant que Monsieur Olivier avait eu des contacts avec des avocats canadiens et qu’il avait, de fait, exercé certains droits, notamment celui de se plaindre auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC, le juge conclut:
[209] Si, d’une part, la preuve a établi que les conditions dans les prisons étaient extrêmement sévères notamment au cours des trois premières années, d’autre part, après 1993, les faits, gestes et écrits d’Olivier démontrent qu’il pouvait communiquer avec un avocat, rencontrer des visiteurs, des journalistes ainsi que des représentants de l’Ambassade, etc. et qu’il pouvait communiquer, ce qu’il a fait à de nombreuses reprises, avec les autorités canadiennes.
[213] Le Tribunal conclut que les conditions exceptionnelles vécues par Olivier au début de son incarcération peuvent être considérées comme un cas extrême et qu’il y avait alors impossibilité d’agir pour Olivier. Cependant, le changement des conditions de détention après le rejet de l’appel sur la sentence ainsi que les faits, gestes et écrits d’Olivier à partir de 1993 ne permettent pas de conclure qu’il y avait alors une impossibilité d’agir au sens de l’article 2232 C.c.B.C. :
Art. 2232. La prescription court contre toutes personnes, à moins qu’elles ne soient dans quelque exception établie par ce code, ou dans l’impossibilité absolue en droit ou en fait d’agir par elles-mêmes ou en se faisant représenter par d’autres. […].
ni en 1994 au sens de l’article 2904 C.c.Q. :
Art. 2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres.
[152] La déférence que je dois aux déterminations du juge ne m’autorise pas à retenir de la preuve que Monsieur Olivier n’aurait pas pu agir dans les faits, et ce, malgré les nombreux obstacles pratiques auxquels, je l'imagine aisément, il se serait vu confronté.
[153] Avec insistance, Monsieur Olivier plaide en outre qu’il n’aurait pu entreprendre ses procédures avant de poser le pied sur le sol canadien, et ce, par crainte de voir son principal débiteur le laisser pourrir dans un cachot thaïlandais pour le reste de ses jours. Le juge Wagner expose de façon convaincante pourquoi le juge de première instance était fondé à retenir que Monsieur Olivier n’avait pas établi cet état de paralysie psychologique assimilable à l’impossibilité d’agir au sens des arrêts Gauthier c. Beaumont[34] et J.C. c. D.B.[35].
[154] Pour tous ces motifs et à l’instar du juge Wagner, j’estime donc qu’il y a lieu de rejeter l’appel, avec dépens.
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FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. |
[1] [1990] B.C.J. No. 1678 (B.C.S.C.) (QL).
[2] [1992] B.C.J. No. 793 (B.C.C.A.) (QL).
[3] (1993) 16 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, [1994] 1 S.C.R. xx.
[4] Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1980, c. 406, remplacé par R.S.O. 1990, c. P.38, s. 7(1).
[5] La Cour souligne néanmoins que les principes qui justifient les délais de prescription sont aussi bien servis par la doctrine de « lâches » de common law. Il s'agit d'une défense en équité, qui permet d'obtenir le rejet de l'action en raison du délai déraisonnable du demandeur pour l'intenter, qui cause préjudice au défendeur.
[6] Garry v. Canada, (2007), 429 A.R. 292, 2007 ABCA 234 , paragr. 21. Voir aussi Bush v. Vancouver (City), (2006), 272 D.L.R. (4th) 281, 2006 BCSC 1207, paragr. 54; Mazumder v. Ontario, (2000) 80 C.R.R. (2d) 174, paragr. 4 (C.S. Ont.); Pearson c. Canada, (2006), 297 F.T.R. 121, 2006 CF 931, paragr. 57; Alexis v. Toronto Police Service Board, (2009) 259 O.A.C. 148, 2009 ONCA 847, paragr. 15-16, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2010-04-29, 33560.
[7] Ravndahl c. Saskatchewan, [2009] 1 R.C.S. 181 , 2009 CSC 7 , paragr. 16-17. Voir aussi Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3 , 2007 CSC 1 , paragr. 59-60.
[8] Voir notamment Baltrusaitis v. Ontario, 2011 ONSC 532, paragr. 52; J.P. v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 5327, paragr. 16; Grover v. Canada (Attorney General), 2011 ONSC 4025, paragr. 5.
[9] [1998] 2 R.C.S. 3 .
[10] Ibid.
[11] Gauthier c. Lac Brôme (Ville), [1998] 2 R.C.S. 3 , p. 51-52.
[12] Catudal c. Borduas (J.C. c. D.B.), [2006] R.J.Q. 2052 , 2006 QCCA 1090 , paragr. 107, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2007-03-08, 31701.
[13] Voir notamment: Kelly c. Communauté des Soeurs de la Charité de Québec, J.E. 95-1875 , paragr. 57 et s. (C.S.); Ringuette c. Ringuette, [2003] R.R.A. 602 , (C.S.), appel rejeté, C.A. Québec, nº 200-09-004476-039, 11 mai 2004, jj. Mailhot, Rochette et Hilton.
[14] Roberge c. Carrier, B.E. 98BE-86 (C.S.).
[15] Voir notamment: M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6 ; A. c. B. (2007), [2007] R.R.A. 172 , 2007 QCCS 5 (C.S.), confirmé par R.S. c. D.S. (2008), 172 A.C.W.S. (3d) 216, 2008 QCCA 537 ; É.S. c. C.D., [2004] R.R.A. 175 (C.S.); Ringuette c. Ringuette, [2003] R.R.A. 602 , (C.S.), appel rejeté, C.A. Québec, nº 200-09-004476-039, 11 mai 2004, jj. Mailhot, Rochette et Hilton; A. c. B. (1998), [1998] R.J.Q. 3117 (C.S.); P.L. c. J.L., [2011] R.J.Q. 1274 , 2011 QCCA 1233
[16] [2006] R.R.A. 597 , 2006 QCCA 1090 , requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2007-03-08, 31701.
[17] Catudal c. Borduas (J.C. c. D.B.), [2006] R.R.A. 597 , 2006 QCCA 1090 , paragr. 69-70, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2007-03-08, 31701. Voir aussi: Oznaga c. Société d'exploitation des loteries et courses du Québec, [1981] 2 R.C.S. 113 ; Location Robert Ltée c. Canada (2010), 403 N.R. 93, 2010 CAF 31 .
[18] Catudal c. Borduas (J.C. c. D.B.), [2006] R.R.A. 597 , 2006 QCCA 1090 , paragr. 84, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2007-03-08, 31701; Amex Bank of Canada c. Adams, J.E. 2012-1631 , 2012 QCCA 1394 , paragr. 62; Administration du pilotage des Laurentides c. Gestion C.T.M.A. Inc., [2006] 1 R.C.F. 37, 2005 CAF 221, paragr. 19; I.M. c. J.L., B.E. 2002BE-926 (C.A.).
[19] L.R.C. (1985), ch. C-50.
[20] Ibid.
[21] Canada c. Maritime Group (Canada) Inc., [1995] 3 C.F. 124 ; Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc. (2004), 246 F.T.R. 290, 2004 FC 190, paragr. 14.
[22] (2006), 303 F.T.R. 1, 2006 CF 456. Voir aussi Bernath c. Canada, (2005), 275 F.T.R. 232, 2005 FC 1232.
[23] Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, supra, note 19.
[24] Article 2878 C.c.Q.
[25] Zotti-Di Mauro c. Di Mauro, J.E. 2003-1960 (C.S.); Julie McCann, Prescriptions extinctives et fins de non-recevoir, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 102.
[26] [1988] 2 R.C.S. 903 .
[27] Voir notamment Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 , paragr. 10, 32 et 37; H.L. c. Canada (Procureur Général), [2005] 1 R.C.S. 401 , paragr. 64; Resurfice Corp. c. Hanke, [2007] 1 R.C.S. 333 , 2007 CSC 7 , paragr. 10; L.-J.C. c. L.P., [2005] J.Q. no 8744, 2005 QCCA 651 , paragr. 6; Toyota Baie des Chaleurs c. Poirier, [2006] J.Q. no 113, 2006 QCCA 22 , paragr. 3; Allaire c. Girard & associés, [2005] R.R.A. 1031 , 2005 QCCA 713 , paragr. 47; P.L. c. Benchetrit, [2010] R.J.Q. 1853 , 2010 QCCA 1505 , paragr. 24, 28 et 29; R.K. c. Ackman (Succession d'), [2010] R.R.A. 1045 , 2010 QCCA 2180 , paragr. 14-16 et 31.
[28] [2007] R.J.Q. 1753 , 2007 QCCA 1068 , paragr. 54-55.
[29] 2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[30] L.R.C. (1985), ch. C-50.
[31] Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94 , 2003 CSC 9 ; Canada c. Maritime Group (Canada) inc., [1995] 3 C.F. 124 , 1995 CanLII 3513 (C.A.F.); Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2002] A.C.F. no 793, 2002 CFPI 585, aux paragr. 157, 160 et 161, conf. par [2005] 3 R.C.S. 302 , 2005 CSC 65 ; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 223 , 2002 CFPI 943 [Obodzinsky]; Julie McCann, Prescriptions extinctives et fins de non-recevoir, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 114.
[32] L.R.C. 1985, c I-21; Voir aussi Obodzinsky, ibid., paragr. 23 : « Il n'en demeure pas moins que les règles de droit applicables pour trancher les questions générales de droit privé suppléeront lorsque la loi fédérale est silencieuse. L'article 32 ne règle que la question du délai, alors même qu'il ne s'agit que d'une des questions qui peuvent se poser en matière de prescription. Il s'ensuit donc que le Code civil du Québec s'appliquerait de toute façon puisqu'il établit le droit commun dans les matières de droit privé. »
[33] Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, supra, note 5, art. 21.
[34] [1998] 2 R.C.S. 3 , REJB 1998-07106 .
[35] [2006] R.J.Q. 2052 , 2006 QCCA 1090 .
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